M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. Compte tenu de l’avis exprimé par le Gouvernement, il me semble que nous pouvons nous engager dans cette voie.

Nous en sommes conscients, dans une certaine mesure les accords d’entreprise constituent une nouveauté au regard du règlement intérieur, qui est en principe un acte unilatéral. Mais face au défi posé à la République, dans toutes ses composantes, par un certain nombre de communautarismes, nous devons enjamber cette légère difficulté technique.

Je saisis cette occasion pour rendre hommage au travail accompli par Françoise Laborde et, plus largement, par le groupe du RDSE. En la matière, nos collègues font preuve d’une remarquable constance.

En adoptant comme je l’espère le présent amendement, le Sénat franchira un grand pas : je le répète, à l’aune des débats qui peuvent agiter notre société, le principe de laïcité, ce n’est pas rien !

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote.

M. Jacques Mézard. Après l’assentiment donné par Mme la ministre, et à l’instar de M. le rapporteur, je tiens à rappeler l’attachement du RDSE tout entier aux principes de laïcité et de neutralité.

Compte tenu de ce qui se passe aujourd’hui dans notre pays comme dans d’autres États, nous devons plus que jamais être fermes sur un certain nombre de valeurs.

Le principe de neutralité, y compris dans l’entreprise, c’est avant tout un principe de liberté. En l’appliquant ainsi, le but est simple : empêcher que le communautarisme ne se développe au sein des sociétés privées, en employant évidemment des moyens compatibles avec les normes, avec la législation de notre pays.

Il est tout à fait indispensable d’inscrire cette disposition dans la loi. Ne nous voilons pas la face !

M. Yves Daudigny. C’est le cas de le dire !

M. Jacques Mézard. Vous l’avez bien compris, chers collègues, il ne s’agit pas d’un lapsus. Nous savons que certaines entreprises subissent des difficultés à cet égard.

M. Bruno Retailleau. M. Mézard a raison !

M. Jacques Mézard. Il faut le reconnaître et avoir conscience de ce qui se passe sur le terrain. Dans certaines entreprises, de véritables problèmes se font jour. Aussi devons-nous faire preuve de fermeté : mettons-nous à la place des chefs d’entreprise et des salariés qui sont confrontés à ces situations.

Notre pays est fort d’une valeur essentielle : la laïcité. Ce principe n’est pas opposé aux religions, au contraire, il permet à chacun d’exercer sa religion en toute liberté.

Dans ce contexte, non seulement cette disposition est un pas en avant, mais elle est indispensable face au communautarisme qui, malheureusement, se développe !

M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde, pour explication de vote.

Mme Françoise Laborde. Je souhaite simplement répondre en quelques mots à Mme Cohen : nous sommes bien face à la problématique règlement ou pas règlement.

Souvenons-nous de l’affaire Baby Loup. J’en ai véritablement été partie prenante et j’ai déposé, à ce sujet, une proposition de loi. Ce texte n’a pas encore totalement abouti. Soit ! L’essentiel c’est que la négociation au sein des entreprises permette l’application effective du règlement.

À l’époque, certains m’avaient dit qu’il n’y avait aucun souci puisqu’il existait un règlement. Or, dans ce cas précis, celui-ci a été bafoué !

Mme Françoise Laborde. L’affaire Baby Loup a fini en Cour de cassation. Au total, beaucoup d’énergie, beaucoup d’argent ont été dépensés.

Dans un autre domaine, le groupe Paprec a signé une charte de la laïcité ; mais ce document reste juridiquement très fragile.

Dès lors que les négociations seront reconnues par la loi, ces fragilités disparaîtront.

Mes chers collègues, pour cette simple raison, je vous invite à voter le présent amendement.

M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour explication de vote.

M. Bruno Retailleau. On nous annonçait que le présent texte susciterait un certain nombre de débats : je suis très heureux d’entendre les divers orateurs affirmer, les uns après les autres, que nous pourrions nous unir et voter tous ensemble pour ce principe de neutralité. Bien entendu, je salue leur propos.

Par ailleurs, l’actualité donne à cette discussion un éclairage un peu particulier. Nous sommes en guerre. (Protestations sur les travées du groupe CRC.) Nos ennemis s’en prennent à nos valeurs, s’attaquent à ce que nous sommes.

Divers individus ne manqueront pas de mettre les entreprises à l’épreuve. Ils tenteront de s’engouffrer dans toutes les portes qui leur seront ouvertes.

Face à cette menace, il faut graver dans le marbre de la loi une règle d’endiguement !

Certains souhaiteraient transformer la France en un vaste champ de bataille. Dans ce contexte, l’entreprise, comme toutes nos institutions, doit être préservée.

Voilà pourquoi les membres du groupe Les Républicains voteront cet amendement. Alors même que, vous l’aurez observé, la jurisprudence est en train d’évoluer, nous devons donner des outils à nos entreprises pour qu’elles puissent se protéger de tous les extrémismes, de tous les radicalismes !

M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Chantal Jouanno, pour explication de vote.

Mme Chantal Jouanno. Madame Laborde, je vous remercie d’avoir déposé cet amendement avec les membres du groupe auquel vous appartenez, et surtout d’avoir opté pour cette rédaction. En effet, ces dispositions ne se limitent pas aux exigences du bon fonctionnement de l’entreprise. Elles s’étendent à l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux.

La neutralité est certes étroitement associée à la laïcité. Mais, parmi les droits fondamentaux, figure également l’égalité, notamment l’égalité entre les femmes et les hommes.

En votant cet amendement, nous permettrons aux entreprises de garantir cette égalité via diverses mesures de neutralité. C’est là un sujet que la délégation sénatoriale aux droits des femmes a particulièrement travaillé.

Enfin, mes chers collègues, ces dispositions rejoignent des conclusions que nous porterons très prochainement.

M. le président. La parole est à M. Didier Guillaume, pour explication de vote.

M. Didier Guillaume. Je ne veux pas prolonger le débat, même s’il s’agit là d’une question fondamentale.

Je remercie Mme Laborde et les membres du groupe du RDSE d’avoir déposé cet amendement. L’inscription de ces dispositions dans la loi peut être juridiquement discutable, mais elle est essentielle pour la République.

Cher Bruno Retailleau, permettez-moi simplement de reprendre un mot de votre intervention. Certes, un jour comme aujourd’hui, la République ne peut qu’être secouée. Mais gardons-nous de tout amalgame ! (M. Marc Daunis et Mme Evelyne Yonnet applaudissent.) Il n’y a pas lieu d’applaudir. Je suis certain que nous travaillons tous dans la même direction.

Je tenais simplement à apporter cette précision, car la neutralité concerne tout le monde.

M. Marc Daunis. Tout à fait !

M. Didier Guillaume. Mme Jouanno a insisté avec raison sur l’égalité, en particulier entre les femmes et les hommes. J’ajoute que la laïcité, valeur fondatrice de notre pacte républicain, garantit à chacun la liberté de croire ou de ne pas croire tout en assurant la neutralité dans la sphère publique.

À ce titre, Mme Laborde a très bien fait de déposer le présent amendement : ces dispositions bénéficieront aux citoyens, aux salariés, aux organisations syndicales et aux chefs d’entreprise. Elles nous aideront tous à aborder, demain, ces sujets d’une meilleure manière encore.

Je tenais à formuler cette remarque en toute sérénité. Tant que nous, parlementaires, nous accorderons sur toutes les travées pour que la laïcité demeure tel un drapeau claquant au vent, nous pourrons rester fiers de notre engagement ! (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à Mme Evelyne Yonnet, pour explication de vote.

Mme Evelyne Yonnet. Mes chers collègues, je serai brève : je souscris pleinement aux propos du président Guillaume.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 2 rectifié.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 1er.

Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 466, présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David, Assassi et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Après l’article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé

Le code du travail est ainsi modifié :

1° À la première phrase de l’article L. 2251-1, les mots : « peut comporter » sont remplacés par les mots : « ne peut comporter que » ;

2° L’article L. 2252-1 est ainsi modifié :

a) Au premier alinéa, après le mot : « interprofessionnel », est inséré le mot : « ne » ;

b) Le second alinéa est supprimé ;

3° Le second alinéa de l’article L. 2253-1 est ainsi rédigé :

« Cet accord ne peut comporter des stipulations moins favorables aux salariés. » ;

4° Les articles L. 2253-4 et L. 3122-6 sont abrogés.

La parole est à Mme Annie David.

Mme Annie David. Cet amendement tend à préciser que la convention ou l’accord ne peuvent qu’améliorer les dispositions en faveur des salariés.

Dans le contexte actuel, il est indispensable que les salariés bénéficient de conditions de travail optimales. Il n’est pas possible de continuer à dégrader des situations qui, pour certains individus, sont devenues invivables.

De plus, avec cet amendement, nous réaffirmons notre attachement à la hiérarchie des normes, et nous nous opposons donc avec force à l’inversion des normes !

M. le président. L'amendement n° 463, présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David, Assassi et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Après l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le code du travail est ainsi modifié :

1° La seconde phrase de l’article L. 2251-1 est ainsi rédigée :

« Ils ne peuvent en aucune façon avoir pour objet ou pour effet de restreindre ou de limiter l’exercice des droits reconnus aux salariés par la loi. » ;

2° L’article L. 2252-1 est abrogé.

La parole est à Mme Laurence Cohen.

Mme Laurence Cohen. Dans la logique exposée à l’instant par Annie David, nous proposons de clarifier le présent article en y écrivant explicitement que les conventions ou accords collectifs ne peuvent en aucun cas avoir pour objet ou pour effet de restreindre les droits des salariés.

À nos yeux, il est essentiel de réaffirmer la démocratie au cœur de l’entreprise.

En obtenant des dispositions plus favorables aux salariés et mieux adaptées à la réalité de leur travail, les syndicats eux-mêmes seront renforcés et la démocratie sociale s’en trouvera grandie.

Notre collègue Patrick Abate l’a souligné cet après-midi même lors des questions d’actualité au Gouvernement : il y a d’un côté les entreprises vertueuses, qui respectent effectivement les règles, et de l’autre celles qui infligent de graves manquements aux droits des salariés. Malheureusement, cette distinction n’est pas opérée.

De surcroît, on persiste à sous-estimer le lien de subordination existant au sein de l’entreprise.

Les représentants des salariés ne sauraient arriver à la table des négociations en étant contraints de défendre systématiquement des droits durement acquis, en étant constamment victimes d’un chantage à l’emploi. Tel est l’objet de cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. L’amendement n° 466 tend à rouvrir un débat que nous avons déjà largement abordé, à savoir celui de la hiérarchie des normes. Par cohérence avec l’esprit du texte qu’elle a adopté, la commission ne peut qu’émettre à son sujet un avis défavorable.

Quant aux dispositions de l’amendement n° 463, elles ne nous paraissent pas nécessaires : par définition, tous les accords et toutes les conventions doivent respecter la loi. Cet impératif va de soi. Aussi, la commission émet également un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Myriam El Khomri, ministre. Même avis.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 466.

J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe CRC.

Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 248 :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 342
Pour l’adoption 29
Contre 313

Le Sénat n'a pas adopté.

Je mets aux voix l'amendement n° 463.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 988, présenté par MM. Joyandet, J.P. Fournier, D. Laurent, Dufaut, Huré, B. Fournier, Nougein, Masclet et Vasselle, est ainsi libellé :

Après l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L’article 66 de la loi n° 2012-1510 du 29 décembre 2012 de finances rectificative pour 2012, les articles 244 quater C, 199 ter C, 220 C, 223 O du code général des impôts, et le dernier alinéa de l’article L. 172 G du livre des procédures fiscales sont abrogés à compter du 1er juillet 2016.

La parole est à M. Alain Joyandet.

M. Alain Joyandet. Cet amendement vise à rétablir la « TVA compétitivité ». Je vais peut-être me voir rétorquer que je ne suis pas dans l’ordre du jour, mais si j’ai bien compris, madame la ministre, à travers ce projet de loi vous essayez de faire en sorte de créer le plus grand nombre d’emplois possible le plus rapidement possible.

Nous avons voté l’article 1er dont l’objet est la création d’une commission qui nous expliquera en 2018 ce qu’il faut faire pour modifier le code du travail dans l’espoir que cela créera des emplois. Permettez-moi d’en douter, et de rappeler que vous disposez d’un outil, la « TVA compétitivité », utilisable tout de suite.

Voté hélas trop tard à la fin du quinquennat précédent – cela aurait sans doute dû être fait beaucoup plus tôt –, ce dispositif a été abrogé par le président Hollande, qui a déclaré avoir regretté cette abrogation. Il n’en a malheureusement pas tiré les conclusions, bien que tous les spécialistes s’accordent aujourd'hui pour y voir l’outil le plus efficace et le plus rapide pour créer des emplois.

Ce dispositif consiste à baisser les prix de revient de tous les produits fabriqués en France, et à transférer cette charge notamment sur les produits fabriqués à l’étranger. Tandis que le prix TTC des produits fabriqués en France ne changera pas dans les gondoles des grandes surfaces, celui des produits qui sont fabriqués à l’étranger augmentera de 2 à 3 %. Ce dispositif permet ainsi de restaurer la compétitivité des entreprises françaises, et cela sans augmenter les prix des produits de première nécessité puisque les taux de TVA auxquels ils sont soumis restent inchangés. Il s’agit donc véritablement d’une opération gagnant-gagnant, qui permettrait, sans attendre 2018 et puisque les textes existent, de créer des milliers d’emplois à toute vitesse.

Mon amendement vise donc à supprimer l’abrogation, et à rétablir cette « TVA compétitivité » également appelée « TVA sociale ». Nous redonnerions ainsi d’un seul coup plusieurs points de compétitivité aux entreprises. Je rappelle que l’Allemagne et le Danemark l’ont fait, que ce dispositif ne pose absolument aucun problème de conformité aux règlements européens, qu’il s’agit d’un outil qui est déjà à notre disposition.

Madame la ministre, le président François Hollande a regretté d’avoir retiré la « TVA compétitivité » de sa boîte à outils. Je vous propose de rétablir cet outil, et de nous donner ainsi les moyens d’être efficaces très rapidement en matière de création d’emplois.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. Notre collègue Alain Joyandet a présenté deux amendements : le premier vise à supprimer le CICE, et le second à redéployer les sommes qui lui sont allouées afin de rétablir la « TVA compétitivité emploi ».

Sur le fond, je partage totalement l’analyse d’Alain Joyandet.

M. Alain Néri. Le contraire nous aurait étonnés !

M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. Cet outil a fait ses preuves dans un certain nombre de pays, et, nous le savons, le financement de notre protection sociale ne peut plus durablement reposer autant que c’est le cas aujourd’hui sur le travail. Nous sommes tous conscients qu’à un certain moment les petits ajustements consistant à augmenter certains éléments de 10 % et à en diminuer d’autres d’autant afin de réunir un panier de recettes permettant de financer les dépenses de la sécurité sociale ne suffiront plus.

En réalité, il y a quelques big bang à faire, et celui-là en est sûrement un. C’est pourquoi je rejoins bien volontiers sur le fond Alain Joyandet et les cosignataires de ces deux amendements.

Mais est-ce bien le texte où faire ce big bang ? Ces deux amendements pourraient être présentés lors de la discussion de la loi de finances. Je conçois que ce ne soit pas une réponse satisfaisante pour Alain Joyandet, à qui l’on a déjà dit que d’autres vecteurs étaient possibles…

M. Alain Joyandet. Ce n’est jamais le moment !

Mme Éliane Assassi. Comme pour l’égalité hommes femmes !

M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. Mais j’ai tendance à dire qu’un compte à rebours est enclenché, et que chaque jour qui passe nous rapproche peut-être de la mise en œuvre de cette mesure.

La commission demande le retrait de ces deux amendements ; à défaut, elle émettra un avis défavorable. Mais, je le répète, cette réflexion est indispensable, et elle est d’ailleurs assez partagée sur différentes travées.

Je me souviens notamment que Jean Arthuis était très mobilisé sur cette question avec la commission des finances. Je crois que le souhait de trouver de nouveaux modèles de financement de notre protection sociale sans pénaliser la compétitivité des entreprises est partagé de manière assez transpartisane.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Myriam El Khomri, ministre. J’émets pour ma part un avis défavorable, à la fois pour une question de forme et une question de fond.

Depuis son lancement en 2013, le CICE a déjà permis de redonner près de 30 milliards d’euros de marges aux entreprises, notamment aux TPE-PME qui en ont bénéficié à 50 %. Vous citez dans votre amendement l’étude de l’OFCE selon laquelle le CICE aurait déjà permis la création ou la sauvegarde 120 000 emplois. À cela, il faut ajouter l’évolution favorable du taux de marge des entreprises – il y a quelques instants, certains ironisaient lorsque je disais que ça allait mieux –, qui a augmenté de 2,2 points en 2015 pour atteindre 31,4 %, son plus haut niveau depuis 2011. Il faut également y ajouter la progression de l’investissement des entreprises, qui est bien sûr central, lequel a crû de 2,7 % en 2015, ce qui constitue sa plus forte hausse depuis 2011.

Le CICE est donc efficace pour redonner des marges de manœuvre à nos entreprises, stimuler l’investissement, la croissance et la création d’emplois. Son remplacement par une « TVA compétitivité emploi », qui n’a pas sa place dans ce projet de loi – c’est la question de forme –, puisqu’elle relève d’une loi de finances, serait à mon sens un coup très dur porté au pouvoir d’achat des ménages (M. Alain Joyandet hoche la tête en signe de dénégation.), alors que nous avons réussi à faire progresser, 1,6 % en 2015, ce qui constitue sa plus forte hausse depuis 2009. Elle serait en outre inéquitable, car, vous le savez, la TVA n’est pas progressive, et s’applique uniformément à l’ensemble des ménages quels que soient leurs revenus.

M. Alain Néri. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Tourenne, pour explication de vote.

M. Jean-Louis Tourenne. Je ferai juste deux observations rapides.

D’une part, j’ai le souvenir, lors de la mise en place d’un certain nombre de modifications en direction des entreprises, que vous avez été les premiers à vous récrier sur la nécessité de maintenir une certaine stabilité en matière fiscale et sociale et de ne pas changer en permanence les règles du jeu.

M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Cela ne vous a pas gêné pour la loi Santé !

M. Jean-Louis Tourenne. Il serait regrettable d’annoncer aux entreprises que nous avons remplacé le CICE par la TVA sociale au détour d’un amendement.

D’autre part, si ce que vous avez dit est vrai, je m’étonne que ce dispositif n’ait pas été appliqué beaucoup plus rapidement. Il serait en effet miraculeux !

En réalité, une petite erreur s’est tout de même glissée dans votre raisonnement : lorsqu’on augmente le taux de TVA, on pratique certes une TVA « sociale » mais celle-ci pèse néanmoins sur les Français, qui voient les prix d’achat augmenter, et par conséquent, leur pouvoir d’achat rogné alors que celui-ci est aujourd’hui l’un des moteurs essentiels de la croissance.

Le seul avantage, il n’est pas mince, je vous le concède, est qu’en exportant hors taxe nous vendons nos produits moins cher, et qu’en appliquant la TVA sur les produits qui entrent sur notre territoire nous exerçons une forme de protectionnisme qui ne dit pas son nom et qui est relativement doux. Mais malgré cet avantage que présente ce dispositif, son rétablissement nous rendrait responsables de la perte de pouvoir d’achat d’un certain nombre de nos concitoyens, ce qui n’est pas un petit inconvénient.

M. le président. La parole est à M. Alain Néri, pour explication de vote.

M. Alain Néri. Monsieur Joyandet, on ne peut qu’être d’accord avec le début de votre exposé des motifs, où vous précisez qu’il convient de « favoriser le recrutement par les entreprises et d’endiguer le cataclysme du chômage qui touche de façon endémique notre pays depuis de nombreuses années ». Vous acceptez donc de partager la responsabilité de ce chômage endémique.

M. Alain Joyandet. Bien sûr !

M. Alain Néri. Vous poursuivez en nous disant que nos entreprises ont besoin de collaborateurs sereins, qui soient en mesure d’avoir un avenir lisible et en capacité de construire des projets personnels. Je partage totalement votre affirmation.

J’en profite pour dire à Mme la ministre que, il y a quelques instants, je n’ai pas du tout mis en cause le travail des fonctionnaires de Pôle emploi. Ce sont des gens de très grande qualité qui font un travail remarquable. Malheureusement, les résultats ne sont pas au rendez-vous, parce que si c’était le cas nous ne serions pas en train de débattre ! C’est pourquoi, comme l’avait fait Gaëtan Gorce, je propose de nouvelles formules, de nouvelles pistes.

Vous nous dites faire en sorte que les travailleurs aient un avenir lisible. Les travailleurs auront un avenir lisible à partir du moment où ils disposeront d’une garantie de l’emploi. Cette garantie de l’emploi ne peut être obtenue que grâce à une bonne formation.

Mme Nicole Bricq. C’est vrai !

M. Alain Néri. Mais les entreprises nous le disent, les formations qui sont données à leurs employés, à leurs salariés ne correspondent pas à leurs besoins. Pour que les formations correspondent aux besoins des entreprises, je crois qu’il faut développer et encourager la formation en alternance. Or, les chiffres des mois de juin, de juillet et d’août prochains nous le confirmeront sans doute, les entreprises ne prennent pas beaucoup de jeunes en alternance.

Madame la ministre, puisque le CICE a permis aux entreprises de récupérer plus de 27 milliards d’euros sous forme de crédits d’impôt, ce qui constitue tout de même un effort considérable de l’État en direction des entreprises, je vous propose, pour reprendre une des expressions préférées de la droite, de faire du gagnant-gagnant.

En reprenant une formule qui a été assez efficace pour l’emploi des personnes handicapées, l’on pourrait imaginer que les entreprises seraient bénéficiaires du CICE à partir du moment où elles auraient pris un certain pourcentage de jeunes en contrat d’alternance. Le quota était de 6 % pour les personnes handicapées, je ne sais pas s’il faut le fixer pour les jeunes en alternance à 6, 5, 7 ou 4 %. Nous pourrons en discuter, madame la ministre, mais je vous propose d’assortir le CICE de l’obligation pour les entreprises de prendre des jeunes en contrat d’alternance. (Marques d’impatience sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Nicole Bricq. Bon, on vote ?

M. le président. La parole est à Mme Annie David, pour explication de vote.

Mme Annie David. Avec nos collègues des finances nous sommes un peu étonnés à la lecture de ces deux amendements de certains de nos collègues du groupe Les Républicains qui recommandent la disparition du CICE. Pour autant, madame la ministre, je ne partage pas votre vision sur cette mesure qui est coûteuse pour les finances publiques et, de surcroît, économiquement inefficace, prise par le gouvernement auquel vous appartenez dans le souci de restaurer les marges de nos entreprises, une restauration passant par un crédit d’impôt sans aucune obligation.

L’exposé des motifs des amendements de nos collègues nous confirme la nécessité de sortir de ces politiques d’aide aux entreprises fondées sur une conception qui considère que le coût du travail pénalise l’activité économique sans jamais s’interroger sur le coût du capital, sans s’inquiéter des conséquences d’une politique bancaire qui privilégie la finance plutôt que les secteurs créateurs d’emploi.

Le rapport de l’OFCE sur le CICE dont fait état cet exposé des motifs est beaucoup plus prudent. En effet, ce ne sont pas 120 000 emplois qui ont été créés grâce au CICE, ce sont 150 000 emplois qui devraient être créés sur une période de cinq ans. Le conditionnel n’est pas l’indicatif. (Mme Nicole Bricq s’exclame.)

Et si ces emplois avaient été créés, ce sont 130 000 euros par an, Mme la ministre vient de rappeler le chiffre, pour la création d’un emploi avec le concours du CICE qui auraient été nécessaires. Quelle somme, dans un pays où la moyenne des salaires bruts mensuels peine à dépasser 2 200 euros !

Et nos collègues pensent qu’il n’y en a pas encore assez ! Pour financer la précarité grandissante du travail, ils nous appellent même à appliquer tout de suite une TVA à 25 % au taux normal ! Au-delà l’Europe ne le permettrait pas, donc on s’arrête à 25 %

Seulement voilà, cela ne suffira pas, et quand on voit le piteux résultat obtenu par le CICE au regard de la situation de l’emploi, l’on comprend que la TVA « compétitivité » n’est rien d’autre qu’une nouvelle charge fiscale transférée sur les ménages modestes, et c’est d’autant plus intolérable que ce sont ces ménages qui payent ensuite la facture en qualité de consommateurs.

Nous ne voterons donc pas ces deux amendements.