PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Caffet

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

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Dossier législatif : proposition de loi visant à garantir la mixité sociale aux abords des gares du Grand Paris Express
Discussion générale (suite)

Mixité sociale aux abords des gares du Grand Paris Express

Rejet d’une proposition de loi

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à garantir la mixité sociale aux abords des gares du Grand Paris Express
Article unique (début)

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe CRC, de la proposition de loi visant à garantir la mixité sociale aux abords des gares du Grand Paris Express, présentée par M. Christian Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen (proposition n° 467 [2015-2016], résultat des travaux de la commission n° 49, rapport n° 48).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Christian Favier, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. Christian Favier, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avec les membres du groupe communiste républicain et citoyen, j’ai déposé, le 14 mars dernier, une proposition de loi visant à garantir la mixité sociale aux abords des gares du Grand Paris Express.

Nous définissons, par le biais de ce texte, une règle simple : dans toute construction nouvelle de plus de 12 logements ou de plus de 800 mètres carrés de surface habitable et située dans un périmètre de 400 mètres autour des nouvelles gares, la proportion de logements locatifs sociaux devra être, au minimum, de 30 %.

Il ne s’agit pas de chambouler les normes existantes, puisque cet objectif de 30 % de logements sociaux est déjà affirmé par le schéma directeur de la région Île-de-France, le SDRIF, approuvé par l’État et la région.

Nous proposons simplement de resserrer cette obligation sur un périmètre aux enjeux spécifiques et dans un contexte particulier de reconstruction de « la ville sur la ville ».

Cette proposition de loi arrive à point nommé. Les travaux du premier kilomètre du Grand Paris Express ont été inaugurés le 4 juin dernier à Clamart, sur la ligne 15 sud, lançant ce projet de transport inédit qui ouvre de nouvelles mobilités de banlieue à banlieue.

Ce projet structurant de 200 kilomètres, 4 nouvelles lignes, 68 gares, 22 milliards d’euros d’investissement, duquel découleront 10 000 à 15 000 emplois directs par an, va changer profondément l’image de la métropole et de la région, comme en leur temps les grands travaux du baron Haussmann.

Ce projet entraîne donc une refonte très importante des politiques d’aménagement à tout niveau. La Société du Grand Paris, la SGP, s’est d’ailleurs vu confier un rôle d’aménageur.

Or, au-delà des questions institutionnelles, l’intérêt de cette métropolisation reste encore extrêmement flou pour bon nombre de nos concitoyens, qui ont du mal à saisir en quoi ces changements pourront leur être favorables.

Ces questionnements sont légitimes. En effet, alors que le droit à la mobilité sera, à l’évidence, renforcé par le Grand Paris Express, aucune assurance n’est donnée aujourd’hui sur la nature du développement urbain, qui accompagnera l’arrivée de ces gares. Cette question est laissée à la seule appréciation de la Société du Grand Paris et des élus, notamment dans le cadre des contrats de développement territorial.

Nous nous retrouvons, de fait, face à un paradoxe : une offre nouvelle de mobilité pourrait, par un renchérissement des prix de l’immobilier, contraindre à l’éloignement les catégories populaires, celles qui prennent justement le métro tous les jours. Prenons garde, ce projet contient donc intrinsèquement les germes de nouvelles ségrégations urbaines et sociales.

Or nous estimons qu’il est du ressort du législateur de définir les règles communes, qui permettront d’éviter ces écueils et de soumettre ce développement urbain à l’intérêt général. C’est l’objet de cette proposition de loi.

La situation n’est pas la même partout, à Aulnay-sous-Bois ou à Bagneux, à Créteil ou à Issy-les-Moulineaux. L’offre de logements n’est pas uniforme, certaines villes se plaçant en garantes du droit au logement, tandis que d’autres n’en font pas – pour le moins… – leur priorité. Les populations aussi sont diverses, et certaines des gares en cause sont situées dans des quartiers prioritaires de la politique de la ville.

Pour autant, nous considérons que les enjeux restent fondamentalement identiques. Comment cette nouvelle offre de transports va-t-elle s’articuler avec de nouveaux services pour les Franciliens ? Comment faire en sorte que les opérations d’aménagement urbain soient une opportunité pour répondre à la crise du logement et au besoin de renforcement du vivre ensemble ? Comment éviter de repousser toujours plus loin du centre urbain les populations les plus fragiles ? Finalement, comment construire une métropole inclusive et non ségrégative ?

Si, aujourd’hui, certaines villes disposent déjà d’un fort taux de logements sociaux, il n’est pas assuré que les nouveaux projets permettront aux habitants de rester sur place.

La situation de La Courneuve a été citée lors de l’examen du texte en commission. La rapporteur s’est félicitée de la nature des projets sur ce territoire, notamment de leur diversité, projets qui assurent, selon elle, l’équilibre financier l’opération. Or la question n’est pas seulement financière, elle est également sociale !

Je vous rappelle d’ailleurs que, précisément à La Courneuve, le taux de demandeurs de logement reste élevé, avec 2 600 demandes non satisfaites, et que seules 485 attributions se font chaque année, tout cela malgré le fort taux de logements sociaux et la volonté municipale.

Les projets urbains des villes considérées, adossés à l’arrivée des nouvelles gares, doivent donc contribuer à répondre à la demande sociale dans sa diversité.

Pourquoi ne pas conjuguer des parcours résidentiels variés, alliant accession sociale et offre locative sociale ? Avec un taux de 30 %, nous proposons un équilibre permettant justement, pour les 70 % restants, de produire une offre différente de logements : locatif privé, accession sociale…

Nous avons, initialement, exclu les logements financés par le biais du PLS – le prêt locatif social – du décompte des 30 %, en raison du montant des loyers, mais nous sommes prêts à modifier notre proposition de loi pour les y réintégrer, si cela pouvait conduire à l’adoption de ce texte.

Fondamentalement, nous estimons que les élus doivent avoir les moyens, y compris légaux, de protéger leur ville de l’appétit des promoteurs pour assurer les équilibres sociaux et territoriaux. Or les collectivités, du fait notamment de la réduction du financement des politiques publiques et de la baisse des dotations, encore accentuées dans le cadre du projet de loi de finances pour 2017, voient leurs capacités d’intervention limitées, notamment au travers d’outils comme la préemption ou la création de zones d’aménagement concerté.

Que certains territoires ou villes, comme Plaine Commune, Bagneux, ou encore Vitry-sur-Seine, aient pu aller plus loin, en imposant aux promoteurs une charte anti-spéculation, démontrant par là même qu’il est possible de sortir de terre des logements à des prix abordables, quelle gageure ! Nous regrettons d’ailleurs que le préfet de région refuse ces démarches utiles et nécessaires.

On nous parle aujourd’hui du rôle que pourrait tenir le « grand établissement public foncier » pour réguler et aider la production de logements sociaux. Nous sommes favorables à cette mesure, mais cet établissement ne fait que du portage pour les collectivités. Il faut donc une demande de la part de celles-ci. Or certains maires, à l’instar de la nouvelle majorité régionale, veulent profiter de ces mutations urbaines pour transformer la population et l’image de la ville, où les promoteurs sont accueillis à bras ouverts, afin de chasser les classes populaires.

Une telle attitude est consternante, alors que l’on dénombre plus de 672 000 demandes de logement social en Île-de-France pour seulement 82 418 attributions par an, soit un logement attribué pour huit demandes. À l’échelle de l’Île-de-France, l’ancienneté moyenne des demandes est de 31 mois !

Ainsi, construire des logements sociaux dans les centres urbains, donc dans le périmètre des gares qui deviendront, si elles ne le sont pas déjà, des centres urbains, est un enjeu fondamental pour faire respecter les droits de nos concitoyens.

D’ailleurs, la loi relative au Grand Paris comporte elle-même l’objectif de 70 000 constructions nouvelles par an, lequel est également affirmé par le SDRIF. Pour autant, cet objectif n’est toujours pas atteint !

Il est par conséquent indispensable que le développement urbain autour des gares contribue à répondre à la crise du logement. Il s’agit également d’une opportunité pour engager un nécessaire rééquilibrage entre l’Est et l’Ouest en matière d’offre de logements, alors que, aujourd’hui, les bureaux sont plutôt situés à l’Ouest et les logements à l’Est (Mme la rapporteur exprime sa perplexité.), cette situation entraînant des déplacements entre le domicile et le travail bien trop importants.

Enfin, nous soulignons, depuis de nombreuses années, les risques spécifiques liés à la spéculation foncière en zone très dense. La construction de ce réseau, qui induit l’urbanisation de territoires couvrant une surface égale à quatre fois la taille de Paris, est une occasion unique pour lutter contre ces phénomènes spéculatifs.

Dans le seul département du Val-de-Marne, le Grand Paris Express irriguera dix gares et un million de mètres carrés de surface habitable devraient être construits. Chaque fois que la puissance publique maîtrise le développement urbain, alors la spéculation immobilière recule. Nous devons aujourd’hui prendre toutes nos responsabilités pour l’avenir de ces territoires.

Certes, les études actuelles de l’observatoire régional du foncier ne démontrent pas, à ce stade, une envolée des prix. La raison en est simple : les travaux, qui viennent de s’engager, génèrent surtout des désagréments… Mais c’est bien pour cela qu’il faut agir dès maintenant et anticiper !

Car, comme le reconnaît Benoît Labat, directeur de la valorisation et du patrimoine de la Société du Grand Paris, la construction des gares va accroître, à long terme, l’attractivité de leur quartier d’implantation.

Selon une étude menée par la Société du Grand Paris et rendue publique le 10 mai dernier, le Grand Paris Express permettrait la construction de 250 000 à 400 000 logements dans un rayon de 800 mètres autour des gares. Nous demandons simplement que, sur ces 15 000 logements par an, 4 500 soient des logements sociaux. Cette proportion est très raisonnable.

Trop souvent, à l’occasion de grandes mutations, les couches populaires ont été rejetées à la périphérie des centres urbains. Il ne faut pas que l’histoire se répète ! La métropole qui se construit maintenant doit être à l’image de la richesse de cette région, richesse par la diversité de sa population, diversité par la mixité des usages et des cultures.

L’arrivée d’une nouvelle gare doit donc être une opportunité pour développer les infrastructures de services publics, les emplois, les espaces publics et les logements qui répondront à la demande des habitants. Or nous le savons, 71 % des ménages demandeurs de logements sociaux ont des ressources inférieures aux plafonds du prêt locatif aidé d’intégration, le PLAI.

Ces problématiques ont nécessairement été traitées au sein des contrats de développement territorial, lesquels ne sont toutefois que très peu prescriptifs dans les faits. Sans compter que, dans les territoires qui n’ont pas de tels contrats, la maîtrise de l’aménagement est laissée à la seule Société du Grand Paris.

Nous souhaitons par conséquent sécuriser par la loi, et non dans un simple cahier des charges, la définition d’une règle commune pour garantir un droit constitutionnel : le droit au logement.

Nous voulons ainsi assurer la présence de logements accessibles dans toutes les opérations de construction immobilière liées au Grand Paris Express, afin de répondre concrètement aux besoins des Franciliens et à l’exigence du droit à la ville pour tous. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à Mme la rapporteur.

Mme Sophie Primas, rapporteur de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le Grand Paris est un projet urbain, social et économique qui touche à de multiples domaines, dont le logement. Il s’appuie sur la création d’un réseau de transport public de voyageurs – le Grand Paris Express – qui comprend 68 gares et sur des contrats de développement territorial.

En matière de logement, la loi relative au Grand Paris a fixé un objectif de construction de 70 000 unités. La répartition territoriale de ces constructions a été précisée dans les documents de planification ou de contractualisation.

Le schéma directeur de la région d’Île-de-France a été modifié en conséquence et a fixé la part de logements sociaux à atteindre, sur le parc, à 30 % d’ici à 2030.

Le schéma régional de l’habitat et de l’hébergement – SRHH – est, quant à lui, chargé de répartir plus finement l’effort de production de logements, y compris de ceux qui relèvent du secteur social, pour chaque EPCI.

Les contrats de développement territorial doivent également concourir à la réalisation de cet objectif.

En outre, au regard des enjeux liés aux emprises foncières qui pourraient se libérer et être utilisées pour construire des logements sociaux autour des gares considérées, la loi relative au Grand Paris précise que, dans les communes soumises aux obligations de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, ou loi SRU, les actions ou opérations d’aménagement et les projets d’infrastructures prévus autour de ces gares doivent comporter la réalisation de logements sociaux pour contribuer à l’atteinte des objectifs de construction.

J’en viens aux dispositions qui sont proposées dans le texte que nous examinons.

Il s’agit, en premier lieu, d’affirmer explicitement que les contrats de développement territorial contribuent à l’objectif de mixité sociale.

Mes chers collègues, c’est bien ce qui ressort des dispositions en vigueur : elles prévoient que ces contrats doivent concourir à la construction de logements « géographiquement et socialement » adaptés et qu’ils doivent indiquer le nombre de logements et le pourcentage de logements sociaux à réaliser sur les territoires concernés. Les ajouts proposés ne nous paraissent donc pas nécessaires.

Je souhaite surtout insister sur la seconde proposition qui nous est soumise, à savoir obliger toute opération de construction d’immeuble collectif de plus de 12 logements ou de plus de 800 mètres carrés de surface de plancher, se situant dans un périmètre de 400 mètres autour des gares nouvelles du Grand Paris, à comprendre au moins 30 % de logements locatifs sociaux, hors logements financés avec un prêt locatif social.

Si je peux comprendre les craintes de mes collègues quant à une éventuelle spéculation foncière ou au risque de ne construire, dans ces périmètres, que des logements haut de gamme ou des bureaux, il me semble, cependant, que la réponse proposée n’est pas adaptée et pourrait même, dans certains cas, produire l’effet inverse de celui qui est recherché.

Tout d’abord, le dispositif envisagé est très contraignant. Très proche de celui qui est prévu pour les communes carencées en application de la loi SRU, il s’en distingue néanmoins sur deux aspects.

D’une part, il ne différencie pas les périmètres des gares du Grand Paris Express situés dans une commune carencée des autres. De fait, il conduit à appliquer à tous les quartiers autour de ces gares des dispositions actuellement prévues, à titre de sanction, pour les communes carencées.

D’autre part, ce dispositif ne reprend pas la possibilité pour l’État de déroger à cette règle, sur demande motivée de la commune, afin de tenir compte de la typologie des logements situés à proximité de l’opération. Il conduit donc à une différence de traitement entre quartiers d’une commune carencée : dans le périmètre des gares, la commune ne pourra pas tenir compte de la typologie des logements situés à proximité de l’opération, tandis qu’elle pourra le faire sur le reste de son territoire.

En ne permettant aucune dérogation, le dispositif proposé pourrait, dans certains cas, se révéler contraire à l’objectif poursuivi par mes collègues et ne pas favoriser la mixité sociale, que nous appelons tous de nos vœux.

En effet, seuls 25 périmètres de gare comptent moins de 25 % de logements sociaux. Dans les autres, le taux varie entre 25 % et 83 %. Ainsi, la mesure suggérée amènerait à augmenter le nombre de logements sociaux dans le périmètre des gares dans lequel le nombre de logements sociaux est déjà très élevé, comme autour de la gare d’Aulnay-sous-Bois qui compte 83 % de logements sociaux, ou de celle du Vert de Maisons, qui en compte 59 %.

De même, les dispositions de la proposition de loi conduiraient à augmenter le nombre de logements sociaux à l’intérieur du périmètre de gares situé dans des quartiers prioritaires de la politique de la ville ou à proximité. Tel serait le cas des gares de Clichy-Montfermeil et de Chevilly « Trois communes ».

Or la présence de ces gares à proximité de quartiers prioritaires de la politique de la ville est une chance pour désenclaver ces quartiers. Ajouter de nouveaux logements sociaux, en particulier des logements financés par des prêts locatifs aidés d’intégration et des prêts locatifs à usage social ayant vocation à accueillir les demandeurs aux revenus très modestes, est en contradiction avec l’objectif de mixité sociale, donc avec le titre même de la présente proposition de loi… Il me semble, au contraire, que la construction de logements locatifs intermédiaires ou en accession sociale à la propriété doit être privilégiée dans ces zones.

En outre, la mesure proposée pourrait ne pas permettre la réalisation de logements. En effet, lorsque la Société du Grand Paris est maître d’ouvrage, l’opération foncière doit être équilibrée sur le plan financier. Ses représentants m’ont donné l’exemple du projet de construction de 120 logements à La Courneuve, qui ne verrait pas le jour, si cette disposition était adoptée.

Par son caractère uniforme, cette mesure est en contradiction avec les dispositions en vigueur, qui privilégient l’adaptation aux réalités locales par le biais du SDRIF, du SRHH et des contrats de développement territorial.

Les élus connaissent leur territoire et sont donc les mieux à même de proposer des aménagements urbains, qui permettront de garantir la mixité sociale. Les choix opérés par trois communes pour des opérations en cours de réalisation autour de leur gare le montrent clairement. Ainsi, à Créteil, la commune a choisi de ne pas construire de logements sociaux dans ce périmètre ; à Bagneux, la commune a préféré privilégier l’accession sociale maîtrisée à la propriété et limiter le taux de logements sociaux à 20 % ; enfin, à Issy-les-Moulineaux, une opération mixte de logements privés et sociaux a été décidée, la commune n’ayant pas atteint le taux requis de logements sociaux.

S’il est vrai que nous n’atteignons pas encore l’objectif de 70 000 logements, je ne pense pas toutefois que la disposition proposée par mes collègues soit une solution adaptée.

Cependant, nous devons rester attentifs à deux aspects : la construction de bureaux et les phénomènes de spéculation foncière.

Bien que la mixité sociale et fonctionnelle, c’est-à-dire la création de bureaux et de logements, soit régulièrement appelée de nos vœux, nous devons en surveiller les effets. Les représentants de la Société du Grand Paris m’ont indiqué être attentifs aux projets de construction de bureaux dans les périmètres des gares du Grand Paris Express. Il s’agit d’éviter des effets de vases communicants entre villes d’Île-de-France qui conduiraient à édifier des bureaux sans considération des besoins, et par conséquent à créer de la vacance sur d’autres sites.

Par ailleurs, mes collègues ont mis en avant la question de la spéculation foncière dans les périmètres de ces gares. C’est une question légitime, qu’ont d’ailleurs soulevée les membres du comité stratégique de la Société du Grand Paris qui regroupe notamment les maires de toutes les communes desservies par le futur réseau de transport.

Pour répondre à leur demande, un observatoire chargé d’analyser les variations des prix de tous les types de biens fonciers et immobiliers aux abords des gares du Grand Paris Express a été mis en place, afin que les élus, les décideurs et le public puissent disposer d’informations régulières sur l’évolution des valeurs foncières et immobilières dans ces quartiers.

Les premiers résultats de cette analyse révèlent que le projet du Grand Paris Express n’a pas influé, pour le moment – j’en suis bien d’accord ! –, sur le prix des transactions. Je souligne tout de même qu’assez peu de propriétaires habitent ces quartiers et sont donc concernés par la gêne liée aux travaux, dont M. Favier a parlé.

J’ajoute que l’établissement public foncier d’Île-de-France a élaboré une nouvelle stratégie, par laquelle il s’engage à augmenter de 25 % ses acquisitions, en priorité autour des grands projets d’infrastructures comme le Grand Paris Express, et à vendre, désormais, les terrains acquis à prix coûtant, ce qui devrait en particulier contribuer à maîtriser la spéculation foncière dans les périmètres des gares du Grand Paris Express.

Mes chers collègues, pour l’ensemble des raisons que je viens d’évoquer, la commission des affaires économiques vous propose de ne pas adopter la proposition de loi qui nous est soumise aujourd’hui.

Mme Éliane Assassi. C’est bien dommage !

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Emmanuelle Cosse, ministre du logement et de l'habitat durable. Monsieur le président, madame la rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais, avant toute chose, vous dire l’importance que revêt, à mes yeux, le sujet dont nous traitons ce jour et vous remercier de contribuer, à travers cette proposition de loi, à en assurer la présence au cœur du débat public.

Favoriser la mixité dans l’ensemble des territoires, y compris les cœurs urbains, à rebours des logiques de ségrégation qui minent la cohésion sociale dans notre pays, est, vous le savez, un objectif prioritaire du Gouvernement. Et parce que les politiques du logement et de l’aménagement sont des leviers majeurs pour y parvenir, c’est un axe essentiel de mon action, en tant que ministre du logement et de l’habitat durable.

Cet objectif, nous le partageons et il appelle, plus que jamais, notre mobilisation commune.

La mixité sociale est toujours un combat, puisqu’elle se heurte, au final, aux intérêts de celles et ceux qu’animent la tentation de l’entre-soi, comme de la spéculation foncière. Et elle l’est plus que jamais aujourd’hui, comme nous avons pu le constater lors de la récente discussion dans cette enceinte du projet de loi Égalité et citoyenneté et comme le laissent augurer certaines propositions qui sont faites en la matière en ce moment…

Ce combat, je continuerai de le mener et je sais gré à toutes les bonnes volontés qui s’y engagent.

Je suis d’autant plus heureuse de débattre avec vous aujourd’hui de ce point que la présente proposition de loi porte sur l’aménagement du Grand Paris, un sujet qui m’est cher et que je connais tout particulièrement en tant qu’élue de ce territoire. Avec un certain nombre d’entre vous, je soutiens, depuis longtemps, le désenclavement, comme l’amélioration de l’accès à des transports publics de qualité.

Le Grand Paris constitue, vous le savez, un territoire qui joue un rôle très important à l’échelon national, mais dont les déséquilibres internes sont très forts, en particulier en matière de richesse, d’enclavement ou d’activité économique, autant d’enjeux stratégiques en termes de mixité sociale.

Le texte que le Sénat examine ce jour vise ainsi à modifier la loi relative au Grand Paris, afin d’imposer, dans toute construction nouvelle de plus de 12 logements ou de plus de 800 mètres carrés de surface de plancher située dans un périmètre de 400 mètres autour des gares, une proportion de logements locatifs sociaux d’au moins 30 %.

S’agissant, comme je l’ai dit, d’un objectif partagé et d’un enjeu stratégique, il nous revient, plus que jamais, de mener notre travail d’élaboration de la loi au regard d’un critère principal : la proposition de loi dont nous débattons permettra-t-elle de faire mieux au service de cet objectif ? Est-elle utile au regard de l’arsenal législatif existant ? Est-elle pertinente du point de vue de ses modalités et efficace au regard des spécificités de son champ d’application ? C’est au prisme de cette grille d’analyse que je veux l’examiner avec vous.

Comme vous le savez, la loi du 3 juin 2010 définit le Grand Paris comme un « projet urbain, social et économique d’intérêt national qui […] promeut le développement économique durable, solidaire et créateur d’emplois de la région capitale. »

Toujours aux termes de cette loi, « ce projet s’appuie sur la création d’un réseau de transport public de voyageurs, dont le financement des infrastructures est assuré par l’État.

« Ce réseau s’articule autour de contrats de développement territorial définis et réalisés conjointement par l’État, les communes et leurs groupements. Ces contrats participent à l’objectif de construire chaque année 70 000 logements géographiquement et socialement adaptés en Île-de-France et contribuent à la maîtrise de l’étalement urbain. »

L’exposé des motifs de votre proposition de loi, monsieur Favier, rappelle vos inquiétudes et incertitudes quant à la réalisation de cet objectif de 70 000 logements par an. Je profite de notre débat pour vous rassurer sur ce point, car cet objectif a été atteint cette année, pour la première fois. En effet, à la fin février et sur les douze mois précédents, 75 000 logements ont été autorisés en Île-de-France.

Par ailleurs, un objectif élevé a été fixé en termes de logements sociaux et le schéma directeur de la région d’Île-de-France l’a effectivement intégré : il s’établit à 30 %. En 2015, cet objectif a été atteint, puisque 30 101 logements sociaux ont été agréés.

Je peux aussi vous annoncer que nous dépasserons les objectifs cette année, en ce qui concerne tant les 70 000 logements construits que la part de logements sociaux. En la matière existe en Ile-de-France une forte dynamique.

Je partage pleinement, vous le savez, l’objectif de production de logements abordables et accessibles à tous sur l’ensemble des territoires, notamment en Île-de-France, région qui connaît des phénomènes de cherté, de spéculation et, in fine, de grandes difficultés en matière d’accès au logement.

C’est pour cela que le SDRIF comme le futur schéma régional de l’habitat et de l’hébergement comportent des engagements liés à la territorialisation des politiques du logement, en particulier en faveur de logements abordables.

Or, à la lecture de la présente proposition de loi et si l’on considère la notion de « quartier de gare », il me semble que le périmètre adéquat, qui est d’ailleurs utilisé par l’observatoire des quartiers de gare du Grand Paris, est celui de 800 mètres, plutôt que celui de 400 mètres.

En outre, si l’on regarde de plus près le périmètre de chaque future gare du Grand Paris Express, on s’aperçoit très vite que nombre de ces territoires sont déjà très bien dotés en logements sociaux (Mme la rapporteur approuve.) et sont même parfois des lieux de concentration de tels logements.

Et, vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, parmi les futures gares, nombreuses sont celles qui seront installées sur des stations existantes, donc sur des territoires déjà bâtis. En effet, le tracé du Grand Paris Express et la localisation des nouvelles gares ont aussi été pensés pour désenclaver des quartiers d’habitat social, souvent dépourvus de transports publics rapides et de qualité. C’est justement ce qui a motivé la décision d’implanter des gares dans ces quartiers.

Permettez-moi de rappeler également que nombre de gares du Grand Paris Express seront implantées au cœur de quartiers prioritaires de la politique de ville qui bénéficient souvent d’un programme de rénovation urbaine. Je pense notamment aux gares de Clichy-Montfermeil, du Vert de Maisons, de Bagneux, de Sevran-Beaudottes, ou encore d’Aulnay-sous-Bois.

Je pose alors une question simple : doit-on continuer à construire plus de logements sociaux dans ces quartiers ou doit-on tendre vers un objectif de mixité sociale à l’échelle francilienne ?

De même, on s’aperçoit, à l’étude de ces quartiers de gare, que, lorsqu’il y a peu de logements sociaux, cela tient le plus souvent à la présence d’équipements spécifiques. Je pense en particulier aux zones aéroportuaires de Roissy et du Bourget et aux universités et écoles autour des gares de Noisy-Champs ou de Saclay. Que pourrait signifier une obligation de construire, dans un certain périmètre autour de toutes les gares, un minimum de logements sociaux ?