M. Philippe Bas, président de la commission des lois. C’est bien de le dire !

Mme Esther Benbassa. Or justement, notre commission de suivi affirmait, en juin dernier, que « la menace terroriste étant devenue permanente dans notre pays, et qu’il appartient aux autorités judiciaires et administratives de la combattre avec les outils de droit commun, qui ont été considérablement renforcés avec la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement et la loi du 3 juin 2016 sur la lutte contre le terrorisme ». Voilà qui est clair !

Permettez-moi, mes chers collègues, pour conclure, de faire miens les mots de Mme Françoise Dumont, présidente de la Ligue des droits de l’homme, la LDH, dans son appel aux parlementaires : la France est confrontée, comme d’autres pays, à des attaques terroristes répétées et elle se doit d’assurer sa protection, celle de ses enfants, celle de son l’État de droit et celle de sa démocratie.

Nous en sommes profondément convaincus, les trois sont inséparables. La sécurité stricto sensu ne saurait emporter les deux autres. D’autant moins quand on a peu à offrir par ailleurs sur le partage des richesses ou sur le progrès des libertés.

Et c’est précisément notre détermination à défendre la démocratie, les droits et les libertés qui nous fait penser que la lutte contre le terrorisme passe avant tout par le développement de moyens humains et matériels adaptés pour les services publics de la police et de la justice, par une coopération de ces moyens à l’échelle européenne et par une dynamique de règlement des conflits à l’échelle internationale.

Allons-nous de nouveau voter majoritairement pour cette prorogation par discipline de parti ? Ou parce que l’état d’urgence s’est banalisé dans nos esprits, au point que nous la voterons sans vraiment y penser, sans songer à toutes ses conséquences possibles pour l’avenir ? L’état d’urgence n’a pourtant rien d’anodin.

Au groupe écologiste, quatre de mes collègues et moi-même voterons contre ce projet de loi, trois s’abstiendront et deux voteront pour. (M. Jean Desessard applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Alain Richard.

M. Alain Richard. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous sommes confrontés, du fait d’une circonstance politique, au choix de mettre fin à l’état d’urgence ou d’en décider la prolongation.

Ce choix, nous avions, de toute façon, à le faire au mois de janvier, et il se présente dans des conditions similaires.

Quel est le bilan de la situation ? Nous avons de multiples indications sur la persistance du risque. De nombreuses situations de préparatifs d’attentats qui auraient pu de nouveau déclencher de nouveaux meurtres de masse ont été identifiées. La réalité, mes chers collègues, est celle-là, et nous ne pouvons pas l’esquiver !

Des enquêtes judiciaires ont été engagées là où les faits criminels étaient déjà avérés. Et aux collègues qui se posent la question du lien entre les effets de l’état d’urgence et les enquêtes judiciaires actuellement engagées contre des auteurs de préparatifs d’attentats, je voudrais renvoyer la question : pensent-ils vraiment que ces préparatifs d’attentats ont été détectés sans aucun moyen de renseignement ni de surveillance ? (Mme Éliane Assassi s’exclame.) Croyons-nous vraiment que la justice ou la police judiciaire a pu identifier les auteurs de préparatifs d’attentats par le simple effet d’un hasard bienheureux ? (Mme Éliane Assassi s’exclame de nouveau.)

Pardon, mais il me paraît quand même dicté par le bon sens de constater que les moyens de prévention – et il revient à l’État d’assurer la prévention du terrorisme – ont permis l’interruption de ces projets. Agir ainsi, c’est le devoir de l’État, dont nous faisons partie.

Bien sûr, la prévention comporte ce que j’appellerai, pour simplifier, la prévention profonde, qui recouvre le travail sur les marginalisations et sur la radicalisation. Or nous sommes obligés de constater – parce que le fait s’impose à nous, en tant que responsables politiques – que l’état d’urgence comporte des outils utiles de prévention des actes terroristes.

Confrontés à la question de son renouvellement pour les sept mois qui viennent, la réponse que nous devons apporter, c’est, à mon sens, que les conditions légales de ce renouvellement sont réunies et que sa nécessité pour assurer la sécurité des Français est démontrée. D’autant plus dans les circonstances qui seront celles du premier semestre 2017. À cette période, les rendez-vous de la vie démocratique vont se traduire par de nombreuses formes de rassemblements qui seront repérés par les auteurs de préparatifs terroristes et auxquels ils chercheront à s’attaquer. Pensons-nous vraiment qu’il n’y a pas de risque à cet égard ?

L’état d’urgence, je veux y insister, comporte deux outils efficaces de prévention des actes de terrorisme : d’abord, les perquisitions administratives ciblées, qui viennent en soutien de la recherche de renseignement. Peut-être n’était-ce pas vrai au cours des premières semaines, mais les nouvelles perquisitions qui sont actuellement décidées par le renseignement intérieur et par la police le sont évidemment sur la base de renseignements. Les perquisitions administratives ciblées permettent, notamment par l’exploitation des données numériques des intéressés, de confirmer le renseignement disponible et, donc, de détecter des préparatifs terroristes.

Ensuite, l’assignation à résidence, du fait qu’elle limite les contacts entre les personnes repérées comme nourrissant des projets terroristes, permet de soulager les services de renseignement en les dispensant d’une lourde charge de surveillance permanente.

Dans la situation de risque que nous connaissons aujourd'hui, ce sont donc de bons motifs de poursuivre l’application de l’état d’urgence ; elle donne des possibilités de détecter à temps des activités préparatoires au terrorisme. Puisque ce sujet donne lieu à débat entre familles politiques, je veux dire mon sentiment : je ne crois pas que le renoncement à ces outils permettant de prévenir des attaques terroristes dont le risque est élevé contribuerait à une démocratie plus pacifique. Si au contraire nous augmentons, par défaut de surveillance et de prévention, le risque terroriste, je ne crois pas que nous créerons une démocratie apaisée.

Nous allons donc prolonger, c’est vrai, un état juridique par nature temporaire, qui, aux termes d’une analyse purement juridique – cela a été dit par le président Mézard – est effectivement un état d’exception, mais un état d’exception très tempéré.

M. Alain Richard. Il n’y a que des mesures administratives qui sont étroitement listées par le législateur ; il y a l’encadrement par la loi ; il y a un contrôle effectif de la juridiction administrative sur chacun de ces actes si elle est saisie ; et il y a un contrôle parlementaire actif. Je veux à mon tour remercier notre rapporteur et chef de file Michel Mercier pour le travail qui est fait, nos collaborateurs de la commission des lois et le Gouvernement qui apporte une contribution très positive.

En outre, ce projet de loi comporte une nouvelle limitation qui, je crois, résulte d’un esprit d’équilibre qui était nécessaire : ne pas prolonger l’assignation à résidence au-delà d’une certaine limite de temps. En effet, si l’assignation à résidence dépassait une durée raisonnable, elle aurait le caractère d’une mesure privative de liberté, qui devrait par conséquent être consentie sur un motif pénal par un juge judiciaire.

Il nous reste le sujet pour l’avenir et chacun, et bien entendu d’abord vous, monsieur le ministre, a la mission d’y réfléchir pour le rendez-vous de juillet 2017 : est-il possible que les deux outils de prévention que sont la perquisition administrative ciblée et l’assignation à résidence dans un cadre surveillé par la loi puissent devenir des outils permanents, uniquement bien sûr fondés sur la prévention du risque terroriste caractérisé ? Selon moi, passer d’un système dans lequel on a un état global à durée limitée à des mesures de contrôle centrées sur la finalité de la prévention antiterroriste est une piste qu’il faut explorer, évidemment en s’entourant de tous les conseils juridiques, de manière que cette disposition permette de sortir de l’état d’urgence sans se priver de mesures administratives dont nous savons la nécessité.

Puisque nous allons voter cette prorogation à une large majorité, me semble-t-il, c’est le moment de saluer la forte mobilisation de tous les services engagés dans la lutte contre le terrorisme et la détermination du Gouvernement à renforcer leurs moyens pour faciliter la motivation du personnel. En nous rassemblant à leurs côtés, nous, sénateurs, sommes tout simplement décidés à prendre tous les moyens, et c’est notre responsabilité, pour la défense de la République et de ses citoyens ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Bas.

M. Philippe Bas. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, depuis l’attentat de Charlie Hebdo, la menace terroriste atteint en France un niveau sans précédent depuis la guerre d’Algérie. Avant de songer à sortir de l’état d’urgence, nous devons continuer à nous mobiliser pour sortir du terrorisme.

Le Sénat a pris toute sa part dans le combat contre ce fléau en donnant aux forces de sécurité et à la justice les moyens d’une plus grande efficacité. Je veux à mon tour rendre hommage à leur travail harassant.

Il a été à l’origine d’une grande partie des dispositions législatives qui ont donné des armes supplémentaires à l’État pour endiguer cette menace terroriste, tout en apportant les garanties et en fixant les limites nécessaires au respect de l’État de droit . Ce fut le cas pour la loi sur le renseignement, pour la loi du 3 juin dernier sur la lutte contre la criminalité organisée, qui reprend la principale disposition de la proposition de loi que nous avions adoptée dès le mois de février. Ce fut également le cas pour l’élargissement des pouvoirs de l’État dans le cadre de l’état d’urgence.

Les précédents orateurs et vous-même, monsieur le ministre, avez si bien exprimé l’horreur que nous inspirent les actes criminels qui ont endeuillé nos familles et notre patrie que je n’ose y revenir à mon tour, si ce n’est pour dire qu’aucune religion du Livre ne peut, en aucun cas, jamais, justifier une telle barbarie.

Ce n’est pas contre l’islam que nous luttons, car nous ne sommes pas les apôtres de l’antagonisme irréductible entre civilisations, nous luttons contre une idéologie criminelle et mortifère, inhumaine et même imbécile et contre tous ceux qui s’en réclament. Cette idéologie a un nom, le totalitarisme islamique, qui ne peut en aucun cas s’autoriser de la liberté religieuse.

Naturellement, le mal doit d’abord être combattu à la racine, au Proche-Orient, là où des hordes de soldats armés se sont emparées de villes et de territoires entiers, y sèment la terreur, entraînent des combattants venus du monde entier, prennent le contrôle des richesses et battent monnaie.

La diplomatie française, au cours des dernières années, n’a pas assez subordonné son action à cette exigence primordiale. Ses priorités doivent être profondément revues. Il n’y a pas d’impératif diplomatique supérieur à celui-ci, tout doit s’y rapporter dans nos relations avec les grands pays qui ont un rôle à jouer pour éradiquer le mal absolu qu’est le terrorisme, y compris la Russie, bien sûr.

Le mal prospère aussi sur notre propre territoire, où il a des causes exogènes, mais aussi des causes endogènes. Nous ferions bien de nous inquiéter davantage de celles-ci en forgeant de nouvelles réponses préventives et éducatives.

Toutefois, la dimension de l’action proprement sécuritaire, celle de la police et de la justice, demeure pour longtemps essentielle.

La prolongation de l’état d’urgence s’inscrit dans ce cadre. Elle est conforme à cette exigence. Nous ne pouvons actuellement baisser la garde. D’une part, parce que la menace reste culminante – et les informations qui nous sont données l’attestent –, nous ne pouvons donner aujourd'hui aux Français le signe d’un relâchement de la vigilance des pouvoirs publics, et je veux même dire que nous ne pouvons pas donner à nos concitoyens le signe d’un relâchement de leur propre vigilance, car la sécurité est l’affaire de tous.

De nouveaux moyens sont d’ailleurs donnés à l’État depuis la dernière prorogation de l’état d’urgence, c’est-à-dire la loi du 21 juillet 2016. Ils donnent un regain d’efficacité à l’état d’urgence. Les résultats nous en ont d’ailleurs été présentés par M. le ministre et par notre rapporteur.

J’avais saisi le Gouvernement, voilà quelques semaines, d’une question essentielle, celle de la continuité de l’état d’urgence pendant la période comprise entre l’élection présidentielle et les élections législatives. C’est à mes yeux un devoir d’État de prévoir que l’état d’urgence ne sera pas interrompu par les démissions du Gouvernement consécutives à l’élection présidentielle et aux élections législatives. Le Sénat a obtenu satisfaction sur ce point ; j’en donne acte au Gouvernement.

Par ailleurs, le Conseil d’État a souhaité que le Gouvernement limite, dans son projet de loi, la durée des assignations à résidence. Aux termes de la version initiale du texte, il n’aurait été permis de prolonger les assignations à résidence au-delà de 15 mois que dans le cas où des faits nouveaux le justifieraient. Il nous a semblé – notre rapporteur, Michel Mercier, a très vite pris la mesure de cette question – que cette proposition du Gouvernement ne pouvait être retenue en l’état, car beaucoup de personnes assignées à résidence, sans que des faits nouveaux aient pu être établis à leur encontre, continuent à être dangereuses ; l’assignation à résidence contribue à leur surveillance et à empêcher qu’elles ne passent aux actes. Le Gouvernement nous a entendus et l’Assemblée nationale a adopté une formule, inspirée par notre rapporteur, qui concilie la protection des libertés avec les exigences de la sécurité face au risque terroriste. Je m’en réjouis.

Le moment n’est pas venu de sortir de l’état d’urgence.

M. Philippe Bas. Cette prorogation nous laissera le temps de réfléchir aux conditions dans lesquelles cela sera possible.

Mme Éliane Assassi. On l’a déjà dit la dernière fois !

M. Philippe Bas. En tout cas, je ne crois pas que, pour en sortir, il soit souhaitable de rendre permanents des pouvoirs de police administrative qui ne peuvent se justifier que dans des circonstances exceptionnelles. Nous dégraderions ainsi notre État de droit.

Pour ma part, je préfère un régime d’exception temporaire, qui reste l’État de droit, avec de multiples contrôles, ce que le Conseil d’État a renforcé cette année dans sa jurisprudence et ce que le Parlement a mis en place, à l’exception inscrite dans le droit commun de mesures qui renforceraient les restrictions que la police peut apporter aux libertés. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Françoise Férat et M. Vincent Capo-Canellas applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. David Rachline.

M. Daniel Raoul. Est-ce bien nécessaire ?

M. David Rachline. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voici que nous sommes réunis pour prolonger à nouveau l’état d’urgence, parce que la menace que fait peser le terrorisme islamiste sur notre pays n’a jamais été aussi forte, parce que la guerre qu’il nous a déclarée est d’une violence extrême.

Alors, de deux choses l’une : soit nous nous voilons la face et pensons qu’il s’agit d’une guerre éclair et que, par conséquent, les mesures mises en œuvre grâce à l’état d’urgence suffiront à nous faire gagner ; soit, comme en 1915, nous comprenons qu’il s’agit d’une guerre d’usure et qu’un état d’urgence qui s’éternise ne peut se substituer à la voie judiciaire, car nous devons avoir un plan de bataille à long terme.

Pour notre part, nous avons choisi cette deuxième option, dont nous avons conscience et pour alerter les Français sur l’urgence de cette prise de conscience, nous nous abstiendrons lors de ce vote.

En effet, le Gouvernement semble se retrancher derrière cet état d’urgence comme pour dire à nos compatriotes : « Dormez, braves gens, grâce à l’état d’urgence vous êtes en sécurité ! » ; aussi comme pour se dédouaner de ses responsabilités et de ses défaillances écrasantes.

Aucun des changements en profondeur que nous appelons de nos vœux ne sont soutenus par la gauche et la droite confondues.

Rappelons quand même que le matamore de la droite, choisi le mois dernier, ne veut pas le rétablissement des frontières, est favorable à l’accueil des migrants, a été le Premier ministre de la déstabilisation désastreuse de la Libye,…

Mme Catherine Procaccia. On n’est pas en campagne électorale !

M. David Rachline. … de la réduction des budgets et des effectifs de la police et de la gendarmerie, et le premier chef de gouvernement français à inaugurer, à Argenteuil, la plus grande mosquée d’Europe.

Se faire aujourd’hui le chantre de la lutte contre l’islamisme, c’est drôle !

M. Jean-François Husson. Stop à l’amalgame !

M. David Rachline. Dire « Je vais faire », c’est bien ; ne pas avoir fait l’inverse, c’est mieux !

Si une politique bien en amont n’est pas menée, si nous ne cherchons pas à résoudre les causes de cette menace qui pèse sur nous, alors nos efforts seront vains et le terrorisme islamiste frappera de nouveau.

Or si toutes les mosquées salafistes ne sont pas fermées, les idées de mort seront en sécurité.

Si les imams salafistes continuent à prêcher la haine sur notre territoire, les idées de mort seront en sécurité.

Si nous ne contrôlons pas nos frontières, en mettant fin aux accords de Schengen, les porteurs de mort iront et viendront sur notre territoire en toute liberté.

Si nous ne refusons pas l’accès et le séjour aux migrants qui viennent illégalement en France, des terroristes en profiteront pour s’infiltrer chez nous.

Si nous laissons les fonds étrangers, du Qatar et de l’Arabie Saoudite, financer les lieux de culte des salafistes et des Frères musulmans par le biais de l’Union des organisations islamiques de France, l’UOIF, les idées de haine trouveront évidemment un refuge.

Si notre justice laxiste continue de laisser des délinquants multirécidivistes ne pas purger leur peine, toujours trop faible par ailleurs, ces derniers frapperont évidemment à nouveau.

Si nous n’apprenons pas à nos enfants et à ceux issus de l’immigration à aimer la France, ses grandeurs nationales, sa culture, sa langue et tout ce qui fait la richesse de notre identité, nous continuerons à offrir un vide à notre jeunesse, que les idées radicales de l’islamisme viendront combler. Nous voulons briser cet engrenage infernal.

M. le président. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas.

M. Vincent Capo-Canellas. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, on pourrait peut-être, à ce stade, résumer le débat en quelques formules. Nous sommes face à une exigence opérationnelle – lutter contre le terrorisme, assurer la sécurité des Français – et nous avons un cadre juridique à respecter, celui de l’État de droit. Nous pensons collectivement, au Sénat, qui a une tradition de défense des libertés, que c’est dans le cadre démocratique que l’on doit lutter contre le terrorisme, en respectant les valeurs de la liberté. Je tiens à le réaffirmer, compte tenu des propos que nous venons d’entendre à l’instant.

M. David Rachline. Liberté pour les terroristes !

M. Vincent Capo-Canellas. Dans ce cadre, l’état d’urgence constitue une disposition adaptée. Il permet des limitations de liberté individuelles et proportionnées aux circonstances, sous le contrôle du juge administratif et sous la vigilance éclairée du Parlement.

Je veux, de ce point de vue, saluer ici le rôle de notre rapporteur et de son homologue à l’Assemblée nationale. Je sais aussi que M. le ministre de l’intérieur, tout comme son prédécesseur, est attentif à cette question ; en tant que représentants des groupes parlementaires, nous avons eu l’occasion, à différentes reprises, de nous réunir avec lui et M. le Premier ministre pour échanger des informations sur le suivi de l’état d’urgence.

Nous sommes donc entre deux écueils. Le besoin d’efficacité opérationnelle est évidemment réel. Nous sommes aux côtés des forces de l’ordre et des magistrats qui y contribuent. Dans le même temps, l’État de droit a ses limites et l’état d’urgence est, par définition, transitoire. Chacun a évoqué la perspective de la sortie de l’état d’urgence, y compris le Conseil d’État, qui l’a fait dans chaque avis qu’il a rendu depuis la première prorogation. Plusieurs d’entre nous ont, comme lui, fait remarquer à juste titre que l’état d’urgence n’a pas vocation à être prolongé indéfiniment.

Cette cinquième prorogation suscite donc le débat. Le Conseil d’État a néanmoins estimé que les conditions sont réunies pour une nouvelle prorogation, qui courra, à la demande du Gouvernement, jusqu’au mois de juillet prochain. Cela permettra de reporter le débat. Comme l’a excellemment suggéré notre rapporteur, nous devrions pouvoir trouver les voies et moyens d’améliorer le droit commun d’ici là pour permettre la sortie de l’état d’urgence. Il faudra utiliser cette période pour réfléchir aux pistes qu’il a clairement et brillamment évoquées.

Je rappellerai que, déjà au mois de juillet dernier, le Sénat avait, avec l’Assemblée nationale, introduit dans le droit commun plusieurs dispositions destinées à nous permettre de renoncer, le moment venu, à l’état d’urgence. Nous savons toutefois que renoncer à l’état d’urgence dans le contexte d’aujourd’hui serait particulièrement difficile et préjudiciable.

Notre rapporteur a évoqué voilà quelques instants trois mesures contenues dans l’état d’urgence : les contrôles d’identité, les assignations à résidence et les perquisitions administratives, dont nous savons qu’elles sont opérationnellement utiles aux forces de l’ordre pour mener à bien leurs missions. Nous sommes évidemment à leurs côtés pour ce faire.

L’article 2 du projet de loi fixait initialement une durée maximale de 15 mois à l’assignation à résidence d’une même personne. Nos collègues députés ont sur ce point suivi les préconisations du Conseil d’État en abaissant cette limite à 12 mois, ce qui garantit un meilleur encadrement des assignations à résidence. Cette durée nous paraît raisonnable et nous saluons les travaux qui ont été réalisés en amont par notre rapporteur avec son homologue de l’Assemblée nationale, qui ont permis d’aboutir à une solution pertinente sur ce point comme pour d’autres aspects de ce projet de loi.

Il faudra évidemment sortir de ce dilemme et trouver les armes juridiques nécessaires pour permettre que cette situation particulière de l’état d’urgence puisse être dépassée. Nous en mesurons toute la difficulté. Nous savons aussi que certains professionnels – plusieurs de nos collègues nous ont alertés sur ce point – sont négativement affectés : je pense en particulier aux secteurs du tourisme, de la restauration et de l’hôtellerie. Nous sommes soucieux de l’image internationale de la France, mais nous savons que ce ne serait pas en sortant de l’état d’urgence que ces problèmes pourraient être durablement réglés : c’est bien plutôt en mettant à mal les filières terroristes.

Nous n’ignorons pas que l’État s’y consacre ; par ailleurs, le Parlement joue son rôle en définissant le cadre juridique et les moyens alloués pour que cette lutte soit efficace.

Monsieur le ministre, vous avez rappelé il y a quelques instants que 13 projets d’attentats ont été déjoués depuis juillet dernier. Nous ne nous faisons pas d’illusions : nous savons que la période préélectorale nationale est aussi particulièrement visée par les groupes terroristes, car c’est bien la démocratie qu’ils veulent abattre. C’est avec les armes de la démocratie que nous devons répondre : il faut donc préserver le scrutin, préserver le débat public et préserver la liberté de nos concitoyens de s’exprimer, liberté d’expression qui nous est chère. Il faut donc donner l’occasion aux forces de l’ordre et aux autorités de l’État de permettre que les rassemblements et débats électoraux aient lieu dans les meilleures conditions. Il s’agit de défendre la vitalité démocratique ; nous savons qu’un attentat dans cette période serait susceptible d’avoir un retentissement considérable ; c’est ce que recherchent les terroristes.

Monsieur le ministre, vous nous avez fait part de plusieurs éléments qui montrent que le Gouvernement est attentif aux préoccupations du Sénat. Nous devons ne pas perdre de vue que la voie judiciaire est l’outil prééminent de la lutte antiterroriste et que c’est dans un système permanent que doit s’inscrire et s’adapter notre pays face à la menace. Michel Mercier nous a lui aussi offert des pistes, qu’il nous faut travailler. Nous savons que nous ne gagnerons la guerre contre le terrorisme qu’en réformant la justice et en instaurant à l’échelon européen une coordination entre les systèmes d’information nationaux.

Vous l’aurez compris, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe UDI-UC votera, presque à l’unanimité, en faveur de la prorogation de l’état d’urgence, non sans débat, non sans avoir pesé le pour et le contre, mais en estimant en conscience qu’il s’agit du cadre indispensable pour lutter contre la menace terroriste qui pèse sur notre pays. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bruno Le Roux, ministre. Je veux avant tout remercier l’ensemble des orateurs pour la courtoisie et la précision de leurs propos, qui me font regretter de n’avoir pas connu l’ambiance sénatoriale plus tôt, au cours de vingt ans de vie parlementaire ! (Sourires et marques de satisfaction sur plusieurs travées.)

Mme Éliane Assassi. Il n’est jamais trop tard !

M. Bruno Le Roux, ministre. Sur la question des restrictions de liberté, je tiens à rappeler que, parmi les mesures rendues possibles par l’état d’urgence, il existe des mesures de privation de liberté individuelle, qui doivent être proportionnées et peuvent bien sûr être contestées. Je réfute absolument l’idée d’une restriction collective des libertés depuis le début de l’application de l’état d’urgence.

Mme Éliane Assassi. Et la loi Travail ?

M. Bruno Le Roux, ministre. Sur ce point, madame Assassi, les seules mesures qui ont été prises l’ont été pour assurer la liberté de manifester, mais surtout l’ordre public et la sécurité des manifestants à un moment où ils pouvaient ne plus être assurés. C’est uniquement en fonction des éléments de droit commun – la protection de l’ordre public et celle des citoyens relèvent bien du droit commun – que des mesures restrictives ont été prises ; à aucun moment il n’a été fait usage de mesures rendues possibles par le seul état d’urgence.

Mme Éliane Assassi. Heureusement qu’on a résisté !

M. Bruno Le Roux, ministre. Je veux à présent rappeler que l’état d’urgence est bien entendu un état d’exception qui existe dans le cadre de notre État de droit et permet d’utiliser des moyens complémentaires du droit commun. Ce dernier, d’ailleurs, évolue sans cesse, comme l’a rappelé M. Philippe Bas. Plusieurs lois ont fait évoluer les outils permettant d’assurer la sécurité de nos concitoyens. J’aurai d’ailleurs plaisir à revenir devant le Sénat et sa commission des lois au plus vite pour défendre le prochain texte législatif sur la sécurité publique, qui fera évoluer à son tour les moyens juridiques que nous mettons à disposition de nos forces de l’ordre.

Enfin, je voudrais m’associer aux remerciements que chacun d’entre vous a exprimés pour les forces de l’ordre, nos services de renseignement, qu’il s’agisse de la DGSI ou des services du renseignement territorial. Vous me permettrez d’englober dans mes remerciements la totalité des policiers, des gendarmes et des sapeurs-pompiers, ainsi que toutes nos forces de sécurité civile, qui contribuent aujourd’hui de façon globale et dans une coopération parfaite à assurer dans cette période de tensions et de menaces fortes la sécurité de nos concitoyens.