MM. Alain Marc et Claude Kern. Très bien !

Mme Mireille Jouve. Michel Audiard disait que la justice, c’est comme la Sainte Vierge : si on ne la voit pas de temps en temps, le doute s’installe. (Sourires.)

Ce doute, ne nous y trompons pas, n’est pas au fondement de la crise de confiance entre les citoyens et leurs représentants, toujours plus profonde comme l’a révélé le niveau élevé de l’abstention lors des scrutins présidentiel et législatif. Le doute qui peut peser sur les gouvernants est aussi ancien que leur existence.

Comme l’a très justement rappelé Mme Assassi lors de nos débats de l’été dernier, je demeure convaincue que, pour l’essentiel, le désengagement que l’on observe à l’égard du vote tient à la difficulté, pour le politique, de faire bouger les lignes, alors que les inégalités se creusent de nouveau inexorablement.

Je formule donc le vœu que celles et ceux qui contribuent à faire ce que l’on appelle aujourd’hui « l’opinion publique » entraînent celle-ci plus fréquemment et plus volontiers sur le terrain de nos travaux, qui sont nombreux.

Mes chers collègues, selon la formule désormais consacrée, les membres du RDSE, dans leur diversité, détermineront leur vote au terme de notre discussion. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain.)

M. François Pillet, président du comité de déontologie parlementaire du Sénat. Excellente intervention !

M. le président. La parole est à M. Jérôme Bascher. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jérôme Bascher. Monsieur le président, monsieur le président du comité de déontologie, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, cette proposition de résolution vient renforcer l’image du Sénat, en dépit de l’horaire tardif de son examen et de l’absence de journalistes pour se faire l’écho de nos débats.

Alors que notre collègue député Vigier se voit refuser des informations sur le fonctionnement de l’Assemblée nationale, nous, au Sénat, faisons œuvre de transparence ! Cela a déjà été souligné par de nombreux collègues, le Sénat a souvent été en avance sur ce sujet, même s’il y a pu y avoir, il ne faut pas le nier, ici ou là, quelques vicissitudes dans les pratiques.

Cette proposition de résolution s’inscrit dans la volonté du Sénat d’élaborer les textes de manière réfléchie et jusqu’au bout. J’en veux pour preuve les sanctions contre l’absentéisme. Quelle est la portée d’un texte non assorti de sanctions ? Pourtant, combien de lois sont votées sans qu’elles emportent de conséquences ?

Il faut bien sûr remercier la commission des lois pour le travail accompli sur ce texte. Nolens volens, nous allons vers plus de transparence, cette vertu moderne imposée par le monde médiatique, par les réseaux sociaux et par les lanceurs d’alerte. J’en veux pour preuve cette excellente idée de créer un registre des déports. Pour prévenir les conflits d’intérêts, chacun doit pouvoir déclarer en conscience, en liberté et en responsabilité – et non en application d’une règle universelle –, comme nous déterminons notre vote, à quel moment il souhaite se déporter.

Madame Assassi, je ne crois pas qu’il soit possible, avant d’avoir été élu, de déclarer les conflits d’intérêts potentiels.

Mme Éliane Assassi. Je n’ai pas dit ça ! Vous ne m’avez pas comprise.

M. Jérôme Bascher. Par exemple, un membre de votre famille peut, du jour au lendemain, accéder à des responsabilités et être ainsi à l’origine d’un conflit d’intérêts…

Par conséquent, la liberté est essentielle en la matière. À titre personnel, je le dis modestement, je n’aurai jamais rien à inscrire dans le registre des déports, mais quand bien même je ne suis pas concerné, j’estime qu’il s’agit d’une bonne mesure.

Cela étant, je le dis avec force, je n’aurais pas voté la loi pour la confiance dans la vie politique, car elle relève avant tout de l’antiparlementarisme. Cette loi a été conçue –à tort – en réponse à un cas particulier, certes emblématique, qui s’est présenté pendant la dernière campagne présidentielle et que nous avons tous en mémoire. Est-il dans nos habitudes de légiférer pour un cas particulier ou pour moins de 1 000 parlementaires, tandis que, pendant ce temps, des sujets essentiels tels que la santé ou l’immigration pourraient attendre ?

On s’est trompé d’urgence. On n’a pas instauré la confiance, on a créé de la défiance envers les parlementaires. On instille le poison de la rumeur, on généralise, à partir d’un cas particulier, à l’ensemble des élus, ceux-ci, qu’ils soient maires de village ou conseillers municipaux, étant soupçonnés de gagner des mille et des cents, de toucher des indemnités incroyables, alors même que leur taxation est appelée à augmenter massivement avec le prélèvement à la source…

Je défendrai toujours, avec le groupe Les Républicains, l’indépendance des parlementaires. Il faut faire attention à ne pas aller trop loin en instituant une forme de « flicage », comme l’a fait la loi Sapin pour un certain nombre de professionnels qui doivent maintenant déclarer quelles personnes ils fréquentent, avec qui ils déjeunent !

Si demain on en arrive là pour les parlementaires, nous ne pourrons plus exercer notre mandat en toute liberté et en toute indépendance. Nous devons y être attentifs, car souvent les journalistes, souvent la justice, parfois l’administration voudraient que nous soyons totalement transparents, sans s’appliquer cette exigence à eux-mêmes ! Les sources des journalistes doivent être protégées, bien entendu, mais il faut aussi défendre les sources des parlementaires, en faisant la loi de façon intelligente : il y va de notre indépendance.

Mes chers collègues, n’ayons pas peur de la transparence. N’ayons surtout pas peur de l’indépendance et du temps long de la réflexion : ne cédons pas à la pression du temps médiatique. Le groupe Les Républicains votera évidemment cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Panunzi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-Jacques Panunzi. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le Sénat et les sénateurs ont, dans la vie publique, une fonction d’exemplarité, tout particulièrement à l’égard des élus locaux. Or, alors que nous nous apprêtons aujourd’hui à appliquer au Sénat les dispositions de la loi du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique, je souhaiterais que notre Haute Assemblée puisse, par son exemplarité, aider à rassurer ces mêmes élus locaux.

Je commencerai mon propos en livrant à ceux d’entre vous qui n’en auraient pas pris connaissance le résultat de la consultation réalisée par le groupe de travail du Sénat sur le statut des élus locaux : 45 % des 17 500 élus ayant répondu pensent ne pas se représenter. Cette crise des vocations est justifiée avant tout – 27 % des réponses – par le temps accordé au mandat au détriment de leur famille et de leur travail, puis par le degré d’exigence des citoyens – 13,4 % des réponses – et le risque juridique et pénal – 12,7 % des réponses. Sur 100 élus, 13 envisagent d’abandonner leur engagement public en raison du risque juridique lié à l’exercice de leur mandat.

C’est un constat qui rend nécessaire, voire indispensable, un travail de publicité et de pédagogie au sujet des obligations déontologiques et de la prévention des conflits d’intérêts, que je propose d’effectuer ce soir.

Ce constat peut être étendu à nombre d’élus et s’inscrit dans le contexte général d’un renforcement des obligations déontologiques. Il en va de même du débat que nous avons aujourd’hui sur cette proposition de résolution, qui revêt une importance majeure pour le bon fonctionnement du Sénat et le respect des nouvelles prescriptions normatives.

L’adoption de cette proposition de résolution permettra au Sénat de se conformer à l’article 3 de la loi pour la confiance dans la vie politique. Cette loi, que notre assemblée a votée à une large majorité – 298 voix pour et 5 contre –, constitue ce que l’on appelle une « loi d’opinion », c’est-à-dire un texte visant à rassurer l’opinion publique dans le contexte d’alors, que nous connaissons tous.

Nous avons adopté ce texte. Je l’ai moi-même voté. Cela dit, je tiens à nous interpeller collectivement sur les risques que peuvent engendrer des lois de réaction mettant en cause les élus de manière générale et alimentant un climat de défiance de la population envers eux.

Pour en revenir à la proposition de résolution que nous soumet le président du Sénat, nous ne pouvons que saluer cette initiative et nous réjouir que notre institution dispose des moyens optimaux de prévenir les conflits d’intérêts.

La mise à jour des sanctions contre l’absentéisme parlementaire, notamment leur adaptation à la disparition de l’IRFM, va globalement dans le bon sens. Il en est de même des modalités de saisine du comité déontologique parlementaire, qui ont été élargies au terme des travaux de la commission.

Le mécanisme de déport, quant à lui, permettra à un parlementaire de se retirer publiquement d’un débat qui le placerait en situation de conflit d’intérêts. Cela constitue une meilleure garantie pour les sénateurs concernés et permettra d’attester de notre profonde conviction que la déontologie doit jouer un rôle important dans la vie publique.

La difficulté réside dans le fait que la démarche incombe au parlementaire et se fonde sur sa seule appréciation et sa seule déclaration, d’où l’intérêt de suivre avec précision l’ordre du jour et le contenu des textes inscrits, pour mieux signaler un déport en amont, avant, par exemple, que le vote n’intervienne par voie de procuration en cas d’absence.

Se pose alors la question centrale de la définition du conflit d’intérêts, sur laquelle je me permettrai de revenir un peu plus longuement.

La loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique a pour la première fois harmonisé les textes existants et donné une définition légale du conflit d’intérêts, en son article 2 : « Au sens de la présente loi, constitue un conflit d’intérêts toute situation d’interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer ou à paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif d’une fonction. »

Cette définition met en évidence trois critères : la détention d’un intérêt par l’élu, qu’il soit direct ou indirect, matériel ou moral ; l’interférence peut être matérielle ou temporelle ; l’intensité de l’interférence s’examine au cas par cas. Il y a conflit d’intérêts quand l’interférence est suffisamment forte pour soulever des doutes raisonnables quant à la capacité de l’élu d’exercer ses fonctions en toute objectivité.

La loi du 15 septembre 2017, dite « loi Bayrou », a défini le conflit d’intérêts des parlementaires selon un rapport privé-public, et non un rapport public-public, lequel n’est mentionné que dans la loi de 2013 et ne touche que les élus locaux.

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !

M. Jean-Jacques Panunzi. Les parlementaires ne sont certes concernés que par d’éventuelles interférences entre mandat public et intérêts privés, mais la notion d’intensité de l’interférence n’en demeure pas moins difficile à cerner. C’est là que prend tout son sens le conseil du comité de déontologie parlementaire, sur lequel reposera le dispositif de prévention des conflits d’intérêts. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste.)

M. le président. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

proposition de résolution relative aux obligations déontologiques et à la prévention des conflits d’intérêts des sénateurs

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de résolution relative aux obligations déontologiques et à la prévention des conflits d'intérêts des sénateurs
Article 2

Article 1er

L’article 23 bis du Règlement est ainsi modifié :

1° L’alinéa 8 est ainsi rédigé :

« 8. – En cas d’absence, au cours d’un même trimestre de la session ordinaire, à plus de la moitié de ces votes, plus de la moitié de ces réunions et plus de la moitié de ces séances, la retenue mentionnée à l’alinéa 7 est égale à la totalité du montant trimestriel de l’indemnité de fonction. Le seuil de la moitié est porté aux deux tiers pour les sénateurs élus outre-mer. » ;

2° L’alinéa 9 est complété par une phrase ainsi rédigée : « Un sénateur dont le déport est inscrit sur le registre public mentionné à l’article 91 ter est également considéré comme présent en séance ou en commission au cours des travaux entrant dans le champ de ce déport. » ;

3° L’article est complété par un alinéa 11 ainsi rédigé :

« 11. – La retenue mentionnée aux alinéas 7 et 8 s’applique sans préjudice de la possibilité pour le Bureau du Sénat de prononcer les peines disciplinaires prévues à l’article 99 ter. En cas d’absences d’un sénateur donnant lieu à l’application de la retenue mentionnée à l’alinéa 8 du présent article au cours de deux trimestres de la session ordinaire, le Bureau examine, sur la proposition du Président, s’il y a lieu de prononcer à son encontre une des peines disciplinaires de censure prévues à l’article 99 ter. »

M. le président. L’amendement n° 4 rectifié, présenté par MM. Bizet, Sutour, Bonnecarrère et Gattolin, Mme Mélot et M. Menonville, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 3

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

…° À l’alinéa 9, après les mots : « dont il est membre », sont insérés les mots : « , de la commission des affaires européennes » ;

La parole est à M. Jean Bizet.

M. Jean Bizet. Cet amendement vise tout simplement à corriger une omission du règlement, dont l’alinéa 9 de l’article 23 bis ne comptabilise pas au titre de la présence en séance ou en commission les déplacements à l’étranger ou outre-mer des membres de la commission des affaires européennes, celle-ci n’étant pas classifiée comme une commission permanente.

J’avais déjà souligné cette difficulté à l’époque. Or les choses ont pris une tournure différente depuis, du fait que la mission sur le Brexit qui nous a été confiée, à Christian Cambon et à moi-même, par le président Larcher, amène les membres de cette mission d’information et de suivi à se rendre régulièrement à Bruxelles, à Londres ou à Dublin. Or les déplacements de ceux d’entre eux qui sont en outre membres de la commission des affaires étrangères sont comptabilisés au titre de la présence en séance ou en commission, mais pas ceux des membres de la commission des affaires européennes.

Je souhaiterais donc que, dans ce cas précis, les membres de cette dernière soient traités à parité avec ceux des commissions permanentes.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Bas, rapporteur. Avis favorable.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 4 rectifié.

(Lamendement est adopté.)

M. le président. L’amendement n° 1 rectifié bis, présenté par MM. Mohamed Soilihi, Hassani, Karam, Patient et Théophile, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 3

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

…° À l’alinéa 9, après le mot : « membre », sont insérés les mots : « ou de la délégation aux outre-mer » ;

La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.

M. Thani Mohamed Soilihi. Cet amendement est de même nature que celui qui vient d’être défendu. Il vise à la prise en compte, au titre des absences justifiées, des missions outre-mer ou à l’étranger des rapporteurs de la délégation aux outre-mer.

Nous sénateurs ultramarins faisons obligatoirement partie de cette délégation : nous en sommes membres de droit. Mais je m’exprime aussi ici au nom des membres de la délégation aux outre-mer issus de l’Hexagone.

Dans le cadre de l’exercice de nos missions, nous sommes naturellement souvent amenés à nous déplacer outre-mer, pour travailler sur des sujets spécifiques tels que le foncier, la filière sucrière ou les normes, par exemple. Ces travaux sont très utiles et ont contribué à faire évoluer la législation.

Or ces déplacements peuvent avoir été programmés avant qu’aient été fixées les dates des votes solennels. De ce fait, il est difficile pour les membres de la délégation aux outre-mer de s’organiser pour être présents, d’autant qu’il est arrivé que des votes solennels soient déprogrammés.

Certes, la plupart du temps, nous satisfaisons largement aux critères de présence, qui sont d’ailleurs allégés pour les Ultramarins, mais je demande que les déplacements à l’étranger ou outre-mer des rapporteurs de la délégation aux outre-mer soient pris en compte au titre des absences justifiées.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Bas, rapporteur. Avis favorable.

M. le président. La parole est à M. Michel Magras, pour explication de vote.

M. Michel Magras. Je m’associe à la démarche de mon collègue.

Les outre-mer sont là où ils sont, ils n’ont pas choisi d’être dispersés sur tous les océans du monde ! J’ajoute à l’argumentation de M. Mohamed Soilihi que l’existence de la délégation aux outre-mer a été confirmée par la loi de programmation relative à l’égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique. Au-delà du règlement du Sénat, elle a donc une valeur juridique et une existence légale. Prendre en compte les déplacements de ses membres s’en trouve donc d’autant plus justifié.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 1 rectifié bis.

(Lamendement est adopté.)

M. le président. L’amendement n° 5, présenté par Mmes Assassi et Benbassa, M. Bocquet, Mmes Brulin, Cohen et Cukierman, MM. Gay et Gontard, Mme Gréaume, MM. P. Laurent et Ouzoulias, Mme Prunaud et MM. Savoldelli et Watrin, est ainsi libellé :

Alinéa 4

Supprimer cet alinéa.

La parole est à M. Pascal Savoldelli.

M. Pascal Savoldelli. Cet amendement concerne la question du déport.

Comment consolider la légitimité du Parlement aux yeux des Français ? Dans cette perspective, nous estimons qu’il faut traiter en amont la question des conflits d’intérêts, cruciale du point de vue de la crise du politique que nous traversons.

Nous jugeons largement insuffisantes les dispositions visant à prévenir les conflits d’intérêts qui figurent dans le texte. Nous aurions de loin préféré que l’on recoure aux incompatibilités, afin d’éviter l’élection de personnes en situation avérée de conflit d’intérêts.

Le texte actuel tend à appliquer la loi. Dont acte, mais faut-il admettre l’existence des conflits d’intérêts, voire leur accorder une forme de vertu, en mettant en place une possibilité de déport qui permettra de justifier une absence ? Le déport sera une faculté qui pourra être utilisée par certains d’entre nous à titre individuel, mais dont nous devrons tous assumer publiquement l’existence ! Quand l’un d’entre nous commet une faute, c’est le Parlement dans son ensemble qui est touché. Le déport permettra à un sénateur de s’exonérer d’une présence obligatoire : cela pose, à nos yeux, un énorme problème, outre que ce système ne fera pas cesser les conflits d’intérêts et ne les régulera pas.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Bas, rapporteur. Je crois qu’il y a un malentendu. Qu’un maire, un président de conseil départemental ou régional, un sénateur ou un député ait des intérêts n’est pas une infamie : c’est simplement le signe qu’il a eu un métier !

Nous ne sommes pas tous ici des spécialistes de la politique ; nous avons souvent, et c’est heureux, commencé par exercer une profession. Cela crée des liens. Pour autant, ces liens ne sont pas la preuve de turpitudes. Leur existence impose simplement que l’on prenne la précaution, en conscience, de la déclarer et de ne pas participer à un débat en cas de conflit d’intérêts potentiel.

Cette idée selon laquelle les intérêts que tel ou tel d’entre nous pourrait avoir le disqualifieraient et qu’il faudrait que son absence pour cause de déport soit comptabilisée au titre des absences pouvant donner lieu à sanction me paraît aberrante.

En réalité, tout cela témoigne qu’il existe entre nous une forme d’incompréhension quant à la nature même de l’intérêt. L’intérêt n’est pas en soi bon ou mauvais. Son existence nous paraît simplement devoir entraîner une certaine réserve dans un débat le concernant. Il faut récompenser ceux d’entre nous qui considéreraient ne pas devoir participer, en raison de leur intérêt, à la discussion d’un texte ou d’un amendement, plutôt que de prévoir que le déport soit sanctionné au titre des absences non justifiées.

L’avis est défavorable.

M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.

M. Pascal Savoldelli. Je dois avoir une difficulté de compréhension, monsieur Bas… J’avoue ne pas avoir compris votre argumentation !

M. Philippe Bas, rapporteur. Ah bon ?

M. Pascal Savoldelli. Quel est le lien entre conflits d’intérêts, métiers et professions ? Pourquoi nous parler des métiers et des professions des uns et des autres ? C’est hors sujet !

M. Pascal Savoldelli. La question posée ici est celle du conflit d’intérêts. Nous sommes tellement en avance sur ce sujet qu’il a fallu attendre 2004 pour que l’OCDE aborde la question du conflit d’intérêts privés, alors qu’il n’avait été question auparavant que de conflits d’intérêts publics… On peut ne pas être d’accord avec l’appréciation qui est la nôtre, mais il faut avoir de la tenue ! Lorsque l’on parle de conflits d’intérêts, il s’agit de ne pas se prendre les pieds dans le tapis en faisant référence aux métiers ou aux professions.

L’un de nos collègues de droite, au terme de l’intervention d’Éliane Assassi, a comparé l’abstention annoncée de notre groupe à une grève : les cheminots paient, quand ils font grève !

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 5.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. L’amendement n° 3 rectifié, présenté par Mme Jouve, MM. Arnell et A. Bertrand, Mme M. Carrère, M. Collin, Mmes Costes et N. Delattre et MM. Gold, Guillaume, Labbé, Menonville et Requier, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 4

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

…° À l’alinéa 10, après le mot : « maternité », sont insérés les mots : « , d’une paternité » ;

La parole est à Mme Mireille Jouve.

Mme Mireille Jouve. L’alinéa 4 de l’article 23 bis du règlement de la Haute Assemblée prévoit explicitement certaines dérogations aux règles d’assiduité établies par le même article, en particulier en cas de maternité ou de longue maladie. Le présent amendement vise à étendre le champ de cette dérogation à la paternité, afin d’estomper une différence réglementaire de traitement entre sénatrices et sénateurs.

Il s’agit non pas d’instaurer un véritable congé de paternité, comme la loi en prévoit un pour les salariés ou les fonctionnaires, mais plutôt de faire évoluer notre règlement en tenant compte des pratiques familiales de notre époque, qui concernent également les parlementaires que nous sommes.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Bas, rapporteur. Cet amendement a suscité un tel élan de sympathie au sein de la commission des lois, ce matin, qu’il me répugne de devoir y donner un avis défavorable. (Marques de déception sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.) C’est pourtant ce que je vais faire.

Je vous rappelle, mes chers collègues, que nous ne sommes pas des salariés, que le code du travail ne s’applique pas à nous, non plus que le code de la sécurité sociale.

Par conséquent, s’il advenait qu’une sénatrice mette au monde un enfant pendant son mandat parlementaire, elle ne bénéficierait pas d’un congé de maternité. De la même façon, s’il advenait qu’un sénateur ait à accueillir un enfant dans son foyer, il ne bénéficierait pas d’un congé de paternité. L’idée selon laquelle il faudrait prévoir dans le règlement un congé de paternité nouveau, à côté d’un congé de maternité qui préexisterait, est donc erronée.

Je tiens cependant à vous rassurer, mes chères collègues : celles d’entre vous qui accoucheront dans les années à venir pourront naturellement s’absenter sans être sanctionnées (Exclamations amusées sur diverses travées.) si leur état le justifie ou si les exigences de l’allaitement devaient les conduire à s’éloigner momentanément du Sénat pour des motifs de bonne organisation de leur vie familiale. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Quant aux pères de famille, gageons qu’ils trouveront le moyen d’accueillir à la maison l’enfant nouveau-né sans avoir, pour autant, à « sécher » les réunions de commission, les votes par scrutin public solennel ou les séances de questions d’actualité au Gouvernement.

L’avis est donc, hélas, défavorable, malgré, encore une fois, le très fort élan de sympathie qu’a suscité cette proposition très attendrissante. (M. Philippe Pemezec applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie, pour explication de vote.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Nous avons effectivement eu un débat assez animé en commission des lois sur cette question, qui suscite maintenant dans l’hémicycle, de la part de certains de nos collègues, les mêmes réactions quelque peu ironiques qu’alors… (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.)

Je vais expliquer pourquoi le groupe socialiste et républicain votera cet amendement.

M. Philippe Bas, rapporteur. Par démagogie !

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Je ne me serais pas permis de porter un tel jugement sur certaines prises de position que j’ai pu entendre, monsieur le président Bas… Laissez-moi défendre mon point de vue sans le qualifier a priori de démagogique !

Lorsque l’on a reconnu aux femmes le droit à un congé de maternité, sans doute a-t-on considéré que leur état physique après l’accouchement, mais aussi l’importance du lien avec l’enfant justifiaient un tel congé, d’ailleurs beaucoup plus long dans certains pays que dans le nôtre.

Il existe aussi en France un congé parental, là encore beaucoup plus long dans certains autres pays que chez nous.

Il existe enfin, dans le droit français, un congé de paternité, qui est – rassurez-vous, monsieur le président Bas ! – assez bref puisqu’il est, sauf erreur de ma part, de onze jours, prolongeant ainsi de trois jours le congé pour naissance.

C’est dire que, en instaurant un congé de paternité pour les sénateurs, nous n’allons pas dépeupler cet hémicycle !

La légère condescendance de certains que j’ai cru percevoir me semble de mauvais aloi. Le règlement, je l’indique au président Bas, ne fait pas mention d’un congé de maternité ; nous nous référons donc ici non pas au droit social, mais bien à un état. Aucune raison fondamentale n’empêche qu’y soit reconnue la possibilité d’une absence dont la durée ne serait pas longue. Il me semblerait juste qu’une telle disposition soit adoptée par une assemblée qui a – peut-être à tort, je ne sais plus – la réputation de ne pas être encline à reconnaître comme pertinente une évolution des droits.

Voilà pourquoi le groupe socialiste et républicain soutiendra cette très bonne initiative, en espérant que nos collègues voteront en faveur de l’introduction de la paternité dans les motifs d’autorisation exceptionnelle d’absence des sénateurs. (Mme Victoire Jasmin applaudit.)