M. Jacques Mézard. Vous avez l’expérience en la matière ! (Sourires.)

M. Philippe Kaltenbach. Essayons de nous extirper de cette logique politicienne pour privilégier l’intérêt non seulement de la Corse et des Corses, mais aussi de la République. Mettons en place ce système que nous avons validé à de nombreuses reprises et laissons ensuite les électeurs corses choisir qui devra diriger cette collectivité unique. Nous devons être dans le droit fil de ce que nous avons voté en 2015, et que nous défendons depuis de nombreuses années. Privilégions avant tout les intérêts de la Corse et de la République et gardons-nous de nous arc-bouter sur des postures politiciennes.

Nous le savons, l’empilement des niveaux de responsabilité dilue la décision, la rend moins lisible pour les populations et crée des coûts supplémentaires. À l’arrivée, c’est la qualité du service public local qui en pâtit.

Je veux enfin insister sur la nécessité d’avoir une organisation territoriale qui s’adapte aux particularismes locaux. Je sais que le groupe CRC est opposé à tous les statuts particuliers ; notre collègue Christian Favier l’a indiqué en commission. Pour ma part, je considère que cette vision de la République est par trop jacobine. Nous vivons aujourd’hui dans un État décentralisé, et, s’il nous faut conserver cette vision unique de la République, nous devons également savoir adapter l’architecture territoriale aux spécificités des différents territoires. Nous l’avons fait pour les territoires ultramarins et pour la Corse, mais, au-delà, je crois qu’il faut de la souplesse dans nos organisations territoriales, de sorte qu’elles puissent s’adapter au mieux à des territoires très différents.

Peut-on aujourd’hui gérer de la même manière des territoires urbains et des zones de montagne ? Peut-on gérer de la même manière un territoire ultramarin et un département métropolitain ? Peut-on gérer de la même manière une grande collectivité et des petits territoires ? Non, bien sûr ! C’est d’ailleurs tout l’objet de la décentralisation : adapter les différentes règles de façon à être au plus proche du terrain. En d’autres termes, la République doit être capable d’adapter ses règles de fonctionnement à la réalité des territoires locaux. C’est ce choix qui nous est proposé pour la Corse aujourd’hui, un choix que nous avons déjà tranché en 2015.

Le groupe socialiste et républicain apportera un soutien total à ce projet de loi de ratification, en espérant que cette volonté de parachever ce processus en Corse sera partagée par le plus grand nombre de sénateurs.

Pour conclure, j’ajoute que cet exemple corse doit nous amener à réfléchir plus globalement. En effet, en tant qu’élu francilien, je ne peux que déplorer qu’il y ait aujourd’hui cinq niveaux de décision dans la petite couronne parisienne : la commune, les conseils de territoire, les départements, la métropole, la région. Il est bien évident qu’une telle architecture est de moins en moins efficace et qu’elle rend les décisions peu lisibles pour nos concitoyens. Je souhaite que la Corse, comme d’ailleurs la métropole de Lyon, serve d’exemple à d’autres collectivités. Il importe de réfléchir à des solutions au niveau local avant de les proposer au Parlement.

Nous avons là un bel exemple d’interaction entre les élus locaux, le Gouvernement et le Parlement pour aboutir à un nouveau statut pour la Corse, qui est attendu sur l’île, et qui permettra de mieux gérer cette collectivité.

Le groupe socialiste et républicain votera en faveur de ce projet de loi de ratification. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe écologiste et du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier.

M. Stéphane Ravier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce texte illustre une nouvelle fois l’instabilité institutionnelle qui frappe la Corse depuis plusieurs décennies. Depuis 1982 et la loi portant statut particulier de la région de Corse, on peut compter un remaniement institutionnel tous les dix ans.

Cette instabilité est d’abord due au fait que les réformes – celle dont nous débattons aujourd’hui n’échappe pas à la règle – se font à marche forcée, au prix d’un véritable déni de démocratie, car la population corse n’est pas appelée à se prononcer sur un changement institutionnel qui conditionne pourtant durablement son avenir.

On relève cependant une exception en 2003, lorsque le ministre de l’intérieur de l’époque, Nicolas Sarkozy, proposa une réforme visant déjà à réunir les deux départements corses en une collectivité unique. Cette réforme fut d’ailleurs rejetée par référendum local. Cela explique sans doute que l’on soit passé du référendum à l’ordonnance, le coup de force étant devenu l’ADN politique du pouvoir, qu’il soit entre les mains des mondialistes de droite ou de gauche.

Nos compatriotes en général, et nos compatriotes corses en particulier, savent qu’il y a bien longtemps que les responsables politiques de notre pays font fi de ce que veut le peuple. Pour notre part, monsieur le ministre, nous croyons que toute modification de l’organisation territoriale doit être validée par le peuple, plutôt qu’imposée par les technocrates.

Rappelez-vous, la loi NOTRe a abordé la collectivité unique de Corse par le biais d’un amendement. C’est dire la préparation et la réflexion sur le sujet !

Je crois qu’il n’est pas inutile de vous rappeler que, en démocratie, c’est le peuple souverain qui détient le pouvoir. Alors, faisons en sorte qu’il puisse s’exprimer et demandons-lui son avis lorsque des décisions engagent son avenir, comme c’est le cas aujourd’hui, plutôt que de le museler, comme l’ont souhaité certains élus de l’île.

Sur le fond, cette réforme pose bien évidemment plusieurs problèmes.

La représentation démocratique et équilibrée des territoires essentiellement ruraux n’est plus assurée comme elle l’était par le scrutin « cantonal ». Or la spécificité de la Corse, outre son insularité, vient également de sa forte ruralité et de sa forte disparité géographique.

Autre problème : la chambre des territoires prévue au sein de la collectivité unique est une usine à gaz et un mauvais ersatz des conseils départementaux. Monsieur le rapporteur, vous soulignez vous-même son inutilité. Quand cesserons-nous de créer des instances dont on sait, dès le début, qu’elles ne serviront pas à grand-chose, à part, bien sûr, à accroître la dépense publique ?

Enfin, la concentration totale des pouvoirs dans les mains du président de l’Assemblée de Corse et du président de l’exécutif à travers cette collectivité unique est une bien mauvaise réponse au clientélisme dont on a accusé les conseils départementaux jusque-là.

Alors que faire ?

Il faut que la date du 1er janvier 2018 cesse de nous obliger. Nous devons prendre le temps de réfléchir à une organisation territoriale adéquate, définie une fois pour toutes avec l’ensemble des élus locaux. Cette organisation doit bien évidemment prendre en compte les spécificités géographiques de la Corse et ses traditions culturelles, éléments majeurs de son identité, et, surtout, le souhait de la population corse.

Ces ordonnances ne répondant pas à une réflexion de long terme sur l’organisation des pouvoirs publics en Corse, nous ne voterons pas ce texte. (M. Jean-Jacques Panunzi applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Christian Favier.

M. Christian Favier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi qui nous est soumis porte sur la ratification de trois ordonnances qui précisent les modalités de fusion des départements de la Corse-du-Sud et de la Haute-Corse avec la collectivité territoriale de Corse, en application de la loi NOTRe, que notre groupe avait unanimement rejeté. Avec ce nouvel OVNI institutionnel, c’est une nouvelle étape du démantèlement des institutions républicaines qui est franchie.

Faut-il rappeler que le 6 juillet 2003, voilà treize ans, les Corses s’étaient massivement mobilisés lors d’un référendum sur le statut de l’île ? Ils avaient majoritairement exprimé leur attachement à l’existence des trois collectivités qui composent cette région et rejeté la proposition de suppression de l’échelon départemental.

Dix ans plus tard, le projet de collectivité unique a été remis à l’ordre du jour des travaux de l’Assemblée de Corse. Il ne faut pas oublier que ce débat s’est déroulé dans un contexte national où, au plus fort des discussions concernant la loi MAPTAM, la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, et la loi NOTRe, certains opéraient, ici à Paris, un véritable coup d’État contre l’existence des départements de France.

En Corse, comme dans l’ensemble du pays, les électeurs ont d’ailleurs sévèrement sanctionné les partisans de la suppression des départements, tant aux élections municipales de 2014 qu’aux élections départementales de 2015.

Et pourtant, au mépris du souhait des Corses, qui se sont exprimés à plusieurs reprises à l’encontre de la création d’une collectivité unique sur l’île, le projet a été glissé par un tour de passe-passe au sein de la loi NOTRe.

Nous dénonçons donc, aux côtés des élus communistes de l’Assemblée de Corse, ce passage en force en cours, qui relève d’un processus particulièrement antidémocratique. Nous réitérons leur demande d’un projet de loi spécifique avec ratification par référendum.

Sans nier les particularités de la Corse liées à son insularité, personne n’est dupe du caractère expérimental de ce changement, après celui de la métropole de Lyon, préalablement à une remise en cause plus large de l’échelon départemental. Certains n’en ont pas fait mystère en commission des lois, M. Kaltenbach indiquant même qu’il s’agissait « d’un très bon exemple de ce qui pourrait se développer sur le continent, en région parisienne par exemple. » Sans que les Corses aient été démocratiquement consultés, ils pourraient donc servir de cobayes aux liquidateurs de nos institutions républicaines.

Mais cette fusion recouvre d’autres enjeux. Adopter la collectivité unique en Corse, c’est adopter le modèle de l’Europe des régions, en concurrence avec les territoires voisins.

Est-ce que le modèle souhaité pour la Corse sous la pression des autonomistes est celui qui prévaut en Italie, avec des territoires autonomes comme le Mezzogiorno, où les habitants ont des revenus 50 % inférieurs à ceux du Nord ? Pour notre part, nous refusons une France à deux vitesses.

Comme l’ont exprimé les syndicats et les travailleurs de Corse, avec cette réforme, la République s’éloignerait un peu plus en Corse des problématiques qu’elle a pour tâche de résoudre.

C’est pourquoi il faut, avant toute chose, réduire les inégalités économiques de l’île, sachant que la Corse a, de très loin, le plus bas PIB régional de France métropolitaine.

C’est pourquoi il faut aussi en finir avec les inégalités éducatives, la population de Corse étant la moins diplômée de France métropolitaine.

C’est surtout pourquoi, enfin, il faut résoudre le problème de la cherté de la vie et des inégalités sociales en Corse, le revenu par habitant y étant le plus faible du pays, et 21 % de sa population vivant en dessous du seuil de pauvreté. N’oublions pas que 10 % des ménages concentrent 33 % des revenus déclarés en Corse et que les ménages les plus fortunés ont des revenus sept fois supérieurs aux moins aisés.

Dans ce contexte, la suppression des départements, qui jouent un rôle essentiel au service des personnes âgées, des personnes handicapées, des enfants en danger, des populations les plus fragilisées, est un risque majeur pour la cohésion sociale de la Corse.

Poursuivre ce modèle de l’Europe des régions, fondé sur la concurrence des territoires et des populations, est, à nos yeux, une profonde erreur. Il s’agit d’un modèle qui, à rebours des exigences sociales de la Corse, a pour objet de permettre, à terme, des dérogations au cadre national du droit du travail.

C’est enfin un modèle au service de l’oligarchie économique, qui souhaite faire main basse sur l’île, comme elle l’a fait avec l’ancienne société maritime nationale, désormais gérée sous la forme d’un consortium privé représentant 10 % du PIB de la Corse. Tout cela s’est fait au détriment des salariés, des agents du service public, des agriculteurs, des PME, notamment celles du tourisme et du BTP.

M. Christian Favier. L’égalité entre les territoires et entre les individus est un fondement républicain sur lequel on ne peut transiger. La véritable priorité pour la Corse, c’est de prendre à bras-le-corps la question des inégalités. Or cette réforme, malheureusement, ne conduira qu’à les aggraver.

Enfin, nous refusons la démarche politique qui la sous-tend.

Certains soutiennent cette réforme, car elle est, à leurs yeux, le moyen de réduire le champ de l’action publique et un outil pour la réduction de l’emploi public. C’est la poursuite de la mise en œuvre du dogme libéral de suppression d’un fonctionnaire sur deux, dogme véhiculé successivement par les réformes Fillon et Lebranchu.

D’autres, du côté des nationalistes, y voient l’aboutissement d’un projet politique porteur de divisions, bien loin des 20 000 Corses qui, aux côtés du résistant Jean-Baptiste Ferracci, prêtèrent à Bastia, le 4 décembre 1938, un serment d’attachement aux valeurs progressistes de la République.

Et que dire de l’affaiblissement démocratique, avec une assemblée qui passerait de 104 élus départementaux et territoriaux à 63 élus dans la future collectivité unique, ce qui éloignera un peu plus les citoyens de leurs représentants ?

Mes chers collègues, sans République, il n’y a pas d’égalité, et sans égalité, il n’y a pas de République. Beaucoup de Corses ont raison d’être en colère à ce sujet.

Depuis près de 250 ans, les Corses ont tant apporté à la France que la République doit aujourd’hui leur rendre ce qu’ils lui ont donné, ce qui passe par un véritable projet d’égalité avec le reste du territoire national, ainsi que par un investissement massif dans un développement alliant progrès sociaux et réussites économiques.

Je terminerai mon propos en citant mon ami Dominique Bucchini, ancien président de l’Assemblée de Corse : « La seule voie pour la Corse, c’est la mobilisation populaire. Notre problème n’est pas identitaire, mais économique. »

Attachés au principe de la consultation par référendum des Corses, les sénateurs communistes, républicains et citoyens s’opposeront à ce projet de loi, tout comme l’ont fait les élus communistes de l’Assemblée de Corse. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Joseph Castelli.

M. Joseph Castelli. Monsieur le ministre, je reprendrai la phrase que vous avez adressée au président de l’exécutif de Corse : je vous félicite du « chemin que vous avez parcouru, en un an, avec tous les élus de la Corse ».

En effet, trente-cinq ans après l’attribution d’un statut particulier qui a placé la Corse à l’avant-garde de la décentralisation, la ratification de ces ordonnances permet de poursuivre la mise en place d’une collectivité unique en Corse, actée par la loi NOTRe, en cohérence avec la délibération du 27 septembre 2013 de l’Assemblée de la collectivité territoriale de Corse.

Alexis de Tocqueville, dans De la démocratie en Amérique, estime que « la décentralisation n’a pas seulement une valeur administrative. Elle a une portée civique, puisqu’elle multiplie les occasions pour les citoyens de s’intéresser aux affaires publiques. » « Elle les accoutume à user de la liberté. Et de l’agglomération des libertés locales, sourcilleuses, naît le plus efficace contrepoids aux prétentions du pouvoir central. »

Monsieur le ministre, avec ce projet de loi de ratification d’ordonnances, d’une part, vous permettez à la Corse de sortir de quarante ans d’incertitude, et, d’autre part, vous assurez la construction d’une véritable unité politique, administrative et gestionnaire à compter du 1er janvier 2018.

L’organisation actuelle de l’île est bien trop complexe, comme vous le savez. Elle est caractérisée par un émiettement des structures publiques locales, qui constitue un frein au développement de la Corse.

Ce texte permet d’y remédier en prévoyant la simplification de l’organisation territoriale, ainsi que de son fonctionnement, en mettant en synergie les compétences et les moyens des départements et de la collectivité territoriale de Corse, et, enfin, en assurant un juste équilibre institutionnel entre les pouvoirs délibérants et exécutifs.

Sachez, monsieur le ministre, que vous avez répondu au souhait d’une grande majorité non seulement de l’Assemblée de Corse, mais aussi de la population de la Corse.

Très concrètement, il reste peu de temps pour construire un processus permettant à la future collectivité d’être opérationnelle au 1er janvier 2018. La collectivité de Corse devra satisfaire à la fois à des impératifs d’unité de la décision politique, de rationalisation de la gestion administrative et de proximité avec les territoires et la population.

Il reste un an – à peine un an ! – pour s’accorder en matière financière, budgétaire, sur l’implantation territoriale des futurs services publics entre Bastia, Ajaccio et les autres territoires, et, enfin, pour anticiper les marchés publics de 2018.

Dans une logique de proximité avec les territoires, et compte tenu de la future disparition des départements de la Haute-Corse et de la Corse-du-Sud, l’équilibre territorial entre le niveau le plus proche, la commune, et le niveau le plus élevé, la collectivité de Corse, devra passer par un resserrement du maillage intercommunal, comme vous l’avez dit tout à l’heure, monsieur le ministre.

Je tiens d’ailleurs à vous remercier pour votre investissement sur la question. Après huit mois de négociations sur le périmètre des nouvelles intercommunalités, en Centre Corse notamment, un accord a finalement été trouvé dans le périmètre soumis par M. le préfet, qui s’est soldé par la conclusion de contrats de ruralité et la mise en place de pôles d’équilibres territoriaux et ruraux permettant d’évoluer vers la fusion en un seul EPCI, un établissement public de coopération intercommunale, à l’horizon de 2022.

Concernant les agents des deux départements, ainsi que ceux de la collectivité de Corse, les conditions de statut et d’emploi ainsi que leur régime indemnitaire seront préservés. Le cas échéant, une indemnité de mobilité leur sera versée.

Toutefois, il restera à prévoir un partenariat étroit entre les différentes collectivités fusionnées afin de garantir aux agents une mobilité davantage choisie que forcée.

Enfin, d’autres chantiers devront être mis en œuvre, au premier rang desquels figure la résorption du désordre de propriété, ainsi que vous l’avez évoqué, monsieur le ministre, mais je veux y revenir.

En Corse, le droit de propriété ne peut s’exercer normalement du fait de l’absence de titre opposable ou de l’existence de biens non délimités. Par conséquent, la revitalisation de l’espace rural est largement freinée.

Pour y remédier, j’avais proposé un amendement, qui reprenait les principales dispositions de la proposition de loi de Camille de Rocca Serra, visant à favoriser l’assainissement cadastral et la résorption du désordre de la propriété. Ce texte avait été cosigné par de nombreux députés parmi lesquels figurent, bien sûr, tous les députés de Corse, toutes tendances confondues. Il a d’ailleurs été adopté à l’unanimité par l’Assemblée nationale le 8 décembre 2016, comme vous l’avez rappelé précédemment, monsieur le ministre.

Je regrette, bien évidemment, que cet amendement ait été déclaré irrecevable par la commission des lois, car il est pourtant urgent – il est même très urgent ! – d’examiner ces dispositions, eu égard à la fin imminente de la présente session parlementaire.

Pour terminer, je formulerai une interrogation : en cas d’alternance politique peu favorable, me semble-t-il, à cette nouvelle institution, l’avenir de la future collectivité de Corse sera-t-il assuré ?

Vous l’avez compris, mes chers collègues, je voterai, bien sûr, ce projet de loi, une position partagée par tous mes collègues, sans exception, du groupe du RDSE ! (Applaudissements sur les travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Panunzi.

M. Jean-Jacques Panunzi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’ordre du jour appelle aujourd’hui l’examen du projet de loi de ratification des ordonnances relatives à l’instauration d’une collectivité unique en Corse. Comme vous l’avez rappelé, monsieur le rapporteur, il s’agit bien de la déclinaison de l’article 30 de la loi NOTRe. C’est dire, monsieur le ministre, que le débat repose non pas sur le principe de la collectivité unique, mais sur les modalités de son instauration.

Mes chers collègues, que ce fût en 1982, en 1991 ou en 2002, les évolutions statutaires propres à la Corse ont été menées dans le cadre d’un projet de loi spécifiquement dédié. Celui de 2003 a même pu bénéficier d’une consultation référendaire, dont l’issue négative a repoussé la mise en œuvre de la loi pourtant validée par le Parlement. Cette issue négative s’expliquait principalement par la rupture du lien de proximité provoquée par la disparition des conseillers généraux et par le choix d’un mode de scrutin qui ne permettait de pérenniser ni ce lien ni l’incarnation, à la fois de représentation et opérationnelle, des différents territoires.

Or le principe de la réforme devait permettre la mise en place d’une organisation simple et d’un fonctionnement facile à assimiler par tous. Outre qu’elle devait assurer un partage clair des responsabilités, elle devait également renforcer le lien entre les différents niveaux de l’organisation territoriale et permettre le maintien de l’indispensable proximité entre la population et ses élus.

A contrario, cette fois-ci, c’est par un amendement à la loi NOTRe qu’a été actée la mise en place d’une collectivité unique en lieu et place des trois institutions actuelles : la collectivité territoriale de Corse, région à statut particulier, et les deux départements de Haute-Corse et de Corse-du-Sud, collectivités de droit commun.

L’amendement de principe dans la loi NOTRe, devenu article de la loi promulguée, se contente de substituer une entité nouvelle aux trois collectivités. Cela explique le renvoi à des ordonnances pour procéder au travail fastidieux de réécriture des codes en vue d’y remplacer les références aux trois collectivités par celles de la collectivité de Corse, sans que les sujets essentiels des compétences, des moyens et des équilibres politiques, comme territoriaux, soient débattus. Les ordonnances traduisent tout simplement un travail d’empilement.

Lors de la session du 6 septembre 2016, 20 élus sur les 51 que compte l’Assemblée de Corse ont voté contre les ordonnances relatives à la collectivité unique. Parmi les 31 membres ayant voté pour, 24 d’entre eux sont nationalistes et 7 sont des radicaux de gauche. Sur les 20 membres ayant voté contre, et ce, malgré le fait que tous sont favorables à la collectivité unique sur le principe, 11 sont des élus de droite, 2 ont l’étiquette « divers gauche », 3 sont communistes et 4 appartiennent au Front national. Leur opposition au projet du Gouvernement repose, de mon point de vue, sur deux raisons principales.

Première raison, l’absence d’équilibre des pouvoirs et des territoires au sein de la nouvelle collectivité unique. Aucune discussion n’a eu lieu sur le mode de scrutin ni sur la représentation des territoires, alors que c’est, on le sait, ce qui a manqué en 2003. Ce n’est pas avec une prétendue « chambre des territoires » dotée d’un rôle accessoire que l’on atteindra cet objectif ! Et l’on n’y parviendra pas davantage en changeant simplement la dénomination première de cet organe, appelé dans le premier projet « conférence de coordination des collectivités territoriales » ! On crée un président de plus dans la galaxie des présidents. On accorde une satisfaction fictive à la ville de Bastia – il fallait contenter les nordistes ! –, mais on crée surtout la confusion et de la complexité, et on aggrave les charges financières supportées par les contribuables.

Vous rendez-vous compte, mes chers amis, mes chers collègues, des risques liés à la concentration des pouvoirs en une seule main ?

Je reprendrai la formule de mon collègue et ami Dominique Bucchini, élu communiste, qui a présidé l’Assemblée de Corse entre 2010 et 2015. Lors de la session de décembre 2014, il avait alerté la représentation insulaire sur le fait que le président de l’exécutif à la tête de la future collectivité unique serait « le roi de Corse ». Il n’avait pas tout à fait tort, car, dans toute organisation démocratique, il faut des poids et des contrepoids.

Montesquieu a théorisé avant nous la nécessité de l’équilibre des pouvoirs. Selon lui, « la concentration des pouvoirs en politique est aussi perverse que l’abus de position dominante dans le monde des affaires ».

Une loi propre à la Corse aurait permis d’établir des champs de compétences précis, notamment celles que la collectivité de Corse pourrait partager avec les intercommunalités, lesquelles, de par la disparition des conseils généraux, sont appelées à assumer des compétences de proximité. Le choix de recourir aux ordonnances ne permet pas de procéder à cette réorganisation équilibrée des pouvoirs et nécessite impérativement le recours à la loi.

Seconde raison, l’inexistence de tout accompagnement économique, financier et fiscal, pourtant indispensable à la réussite de la collectivité unique et au développement de la Corse. Bien au contraire, le risque est de voir s’aggraver la pression fiscale territoriale.

Pour exemple, au moment où je vous parle, le budget de la nouvelle collectivité s’élèvera à environ 1 100 millions d'euros, avec un encours de la dette de 850 millions d'euros, sans compter les dettes accumulées dans les différents offices, qui s’élèvent à plusieurs millions d’euros pour celles qui sont connues. Vous le comprendrez bien, mes chers collègues, le remboursement des intérêts impactera fortement l’épargne brute de la future collectivité. Cette situation aura pour conséquence une diminution très nette de la capacité d’autofinancement et du niveau d’investissement. D’ailleurs, dans son rapport, le comité stratégique précise que le niveau des ressources propres de la collectivité de Corse ne suffira pas à assurer son autonomie financière.

Au moment où les fonds européens se raréfient, où le programme exceptionnel d’investissement s’achève, où les dotations de l’État s’amenuisent, la Corse a un besoin vital de ce soutien pour poursuivre sa modernisation et le rattrapage du retard historique de nos équipements collectifs. Quid de la prime à la bonne gestion d’une collectivité à l’autre ? De loin, depuis maintenant plus de dix ans, le département de la Corse-du-Sud, par opposition à la collectivité territoriale de Corse et au département de la Haute-Corse, affiche un niveau d’investissement routier de plus de 55 millions d'euros par an, avec un très faible recours à l’emprunt.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. C’est énorme !

M. Jean-Jacques Panunzi. En effet, monsieur le président, et c’est pour cette raison que je tiens à le signaler !

Cette gestion, qui a d'ailleurs été saluée à plusieurs reprises au niveau national, risque aujourd’hui de se trouver diluée et utilisée pour combler les errements des autres collectivités.

Se pose à ce niveau un problème de justice que j’ai soulevé plusieurs fois. Il m’a été répondu que, dans les ordonnances, les marges de manœuvre étaient contraintes et ne permettaient pas de régler les questions budgétaires. Cette situation a pourtant été évoquée dans les différents rapports de l’Assemblée de Corse, qui ont avancé des pistes de réflexion quant à l’apurement du passif et à l’investissement dans les différents territoires, en tenant compte de la gestion et des politiques actuelles dans les deux départements.

Les ordonnances, contraintes et étriquées, ne permettent pas de donner une véritable opérationnalité à la future collectivité de Corse. Cette réforme – je vous le dis, mes chers collègues, comme j’ai déjà eu l’occasion de le relever lors de chaque réunion – est une coquille vide ! Et nous sommes privés de référendum, alors que la délibération du 13 décembre 2014, que certains citent en oubliant de l’indiquer, précise, dans son article 3 (L’orateur brandit un document.), qu’il faut un référendum ! C’est le peuple corse et ce sont les élus corses qui l’ont voté.

La délibération précitée était fondée sur des arguments allant dans le sens d’une simplification administrative par parallélisme des formes avec la simplification institutionnelle instaurée. Or on ne voit pas, dans ces ordonnances, comment se traduit cette simplification administrative, notamment, je dois le reconnaître, au niveau des services déconcentrés de l’État.

Marylise Lebranchu, qui était chargée du dossier lors du vote de la loi NOTRe, avait admis, à la suite de la non-adoption d’amendements de Camille de Rocca Serra et d’autres parlementaires corses à l’Assemblée nationale, qu’il faudrait certainement revenir avec un véhicule législatif devant le Parlement pour apporter des corrections nécessaires et des aménagements à l’article de la loi NOTRe instituant une collectivité unique en Corse. Ce ne sont pas mes propos, c’est Mme Lebranchu qui l’a dit !

À moins de trois mois d’échéances électorales majeures, qui déboucheront certainement – je l’espère, du moins – sur de nouvelles propositions de révision de l’architecture institutionnelle de notre pays, au sein desquelles une réflexion d’ensemble sur la Corse pourrait pleinement et sereinement s’intégrer, on nous demande de confier au Gouvernement une habilitation étriquée qui ne permet pas de donner une véritable opérationnalité à la future collectivité de Corse.

Nous voulons, pour notre part, refonder nos institutions territoriales et construire une Corse responsable avec des moyens adaptés à l’insularité.

On nous impose une réforme au rabais et à marche forcée. Le seul objectif clairement affiché par les nationalistes est de tuer les deux conseils départementaux, et de le faire le plus vite possible ! On est loin de la démarche de rassemblement et de fusion qui devrait tous nous animer.

Mes chers collègues, l’unité de la Corse doit se bâtir sur le respect du pluralisme. Notre famille politique souhaite une réforme en profondeur du statut de la Corse, une véritable refondation. D’où notre position de vote contre ces ordonnances, monsieur le ministre.

Ces ordonnances devaient entériner le processus de clarification, de simplification et de rationalisation de l’action publique, en refondant notre architecture institutionnelle et administrative. Pourtant, ordonnances ou pas, aujourd'hui, et demain, avec la future collectivité – à laquelle M. Kaltenbach est favorable –, nous en serons toujours à 360 communes, 19 intercommunalités, 2 départements… (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain.)