M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat sous forme de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.

Les auteurs des questions disposeront chacun de deux minutes, y compris pour la réplique.

Je rappelle que vingt et un orateurs sont inscrits. Afin de pouvoir lever la séance autour de vingt heures trente, je remercie tous les intervenants de respecter leur temps de parole.

Dans le débat interactif, la parole est à M. Frédéric Marchand.

M. Frédéric Marchand. Comptez sur moi pour être bref, monsieur le président. Il faut aller à l’essentiel !

Dans vos propos, monsieur le ministre, vous avez évoqué la première Conférence nationale des territoires, qui s’est tenue, ici même, au Sénat. Le Président de la République y déclarait : « Vous l’avez compris, je souhaite accompagner, encourager les initiatives, supprimer les verrous encore trop nombreux qui contraignent les territoires dans leur souhait de s’organiser mieux, en vue d’une action publique plus efficace. Cette liberté sera laissée aux élus locaux, en lien avec les représentants de l’État aussi, pour expérimenter de nouvelles politiques publiques, de nouvelles organisations des services publics, mais aussi pour innover en matière d’aménagement du territoire, d’urbanisme et pour définir notre territoire de demain. »

Avec ces termes « aménagement du territoire », tout est dit ! Voilà sans conteste, monsieur le ministre, des propos qui donnent le tempo pour un nouvel âge de la politique d’aménagement du territoire et pour le fameux droit d’expérimentation.

Plus près de nous, toujours au Sénat, ce lundi 23 octobre se tenait la Conférence nationale des pôles d’équilibres territoriaux et ruraux et des pays, l’occasion, pour les nombreux participants, de mesurer à quel point notre pays est riche de son unité, mais aussi, et surtout, de sa diversité.

À cette occasion, Mme la ministre Jacqueline Gourault est revenue sur le droit à l’expérimentation, aujourd’hui trop peu utilisé par les collectivités. Elle a rappelé, répondant en cela à l’engagement du Président de la République, combien il était nécessaire de le simplifier, alors même qu’il existe aujourd’hui l’obligation d’une généralisation de ces expérimentations sur tout le territoire au bout de deux ans ou d’un arrêt pur et simple.

Pouvez-vous nous en dire plus, monsieur le ministre, sur les intentions du Gouvernement en la matière et peut-on imaginer que ce droit à l’expérimentation simplifié se transforme, à terme, en droit à la différenciation de l’action publique au regard des spécificités de nos territoires ? (M. François Patriat applaudit.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Jacques Mézard, ministre de la cohésion des territoires. Effectivement, le Président de la République a annoncé, le 17 juillet, ici même, la volonté de renforcer le droit à l’expérimentation.

Vous connaissez la situation actuelle, mesdames, messieurs les sénateurs. Le dispositif d’expérimentation existe, mais il débouche soit sur un arrêt, soit sur une généralisation à tout le territoire.

Pour mettre en place un cadre institutionnel plus adapté à la diversité de nos territoires – c’est le souhait du Gouvernement –, nous avons saisi le Conseil d’État d’un avis portant sur la différenciation des compétences des collectivités territoriales relevant d’une même catégorie et des règles relatives à l’exercice de ces compétences. Nous attendons cet avis d’ici à la fin de l’année.

En fonction de cet avis, nous pourrons inclure, dans un projet de révision constitutionnelle – je pense qu’il y en aura une –, cette question qui, jusqu’à présent, a bloqué le développement du droit à l’expérimentation. Bien sûr, dans le cadre de la Conférence nationale des territoires, nous avons invité les collectivités à exprimer les besoins de différenciation qui sont nombreux et auxquels nous sommes tout à fait attentifs.

M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard.

M. Guillaume Gontard. En 2015, la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte créait les territoires à énergie positive pour la croissance verte – ou TEPCV –, permettant aux territoires à énergie positive – ou TEPOS –, ces initiatives associatives et régionales, de signer une convention avec l’État et de bénéficier de financements publics.

Avec le volontarisme qu’on lui connaît, la précédente ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie a signé plusieurs dizaines de conventions depuis 2015, engageant l’État pour un montant prévisionnel de 750 millions d’euros. Cette dynamique est extrêmement positive pour le développement et l’aménagement durable de nos territoires et s’inscrit pleinement dans le cadre du respect des engagements pris lors de l’accord de Paris.

Cependant, une circulaire du ministère de la transition écologique et solidaire du 26 septembre dernier est venue jeter un froid. L’actuel ministre a admis ne disposer que de 400 millions d’euros pour les TEPCV. Plutôt que de négocier une rallonge budgétaire avec Bercy, il a donné des instructions particulièrement strictes aux préfets, le but à peine voilé étant de faire tomber un certain nombre de projets pour vice de procédure et, ainsi, défaire l’État de ses engagements.

Dans mon département, l’Isère, nous estimons que la moitié des projets pourraient ainsi perdre leurs financements.

Ces mesures contraignent, au-delà du raisonnable, même les projets les plus aboutis. C’est d’autant plus regrettable que la plupart des irrégularités aujourd’hui sanctionnées sont dues aux délais imposés par l’État.

Non, les collectivités ne peuvent pas délibérer en quelques jours, entre l’accord de l’État sur leur programme d’actions et l’injonction de monter à Paris pour signer la convention !

Vous parliez d’État facilitateur, monsieur le ministre… Je pose la question : l’État va-t-il une nouvelle fois accroître le ressentiment des collectivités locales à son égard, en réalisant des économies de courte vue, et ce dans un domaine aussi essentiel que la transition énergétique et l’aménagement du territoire, dont votre gouvernement a pourtant fait une priorité absolue ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Jacques Mézard, ministre de la cohésion des territoires. Vous faites état d’une circulaire datant de la fin du mois de septembre, monsieur le sénateur. Ce matin encore, je me suis entretenu de ce dossier avec le ministre d’État, M. Nicolas Hulot. Ce dernier m’a indiqué qu’il examinait la situation, département par département.

Vous avez évoqué un respect, peut-être strict, des obligations. Je crois qu’il ne faut pas confondre État facilitateur et non-respect des dispositions prévues.

Je suis donc intervenu personnellement auprès du ministre d’État pour lui signaler les difficultés qui remontaient des territoires. À cet égard, j’examinerai bien sûr avec intérêt la situation du département de l’Isère.

Sachez, monsieur le sénateur, que j’ai parfaitement conscience du problème, mais les règles fixées seront appliquées, ce qui, me semble-t-il, ne nous empêchera pas de trouver des solutions qui vous donneront satisfaction.

M. le président. La parole est à M. Michel Dagbert.

M. Michel Dagbert. Le 7 mars dernier, monsieur le ministre, l’État signait en présence de Bernard Cazeneuve, alors Premier ministre, l’Engagement pour le renouveau du bassin minier du Nord et du Pas-de-Calais.

On dénombre onze collectivités, dont la région des Hauts-de-France, les départements du Nord et du Pas-de-Calais, et huit EPCI signataires de ce contrat de développement, qui les engage pour dix ans.

Ce contrat partenarial d’intérêt national trouve sa légitimité dans les caractéristiques sociales et économiques de ce territoire, caractéristiques découlant directement de l’arrêt de la production des houillères en 1990.

Le taux de pauvreté sur ce territoire de 1,2 million d’habitants est supérieur de 60 % à la moyenne nationale. Le taux de chômage oscille entre 15 % et 16 %. L’espérance de vie est inférieure de six ans à la moyenne de l’Île-de-France. Ces quelques chiffres parlent d’eux-mêmes !

La solidarité nationale à l’égard du bassin minier du Nord et du Pas-de-Calais est un impératif, une condition nécessaire pour que celui-ci puisse se projeter dans l’avenir et pour que ses habitants reprennent espoir. Ce n’est rien de moins que la question de la cohésion territoriale qui se joue là, pour 20 % de la population des Hauts-de-France.

Aussi, monsieur le ministre, il est temps pour l’État de revenir vers les onze collectivités signataires du contrat et de confirmer ses engagements, de les « affermir », pour reprendre l’euphémisme administratif récemment entendu.

Qu’en est-il des 100 millions d’euros promis par l’État pour doubler le rythme de rénovation des passoires énergétiques que sont les logements miniers ?

Qu’en est-il des 200 millions d’euros du fonds d’investissement en faveur de l’équipement du territoire ?

Qu’en est-il, enfin, de la création de zones d’attractivité économique sur 90 % des communes du bassin minier ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Jacques Mézard, ministre de la cohésion des territoires. Je tiens à vous dire, monsieur le sénateur, que l’État respectera ses engagements.

C’est en tenant compte des problèmes spécifiques que vous avez rappelés que le Premier ministre Bernard Cazeneuve – vous savez, mesdames, messieurs les sénateurs, l’estime que j’ai toujours eue pour lui – a cru devoir signer ce contrat. Mais aucun financement n’était prévu en face !

Néanmoins, j’étais présent à Amiens quand le Président de la République est revenu sur le dossier Whirpool. Il s’est exprimé devant les élus de la région, en indiquant très clairement que l’État respecterait les engagements pris sur le bassin minier. Cela inclut la désignation du délégué interministériel, les 23 000 logements à réhabiliter et les projets de zones franches.

J’y insiste, les engagements seront tenus, dans la limite des dotations dont nous disposons, comme cela a été réaffirmé lors de la récente visite du Président de la République à Amiens.

Je tiens à rappeler ce fait, qui concerne de nombreux dossiers : les signatures sont une chose, mais l’exécution n’est pas forcément simple quand aucun financement n’a été prévu ! Dans le cas présent, nous trouverons une solution, car nous tenons à respecter l’engagement pris.

M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing.

M. Daniel Chasseing. L’aménagement du territoire est plus que jamais une nécessité pour les territoires ruraux, dont l’avenir est très inquiétant.

Premier point, l’agriculture – notamment d’élevage – a perdu les deux tiers de ses emplois en vingt ans et se trouve en grande difficulté.

Je souhaite que les états généraux de l’alimentation aboutissent à des solutions concrètes pour que les agriculteurs ne vendent plus leurs productions au-dessous du prix de revient. Je souhaite, outre les aides existantes, une intervention au niveau assurantiel de la politique agricole commune, la PAC, lorsque les prix sont trop bas.

Deuxième point, les territoires ruraux sont confrontés au défi majeur des déserts médicaux.

L’absence de médecins condamne les territoires à la désertification, compromet le retour des retraités et l’implantation des jeunes, condamne le tourisme, l’économie, les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes – les EHPAD – et les pharmacies.

Même si des mesures sont déjà prises, comme le développement des maisons de santé, l’instauration d’incitations financières – pour l’instant sans succès – ou la mise en œuvre, par Mme le ministre des solidarités et de la santé, de nouvelles actions pragmatiques, comme la collaboration entre secteur public et secteur privé, l’alternance entre emploi et retraite, le temps médical ou les consultations avancées, je pense qu’il faudra aller plus loin.

Il faudra par exemple envisager un non-conventionnement des médecins s’installant dans les zones hyperdenses et une augmentation du numerus clausus.

À l’avenir, l’État devra s’engager pour assurer sur tout le territoire, donc en milieu rural, les soins de premier recours, avec, notamment, l’objectif d’un médecin dans chaque maison de santé.

Troisième point, nous devons mieux soutenir l’économie en milieu rural. C’est une urgence !

Il existe actuellement des zones de revitalisation rurale, mais elles n’ouvrent droit à des exonérations que sur les cinq premières années d’installation.

Il serait pertinent, pour aménager les territoires ruraux, d’instaurer de véritables zones franches et un principe d’« emplois francs », comme le Gouvernement l’a prévu dans certains secteurs, avec un sous-préfet « développeur » qui participerait et suivrait les dossiers viables avec le département et la région.

Quatrième point, la question du service public – cela a été souligné pour le cas particulier du numérique – est absolument capitale, et ce dans tous les domaines, à commencer par la médecine.

Il convient de développer la téléphonie mobile, les maisons de service public et, de manière générale, tous les services publics, ainsi que de renforcer les bourgs-centres.

Cinquième point, il faut développer les centrales hydroélectriques sur plusieurs rivières, avec, notamment, une prorogation des concessions EDF, qui peuvent apporter une production complémentaire importante. Je pense à un projet comme celui de Redenat, en Corrèze, qui est équivalent à un projet de centrale nucléaire.

Je vous remercie, monsieur le ministre, de nous faire part des propositions, je l’espère volontaires, que le Gouvernement entend formuler pour œuvrer au maintien de la vie en milieu rural et enrayer la désertification.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Jacques Mézard, ministre de la cohésion des territoires. En à peine deux minutes trente, monsieur le sénateur Chasseing, vous avez formulé cinq propositions. Je salue cet exploit, même si je vous sais toujours constructif ! (Sourires.)

M. Roger Karoutchi. Cela démarre mal !

M. Jacques Mézard, ministre. Dans mon intervention liminaire, j’ai déjà donné un certain nombre de réponses à vos questions – vous êtes d’ailleurs souvent intervenu en ce sens dans cette assemblée.

Votre question sur les déserts médicaux me permettra, d’une certaine façon, de répliquer à la réplique, qui était préparée…

Je dirai donc que les décisions prises par Mme le ministre des solidarités et de la santé représentent, pour une bonne partie d’entre elles, un réel progrès, que ce soit le développement des consultations avancées, l’accélération du recours à la télémédecine, la multiplication, avec financement, des stages chez les médecins libéraux, l’encouragement du cumul emploi et retraite des médecins libéraux, la question des exercices partagés, sur laquelle le Gouvernement a formulé des propositions nouvelles, ou encore la généralisation du contrat de médecin adjoint.

J’ai déjà répondu à une question d’actualité au Gouvernement sur le sujet. Vous considérez qu’il faut aller plus loin ; je l’entends et le Gouvernement y réfléchit. La désertification médicale dans les territoires constitue effectivement un dossier extrêmement important.

Le temps me manque pour répondre aux quatre autres questions, y compris à votre interrogation sur l’hydroélectricité. Celle-ci présente un intérêt certain en tant qu’énergie renouvelable, mais vous savez que de tels projets engendrent de très nombreux recours juridiques. C’est d’ailleurs systématiquement le cas lorsqu’on lance un projet d’énergie renouvelable dans ce pays, où la question est avant tout de diminuer le nombre des recours et, à tout le moins, d’en accélérer le traitement juridique.

Je ne pourrai pas m’exprimer sur les propositions restantes, mais je ne résisterai pas au plaisir de vous répondre, monsieur le sénateur, par écrit.

M. le président. La parole est à M. Raymond Vall.

M. Raymond Vall. Lors de la Conférence nationale des territoires, le Président de la République a souligné que la France rurale, la France des villes moyennes qui veut aujourd'hui réussir porte une logique de projets, exigeant une logique d’agence.

Les territoires ruraux, mais aussi périurbains et urbains, sont effectivement des territoires de projet dynamiques et pleins d’initiatives, en demande de financements et, surtout, d’ingénierie.

Monsieur le ministre, la préfiguration de la future agence nationale de la cohésion des territoires est-elle arrêtée ? Quelle forme aura cette structure ? Quelle sera sa composition ? Quelles seront ses missions ? Quel maillage territorial assurera-t-elle ? Surtout, quels seront ses moyens ? Aura-t-elle autorité sur les comités interministériels et sur la préparation de l’ordre du jour ? Sera-t-elle constituée sur le modèle de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine, l’ANRU, pour la politique de la ville ? Ou tout simplement, sera-t-elle une nouvelle délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale, une nouvelle DATAR ?

Vous affirmez votre volonté de renouer avec un État stratège, ce que souhaite également la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable du Sénat, de redonner son sens à la politique d’aménagement du territoire et de mettre en place une politique de rééquilibrage des territoires. Ce sont autant de questions qui préoccupent les territoires ruraux, en particulier face au phénomène de métropolisation de notre pays et à ses conséquences en termes de fractures territoriales. Bien entendu, ceux-ci comptent sur votre détermination.

En résumé, pouvez-vous nous parler de cette future agence chargée de l’aménagement du territoire ? (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Jacques Mézard, ministre de la cohésion des territoires. Vous connaissez bien les territoires ruraux, monsieur le sénateur Vall, pour y exercer des fonctions d’élu local, et je salue, au passage, les efforts que vous avez fournis pour mettre en place un contrat de réciprocité utile avec la métropole de Toulouse.

Votre question porte sur l’agence nationale de la cohésion des territoires, sur laquelle nous travaillons actuellement. Je l’ai dit tout à l’heure, le dossier n’est pas définitivement bouclé. Nous devons trouver un système simple – nous y travaillons ; il s’agit non pas de recréer une structure lourde, mais de disposer d’un instrument facilitant l’action de nos collectivités locales, en particulier dans les secteurs ruraux, les petites villes et les villes moyennes, qui manquent souvent d’ingénierie.

Certaines collectivités ont évidemment les moyens d’avoir une ingénierie lourde. Mais il émane d’un nombre important de collectivités une demande portant sur une ingénierie que l’État peut mettre à leur disposition, en regroupant ses moyens. Nous travaillons dans ce sens.

Nous sommes également en pleine réflexion avec la Caisse des dépôts et consignations, la CDC, pour une mobilisation plus importante de ses moyens sur ces sujets. Les moyens humains existent, mais les moyens financiers peuvent être bien davantage mobilisés. Dans ce domaine, je pense pouvoir délivrer des annonces très positives d’ici à la fin de l’année.

M. le président. La parole est à M. Jean-François Husson.

M. Jean-François Husson. Notre débat sur le thème : « Aménagement du territoire : plus que jamais une nécessité » arrive à point nommé !

Doucement, mais sûrement, s’est insinuée l’idée que les compétences, les énergies, les forces vives de certains territoires pouvaient partir vers d’autres territoires, faute d’un aménagement suffisant en termes d’infrastructures, d’équipements ou de services publics ou privés.

Nous avons vu grandir, s’affirmer le sentiment de déclassement et prospérer l’idée d’une France à plusieurs vitesses, se traduisant par autant de fractures territoriales, avec une myriade de territoires dont les habitants et les élus ont de plus en plus de mal à ne pas céder au découragement ou à la résignation, quand ce n’est pas à l’exaspération.

L’aménagement du territoire relève pourtant prioritairement de la responsabilité de l’État, qui doit organiser, dans le cadre de la République décentralisée, des relations confiantes et bien articulées avec et entre les collectivités.

La décentralisation doit signifier non pas désengagement progressif de l’État, mais « mieux d’État » !

En se désengageant toujours plus de sa mission d’aménagement du territoire, en termes tout autant de vision que d’ingénierie, l’État a fini par laisser de nombreux territoires démunis. Or nous nous noyons encore beaucoup trop souvent sous un foisonnement de dispositifs et de politiques qui s’additionnent et se multiplient, finissant par créer de la division entre les territoires, là où il y a besoin de fluidité et d’efficacité.

Ma question, monsieur le monsieur, est double. Quels sont les défis auxquels la politique d’aménagement du territoire du Gouvernement entend répondre ? Pensez-vous pouvoir conduire une politique publique efficace et cohérente dans ce labyrinthe d’acteurs et d’outils ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Jacques Mézard, ministre de la cohésion des territoires. Vous avez parfaitement raison, monsieur le sénateur Husson ! Je partage totalement votre analyse : les dispositifs sont beaucoup trop nombreux ; c’est beaucoup trop compliqué !

D’ailleurs, vous ne m’empêcherez pas de sourire quand, parfois, j’entends ceux qui ont voté un certain nombre de lois de complexification considérer, aujourd’hui, qu’une simplification s’impose !

Mais il faut être efficace et, donc, nous travaillons à simplifier les dispositifs.

Je l’ai souligné tout à l’heure, nous avons déjà répertorié plus de 1 100 dispositifs de contractualisation. Ce n’est pas raisonnable !

Simplifier et fluidifier, c’est déjà un rôle essentiel pour un État stratège, et je vous assure que nous nous attaquons au sujet.

Il ne s’agit pas de créer constamment, à la fois, de nouveaux dispositifs et de multiples instruments, pour aboutir, in fine, à une trop grande complexité.

Nous avons vécu, au cours des dernières années, la création de nombreux schémas, certains prescriptifs, d’autres non prescriptifs. Ils consomment un temps considérable. Je ne nie pas l’utilité de certains d’entre eux – ceux qui fixent de réels objectifs –, mais je ne suis pas sûr que le temps consacré par nos élus et les agents de nos collectivités à ces schémas soit toujours parfaitement employé.

Simplifier, c’est d’ailleurs aussi simplifier la mise en place de schémas, tels que les schémas de cohérence territoriale, les SCOT, ou la construction des différents contrats.

En tout cas, monsieur le sénateur, je partage tout à fait votre observation et sachez que nous travaillons et continuerons de travailler en ce sens. Tout cela n’est plus lisible pour nos concitoyens ; souvent, cela ne l’est même plus pour les élus locaux, qu’il s’agisse de dispositifs engageant l’État et les collectivités ou les collectivités entre elles !

M. le président. La parole est à M. Jean-François Husson, pour la réplique.

M. Jean-François Husson. Monsieur le ministre, le chamboulement territorial ininterrompu intervenu depuis 2010 laisse parfois penser que les gouvernants passaient plus de temps à organiser le déménagement de et dans nos territoires que l’aménagement de ceux-ci… Le défi, aujourd’hui, est de changer de braquet pour redonner force, vitalité, confiance et fierté à tous les territoires ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Luche.

M. Jean-Claude Luche. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous le savez comme moi, dans nos départements ruraux, le service public tient une place essentielle dans l’aménagement des territoires et son équilibre. Il contribue à structurer le territoire par une présence visible.

Or, depuis quelques années, entre les réformes territoriales, les transferts de compétences, les regroupements de collectivités territoriales et, surtout, les baisses budgétaires, le service public disparaît peu à peu de nos communes et de nos cantons : tribunaux, maternités, gendarmeries, trésoreries, centres de secours, services territoriaux, médicaux, postaux, bancaires, entre autres. On centralise des services qui étaient présents sur les territoires sans anticiper les fermetures et, surtout, sans concertation avec les élus.

Ce mouvement engendre deux conséquences principales. D’abord, un éloignement du service public pour les citoyens. Ensuite, à moyen terme, un exode des employés des différentes structures.

Ce déplacement de personnels vers des zones plus denses aboutit à des pertes indirectes pour nos territoires. Ces agents, en effet, ne partent pas tous seuls ; ce sont aussi leur famille et leur pouvoir d’achat qui migrent. Résultat : les élèves sont moins nombreux dans les écoles, les commerces perdent des clients et c’est toute une vie locale qui s’essouffle, ce qui anéantit bien souvent les efforts mis en œuvre localement pour dynamiser les communes rurales. C’est une véritable fuite en avant : la moyenne d’âge des populations concernées ne cesse de progresser, tandis que, parallèlement, le potentiel fiscal ne cesse de diminuer.

Cet engrenage contribue donc à rendre certains territoires moins attractifs. Aider les entreprises et soutenir les investissements économiques devient alors plus complexe.

Pour toutes ces raisons, il me semble indispensable de maintenir le service public dans tous nos territoires ; et, surtout, d’intégrer que notre pays n’est pas uniforme : la France est diverse ! Il convient que l’État apporte sa contribution à cette diversité, qui ne peut pas fonctionner uniquement avec des statistiques.

Il est urgent d’imaginer des règles fiscales et sociales pour ceux qui animent nos territoires ruraux, comme, il y a quelques années, les zones de revitalisation rurale, qu’il convient de reconduire, voire de réactualiser.

Avec des critères bien déterminés, une solution pourrait résider dans la création de zones franches rurales garantissant une défiscalisation totale ou partielle aux entreprises s’installant dans nos territoires défavorisés. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Jacques Mézard, ministre de la cohésion des territoires. Monsieur le sénateur Luche, vous n’avez pas eu le temps de poser précisément votre question… Vous avez fait une déclaration programmatique à laquelle je peux souscrire, mais qui découle d’une constatation : les services publics se sont beaucoup retirés des territoires ruraux. Là aussi, chacun pourrait en prendre pour son grade si l’on considère les quinze dernières années…

Nous connaissons bien la situation des services publics de l’État, y compris dans les préfectures des départements ruraux. Nombre d’agents leur ont été retirés, au point que le fonctionnement même des services déconcentrés de l’État est parfois compromis par l’insuffisance des agents. Dans un département petit ou moyen, retirer deux ou trois agents à un service qui en compte quatre pose de réels problèmes…

Nous sommes sensibles à ces questions, par exemple dans le domaine de l’éducation : je crois en effet que la rentrée scolaire s’est passée dans de bonnes conditions, après des années où, dans nos territoires ruraux, nous avons vécu le drame de la carte scolaire. Les choix du ministre de l’éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, ont paru frappés au coin du bon sens pour les territoires ruraux.

Vous avez parlé, monsieur le sénateur, des zones de revitalisation rurale – un sujet sur lequel, je pense, d’autres orateurs m’interrogeront également. Ce dispositif a fait la preuve de son utilité, mais devra être revu ; nous allons y travailler dans les mois qui viennent. Je répondrai plus précisément aux orateurs qui m’interrogeront après vous, mais sachez que je suis tout à fait d’accord avec les propos que vous avez tenus.