M. le président. La parole est à M. André Gattolin.

M. André Gattolin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ainsi que cela a été rappelé, nous examinons cette première convention fiscale de l’histoire des relations entre la France et la Colombie à quelques jours seulement d’un scrutin historique qui pourrait mettre un terme à cinquante-deux ans d’une guerre civile atroce dans ce pays.

Si, comme c’est attendu et comme nous l’espérons, le camp de la paix l’emporte dimanche prochain, le pays sera rapidement confronté à des choix cruciaux concernant son avenir et son développement.

L’exceptionnelle richesse de son sous-sol, que plusieurs intervenants ont évoquée, suscite bien des convoitises, qu’une nouvelle stabilité politique pourrait encore attiser.

Après des décennies de chaos dont la société colombienne sort profondément inégalitaire et gangrenée par la corruption et la criminalité, le gouvernement colombien pourrait être tenté de chercher un profit immédiat dans une exploitation minière débridée.

On sait peu que la Colombie est aujourd’hui le deuxième pays au monde en matière de richesse de la biodiversité et le troisième pays au monde dans le palmarès des assassinats de militants écologistes et de défenseurs de l’environnement.

Il ne faudrait pas que la convention dont il est question favorise, demain, le saccage par des sociétés extractives françaises de l’environnement de peuples autochtones à peine libérés de la guérilla. Ce n’est, certes, pas pleinement rassurant, mais l’on peut considérer, à cet égard, que l’absence d’une telle convention n’apporterait pas davantage de garanties. Il est déjà possible pour nos multinationales d’œuvrer en Colombie par le truchement de filiales espagnoles.

La présente convention apporte donc à des relations commerciales déjà possibles un cadre juridique plus sûr.

En matière de prospection et d’extraction minières, la convention instaure une définition particulièrement large de l’établissement stable qui conserve au pays qui en est le siège – en l’occurrence, la Colombie – la faculté d’imposer ses activités.

Là encore, si ce dispositif n’apporte pas la garantie d’un développement à venir harmonieux pour la Colombie, il est évidemment positif que l’État propriétaire des ressources bénéficie de l’imposition de l’exploitant.

Pour le reste, ce texte comprend un bon arsenal contre les abus en matière de fraude et d’évasion fiscales. Quant au mécanisme de coopération entre administrations fiscales, il est conforme aux derniers standards de l’OCDE.

Le Forum mondial de l’OCDE a en outre jugé que la Colombie, laquelle est moins un paradis fiscal qu’une victime de l’évasion, satisfaisait ses critères.

Pour toutes ces raisons, avec ses craintes et ses espoirs pour le futur de la Colombie, le groupe écologiste votera en faveur de cette convention. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi qu’au banc des commissions.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.

M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, avant d’aborder le fond de cet accord, je tiens à saluer le tournant historique qui a lieu en Colombie. L’accord de paix conclu le 23 juin dernier à La Havane entre le gouvernement de Juan Manuel Santos et le chef des FARC est effectivement le premier accord en ce sens depuis le début de la guerre civile, voilà plus d’un demi-siècle.

C’est une page longue et douloureuse qui se tourne enfin dans la patrie de l’écrivain et prix Nobel de littérature Gabriel Garcia Marquez. Les ennemis d’hier ont rendu les armes et semblent prêts à écrire un nouveau chapitre de l’histoire de la Colombie, animés par la volonté de construire un avenir meilleur.

Les défis auxquels la Colombie est confrontée sont immenses.

Le premier d’entre eux est la lutte contre les inégalités sociales et foncières, qui restent parmi les plus élevées au monde.

Le second défi, après avoir mis fin à la guerre, est, comme aurait dit Clemenceau, de « gagner la paix ». Comme à Cuba, il sera intéressant de suivre l’évolution politique de la Colombie dans les prochaines années.

Enfin, dans ce pays grand comme deux fois la France, mais quatre fois moins riche, le développement économique et la lutte contre le narcotrafic restent des priorités.

Pour cela, la Colombie peut compter sur d’abondantes richesses naturelles et sur une certaine résilience face à la baisse des cours du pétrole, à la différence de son voisin vénézuélien.

La convention en vue d’éviter les doubles impositions et de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales qu’il nous est proposé d’approuver aujourd’hui va de pair avec l’accord sur la protection des investissements ratifié cet été. Très attendue par les contribuables des deux pays et par les entreprises françaises, elle permettra de disposer d’un cadre juridique clair et stable, le premier du genre entre la France et la Colombie.

Elle évite les risques de double imposition en définissant la résidence fiscale et en répartissant précisément les droits d’imposer entre les deux pays.

Elle prévoit également un régime favorable à l’investissement des entreprises françaises en Colombie, en conformité avec les règles de l’OCDE, tout en préservant les prérogatives de l’État colombien pour l’imposition des activités extractives.

En outre, la France et la Colombie sont toutes deux engagées dans la lutte contre la fraude fiscale. Cela se traduit par l’adoption de nombreuses clauses anti-abus et par la mise en place de l’échange automatique de données à l’horizon 2017-2018.

Cet accord s’inscrit dans la logique des politiques ambitieuses menées depuis plusieurs années pour lutter contre la fraude fiscale. Espérons qu’il sera bientôt suivi d’accords similaires conclus avec d’autres pays avec lesquels la France n’a pas encore signé de convention fiscale.

Sans surprise, mes collègues du groupe du RDSE et moi-même voterons en faveur de la ratification de cette convention, et souhaitons qu’elle entre en vigueur le plus tôt possible. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi qu’au banc des commissions.)

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet.

Mme Nathalie Goulet. Les membres du groupe UDI-UC s’abstiendront sur cette convention.

Nous avons pris note de toutes les avancées que celle-ci contient, y compris le fait que, sur un plan formel, elle représente le texte le plus abouti issu des modèles de l’OCDE.

Pourtant, il y a un « mais » : dans cette convention, rien ne concerne le blanchiment d’argent lié au trafic de stupéfiants. Or la Colombie n’est pas un pays comme les autres. L’autoroute du dixième parallèle relie l’Amérique du Sud et l’Afrique de l’Ouest, et le trafic de drogue alimente le terrorisme.

Le trafic de cocaïne représente ainsi 1,5 milliard d’euros par an et Al-Qaïda au Maghreb islamique, ou AQMI, est responsable de 30 % du trafic de drogue à destination de l’Europe. En travaillant sur les réseaux terroristes, nous avons trouvé des financements provenant d’Amérique du Sud au bénéfice d’AQMI au Sinaï. Il ne s’agit donc pas d’un détail.

J’ai relevé, comme les intervenants qui m’ont précédée, tous les points positifs de cette convention, ainsi que la nécessité de soutenir l’évolution de la Colombie, de défendre nos investisseurs et d’éviter la tricherie consistant à passer par l’Espagne.

Néanmoins, je le répète, mon groupe s’abstiendra en attendant un mémorandum complétant ce dispositif. Le problème du blanchiment est aujourd’hui extrêmement important. Il est lié aux questions de sécurité et de terrorisme.

Cette position n’emporte pas, bien évidemment, une opposition, qui serait déraisonnable, à cette convention, laquelle constitue une avancée qu’il faut soutenir. Le groupe UDI-UC souhaite toutefois montrer son hésitation concernant les dispositions relatives au blanchiment.

Nous nous sommes exprimés dans le cadre de la commission des affaires étrangères, et nous nous en tenons à l’abstention.

M. le président. La parole est à M. Philippe Dominati.

M. Philippe Dominati. Le présent projet de loi vise à approuver un accord bilatéral conclu entre la France et la Colombie le 25 juin 2015.

Son examen par notre parlement intervient à un moment particulier pour les relations entre nos deux pays, puisque la Colombie est en train de tourner une page de son histoire. Le hasard du calendrier veut en effet que, voilà trois jours, après cinquante-deux ans de combats, plus de 260 000 morts, 45 000 disparus et 6,9 millions de déplacés, un accord de paix historique a été signé entre la guérilla des FARC et le gouvernement colombien. L’Union européenne a aussitôt décidé de retirer les FARC de sa liste des organisations terroristes.

Si la paix n’est pas encore achevée, la guérilla de l’Armée de libération nationale, l’ELN, étant toujours active avec ses 1 500 combattants, un pas immense vers la stabilisation du pays a toutefois été réalisé, les FARC, dix fois plus nombreux que l’ELN, constituant jusqu’alors le plus gros facteur de déstabilisation.

Ce fait ouvre la voie à une intensification de l’implantation de nos entreprises et de nos concitoyens en Colombie, qui est le pays d’Amérique latine dans lequel nous exportons déjà le plus, après le Brésil. Plus largement, c’est le troisième pays au monde dans lequel nos exportations ont le plus augmenté depuis 2005.

De nombreuses entreprises françaises y sont déjà installées. La grande distribution, Renault, Accor, par exemple, y est très bien implantée.

Il est fort à parier qu’il va constituer un nouvel eldorado offrant de grandes opportunités économiques pour de jeunes entrepreneurs français désireux de tenter l’aventure.

Dans ce contexte très favorable, l’approbation de la convention en cause est essentielle, car elle va permettre d’éviter les doubles impositions pour nos sociétés et pour nos compatriotes souhaitant s’installer et investir en Colombie. Côté français, sont concernés l’impôt sur le revenu, l’ISF, la CRDS, la CSG et l’impôt sur les sociétés.

Cette approbation facilitera également les investissements colombiens en France.

Le présent projet de loi vient en effet compléter celui que le Sénat a déjà adopté au mois de mai dernier approuvant un accord de 2014 entre la France et la Colombie sur la protection des investissements. Ces deux textes font d’ailleurs l’objet d’un examen commun à l’Assemblée nationale.

La convention fiscale que nous examinons aujourd’hui est d’autant plus importante qu’elle est le résultat de longues négociations entamées en 2009 et qu’elle constitue une première en termes d’accord fiscal entre la France et la Colombie.

Par ailleurs, elle a également pour objet de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales. C’est un sujet très important, sur lequel le Sénat a beaucoup travaillé. En 2012, j’ai eu ainsi l’honneur de présider …

Mme Nathalie Goulet. Excellemment !

M. Philippe Dominati. … la commission d’enquête sur l’évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales, dont le rapporteur était notre collègue Éric Bocquet.

Mme Nathalie Goulet. C’était une magnifique commission d’enquête !

M. Philippe Dominati. La présente convention fiscale a été signée quelques mois après la conclusion de l’accord multilatéral signé le 29 octobre 2014 à Berlin, engageant aujourd’hui quatre-vingt-quatre États, dont la France et la Colombie. Cet accord prévoit, à partir de 2017, un échange multilatéral automatique d’informations bancaires, afin de lutter contre la fraude fiscale. La France et la Colombie feront partie de la première vague à le mettre en œuvre, dès le mois de septembre 2017.

D’ici là, cette convention de coopération administrative bilatérale d’échange d’informations constitue une première étape très utile, d’autant plus qu’elle est plus exigeante que ce que requiert le standard actuel de l’OCDE. La France et la Colombie seront en effet soumises à une obligation de garantir la disponibilité de l’information et la capacité de leurs administrations à y accéder et à la transmettre.

Cette convention constitue donc un premier pas dans la lutte contre l’évasion et la fraude fiscales en Colombie, pas qui deviendra décisif quand l’échange sera non plus seulement à la demande, mais automatique.

L’absence d’automaticité des échanges, du fait de la réticence de nombreux États, a effectivement entravé une réelle efficacité pour déceler les comptes bancaires de Français dans des pays étrangers où ils ne sont pas résidents. Mais la loi américaine de 2010, dite « FATCA », a progressivement changé la donne en poussant plusieurs pays européens, puis les pays du G20, à se mobiliser en faveur de l’échange automatique et à élaborer une norme commune de déclaration, sous l’égide de l’OCDE.

L’accord multilatéral du 29 octobre 2014 va permettre la mise en œuvre de cette nouvelle norme mondiale à partir de 2017. Cela représentera une grande avancée, au regard du montant très important de la fraude fiscale pour notre pays que notre commission d’enquête avait chiffrée en 2012 à un minimum de 35 milliards d’euros par an.

Pour toutes ces raisons, conformément à la position de la commission des finances et de notre rapporteur, Éric Doligé, dont je tiens à saluer la qualité du rapport, je voterai, ainsi que l’ensemble du groupe Les Républicains, en faveur de ce projet de loi, qui permettra à la fois de développer nos échanges économiques et commerciaux avec la troisième puissance de l’Amérique latine et d’engager une première étape dans la lutte contre l’évasion et la fraude fiscales en Colombie et en France. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ainsi qu’au banc des commissions.)

M. le président. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion de l’article unique du projet de loi.

projet de loi autorisant l’approbation de la convention entre le gouvernement de la république française et le gouvernement de la république de colombie en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion et la fraude fiscales en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi autorisant l'approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Colombie en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune
Article unique (fin)

Article unique

Est autorisée l’approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Colombie en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion et la fraude fiscales en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune (ensemble un protocole), signée à Bogota le 25 juin 2015, et dont le texte est annexé à la présente loi.

M. le président. Avant de mettre aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi, je donne la parole à M. le rapporteur.

M. Éric Doligé, rapporteur. Je souhaite répondre aux propos tenus par Nathalie Goulet quand elle a exposé la position, tout à fait compréhensible, d’abstention de son groupe, liée au fait que la convention fiscale ne serait pas assez engagée en matière de lutte contre le blanchiment.

Je me permets de vous rappeler, ma chère collègue, que le blanchiment, en l’occurrence concernant les produits que vous avez signalés, relève non pas des conventions fiscales, lesquelles traitent d’autres sujets, mais du GAFI, le groupe d’action financière internationale. Ce sont deux choses bien différentes.

En revanche, à l’article 10 de la convention fiscale est précisée la notion de « bénéficiaire effectif » qui permet indirectement de lutter contre le blanchiment en démasquant les prête-noms et les sociétés-écrans.

Comme toutes les conventions fiscales, ce texte n’a pas pour objet de lutter contre le blanchiment, un sujet qui se traite dans un autre cadre, mais elle contient des éléments susceptibles de clarifier des mouvements financiers et probablement de débusquer un certain nombre d’actions de blanchiment.

Je souhaitais apporter cette précision de manière qu’il n’y ait pas de confusion entre conventions fiscales et GAFI.

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.

Mme Nathalie Goulet. Je vous remercie, monsieur le rapporteur, de vos explications, lesquelles n’avaient pas été fournies lors de la réunion de la commission des affaires étrangères. C’est la raison pour laquelle mon groupe s’était abstenu, et il ne m’appartient pas de revenir sur cette position. Pourtant, vos observations auraient sans doute influencé notre vote.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Éric Doligé, rapporteur. Vos collègues du groupe UDI-UC en commission des finances avaient bien compris cette notion particulière et s’étaient prononcés favorablement.

M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…

Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi autorisant l’approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Colombie en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion et la fraude fiscales en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune.

(Le projet de loi est adopté définitivement.)

Article unique (début)
Dossier législatif : projet de loi autorisant l'approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Colombie en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune
 

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Dossier législatif : proposition de loi relative à l'exercice, par la Croix-Rouge française, de sa mission statutaire de rétablissement des liens familiaux
Discussion générale (suite)

Croix-Rouge française

Adoption définitive en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relative à l’exercice par la Croix-Rouge française de sa mission statutaire de rétablissement des liens familiaux (proposition n° 693, texte de la commission n° 842, rapport n° 841).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme la secrétaire d’État.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi relative à l'exercice, par la Croix-Rouge française, de sa mission statutaire de rétablissement des liens familiaux
Article 1er

Mme Juliette Méadel, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée de l’aide aux victimes. Monsieur le président, madame la rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie de bien vouloir excuser l’absence du ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, qui est actuellement en déplacement dans les Antilles et en Guyane.

L’examen de cette proposition de loi relative à l’exercice, par la Croix-Rouge française, de sa mission statutaire de rétablissement des liens familiaux me donne l’occasion de remercier une nouvelle fois, devant la représentation nationale, les 57 000 bénévoles et 18 000 salariés de la Croix-Rouge française, ainsi que l’ensemble des forces de secours, de leur engagement exemplaire aux côtés des victimes, comme j’ai pu le constater dès les premières heures après l’attentat survenu à Nice le 14 juillet dernier. Je l’ai rappelé, avant-hier encore, à son président, Jean Jacques Eledjam, lors de notre entretien au secrétariat d’État chargé de l’aide aux victimes.

Je tiens également à saluer l’action de la Croix-Rouge en faveur de la formation des Françaises et des Français aux gestes qui sauvent sur l’ensemble du territoire. Dans le contexte actuel de menace terroriste importante, faire de chaque citoyen un acteur de sa propre sécurité et de celle des autres est un témoignage précieux de fraternité et de solidarité.

À l’instar des modules de sensibilisation proposés depuis cette rentrée dans les établissements scolaires, je souhaite, et je travaille en ce sens avec l’ensemble du Gouvernement, que des initiatives semblables puissent être prises dans les entreprises et les administrations.

Si les missions de secourisme de la Croix-Rouge française sont bien connues du grand public, celle du rétablissement des liens familiaux est plus confidentielle, plus subtile, mais pourtant essentielle.

Cette tâche délicate, qui consiste, je le rappelle, à réunifier les membres d’une famille séparés par un conflit, une catastrophe naturelle ou une crise humanitaire, est assurée par la Croix-Rouge depuis 1949.

Au mois d’avril dernier, la directrice générale de celle-ci, Annie Burlot-Bourdil, a attiré l’attention du Gouvernement sur les difficultés auxquelles la Croix-Rouge est régulièrement confrontée en raison de l’état du droit, l’empêchant d’accéder à certaines informations détenues par l’administration sur des personnes recherchées par leurs proches. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement a décidé de soutenir la proposition de loi de la députée Françoise Dumas que nous examinons aujourd’hui.

En réalité, cette proposition de loi n’est rien moins que la concrétisation d’un engagement pris, voilà deux ans, par le Président de la République lui-même.

Le texte répond ainsi pleinement aux attentes légitimes de la Croix-Rouge française tout en garantissant le strict respect de la vie privée et du droit à l’oubli des personnes recherchées.

Je rappelle que, l’année dernière, 562 demandes de recherche ont été traitées par la Croix-Rouge française et 23 familles ont pu être réunies grâce au travail de longue haleine de l’ensemble des salariés et bénévoles du Comité international de la Croix-Rouge.

Bien que les deux tiers de ces demandes concernent des personnes séparées pendant la Seconde Guerre mondiale, les nombreux conflits et catastrophes humanitaires qui affectent aujourd’hui le monde, et la France en particulier, notamment ces drames terribles qui se produisent aux frontières extérieures de l’Europe, confèrent à la mission de rétablissement des liens familiaux une importance considérable. Je pense bien sûr à la crise migratoire sans précédent – la plus grave depuis la Seconde Guerre mondiale – qui frappe la zone euro-méditerranéenne et qui nous concerne tous directement.

Nous-mêmes, nous accueillons sur notre sol des populations, des femmes, des hommes, souvent accompagnés de leurs enfants, qui ont bravé tous les dangers pour fuir la guerre, la dictature, la barbarie, les persécutions qui ravagent leur pays natal.

Dans les Balkans ou en Méditerranée, ils empruntent alors le long et terrible chemin de l’exode vers ce qu’ils espèrent être une vie meilleure, vers la paix et vers la sécurité. L’année dernière, dans ce contexte, plus d’un million de personnes sont arrivées sur le territoire de l’Union européenne. Et, au cours de la même période, environ 3 700 migrants ont trouvé la mort en tentant de traverser la Méditerranée. Bien des familles ont été meurtries, brisées, déchirées sur les routes de l’exil. Certaines d’entre elles sont en deuil, d’autres espèrent encore.

Face à ces drames, notre responsabilité absolue – celle que le droit international nous confère, mais aussi notre responsabilité éthique, morale et politique – est de tout faire, dès lors qu’il y a encore de l’espoir, pour donner une chance à ces familles qui ont tout perdu, ou presque, de se retrouver de nouveau, de se réunir pour traverser ces épreuves.

Cela suppose de donner à la Croix-Rouge française, dont chacun connaît le sérieux, le professionnalisme et la crédibilité, les moyens nécessaires à l’accomplissement de cette mission. C’est ce que nous sommes en train de faire.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le texte soumis à votre examen introduit trois dérogations dans le droit existant pour permettre à la Croix-Rouge française, dans sa mission de rétablissement des liens familiaux, d’obtenir, pour déterminer le sort de la personne recherchée, toutes les informations indispensables de la part des administrations d’État, des collectivités territoriales, de leurs établissements publics administratifs, des organismes de sécurité sociale et des organismes qui assurent la gestion des prestations sociales.

Il appartient dès lors à ces organisations, sous le contrôle de la Commission d’accès aux documents administratifs, d’apprécier le caractère indispensable des informations demandées, ce qui introduit une certaine souplesse dans le dispositif pour éviter les demandes superflues ou celles qui excèdent les limites de la mission de rétablissement des liens familiaux.

La Croix-Rouge française pourra également obtenir communication des copies intégrales et extraits d’actes de l’état civil, et vérifier l’inscription d’une personne sur les listes électorales.

En outre, l’article 4 de la proposition de loi rappelle les principes déjà appliqués par la Croix-Rouge française dans le traitement du rétablissement des liens familiaux, à savoir le consentement écrit préalable de toute personne retrouvée avant communication de ses coordonnées aux membres de la famille qui la recherchent.

Je veux, pour terminer, remercier le Sénat, plus particulièrement la rapporteur, Marie Mercier, des améliorations apportées au texte en commission. Lorsque la cause est noble, les forces républicaines savent se rassembler pour faire aboutir les projets d’intérêt général. C’est ce qui explique que la proposition de loi a été adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale le 15 juin dernier, et c’est la raison pour laquelle sans doute en sera-t-il de même au Sénat. Je l’espère en tout cas. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à Mme la rapporteur.

Mme Marie Mercier, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la secrétaire d’État, vous avez dressé un tableau particulièrement complet des actions de la Croix-Rouge.

Chacun dans cette enceinte connaît le rôle de la Croix-Rouge française. Présente dans 190 pays à travers le monde, celle-ci exerce des missions bien connues de secours, de solidarité, de santé, ou encore de formation de secouristes.

La Croix-Rouge est une association, même si elle rassemble de très nombreux bénévoles et salariés et que son budget dépasse 1 milliard d’euros. Elle a donc besoin d’un cadre légal spécifique pour mener à bien cette mission, qui nous occupe aujourd’hui, de rétablissement des liens familiaux rompus de façon brutale à l’occasion d’un conflit armé, d’un drame humanitaire ou d’une catastrophe naturelle, afin de réunir ces familles brisées.

Afin que la Croix-Rouge puisse se procurer différents documents administratifs ou obtenir l’accès aux listes électorales, il faut définir ce cadre, tout en respectant une certaine confidentialité. C’est pourquoi seuls les salariés de la Croix-Rouge auront accès aux documents concernés. Les bénévoles n’apporteront qu’une aide à la saisie des informations.

La Croix-Rouge française est fidèle à des principes de neutralité et d’humanité. J’espère donc que le Sénat votera cette proposition de loi, qui l’aidera à mener à bien cette mission.

Ma collègue de l’Assemblée nationale Françoise Dumas et moi-même avons travaillé ce texte, qui a fait l’objet de légers ajustements lors de son examen par la commission des lois. La possibilité de consulter les listes électorales consulaires a ainsi été ajoutée, et les modalités de son application outre-mer ont été définies.

Je forme le vœu que la présente proposition de loi ainsi modifiée soit adoptée avec l’unanimité qui convient à son sujet. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Kaltenbach.

M. Philippe Kaltenbach. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes réunis ce jour pour examiner la proposition de loi relative à l’exercice, par la Croix-Rouge française, de sa mission statutaire de rétablissement des liens familiaux.

Ce texte, adopté à l’unanimité par Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, vise à donner à une institution reconnue les outils nécessaires à la réalisation d’une de ses missions.

La Croix-Rouge française est une association remarquable à plusieurs égards.

Branche française du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, elle a été fondée en 1864 et reconnue d’utilité publique en 1945. Elle est aujourd’hui la première association française. Elle mobilise des effectifs considérables : plus de 50 000 bénévoles et 18 000 salariés. Son maillage territorial est impressionnant, avec 800 groupes locaux, 600 établissements et près d’une centaine de délégations départementales.

Ces moyens lui permettent de mener une action exceptionnelle sur notre territoire, mais aussi à l’étranger, puisqu’elle agit également dans plus de 35 pays.

S’il fallait encore convaincre de l’importance de cette organisation, je citerais simplement quelques chiffres. La Croix-Rouge française, c’est 1 500 000 personnes accueillies et accompagnées ; c’est 55 millions de repas distribués ; c’est un million de personnes formées ou initiées aux premiers secours ; c’est 2 444 000 personnes aidées à l’international.

L’action menée par la Croix-Rouge française pour prévenir et apaiser les souffrances humaines sans aucune discrimination s’articule autour de cinq pôles : l’urgence et le secourisme, l’action sociale, la santé, la formation et la solidarité internationale.

Ainsi, la Croix-Rouge française s’engage notamment à apporter son aide lors des calamités publiques, à diffuser les principes fondamentaux du mouvement et du droit international humanitaire et à exercer une mission de rétablissement des liens familiaux. C’est cette dernière mission, qui n’est peut-être pas la plus connue, mais qui est essentielle, qui nous occupe aujourd’hui.

Elle consiste à maintenir ou à rétablir les liens entre les membres d’une famille et à faire la lumière sur le sort des personnes portées disparues lorsqu’un conflit, une catastrophe naturelle ou d’origine humaine ou toute autre situation ayant une incidence sur le plan humanitaire vient rompre les liens familiaux.

Consacrée par les conventions de Genève de 1949 et par leurs protocoles additionnels, cette mission s’organise autour de quatre activités : rechercher les membres de la famille ; appuyer la démarche de réunification familiale lorsque la Croix-Rouge a retrouvé les proches ; transmettre des nouvelles familiales lorsque tous les autres moyens de communication sont bloqués ou inaccessibles ; enfin, assurer la délivrance de certains documents par le Comité international de la Croix-Rouge, pour faire valoir des droits.

Cette mission essentielle menée par la Croix-Rouge française – madame la secrétaire d'État, vous avez rappelé que quelque 500 dossiers avaient été traités à ce titre l’année dernière – rencontre cependant aujourd’hui deux difficultés essentielles.

La première tient au fait que, depuis deux ans, un nombre croissant de personnes ont dû quitter leur pays pour des raisons humanitaires et ont été séparées de leur famille. Ce fut tout particulièrement le cas en Syrie, en Ukraine, en République démocratique du Congo ou encore en Guinée.

La seconde difficulté est que, jusqu’en 2013, l’État, via les préfectures, participait à cette mission de rétablissement des liens familiaux dans le cadre des recherches dans l’intérêt des familles. Créé à la fin de la Première Guerre mondiale, ce dispositif mettait les outils de la puissance publique au service de particuliers recherchant un membre de leur famille disparu. Malheureusement tombé en désuétude, ce dispositif a fini par être abrogé. La Croix-Rouge est donc aujourd’hui le seul organisme qui mène cette mission de rétablissement des liens familiaux.

Or elle ne dispose d’aucun accès facilité aux données de l’administration et se voit parfois opposer par cette dernière une fin de non-recevoir à ses demandes. Il fallait remédier rapidement à cette situation. C’est l’ambition de cette proposition de loi, qui vise à donner à la Croix-Rouge un accès privilégié à certaines informations détenues par les administrations.

Il faut le rappeler, cette proposition de loi concrétise un engagement de François Hollande. Le Président de la République avait en effet précisé lors du 150e anniversaire de la Croix-Rouge, il y a deux ans, qu’il était soucieux de formaliser par la loi le mandat de la Croix-Rouge française en matière de rétablissement des liens familiaux et de diffusion du droit international humanitaire.

Cet engagement présidentiel s’est vu concrétiser par une proposition de loi déposée à l’Assemblée nationale par les membres du groupe socialiste, républicain et citoyen. Leur initiative doit être saluée, et ce d’autant plus que leur proposition de loi a su faire consensus, au point d’obtenir, le 15 juin dernier, un vote à l’unanimité à l’Assemblée nationale. Je ne doute pas que tel sera également le cas aujourd'hui au Sénat.

Le texte transmis au Sénat introduit trois dérogations au droit actuel, afin que la Croix-Rouge puisse accéder à certaines données de l’administration dans le cadre de sa mission.

La première dérogation permettra à la Croix-Rouge d’obtenir auprès des administrations de l’État, des collectivités territoriales et de leurs établissements publics administratifs, des organismes de sécurité sociale et des organismes qui assurent la gestion des prestations sociales, sur demande écrite et motivée, communication des informations relatives à la personne recherchée figurant dans un document administratif ou dans un traitement de données à caractère personnel, dans la mesure où ces informations sont indispensables à la détermination du sort de la personne recherchée sur le territoire national.

Cette dérogation se fera sous le contrôle de la Commission d’accès aux documents administratifs, la CADA, et il appartiendra aux organismes de décider si les informations demandées sont indispensables à la mission de rétablissement des liens familiaux.

La deuxième dérogation permettra à la Croix-Rouge française de demander directement aux officiers de l’état civil les copies intégrales et extraits des actes dont ils sont dépositaires.

Enfin, la troisième dérogation offrira à la Croix-Rouge française la possibilité de saisir le représentant de l’État dans le département ou le ministre des affaires étrangères, afin de vérifier si une personne est inscrite ou non sur les listes électorales.

Au-delà de ces dérogations techniques, la proposition de loi rappelle le principe d’action de la Croix-Rouge française en matière de rétablissement des liens familiaux, qui impose l’accord écrit, sauf en cas de décès, de la personne intéressée, avant de communiquer les informations recueillies à des tiers.

Pour être parfaitement complet, il doit également être précisé que la commission des lois du Sénat a judicieusement enrichi le texte qui lui avait été transmis, en le rendant applicable aux collectivités d’outre-mer et en ouvrant la possibilité d’accéder aux listes consulaires.