M. Jean-Marc Gabouty, rapporteur. S’agissant de l’amendement n° 716 rectifié bis, je note une contradiction entre, d’une part, l’établissement de critères permettant de reconnaître un lien de subordination entre la plateforme et le travailleur et, d’autre part, le maintien de la disposition selon laquelle la reconnaissance d’une responsabilité sociale de l’entreprise n’est pas de nature à établir l’existence d’un lien de subordination. Autrement dit, on accorde au travailleur les attributs du salariat tout en empêchant celui qui pourrait revendiquer la position de salarié de se prévaloir de ces attributs pour plaider en ce sens.

En supprimant l’article 27 bis, la commission des affaires sociales a exprimé son scepticisme quant à la création d’un statut ad hoc non défini, celui d’un travailleur indépendant bénéficiant de certains attributs du salariat, sans toutefois que ces éléments soient, d’une quelconque façon, de nature à établir l’existence d’un lien de subordination.

Madame la ministre, vous ouvrez là une brèche qui nous semble dangereuse, et, qui plus est, vous le faites dans la précipitation et sans réelle concertation. Tout cela mériterait une réflexion plus approfondie.

Le Gouvernement est assez prompt à ouvrir des concertations sur des sujets moins sensibles ; je m’étonne donc, madame la ministre, que vous ne choisissiez pas cette méthode pour penser de façon plus large le statut de ces travailleurs – leur activité est bel et bien spécifique, et leur statut se situe quelque part entre le salariat et le travail indépendant –, au lieu de vous contenter de leur donner quelques droits au détour d’un texte.

Par ailleurs, deux recours viennent d’être déposés par les URSSAF contre une plateforme devant les juridictions sociales ; ils visent à requalifier les contrats liant le travailleur indépendant à cette plateforme en contrats de travail. Comment, dès lors, ne pas voir dans cet article une législation de circonstance ? À supposer même que tel ne soit pas le cas, il est évident que l’adoption de cet article interférerait, d’une manière ou d’une autre, avec les procédures en cours.

Qui en tirerait le bénéfice ? Je n’en sais rien : peut-être les URSSAF, mais plus probablement les plateformes, qui pourraient trouver dans ce dispositif bâtard un argument pour se protéger contre la reconnaissance d’un lien de subordination et contre la requalification en contrats de travail.

Il me paraît donc plus sage, à ce stade, de ne pas s’engager dans l’adoption d’une nouvelle réglementation qui créerait plus d’incertitude qu’elle n’offrirait de solutions.

La commission a donc émis un avis défavorable sur les amendements nos 716 rectifié bis et 964 rectifié.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement n° 716 rectifié bis ?

Mme Myriam El Khomri, ministre. Quelques mots pour répondre à M. le rapporteur : cet article ne tombe pas du ciel ! M. le président Milon nous parle souvent de rapports ; en l’occurrence, deux rapports ont permis la rédaction de cet article. Le premier, celui du Conseil national du numérique, contient notamment des suggestions portant sur la cotisation d’accidents du travail, l’accès à la formation et aux droits collectifs. Le deuxième est celui du député Pascal Terrasse. Je mène par ailleurs une concertation avec l’Observatoire de l’auto-entrepreneur et des représentants de plateformes collaboratives – nous nous sommes de nouveau réunis il y a quinze jours, pour que je leur présente, précisément, cet article. Un travail a donc été effectué en amont.

Quant à l’amendement n° 716 rectifié bis, j’invite ses auteurs à bien vouloir le retirer au profit de celui du Gouvernement. S’agissant du dernier alinéa, en effet, toutes les difficultés ne sont pas résolues. Je me suis donc engagée à ce que nous réfléchissions, avec l’Observatoire de l’auto-entrepreneur, à une nouvelle rédaction ; je dois justement rencontrer, à ce propos, des travailleurs indépendants.

Il faut savoir que les travailleurs indépendants travaillent souvent sur plusieurs plateformes ; il en existe de nombreuses. Chacune d’entre elles est donc confrontée à un problème d’attractivité. Si les plateformes pouvaient offrir à ces travailleurs indépendants un accès à la formation ou prendre en charge une cotisation d’accidents du travail sans prendre le risque d’une requalification – nous nous plaçons dans l’hypothèse où les travailleurs n’ont pas de lien exclusif de subordination avec une plateforme –, cela leur permettrait de jouer le jeu de la responsabilité sociale auprès de travailleurs désormais dotés de droits.

Les plateformes sont donc plutôt pour avancer sur ce sujet complexe, qui n’autorise aucune solution facile et a, pour cette raison, fait l’objet de nombreux rapports. Et si je décide de retirer le dernier alinéa, c’est précisément parce que la concertation n’est pas achevée.

Je vous demande donc, monsieur le sénateur, de bien vouloir retirer l’amendement n° 716 rectifié bis au profit de l’amendement du Gouvernement, afin que mes interlocuteurs, dans le cadre de la concertation en cours, se sentent respectés.

Mme Annie David. Qui sont au juste ces interlocuteurs ?

M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq, pour explication de vote.

Mme Nicole Bricq. Face à la multiplication du nombre de ces plateformes et de ces travailleurs qui ne sont ni des indépendants ni des salariés, il faut avancer : nous ne pouvons pas faire l’autruche ! Ce qui est en jeu, c’est la révolution numérique, c’est l’autonomisation, c’est une nouvelle manière de travailler : tout ce dont nous parlons depuis l’ouverture de nos débats.

J’aime la démarche proposée par Mme la ministre : elle est modeste, prudente, éclairée par divers rapports. La précaution est prise, en outre, de préserver la neutralité du législateur vis-à-vis des recours de l’URSSAF contre Uber. C’était d’ailleurs l’argument que vous aviez utilisé en commission, madame la ministre, pour refuser de soutenir notre reprise de l’amendement de nos collègues de la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale.

Il s’agit bien d’une question difficile : nous sommes en présence d’un travailleur qui n’est ni un salarié – son statut n’est pas défini par un lien de subordination –, ni un auto-entrepreneur, ni un artisan, et qui n’exerce pas non plus en profession libérale.

Le texte adopté par l’Assemblée nationale utilise du reste les termes de « responsabilité sociale » lorsque la plateforme détermine les caractéristiques de la prestation et son prix. La conséquence est très claire : cela implique la prise en charge des cotisations d’accidents du travail et de maladies professionnelles, la garantie du droit d’accès à la formation, ainsi que du droit de défense collective des revendications par la constitution d’un syndicat et du droit de refus concerté de fournir leurs services.

Pour autant, le statut de ces travailleurs demeure ambigu. C’est tout l’objet de l’amendement du Gouvernement : ces travailleurs ne fixent ni les caractéristiques ni le prix de la prestation, et ils peuvent être déconnectés, ce qui s’apparente à un licenciement ; ils doivent alors rechercher une autre plateforme ou adopter un autre statut.

Faut-il définir un statut intermédiaire ou mixte, entre le salarié en situation de subordination intrinsèque et le travailleur indépendant ? Il semble que c’est dans cette direction qu’évolue notre droit. Certains travailleurs indépendants, qui, par exemple, n’ont qu’un seul client, peuvent voir leur contrat de prestataire requalifié en contrat de travail par le juge, en dépit de la présomption de non-salariat. Il conviendra donc, comme le propose Mme la ministre, de définir précisément les critères conduisant à reconnaître ou non un travailleur indépendant lié à une plateforme comme salarié, en fonction des évolutions technologiques.

C’est le chemin que le Gouvernement nous propose d’emprunter ; nous voterons donc son amendement.

M. le président. La parole est à M. Georges Labazée, pour explication de vote.

M. Georges Labazée. J’ai écouté avec attention M. le rapporteur et Mme la ministre. J’ai participé, le 18 mai dernier, aux auditions organisées par nos rapporteurs. Nous avons notamment reçu les représentants des organisations patronales, qui ont demandé si les droits devaient être attachés à la personne ou au statut. Je ne suis pas là pour les défendre ; mais ils ont eux-mêmes, en particulier par la voix de M. Alexandre Saubot, responsable du MEDEF, attiré l’attention sur le processus d’ubérisation, qui est à l’origine de l’amendement que vous avez déposé, madame la ministre, et que, bien entendu, je soutiens. Ce que nous faisons ce soir n’est pas parfait ; mais je crois qu’il faut avancer !

M. le président. La parole est à M. Alain Vasselle, pour explication de vote.

M. Alain Vasselle. Je partage l’avis de M. le rapporteur : on ne peut pas, au détour d’un texte tel que celui que nous sommes en train d’examiner, prendre l’initiative d’une disposition de cette nature sans avoir au préalable procédé à une étude d’impact.

Songez qu’une telle initiative revient à mettre en œuvre une nouvelle référence en termes d’assiette des cotisations : l’assiette serait le chiffre d’affaires de la personne travaillant avec la plateforme. Qu’il s’agisse de financer l’assurance maladie, la retraite, les accidents du travail, sans parler de la formation, l’assiette des cotisations sociales correspond au revenu net, et non brut, du travailleur. C’est ainsi que cela se passe, en particulier, pour les travailleurs indépendants, et notamment pour les agriculteurs : c’est à juste titre que l’assiette des cotisations sociales n’est pas le chiffre d’affaires, mais le résultat net d’exploitation.

Des études ont été conduites par le ministère du budget et la direction du Trésor sur d’éventuels changements d’assiette pour le calcul de nos cotisations sociales. L’option du chiffre d’affaires avait été examinée, mais aucune suite n’a été donnée à cette proposition.

C’est l’une des raisons pour lesquelles il me semblerait plutôt sage et prudent de ne pas adopter cette disposition et de prendre le temps de la réflexion en mesurant, par une étude d’impact, les conséquences de ces nouvelles mesures.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Madame la ministre, depuis le début de l’examen de ce texte en séance publique, la semaine dernière, nous avons travaillé en bonne intelligence et de manière coordonnée, ce qui ne veut pas dire que nous soyons d’accord sur le fond.

Or je constate que la rédaction que vous nous proposez pour cet article 27 bis est issue d’un amendement de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale.

Mme Nicole Bricq. Il s’agit de la commission des affaires économiques ! Ce n’est pas la même chose !

M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Madame Bricq, lorsqu’un orateur de la majorité sénatoriale prend la parole, vous vous permettez systématiquement d’intervenir. Jamais les sénateurs de la majorité ne vous interrompent lorsque c’est à votre tour, ou à celui d’autres sénateurs de l’opposition, de parler ! Cela devient insupportable ! (Très bien ! et applaudissements sur de nombreuses travées du groupe Les Républicains et sur les travées de l'UDI-UC.)

Je disais donc qu’un amendement a été adopté par l’Assemblée nationale ; le Gouvernement en a remanié la rédaction pour l’intégrer au texte qui a été considéré comme adopté en application du 49.3, et en faire l’article 27 bis.

Je note cependant une certaine incohérence, madame la ministre : vous nous avez dit, dans votre brillant exposé, que vous aviez rencontré les représentants des plateformes il y a quinze jours. Or, le projet de loi ayant été considéré comme adopté par l’Assemblée nationale, en application du 49.3, le 12 mai dernier, il nous a été transmis le 13 mai. A priori, cela semble vouloir dire que vous n’aviez pas rencontré les représentants des plateformes auparavant, et que vous aviez donc accompli ce travail à partir du seul rapport du député Terrasse.

Nos rapporteurs ont rencontré les organisations patronales, mais pas les représentants des plateformes, en raison d’un manque de temps ou d’une impossibilité matérielle.

La navette va se poursuivre. J’invite nos collègues de la majorité sénatoriale à rejeter les amendements nos 716 rectifié bis et 964 rectifié, afin de permettre aux rapporteurs de rencontrer les représentants des plateformes et les indépendants du secteur. Nous pourrons ainsi avoir une meilleure idée sur le sujet et en rediscuter lors du retour du projet de loi devant le Sénat.

M. le président. La parole est à M. Michel Billout, pour explication de vote.

M. Michel Billout. Nous ne sommes pas totalement convaincus par l’amendement du Gouvernement, puisque nous avions proposé un autre dispositif.

Néanmoins, comme nous sentons bien que notre amendement ne sera pas adopté, nous le retirons au profit de celui du Gouvernement, en espérant des améliorations en nouvelle lecture.

Il nous paraît important que la loi ne reste pas muette sur le sujet. Nous devons adresser un signe en faveur de l’encadrement d’une activité aujourd'hui en plein développement sans le moindre garde-fou.

M. le président. L'amendement n° 716 rectifié bis est retiré.

La parole est à Mme la ministre.

Mme Myriam El Khomri, ministre. Je souhaite apporter quelques éclairages.

Mes équipes mènent les concertations depuis le mois de janvier, date de la remise du rapport du Conseil national du numérique. Ensuite, il y a eu le rapport du député Pascal Terrasse. L’article dont nous débattons figurait dans l’avant-projet de loi qui a fuité dans la presse. Mais il n’avait pas été repris dans la version retenue par le Gouvernement, car – je vous parle en toute transparence – les concertations devaient se poursuivre.

Simplement, à l’Assemblée nationale, en commission, des députés ont réintroduit l’article tel qu’il avait été rédigé par le Gouvernement.

Certes, à titre personnel, j’ai effectivement rencontré l’Observatoire de l’uberisation, le Conseil national du numérique, la Fédération des auto-entrepreneurs et une dizaine de start-up voilà dix jours. Mais cela fait plus de deux mois que mes équipes travaillent avec ces différents acteurs !

Par ailleurs, les cotisations sont alignées sur celles des travailleurs indépendants. C’est la plateforme qui prend en charge ce qui est mentionné dans l’article.

Je suis ministre du travail et de l'emploi depuis le 2 septembre. La question dont nous débattons ce soir nous est clairement posée. Le compte personnel d’activité, dont nous parlions hier, sera ouvert aux travailleurs indépendants dès le 1er janvier 2018. Nous voyons bien que des améliorations sont nécessaires.

J’ai aussi été secrétaire d’État chargée de la politique de la ville. Vous ne pouvez pas imaginer le nombre de jeunes issus des quartiers populaires qui travaillent pour ces plateformes et n’ont aujourd'hui aucun droit. (Mmes Laurence Cohen et Annie David opinent.)

La solution que nous proposons n’est peut-être pas parfaite, mais l’enjeu est bien de ne pas laisser ces travailleurs dans une zone d’ombre ! C’est le sens de la responsabilité sociale des plateformes. La cotisation à l’assurance en matière d’accidents est volontaire. La contribution à la formation professionnelle, c’est 100 euros par an. C’est de cela qu’il s’agit.

Notre rôle est d’apporter des réponses au monde du travail tel qu’il est aujourd'hui ! Ainsi que je l’ai indiqué il y a quelques instants, l’objectif n’est pas de freiner le développement de ces plateformes. Elles vont continuer à se développer, du fait même de nos propres pratiques de consommation.

Nous voulons simplement fixer quelques règles pour les travailleurs concernés et les plateformes. D’ailleurs, certaines ont envie de faire plus.

M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.

M. Jean Desessard. Je vais avoir du mal à étaler ma science, vu que je ne comprends pas grand-chose ! (Exclamations amusées.)

Certes, je peux à la rigueur comprendre la position de la commission – cela ne signifie pas forcément que je l’approuve –, qui considère qu’il s’agit d’un vrai débat de société et veut prendre le temps de la réflexion en consultant l’ensemble des acteurs concernés.

Je crois aussi comprendre celle de Mme la ministre : puisque Uber existe et qu’il n’y a aucune garantie, nous explique-t-elle en substance, instaurons quelques protections minimales.

Mais je ne comprends vraiment pas la position de nos collègues du groupe CRC. Il me semblait que l’on pouvait être soit artisan, c'est-à-dire indépendant, soit travailleur salarié, en cas d’existence d’un lien de subordination. Votre amendement, chers collègues, était tout de même différent de celui du Gouvernement !

Mme la ministre explique qu’il faut instaurer des garanties minimales. Elle souligne que la contribution à la formation n’est pas très chère ou que la cotisation à l’assurance en matière d’accidents est volontaire. Nous voyons très bien qu’il s’agit d’une protection sociale a minima : comme les personnes concernées s’apparentent un peu à des travailleurs, offrons-leur une protection sociale minimale…

Mme Bricq nous dit qu’entre le statut de salarié et celui de travailleur indépendant, il existe une troisième catégorie. C’est celle que vous essayez d’inventer, madame la ministre.

Selon vous, puisque Uber existe, il faut introduire quelques petites notions de protection sociale et, comme le prône Mme Bricq, définir un troisième statut, celui de travailleur entrepreneur bénéficiant de quelques fragments de protection sociale, mais tout de même soumis à l’organisation fixée par les plateformes. En clair, vous êtes en train de légaliser une situation.

Vous mettez en avant votre passage au secrétariat d’État à la politique de la ville, où vous avez observé les conditions de travail des jeunes concernés, pour justifier votre choix d’introduire quelques éléments de protection sociale afin de leur permettre de continuer à travailler comme cela ! C’est ce que j’ai compris de vos propos.

Ce nouveau statut d’« auto-entrepreneur avec quelques points de protection sociale » me laisse tout de même interrogatif…

M. le président. La parole est à Mme Annie David, pour explication de vote.

Mme Annie David. Je tiens à rassurer notre collègue Jean Desessard.

Oui, il y a différents statuts chez les travailleurs aujourd'hui ! Pour notre part, nous sommes favorables à un statut de travailleur salarié.

Mais, ainsi que Mme la ministre l’a très bien expliqué – nous avons peut-être trouvé ce soir le seul volet du texte sur lequel nous sommes totalement d’accord avec elle –, le monde du travail évolue. La révolution numérique nous frappe de plein fouet. Nous sommes confrontés, et vous aussi, cher Jean Desessard, à une situation que nous avons du mal à appréhender dans sa globalité.

Nous le savons bien, actuellement, les personnes qui travaillent pour les plateformes numériques n’ont pas un statut de salarié. Nous souhaiterions qu’elles en aient un. Mais ce n’est pas le cas. Nous ne pouvons pas imposer cela à une plateforme, un fab lab ou un tiers-lieu. Chaque jour, des milliers de personnes travaillent dans un tel cadre ; nous ne pouvons pas ignorer cette réalité.

Notre amendement était effectivement différent de celui du Gouvernement ; Michel Billout l’a d’ailleurs rappelé. Mais nous parlions nous aussi de « « travailleurs ». Il faut prendre en compte la situation des personnes concernées.

Mme la ministre, évoquant son passage au secrétariat d’État à la politique de la ville, a parlé de ces nombreux jeunes qui sont contraints de travailler pour des plateformes. Nous ne pouvons pas les abandonner.

En retirant notre amendement et en nous ralliant à celui du Gouvernement, nous adressons un message à ces travailleurs : oui, ils ont droit à un statut, à une protection, à une reconnaissance !

L’évolution de nos modes de consommation nous fait malheureusement – pour ma part, je le regrette, mais ce n’est peut-être pas le cas de tout le monde – participer de plus en plus au développement des plateformes. On ne peut pas vouloir en bénéficier tout en laissant de côté ceux qui y travaillent !

Nous avons décidé de retirer notre amendement au profit de celui du Gouvernement pour que, ce soir, lorsque nous quitterons l’hémicycle, ces travailleurs de l’ombre aient enfin un statut. Certes, la solution proposée n’est pas vraiment satisfaisante. Mais la discussion avec les partenaires que Mme la ministre a évoqués permettra peut-être des améliorations.

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty, rapporteur.

M. Jean-Marc Gabouty, rapporteur. Madame la ministre, vous souhaitez que la responsabilité sociale d’une plateforme soit reconnue lorsque le travailleur indépendant réalise un certain chiffre d’affaires avec elle, mais vous indiquez en même temps qu’un travailleur peut travailleur auprès de plusieurs plateformes. Ainsi, nous sommes dans un cas d’employeurs multiples ou de partenaires multiples. Le système est donc relativement complexe.

Nous sommes totalement d'accord sur le principe : il ne faut pas laisser ces personnes dans un no man’s land. Mais le texte proposé pour l’article ne définit aucun statut. Quid de la responsabilité vis-à-vis du client ? Comment appliquer le droit à la déconnexion, dont nous parlions, à ces travailleurs ? Toutes ces questions se posent.

Les quelques avancées auxquelles vous faites référence sont légitimes. Elles pourraient être intégrées dans le texte. Mais vous ne définissez aucun statut. Cela revient à offrir quelques bribes – je suis assez d'accord avec M. Desessard sur ce point – sans savoir vers quel statut on va. Un statut d’indépendant salarié ? de salarié indépendant ?

Le dispositif ne me paraît pas totalement abouti. Et le fait que vous continuiez la concertation pendant la phase législative tend à accréditer cette impression.

Nous ne sommes pas du tout opposés au fait de mener une réflexion pour essayer d’élaborer quelque chose de plus solide sur le sujet.

C'est pourquoi je maintiens l’avis défavorable de la commission sur l’amendement du Gouvernement.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Myriam El Khomri, ministre. L’article que nous voulons rétablir mentionne les « travailleurs indépendants » ; il n’y a pas de création d’un nouveau statut. Comme il s’agit de travailleurs indépendants, leur protection sociale est celle des indépendants.

En revanche, par cet article, nous posons un principe nouveau, celui de la responsabilité sociale des plateformes collaboratives, afin que ces travailleurs puissent bénéficier de nouveaux droits.

L’enjeu, ce n’est pas de définir un statut ; c’est d’instaurer une responsabilité sociale des plateformes collaboratives pour que ces travailleurs indépendants aient des droits en plus. Voilà clairement le sens de cet article !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 964 rectifié.

J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission.

Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 370 :

Nombre de votants 342
Nombre de suffrages exprimés 332
Pour l’adoption 144
Contre 188

Le Sénat n'a pas adopté.

M. Roland Courteau. C’est bien regrettable !

M. le président. En conséquence, l'article 27 bis demeure supprimé.

Article 27 bis (supprimé)
Dossier législatif : projet de loi relatif au travail, à la modernisation du dialogue social  et à la sécurisation des parcours professionnels
Article 28

Article additionnel après l’article 27 bis

M. le président. L'amendement n° 864 rectifié bis, présenté par M. Bizet, Mme Gruny, MM. César et Chasseing, Mme Morhet-Richaud, MM. Chaize, Vaspart et G. Bailly, Mmes Garriaud-Maylam et Cayeux, M. Houel, Mme Duchêne, M. Rapin, Mme Mélot, MM. Karoutchi, Mayet, Pierre, Lefèvre, Laufoaulu et Emorine, Mmes Micouleau et Deromedi et MM. Laménie, Huré, Vasselle, Cornu, J.P. Fournier, Doligé et Revet, est ainsi libellé :

Après l'article 27 bis

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L’article L. 8261-3 du code du travail est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« …° Les services rendus entre particuliers dans le cadre de l’utilisation en commun d’un bien dans la mesure où les sommes perçues à cette occasion ne dépassent pas une fraction du coût d’amortissement de ce bien calculée selon des modalités déterminées par décret. »

La parole est à Mme Pascale Gruny.

Mme Pascale Gruny. Il est essentiel de sécuriser le développement de l’économie collaborative de particulier à particulier qui concourt à l’intérêt général, notamment en matière de mobilité partagée – le député Pascal Terrasse, missionné par le Premier ministre, a clairement mis cela en lumière dans son rapport –, et de limiter ainsi ces échanges aux activités à titre non onéreux, en plafonnant le montant des sommes perçues par un particulier. Il s’agit de contenir la concurrence vis-à-vis des activités de l’économie traditionnelle et des professionnels exerçant sur ce même type de plateformes.

Cet amendement a pour objet de permettre aux particuliers d’exercer, en plus de leur activité professionnelle limitée à la durée légale du travail, des activités complémentaires dans le cadre de l’économie du partage, en limitant cependant celles-ci au seul partage de frais.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Marc Gabouty, rapporteur. Je comprends bien l’intention des auteurs de cet amendement, mais je crains que, en l’état, le dispositif proposé ne convienne pas.

Tout d’abord, il semble difficile à mettre en œuvre. Le calcul des coûts d’amortissement est une opération comptable qui ne peut pas être improvisée par tous les particuliers participant à l’économie collaborative.

Par ailleurs, l’amendement ne couvre qu’une partie seulement des activités de l’économie du partage. La référence à « l’utilisation en commun d’un bien » exclut, par exemple, les locations de voitures de particulier à particulier. Or c’est une activité en plein essor.

En résumé, l’idée est bonne, mais le dispositif n’est peut-être pas encore totalement abouti.

Par conséquent, la commission sollicite le retrait de cet amendement ; à défaut, l’avis serait défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Myriam El Khomri, ministre. Je comprends bien le souci de sécuriser juridiquement les services rendus entre particuliers dans le cadre de l’économie collaborative.

Toutefois, il ne me paraît pas possible de retenir une telle dérogation à la durée maximale de travail de quarante-huit heures. En effet, les services visés par cet amendement peuvent présenter des enjeux de sécurité. C’est le cas du covoiturage, où l’enjeu de sécurité est particulièrement important. Il le serait encore plus en cas de dérogation à la durée maximale de travail…

Le Gouvernement émet donc un avis défavorable.

M. le président. Madame Gruny, l’amendement n° 864 rectifié bis est-il maintenu ?

Mme Pascale Gruny. Madame la ministre, le covoiturage existe déjà, parfois au-delà de la durée maximale de travail ? Votre argument ne me convainc donc pas.

En revanche, chacun voit qu’il y a beaucoup de problèmes avec les nouvelles économies collaboratives. Nous venons d’évoquer les plateformes. Notre amendement permet de soulever une autre difficulté. Je pense que cette question mériterait un examen sérieux et, probablement, une loi.

Certes, j’ai entendu les propos de M. le rapporteur, et je retire mon amendement. Mais je crois qu’il va falloir continuer de plancher sur le sujet.

M. le président. L'amendement n° 864 rectifié bis est retiré.

Titre IV

Favoriser l’emploi

Chapitre Ier

Améliorer l’accès au droit des très petites entreprises et des petites et moyennes entreprises et favoriser l’embauche

Article additionnel après l’article 27 bis
Dossier législatif : projet de loi relatif au travail, à la modernisation du dialogue social  et à la sécurisation des parcours professionnels
Articles additionnels après l'article 28

Article 28

I. – Le titre IV du livre Ier de la cinquième partie du code du travail est ainsi modifié :

1° L’intitulé est complété par les mots : « et appui aux entreprises » ;

2° Il est ajouté un chapitre III ainsi rédigé :

« CHAPITRE III

« Appui aux entreprises

« Art. L. 5143-1. – Tout employeur d’une entreprise de moins de trois cents salariés a le droit d’obtenir une information précise lorsqu’il sollicite l’administration en posant une question écrite, précise et complète relative à l’application, à une situation de fait ou à un projet, de la législation relative au droit du travail ou des stipulations des accords et conventions collectives qui lui sont applicables.

« Le document formalisant la prise de position des services de l’autorité compétente est opposable pour l’avenir à l’administration tant que la situation de fait ou le projet exposés dans la demande et que la législation ou les stipulations au regard desquelles la question a été posée n’ont pas été modifiés. Ce document peut également être produit par l’employeur en cas de contentieux pour attester de sa bonne foi et le prémunir de toute sanction qui serait uniquement basée sur un changement d’interprétation de la législation applicable.

« Un décret en Conseil d’État fixe les modalités de dépôt de la demande et les délais de réponse de l’autorité compétente, qui ne peuvent être supérieurs à deux mois quand la sollicitation émane d’une entreprise employant moins de cinquante salariés, en tenant compte du caractère éventuellement urgent de la situation ou du projet faisant l’objet de la demande. Il désigne l’autorité compétente, ainsi que les modalités de transmission de la question aux services compétents de l’administration et les modalités d’harmonisation des positions prises en application du présent article dans le respect du secret professionnel. »