compte rendu intégral

Présidence de Mme Valérie Létard

vice-présidente

Secrétaires :

M. Yves Daudigny,

M. Daniel Dubois.

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Candidature à une commission mixte paritaire

Mme la présidente. J’informe le Sénat que la commission des finances propose la candidature de M. Julien Bargeton pour siéger, en qualité de titulaire, au sein de la commission mixte paritaire sur le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022, en remplacement de M. Didier Rambaud, démissionnaire.

Cette candidature sera ratifiée si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.

3

 
Dossier législatif : proposition de loi visant à réhabiliter la police de proximité
Discussion générale (suite)

Réhabilitation de la police de proximité

Rejet d’une proposition de loi

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, de la proposition de loi visant à réhabiliter la police de proximité, présentée par Mme Éliane Assassi et plusieurs de ses collègues (proposition n° 715 [2016-2017], résultat des travaux de la commission n° 133, rapport n° 132).

Dans la discussion générale, la parole est à Éliane Assassi, auteur de la proposition de loi.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à réhabiliter la police de proximité
Article 1er

Mme Éliane Assassi, auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, bien trop peu nombreux dans cet hémicycle – je pensais pourtant que la police était un thème intéressant tous les groupes du Sénat –, en inscrivant cette proposition de loi au sein de l’ordre du jour réservé à notre groupe, nous nous doutions bien du sort qui lui serait fait.

Nous espérions au moins créer les conditions d’un vrai débat. Or nous constatons avec beaucoup de déception, quoi qu’en dise notre rapport, M. Grosdidier, que cet hémicycle et sa majorité n’ont pas souhaité débattre sereinement – la preuve ! - d’un sujet pourtant si important pour nos concitoyens et pour la politique publique de sécurité intérieure de notre pays.

Permettez-moi d’abord un éclairage sémantique. Qu’entendons-nous par « police de proximité » et, plus précisément, par « proximité » ? Les mots ont un sens : ne les bradons pas.

Au sens concret du mot, la « proximité », c’est la « situation d’une chose qui est à faible distance d’une autre chose ou de quelqu’un ; de deux ou plusieurs choses qui sont rapprochées ». Au sens figuré, c’est le « caractère de rapprochement, d’affinité entre deux choses abstraites, deux entités ».

Notre « police de proximité » comprend ces deux acceptions. Il s’agit de déployer des agents de la police nationale au plus près des habitants et, en parallèle, de travailler à une nouvelle doctrine d’emploi de ces agents de police nationale, pour laisser place à une proximité dans la relation entre eux et les usagers du service public qu’ils incarnent.

Il aurait été nécessaire d’examiner sérieusement notre proposition de loi en commission, et non de la rejeter sur des bases idéologiques.

En effet, la brève expérience de la police de proximité a brutalement pris fin en 2002, alors qu’elle commençait à être étendue au territoire national. Lors des auditions que notre groupe a menées, les forces de l’ordre nous ont présenté un avis bien plus positif et nuancé sur l’expérience de la « polprox » que le vôtre, monsieur le rapporteur, qui évoquez un échec unanimement reconnu. Certains syndicats nous ont apporté leur plus clair soutien et partagent nos objectifs.

Quant aux plus dubitatifs, leur critique principale porte sur le manque flagrant de moyens du dispositif. Et pour cause, les moyens supplémentaires indispensables à la réalisation effective d’une police de proximité n’ont jamais été disponibles.

Le rapport confidentiel que vous vous êtes procuré auprès du ministère de l’intérieur, et que vous vous êtes bien gardé de nous communiquer jusqu’à hier après-midi, monsieur le rapporteur, va également dans ce sens.

C’est pourquoi nous vous avons proposé, la semaine dernière, lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2018, un amendement visant à créer un nouveau programme dans la mission « Sécurités », un programme intitulé « Police de proximité », que nous proposions de créditer d’un milliard d’euros. Un budget sérieux, donc, qui aurait permis de mettre en place une direction générale de la police de proximité.

Cet amendement d’appel aurait dû trouver votre soutien, mes chers collègues, étant donné les difficultés d’ordre budgétaire que vous évoquez comme argument phare pour rejeter notre proposition.

Cela révèle une chose : le principal motif de votre rejet repose sur l’opposition idéologique répression-prévention, dont vous souhaitez le dépassement, mais que, paradoxalement, vous nourrissez abondamment avec vos arguments.

Nous sommes absolument d’accord : sortir de cette opposition est une nécessité impérieuse car, pour nous, la police de proximité est une police à la fois préventive, dissuasive et répressive. Il s’agit de renforcer ce triptyque en le rééquilibrant.

Abusivement présentée comme transformant les policiers en doublons des travailleurs sociaux, la police de proximité n’a jamais signifié une limitation des missions des policiers chargés de la mettre en œuvre.

D’ailleurs, dès 2006, la mission d’information créée par le Sénat à la suite des émeutes urbaines d’octobre et novembre 2005 concluait à la nécessité d’une police de proximité, « dont le rôle n’est pas de faire de la répression, mais de rappeler et d’expliquer la règle, […] et de réduire la fréquence du recours à l’intervention de la force publique ». Son auteur, Pierre André, un de vos collègues du groupe UMP d’alors, souhaitait à l’évidence, comme nous, dépasser le clivage répression-prévention.

Un dépassement indispensable car, loin de répondre aux inquiétudes de nos concitoyens en matière de sécurité, les politiques gouvernementales menées depuis 2002, et fondées sur le tout-répressif, se sont toutes révélées contre-productives. Pire encore, elles ont contribué à distendre le lien de confiance entre la population et les forces de l’ordre.

En parallèle, les fonctionnaires de police et de gendarmerie souffrent directement de la dégradation de leur relation avec la population, alors que leurs conditions de travail se trouvent extrêmement détériorées, notamment en raison du renouvellement incessant de l’état d’urgence ces vingt derniers mois, et du stress permanent qu’engendrent des situations trop souvent conflictuelles.

Face à cela, une argumentation que je qualifierai de « fallacieuse » nous est opposée. Vous prétendez, monsieur le rapporteur, que « la volonté de lutter contre le sentiment d’insécurité, notamment dans les zones les plus sensibles, et de rapprocher la police de la population n’a cessé, au cours des quinze dernières années, d’animer les réformes d’organisation de la police nationale ». Vous ajoutez, à propos des brigades spécialisées de terrain, les BST, qu’elles « assurent des missions de sécurisation de proximité ».

Sincèrement, je ne peux pas croire en une telle méconnaissance de votre part !

Créées en 2010 par Brice Hortefeux, ces brigades spécialisées de terrain avaient pour simple objectif de réinvestir les quartiers grâce à la dissuasion et à la répression. Ce ne sont pas des « policiers d’ambiance ou des éducateurs sociaux », assurait alors le ministre de l’intérieur, ni des « grands frères inopérants en chemisette qui font partie du paysage ».

En effet, peu de chances d’être assimilés à des éducateurs ! En plus des matraques télescopiques, LBD 40 ou flash-ball, grenades lacrymogènes, armes de service, gilet par balle, jambières et manchettes complètent la panoplie de ces policiers. À l’hostilité de cet accoutrement et de l’attitude ultra-répressive qu’elle inspire, nous pensons – et nous l’assumons très clairement – qu’être en contact permanent avec la population implique une aptitude à l’écoute et au dialogue, un équipement léger et un mode de déplacement simple.

En outre, la restauration du lien de confiance entre police et population ne passera que par le développement de la polyvalence de l’activité policière, en intégrant la réalité du quartier aux missions de prévention, de dissuasion, de répression et de sanction propres au métier de policier, qui irait de la pratique de l’îlotage à l’organisation d’opérations culturelles et sportives.

Nous ne craignons pas les clichés et les caricatures que susciteront nos propos, car nous sommes convaincus de la nécessité de changer de paradigme.

François Grosdidier lui-même en fait d’ailleurs la démonstration dans son rapport : « La multiplication des dispositifs policiers n’a pas permis d’enrayer le cercle de la délinquance, qui continue de se maintenir à un niveau élevé. La persistance de poches d’insécurité sur notre territoire, d’où les forces de l’ordre se sont elles-mêmes désengagées, est une situation indigne de notre République ».

De quelles « poches d’insécurité » parlez-vous, monsieur le rapporteur ?

En matière d’amalgames, je constate d’ailleurs, monsieur le rapporteur, que, comme M. Jourdain, qui faisait de la prose sans le savoir, vous faites du contrôle au faciès sans le savoir.

Mme Éliane Assassi. J’en veux pour preuve les propos aberrants que vous avez tenus en commission, que je trouve à la page 34 de votre rapport. Je vous cite une nouvelle fois : « Il y a quinze jours encore, j’étais maire de Woippy, dont plus de la moitié de la population est de confession musulmane. Je connais ce sujet ».

Monsieur Grosdidier, comment savez-vous que plus de la moitié des habitants de cette commune sont musulmans ? Comprenez que ce genre d’amalgame est intolérable. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)

M. Christophe Priou. Quand même !

M. Claude Kern. Lisez votre texte !

M. François Grosdidier, rapporteur. Nous parlions alors de radicalité !

Mme Éliane Assassi. Comprenez que, si nos quartiers les plus populaires ne sont plus réceptifs aux messages de prévention et encore moins à la répression, c’est aussi et surtout à cause de ce genre de propos.

Notre police de proximité ne s’adresse pas à certaines zones prioritaires de sécurité, et encore moins à une certaine population que vous n’avez de cesse de stigmatiser. Il s’agit d’une police à l’écoute de nos concitoyens et de leurs attentes en matière de sécurité publique, sur tout le territoire.

Vous soutenez qu’elle n’aurait pas sa place dans certains départements, mais y a-t-il sur le territoire français une collectivité où personne n’a jamais affaire à la police, une collectivité vierge de tout contentieux de voisinage, de tout problème de discriminations, ou encore de violences conjugales ?

Un autre argument consiste à dire que notre initiative législative s’entrechoque avec la police de sécurité du quotidien, la PSQ, annoncée par le Gouvernement. Hélas, mes chers collègues, le mince espoir qu’a fait naître chez nous cette annonce est vite retombé. Tout cela a fini de nous convaincre d’inscrire notre proposition de loi à l’ordre du jour. Les auditions que nous avons menées nous ont d’ailleurs confortés dans ce choix.

Les maires volontaires pour l’expérimentation de cette PSQ ont été très clairs sur la vacuité du projet.

Mme la présidente. Veuillez conclure, ma chère collègue.

Mme Éliane Assassi. Des maires ayant candidaté à l’expérimentation proposée n’y ont pas eu droit. D’autres attendent toujours une réponse. Pourtant, leurs attentes sont très fortes. Beaucoup attendent avec impatience cette expérimentation.

Laurent Russier, maire de Saint-Denis, s’adressait à Gérard Collomb, ministre d’État, ministre de l’intérieur, en ces termes : « La police de sécurité du quotidien serait de nature à lutter contre les rapports de défiance des uns à l’égard des autres, qui nuisent à notre objectif commun de sécurité ».

Mme la présidente. Il faut conclure, ma chère collègue !

Mme Éliane Assassi. Finalement, admettons que nous défendons ici deux visions de la société, ce que nous n’avons jamais cessé de faire. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

M. Loïc Hervé. Ça, c’est sûr !

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. François Grosdidier, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la présente proposition de loi n’a pas paru pertinente à la commission des lois du Sénat.

Le débat qu’elle suscite est certes particulièrement opportun, mais je regrette la tournure qu’il prend, avant même d’avoir réellement débuté, du fait de la présentation travestie de mes propos tenus lors de la réunion de notre commission. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste. – Exclamations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.) J’y ai effectivement évoqué la population de la ville dont j’étais maire, une population que je connais bien, alors que nous traitions du problème spécifique de la radicalité, dans des termes qui ne sont pas du tout ceux que vous avez présentés.

M. François Grosdidier, rapporteur. Je regrette que vous ne soyez pas capable de dépasser cette opposition binaire, que vous avez d’ailleurs hautement revendiquée à la fin de votre intervention.

Pourtant, je l’ai dit, ce débat nous paraissait opportun, en cette période où les forces de l’ordre, comme les citoyens, ressentent un malaise en matière de sécurité, et au moment où le Gouvernement a lancé son projet de police de sécurité du quotidien, la PSQ, concept auquel il demande aux personnes qu’ils consultent de donner un contenu.

Oui, l’insécurité et la délinquance gangrènent certains territoires de la République. Cela n’a échappé à aucun de nos gouvernants.

La « polprox » de Jospin, les Unités territoriales de quartier, ou UTeQ, la BST, les zones de sécurité prioritaires, ou ZSP… toutes ces initiatives successives répondaient au même objectif : faire mieux coller la police au terrain. Elles n’ont pas enrayé la délinquance, qui continue de se maintenir à un niveau élevé, même s’il est parfois minimisé par certains.

La persistance de poches d’insécurité sur notre territoire – je le maintiens –, d’où les forces de l’ordre se sont elles-mêmes désengagées – elles nous l’ont dit ; mais nous n’avons vraisemblablement pas auditionné les mêmes personnes, madame Assassi –, est une situation indigne de notre République.

Les policiers sont les premiers à pâtir d’une telle situation. Souvent déconsidérés, ils sont l’objet, depuis plusieurs années, d’une recrudescence d’outrages et de violences, qui contribue à leur mal-être et nuit à l’efficacité de leur action. Nous regrettons que l’exposé des motifs de ce texte n’en fasse pas état.

Les auteurs de cette proposition de loi évoquent largement les bavures – ou présumées bavures – policières, inacceptables, oui, et hautement condamnables quand elles sont avérées, mais qui sont exceptionnelles, tandis que les outrages et violences contre agents sont quotidiens.

Les unes n’excusent pas les autres, et inversement. Mais il convient d’être juste et équilibré, ce que vous n’êtes pas, chère collègue, et de ne jamais tomber dans la caricature, ni d’un côté ni de l’autre.

La médiatisation récente de certains faits de violences policières alimente l’image d’une police qui ne serait plus au service des concitoyens. C’est un peu l’idée qui sous-tend cette proposition de loi, et qui est explicite dans son exposé des motifs.

Par ailleurs, vous assumez le retour à la doctrine de la polprox développée et mise en œuvre il y a vingt ans, sans toutefois tirer les conséquences ni des difficultés rencontrées lors de sa mise en œuvre ni de son bilan, très mitigé.

En revanche, au-delà de la sémantique et des positionnements idéologiques, nous pourrions nous retrouver, chers collègues, sur trois idées : d’abord, une police davantage enracinée dans la population et mieux ancrée sur le terrain ; ensuite, une police renforcée en effectifs, mais aussi en moyens juridiques et matériels ; enfin, une police orientée vers des objectifs qualitatifs et non seulement quantitatifs.

La commission des lois est défavorable à l’adoption de cette proposition de loi.

Pour des raisons d’ordre constitutionnel, d’abord.

En premier lieu, la plupart des dispositions du texte relèvent non pas du domaine de la loi, mais du domaine réglementaire. C’est le cas de l’article 2, qui prévoit la création des agents de proximité. Or la définition des catégories d’agents publics relève du règlement.

De même, l’article portant création d’une direction générale de la police de proximité, une direction autonome par rapport à la Direction générale de la police nationale, est une mesure d’organisation interne au ministère de l’intérieur. Elle ne relève pas de la loi.

En second lieu, certaines dispositions sont susceptibles d’être jugées contraires à la Constitution parce qu’elles ne sont pas normatives. Le Conseil constitutionnel fait preuve, à cet égard, d’une rigueur nouvelle.

Mme Éliane Assassi. Pas pour tout le monde !

M. François Grosdidier, rapporteur. Depuis sa décision d’avril 2005, il censure les dispositions ne définissant que des orientations ou ne présentant aucun caractère impératif.

Surtout, au-delà des objections juridiques, cette proposition ne nous paraît pas tirer les leçons de l’expérience.

Son postulat est que la polprox n’a pas produit tous ses effets positifs uniquement par manque de moyens et de durée. Cette analyse est trop courte ; elle risque de conduire à la reproduction des erreurs du passé.

Notre commission a souhaité sortir de l’opposition idéologique entre police répressive et police préventive.

Or votre texte se fonde sur cette opposition, laissant penser que toutes les difficultés actuelles viennent de la faiblesse de la fonction préventive.

Ainsi, il assigne aux agents de police de proximité l’objectif principal d’anticiper et prévenir les troubles à l’ordre public, avec des missions allant jusqu’à l’organisation d’opérations culturelles et sportives. Je ne parle pas des modes de locomotion qu’ils doivent utiliser : la bicyclette et les rollers…

Il faut surtout, ce me semble, ne pas sortir les policiers, déjà trop peu nombreux, de leur cœur de métier.

Le retour d’expérience sur la polprox nous éclaire. La priorité affichée de la politique de proximité était de lutter contre le sentiment d’insécurité par une présence diurne plus voyante et moins répressive. Comme si ce sentiment était fantasmé par la population ; comme s’il ne s’appuyait pas sur une réalité de la délinquance !

Or cette expérience a souvent été contre-productive.

En effet, la priorité à la prévention a même conduit des policiers à limiter leurs interventions et leurs interpellations, de manière à apaiser les tensions dans les secteurs les plus difficiles. Résultat : une augmentation de la réalité de la délinquance et donc du sentiment d’insécurité !

Les statistiques de la délinquance le confirment. La délinquance générale pendant cette période a progressé de 5 % et les violences aux personnes, de 32 %. La délinquance juvénile n’a jamais autant progressé que lors de la généralisation de la police de proximité, pourtant entièrement disposée à ce dialogue que vous demandez, chère collègue.

Qui plus est, la mise en œuvre de la polprox a conduit à renforcer les effectifs de police au cours de la journée, au détriment de la présence nocturne. Or l’essentiel de la délinquance se produit le soir et la nuit.

D’ailleurs, madame la ministre, ce problème devra impérativement être traité dans le cadre de la future PSQ. La police est chroniquement en sous-effectif de nuit. Cela s’explique par une séparation rigide des équipes diurnes et nocturnes, ainsi que par un trop faible avantage financier consenti aux « nuitiers », avantage inférieur à un euro par heure…

La restauration d’un sentiment de sécurité requiert une politique ferme de lutte contre l’impunité. La réponse pénale est indispensable et elle manque souvent aujourd’hui.

La première des préventions doit être la présence sur le terrain de policiers potentiellement répressifs, et sûrement si nécessaire, puis d’une réponse pénale certaine en cas de violation de la loi.

L’Inspection générale de la police nationale, l’IGPN, et l’Institut des hautes études de la sécurité intérieure, l’IHESI, dans leur rapport de 2001, relevaient ainsi, s’agissant des quartiers les plus difficiles, où la police de proximité avait été implantée, que « faute de réponse judiciaire ferme, » – vous l’oubliez – « il est constaté que le redéploiement des policiers non accompagné de réponses durables aux problèmes de la délinquance accroît les risques d’affrontements, d’outrages et de rébellions ».

Les auteurs du rapport poursuivaient : « Le sentiment d’impunité fait ressortir et amplifie le sentiment d’insécurité et la confiance accrue que la population avait investie au démarrage du dispositif est déçue ».

Ils en concluaient que « l’option préventive, coûteuse en moyens humains par définition, ne produit pas de sécurité si elle n’est validée par une répression ultime ».

Aussi, une polprox ne peut pas être conçue sans une coordination avec l’ensemble des autres maillons de la chaîne pénale, des services d’investigation et de l’autorité judiciaire elle-même.

À cet égard, nous regrettons que le présent texte, en prévoyant la création d’un statut spécifique pour les agents de police de proximité et d’une direction générale indépendante, envisage et organise la polprox comme une fonction distincte des autres missions de la police nationale. C’est cloisonner quand il faut coopérer ; c’est renforcer la verticalité quand il faut de l’horizontalité.

Plutôt que de juxtaposer de nouvelles forces à celles existantes, il faut réorganiser l’ensemble des forces de manière intégrée et coordonnée.

Il est impossible pour la police nationale de porter, à elle seule, la responsabilité de la conduite de la politique de sécurité sur notre territoire, surtout pour le volet de la prévention.

La prévention part en amont de la protection maternelle et infantile ; elle se poursuit avec l’éducation nationale et l’action sociale, culturelle et sportive. En aval, avant la délinquance, existe l’éducation spécialisée.

Les policiers ne sauraient se substituer aux autres professionnels de la prévention, même si un travail concerté entre tous est souhaitable.

Enfin, il s’agit d’une politique difficile à mettre en place dans le contexte budgétaire actuel.

La polprox des années quatre-vingt-dix a pâti du manque de moyens ; nous serons au moins d’accord sur ce point. Certes, l’expérimentation, avec des moyens accrus, avait donné des résultats probants. Mais la généralisation à moyens constants avait été contre-productive.

Dans certains territoires, la polprox avait effectivement permis la collecte d’informations auprès des acteurs de terrain ou de la population. Or ces renseignements ont été d’autant moins traités que le déploiement de la polprox s’était fait au détriment des unités d’investigation et d’intervention. Il est d’ailleurs significatif de constater que l’amendement déposé par votre groupe, madame Assassi, lors de l’examen du projet de loi de finances, visait à donner des moyens à la polprox en les prenant sur le budget de la police nationale.

M. François Grosdidier, rapporteur. Selon le rapport d’évaluation, la politique de la police de proximité a aussi souffert du manque de qualification des personnels déployés sur le terrain. Elle s’appuyait en grande partie sur l’affectation d’adjoints de sécurité, ou ADS, qui ne disposaient ni de l’autonomie ni de l’expérience nécessaires pour assurer toutes les missions confiées à la polprox.

Quant aux policiers professionnels affectés comme « proximiers » dans les quartiers sensibles, il s’agissait généralement de nouvelles recrues, souvent en première affectation, sans expérience de terrain. Le rapport d’évaluation le constatait, d’ailleurs.

Le présent texte envisage une généralisation du modèle de la police de proximité à l’ensemble du territoire. C’est aujourd’hui impossible sans dégarnir les autres services, notamment ceux de police judiciaire, déjà totalement engorgés.

Les 10 000 emplois de policiers et gendarmes supplémentaires sont loin d’être à la hauteur de l’enjeu. Je crains d’ailleurs qu’ils ne suffisent pas à la mise en place de la PSQ annoncée. Nous aurons d’autres occasions d’en débattre.

Mme la présidente. Veuillez conclure, monsieur le rapporteur.

M. François Grosdidier, rapporteur. Pour finir, une stratégie territoriale complète ne peut pas oublier la gendarmerie nationale et les polices municipales.

Les polices municipales, que vous omettez complètement dans la présente proposition de loi, madame Assassi, ont doublé d’effectifs ces vingt dernières années et représentent la troisième force de sécurité du pays.

Quant à la gendarmerie, au service d’environ 50 % de la population, elle intervient sur près de 95 % du territoire national.

Nous vous invitons donc, mes chers collègues, à ne pas adopter ce texte, mais à en débattre avec l’idée de contribuer au projet qui se dessine.

Ces quelques idées pourraient faire consensus : des moyens rationalisés mais accrus - et non réduits ; une approche et une évaluation qualitatives - et pas seulement quantitatives ; une véritable territorialisation et une déconcentration des décisions –et non une politique uniforme, qui était celle de la police de proximité de 1997 ;…

Mme la présidente. Il faut vraiment conclure !

M. François Grosdidier, rapporteur. … une information et un diagnostic partagés ; une action coordonnée de tous les coproducteurs de sécurité ; une continuité de la chaîne pénale et de la chaîne sociale.

Si au moins le Sénat pouvait dégager un consensus en son sein sur ces propositions concrètes, il aurait fait œuvre utile, avant la conception de la police de sécurité du quotidien ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre dÉtat, ministre de lintérieur. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je reconnais volontiers que cette proposition de loi qui, disons-le d’emblée, ne recueille pas le soutien du Gouvernement, a le mérite de faire débattre votre assemblée d’un sujet majeur. Elle me donne l’occasion aujourd’hui d’évoquer les travaux qui sont en cours pour bâtir la future police de sécurité du quotidien.

Avant toute chose, je tiens à dire que nous partageons, non pas tous, mais une large partie des éléments de constat dont font état les auteurs de cette proposition de loi. C’est d’ailleurs pourquoi le Gouvernement travaille à une réforme d’ampleur de la sécurité publique dans notre pays.

Ainsi, nous partageons l’ambition générale de renforcer l’efficacité de nos forces de sécurité, tout comme leurs liens avec la population, ce qui implique une plus grande autonomie accordée aux services et aux unités sur le terrain, mais aussi une meilleure prise en compte des spécificités de l’environnement local. J’y reviendrai.

Sur le constat, d’abord.

Il est évident que les forces de sécurité ne disposent pas, aujourd’hui, des outils leur permettant d’être pleinement efficaces face à l’insécurité à laquelle sont exposés nos concitoyens.

La complexité des procédures pèse sur leurs capacités d’action et nos policiers et gendarmes sont souvent dépourvus de réponse immédiate face à l’insécurité dite « de basse intensité », c’est-à-dire du quotidien.

Or ces infractions sont fortement ressenties par la population, qui s’inquiète autant de la menace terroriste que des infractions subies au quotidien. Toutes les études d’opinion le montrent. Tous les élus de terrain que nous sommes le savent parfaitement.

Les atteintes répétées à la tranquillité publique, les nuisances de tous ordres, dans les quartiers, sur la voie publique, dans les transports en commun, sont une préoccupation majeure pour les habitants.

À toutes les infractions relevées, il faut encore ajouter toutes ces incivilités qui nuisent au vivre-ensemble, mais que l’on ne mesure pas, souvent parce que les gens qui les subissent ne portent pas plainte.

La persistance de cette situation, malgré l’action déterminée et l’engagement de nos policiers et de nos gendarmes, réduit la confiance de la population en notre capacité à la protéger.

Cette réalité a pu être occultée ces dernières années par la priorité légitimement donnée à la lutte contre le terrorisme. Il faut dire également que, par le passé, elle n’a pas été traitée de manière efficace, du fait souvent d’orientations changeantes, mettant l’accent tantôt sur la prévention, tantôt sur la répression. Or l’expérience enseigne que l’un ne va pas sans l’autre.

De même, la lutte contre la petite et moyenne délinquances ne s’oppose pas à celle contre le terrorisme et la grande criminalité : elle en constitue le socle.

Je ne souhaite pas dresser ici l’inventaire des dispositifs déployés par le passé pour faire reculer l’insécurité dans notre pays.

Vous l’avez rappelé, ils ont été nombreux : îlotage, police de proximité, unités territoriales de quartier, ou UTEQ, brigades spécialisées de terrain, ou BST, zones de sécurité prioritaires, ou ZSP. Tout cela a existé et l’efficacité n’a pas toujours été au rendez-vous, alors même que les intentions de départ étaient parfaitement louables.

Il faut simplement souligner aujourd’hui que les réductions d’effectifs, la complexification des procédures, les impératifs de sécurisation conduisent nos policiers et nos gendarmes à être moins présents sur le terrain, moins souvent au contact des habitants, et à faire prévaloir une logique d’intervention, ce qui pèse à la fois sur leur efficacité au quotidien et sur la qualité de leurs relations avec la population.

Il faut rééquilibrer cette situation. Cela demande des moyens supplémentaires, mais, au-delà, il faut passer par un retour aux fondamentaux et par un changement de paradigme et d’organisation.

C’est ce à quoi entend s’employer le Gouvernement avec la police de sécurité du quotidien. Cela va au-delà de ce que préconise la proposition de loi et se décline en modalités différentes.

Sur le projet de police de sécurité du quotidien, le Président de la République a présenté les grandes orientations de ce projet lors de son discours devant les forces de sécurité du pays, le 18 octobre dernier.

Le ministre de l’intérieur a ensuite, sur cette base, ouvert une large séquence de consultations, qui se poursuit jusqu’à la fin de l’année et qui est d’une ampleur inédite.

Tous les acteurs concernés y sont associés : les policiers et les gendarmes ainsi que leurs représentants, les élus locaux, les représentants des policiers municipaux et des professionnels de la sécurité privée et des transports. Des chercheurs, spécialistes des sujets de sécurité, sont également consultés.

Les consultations conduites au niveau national ont été déclinées, en parallèle, dans chaque département, sous la responsabilité des préfets. Les premiers rapports de synthèse de cette consultation locale commencent à nous parvenir.

En complément, tous les policiers et tous les gendarmes ont été invités, pendant plus de trois semaines, à faire part directement de leurs propositions via une consultation en ligne. Les résultats de cette consultation sont désormais en cours de traitement.

Vous le voyez, s’agissant de cette réforme, les attentes sont fortes, ce qui est bien légitime, et la concertation a été très large.

Trois orientations principales sont poursuivies.

Le premier objectif est de donner aux forces de sécurité les moyens d’agir plus efficacement sur le terrain et, pour cela, de les recentrer sur leur cœur de métier.

Bien sûr, la question des moyens est essentielle. Ces moyens leur seront donnés sur la durée du quinquennat. En effet, pour retrouver des marges de manœuvre et mieux lutter contre les délits, les nuisances, les incivilités ressenties au quotidien, il faut des moyens humains, matériels et technologiques qui soient à la hauteur.

Le Gouvernement a annoncé le recrutement de 10 000 policiers et gendarmes supplémentaires au cours des cinq prochaines années. Cet effort, dans un contexte budgétaire contraint, est majeur.

La modernisation des outils de travail sera, par ailleurs, amplifiée. En la matière, nous savons que les équipements les plus élémentaires ne sont pas toujours garantis. Les locaux et les véhicules feront l’objet d’une attention prioritaire. Le déploiement de nouveaux outils numériques sera également poursuivi.

Au-delà, d’autres leviers doivent permettre de renforcer le potentiel opérationnel et la présence sur la voie publique. Le cadre d’action des policiers et des gendarmes doit être renouvelé.

D’une part, nos forces de l’ordre doivent pouvoir disposer de moyens juridiques plus adaptés au traitement des infractions de la vie quotidienne. Il y va de la crédibilité de leur action, trop souvent entravée par la lourdeur et la complexité des procédures.

Sur ce point, la réflexion est conduite avec le ministère de la justice, dont les travaux en matière de simplification de la procédure pénale concernent directement la sécurité du quotidien.

D’autre part, il faudra rationaliser le périmètre des missions confiées à nos forces de sécurité – le transfert des tâches périphériques sera engagé et il faudra également faire jouer davantage la complémentarité avec l’ensemble des acteurs locaux de la sécurité.

L’ensemble de ces efforts doit permettre de renforcer le temps opérationnel des forces de sécurité sur le terrain.

Le deuxième objectif vise à une meilleure adaptation de l’action des forces aux difficultés propres à leur territoire.

Cela implique plusieurs évolutions fondamentales.

Il faudra, demain, être capable de mieux mesurer sur chaque territoire l’intensité de l’insécurité réelle et ressentie, pour en tirer ensuite des conséquences sur le plan opérationnel.

À cet égard, la mesure statistique de la délinquance, récemment refondue, est précieuse, mais elle s’avère insuffisante. D’ailleurs, les récentes études montrent que le sentiment d’insécurité n’est pas exclusivement lié à l’évolution de la délinquance enregistrée. Il touche également au ressenti, à l’expérience vécue, à la qualité de la relation entretenue avec les forces de sécurité, que nos concitoyens rencontrent, ou pas.

Il faut ensuite être en mesure de traduire sur le plan opérationnel ce qu’on a mieux mesuré. Cela implique de renforcer l’autonomie des services territoriaux et les partenariats avec les acteurs locaux. Les réponses opérationnelles doivent être conçues au plus près des réalités du terrain.

La méthode partenariale éprouvée ces dernières années, notamment au sein des zones de sécurité prioritaires, a montré sa pertinence. Son efficacité reste toutefois tributaire du niveau de mobilisation de l’ensemble des acteurs associés. Elle pâtit également de l’enchevêtrement de nombreux dispositifs. Nous ferons évoluer ce cadre.

Enfin, avec la police de sécurité du quotidien, la PSQ, nous cherchons à renforcer la confiance mutuelle entre les forces de sécurité et la population.

L’insécurité du quotidien ne sera pas efficacement combattue si la police et la gendarmerie ne sont pas parfaitement intégrées à leur territoire, accessibles aux habitants et au fait de leurs préoccupations.

Renforcer le lien avec la population n’est pas seulement souhaitable dans un souci d’apaisement ; c’est la condition de l’efficacité, pour prévenir et réprimer la délinquance du quotidien.

De nouveaux leviers seront actionnés pour faciliter l’accès de la population aux services de police et aux unités de gendarmerie, et pour que ceux-ci rendent davantage compte de leur action au quotidien.

La participation citoyenne devra également être davantage développée. La sécurité doit être l’affaire de tous.

Certains de ces chantiers sont d’ampleur et touchent aux fondamentaux de l’action, de la formation et de l’organisation de nos forces de sécurité. Ils demanderont une mise en œuvre progressive. Il convient donc de les engager sans attendre.

Une doctrine nouvelle, qui régira l’action de nos forces de sécurité pour les prochaines années, sera établie.

Par ailleurs, un plan d’action précis sera annoncé en début d’année prochaine pour engager ces évolutions. Sur ces trois grandes orientations, nous avons recueilli de très nombreuses propositions dans le cadre de la concertation, que les services sont en train d’expertiser.

Certaines mesures pourront être déployées rapidement ; d’autres nécessiteront probablement l’adoption de textes nouveaux ou, parce qu’elles sont d’ampleur, seront déployées progressivement sur la durée du quinquennat.

Par ailleurs, de nouveaux outils et méthodes de travail seront expérimentés, à partir de l’année prochaine, sur une sélection de territoires. Ceux-ci ne sont pas encore déterminés, madame la présidente Assassi ; ils le seront à l’issue de la phase actuelle de consultation. J’ajoute que la PSQ aura vocation, à terme, à être déclinée sur l’ensemble du territoire français.

J’en viens à la position défavorable du Gouvernement sur la proposition de loi.

Vous le voyez, notre projet est d’ampleur et c’est pourquoi le Gouvernement n’apporte pas son soutien à la proposition de loi qui nous est soumise aujourd’hui.

Au-delà du fait que, sur la forme, nous partageons l’analyse selon laquelle les mesures proposées ne relèvent pas du domaine législatif, nous pensons, sur le fond, que la réponse proposée est à la fois incomplète et paradoxale.

Elle est incomplète, car une réforme efficace doit prendre en compte l’ensemble du territoire national, et non les seules zones de compétence de la police nationale ou ses seuls services. L’ensemble des forces et des métiers de la police et de la gendarmerie nationales sont concernés au premier chef, et plus largement tous les acteurs de la sécurité : les polices municipales, les sociétés privées de sécurité, les agents de sécurité des transports en commun, ainsi que leurs partenaires associatifs et sociaux qui œuvrent au quotidien à la sécurité de nos territoires.

Elle est paradoxale, car nous pensons que l’autonomie et le contact relèvent du cœur de métier des policiers et des gendarmes, et ne sauraient être l’apanage d’une direction générale ou de services coupés du reste de la police pour s’y consacrer.

La PSQ concernera la totalité des forces et du territoire. Ses orientations seront transversales, mais ses modalités seront diverses, adaptées aux problématiques spécifiques à chaque territoire. Il ne s’agit donc pas de généraliser un dispositif unique.

Le Gouvernement est donc défavorable à cette proposition de loi et donne rendez-vous au début de l’année prochaine pour présenter les principes et les mesures, issus de la large concertation conduite cet automne, qui donneront corps à la future police de sécurité du quotidien. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe Union Centriste, ainsi quau banc des commissions.)