M. le président. La parole est à M. Joël Labbé.

M. Joël Labbé. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, mon propos vient en complément de celui de Jean-Claude Requier, président du groupe du RDSE, qui interviendra dans quelques instants. J’ajoute que je ne m’exprime pas nécessairement au nom de l’ensemble du groupe, mais d’un certain nombre de ses membres, notamment sur le volet « écologie ».

Le projet de loi porte sur des questions majeures.

Le logement est un sujet fondamental pour les Françaises et les Français, pour la cohésion sociale de notre pays. Les chiffres ont déjà été rappelés : la France compte 4 millions de mal-logés ou sans domicile et 12 millions de personnes en situation fragile en matière de logement. Cette situation est particulièrement préoccupante.

De même, l’aménagement du territoire et l’urbanisme sont essentiels pour la vie des territoires, face à de nombreux enjeux, qu’il s’agisse de la désertification des campagnes, de l’effondrement de la biodiversité ou encore du réchauffement climatique.

Ce texte présente certaines avancées, mais il inspire aussi des inquiétudes.

Je citerai tout d’abord les avancées que contient le projet de loi. Pour ce qui concerne la lutte contre les marchands de sommeil, on ne peut que saluer les mesures proposées. De même, pour ce qui concerne la nécessaire transition énergétique, le texte fait un pas dans la bonne direction. Mais, en tant qu’écologistes, nous souhaitons qu’il aille plus loin. Nous ferons, à cette fin, certaines propositions.

Sur la question de l’artificialisation des sols, certaines mesures vont dans le bon sens, notamment la réhabilitation des centres-villes, qui permet d’éviter l’étalement urbain. Je souhaiterais néanmoins que le texte soit davantage mis en cohérence avec le récent plan Biodiversité et, notamment, que soit inscrit dans la loi l’objectif « zéro artificialisation nette du territoire en 2025 », annoncé par Nicolas Hulot.

J’en viens à présent aux sujets d’inquiétude.

Sur bien des aspects, ce texte part du principe que c’est le marché qui permettra de répondre aux enjeux actuels. Mais le logement n’est pas un simple bien économique, c’est un droit humain fondamental. De même, l’aménagement du territoire, la qualité des constructions et celle des paysages sont des enjeux où l’intérêt général ne recoupe pas toujours l’intérêt privé.

Sur le modèle du logement social qui est proposé, là encore, nous ne pouvons qu’exprimer certaines inquiétudes. Certes, le fait de réexaminer la situation des locataires tous les trois ans permettra une attribution plus juste des logements. Cependant, les autres mesures du texte posent question. On ne peut que s’interroger sur la vente des HLM, telle qu’elle est proposée par le projet de loi. Le risque est important de diminuer l’offre de logements sociaux, dans un contexte de baisse des recettes des organismes d’HLM. La version de la commission a, quant à elle, été bien plus loin encore. Elle porte atteinte de manière, selon nous, inacceptable à la loi SRU, laquelle est pourtant essentielle à la mixité sociale et pour l’accès au logement.

Sur la question de l’accessibilité, le texte suscite aussi des inquiétudes. Nous proposerons de rendre l’ensemble des logements réellement évolutifs, en installant un ascenseur dans toutes les constructions à étages. Les droits des personnes handicapées et le vieillissement de la population nous imposent de ne pas considérer cette problématique comme un simple surcoût. En outre, des garanties doivent être apportées aux locataires, notamment sur le bail mobilité. Nous défendrons également des amendements en ce sens.

Enfin, je citerai un enjeu sur lequel il nous faudra, dans un avenir proche, nous pencher sérieusement : celui de l’accueil des migrants. Cet accueil pourrait et devra se faire sur l’ensemble du territoire, notamment dans les communes rurales. Il s’agit là, selon nous, d’une formidable occasion de revitaliser les campagnes, où l’agriculture aura besoin de main-d’œuvre, tout en accueillant une nouvelle population avec la plus grande des humanités. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)

M. le président. La parole est à M. François Patriat. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)

M. François Patriat. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ce jour marque l’une des dernières étapes du long processus d’élaboration d’un texte essentiel pour les Français. Le projet de loi ÉLAN est en effet la traduction législative de la stratégie de logement engagée par le Gouvernement. Il est également le fruit de la méthode de La République En Marche : la concertation, l’écoute et le dialogue.

Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, depuis mai 2017, vous avez rencontré les élus des territoires, les professionnels, les acteurs associatifs du monde du logement, de l’urbanisme et du numérique. Dans le prolongement de ces premières discussions, une large conférence de consensus s’est tenue ici, sur l’initiative du Sénat et avec la bienveillance du Gouvernement. Ces consultations ont permis d’associer à la discussion du texte plus de 20 000 contributions émanant des citoyens, des professionnels du secteur ou même des parlementaires. Cette méthode de concertation et de coconstruction a été saluée par tous.

Le dialogue va donc se poursuivre dans notre hémicycle pendant les sept jours à venir. Certaines répétitions générales ont déjà eu lieu cette année. Elles permettront d’enrichir le projet de loi ÉLAN. Je pense notamment à nos débats consacrés à la proposition de loi portant pacte national de revitalisation des centres-villes et centres-bourgs, à la proposition de loi de M. Chaize sur les infrastructures numériques ou encore aux diverses propositions de loi relatives au littoral.

Le logement est l’une des préoccupations majeures des Français. Nous ne sommes pas ici pour faire une loi de plus sur le logement – il y en a eu précédemment, et j’en ai d’ailleurs examiné plusieurs –, mais pour répondre aux besoins des Français.

Chers collègues, pouvons-nous nous satisfaire de 4 millions de mal-logés aujourd’hui ? Non !

Pouvons-nous accepter que des familles vivent dans des taudis à des prix indécents ? Non !

Pouvons-nous nous satisfaire que plus de 2 millions de Français attendent encore un logement social ? Non !

Pouvons-nous accepter que deux jeunes adultes sur trois habitent encore chez leurs parents et renoncent à des opportunités professionnelles parce qu’ils ne trouvent pas de logement ? Non !

Pouvons-nous accepter qu’il y ait toujours, dans notre pays, des zones grises et blanches où les Français ne sont pas connectés au très haut débit ? Non !

Nous sommes d’accord : une réforme ambitieuse est aujourd’hui nécessaire. Nous devons apporter des réponses concrètes à des problèmes concrets. C’est dans ce cadre, celui d’une méthodologie éprouvée et d’une réforme ambitieuse, que s’inscrit le projet de loi ÉLAN. Ce texte vise deux objectifs principaux.

Le premier est de protéger afin de donner plus à ceux qui ont moins. Il s’agit de renforcer le modèle du logement social, de favoriser la mobilité dans le parc social et de rendre plus transparentes les attributions de logements par les commissions, de lutter enfin contre l’habitat indigne.

Le second objectif est de libérer pour responsabiliser. Il faut offrir de nouvelles opportunités en facilitant la démarche de construction tout en responsabilisant les acteurs du logement quant aux objectifs à atteindre pour construire et rénover plus de bâtiments.

Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, finalement, le projet de loi ÉLAN s’inscrit dans la volonté de préserver la cohésion entre nos territoires, au cœur de la mission qui vous a été confiée par le Président de la République : donner à toutes et à tous les mêmes chances de réussir et de s’épanouir. C’est en créant de nouvelles solidarités que nous réduirons la fracture territoriale.

Les quatre titres du présent projet de loi fixent quatre grandes orientations. Elles ont été largement enrichies par nos collègues députés.

La première orientation est de construire plus, mieux et moins cher, en donnant aux professionnels les moyens d’être plus efficaces, par exemple à travers la dématérialisation du permis de construire, mais aussi en réduisant l’insécurité juridique liée aux recours contentieux ou à la multiplication des normes. À ce titre, la pause normative prévue sur la durée du quinquennat est une excellente initiative. À force, les surcoûts engendrés par l’inflation normative ont fini par freiner la construction et l’innovation.

La deuxième orientation est de faire évoluer le secteur du logement social en regroupant les bailleurs pour mutualiser les ressources, à travers des objectifs ambitieux, il est vrai. Le but est également de simplifier le cadre juridique dans lequel ces bailleurs exercent leur mission. M. le ministre l’a déjà indiqué, l’accession à la propriété, facteur d’ascension sociale, sera aussi favorisée à travers la vente de logements sociaux.

La troisième orientation est de favoriser la mixité sociale et de mieux répondre aux besoins de chacun en rendant plus transparentes les attributions de logements sociaux, en luttant contre l’habitat indigne et en favorisant la mixité, dans les deux sens : les logements sociaux ne doivent pas devenir des ghettos de pauvres, mais accueillir des gens de niveaux sociaux différents.

Répondre aux besoins de chacun, c’est aussi favoriser la mobilité dans le parcours résidentiel et lutter contre l’assignation à résidence. Vous proposez ainsi, monsieur le ministre, de construire plus ; vous proposez de favoriser la mobilité dans le parc d’HLM ; vous proposez la mobilité sociale et professionnelle avec le bail mobilité. Ce seront des éléments essentiels, non seulement du retour à la cohésion, mais aussi de la mobilité sociale, dont nous avons besoin.

La quatrième et dernière orientation est d’améliorer le cadre de vie des Français et de réduire les fractures territoriales. Il faut, à cette fin, assurer la revitalisation des centres-villes, en créant les opérations de revitalisation des territoires, ou ORT, et, évidemment, achever la couverture numérique de notre territoire.

Comme nous pouvions le prévoir, le texte a été profondément modifié lors de son examen en commission.

Madame la rapporteur, vous avez suggéré de nombreuses évolutions, pas toujours dans le sens que nous souhaitions. Ainsi, vous avez proposé de revenir sur différents acquis. J’en soulignerai trois en particulier.

Tout d’abord, je pense à la relation entre les locataires et les propriétaires. Sous couvert d’un rééquilibrage, ce sont finalement les locataires qui vont pâtir des mesures que vous défendez. Pour notre part, nous refusons d’ajouter, dans le contrat de location, la clause pénale qu’avait supprimée la loi ALUR, et nous nous opposons à la suppression des délais de délivrance du congé donné au locataire en cas de vente.

Ensuite, en matière d’attribution de logements sociaux, nous souhaitons maintenir deux obligations phares de la loi Égalité et citoyenneté que vous avez supprimées : réintroduire l’obligation de consacrer au moins 25 % des attributions aux ménages les plus pauvres, hors quartiers prioritaires de la politique de la ville, et revenir sur la suppression de la délégation du contingent préfectoral.

Enfin, le groupe La République En Marche soutient le souhait du Gouvernement de ne pas modifier l’équilibre actuel de la loi SRU. M. le ministre l’a rappelé, cette loi de 2000 est un outil de mixité sociale qui fonctionne bien au regard des quelque 250 communes carencées.

M. le président. Il faut conclure !

M. François Patriat. Certains problèmes demeurent à la marge, mais sont généralement réglés par les préfets. Il importe de garder ce cadre général pour construire du logement social. C’est pourquoi nous nous opposerons aux mesures d’assouplissement et d’expérimentation adoptées en commission.

Mes chers collègues, ne soyons pas dogmatiques, ne faisons pas la loi au travers d’exemples personnels : l’enjeu est trop important pour nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – M. Jean-Claude Requier applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.

Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la question du logement est aujourd’hui fondatrice et structurante : il s’agit de savoir dans quelle société nous voulons vivre.

Avoir un toit, est-ce encore un droit ? Telle est la question, quand on voit que vous considérez le logement comme un produit marchand, source de spéculation, de placements et de stratégies financières.

L’habitat, ce n’est pas simplement un produit pour promoteur ou une source de revenus pour ceux qui ont investi dans la pierre. De la qualité du logement, de sa taille, de sa configuration dans son environnement, de sa proximité avec les services publics en fonction de la mixité de l’espace dépendra, pour beaucoup, la qualité de vie de ses occupants.

Nous le savons tous : la suroccupation ou l’insalubrité des logements ont des conséquences directes sur les ménages, sur les enfants, notamment sur leur capacité à construire leur scolarité et sur leur épanouissement.

Ainsi, le logement et sa qualité ont un rôle fondamental pour l’aménagement du territoire de notre pays. Au-delà, parce qu’il a une incidence considérable sur l’épanouissement de chacune et de chacun, l’habitat joue un rôle fondamental dans le vivre en société, dans le faire ensemble.

C’est donc un texte à la hauteur des attentes de notre société que nous espérions. Or nous avons beaucoup reculé, qu’il s’agisse de la qualité du bâti ou de l’idée même de la préservation du patrimoine. En cinquante-six ans, nous sommes ainsi passés de l’exigence de la loi Malraux à la mise en place du « loto Bern »…

Sérieusement, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, on frôle le ridicule, la caricature : celle d’un nouveau monde qui confond intérêt général et ambition pour l’avenir avec une gestion à la petite semaine en mode start-up branchouille ; celle d’un Gouvernement qui confond les coups de com’ à répétition avec l’exigence d’agir pour les décennies à venir.

Le projet de loi, dans la foulée de la loi de finances pour 2018, n’a qu’un prisme : réduire l’engagement public du secteur du logement. Avec ce énième désengagement, un pactole est en perspective pour les lobbies de l’immobilier, qui gagnent ici le droit de construire plus vite, moins bien et souvent plus cher ; le droit de s’affranchir de la loi MOP et des obligations d’accessibilité. Est-ce cela, votre nouveau monde ? En l’occurrence, on est plus dans un retour vintage au début du XXe siècle que dans la volonté d’appréhender les défis du XXIe siècle.

Par ce projet de loi, le Gouvernement mène une attaque en règle contre le modèle même du logement social. En effet, le logement social, dans notre pays, repose sur trois piliers : il s’agit d’un bien public, qui fait l’objet d’une cogestion avec les habitants, au plus près du territoire, par l’intermédiaire d’organismes d’HLM à taille humaine pilotés par les élus de ce territoire.

D’un revers de main, vous revenez sur tous ces fondements. Vous obligez à la vente en masse, y compris dans les communes carencées au titre de la loi SRU, vous obligez au regroupement des offices et vous évincez les représentants des locataires de ces nouvelles structures.

Toute l’histoire de la construction sociale est ainsi mise à mal, et les offices, qui sont très fortement fragilisés, doivent compenser la diminution des APL décidée par la dernière loi de finances à hauteur de 1,5 milliard d’euros. Ces offices doivent également composer avec la quasi-suppression des aides à la pierre. Comment, demain, pourront-ils produire l’effort nécessaire pour répondre à la demande ?

Soyons clairs : la vente de logements sociaux aujourd’hui, c’est l’explosion du mal-logement demain. Ce sont des copropriétés dégradées et le patrimoine récent vendu au privé pour un plus grand retour sur investissement, notamment dans les zones les plus demandées. Or, jusqu’ici, personne n’avait osé soustraire ce patrimoine à la Nation : il s’agit là d’un bien commun financé par les subventions publiques.

Parallèlement, et dans la droite ligne des politiques de métropolisation menées depuis trente ans, tous les outils sont désormais soustraits de la main des maires, appelés à devenir de simples intendants des intercommunalités géantes. Sur ce point, nous nous félicitons du travail accompli par la commission pour redonner le pouvoir aux maires.

Avec votre projet de loi, les locataires, notamment du secteur HLM, sont dangereusement précarisés. Après avoir flexibilisé le droit du travail, vous flexibilisez le bail, par le bail mobilité. Toute volonté de régulation a été supprimée, notamment l’encadrement des loyers, ou encore la garantie universelle des loyers, qui s’est transformée en garantie spécifique VISALE. Or tous les indicateurs sont au rouge. Le poids des dépenses de logement dans le budget des ménages continue de peser trop lourd, et la rente immobilière ne faiblit pas, avec des niveaux de loyers toujours trop élevés.

Pourtant – « en même temps », devrait-on dire –, ce gouvernement n’en finit plus d’économiser sur les aides au logement. Apparemment, cet argent est plus utile pour financer les crédits d’impôt et autres niches fiscales sans même les évaluer, afin de conserver celles qui ont un effet levier et de supprimer les autres. Votre seul choix, c’est de retirer au logement public pour financer l’investissement privé sans souci des conséquences territoriales.

Bien sûr, nous regrettons que le passage en commission ait encore aggravé ce texte par une remise en cause inacceptable de la loi SRU, mettant au ban la nécessaire solidarité territoriale.

Enfin, dans ce projet de loi, on ne trouve rien sur les quartiers, malgré les propositions du plan Borloo ; rien sur les territoires ruraux et l’effort gigantesque à produire en termes de réhabilitation ; rien non plus sur les zones dites « détendues » ; rien sur l’impérieuse obligation qui est la nôtre d’apporter des solutions pour éviter des désertifications territoriales et une dégradation de l’existant ; rien sur la réimplantation de circuits courts de production de matières premières pour la construction, permettant de penser l’habitat de demain, de relever les défis environnementaux du secteur du bâtiment et de créer des emplois non délocalisables.

Alors, je le réaffirme ici fortement, nous considérons que nous avons plus que jamais besoin d’une politique publique du logement pour répondre aux besoins de nos concitoyens, des plus jeunes aux plus âgés. Ils sont près de 2 millions à attendre un logement social, près de 12 millions à souffrir d’une manière ou d’une autre du mal-logement. Pour eux, il n’y a aucun gâteau à partager : toutes les parts iront aux plus aisés, aux plus chanceux.

Par nos amendements, nous tenterons d’apporter des solutions et des pistes pour une politique du logement progressiste, humaniste, à l’inverse de votre logique de financiarisation et de privatisation de ce bien de première nécessité, de cet élément consubstantiel de la dignité qu’est le fait d’avoir un toit. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

Mme Éliane Assassi. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Valérie Létard. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)

Mme Valérie Létard. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je vous indique dès à présent que ma collègue Sonia de la Provôté viendra compléter mes propos sur les aspects d’urbanisme, notamment sur les questions relatives aux centres-villes et aux centres-bourgs.

C’est au terme d’un long processus que nous abordons aujourd’hui l’examen du projet de loi ÉLAN. Je salue à ce titre l’implication du Sénat et de son président, Gérard Larcher, à l’initiative de la conférence de consensus, qui a permis de recueillir, auprès des professionnels du logement et de l’aménagement, un nombre de propositions digne de l’ampleur du texte proposé par le Gouvernement.

Au travers des interrogations soulevées par les acteurs rencontrés lors de cette conférence comme au cours du travail préparatoire qui a suivi, de grands enjeux ont pu être identifiés, qui conditionnent l’examen du projet de loi.

Tout d’abord, la place des collectivités est rapidement apparue comme une problématique centrale. Celle-ci est en effet remise en cause tout au long du texte, et ce au profit d’une recentralisation, à rebours du discours de prise en main des politiques locales par les acteurs locaux, pourtant attendue et soutenue.

La gouvernance territoriale est essentielle. Nous défendrons des propositions en ce sens, pour que les politiques du logement et de l’habitat soient opérationnelles à une échelle pertinente sur le territoire et adaptées aux réalités locales.

Sans surprise, l’impact de la loi de finances pour 2018 et de la réduction de loyer de solidarité ne peut être occulté. Cette mesure a d’ores et déjà profondément affecté l’activité des bailleurs sociaux et le nombre de logements produits. Or le projet de loi ÉLAN ne nous semble pas permettre de remédier à l’ensemble des difficultés constatées. Les déséquilibres de production, à cause desquels les programmes locaux de l’habitat territoriaux menacent de ne pas atteindre leurs objectifs, risquent donc de s’aggraver.

Force est le constater : ce budget 2018 pose même aujourd’hui la question des moyens dont disposent les collectivités et les bailleurs pour atteindre les objectifs de l’article 55 de la loi SRU, dont nous ne voulons pas le détricotage, mais pour lequel le principe de réalité doit s’appliquer, car des distorsions et des phénomènes contradictoires se font jour.

Monsieur le ministre, nous vous rejoignons dans la volonté de réformer le secteur du logement social. Vos objectifs sont louables, et nous les approuvons. Toutefois, les moyens que vous comptez mettre en œuvre pour les atteindre ne nous paraissent, souvent, adaptés ni aux besoins des bailleurs ni aux intérêts des habitants de ces logements.

Vous proposez ainsi de regrouper les organismes de logement social afin de gagner en efficacité de gestion et de dégager des économies. Or vous risquez parfois de créer des structures surdimensionnées, sans prise avec les réalités fines de nos territoires, même si, comme vous l’avez rappelé, vous essayez d’infléchir les mesures prises.

Parfois, cette politique sera menée au détriment d’écosystèmes cohérents, efficaces dans leur gestion, et de certaines structures qui, fragilisées, pourraient se retrouver sans preneur dans les délais attendus. À ce sujet, des amendements présentés, il me semble, sur plusieurs travées devraient être pris en considération.

Vous proposez également de remédier à la baisse des aides publiques au logement en faisant de la vente du parc social un moyen de financement. Vous ouvrez ainsi la voie à une privatisation dangereuse du secteur. Vous fixez même un objectif annuel de vente de 40 000 logements sociaux par an, alors même que – vous l’avez rappelé – l’ensemble des bailleurs réunis ne dépassent pas les 8 000 ventes annuelles, faute de demande.

Par ailleurs, cette vente ne peut être menée dans une seule logique comptable, sans accompagnement des reprises de logements. Nous devons anticiper la constitution de copropriétés dégradées et être particulièrement vigilants à cet égard.

Enfin, pour faciliter la mise en œuvre de ces mesures, vous proposez de minimiser les possibilités de contrôle dont disposent les élus locaux, en particulier le maire. C’est ne faire aucun cas du rôle central des collectivités dans le financement et dans la garantie du logement social, de l’importance des communes et des EPCI pour la viabilité du système. Dominique Estrosi Sassone a d’ailleurs, à juste titre, introduit dans ce texte l’avis conforme du maire pour ce qui concerne la vente des logements sociaux : il s’agit là, à nos yeux, d’un point absolument essentiel.

Pour sa part, le groupe Union Centriste défendra une série d’amendements. Nous proposerons d’ajouter, à la convention d’utilité sociale, un volet territorial qui comprendrait non seulement un plan de vente territorialisé, mais aussi un plan de prévention des risques de copropriétés dégradées. Tout l’intérêt réside dans la signature tripartite de cette convention : il faut que les collectivités se voient remettre, à l’échelle territoriale, la mise en œuvre des politiques voulues par le Gouvernement.

Outre les dangers qu’elles impliquent pour l’avenir de l’ensemble du secteur, ces mesures s’ajoutent à d’autres évolutions récentes qui consacrent le retour de l’État central et où l’idée de coproduire les politiques publiques avec les acteurs territoriaux disparaît, qu’il s’agisse des politiques de l’habitat ou de l’aménagement du territoire.

À ce titre, la réforme d’Action logement est particulièrement révélatrice. Les mesures proposées relèvent d’une même logique, d’une même philosophie, que nous ne saurions approuver sans que certains engagements de l’État soient réintroduits.

M. le président. Il faut penser à conclure !

Mme Valérie Létard. Par souci de fluidité et de rationalisation, nous défendrons un amendement important sur ce sujet.

Je tiens à conclure en saluant le travail accompli par nos rapporteurs. Je remercie tout particulièrement Mme Estrosi Sassone des contributions qu’elle a apportées à ce texte dès l’examen en commission des affaires économiques. Bien sûr, au vu du sort réservé aux amendements que j’ai mentionnés, nous déciderons de notre vote final. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Marc Daunis. (Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain.)

M. Marc Daunis. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le projet de loi ÉLAN arrive aujourd’hui en séance publique au Sénat. Ce texte a triplé de volume depuis son passage à l’Assemblée nationale. Le temps qui m’est imparti m’interdit de faire tout commentaire au-delà de ce constat préliminaire. Il conviendra toutefois d’y revenir : l’enjeu, c’est la qualité du travail législatif que nous pouvons exercer dans de telles conditions…

Quoi qu’il en soit, nous connaissons bien ce texte, et c’est heureux eu égard aux conditions de travail que je viens d’évoquer. Déjà cet hiver, nous en avions débattu à l’occasion de la conférence de consensus sur le logement. Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, rappelez-vous l’implication et la réactivité des professionnels du secteur du logement, des associations de locataires et des élus. Ladite conférence a permis à tous les participants de s’exprimer, dans le respect de chacun, et d’identifier des lignes de convergence.

Ainsi, le rôle des élus dans la politique du logement, la simplification du droit de l’urbanisme et des normes de construction, la nécessaire mobilisation du foncier, la revitalisation des centres-villes sont autant de sujets qui font consensus, ici, au Sénat.

Le groupe socialiste avait alors affirmé ses orientations autour de trois préoccupations majeures : la nécessité d’une politique du logement au plus près des territoires, la modernisation sans altération du modèle du logement social et la qualité de vie pour tous nos concitoyens.

Permettez-moi d’associer à ce propos notre collègue Annie Guillemot, qui ne peut malheureusement pas être avec nous cette semaine pour des raisons de santé, mais qui a accompli un important travail sur ce texte, lors des auditions, à nos côtés.

Le projet de loi, notamment son titre Ier, sur lequel je concentrerai mon propos, affiche des objectifs que nous aurions pu soutenir sans aucune difficulté, tel que « construire plus, mieux et moins cher ». Néanmoins, quelques désaccords quant aux moyens nous en empêchent.

Le projet de loi propose aux collectivités de nouveaux outils de contractualisation, les PPA ou encore les GOU, pour engager des opérations d’aménagement complexes en associant tous les partenaires publics et privés.

Au-delà de la nécessaire prudence qu’il convient d’observer quand on légifère à nouveau, singulièrement dans le domaine de la construction et de l’aménagement, nous sommes favorables à ces nouveaux outils, qui vont dans le sens d’un urbanisme de projet. De même, nous sommes favorables à la cristallisation des moyens ; c’est d’ailleurs un dispositif que mon collègue Calvet et moi-même avions inclus dans la proposition de loi que nous avions présentée et que le Sénat avait adoptée à l’unanimité.

Mais le projet de loi issu de l’Assemblée nationale comporte des mesures qui contraignent et dessaisissent le maire d’une compétence majeure. Nous y sommes résolument, définitivement opposés.

Monsieur le ministre, nous aurons ce débat à propos de vos amendements. Notre conviction est qu’il faut agir dans la coconstruction et non dans la confiscation. Le transfert de la compétence « permis de construire », par exemple, est une disposition qui est contraire à l’intérêt des territoires et à l’efficacité d’une bonne mise en œuvre des politiques publiques.

De plus, ce qui pourrait s’apparenter à une méfiance envers les élus locaux, à un manque de confiance dans l’intelligence des territoires, s’accompagne d’une sorte de recentralisation rampante, voire autoritaire. Nous y reviendrons également au cours du débat. En écho à votre propos, nous vous inviterons à ne pas faire « largement » confiance aux élus locaux, mais à le faire pleinement.

Sur ce point, la commission a fait un excellent travail – je salue à mon tour l’action de Mme la rapporteur – pour redonner la main aux élus locaux et replacer les enjeux territoriaux au cœur des politiques locales de l’habitat, notamment avec l’abaissement du seuil de regroupement des organismes à 10 000 logements.