M. le président. La parole est à Mme Évelyne Didier.

Mme Évelyne Didier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’accord de Paris, signé le 22 avril dernier à New York, est un succès diplomatique pour la France et les instances onusiennes. Après plus de vingt ans de discussions et l’échec de Copenhague, 190 pays se sont engagés sur le long terme dans la lutte contre le dérèglement climatique.

Ce succès est le fruit d’un processus innovant, dont la France a pris l’initiative, reposant sur une logique d’engagement volontaire des pays et la mobilisation de la société civile. En donnant la parole aux territoires, aux collectivités, aux citoyens, l’accord a été nourri par toutes ces expériences. L’agenda des solutions a pris corps dans la COP 21 et démontré l’intérêt de la mobilisation conjointe des acteurs étatiques et non étatiques.

La réussite de la COP 21 était vitale. En témoigne la hausse du niveau des mers qui menace déjà de disparition certains États insulaires. Actuellement, plus de 600 millions de personnes vivent dans les zones littorales affectées et elles seront plus d’un milliard d’ici à 2060 : c’est demain ! L’ampleur et la gravité des phénomènes climatiques appelaient de façon urgente cette prise de conscience collective et la solidarité des États et des peuples. D’où l’importance de la dimension universelle de l’accord de Paris.

Nous sommes désormais au pied de la montagne et nous nous sommes collectivement engagés à la gravir suivant le programme ambitieux qu’il nous faut désormais concrétiser, préciser et préserver.

En premier lieu, il faut concrétiser l’objectif central de limitation de la hausse des températures par rapport aux niveaux préindustriels en deçà de 2 degrés, l’optimum étant de 1,5 degré. Le travail est engagé au niveau international pour proposer une feuille de route à Marrakech. À cette fin, il a été décidé de rechercher l’équilibre entre les émissions liées aux activités humaines et leur absorption par les puits de carbone, avec l’objectif de neutralité des émissions dans la seconde moitié du siècle. Or cela ne signifie pas forcément la fin de l’exploitation des énergies fossiles. La possibilité de compenser pourrait s’avérer un piège…

Pourtant, de nombreuses personnalités scientifiques affirment qu’il faudra que les énergies renouvelables représentent 100 % de notre consommation d’énergie pour rester en deçà des 2 degrés. La traduction concrète de cet objectif appelle donc une réflexion, une réorientation des politiques énergétiques nationales la plus rapide possible et des engagements en progression. En France, la loi de transition énergétique répond à cette ambition ; nous verrons si elle donne tous les résultats attendus.

Malheureusement, dans le monde, d’autres choix sont faits actuellement. Ainsi, le Royaume-Uni développe une stratégie nationale en faveur de l’extraction du gaz de schiste. Aux États-Unis, Donald Trump a annoncé que, s’il était élu, il remettrait en cause la signature de l’accord par son pays, qu’il réactiverait le projet d’oléoduc Keystone XL et qu’il renforcerait l’exploitation déjà massive des gaz de schistes. Total, EDF et Engie se sont positionnés sur les marchés et vont nous vendre du gaz de schiste américain, à moins que… Madame la ministre, nous comptons sur vous !

Par ailleurs, et globalement, les contributions nationales sont insuffisantes. En l’état, la croissance des émissions devrait entraîner une hausse des températures de l’ordre de 3 degrés à l’horizon de 2100. Il faut donc revoir de façon anticipée les engagements nationaux. Les États doivent adopter une politique responsable et transparente, et cesser de mener des politiques contradictoires. Ajoutons que l’exercice ne sera pas simple dans l’Union européenne, qui devra trouver un accord entre des pays très nombreux et très divers.

En deuxième lieu, il faut préciser un certain nombre de dispositions. Là encore, je citerai un exemple. L’accord est fondé sur l’équité et le rappel des responsabilités communes, mais différenciées, des parties. Il reconnaît l’importance du renforcement des capacités d’adaptation pour tous les pays, grâce notamment à des mécanismes de coopération et de transferts de technologies. C’est pourquoi il est nécessaire de préciser la nature et le fléchage des transferts financiers pour y arriver. L’aide publique au développement bénéficiant aux pays les plus pauvres doit donc absolument être renforcée et activée. Convenons qu’aujourd'hui les prêts sont bien plus importants que les dons, pour un niveau global d’aide encore insuffisant.

Nous savons la difficulté qu’il y a à mobiliser les financements publics pour le climat, alors que les subventions publiques aux énergies fossiles sont consolidées. Ainsi, 42 milliards de dollars d’aides publiques internationales ont permis de soutenir l’industrie du charbon entre 2007 et 2015, et cela continue. Il faut donc réorienter ces financements.

En troisième lieu, enfin, l’accord de Paris doit être préservé, dans un monde où, comme le dit un ancien directeur du FMI, et il n’est pas communiste (Sourires.), « les mouvements de capitaux font la loi ».

L’accord mentionne le développement des marchés du carbone. Or l’expérience européenne a montré l’inefficacité, voire la nocivité de ce dispositif. Au-delà de son injustice sociale, ce « permis de polluer » a enrichi les fameux « pollueurs-payés ». Ainsi, le cimentier Lafarge aurait engrangé 485 millions d’euros en revendant des crédits carbone entre 2008 et 2014 pour des usines qui sont à l’arrêt. Cela montre à quel point la transparence et le contrôle démocratique des entreprises sont importants. Convenons que, dans ce domaine, l’Europe est clairement défaillante.

Mme Fabienne Keller. C’est juste !

Mme Évelyne Didier. Ensuite, la politique commerciale internationale, avec le TAFTA ou encore le CETA, ou Canada-EU Trade Agreement, qui minimisent les enjeux sociaux et environnementaux, illustre l’antagonisme entre les intérêts économiques et financiers, d’une part, et les enjeux climatiques, d’autre part.

Les dernières révélations sur le TISA, le traité sur les services, confortent nos inquiétudes, celui-ci ayant pour objectif affiché de supprimer toutes les règles « plus contraignantes que nécessaires pour assurer la qualité du service ».

Les obligations environnementales, les autorisations d’exploitation, les licences seraient aussi susceptibles d’être attaquées en justice, car elles brideraient l’initiative privée.

Ce modèle économique mondialisé, fondé sur la consommation de masse et l’exploitation excessive des hommes et des ressources, vient percuter les objectifs de lutte contre le dérèglement climatique, ainsi que les objectifs de développement durable pour éradiquer la pauvreté, protéger la planète et garantir la prospérité, adoptés en septembre 2015 par les États membres des Nations unies, dans le cadre des Objectifs du millénaire pour le développement. Les États et les citoyens doivent donc prendre leurs responsabilités et se réapproprier le pouvoir.

Pour conclure, je dirai que l’accord de Paris est une étape importante dans l’action internationale de lutte contre les dérèglements climatiques. Il a redonné espoir, mais le défi est désormais de le traduire concrètement, dans le contexte que je viens de décrire. En tout cas, la célérité du processus de ratification de l’accord de Paris par le Parlement français montre notre volonté de concrétiser nos engagements. Il n’y a pas de temps à perdre, car l’accord doit entrer en vigueur dès 2020.

Notre vote est un premier pas, et il serait heureux que notre pays soit parmi les premiers à le ratifier. Aussi, le groupe CRC votera pour cette ratification. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à Mme Fabienne Keller.

Mme Fabienne Keller. Madame la ministre, l’accord de Paris est un succès diplomatique que je voudrais saluer, en y associant Mme Tubiana, mais aussi votre prédécesseur pour les négociations climatiques, Laurent Fabius, ainsi que les services de votre ministère et ceux du Quai d’Orsay.

Une belle et importante étape a été franchie dans la coopération et la diplomatie multilatérales qu’évoquait tout à l’heure Chantal Jouanno.

Nous voici maintenant face à l’étape concrète, c’est-à-dire la mise en œuvre, le passage à l’action. « La COP 22 sera la conférence de l’action », a déclaré la présidence marocaine. Ces objectifs, désormais adoptés, doivent être traduits en mesures opérationnelles, partagées et financées.

Permettez-moi de saluer à mon tour le travail transversal du Sénat sur ce sujet, ce qui a constitué une première, je crois. Sous l’impulsion du président Gérard Larcher, cette action a été coordonnée par Jérôme Bignon, notre rapporteur pour avis de la commission de l’aménagement du territoire. Y ont participé la commission des affaires étrangères, sous la présidence de Jean-Pierre Raffarin, la commission des affaires européennes, la commission des finances, la délégation aux droits des femmes, la délégation aux collectivités territoriales et d’autres encore. Tous ces organes ont contribué à imprimer un caractère très transversal au débat, illustrant bien la multidisciplinarité de la thématique écologique.

Madame la ministre, je vais maintenant dérouler quelques enjeux concrets à différents échelons, en commençant par l’échelon européen, qui est très important. C’est d’ailleurs à ce niveau que s’est déroulée la négociation concrète, que nous avions déléguée à l’Union européenne. Dès le 24 octobre 2014, le Conseil européen avait affiché une vraie ambition en adoptant son cadre d’action à l’horizon 2030 : réduire d’au moins 40 % les émissions de gaz à effet de serre.

C’est ainsi que l’Union européenne a été l’une des premières parties à la négociation à déposer des contributions décidées au niveau national, mieux connues sous l’acronyme anglais de INDC, ou Intented Nationally Determined Contributions, mais j’essaie de défendre le français.

Maintenant, je le répète, il s’agit de mettre en œuvre l’accord.

Madame la ministre, vous avez évoqué concrètement le marché du carbone. Ce dernier fonctionne depuis 2009 et couvre à peu près la moitié des émissions. Afin de renforcer son efficacité, vous appelez de vos vœux la mise en place d’un prix plancher. Mais comment cela peut-il s’organiser, s’agissant d’un marché sur lequel les certificats détenus par les entreprises et d’autres acteurs s’échangent ? Si nous voyons bien l’intérêt de votre proposition, nous ne comprenons pas bien comment elle peut devenir opérationnelle.

Ensuite, il y a la question du partage de l’effort. La Commission européenne serait, semble-t-il, prête à soumettre au prochain Conseil environnement une proposition. Madame la ministre, pouvez-vous nous en décrire l’économie générale ?

Par ailleurs, si nous sommes tous heureux de pouvoir faciliter l’adoption de l’accord par le Parlement français – malgré ses deux chambres (Mme Chantal Jouanno sourit.) – dans des délais rapides, l’important est que les États membres de l’Union européenne en fassent de même également rapidement, puisque c’est ce qui compte sur le plan de la réalité diplomatique. Quelle initiative envisagez-vous de prendre sur ce sujet compliqué au Conseil des 28 et 29 juin prochain pour obtenir des engagements à ratifier ?

Après avoir évoqué quelques problématiques européennes – il y en a bien d’autres ! –, j’en viens à l’échelon national. Toujours dans une logique de passage à l’action concrète, pourriez-vous nous préciser la date de publication de la programmation pluriannuelle de l’énergie, la fameuse PPE, que nous attendons depuis longtemps ? Nous avons compris que le travail progressait pour les énergies renouvelables, mais qu’en est-il de votre vision globale sur l’ensemble des énergies ? En d’autres termes, comment envisagez-vous l’articulation entre la loi de transition énergétique, que vous avez fait adopter, et ces engagements diplomatiques ? Nous devons être exemplaires en la matière.

M. Roland Courteau. Nous le sommes !

Mme Fabienne Keller. Dans le cadre du paquet énergie-climat, engagement européen datant de 2008, nous avons l’obligation de porter les énergies renouvelables à 23 % de notre mix énergétique en 2020.

Madame la ministre, nous avons du mal à trouver des chiffres précis, mais ce taux ne nous semble plus très atteignable. Les spécialistes pensent que nous serons au mieux à 17 % ou 18 %, ce qui porterait atteinte à l’exemplarité de la France en matière de transition énergétique. Pouvez-vous nous donner des informations sur les actions que vous allez mettre en œuvre pour respecter nos engagements ?

Enfin, après avoir évoqué les échelons européen et français, j’en viens à l’échelon international, celui de l’accord de Paris, que nous allons très majoritairement approuver.

À cet égard, je voudrais saluer l’initiative de Bill Gates, dont l’engagement a provoqué la création d’un fonds de recherche très utile dans le domaine de la transition énergétique.

Mais qu’en est-il exactement du fonds dont tout le monde parle beaucoup et qui devrait s’élever à 100 milliards d’euros en 2020 ? Je rappelle qu’il est censé épauler les pays victimes de la double peine, c’est-à-dire ceux qui n’émettent pas, mais qui sont les premiers à subir les conséquences du réchauffement climatique.

À ce jour, il s’agit d’un point faible de la politique française, puisque les financements de l’adaptation ne représentent que 12 % de notre aide publique au développement. Les pays les moins avancés, les PMA, qui sont les principaux concernés par l’adaptation, ne représentent quant à eux que 9 % de l’aide publique au développement. Madame la ministre, quelles sont les initiatives que vous envisagez de prendre pour donner des perspectives financières concrètes à ce fonds ?

Nous avons connaissance d’opérations financières destinées à recycler des montants déjà investis plutôt par le secteur privé. Or nous savons bien que ces pays, notamment les îles, ont plus besoin de subventions que de prêts pour se préparer à la catastrophe écologique que constitueront à terme la montée des eaux et la salinisation des terres.

Je vous remercie par avance, madame la ministre, des réponses que vous pourrez nous apporter. Elles montreront que vous avez la volonté d’agir concrètement pour l’environnement. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à Mme Odette Herviaux.

Mme Odette Herviaux. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, alors que l’année 2015 a battu tous les records de chaleur et que les dérèglements climatiques n’épargnent aucun pays, comme le montrent peut-être encore – on ne le sait pas, le réchauffement et la météorologie n’étant pas forcément liés – les événements météorologiques les plus récents, il n’est plus temps de discourir sur l’urgence de la situation. Il faut agir dès maintenant, à l’échelle mondiale, car c’est bien l’avenir de notre planète et de l’humanité qui est en jeu, ainsi que le prouvent toutes les études scientifiques.

En se fixant l’objectif de maintenir l’augmentation de la température mondiale en dessous de 2 degrés Celsius par rapport au niveau préindustriel et d’intensifier les efforts en vue de limiter cette augmentation à 1,5 degré Celsius, les États reconnaissent enfin le danger irréversible qui nous menace tous si nous persistons dans l’aveuglement et l’inertie.

Historique dans son contenu et dans son ampleur géographique, l’accord de Paris témoigne de cette prise de conscience désormais universelle : le temps nous est compté ! Il s’agit certes d’un véritable succès diplomatique pour la France, comme beaucoup de mes collègues l’ont dit, mais c’est avant tout d’un signal fort envoyé par toute la communauté internationale aux générations actuelles et futures : elle leur dit qu’elle les a entendues et qu’elle s’engage dès aujourd’hui à tout faire pour leur garantir des conditions de vie respectueuses des équilibres écologiques. À cet égard, nous ne pouvons que saluer la belle unité de la représentation nationale, qui est à la hauteur des défis qui sont devant nous.

L’accord de Paris a été rendu possible, car il prend en compte de façon concrète et réaliste la question des responsabilités communes, mais différenciées, de tous les pays, en s’appuyant sur les contributions de réduction des gaz à effet de serre dont ils auront l’initiative.

En rompant avec le multilatéralisme contraignant et sélectif, cette approche peut, certes, susciter des interrogations légitimes, mais elle permet surtout d’enclencher le mouvement le plus largement consenti jamais observé à l’échelle internationale.

Certes, tout le monde sait qu’il sera difficile de rester sous les 2 degrés de réchauffement et qu’il faudra aller encore plus loin, mais les décisions qui accompagnent cet accord abordent précisément les financements à déployer pour réaliser ces ambitions et les nécessaires coopérations qu’il conviendra d’encourager et d’amplifier dans tous les secteurs de l’économie et à tous les niveaux de l’action publique.

N’oublions pas que la COP 22 sera une COP africaine, comme vous l’avez rappelé, madame la ministre. Il conviendra donc d’être en mesure de passer des discours aux actes, car force est de constater que les engagements financiers pris en faveur des pays en développement depuis la Conférence de Copenhague en 2009 n’ont toujours pas été tenus. C’est le moins que l’on puisse dire !

Madame la ministre, en cette Journée mondiale de l’océan, je souhaiterais revenir sur ce qui aurait pu être l’un des angles morts de cet accord et des négociations climatiques en général sans votre engagement personnel : la prise en compte des mers et des océans, premiers puits de carbone.

M. Roland Courteau. Très bien !

Mme Odette Herviaux. Si l’article 5 encourage la mise en œuvre et le financement de la lutte contre la déforestation dans les pays en développement, aucune disposition particulière ne traite des questions maritimes, de la biodiversité marine, ni même du transport maritime.

Des négociations sont certes en cours, mais les liens étroits entre climat et océans, qu’il s’agisse de la régulation des températures, de la séquestration du carbone ou de l’acidification des eaux doivent nous conduire à aller beaucoup plus loin en la matière.

J’en profite pour saluer à ce sujet l’engagement tout particulier de nos départements et territoires ultra-marins. Confrontés souvent à une insularité et à un éloignement problématiques pour leur développement, ils n’ont cependant jamais relâché la garde et se montrent bien souvent exemplaires dans la protection et la valorisation de leurs ressources naturelles, ainsi que dans la gestion de leurs espaces maritimes.

M. Roland Courteau. C’est vrai !

Mme Odette Herviaux. Cela m’amène tout naturellement à insister sur un enjeu cher à notre Haute Assemblée, celui de la place des collectivités locales.

L’ONU a clairement établi que « 50 % à 80 % des actions concrètes de réduction des émissions de gaz à effet de serre et près de 100 % des actions d’adaptation sont conduites au niveau infra-étatique », c’est-à-dire par les collectivités locales. Même si quelques avancées ont heureusement pu être enregistrées au cours des sessions de négociations depuis Copenhague, il serait extrêmement dommageable que la nouvelle méthode ascendante, et donc très favorable, au cœur de l’accord de Paris s’arrête aux frontières des États. C’est une question de justice et d’efficacité.

Que l’on songe à l’article 11 sur le renforcement des capacités individuelles et collectives, ou à l’article 12, consacré à l’éducation, à la formation et à la participation du public, les collectivités locales ne sauraient être reléguées au rang de supplétifs des États chargés de prendre des décisions dont elles devront par la suite assumer l’exécution et les coûts.

Je sais que ce sujet vous tient à cœur, madame la ministre.

Il faut que les collectivités trouvent toute leur place dans le processus diplomatique, car leurs responsabilités opérationnelles sont extrêmement lourdes. Elles demeurent et demeureront en effet des acteurs décisifs sur le chemin de l’exemplarité climatique, en France comme ailleurs dans le monde. Des progrès significatifs ont été accomplis dans notre pays, notamment grâce à la loi de transition énergétique ou à d’autres textes, mais il nous faudra encore amplifier ce mouvement.

Pour toutes ces raisons, nous approuverons avec un grand plaisir la ratification de l’accord de Paris, mais nous resterons pleinement mobilisés pour le doter des moyens juridiques et financiers nécessaires, afin d’en faire le point de départ d’une véritable révolution climatique. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe écologiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. François Grosdidier.

M. François Grosdidier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avec l’accord de Paris, la COP 21 a connu une issue heureuse. Nous nous en sommes tous réjouis.

Nous y avons d’ailleurs tous travaillé, à commencer par les instances du Sénat.

Le président Gérard Larcher l’avait voulu et organisé ainsi, de la journée de l’Union interparlementaire à l’engagement total de chacune des commissions permanentes du Sénat et des délégations, jusqu’à la constitution du groupe de travail présidé par Jérôme Bignon.

La COP 21 s’est donc conclue avec succès par l’adoption de l’accord de Paris, qui doit encore être ratifié. Tel est l’objet de notre débat.

Il s’agit d’une étape sur un long chemin, d’un succès diplomatique plus que d’une avancée concrète, laquelle reste à confirmer.

Le réchauffement climatique progresse toujours plus vite que les mesures pour le limiter ou pour s’y adapter, car on ne parle plus, hélas, de le stopper. L’humanité ne peut plus arrêter la machine mise en route depuis la révolution industrielle.

Rappelons brièvement les étapes du chemin que j’ai évoqué : 1972 à Stockholm ; 1979 à Genève ; 1982 à Nairobi ; 1992 à Rio, où une centaine de chefs d’État signe la fameuse déclaration qui fera date. Surtout, il y aura Johannesburg en 2002, où le discours du Président Jacques Chirac marquera l’histoire : « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs. La nature, mutilée, surexploitée, ne parvient plus à se reconstituer, et nous refusons de l’admettre. L’humanité souffre. Elle souffre de mal-développement, au Nord comme au Sud, et nous sommes indifférents. La Terre et l'humanité sont en péril, et nous en sommes tous responsables. »

Depuis, les sommets internationaux se succèdent.

La prise de conscience s’est élargie avant d’être contrariée par la crise financière mondiale, qui a souvent modifié l’ordre des priorités, faisant repasser les enjeux de court terme avant ceux de long terme.

Les Américains sont allés rechercher la croissance en exploitant les gaz de schiste et les Russes voudraient sauver la leur en prolongeant leur activité rentière vers l’Arctique.

Les climatosceptiques trouvent un écho dans des pays industrialisés. On aurait pu les penser plus éclairés, mais il est vrai que même les créationnistes peuvent y tenir en échec les évolutionnistes. Donc, tout est possible !

Alors, quand l’intérêt économique immédiat peut s’appuyer sur des prédispositions obscurantistes ou complotistes, la recherche du bien commun ne va pas de soi. C’est bien la difficulté principale.

Les climatosceptiques, cependant, n’ont pas gagné la bataille intellectuelle et la vérité scientifique s’impose à la communauté internationale. Le diagnostic fait consensus, consensus de plus en plus partagé.

Les parties prenantes à Rio étaient une centaine. Elles étaient près de 200 à Paris – 195, me semble-t-il – mais le bât blesse avec les premières puissances économiques et les premières émettrices de gaz à effet de serre.

Il fallait avancer malgré le blocage américain.

L’humanité avait – et aurait – besoin d’un accord contraignant, mais un tel accord suppose l’approbation du Congrès américain dont on connaît l’opposition, une opposition regrettable, mais qui est un fait.

Le caractère non contraignant permet de surmonter l’obstacle, en même temps qu’il ne nous garantit plus d’atteindre la destination.

Une autre difficulté concerne la Chine, dont la croissance jusqu’alors effrénée connaît les premiers ralentissements. Elle ne s’engage à réduire ses émissions qu’à partir de 2030. L’objectif de la COP 21 est donc atteint en théorie, mais d’ici à 2030 beaucoup d’eau passera sous les ponts du Mékong !

On aboutit donc à un accord non contraignant, qui détermine des objectifs communs et propose des outils, mais sans garantir de moyens.

Les objectifs communs sont de limiter la hausse des températures en deçà de 2 degrés, voire à 1,5 degré, et, pour se faire, d’obtenir que les pays développés mobilisent, à partir de 2020, 100 milliards de dollars par an afin de permettre aux pays en voie de développement de lutter contre le dérèglement climatique.

Je disais que le consensus se confirmait sur le diagnostic. Oui, la température moyenne s’élève inexorablement. La banquise et les glaciers fondent. Le désert gagne. La mer monte. Le vivant est perturbé. Les phénomènes météorologiques extrêmes se multiplient.

La main de l’homme est le facteur principal. Les autres ne jouent qu’à la marge.

On sait que pour garder quelques chances de tenir l’objectif des 2 degrés, l’humanité ne devra pas avoir émis plus de 2 900 gigatonnes de CO2 depuis 1870. Or, les deux tiers de ce volume ont déjà été émis !

L’accord de Paris propose de répondre à l’enjeu par l’actualisation des « contributions climat » de chaque pays tous les cinq ans, par des financements pour l’atténuation, la transition énergétique et l’adaptation aux conséquences du dérèglement climatique – et non plus pour l’arrêter… –, par la création d’un fonds de 100 milliards de dollars par an jusqu’en 2025, par la mise en place d’un mécanisme de contrôle de la conformité et de l’application de l’accord.

À défaut de système contraignant, des dispositifs sont mis en place pour aider la transition énergétique des nations parties prenantes : l’alliance solaire internationale, plateforme de coopération entre des pays développés disposant de technologies dans le solaire ; la mission innovation, laquelle rassemble vingt pays qui s’engagent à doubler leurs investissements dans la recherche et le développement des énergies propres ; le projet de débloquer ces 100 milliards de dollars par an à partir de 2020.

Il y a beaucoup de bonnes intentions, mais quelques actions seulement ! Mais nous devons nous engager et ratifier cet accord, quelles que soient ses insuffisances et les carences de notre propre pays.

Je reconnais, madame la ministre, le talent de l’exécutif français dans la préservation des apparences : il a fait passer pour un succès diplomatique un accord non contraignant, alors que tous s’accordaient initialement sur la nécessité d’un accord contraignant.

Je lui reconnais aussi le talent d’avoir entraîné la communauté internationale par le verbe, alors que son action en la matière n’était pas exemplaire : elle venait de se caractériser par le piteux abandon de l’écotaxe poids lourds, contre le travail des deux chambres du Parlement, et alors que nos voisins européens la pratiquent depuis longtemps !

Ratifions cet accord en espérant qu’il se concrétise puisqu’il ne donne aucune garantie.

Qu’en sera-t-il en France ? J’espère que le Gouvernement, coutumier des zigzags, empruntera la bonne direction au cours des quelques mois qui lui restent et que le débat pour l’alternance nous épargnera toute « trumpisation ».

Qu’en sera-t-il aux États-Unis ? On a bien entendu John Kerry annoncer des milliers de milliards de dollars, mais la vraie réponse sera donnée à brève échéance par la présidentielle américaine et les votes du Sénat.

Chaque contribution nationale attendue sera un moment de vérité.

L’absence de caractère contraignant soulève une objection légitime dans chaque État, celle de sa propre compétitivité dès lors que ses concurrents et partenaires ne s’imposent pas, en même temps, les mêmes contraintes. Ce débat est présent chez nous, comme dans l’Union européenne.

À l’échelle mondiale, quarante ans après le premier sommet international sur le climat, nous n’avons toujours pas engagé une mécanique globale pour enrayer la machine infernale.

Toutefois, au niveau local, grâce aux initiatives des collectivités et aux comportements des citoyens consommateurs, des mécaniques se développent, confortées, il est vrai, par les sommets mondiaux.

Telles sont les raisons pour lesquelles malgré toutes les réserves et en toute lucidité, nous devons ratifier cet accord, avec un certain enthousiasme et, surtout, avec la volonté forte de le mettre en œuvre ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)