M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec.

M. Ronan Dantec. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission du développement durable, mes chers collègues, je commencerai par féliciter chaleureusement le groupe Les Républicains, tout particulièrement mes amis Jean-Claude Lenoir et Ladislas Poniatowski, pour le choix du thème de ce débat.

Nous vivons en effet un moment historique, ce qui n’a évidemment pas échappé à Jean-Claude Lenoir, même si ce dernier en a assez peu parlé en ouverture de notre débat… (M. Jean-Claude Lenoir s’exclame.)

De fait, entre le 7 et le 11 mai dernier, le Portugal a couvert l’ensemble de ses besoins en électricité en recourant uniquement à l’éolien, au solaire et à l’hydraulique. Le fait est d’autant plus notable que, en 2013 encore, ce pays tirait 23 % de son électricité du nucléaire importé et à peine 10 % de l’éolien et du solaire.

Très dépendant des énergies fossiles jusqu’à une période récente, le Portugal a fait le choix d’investir massivement dans l’éolien et l’hydraulique. Il a réussi, puisque, naguère importateur d’électricité, il en devient de plus en plus un exportateur. Mes chers collègues, c’est ce nouveau paradigme électrique qu’il convient de considérer lucidement.

En Allemagne, comme il a presque été dit – je dis bien : presque ! –, les énergies renouvelables ont battu de nouveaux records en 2015. Pendant cette année, en effet, les énergies vertes ont couvert près d’un tiers de la consommation électrique allemande – 32,5 %, pour être exact, contre 27 % l’année précédente – et 30 % de la production électrique. Quant à la production éolienne terrestre, elle se hisse à 78 térawattheures, ce qui représente un bond de 50 % par rapport à 2014. Encore faut-il ajouter que la consommation d’électricité en Allemagne a légèrement augmenté l’an dernier, dans le sillage d’une année plus froide que la précédente.

Le plus fort est que cette année sera probablement meilleure encore que la précédente. Ainsi, le 8 mai dernier, l’Allemagne a produit 95 % de son électricité avec des énergies renouvelables : les quelque 50 gigawatts de consommation ont été presque totalement couverts par cette production, assurée notamment par l’énergie solaire, pour plus de 16 gigawatts.

Permettez-moi d’indiquer aussi que, au niveau mondial, les investissements en production électrique renouvelable ont mobilisé, en 2015, 286 milliards de dollars d’investissements, soit plus du double des sommes investies dans les centrales à charbon et à gaz. Je ne parle évidemment pas de l’investissement dans le nucléaire, totalement négligeable par rapport au montant dont je viens de faire état.

Or le développement inéluctable des énergies renouvelables n’est pas sans conséquences. Le jour du pic de production renouvelable en Allemagne que je viens d’évoquer, le prix d’échange de l’électricité s’est établi à un niveau négatif : - 97 euros le mégawattheure entre 13 et 16 heures et jusqu’à - 130 euros entre 14 et 15 heures. (M. Ladislas Poniatowski opine.) Ladislas Poniatowski et moi-même avons des préoccupations communes.

Dans une Europe de plus en plus interconnectée, cette évolution des productions énergétiques affecte très fortement l’ancien modèle énergétique français, qui, en termes économiques, ne tient plus ; ce constat doit faire consensus entre nous.

M. Jean-Claude Lenoir. Dites-nous donc quelle est la part du charbon en Allemagne !

Mme Évelyne Didier. Elle va se réduire : il s’agit d’une période transitoire !

M. Ronan Dantec. L’extrême gravité de la situation financière d’EDF et les conséquences de nos retards sur notre capacité à faire évoluer le système énergétique français sont aujourd’hui telles que je tremble, très sincèrement, pour le service public à la française, du moins si nous continuons de vivre dans le déni du monde réel.

Souvenez-vous, mes chers collègues, que l’endettement d’EDF s’élève déjà à 37 milliards d’euros, de sorte que le mur d’investissements auquel le groupe doit faire face paraît aujourd’hui très clairement infranchissable. À lui seul, le grand carénage des centrales nucléaires pourrait coûter entre 50 milliards d’euros, selon EDF, et 100 milliards d’euros, selon la Cour des comptes. Une somme à laquelle il faut ajouter les 2,5 milliards d’euros correspondant au rachat de l’activité réacteurs d’Areva, aujourd’hui en faillite virtuelle. Sans oublier, bien entendu, l’investissement de 18 milliards de livres sterling dans l’EPR d’Hinkley Point, qui a déjà provoqué la démission du directeur financier du groupe.

Ce n’est pas faisable ! Sauf à vendre les bijoux de famille : RTE aujourd’hui et, demain, probablement, ERDF, qui est le socle de l’égalité à la française dans le domaine de l’accès à l’électricité.

Je le dis et je le répète : notre principal problème est l’effondrement du prix de gros sur le marché de l’électricité. Songez que, en moyenne, ce prix est passé de 42 euros le mégawattheure à la fin de 2014 à 28 euros aujourd’hui, alors qu’EDF considère que, à moins de 37 euros, le système n’est plus viable…

Sans doute M. Lenoir peut-il m’opposer sa démonstration, que je connais bien, sur la différence entre le prix de l’électricité d’origine renouvelable et le prix de gros, celui de l’électricité qu’on achèterait sur un marché libéralisé : de cette soustraction résultent 100 milliards d’euros de contributions. Seulement voilà : aujourd’hui, le même calcul réalisé pour le tarif de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique, l’ARENH, donne un montant d’argent public bien supérieur encore !

M. Jean-Claude Lenoir. Et la part des subventions pour installer les unités de production ?

M. Ronan Dantec. Sans compter qu’EDF propose de relever l’ARENH à 55 euros… Ne perdons jamais de vue la réalité des masses financières en jeu !

Conclusion : le modèle actuel n’est plus viable.

Dès lors, pour un vrai libéral, et même pour un simple lycéen ayant suivi quelques mois de cours d’économie, la seule issue consiste à réduire la production. D’ailleurs, la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte réaffirme bien que la production électrique française n’augmentera plus.

Or, pour réduire la production, il faut aujourd’hui fermer non pas des productions intermittentes, mais des productions de base. Pour ce faire, notre seule possibilité est de fermer des centrales nucléaires. En d’autres termes, si nous voulons rendre le système à nouveau viable en termes économiques pour EDF, il faut fermer un certain nombre de tranches nucléaires. Sans remontée des prix, EDF ne survivra pas ! Vouloir retarder la fermeture de Fessenheim est donc un dangereux combat d’arrière-garde.

Mes chers collègues, voilà quelques années, vingt ans peut-être, j’aurais pris la parole comme l’incarnation de l’écolo chevelu, brun et barbu, fier du panneau solaire fait maison accroché sur son toit… (Rires.)

M. Ladislas Poniatowski. Vous vieillissez un peu…

M. Jean-Claude Lenoir. La chevelure n’a pas changé ! (Sourires.)

M. Ronan Dantec. Nous avons certes un peu blanchi, mais, surtout, le monde a bien changé !

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Ronan Dantec. Je conclus sur ce point, monsieur le président.

Avez-vous remarqué ce fait dont je suis tout tourneboulé ? Cet après-midi, c’est moi qui représente les puissances industrielles – je ne dis pas : le grand capital –, celles qui brassent des centaines de milliards d’euros et créent des millions d’emplois, 8 millions selon les derniers chiffres de l’IRENA sur le développement des énergies renouvelables !

M. le président. Concluez, monsieur Dantec !

M. Ronan Dantec. Je m’adresse donc avec bienveillance aux derniers représentants d’une production énergétique marginale, car j’ai été dans la même situation dans ma jeunesse… Je leur dis : Évoluez, ouvrez les yeux, sans quoi la France va connaître de grosses difficultés ! (Mme Évelyne Didier applaudit. – M. Ladislas Poniatowski s’exclame.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.

M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les décisions en matière de politique énergétique engagent l’avenir des générations futures sur plus d’un siècle, à l’instar du décret paru le 2 juin dernier qui détaille les opérations de démantèlement de Phénix : ce réacteur, autorisé en 1969, ne sera démantelé qu’en 2050.

Aussi est-il nécessaire que la représentation nationale se prononce sur les orientations de la politique énergétique, qui, longtemps, a relevé du seul pouvoir exécutif.

Dans cet esprit, la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte met en place une programmation pluriannuelle de l’énergie, ou PPE, instrument de pilotage permettant de fixer clairement les objectifs du pays dans le domaine de l’énergie.

Remplaçant la programmation pluriannuelle des investissements de production d’électricité et de chaleur, définissant les besoins énergétiques futurs selon des hypothèses d’évolution démographique et de contexte économique, comportant une évaluation de l’impact économique, social et environnemental des évolutions prévues et déterminant leur coût prévisionnel pour les finances publiques, cette loi est le fondement sur lequel repose la transition énergétique.

Pour l’instant, le Gouvernement s’est contenté d’une simple actualisation, peu ambitieuse, de la précédente programmation pluriannuelle des investissements. Est-ce un aveu de son impuissance à respecter ses promesses électorales ?

Bien que cet exercice n’aille pas de soi – je le conçois –, il est regrettable que, à ce stade, nous ne disposions pas de la première version de la PPE, qui devait couvrir les années 2016 à 2018 ; en effet, cette programmation était l’une des principales avancées de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte.

La réduction de 75 à 50 % de la part du nucléaire dans notre mix électrique à l’horizon de 2025, votée à l’Assemblée nationale, implique que soient sacrifiés dix-sept à vingt réacteurs, comme l’explique la Cour des comptes dans son dernier rapport annuel, rendu public en février dernier. En d’autres termes, il s’agit de sacrifier – j’emploie ce verbe à dessein – un tiers de notre parc nucléaire, sans pour autant se fonder sur des critères de sécurité.

Le tableau est bien noir, tant il est vrai qu’Areva et EDF sont en difficulté : le grand carénage des réacteurs coûte cher, des actifs sont cédés et des postes supprimés, l’exploitant est indemnisé dans des proportions dérisoires pour la fermeture de Fessenheim, le dossier de l’EPR est dans l’impasse et la durée de vie des centrales donne lieu à des tergiversations. Ce qui est certain, c’est que les moyens financiers n’ont pas suivi. C’est un coup porté à l’un de nos fleurons industriels, sans garantie que notre indépendance énergétique ne sera pas affectée.

Quel est donc l’avenir de l’atome en France ? Nous contenterons-nous de faire plaisir aux États voisins en arrêtant les réacteurs situés aux frontières, ou bien nos décisions se fonderont-elles sur la sûreté de nos installations ?

Il est pourtant incontestable que le mix énergétique français, reposant à la fois sur le nucléaire et sur les énergies renouvelables, a toute sa place dans l’accomplissement des objectifs de réduction de gaz à effet de serre.

La visibilité doit être garantie pour permettre aux industriels d’adapter la trajectoire de leurs investissements, quelle que soit la source d’énergie. De fait, il est absurde et peu compatible avec l’efficacité de la dépense publique d’investir lourdement dans un réacteur qui devra fermer rapidement.

Lors de la récente conférence environnementale, le Président de la République a déclaré : « Fermer des centrales n’est pas une décision qui s’improvise », tout en précisant que le processus devrait s’accompagner d’« un calendrier précis, dans le respect des personnels, des territoires et de nos engagements en matière de climat ». Désigner les réacteurs qui seront prochainement arrêtés serait, à mon sens, plus respectueux.

Il convient en effet d’arrêter clairement la stratégie à suivre, en particulier pour la filière nucléaire, si l’on veut que la transition énergétique soit une réussite.

En ce qui concerne les énergies renouvelables, outre qu’il est nécessaire d’accélérer la simplification des procédures administratives, les objectifs fixés dans l’attente de la PPE ne sont pas suffisamment ambitieux. C’est le cas notamment pour les énergies marines renouvelables, dont il a déjà été précédemment question, puisque nous nous contentons d’un objectif de 100 mégawattheures à l’horizon de 2023, alors que les autres États membres de l’Union européenne avancent à grands pas.

Enfin, pour ce qui est des dispositions visant à accroître l’efficacité énergétique, je finirai par quelques remarques positives.

Je salue ainsi la publication du décret relatif à l’obligation d’isoler les bâtiments lors des grands travaux, qui devrait procurer du travail aux artisans et aux entreprises, même si de nombreuses dérogations demeurent. Je constate également les progrès réalisés au cours de ces derniers mois sur un certain nombre de points, notamment grâce aux mesures qui accompagnent la transition énergétique, comme le soutien aux cinq cents territoires à énergie positive pour la croissance verte.

Je tiens à répondre à Ronan Dantec qui, parlant de la société de distribution d’électricité, ERDF, devenue ENEDIS, proposait de vendre les bijoux de famille. Mais, mon cher collègue, cette société ne pourra pas les vendre ! En effet, les réseaux électriques à basse et moyenne tension appartiennent aux syndicats d’électrification,…

M. Jean-Claude Requier. … et donc aux communes ! (M. Ronan Dantec s’exclame.)

M. Jean-Claude Requier. Je ne vois pas comment cette entreprise pourrait vendre un bien qui ne lui appartient pas !

M. Ladislas Poniatowski. C’est très bien de le rappeler !

M. Ronan Dantec. Ce n’est pas vrai !

M. Jean-Claude Requier. Je ferme la parenthèse.

Madame la secrétaire d’État, ce n’est pas tant la communication autour du nombre de décrets qui nous préoccupe – même si 75 % des décrets et 95 % des ordonnances ont été publiés ou sont en cours d’examen au Conseil d’État –, mais leur contenu.

Je constate que l’essentiel, à savoir la programmation pluriannuelle de l’énergie, fait défaut à ce jour. J’espère que vous nous apporterez des réponses claires sur le sujet à l’occasion de ce débat. (Applaudissements sur les travées du RDSE et sur certaines travées du groupe Les Républicains. – M. Michel Canevet applaudit également.)

M. Alain Gournac. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Louis Nègre.

M. Louis Nègre. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte prévoyait un cortège d’objectifs s’inscrivant dans une logique simple : il s’agissait de réduire les émissions de gaz à effet de serre pour que la France apporte une contribution décisive à la réussite de l’accord de Paris sur le climat.

La politique de transition énergétique que vous mettez en œuvre, madame la secrétaire d’État, consiste avant tout en une diversification de notre bouquet énergétique, ce qui a toujours été défendu par le groupe Les Républicains, comme le président Jean-Claude Lenoir et notre collègue Ladislas Poniatowski l’ont rappelé tout à l’heure.

Or le rééquilibrage souhaité par tous devra essentiellement se concentrer autour de la biomasse, du solaire et de l’éolien. C’est la récente programmation pluriannuelle de l’énergie, la PPE, qui nous dévoile les objectifs du Gouvernement dans ce domaine.

Aussi, j’insisterai dans le débat de ce jour sur deux points : la diversification du bouquet énergétique, tout d’abord, et les économies d’énergie issues des nouvelles mobilités, ensuite.

S’agissant du premier point, à savoir les énergies renouvelables, la direction est bonne mais les résultats risquent de se faire attendre.

En effet, nous attendons plus que jamais une vraie mobilisation de la part de la filière issue de la stratégie nationale de mobilisation de la biomasse. Cette énergie ne représente aujourd’hui que 7,9 des 550 térawattheures d’électricité produits en France. À ce titre, madame la secrétaire d'État, qu’en est-il du doublement du fonds chaleur et des appels d’offres pour la biomasse ?

Concernant les autres énergies renouvelables, les objectifs de la programmation pluriannuelle de l'énergie ont gagné en crédibilité même si, selon nous, certains d’entre eux sont encore optimistes, car ils vont bien au-delà du paquet énergie-climat européen.

De la même manière, je suis assez inquiet par rapport à l’objectif de 100 mégawattheures pour l’énergie marine renouvelable, car celui-ci est extrêmement limité. Qu’en est-il, là aussi, des appels d’offres concernant l’hydrolien et de leur intégration dans la PPE ?

S’agissant maintenant du second point, c’est-à-dire des économies d’énergie issues des nouvelles mobilités, certaines mesures sont intéressantes. Toutefois, notre avis est là encore nuancé.

Comme je l’ai dit en introduction, la transition énergétique est aussi et surtout une économie sobre en énergie grâce à une révolution des mobilités. (Mme la secrétaire d’État opine.) En effet, les transports représentent 32 % de la consommation finale d’énergie devant le logement qui correspond, lui, à 30 % de cette même consommation.

Conscient de cette réalité, le gouvernement auquel vous appartenez a consacré une partie substantielle de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte aux transports, madame la secrétaire d’État ! Cela commence bien… (Sourires.)

Mme Hélène Geoffroy, secrétaire d'État. Oui, en effet ! (Nouveaux sourires.)

M. Louis Nègre. Nous attendons cependant l’application concrète de la première disposition, qui consistait pour l’État, les établissements publics, les loueurs de voitures, les taxis et les exploitants de VTC, les voitures de transport avec chauffeur, à acquérir des véhicules à faibles émissions.

Le texte retient par ailleurs une définition réaliste en distinguant les obligations de l’État de celles des collectivités locales. Cette disposition me paraît aller dans le bon sens, car elle tient compte des réalités financières de nos institutions respectives.

Cependant, madame la secrétaire d’État, je souhaite vous saisir du problème lié à l’application de l’article 37 de la loi, qui précise que les « véhicules à faibles émissions [sont] définis comme […] électriques ou les véhicules de toutes motorisations et de toutes sources d’énergie produisant de faibles niveaux d’émissions de gaz à effet de serre et de polluants atmosphériques, fixés en référence à des critères définis par décret ».

C’est là que le bât blesse : le projet de décret crée en effet une véritable « usine à gaz » qui différencie les carburants comme les motorisations, au lieu de s’en tenir tout simplement aux taux des émissions produites, comme le souhaitait le législateur ! Je vous rappelle à cet égard, madame la secrétaire d’État, que le législateur avait souhaité retenir une formule neutre sur le plan technologique, car c’est la réalité des émissions polluantes qui compte pour le citoyen et non le type de motorisation ou le type de carburant !

S’agissant maintenant du décret créant les zones à circulation restreinte, les ZCR, vos services nous ont répondu que vous vous trouveriez dans une phase de consultation. Sur le principe, je suis favorable à la nouvelle rédaction de ce décret, sous réserve que les véhicules dédiés aux transports en commun en soient exclus. Ils sont en effet déjà couverts par l’article 37 dont je viens de parler. Il est important de laisser circuler les bus, de façon à offrir une alternative à nos concitoyens qui ne pourraient se déplacer autrement.

Enfin, je constate que les signaux envoyés par le Gouvernement sont contradictoires.

À titre d’exemple, je souhaite évoquer l’aide à l’acquisition de véhicules peu polluants. Ce dispositif vertueux, antérieur à la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, a porté ses fruits. Toutefois, les modifications dans l’application de la règle du bonus-malus ont conduit à une diminution drastique de ses bénéficiaires. Comment le Gouvernement pourrait-il faire passer un message prioritaire sur la dépollution du parc automobile dans de telles conditions ? Comment y parviendrait-il s’il ne s’en donne pas les moyens ?

En changeant les règles du jeu, on perturbe le consommateur. En diminuant significativement le bonus, l’effet d’entraînement est diminué d’autant. Et ce n’est pas la création d’un super-bonus de 10 000 euros qui pourra masquer cette réalité !

Aussi, madame la secrétaire d’État, en tant que corapporteur du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte, je ne peux qu’inviter le Gouvernement à rendre le processus engagé plus dynamique et à rendre à ce texte toute sa force initiale ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Hervé Maurey applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Roux. (Mmes Marie-Pierre Monier et Gisèle Jourda applaudissent.)

M. Jean-Yves Roux. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, nous avons raison d’être collectivement exigeants sur les conditions d’application de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte.

L’ampleur des enjeux environnementaux et leurs conséquences sur toute l’activité économique, ainsi que sur les perspectives de croissance et d’emplois, nous rendent en effet doublement comptables, et ce d’autant que la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte nous y invite.

Cette loi fixe en effet les grandes lignes d’une trajectoire à la fois réaliste et volontaire de réduction de nos émissions de gaz à effet de serre : 40 % de réduction de gaz à effet de serre entre 1990 et 2030, ainsi qu’une division par quatre de ces émissions entre 1990 et 2050. Au regard des engagements que nous avons pris lors de la COP 21 et du rôle majeur de la France dans ces négociations, elle anticipe et représente le bras armé de la concrétisation de l’accord de Paris.

Vous me permettrez d’être plus particulièrement attentif à la mise en œuvre de l’article 173, consacré à la stratégie nationale bas-carbone.

La philosophe Cynthia Fleury disait que la construction de l’État de droit était l’aventure du fossé entre les principes et les pratiques. Or, si la transition énergétique et la lutte contre le réchauffement climatique sur le plan international sont des principes fondamentaux, la stratégie nationale bas-carbone et la mise en place de budgets carbone en déterminent les pratiques.

Le décret du 18 novembre 2015, qui est donc en vigueur depuis six mois, précise d’ores et déjà les modalités de cette stratégie pour l’État, les collectivités territoriales et leurs groupements, ainsi que pour les personnes morales de droit public. Il définit ainsi le périmètre des budgets carbone par lesquels la réduction de ces émissions passera, en excluant pour le moment l’agriculture et la foresterie.

L’évaluation des premiers effets produits par ce décret me paraît pour le moment quelque peu prématurée. Rappelons que la stratégie nationale bas-carbone fera l’objet d’une révision à la fin du mois de juin 2019, en s’appuyant sur des évaluations données à un rythme biannuel par le Conseil national de la transition écologique. Une évaluation sectorielle dans six mois, au moment de la discussion budgétaire, sera sans doute des plus opportunes.

Toutefois, à ce stade, il me paraît fondamental de ne pas briser la dynamique d’investissement amorcée par les budgets carbone dans les domaines de la construction, de l’industrie, des déchets ou des énergies renouvelables.

En effet, la stratégie nationale bas-carbone ne constitue pas en soi un frein à la vitalité économique. Au contraire, elle vise précisément à définir une feuille de route pour réduire les émissions de gaz à effet de serre tout en garantissant une soutenabilité économique sur le moyen et le long terme. Elle nécessite des investissements et de l’innovation, nerf de la guerre de la compétitivité économique à venir.

Par ailleurs, je ne doute pas que la concrétisation de l’accord de Paris fera de la qualité de la production décarbonée un argument indispensable à l’exportation. Je plaide pour que la prise en compte de la stratégie nationale bas-carbone intervienne plus systématiquement dans chacune de nos décisions, au Parlement comme dans nos territoires, en pleine cohérence.

Mes chers collègues, le basculement vers une production décarbonée et une lutte efficace contre le dérèglement climatique supposent non seulement de la cohérence mais aussi une visibilité sur le long terme. À ce titre, et afin de renforcer la visibilité des acteurs économiques, la mise en place d’une tarification carbone constitue un véritable atout.

Avec une trajectoire ambitieuse pour la contribution climat-énergie, qui est fondée sur une valeur de la tonne de carbone fixée à 56 euros en 2020 et à 100 euros en 2030, la France donne indéniablement l’exemple !

M. Roland Courteau. Très bien !

M. Jean-Yves Roux. Cependant, je crains que le prix du carbone et la structuration actuelle du marché du carbone européen ne soient pas encore suffisamment incitatifs pour opérer ce nécessaire basculement.

Peut-être ne faut-il pas s’arrêter là, madame la secrétaire d’État, et ne pas simplement chercher à inciter des entreprises à adopter des comportements vertueux, mais plutôt essayer de leur donner les moyens financiers dont elles ont besoin ?

Certains économistes, Michel Aglietta en tête, recommandent ainsi de mettre en place de véritables certificats carbone à l’échelle européenne. Il s’agirait d’actifs carbone consacrés au financement d’investissements décarbonés et susceptibles de promouvoir une industrie bas-carbone dans toute l’Union européenne. Ce processus de certification permettrait de dégager des financements qui ne grèveraient pas les budgets des États, tout en redynamisant la croissance européenne verte.

Des certificats pourraient être délivrés aux entreprises en fonction des résultats en matière de réduction de gaz à effet de serre qu’elles atteindraient. Ces entreprises engagées et impliquées transmettraient ensuite ces certificats verts à leur banque pour rembourser leur crédit. Les banques pourraient à leur tour transférer ces certificats à la Banque centrale européenne, la BCE.

Ainsi, comme l’explique M. Aglietta, « en achetant des actifs carbone garantis au lieu de titres de dettes publiques existantes, la BCE acquerrait des actifs privés directement créateurs de revenus. »

Couplée à la tarification carbone, cette idée mérite sans doute d’être creusée.