compte rendu intégral

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

M. Jean-Pierre Leleux,

M. Jean-Claude Requier.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures quinze.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Éloge funèbre de François Fortassin, sénateur des Hautes-Pyrénées

M. le président. Monsieur le ministre, mes chers collègues, mesdames, messieurs, c’est une voix du Sénat écoutée, tolérante qui s’est éteinte avec François Fortassin. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que M. le ministre de la cohésion des territoires, se lèvent.)

C’est une figure charismatique et chaleureuse de la Bigorre qui s’en est allée.

François Fortassin, nous le savions, luttait depuis de longs mois, et avec beaucoup de courage, contre la maladie, une maladie qui l’avait affaibli, mais ne l’empêchait pas d’être toujours présent au Sénat, de participer aux travaux de notre bureau, avec la simplicité, l’accessibilité et la chaleur qui ont toujours été sa marque. Cet amoureux de la vie, de son pays et de son territoire nous manque.

Oui, c’est avec émotion que nous avons appris sa disparition le 15 mai dernier, au lendemain même de la cérémonie d’installation du Président de la République, dont il avait parrainé la candidature et qu’il avait soutenu, mais à laquelle son état de santé l’aura empêché d’assister, à l’Élysée.

Nous nous sommes retrouvés le 19 mai, à l’occasion d’une émouvante cérémonie au cœur de sa commune natale de Sarp au milieu de ses proches et de ceux qui lui étaient chers. J’étais accompagné de plusieurs membres du bureau du Sénat, dont François Fortassin était membre depuis 2008, nos collègues Françoise Cartron et Frédérique Espagnac, et de deux présidents de groupes politiques, Didier Guillaume et Jacques Mézard, alors en qualité de membre du Gouvernement, mais qui était, quelques jours auparavant encore, à la tête de son groupe au Sénat.

Cet hommage trouve aujourd’hui, après la reprise de nos travaux en séance publique, son prolongement dans notre hémicycle. François Fortassin représentait le département des Hautes-Pyrénées au sein de notre assemblée depuis le 3 mars 2001, date du décès de François Abadie, dont il était le suppléant depuis 1983. Nous étions alors à quelques semaines des élections sénatoriales.

François Fortassin était un humaniste. Ses convictions républicaines et laïques trouvaient leur expression dans les valeurs du radicalisme, qu’il portait haut et fort, avec un mélange de douceur, de sens de l’écoute, mais aussi de force.

Il sera toujours fidèle à ces valeurs, qu’il retrouva au Sénat au sein du groupe du Rassemblement démocratique et social européen, et sur la scène politique parmi les radicaux de gauche.

C’est, disait-il, « le parti qui correspond le mieux à ma sensibilité : on y privilégie l’humanisme et l’épanouissement individuel. J’ai été influencé, lors de mes études d’histoire, par les figures d’Alain, de Clemenceau, de Pierre Mendès France, et, plus tard, par celles de Maurice Faure, René Billères, Michel Crépeau et, bien sûr, de François Abadie ».

François Fortassin était professeur certifié d’histoire-géographie. Né le 2 août 1939 dans cette commune de Sarp, dans la vallée de la Barousse qui lui était si chère, il avait, après des études secondaires au lycée de Saint-Gaudens et des études universitaires à Toulouse, enseigné au lycée Théophile-Gautier, puis au collège Victor-Hugo, à Tarbes. Après quelques engagements syndicaux, sa formation historique, ses convictions républicaines, son attachement à la laïcité et son lien viscéral au terroir bigourdan le conduisirent naturellement à l’engagement politique.

Il est élu conseiller municipal en mars 1971 et devient, six ans plus tard, maire de sa commune natale. Il exercera ce mandat qu’il exercera durant vingt-quatre ans, avant d’être contraint d’y renoncer en 2001 en raison de la loi sur la limitation du cumul des mandats, tout en conservant les fonctions de premier adjoint.

Il fut, comme maire de Sarp, l’artisan de la création de la communauté de communes de la vallée de la Barousse. Le défenseur inlassable de son territoire qu’il était s’investit aussi fortement dans le syndicat des eaux de la Barousse et du Comminges.

Sa carrière d’élu local conduisit François Fortassin à exercer le mandat de conseiller général du canton de Mauléon-Barousse. Il fut également, durant près de vingt ans, membre du conseil régional de Midi-Pyrénées, où il présida le groupe des radicaux de gauche. D’avril 1992 à mars 2008, il fut président du conseil général des Hautes-Pyrénées, fonction qu’il marqua durablement de son empreinte.

À la tête de l’assemblée départementale, il s’engagea, durant seize ans, sur tous les grands dossiers concernant les Hautes-Pyrénées, avec le souci premier de maintenir un aménagement équilibré et harmonieux, en particulier entre les territoires ruraux et l’agglomération tarbaise.

Il se battit pour donner une nouvelle impulsion au développement économique du département, créa un fonds d’aménagement rural et un fonds d’équipement urbain pour soutenir les communes du département.

En matière scolaire, le Conseil général réalisa sous son impulsion la réhabilitation de l’ensemble des collèges et soutint le développement d’un pôle universitaire à Tarbes.

Ce qui cependant tenait tout particulièrement à cœur à François Fortassin était la reconversion du pic du Midi en un haut lieu touristique, le « vaisseau des étoiles ». De ce symbole majeur de l’attractivité et du rayonnement des Hautes-Pyrénées, avec Lourdes – voyez quelle diversité républicaine recèle ce département ! –, François Fortassin fit une priorité et s’engagea personnellement en présidant le syndicat mixte.

Qui n’a pas vécu une ascension puis une soirée avec François Fortassin au haut du Pic du Midi entre terre et étoiles, entre gastronomie et chants montagnards, n’a pas connu la quintessence de la vie et de l’air pur partagé. Je vous en apporte le témoignage, j’étais plus lucide à la montée qu’à la descente ! (Sourires.)

François Fortassin n’avait pas prévu de mener cette carrière nationale. Je le cite : « Je ne m’étais pas fixé d’objectif, mais, à un moment donné, François Abadie a vu en moi son successeur. Cela s’est fait comme ça, simplement. Ce mandat national n’a pas été une préoccupation majeure, mais je l’ai assumé avec beaucoup de bonheur ».

François Fortassin était, je le crois, un sénateur heureux, qui portait sur le mandat sénatorial un regard personnel et aiguisé par l’expérience : « Le Sénat est une chambre de réflexion très utile. Ce que je déplore le plus dans la période actuelle, c’est la dégradation du politique à laquelle on aboutit à travers les réseaux sociaux. Il est bon d’avoir une chambre où peut s’engager la réflexion et qui n’est pas dans la précipitation ou dans l’émotion de l’instant ». Propos à méditer collectivement…

C’est le sens du message que François Fortassin nous délivra constamment, avec le sens du rassemblement, de l’écoute et du dialogue, à l’occasion de chacune des réunions du bureau du Sénat. Ses interventions de bon sens y sonnaient juste et emportaient bien souvent l’adhésion.

Notre collègue était un républicain modéré, mais n’était pas modérément républicain. Il portait au Sénat les valeurs qui étaient les siennes, qu’il s’agisse de la construction européenne – il réclamait inlassablement, même lorsque ce n’était pas du tout la mode, « plus d’Europe et mieux d’Europe » – ou de la laïcité, pour laquelle il s’est toujours battu, considérant qu’il fallait affirmer constamment et avec vigueur ces valeurs que la République porte.

François Fortassin, à titre personnel ou au nom de son groupe, s’intéressait à tous les sujets. Il fut membre successivement des commissions des affaires culturelles, des affaires économiques, où j’ai travaillé à ses côtés, des finances, puis des affaires sociales.

J’ai en mémoire ses dernières interventions, à la fin de l’année dernière, sur le projet de loi relatif à l’égalité et à la citoyenneté ou sur deux textes législatifs relatifs aux activités sportives, un autre sujet qui le passionnait.

Il déposa encore au début de cette année deux propositions de loi, visant à garantir le principe de l’indépendance de la justice et à rétablir les critères de classement des communes situées en zone de revitalisation rurale.

Homme de convictions, François Fortassin était aussi un homme de passions.

Il partageait avec les habitants de sa vallée la passion de la montagne, celle de la chasse – ne m’a-t-il pas fait découvrir à cette occasion l’hypothétique ours ? – la passion de la tauromachie et celle du rugby, sans oublier, bien sûr, les plaisirs de la table, auxquels l’épicurien jovial qu’il était ne demeurait pas insensible.

Je ne saurais enfin oublier, en ce 11 juillet, sa passion pour le Tour de France, lui qui accueillait, il y a encore quelques mois, l’organisateur de l’épreuve en vue de l’édition 2017. Il y voyait « un miracle permanent, 3 500 kilomètres de sourires ». Il en fit un instrument de promotion des Hautes-Pyrénées, à l’occasion du passage annuel de l’épreuve sur les routes et surtout les cols mythiques de son département.

Oui, François Fortassin a voué l’essentiel de son existence et de son énergie à son travail d’élu et de parlementaire. Je souhaite redire notre sympathie aux membres du groupe du Rassemblement démocratique et social européen du Sénat et à ses collègues de la commission des affaires sociales.

Je voudrais aussi transmettre à chacun des membres de sa famille, ceux qui sont ici présents comme à ceux qui n’ont pas pu l’être, à ses six enfants et à tous ses proches, mais aussi à tous les habitants de Sarp – je me souviens de ce chaleureux moment d’amitié que nous avons partagé, entre l’esplanade de l’église, symbole d’une laïcité assumée, et la salle des fêtes – mes condoléances très sincères, que je sais partagées. C’est que François Fortassin, que je vois encore ici présent (M. le président désigne le fauteuil qu’occupait François Fortassin, où son portrait a été placé.) portait une parcelle vivante de République. (Applaudissements.)

La parole est à M. le ministre.

M. Jacques Mézard, ministre de la cohésion des territoires. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, mesdames, messieurs, le 15 mai dernier, nous avons appris avec une profonde tristesse que François Fortassin venait de nous quitter.

Quatre jours plus tard, à Sarp, dans la vallée de la Barousse, si proche des sommets des Pyrénées, à laquelle il tenait tant, nous étions nombreux à lui rendre hommage. Vous étiez là, monsieur le président du Sénat, ainsi que Michel Pélieu, son ami et successeur dans cette assemblée – j’allais dire notre assemblée ! –, le président Didier Guillaume et plusieurs de ses collègues, notamment du groupe du RDSE.

Nous étions nombreux, aux côtés de sa famille et de ses amis, pour nous recueillir et pour rendre à François Fortassin l’hommage qu’il méritait.

Je n’oublierai pas cette journée parce que ce fut mon premier déplacement comme ministre, alors chargé de l’agriculture. Prendre la parole pour la première fois en cette qualité, mais pour rendre hommage à mon ami François Fortassin… vous comprendrez mon émotion. Ainsi donc, nous n’aurons jamais eu le plaisir d’échanger, François et moi, lui en tant que parlementaire et moi en tant que ministre. Je ne doute pas que nos échanges auraient été constructifs, pleins d’humour et d’amitié. Il m’aurait interpellé sur bien des sujets, et, comme il l’a toujours fait, il aurait su faire remonter sa perception du terrain, ses analyses toujours emplies du bon sens qui le caractérisait tant, vous avez raison de le souligner, monsieur le président, toujours empreintes de ce pragmatisme qui lui a permis de connaître une trajectoire politique remarquable, comme il n’y en aura probablement plus beaucoup, pour des raisons que vous connaissez mieux que personne, mesdames, messieurs les sénateurs.

Le pyrénéiste François Fortassin a gravi un à un, tous les échelons du cursus honorum de la vie politique, grâce à sa passion des gens – il n’est de bonne politique que lorsque l’on aime les autres –, et de son territoire, la vallée de la Barousse et les Hautes-Pyrénées.

François Fortassin a commencé sa carrière en 1971, date à laquelle il est élu conseiller municipal de Sarp. Il en devient le maire six ans plus tard et sera constamment réélu jusqu’en 2001, prouvant ainsi que lorsque l’on travaille et que l’on aime un territoire et ses habitants, la confiance naît et ne disparaît pas. Il a été conseiller général de 1979 jusqu’en 2015 et président du conseil général de 1992 à mars 2008. En 1982, il a fait son entrée au conseil régional de Midi-Pyrénées ; il y restera jusqu’en 2001.

Il succède alors au Sénat à François Abadie, dont il est le suppléant, il sera élu sénateur quelques mois plus tard, puis réélu dix ans plus tard, en 2011, dès le premier tour, avec la confiance des grands électeurs des Hautes-Pyrénées, tous conscients de la passion qu’il nourrissait pour ce territoire magnifique. Ils savaient qu’ils avaient au Sénat, avec François Fortassin, un ardent défenseur de leur territoire, mais aussi un vrai fantassin de la République.

Il laisse le souvenir d’un homme de fidélité, de fidélité à la République et à ses grandes valeurs, de fidélité à son territoire, de fidélité à la Haute Assemblée et au parti politique qui a toujours été le sien : le parti radical. Comme vous l’avez rappelé, monsieur le président, les valeurs essentielles du radicalisme s’incarnaient tout à fait dans l’homme qu’était François Fortassin.

Pour avoir souvent parlé avec lui de toutes ses responsabilités électives, celle qu’il apprécia le plus fut celle de président de l’institution départementale. Cela a aussi du sens de le rappeler ici, compte tenu notamment de ce qui se passe depuis plusieurs années. François Fortassin était en effet conscient que le département lui permettait d’avoir directement prise sur le réel et de mener à bien des projets concrets en faveur de son territoire et de ses concitoyens.

Ceux qui ont eu la chance de le côtoyer le savent, François Fortassin mit toute son énergie au service du développement de son département, avec le souci constant de maintenir l’équilibre entre les territoires ruraux et l’agglomération tarbaise. Ce n’était pas toujours facile, et nous sommes nombreux à connaître aujourd’hui la nécessité de préserver ces équilibres.

Partisan de la solidarité territoriale, d’un aménagement équilibré et harmonieux, il est à l’origine de la création, par son conseil général, du fonds d’aménagement rural et du fonds d’équipement urbain qui permettent de soutenir financièrement les communes du département. Plus qu’une réussite, ce fut un exemple pour beaucoup !

En matière touristique, François Fortassin a fait de la reconversion du pic du Midi une priorité à laquelle il est resté attaché jusqu’au bout, et nous sommes nombreux à avoir gravi les pentes du pic du Midi pour observer sur les Pyrénées le rayon vert du soleil couchant. Il a ainsi permis la mise en place d’une réserve internationale du ciel étoilé, dont il était particulièrement fier.

Autre sujet sur lequel François Fortassin s’est fortement impliqué : l’eau et les questions d’irrigation, qui sont primordiales pour nos territoires et notre agriculture, il l’avait su avant les autres.

François Fortassin était d’abord et avant tout un élu de terrain, soucieux d’être concret et efficace et d’améliorer le quotidien des Haut-Pyrénéens. De même, ici, au Sénat, c’est toujours en s’appuyant sur des exemples locaux et sur des expériences vécues dans son territoire qu’il prenait position et s’exprimait, dans une totale liberté, la liberté chère au RDSE mais inhérente à sa personnalité.

En cela, il était un sénateur de terrain, pragmatique, libre, loin des dogmes et des postures, respectueux des idées et des convictions des autres. Il était tout simplement un sénateur utile, utile à la fabrique de la loi, utile à la République.

Au-delà de l’amitié qui nous liait, forgée au sein de la même famille politique, François Fortassin et moi avons été collègues au sein du même groupe politique, et je n’oublierai pas son accueil lorsque je suis arrivé au Sénat, en 2008, alors qu’il était déjà une figure de la Haute Assemblée. Chaque homme, chaque femme est unique, mais François Fortassin était particulièrement unique ! (Sourires.) Il était un sénateur aussi attachant qu’atypique, reconnu et apprécié de tous ses collègues.

Depuis 2001, rares étaient les semaines où François Fortassin ne prenait pas l’avion depuis Tarbes ou Pau pour nous rejoindre au Sénat, ce Sénat qu’il aimait tant et qui le lui rendait bien ! Aussi, lorsque depuis plusieurs mois maintenant, ne le voyant plus à notre réunion de groupe, pas davantage dans l’hémicycle ni même au restaurant du Sénat, oui, nous avions compris que quelque chose se passait, nous savions qu’il menait un combat difficile, dans la plus grande dignité.

Au Sénat de la République, je peux dire que François Fortassin fut un vrai, un ardent défenseur des valeurs républicaines. Il y a quelques mois à peine, j’étais assis à ses côtés dans cet hémicycle lorsqu’il interrogea le garde des sceaux de l’époque sur la nécessité de respecter l’indépendance de l’autorité judiciaire et la séparation des pouvoirs. Cela restera comme sa dernière expression publique au Sénat, elle avait une grande signification.

Tous ceux qui l’ont vu à l’œuvre, en commission comme en séance, gardent de lui le souvenir d’un sénateur profondément attaché aux valeurs de liberté, de solidarité et de tolérance, mais aussi à la laïcité, essentielle à notre République, une laïcité de liberté, qu’il associait à l’école publique à laquelle il devait tant, lui, le professeur d’histoire-géographie qui avait formé des générations de citoyens.

Ces valeurs, il les pratiquait au quotidien depuis sa jeunesse, dans l’exercice de ses mandats, mais aussi dans la pratique du sport, plus exactement du rugby et du cyclisme, deux sports parfaitement enracinés, comme lui, dans les Pyrénées.

Il était un véritable passionné de rugby - ses amis connaissent le surnom qu’il avait dans la mêlée, mais je ne le dévoilerai pas aujourd’hui (Sourires.) – comme il était un vrai passionné du Tour de France. Jeudi, la course passera dans la vallée de la Barousse, et tous ceux qui sont attachés à François Fortassin ne manqueront pas d’avoir une pensée émue pour lui à cette occasion. Enfin, il était un aficionado de tauromachie. En ces trois domaines, il était un expert reconnu, au point, par exemple, d’avoir su tisser une relation étroite et forte entre son département et le Tour de France, nous nous en souviendrons tous.

Qu’il me soit permis aujourd’hui, en ce jour d’étape, à l’approche des Pyrénées, de faire une révélation : si la présence et l’activité en séance publique de François Fortassin durant les chaudes sessions extraordinaires de juillet connaissaient un léger ralentissement, c’était bien sûr parce qu’il ne voulait rien rater des échappées pas plus que des sprints aux arrivées. Il lui arrivait de multiplier les allers et retours entre l’hémicycle et le bureau, tout proche, de son président de groupe et il est bien possible que parfois, un ou deux amendements n’aient pu être défendus ! (Sourires.)

À propos d’amendements, il en est un dont il était très fier – il en avait permis l’adoption à la quasi-unanimité de la Haute Assemblée –, et dont il parlait très souvent, s’assurant ainsi un franc succès dans son département. Dans le cadre de la discussion de la loi relative au Grenelle de l’environnement, l’amendement déposé indiquait tout simplement ceci : « Les herbivores doivent manger de l’herbe », rappelant ainsi avec son bon sens légendaire que « si l’on avait fait manger de l’herbe aux vaches, on n’aurait jamais eu la vache folle. » Cela résume le bon sens, le sens du terrain et de la réalité de François Fortassin.

C’est bien cette voix pragmatique et sincère, celle d’un vrai républicain qui savait toujours ramener les débats à l’essentiel, à savoir l’utilité de la loi, sa perception par les citoyens et ses effets véritables sur le quotidien des Français, oui, c’est cette voix qui s’est tue, cet éclairage qui s’est éteint et qui désormais manquera à tous ses collègues sénateurs.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, homme de passions, homme d’un territoire, homme de son territoire, homme de valeurs fortes, avec la République chevillée au corps, François Fortassin restera une grande figure du radicalisme, un grand élu local du Sud-Ouest, un territoire chaleureux, et un parlementaire assidu, utile et toujours libre, dans son expression comme dans ses votes. Apprécié de tous, François Fortassin s’en est allé le 15 mai dernier, et ceux qui l’ont connu savent qu’il a désormais trouvé sa place dans ce ciel étoilé des Hautes-Pyrénées, quelque part au-dessus du pic du Midi.

Au nom du gouvernement de la République, j’adresse à toute sa famille, à tous ses proches, aux habitants de ce territoire qu’il aimait tant, à ses concitoyens, mes condoléances les plus sincères, et les plus attristées. (Applaudissements.)

M. le président. Monsieur le ministre, mes chers collègues, mesdames, messieurs, non sans vous avoir remerciés de votre présence nombreuse, je vous invite maintenant à partager un moment de recueillement à la mémoire de François Fortassin. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que M. le ministre, observent une minute de silence.)

Conformément à notre tradition, en signe d’hommage à François Fortassin, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à quatorze heures quarante-cinq, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. Jean-Claude Gaudin.)

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Claude Gaudin

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

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Dossier législatif : projet de loi pour la confiance dans la vie politique
Rappel au règlement

Rétablissement de la confiance dans l'action publique

Suite de la discussion en procédure accélérée d’un projet de loi et d'un projet de loi organique dans les textes de la commission

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, après engagement de la procédure accélérée, rétablissant la confiance dans l’action publique (projet n° 581, texte de la commission n° 609, rapport n° 607, avis n° 602) et du projet de loi organique rétablissant la confiance dans l’action publique (projet n° 580, texte de la commission n° 608, rapport n° 607, avis n° 602).

Je rappelle que la discussion générale commune a été close.

La parole est à Mme Éliane Assassi, pour un rappel au règlement.

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi pour la confiance dans la vie politique
Articles additionnels avant l'article 1er

Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, le débat relatif au projet de loi visant à rétablir la confiance dans la vie publique est important et fondamental, comme j’ai eu l’occasion de le souligner hier.

Les dernières campagnes électorales, les dernières modalités d’exercice du pouvoir, la place des médias dans la vie politique ont mis en exergue l’exaspération, voire le ras-le-bol de nos concitoyens face à la place croissante de l’argent dans la vie politique. Cette question traverse, me semble-t-il, toute la société.

Comment ne pas parler de la représentativité des élus ? Comment ne pas parler de la place des médias, de leurs rapports avec puissances d’argent et forces politiques dans un tel débat ? Comment ne pas parler des instituts de sondage aux mains des grands groupes privés ?

Le Parlement, monsieur le président de la commission des lois, doit demeurer un lieu de débat, un lieu de propositions, y compris des propositions alternatives. Si le débat dans sa plénitude n’a pas lieu au Parlement, où aura-t-il lieu ? Au conseil des ministres ?

De nombreuses – trop nombreuses ! – irrecevabilités ont été décrétées pour refuser d’emblée l’examen d’amendements, la plupart d’entre elles au motif que ces derniers n’auraient pas, comme l’exige l’article 45 de la Constitution, de lien direct ou, j’y insiste, indirect avec le projet de loi.

Monsieur le président de la commission des lois, vous savez que la réforme constitutionnelle de 2008 avait pour objet d’élargir le droit d’amendement, et non pas de le restreindre. Voulez-vous que je vous donne lecture du rapport de M. Hyest, votre prédécesseur, et de ses interventions en séance publique en la matière ?

Vous me direz que c’est le Conseil constitutionnel qui, dans l’un de ces revirements de jurisprudence dont il a le secret, a poussé à restreindre le champ du droit d’amendement. Cela pose une nouvelle fois le problème de la légitimité du Conseil constitutionnel pour décider de l’organisation démocratique de nos institutions. Le Parlement doit défendre ses prérogatives avec fermeté.

Le renforcement du pouvoir exécutif décidé et mis en œuvre très rapidement par M. Macron doit nous faire réfléchir. Le droit d’amendement est crucial pour respecter l’équilibre des pouvoirs et leur séparation. Ce n’est pas au Gouvernement de décider, pour la rédaction de son projet de loi et de ses articles, le champ du droit d’amendement, car c’est à cela que revient l’utilisation abusive de l’article 45. Vous donnez au Gouvernement la clef du droit d’amendement, de ce qu’il reste du droit d’amendement.

Je vous demande solennellement, monsieur le président de la commission des lois, de revenir sur cette décision, qui met en péril un droit constitutionnel essentiel, lequel caractérise le pouvoir de faire la loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et sur certaines travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. Acte vous est donné de votre rappel au règlement, ma chère collègue.

La parole est à M. le président de la commission des lois.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la présidente Assassi, vous n’êtes pas la seule, hélas !, à avoir dû souffrir de l’application de l’article 45 de la Constitution dans ce débat, comme il en fut de même pour d’autres textes. D’autres collègues, quelles que soient les travées sur lesquelles ils siègent, ont eu à déplorer l’irrecevabilité de leurs amendements du fait que ceux-ci n’étaient pas suffisamment directement liés à l’objet du texte dont nous discutons.

Je vous rappelle que, récemment, dans le cadre de l’examen du texte de modernisation de la justice du XXIe siècle et du texte relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique présenté par Michel Sapin, le Conseil constitutionnel a eu à réaffirmer sa jurisprudence – je parle sous le contrôle de Mme la garde des sceaux –, une jurisprudence que l’on peut juger sévère, mais qui est en tout cas très nette.

La décision prise ce matin par la commission des lois de déclarer des amendements irrecevables est une sorte d’obligation : nous sommes les gardiens du respect de la procédure législative telle que l’a définie la Constitution, celle-ci étant interprétée par le Conseil constitutionnel seul. Notre marge de manœuvre est, hélas, tout à fait faible dans ce domaine.

J’ajoute que ce n’est pas le titre d’un projet de loi qui détermine le champ des amendements possible. Quand il s’agit de parler de confiance ou de moralisation, on pourrait dire que tout se rapporte au projet de loi ; aucune irrecevabilité ne serait alors « recevable », si je puis dire.

En fait, c’est le contenu même des dispositions proposées par le Gouvernement qui détermine le champ des irrecevabilités. À cet égard, tous les amendements déclarés irrecevables le sont réellement, sous réserve de l’appréciation souveraine du Conseil constitutionnel. Si ce texte est adopté, le Conseil constitutionnel peut être amené à statuer sur la régularité de la procédure législative : il dira alors le droit.