M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Nous y sommes prêts !

M. Gérald Darmanin, ministre. C’est bien d’un dégrèvement qu’il s’agit. Le projet du Gouvernement est de réfléchir à la fiscalité locale selon une chronologie figurant dans le projet de loi de finances. Je rappelle que ce sont 10 milliards de baisses d’impôts pour nos concitoyens.

Pour répondre au procès qui nous est fait de présenter un budget qui ne favoriserait que les classes sociales les plus élevées, je ne peux que souligner notre souhait de bloquer à 2 500 euros nets par personne seule la suppression de la taxe d’habitation, et cela concerne bien les classes modestes et les classes moyennes. C’est la plus belle et la plus grande baisse d’impôt que le Gouvernement ait à vous proposer, à la demande du Président de la République. Je rappelle que cela figurait dans son projet électoral, qui a été validé par deux fois par les Français, puisqu’il y a eu également des élections législatives, pour ceux qui auraient loupé cet épisode. (Exclamations.)

Nous aurons également l’occasion de lutter contre les niches fiscales et sociales, qui rendent l’impôt injuste. J’y insiste, la suppression d’impôts ne doit pas s’accompagner de la sauvegarde de la défiscalisation, puisque supprimer des impôts et garder des déductibilités d’impôts qui n’existent plus serait un peu particulier.

Oui, nous supprimons l’ISF ; en revanche, nous gardons le « Madelin », qui contribue au financement de l’économie. L’Assemblée nationale va étudier un certain nombre de mesures pour renforcer l’attractivité de nos PME. Ce dispositif fiscal ne peut pas être le même que l’ISF-PME, puisque supprimer un impôt tout en conservant une déductibilité fiscale entraîne le mitage de l’impôt, ce qui le rend encore plus injuste et incompréhensible.

Je souhaite ici souligner, madame la présidente, la cohérence du PLF et du PLFSS. Le volet « recettes » fait que nous allons étudier, notre système institutionnel étant ainsi fait, la suppression de la taxe d’habitation dans le PLF et la suppression de cotisations avec l’augmentation de la CSG dans le PLFSS.

Il ne s’agit que d’une remarque institutionnelle et d’un débat théorique, puisque, pour les Français, pour le Gouvernement, mais aussi pour vous-mêmes, les recettes et les dépenses sont à voir comme un tout. Si l’on a bien voulu me confier le portefeuille des comptes publics, et pas simplement celui du budget, c’est bien qu’il faut raisonner toutes administrations publiques confondues.

Oui, il y a une augmentation de CSG de 1,7 point.

Oui, il y a une suppression de la taxe d'habitation.

Oui, il y a une suppression de cotisations.

Il faut mettre en avant la grande cohérence du Gouvernement : lorsque l’on parle de l’augmentation de la CSG, il faut dans le même temps évoquer la suppression de la taxe d’habitation dans sa chronique, ainsi que la suppression des cotisations. En dehors des aspects techniques et statutaires, les agriculteurs, les indépendants, les fonctionnaires, un certain nombre d’autres agents étant concernés par la décision du Gouvernement, et des amendements seront d’ailleurs discutés sur ce point, notamment avec Mme Buzyn, arrêtons-nous quelques instants sur la philosophie qui guide le Gouvernement. J’y vois trois grands principes.

Tout d’abord, la fiscalité est trop importante dans notre pays, et c’est la dépense publique qui crée l’impôt. Or l’argent public n’est pas l’argent de personne ; il est l’argent de tout le monde. Force est de constater que le trop de dépenses publiques n’a pas donné plus de biens à notre société, à nos concitoyens. Et ce trop de dépenses publiques n’a pas non plus réglé les problèmes de toutes les politiques publiques.

M. Dallier s’intéresse à juste titre à la question du logement, avec le professionnalisme qu’on lui connaît. Monsieur le sénateur, personne ne peut dire que 40 milliards d’euros de dépenses publiques sur le logement, dont 18 milliards d’euros d’APL, ont permis de régler le problème des 4 millions de mal-logés.

Et personne ne peut penser qu’un système qui permet d’aider, par des subventions, la construction du secteur HLM et, par ailleurs, de solvabiliser les locataires par les APL, soit très sain.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. On est d’accord !

M. Gérald Darmanin, ministre. Enfin, personne ne peut penser un seul instant que ces 40 milliards de dépenses publiques, auxquels on ajouterait 1 ou 2 milliards, les APL étant par essence inflationnistes, dessinent les contours d’un système normal, dans une économie qui se veut libérale - de manière raisonnée, mais libérale quand même, libérale au sens où l’on ne doit pas décourager les acteurs.

La revue des dépenses publiques doit nous aider à être aux côtés de nos concitoyens les plus modestes, dont je sais, pour avoir été maire d’une ville qui connaît 21 % de taux de chômage et le troisième taux de pauvreté de France, que la plupart d’entre eux vont souvent dans le parc privé social. En effet, même si la plupart des bailleurs font bien leur travail, il faut savoir que ces gens ne sont bien souvent pas jugés dignes du parc public social lors des commissions d’attribution.

La politique du logement est donc à revoir, c’est l’une des grandes transformations que nous allons proposer et qui fera ici l’objet d’un débat important.

De même, l’emploi subventionné précaire n’est pas un contrat aidé. Qu’est-ce qu’un contrat aidé ? J’avoue avoir beaucoup péché, qu’il me soit beaucoup pardonné, mais il est vrai que les préfets de la République ont, à la demande du gouvernement précédent, beaucoup encouragé les élus à embaucher, mais pour 600 euros par mois et en moyenne dix mois dans l’année. Car la pratique des élus locaux, qui fut aussi la mienne – ce n’est pas une atteinte à leur dignité que de le dire – consiste bien souvent à embaucher en septembre et à débaucher en juin, une durée qui correspond au temps scolaire. Eh bien, agir de la sorte, ce n’est pas une bonne façon de gérer la vie des gens ! Elle l’est d’autant moins que, vous le savez tous, la loi interdit de signer un troisième contrat dit « aidé ». De surcroît, l’interdiction vaut même si cette personne n’est pas absente, même si elle a été formée et a bien travaillé. Oui, la loi empêche de proroger ces contrats plus d’une fois, sauf pour les personnes handicapées.

Ce n’est pas une bonne façon de faire et l’on ne peut pas dire que l’on aide beaucoup les gens en les payant 50 euros au-dessus du RSA !

Comme le Président de la République l’a dit, le vrai problème de notre pays, c’est qu’il doit investir massivement dans la formation qualifiante. D’où les 15 milliards d'euros concrètement d’ores et déjà inscrits dans le projet de loi de finances pour 2018 et dans la trajectoire budgétaire que nous vous présentons. Et cette formation qualifiante, qui va de pair avec la baisse des charges – une baisse inédite, zéro euro à partir de 2019 pour les entreprises rémunérant des salariés au SMIC -, ne vise pas seulement ceux qui ne sont pas qualifiés, car elle est, en même temps – si j’ose dire ! – très importante pour ceux qui travaillent déjà et dont la vie professionnelle va être bouleversée par l’intelligence artificielle ou par la numérisation. Qui peut penser en effet que la personne actuellement chargée de tenir le guichet d’une banque dans nos communes ne verra pas son métier très profondément transformé dans les cinq ou dix prochaines années ?

Les deux grandes transformations de politique publique que nous présentons dans le projet de loi de finances et qui sont traduites dans des termes budgétaires sous la forme d’importantes baisses de crédits concernent le logement et le ministère du travail. Je saisis ici cette occasion de saluer le courage des ministres qui les portent.

Nous avons également décidé de baisser la fiscalité : d’abord, la fiscalité des ménages, en supprimant, pour les plus modestes d’entre eux, la taxe d’habitation, je l’ai dit ; ensuite, la fiscalité de ceux qui peuvent investir.

M. Martial Bourquin. Des riches !

M. Gérald Darmanin, ministre. Vous savez, monsieur le sénateur, toute la difficulté, c’est qu’il y a ceux qui veulent moins de riches et ceux qui veulent moins de pauvres !

Il m’arrive de voir très concrètement, dans ma commune, le ravage qu’a pu produire une fiscalité trop lourde, peut-être édictée pour de bonnes raisons. Il me semble qu’il y a, de l’autre côté de la frontière, une ville très industrielle, très ouvrière, Courtrai, pour ne pas la nommer, où il fait le même temps, où l’on boit à peu près la même bière, où l’on mange peu près les mêmes frites, où l’on trouve à peu près le même Piccadilly – pour ceux qui connaissent. Le taux de chômage y est de 4 % et les usines textiles fonctionnent. De mon côté de la frontière, le taux de chômage est de 21 % et les usines textiles ne fonctionnent plus.

Alors peut-être faut-il se poser des questions ! Il est vrai qu’ils n’ont pas eu la chance d’avoir des communistes au pouvoir ! (Protestations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain. – MM. Pierre Louault et Philippe Bonnecarrère applaudissent.)

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. On peut en venir au sujet ?

M. Gérald Darmanin, ministre. La difficulté, monsieur le sénateur, c’est que ce sont nos chômeurs qui vont travailler en Flandre belge, et rarement l’inverse !

M. Martial Bourquin. Quel scandale ! Et c’est un maire qui parle !

M. Gérald Darmanin, ministre. Alors, oui, il faut supprimer des impôts, non pas parce que cela rendrait de l’argent à des gens, même si je ne suis pas d’un naturel jaloux, ce qui est une passion française, mais parce que c’est mauvais pour notre économie. Et notre économie a besoin de l’investissement, notamment dans ce que le Président de la République a justement évoqué comme une société du risque et non comme une société de la rente. C’est la raison pour laquelle nous gardons un impôt sur la fortune immobilière.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Mauvaise analyse !

M. Gérald Darmanin, ministre. Nous pensons qu’il existe deux attitudes un petit peu différentes. L’une consiste à prendre le risque de mettre de l’argent pour accompagner, par exemple, une PME qui pratique l’innovation, va créer de la richesse, chercher de nouveaux marchés et créer ainsi des emplois. L’autre consiste à en rester à l’immobilier – attitude tout à fait respectable, au demeurant.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Mieux vaut garder de l’argent, des diamants et de l’or !

M. Gérald Darmanin, ministre. Nous n’allons pas augmenter les impôts de ceux qui détiennent un patrimoine immobilier.

Le secret fiscal nous empêche même d’analyser la situation de ceux qui sont assujettis à l’ISF, mais sauf ceux, cas assez rares, qui ont 100 % de leur patrimoine taxable à l’ISF en immobilier, ces redevables ont souvent une assurance-vie, souvent du capital. Eh bien, tout le monde doit connaître une baisse d’impôt dans notre pays : les ménages les plus modestes, par la suppression de la taxe d’habitation, et les ménages les moins modestes.

Mais il est tout à fait juste de pouvoir encourager, dans la société du risque, ce capital, comme il est tout à fait injuste de vouloir taxer autant le capital que le travail. En effet, et vous remarquerez que le projet de loi de finances ne contient pas de disposition relative à la transmission qui viendrait contredire ce que je vais dire, le capital n’est bien souvent rien d’autre que le résultat d’un travail qui a déjà été taxé une première fois.

M. Yannick Vaugrenard. Et l’héritage ?

M. Gérald Darmanin, ministre. Ce qui ne veut pas dire un seul instant…

M. Martial Bourquin. Vous êtes les ministres de la rente !

M. Gérald Darmanin, ministre. Tout au contraire !

Mme la présidente. Monsieur Bourquin, je vous en prie !

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Peut-être pourrait-on parler du projet de loi de programmation !

M. Gérald Darmanin, ministre. Nous sommes le contraire de ministres de la rente ! Nous souhaitons justement en finir avec cette rente ! Pour ce faire, nous continuons à appliquer une taxation, certes plus modérée, sur ceux qui ont un patrimoine dormant, afin de les encourager à investir dans l’économie.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Revenez au sujet !

M. Gérald Darmanin, ministre. Je ne sais pas dans quels autres pays existe l’ISF, sauf peut-être dans ceux qui n’ont désormais plus de riches parce que votre idéologie y a malheureusement été au pouvoir.

M. Vincent Éblé, président de la commission des finances. Ce n’est pas le sujet d’aujourd'hui !

M. Gérald Darmanin, ministre. C’est dans la trajectoire des finances publiques et il me semble très important de vouloir encourager la baisse de la fiscalité par la baisse notamment de la dépense publique.

M. Philippe Dallier. Très bien !

M. Gérald Darmanin, ministre. Enfin, mesdames, messieurs les sénateurs, notre trajectoire des finances publiques comporte des augmentations de budget sans précédent. Je pourrais les diviser en trois thèmes.

D’abord, le régalien, car il s’agit de répondre aux très graves difficultés de sécurité que notre société connaît, à l’extérieur comme à l’intérieur de nos frontières. Il en va ainsi du budget des armées, qui va augmenter de 1,8 milliard d'euros, et d’une chronique qui atteindra la promesse présidentielle de pourcentage du PIB. Cette augmentation extrêmement importante nous permettra de faire face de façon tangible aux obligations qui sont les nôtres en termes de soutien à nos militaires, aux hommes et aux femmes qui sont en opération.

Il en va de même pour la police, c'est-à-dire pour le ministère de l’intérieur, dont les crédits et les personnels vont augmenter.

La justice va elle aussi connaître une augmentation sans précédent, notamment pour la simplification et pour l’encouragement à la politique pénale que porte Mme la garde des sceaux.

Bref, vous constaterez une augmentation très forte de moyens tant humains que budgétaires pour les ministères régaliens.

Le budget de l’éducation nationale, de l’université et de la recherche va connaître également une augmentation très importante, la plus importante depuis vingt ans.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. On peut parler de la loi de programmation ?

M. Gérald Darmanin, ministre. Ce point n’a pas été assez souligné. Lors de la rentrée septembre – Mme la ministre Vidal montre son courage devant l’absurdité de certains systèmes – nous avons accueilli 40 000 étudiants supplémentaires. C’est la première fois que le budget de l’université connaît une telle augmentation pour faire face au renouveau de notre vie estudiantine et répondre à la demande normale des classes moyennes, qui souhaitent voir leurs enfants accéder à l’enseignement supérieur.

De même, les réformes portées par le ministre de l’éducation nationale, le dédoublement des classes ainsi que la refonte du baccalauréat, se traduisent par une augmentation de budget extrêmement importante, au même titre que les budgets régaliens, ce qui mérite d’être souligné, monsieur Patriat.

En outre, le ministre d’État Nicolas Hulot a obtenu une augmentation de ses crédits à hauteur de 540 millions d'euros dans le cadre de la trajectoire budgétaire, pour faire face à la rénovation énergétique et à la transition écologique, ce qui mérite également d’être souligné.

Un certain nombre d’économies concernent toutes les administrations publiques confondues. Nous aurons l’occasion d’en discuter lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale.

Je voudrais terminer, madame la présidente, en évoquant le nombre d’emplois dans la fonction publique.

Le Président de la République s’est engagé, lors de sa campagne électorale, à supprimer 120 000 postes en équivalents temps plein de non-remplacements à la retraite : 70 000 au niveau des collectivités locales et 50 000 au niveau de l’État.

Nous avons décidé de ne pas procéder à ces suppressions de postes en nombre dans le budget de cette année. Nous considérons en effet que la politique du rabot, qui consiste à diviser 120 000 par 5, n’est pas une bonne politique. Avant de décider des moyens, nous devons, d’abord, réfléchir aux missions, savoir ce que l’État doit continuer à faire, ce qu’il doit faire différemment et ce qu’il doit faire mieux. Sans doute y a-t-il des territoires, notamment dans la ruralité et dans les quartiers éligibles à la politique de la ville, où il doit faire mieux.

Nous allons donc lancer cette grande revue des politiques publiques, qui doit être fondée non sur le rabot, mais sur les missions.

Le Parlement, qui est d'ailleurs représenté par l’une d’entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs, aura à se saisir des conclusions du comité Action publique. Puis, le Gouvernement aura à vous proposer ces revues de missions qui permettront de connaître le nombre d’agents publics que nous supprimerons au bout du compte, si jamais nous devons en supprimer. Nous évaluerons les projets informatiques que nous devons pousser et numériser, nous chiffrerons les moyens que nous entendons renforcer ici ou là dans telle ou telle administration, nous arrêterons le nombre de mutualisations auxquelles nous voulons procéder.

Tout cela sera évidemment traduit en termes budgétaires.

Voilà, madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, les choix du projet de loi de finances, qui s’inscrivent dans la logique du projet de loi de programmation des finances publiques que nous vous présentons ce matin. Cette trajectoire a le mérite de la clarté, qu’il s’agisse des équivalents temps pleins d’agents publics ou des crédits budgétaires : il faut dépenser moins d’argent public et le dépenser mieux, pour prélever moins d’impôt sur les Français et sur les entreprises afin d’encourager des prévisions de croissance dont chacun a constaté qu’elles sont modérées, modestes et, surtout, conformes à toutes les prévisions des économistes.

Je vous remercie, mesdames, messieurs les sénateurs, du temps et du travail que vous allez consacrer à l’étude de ce projet de loi de programmation des finances publiques pour les années qui viennent. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires. – M. Robert del Picchia applaudit également)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur, pour dix minutes, mon cher collègue.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances, rapporteur. Un peu plus, madame la présidente ! En effet, le ministre me donnera son temps de parole sur le projet de loi de programmation, puisqu’il ne nous a quasiment parlé que du projet de loi de finances ! (Sourires.)

Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, pour ma part, je vais vous parler tout simplement du sujet à l’ordre du jour, qui est la loi de programmation pour les années 2018 à 2022, et voir, en effet, de manière pluriannuelle, quelle est la trajectoire que nous propose le Gouvernement.

C’est un exercice important, non seulement parce qu’il s’agit de fixer un cap à notre pays, mais aussi parce que c’est le support de nos engagements européens.

Je ne vais pas m’étendre très longuement sur le scénario macro-économique. Je le dis – cela va faire plaisir au ministre – ce scénario apparaît crédible. En effet, le Gouvernement a, à juste titre, révisé l’hypothèse d’un écart de production, ce qui permet d’éviter des débats sur la mesure de notre ajustement structurel.

Le Gouvernement retient également, il faut le souligner, un taux de croissance de 1,7 % entre 2017 et 2021, 1,8 % en 2022. C’est un scénario qui, en l’état actuel des prévisions des économistes, apparaît raisonnable. Peut-être peut-on le juger un peu optimiste en fin de quinquennat, mais – cela doit être souligné – les hypothèses macro-économiques retenues sont crédibles, contrairement à celles sur lesquelles reposait la dernière loi de finances.

Je me concentrerai donc sur la trajectoire des finances publiques telle qu’elle nous est proposée. Celle-ci peut, à première vue, sembler ambitieuse à l’échelle de ce quinquennat.

Je rappelle les objectifs du Gouvernement : réduire l’endettement de plus de 5 points de PIB, réduire la part de la dépense publique dans la richesse nationale de 3,7 points et réduire la part des prélèvements obligatoires de 1,1 point. Si l’objectif est ambitieux, c’est une bonne nouvelle d’apprendre que le redressement des comptes publics passera non par la hausse des prélèvements obligatoires – cela avait été le cas lors du précédent quinquennat –, mais exclusivement par la maîtrise de la dépense.

Ces ambitions sont cependant malheureusement un peu réduites en termes de dépenses par rapport à un seuil qui avait été affiché par le Gouvernement en juillet dernier. L’effort est désormais reporté sur les deux dernières années du quinquennat, avec toutes les incertitudes que cela suppose.

Ainsi, le rythme de redressement de nos comptes publics apparaît insuffisant au regard non seulement de nos engagements européens mais aussi des efforts fournis par nos principaux partenaires. Comme vous le savez, la France devrait, enfin, à l’issue de l’exercice 2017, ramener son déficit en deçà du seuil de 3 % du PIB, même si – nous en reparlerons cet après-midi –, l’annulation de la taxe de 3 % sur les dividendes distribués complique malheureusement l’exercice. Nous ne nous serions bien passés de ce collectif, vous comme nous, monsieur le ministre ! Ce retour à 3 % constitue toutefois une condition nécessaire mais non suffisante pour sortir du volet correctif du pacte de stabilité, puisqu’il faut désormais, nous le savons tous, que le déficit ne dépasse pas le seuil de 3 % en 2018 et en 2019.

L’année 2019, qui verra la transformation du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE, en baisse de charges et cotisations sociales, sera donc une année particulièrement sensible. Si la France parvient néanmoins, ce que nous espérons tous, à sortir du volet correctif au printemps prochain, elle entrera dans le volet préventif du pacte de stabilité. Souvenez-vous, je m’adresse aux membres de la commission des finances, de ce que nous a dit Pierre Moscovici l’autre soir : le volet préventif n’est pas moins exigeant que le volet correctif.

La France devra donc réduire son déficit structurel au minimum de 0,6 point de PIB par an pour atteindre son objectif de moyen terme. Or l’ajustement structurel prévu par le Gouvernement en est très éloigné.

En complément, la France sera soumise, à compter de 2021, à la règle de la dette européenne. On parle peu de cette règle, laquelle impose de réduire progressivement l’endettement – l’écart entre la dette et le seuil de 60 % du PIB. Or nous le savons tous, cela a été redit devant la commission des finances à travers les graphiques projetés, la France devrait malheureusement être le seul grand pays de la zone euro dont le ratio d’endettement serait pratiquement stable, très proche de 100 % du PIB. Tous les pays, y compris ceux de l’Europe du Sud, diminuent progressivement leur endettement. La France, quant à elle, devrait rester à un niveau d’endettement élevé et quasi stable. Cela devrait, hélas, accroître encore la divergence de nos taux d’endettement avec ceux de la zone euro.

En définitive, sans modifier la trajectoire retenue, qui nous satisfait globalement – même si, encore une fois, l’effort en dépenses se situe plutôt à la fin du quinquennat –, la commission des finances a souhaité inscrire ces engagements européens dans le texte de loi.

J’en viens maintenant – et le ministre l’a un peu abordé à travers le projet de loi de finances, dont il a parlé – à la question centrale des leviers et à la répartition de l’effort de maîtrise des dépenses entre ces différents acteurs.

S’agissant des collectivités territoriales, je rappelle – nous le savons tous, le Sénat, en particulier, et le Gouvernement le reconnaît volontiers – que, entre 2013 et 2016, les collectivités locales ont porté les deux tiers de l’effort de réduction des déficits publics, alors même – cela a été redit devant la Conférence nationale des territoires – qu’elles représentent moins de 20 % de la dépense publique.

Donc, durant le précédent quinquennat, l’effort de réduction des déficits a été porté presque exclusivement, d’une part, par les collectivités, d’autre part, par la baisse des taux d’intérêt, un effet d’aubaine dont a bénéficié le précédent gouvernement.

Quoi qu’il en soit, ce sont les collectivités locales, lesquelles représentent 20 % de la dépense publique, qui ont à elles seules porté les deux tiers de l’effort au cours du précédent quinquennat.

En ce qui concerne la période 2018-2022, le Gouvernement a annoncé un effort supplémentaire de 13 milliards d'euros sur les dépenses de fonctionnement. Vous le savez, ce montant – et c’est là tout le débat – s’apprécie par rapport à un tendanciel que nous trouvons, pour notre part, sous-estimé, notamment parce que le Gouvernement ne tient pas compte des efforts structurels déjà fournis et que j’ai rappelés à l’instant.

La commission des finances estime qu’un effort réel de 13 milliards d'euros correspondrait à une évolution annuelle des dépenses de fonctionnement de 1,9 point en valeur, contre 1,2 dans le présent projet de loi de programmation des finances publiques tel qu’il nous est proposé. C'est la raison pour laquelle la commission des finances a modifié le texte et a supprimé la nouvelle règle encadrant la dette des collectivités territoriales, ce que je regrette, à titre personnel.

J’en viens à la contractualisation dont vous avez parlé, monsieur le ministre. Si nous l’approuvons dans son principe, nous en ignorons les modalités. Il nous semble que le dispositif n’est pas totalement abouti. La preuve, c’est qu’un amendement nous est parvenu à minuit trente. Et il ne s’agissait manifestement pas de la bonne version… Une deuxième modification est intervenue, et il n’est pas impossible que nous soyons saisis d’une troisième rédaction !

Ce mécanisme, dont nous approuvons le principe, mérite d’être précisé. Je mettrai quand même un bémol : il ne faut pas que la contractualisation aboutisse à pénaliser les collectivités qui ont déjà fait des efforts. Le point de référence sera donc important. Mais, sur le principe, pourquoi pas ? Ce mécanisme est sans doute plus intelligent que celui du rabot aveugle que nous avons pu voir à l’œuvre par le passé. En tout cas, nous estimons que les lignes directrices de ces contrats doivent être précisées dans la loi.

En effet, à partir du moment où un mécanisme impose un certain nombre de contraintes aux collectivités, c’est à la loi de fixer les règles de la contractualisation, lesquelles devraient préciser non seulement les obligations des collectivités, mais aussi les engagements de l’État en matière d’évolution de leurs ressources et de leurs dépenses contraintes.

Qui dit contrat dit parties au contrat, en l’occurrence, l’État et les collectivités. Un contrat exige des engagements réciproques de part et d’autre. La loi devra donc préciser les engagements en matière contractuelle non seulement des collectivités, mais également de l’État. C’est le principe même du contrat. Je le répète, nous ne sommes pas opposés au dispositif, nous avons simplement besoin de le préciser.

Nous avons également, à travers des amendements, complété le mécanisme correctif, qui reposait uniquement sur un malus. Nous y avons ajouté un bonus. En effet, dès lors qu’il y a malus, il est nécessaire d’avoir une forme de bonification à travers un soutien à l’investissement local lorsque les objectifs sont atteints par les collectivités territoriales.

De plus, nous avons, à travers des amendements, encadré le mécanisme des sanctions. Voilà pour les collectivités territoriales.

Venons-en – cela a été abordé à travers ce que vous nous avez dit au sujet du projet de loi de finances – à la contribution de l’État à la réduction ou à la maîtrise de la dépense publique.

Le budget triennal 2018-2020 prévoit, vous le savez – M. le ministre l’a dit à l’instant – des évolutions contrastées entre différentes missions. Il y a des hausses marquées en faveur, notamment de la défense, de la justice. Il faut aussi signaler des baisses, notamment sur des politiques publiques comme le logement et l’emploi. Nous verrons si ces baisses sont mises en œuvre. Nous verrons ce qu’il en est au final, mais le Gouvernement a, c’est vrai, un objectif ambitieux de maîtrise des crédits du budget général jusqu’en 2020. Cet objectif, modérément ambitieux au départ, l’est davantage à la fin du processus.

Les efforts d’économies, largement renvoyés à la fin du processus, sont, une fois encore, libellés sous une appellation quelque peu technocratique. Nous avons connu la modernisation de l’action publique, la MAP, nous avons pratiqué la révision générale des politiques publiques, RGPP, les revues de dépenses… La dernière nouveauté technocratique a pour nom « Action Publique 2022 ». Il faut espérer qu’elle aura de meilleurs résultats que les précédents dispositifs, qui n’ont, au final, pas donné grand-chose. Je pense en particulier aux revues de dépenses, dont le Gouvernement n’a strictement rien fait. Ces processus technocratiques, qui avaient été annoncés comme l’alpha et l’oméga des dépenses publiques, ont donné lieu, certes, à de beaux rapports, mais les documents s’entassent sur les étagères, où ils ne font que prendre la poussière…

Je ne reviendrai pas sur les trajectoires des administrations de sécurité sociale, que nos collègues de la commission des affaires sociales ont examinées avec attention. Le rapporteur général de la commission des affaires sociales va nous en parler.

À ce stade, les mesures d’économies ne sont pas encore très bien connues. Nous savons une chose : le Gouvernement fait l’hypothèse que, sous l’effet de la reprise économique et de la maîtrise de la dépense, le solde des administrations de sécurité sociale deviendrait excédentaire à compter de 2018 et qu’une fraction de ces excédents serait transférée vers l’État à compter de 2019.

Il y a donc une sorte de manque de transparence quant à la répartition réelle des efforts entre l’État, les collectivités et les administrations de sécurité sociale, ce qui a conduit la commission des finances à supprimer la déclinaison des objectifs de la loi de programmation par sous-secteur.

Enfin, il nous apparaît urgent de procéder aux réformes de structures susceptibles d’infléchir durablement la trajectoire des dépenses publiques. Le ministre en a parlé. Je n’ai plus de temps pour m’exprimer sur le sujet, c’est dommage, mais nous avons fait des propositions. Nous avons déposé des amendements au projet de loi de finances sur le temps de travail, sur la maîtrise de la dépense, sur les effectifs. Nos nombreux amendements vous montreront des capacités d’infléchir durablement la trajectoire des dépenses. Je pense en particulier à la masse salariale, aux dépenses de retraite, aux effectifs. Vous avez parlé des 50 000 postes de fonctionnaires. Le solde global des suppressions et créations d’emplois en 2018-2019 se limitera malheureusement à 2 % de cet objectif.

Nous ne ferons pas l’économie d’une réforme des retraites si nous voulons parvenir à une maîtrise des dépenses publiques.

Au-delà des sujets évoqués, je tiens à souligner que la commission des finances a souhaité enrichir le projet de loi de programmation des finances publiques en adoptant diverses mesures sur la sincérité de l’État. C'est la raison pour laquelle nous vous inviterons à adopter le texte tel qu’il a été modifié par la commission des finances. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste.)