Sommaire

Présidence de M. Thani Mohamed Soilihi

Secrétaires :

Mmes Jacky Deromedi, Mireille Jouve.

1. Procès-verbal

2. Liberté de choisir son avenir professionnel. – Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d’un projet de loi dans le texte de la commission modifié

Article 61 (suite)

Amendement n° 401 de Mme Laurence Rossignol. – Rejet.

Amendement n° 402 de Mme Laurence Rossignol. – Rejet.

Amendement n° 716 de la commission. – Adoption.

Amendements identiques nos 647 de Mme Patricia Schillinger et 717 de la commission. – Adoption des deux amendements.

Amendement n° 503 de Mme Laurence Cohen. – Rejet.

Adoption de l’article modifié.

Articles additionnels après l’article 61

Amendement n° 484 rectifié de Mme Laurence Cohen. – Rejet.

Amendement n° 485 rectifié de Mme Laurence Cohen. – Rejet.

Article 62

Mme Laurence Rossignol

Amendement n° 678 rectifié de Mme Laurence Rossignol. – Retrait.

Amendement n° 504 de Mme Laurence Cohen. – Adoption.

Amendement n° 592 de Mme Laurence Rossignol. – Devenu sans objet.

Amendement n° 405 rectifié de Mme Laurence Rossignol. – Devenu sans objet.

Amendement n° 591 de Mme Laurence Rossignol. – Devenu sans objet.

Amendement n° 406 de Mme Laurence Rossignol. – Devenu sans objet.

Amendement n° 398 rectifié de Mme Laurence Rossignol. – Rejet.

Adoption de l’article modifié.

Articles additionnels après l’article 62

Amendement n° 589 de Mme Laurence Rossignol. – Rejet.

Amendement n° 587 de Mme Laurence Rossignol. – Rejet.

Amendement n° 593 rectifié de Mme Laurence Rossignol. – Rejet.

Article 62 bis

Amendement n° 594 de Mme Laurence Rossignol. – Rejet.

Adoption de l’article.

Article 62 ter – Adoption.

Articles additionnels après l’article 62 ter

Amendement n° 407 de Mme Laurence Rossignol. – Rejet.

Amendement n° 197 rectifié quater de M. Xavier Iacovelli. – Rejet.

Amendement n° 363 de Mme Michelle Meunier. – Rejet.

Amendement n° 196 rectifié quater de M. Xavier Iacovelli. – Rejet.

Amendement n° 364 de Mme Michelle Meunier. – Rejet.

Amendement n° 496 rectifié de Mme Laurence Cohen. – Rejet.

Article 63 (supprimé)

Amendement n° 253 du Gouvernement. – Rejet.

Amendement n° 505 de Mme Laurence Cohen. – Rejet.

Amendement n° 506 de Mme Laurence Cohen. – Rejet.

L’article demeure supprimé.

Article 64 (supprimé)

Amendement n° 254 du Gouvernement. – Rejet.

L’article demeure supprimé.

Article 65 (supprimé)

Amendement n° 255 du Gouvernement. – Rejet.

L’article demeure supprimé.

Article 65 bis (supprimé)

Amendement n° 256 du Gouvernement. – Rejet.

L’article demeure supprimé.

Article 65 ter (supprimé)

Amendement n° 252 du Gouvernement. – Rejet.

L’article demeure supprimé.

Article 65 quater (supprimé)

Amendement n° 257 rectifié du Gouvernement. – Rejet.

Amendement n° 437 rectifié de M. Jean-Marc Boyer. – Rejet.

L’article demeure supprimé.

Article additionnel après l’article 65 quater

Amendement n° 661 de M. Richard Yung. – Adoption de l’amendement insérant un article additionnel.

Article 66

Amendement n° 378 de Mme Nadine Grelet-Certenais. – Rejet.

Amendement n° 377 de M. Victorin Lurel. – Retrait.

Adoption de l’article.

Article 67

Amendement n° 736 de la commission. – Adoption.

Adoption de l’article modifié.

Articles additionnels après l’article 67

Amendement n° 649 de Mme Patricia Schillinger. – Adoption de l’amendement insérant un article additionnel.

Amendement n° 598 rectifié de M. Yves Daudigny. – Adoption de l’amendement insérant un article additionnel.

Vote sur l’ensemble

Mme Éliane Assassi

M. Yves Daudigny

M. René-Paul Savary

M. Laurent Lafon

M. Martin Lévrier

M. Alain Fouché

M. Philippe Mouiller

M. Michel Forissier, rapporteur de la commission des affaires sociales

Adoption, par scrutin public n° 219, du projet de loi dans le texte de la commission, modifié.

Mme Muriel Pénicaud, ministre

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE M. Vincent Delahaye

3. Évolution du logement, de l’aménagement et du numérique. – Discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission

Discussion générale :

M. Jacques Mézard, ministre de la cohésion des territoires

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur de la commission des affaires économiques

M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur pour avis de la commission de la culture

M. Patrick Chaize, rapporteur pour avis de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur pour avis de la commission des lois

Question préalable

Motion n° 1 de M. Fabien Gay. – M. Fabien Gay ; M. Serge Babary ; Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur ; M. Jacques Mézard, ministre. – Rejet.

Discussion générale (suite)

M. Claude Malhuret

M. Joël Labbé

M. François Patriat

Mme Cécile Cukierman

Mme Valérie Létard

M. Marc Daunis

M. Philippe Dallier

M. Jean-Claude Requier

M. Rémy Pointereau

Mme Sonia de la Provôté

M. Xavier Iacovelli

M. Jacques Mézard, ministre

Clôture de la discussion générale.

Demande de réserve

Demande de réserve de l’article 9 bis A et de l’amendement n° 142 portant article additionnel après l’article 9 bis A avant l’article 46 bis. – Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques ; M. Jacques Mézard, ministre. – La réserve est ordonnée.

Renvoi de la suite de la discussion.

4. Demandes de retour à la procédure normale pour l’examen d’un projet de loi et modification de l’ordre du jour

5. Candidatures à une éventuelle commission mixte paritaire

6. Encadrement de l’utilisation du téléphone portable dans les écoles et les collèges – Adoption en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Discussion générale :

M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale

M. Stéphane Piednoir, rapporteur de la commission de la culture

Question préalable

Motion n° 1 de M. Jean-Jacques Lozach. – Mme Claudine Lepage ; M. Stéphane Piednoir, rapporteur ; M. Jean-Michel Blanquer, ministre. – Rejet.

Discussion générale (suite)

Mme Mireille Jouve

M. Antoine Karam

M. Pierre Ouzoulias

Mme Sonia de la Provôté

M. Jean-Jacques Lozach

Mme Colette Mélot

M. Jacques Grosperrin

Mme Laure Darcos

M. Max Brisson

M. Jean-Michel Blanquer, ministre

Clôture de la discussion générale.

Article 1er

M. François Bonhomme

Mme Cécile Cukierman

Amendement n° 4 de Mme Céline Brulin. – Rejet.

Amendement n° 7 de M. Antoine Karam. – Rejet.

Amendement n° 3 rectifié ter de M. Jean-Pierre Decool. – Retrait.

Amendement n° 2 rectifié ter de Mme Colette Mélot. – Retrait.

Adoption de l’article.

Article 2 (supprimé)

Article 3

Amendement n° 5 de Mme Céline Brulin. – Rejet.

Adoption de l’article.

Article 4

Amendement n° 6 de Mme Céline Brulin. – Rejet.

Adoption de l’article.

Vote sur l’ensemble

Adoption de la proposition de loi dans le texte de la commission.

7. Ordre du jour

Nomination de membres d’une éventuelle commission mixte paritaire

compte rendu intégral

Présidence de M. Thani Mohamed Soilihi

vice-président

Secrétaires :

Mme Jacky Deromedi,

Mme Mireille Jouve.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix heures.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Article 61 (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel
Article 61

Liberté de choisir son avenir professionnel

Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d’un projet de loi dans le texte de la commission modifié

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, pour la liberté de choisir son avenir professionnel (projet n° 583, texte de la commission n° 610 rectifié, rapport n° 609, tomes I et II, avis n° 591).

Dans la discussion du texte de la commission, nous poursuivons l’examen, au sein du chapitre IV du titre III, de l’article 61.

titre III (suite)

Dispositions relatives à l’emploi

Chapitre IV (suite)

Égalité de rémunération entre les femmes et les hommes et lutte contre les violences sexuelles et les agissements sexistes au travail (suite)

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel
Article additionnel après l'article 61 - Amendement n° 484 rectifié

Article 61 (suite)

I. – Après le chapitre Ier du titre II du livre II de la troisième partie du code du travail, il est inséré un chapitre Ier bis ainsi rédigé :

« CHAPITRE IER BIS

« Mesure des écarts et actions de suppression

« Art. L. 3221-11. – Les dispositions du présent chapitre sont applicables, outre aux employeurs et salariés mentionnés à l’article L. 3211-1, au personnel des établissements publics à caractère industriel et commercial et au personnel de droit privé des établissements publics administratifs.

« Art. L. 3221-12. – Dans les entreprises d’au moins cinquante salariés, l’employeur publie chaque année une mesure des écarts de rémunération, au sens de l’article L. 3221-3, entre les femmes et les hommes et de leur évolution, selon des modalités et une méthodologie définies par décret.

« Art. L. 3221-13. – Dans les entreprises d’au moins cinquante salariés, lorsque l’entreprise ne respecte pas le principe fixé à l’article L. 3221-2 au regard d’indicateurs définis par décret, à défaut d’avoir été déjà déployés dans le cadre de la négociation collective, permettant de mesurer des écarts de rémunération au sens de l’article L. 3221-3, la négociation sur l’égalité professionnelle prévue au 2° de l’article L. 2242-1 porte également sur la programmation, annuelle ou pluriannuelle, de mesures financières de rattrapage salarial. En l’absence d’accord prévoyant de telles mesures, celles-ci sont déterminées par décision unilatérale de l’employeur, après consultation du comité social et économique.

« Art. L. 3221-14. – Dans les entreprises d’au moins cinquante salariés, lorsque le principe fixé à l’article L. 3221-2 n’est pas respecté au regard d’indicateurs définis par décret, l’entreprise dispose d’un délai de trois ans pour se mettre en conformité. À l’expiration de ce délai, si ces indicateurs démontrent un écart de rémunération entre les femmes et les hommes supérieur à un taux minimal déterminé par arrêté du ministre chargé du travail, l’employeur peut se voir appliquer une pénalité financière.

« Le montant de la pénalité prévue au premier alinéa du présent article est fixé au maximum à 1 % des rémunérations et gains au sens du premier alinéa de l’article L. 242-1 du code de la sécurité sociale et du premier alinéa de l’article L. 741-10 du code rural et de la pêche maritime versés aux travailleurs salariés ou assimilés au cours de l’année civile précédant l’expiration du délai mentionné au premier alinéa du présent article. Le montant est fixé par l’autorité administrative, dans des conditions prévues par décret. En fonction des efforts constatés dans l’entreprise en matière d’égalité salariale entre les femmes et les hommes ainsi que des motifs de sa défaillance, un délai supplémentaire d’un an peut lui être accordé pour se mettre en conformité.

« Le produit de cette pénalité est affecté au fonds mentionné à l’article L. 135-1 du code de la sécurité sociale. »

II. – Le 3° du II de l’article L. 2232-9 du code du travail est complété par une phrase ainsi rédigée : « Il comprend également un bilan de l’action de la branche en faveur de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, notamment en matière de classifications, de promotion de la mixité des emplois et d’établissement des certificats de qualification professionnelle, des données chiffrées sur la répartition et la nature des postes entre les femmes et les hommes ainsi qu’un bilan des outils mis à disposition des entreprises pour prévenir et agir contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes. »

II bis. – L’article L. 2242-8 du code du travail est ainsi modifié :

1° Après le premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« La pénalité prévue au premier alinéa du présent article peut également être appliquée, dans des conditions déterminées par décret, en l’absence de publication des informations prévues à l’article L. 3221-12 ou en l’absence de mesures financières de rattrapage salarial définies dans les conditions prévues à l’article L. 3221-13. » ;

2° Le deuxième alinéa est ainsi modifié :

a) À la première phrase, les mots : « n’est pas couverte par l’accord ou le plan d’action mentionné au premier alinéa » sont remplacés par les mots : « ne respecte pas l’une des obligations mentionnées aux premier et deuxième alinéas » ;

b) À la seconde phrase, après le mot : « professionnelle », sont insérés les mots : « et salariale » et les mots : « au même premier alinéa » sont remplacés par les mots : « aux mêmes premier et deuxième alinéas ».

II ter. – Au 2° de l’article L. 23-113-1 du code du travail, après le mot : « professionnelle, », sont insérés les mots : « de lutte contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes, ».

III. – Le chapitre V du titre II du livre II du code de commerce est ainsi modifié :

1° Les articles L. 225-37-1, L. 225-82-1 et L. 226-9-1 sont ainsi modifiés :

a) La première phrase est complétée par les mots : « sur la base des indicateurs relatifs à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes mentionnés au premier alinéa de l’article L. 2312-18 du code du travail et à l’article L. 3221-12 du même code, lorsque ceux-ci s’appliquent, ainsi que sur la base du plan pour l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes mentionné à l’article L. 1143-1 dudit code lorsqu’il est mis en œuvre » ;

b) La seconde phrase est supprimée ;

2° Après la première phrase du 6° de l’article L. 225-37-4, est insérée une phrase ainsi rédigée : « Cette description est complétée par des informations sur la manière dont la société recherche une représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein du comité mis en place, le cas échéant, par la direction générale en vue de l’assister régulièrement dans l’exercice de ses missions générales et sur les résultats en matière de mixité dans les 10 % de postes à plus forte responsabilité. »

IV. – Le I entre en vigueur à une date fixée par décret. Cette date est au plus tard le 1er janvier 2019 pour les entreprises de plus de deux cent cinquante salariés et au plus tard le 1er janvier 2020 pour les entreprises de cinquante à deux cent cinquante salariés.

V. – Le II entre en vigueur à une date fixée par décret, et au plus tard le 1er janvier 2019.

VI. – Après le 2° du II de l’article L. 2312-26 du code du travail, il est inséré un 2° bis ainsi rédigé :

« 2° bis Les informations sur la méthodologie et le contenu de l’indicateur prévu à l’article L. 3221-12 ; ».

VII. – Le Gouvernement remet au Parlement le 1er janvier 2022 un rapport évaluant l’effectivité de la garantie apportée au respect de l’égalité salariale, sur le fondement de l’indicateur prévu à l’article L. 3221-13 du code du travail.

M. le président. L’amendement n° 401, présenté par Mmes Rossignol, Grelet-Certenais et Meunier, M. Daudigny, Mmes Féret et Jasmin, M. Jomier, Mmes Lienemann et Lubin, M. Tourenne, Mme Van Heghe et les membres du groupe socialiste et républicain et apparentés, est ainsi libellé :

Alinéa 7, seconde phrase

Remplacer les mots :

peut se voir

par les mots :

se voit

La parole est à Mme Laurence Rossignol.

Mme Laurence Rossignol. L’amendement n° 401 vise à renforcer le dispositif en matière de sanctions.

Nous ne souhaitons pas être excessivement cruels à l’égard de l’entreprise, mais nous considérons qu’elle doit être sanctionnée à l’issue des trois ans dont elle dispose pour se mettre en conformité avec la loi. Il faut que l’entreprise sache qu’elle sera sanctionnée à l’expiration de ce délai, et qu’il ne s’agit pas simplement d’une possibilité. L’expression « peut se voir » ne nous paraît pas suffisamment incitative ou dissuasive.

Comme nous l’avons déjà dit à plusieurs reprises, près de quarante ans se sont écoulés depuis la première loi proclamant le principe « à travail égal, salaire égal ». Nous avons tous identifié les limites des nombreux dispositifs incitatifs mis en œuvre depuis.

Nous proposons donc d’infliger une pénalité financière aux entreprises à l’issue du délai de trois ans dont elles disposent pour se mettre en conformité avec la loi.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Frédérique Puissat, rapporteur de la commission des affaires sociales. Cet amendement tend à prévoir une mesure coercitive forte en rendant systématique la pénalité de 1 %. Nous en avons discuté en commission.

Je rappelle que le Conseil constitutionnel a annulé en 2013 une pénalité strictement identique sur l’emploi des seniors au motif que son caractère punitif et automatique, quel que soit le niveau de non-conformité de l’entreprise, allait à l’encontre du principe de proportionnalité des peines.

La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail. Avis défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 401.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. L’amendement n° 402, présenté par Mmes Rossignol, Grelet-Certenais et Meunier, M. Daudigny, Mmes Féret et Jasmin, M. Jomier, Mmes Lienemann et Lubin, M. Tourenne, Mme Van Heghe et les membres du groupe socialiste et républicain et apparentés, est ainsi libellé :

Alinéa 9

Après le mot :

affecté

rédiger ainsi la fin de cet alinéa :

à l’amélioration de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.

La parole est à Mme Laurence Rossignol.

Mme Laurence Rossignol. Le projet de loi prévoit que le produit des sanctions qui « pourraient » être infligées aux entreprises – elles ne le seront pas systématiquement, ce qui rend difficile l’évaluation du produit de cette amende – sera affecté au Fonds de solidarité vieillesse, le FSV.

Je dois dire que cette affectation nous laisse perplexes. Certes, le FSV a toujours besoin de recettes supplémentaires, mais il n’y a aucun lien entre les manquements en matière d’égalité professionnelle et d’égalité salariale entre les femmes et les hommes et le FSV.

Je rappelle que le Premier ministre, lorsqu’il a présenté la limitation de vitesse à 80 kilomètres par heure, a indiqué que le produit des amendes alimenterait systématiquement et exclusivement le budget des établissements participant aux soins et à la rééducation des accidentés de la route.

Je n’arrive donc pas à comprendre pourquoi le produit des amendes infligées en cas d’infractions au code de la route, en particulier en cas de non-respect de limitation de vitesse à 80 kilomètres par heure, irait aux blessés, alors que le produit des amendes infligées aux entreprises en cas de non-respect de leurs obligations en matière d’égalité professionnelle irait au Fonds de solidarité vieillesse.

Telles sont les raisons pour lesquelles nous proposons que l’argent récolté serve à financer des mesures en faveur de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Les sanctions en cas d’inégalité professionnelle ne doivent pas être une nouvelle source de revenus pour tous les budgets de l’État qui ont besoin d’argent.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Frédérique Puissat, rapporteur. La commission s’est interrogée de la même façon sur l’affectation de ces pénalités au FSV. Peut-être Mme la ministre nous donnera-t-elle des informations plus précises sur ce point.

Cela dit, la commission a rejeté cet amendement, car il ne tend pas à prévoir une affectation financière déterminée. Dès lors, le produit de cette amende risque de ne pas être effectivement encaissé. Nous préférons donc qu’il soit perçu et affecté à un fonds, le FSV, qui, comme vous le dites, en a toujours besoin, même si son objet est un peu éloigné de la lutte contre les inégalités professionnelles entre les femmes et les hommes.

Je le répète, l’avis de la commission sur cet amendement est défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Muriel Pénicaud, ministre. L’idée que le produit de la nouvelle pénalité financière puisse être consacré à l’amélioration de l’égalité professionnelle est intéressante.

Cela étant dit, il n’existe pas actuellement de fonds spécifiquement dédié à l’égalité professionnelle qui pourrait remplacer le Fonds de solidarité vieillesse. Le choix du Fonds de solidarité vieillesse s’explique par le fait que les femmes sont particulièrement touchées par les inégalités en termes de retraites.

Il faut que l’on étudie les modalités pratiques de cette proposition et qu’une expertise technique soit effectuée. À ce stade, j’émets donc un avis défavorable sur cet amendement, en attendant d’explorer cette idée, que, je le répète, je trouve intéressante.

M. le président. Madame Rossignol, l’amendement n° 402 est-il maintenu ?

Mme Laurence Rossignol. Oui, monsieur le président.

Mme la ministre semble ouvrir une piste, mais je préfère maintenir cet amendement et le faire voter aujourd’hui par le Sénat, ce qui nous laissera le temps d’étudier les moyens techniques de le mettre en œuvre, plutôt que de voter l’article en l’état, qui prévoit d’affecter le produit de l’amende au FSV. Je sais en effet comment on avance sur un dossier entre l’examen d’un texte en séance et la réunion de la commission mixte paritaire ; en revanche, j’ignore comment on revient en arrière sur un texte une fois qu’il a été adopté.

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.

Mme Nathalie Goulet. Je voterai cet amendement, car, depuis un certain temps, on crée des fonds qui ne sont pas abondés. Cette fois-ci, c’est l’inverse : nous avons les ressources, mais non le réceptacle. Il me semble donc que c’est une bonne idée de maintenir cet amendement afin de nous laisser le temps de constituer un fonds susceptible de recevoir le produit des pénalités.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 402.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme Laurence Rossignol. Il faut prendre des risques, dans la vie !

M. le président. L’amendement n° 716, présenté par M. Forissier, Mme C. Fournier, M. Mouiller et Mme Puissat, au nom de la commission des affaires sociales, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 17

Insérer un paragraphe ainsi rédigé :

… - Le dernier alinéa de l’article L. 3221-6 du code du travail est supprimé.

La parole est à Mme le rapporteur.

Mme Frédérique Puissat, rapporteur. Cet amendement vise à abroger une disposition prévoyant la remise d’un rapport par les organisations liées par une convention de branche sur les écarts de rémunération entre femmes et hommes. Ce rapport n’a pas lieu d’être en raison de la nouvelle obligation qui leur est imposée d’établir un bilan annuel de leurs actions en faveur de l’égalité professionnelle.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Avis favorable.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 716.

(Lamendement est adopté.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.

L’amendement n° 647 est présenté par Mme Schillinger, MM. Lévrier, Rambaud, Patriat, Amiel, Bargeton, Karam, Marchand, Mohamed Soilihi, Théophile, Yung et les membres du groupe La République En Marche.

L’amendement n° 717 est présenté par M. Forissier, Mme C. Fournier, M. Mouiller et Mme Puissat, au nom de la commission des affaires sociales.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Après l’alinéa 22

Insérer deux paragraphes ainsi rédigés :

… – L’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics est ainsi modifiée :

1° Au b du 4° de l’article 45 et au c du 14° des articles 96, 97, 98 et 99, la référence : « à l’article L. 2242-5 » est remplacée par la référence : « au 2° de l’article L. 2242-1 » ;

2° À l’avant-dernier alinéa du c du 4° de l’article 45, la référence : « de l’article L. 2242-5 » est remplacée par la référence : « du 2° de l’article L. 2242-1 » ;

3° Au 2° de l’article 92, la référence : « L. 2242-5 » est remplacée par la référence : « L. 2242-1 ».

… – L’ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession est ainsi modifiée :

1° Au b du 4° de l’article 39, au b du 10° des articles 65, 66 et 67 et au b du 9° de l’article 68, la référence : « à l’article L. 2242-5 » est remplacée par la référence : « au 2° de l’article L. 2242-1 » ;

2° À l’avant-dernier alinéa du c du 4° de l’article 39, la référence : « de l’article L. 2242-5 » est remplacée par la référence : « du 2° de l’article L. 2242-1 » ;

3° Au a du 2° de l’article 61, la référence : « L. 2242-5 » est remplacée par la référence : « L. 2242-1 ».

La parole est à M. Martin Lévrier, pour présenter l’amendement n° 647

M. Martin Lévrier. Il s’agit d’un amendement de coordination juridique.

Depuis la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, les entreprises qui n’auraient pas satisfait à leur obligation de négocier en matière d’égalité professionnelle doivent être exclues de la procédure de passation des marchés publics.

Cette interdiction de soumissionner a été reprise dans l’ordonnance du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics et dans l’ordonnance du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession.

Cependant, ces ordonnances font encore référence à l’ancien article L. 2242-5 du code du travail. Or la loi du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi, puis l’ordonnance du 22 septembre 2017 relative au renforcement de la négociation collective ont modifié les dispositions relatives à l’obligation de négocier en matière d’égalité professionnelle.

Il est donc nécessaire de mettre à jour les références à l’article du code du travail concerné dans ces deux ordonnances afin de redonner une base légale à cette disposition.

M. le président. La parole est à Mme le rapporteur, pour présenter l’amendement n° 717.

Mme Frédérique Puissat, rapporteur. L’amendement n° 717 est identique à l’amendement n° 647, qui vient d’être défendu.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Avis favorable.

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 647 et 717.

(Les amendements sont adoptés.)

M. le président. L’amendement n° 503, présenté par Mmes Cohen, Apourceau-Poly et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :

Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

… – Après le 5° de l’article L. 2312-8 du code du travail, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« À chaque fois que le comité est informé et consulté sur un projet, il se prononce quant à l’impact prévisible du projet en matière d’égalité entre les femmes et les hommes ».

La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Avant de défendre cet amendement, je tiens à dire que je m’étonne, en ce début de séance, que personne ici n’ait salué l’exploit de l’équipe de France de football, qui, depuis hier soir, et pour la deuxième fois de son histoire, est championne du monde. (Sourires sur lensemble des travées.)

M. Philippe Dallier. On ne fait que ça depuis hier !

Mme Éliane Assassi. Cette victoire, on l’a vu, suscite un formidable élan populaire. Je pense qu’elle mérite d’être relevée par la représentation nationale !

J’en viens à l’amendement n° 503.

Le projet de loi prévoit un certain nombre de mesures visant à assurer l’égalité entre les femmes et les hommes. La plupart d’entre elles sont toutefois ponctuelles. Ainsi les entreprises sont-elles contraintes d’instaurer des indicateurs afin de mesurer les écarts de rémunération et, le cas échéant, de prendre des mesures afin de les corriger, au risque d’être sanctionnées financièrement.

Si toutes ces dispositions sont des efforts louables, elles ne sont que des mesures de rattrapage ne permettant pas d’assurer l’égalité entre les femmes et les hommes au quotidien. Les chefs d’entreprise doivent toujours avoir à l’esprit l’égalité entre les femmes et les hommes.

Dans ce but, nous proposons que les instances de représentation du personnel, le comité d’entreprise ou le comité social et économique, aient l’obligation de se prononcer, chaque fois qu’elles sont consultées sur un projet, sur ses effets sur l’égalité entre les femmes et les hommes.

Cette disposition permettra à chacun des acteurs de l’entreprise d’être sensibilisé à l’égalité entre les femmes et les hommes. Elle leur permettra également de prendre conscience de l’impact que des projets apparemment neutres peuvent avoir. On le sait, des dispositions, des critères ou des pratiques apparemment neutres peuvent entraîner un désavantage particulier pour certains groupes de personnes. C’est ce qui s’appelle la discrimination indirecte.

L’intervention des institutions représentatives du personnel sur chaque grand projet permettra de lutter en amont sur les discriminations indirectes, qu’elles soient volontaires ou non.

Telles sont les raisons pour lesquelles nous demandons l’introduction d’un nouvel alinéa à l’article L. 2312-8 du code du travail.

M. le président. Merci, chère collègue, d’avoir célébré l’événement que constitue la victoire de l’équipe de France de football. Pour ma part, je le fais aujourd’hui en portant une cravate bleu-blanc-rouge ! (Sourires.)

Quel est l’avis de la commission sur l’amendement n° 503 ?

Mme Frédérique Puissat, rapporteur. Puisque nous discutons de l’égalité entre les femmes et les hommes, permettez-moi de souligner que l’équipe de France féminine de football avait aussi obtenu de bons résultats.

Mme Éliane Assassi. Elle sera championne l’année prochaine !

Mme Frédérique Puissat, rapporteur. On peut donc considérer que les femmes et les hommes sont à égalité dans ce domaine, même si ce n’est peut-être pas le cas en termes de salaires. Les sponsors ne sont pas les mêmes… Nous en discuterons certainement à l’occasion d’un prochain projet de loi.

La commission émet un avis défavorable sur l’amendement n° 503, car il est satisfait par les dispositions des articles L. 2312-17 et L. 2312-18 du code du travail, qui prévoient que le comité social et économique est consulté sur la politique sociale de l’entreprise, les conditions de travail et de l’emploi, et qu’il dispose, pour ce faire, d’indicateurs relatifs à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, notamment sur les écarts de rémunération.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Avis défavorable.

M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.

Mme Laurence Rossignol. Nous voterons l’amendement défendu par Mme Assassi, car il est cohérent avec ce que nous tentons de faire dans les politiques publiques en général.

Alors que nous parlons en permanence d’étude d’impact et de gender budgeting – les ministres actuels parlent couramment l’anglais des entreprises ! –, cet amendement vise à instaurer de telles pratiques en matière d’inégalités entre les femmes et les hommes, ce qui est différent de ce que vous évoquez, madame la rapporteur. Pour ma part, je ne pense pas que l’amendement soit satisfait, le champ des articles que vous avez cités n’étant pas aussi large que celui de l’amendement de Mme Assassi.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 503.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 61, modifié.

(Larticle 61 est adopté.)

Article 61
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Article additionnel après l'article 61 - Amendement n° 485 rectifié

Articles additionnels après l’article 61

M. le président. L’amendement n° 484 rectifié, présenté par Mmes Cohen, Apourceau-Poly et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :

Après l’article 61

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

I. – Le code du travail est ainsi modifié :

1° Avant le chapitre Ier du titre III du livre II de la troisième partie, il est inséré un chapitre préliminaire ainsi rédigé :

« Chapitre préliminaire

« Encadrement des écarts de rémunération au sein d’une même entreprise

« Art. L. 3230-1. – Le présent chapitre est applicable aux rémunérations des personnels, des mandataires sociaux et des autres dirigeants, régis ou non par le présent code, des entreprises, constituées sous forme de société, groupement, personne morale ou établissement public à caractère industriel et commercial, quel que soit leur statut juridique.

« Art. L. 3230-2. – Le montant annuel de la rémunération individuelle la plus élevée attribuée dans une entreprise mentionnée à l’article L. 3230-1, calculé en intégrant tous les éléments fixes, variables ou exceptionnels de toute nature dus ou susceptibles d’être dus à titre de rémunération ou d’indemnisation au cours de l’exercice comptable, ne peut être supérieur à vingt fois le salaire annuel minimal appliqué en France pour un emploi à temps plein dans la même entreprise ou dans une entreprise qu’elle contrôle au sens de l’article L. 233-3 du code de commerce.

« Art. L. 3230-3. – Pour chaque exercice comptable, lorsque l’application d’une décision ou d’une convention a pour effet de porter le montant annuel de la rémunération annuelle la plus élevée à un niveau supérieur à vingt fois celui du salaire minimal annuel défini à l’article L. 3230-2, l’ensemble des décisions ou conventions relatives à la détermination de cette rémunération sont nulles de plein droit, sauf si le salaire minimal annuel pratiqué est relevé à un niveau assurant le respect des dispositions du même article L. 3230-2. » ;

2° L’article L. 2323-17 est rétabli dans la rédaction suivante :

« Art. L. 2323-17. – En vue de la consultation prévue à l’article L. 2323-15, l’employeur met à la disposition du comité d’entreprise, dans les conditions prévues à l’article L. 2323-9 :

« 1° Les informations sur l’évolution de l’emploi, des qualifications, de la formation et des salaires, sur les écarts de rémunérations des salariés et mandataires sociaux au sein de l’entreprise et des entreprises qui la contrôlent au sens de l’article L. 233-3 du code de commerce, sur les actions en faveur de l’emploi des travailleurs handicapés, sur le nombre et les conditions d’accueil des stagiaires, sur l’apprentissage et sur le recours aux contrats de travail à durée déterminée, aux contrats de mission conclus avec une entreprise de travail temporaire ou aux contrats conclus avec une entreprise de portage salarial ;

« 2° Les informations et les indicateurs chiffrés sur la situation comparée des femmes et des hommes au sein de l’entreprise, mentionnés au 1° bis de l’article L. 2323-8 du présent code, ainsi que l’accord ou, à défaut, le plan d’action mentionnés au troisième alinéa du 2° de l’article L. 2242-8 en faveur de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ;

« 3° Les informations sur le plan de formation du personnel de l’entreprise ;

« 4° Les informations sur la mise en œuvre des contrats et des périodes de professionnalisation et du compte personnel de formation ;

« 5° Les informations sur la durée du travail, portant sur :

« a) Les heures supplémentaires accomplies dans la limite et au-delà du contingent annuel applicable dans l’entreprise ;

« b) À défaut de détermination du contingent annuel d’heures supplémentaires par voie conventionnelle, les modalités de son utilisation et de son éventuel dépassement dans les conditions prévues à l’article L. 3121-11 ;

« c) Le bilan du travail à temps partiel réalisé dans l’entreprise ;

« d) Le nombre de demandes individuelles formulées par les salariés à temps partiel pour déroger à la durée hebdomadaire minimale prévue à l’article L. 3123-14-1 ;

« e) La durée, l’aménagement du temps de travail, la période de prise des congés payés prévue à l’article L. 3141-13, les conditions d’application des aménagements de la durée et des horaires prévus à l’article L. 3122-2 lorsqu’ils s’appliquent à des salariés à temps partiel, le recours aux conventions de forfait et les modalités de suivi de la charge de travail des salariés concernés ;

« 6° Les éléments figurant dans le rapport et le programme annuels de prévention présentés par l’employeur au comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, prévus à l’article L. 4612-16 ;

« 7° Les informations sur les mesures prises en vue de faciliter l’emploi des accidentés du travail, des invalides de guerre et assimilés, des invalides civils et des travailleurs handicapés, notamment celles relatives à l’application de l’obligation d’emploi des travailleurs handicapés ;

« 8° Les informations sur l’affectation de la contribution sur les salaires au titre de l’effort de construction ainsi que sur les conditions de logement des travailleurs étrangers que l’entreprise se propose de recruter ;

« 9° Les informations sur les modalités d’exercice du droit d’expression des salariés prévues à l’article L. 2281-11. »

II. – Les entreprises mentionnées à l’article L. 3230-1 du code du travail dans lesquelles l’écart des rémunérations est supérieur à celui prévu à l’article L. 3230-2 du même code disposent d’un délai de douze mois, à compter de la date de promulgation de la présente loi, pour se conformer aux dispositions du même article L. 3230-2.

La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Cet amendement vise à encadrer les rémunérations au sein d’une même entreprise afin que le salaire le plus élevé, celui du dirigeant, ne soit pas plus de vingt fois supérieur au salaire le plus bas. Cette proposition n’est pas nouvelle, Henry Ford ayant déjà proposé d’instaurer un tel mécanisme en 1920.

Dans chaque entreprise, le salaire annuel le moins élevé ne pourrait être plus de vingt fois inférieur à la rémunération annuelle globale la plus élevée, que celle-ci soit celle versée à un salarié ou à un dirigeant mandataire social non salarié. Cet encadrement aurait ainsi vocation à remplacer le plafond de rémunération de 450 000 euros mis en place dans les entreprises publiques.

Nous répétons ce que nous dénonçons régulièrement : il n’est pas acceptable, d’un point de vue éthique et moral, mais aussi pour la cohésion de la société, que certains PDG du CAC 40 touchent en moyenne, en une journée, le salaire annuel d’un salarié payé au SMIC. Leur rémunération moyenne représente 308 années de SMIC ! Là se trouve le « pognon de dingue », pour reprendre les mots du Président de la République !

Par ailleurs, cet amendement vise également à lutter contre les inégalités professionnelles. Les femmes occupent souvent des postes moins qualifiés et exercent des métiers moins bien payés. L’écart de rémunération entre les femmes et les hommes atteint même 23,7 %, selon l’INSEE. Il est donc indispensable d’encadrer les écarts de rémunération au sein des entreprises afin de favoriser l’égalité entre les sexes.

Telles sont les raisons pour lesquelles nous vous invitons, mes chers collègues, à soutenir notre amendement.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Frédérique Puissat, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.

La difficulté que vous évoquez, et dont il a déjà dû être question dans cet hémicycle, nous semble davantage relever du projet de loi PACTE, le plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises, qui nous sera prochainement soumis. Cet amendement ne nous paraît avoir qu’un rapport lointain avec la question des inégalités salariales dont souffrent les femmes et nécessiterait un peu plus de travail sur le fond.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Avis défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 484 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

Article additionnel après l'article 61 - Amendement n° 484 rectifié
Dossier législatif : projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel
Article 62

M. le président. L’amendement n° 485 rectifié, présenté par Mmes Cohen, Apourceau-Poly et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :

Après l’article 61

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L’article L. 241-13 du code de la sécurité sociale est complété par un paragraphe ainsi rédigé :

« … – La réduction est supprimée lorsque l’employeur n’a pas conclu d’accord relatif à l’égalité professionnelle dans le cadre des obligations définies aux articles L. 2242-5 et L. 2242-8 du code du travail dans les conditions prévues aux articles L. 2242-1 à L. 2242-4 du même code ou qu’il n’a pas établi le plan d’action mentionné à l’article L. 2242-3 dudit code. Cette diminution de 100 % du montant de la réduction est cumulable avec la pénalité prévue à l’article L. 2242-7 du même code. »

La parole est à M. Fabien Gay.

M. Fabien Gay. Cet amendement a pour objet de créer une nouvelle sanction afin d’inciter les entreprises à respecter l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Cette sanction consisterait en la suppression d’une exonération de cotisations sociales patronales pour les entreprises ne respectant pas leurs obligations.

Depuis les années 2000, une vingtaine de lois traitant de l’égalité entre les femmes et les hommes ont été adoptées, dont une dizaine portaient spécifiquement sur l’égalité au travail. Le nombre d’obligations relatives à l’égalité entre les femmes et les hommes augmente chaque année. Pourtant, ces inégalités persistent. Ainsi, une étude de l’APEC, l’Association pour l’emploi des cadres, a montré que, entre 2005 et 2015, l’écart de salaire entre les femmes et les hommes n’a diminué que de 2,5 points, passant de 21,5 % à 19 %.

Si les inégalités persistent, c’est parce qu’il n’existe pas de sanction systématique et suffisamment sévère incitant les entreprises à respecter leurs obligations.

C’est pourquoi nous proposons d’assortir d’une sanction les obligations des entreprises en matière de négociation sur l’égalité professionnelle.

Actuellement, le code du travail impose une négociation sur l’égalité tous les quatre ans. Lorsque cette négociation n’aboutit pas à la conclusion d’un accord collectif, l’employeur a l’obligation d’établir unilatéralement un plan d’action annuel, destiné à assurer l’égalité professionnelle. Pourtant, 60 % des entreprises assujetties à cette obligation n’ont ni conclu un accord ni établi un plan d’action. Et seules 0,2 % d’entre elles ont été sanctionnées !

Afin de faire respecter cette obligation, nous proposons que les entreprises ne disposant ni d’un accord ni d’un plan d’action soient privées des exonérations de cotisations sociales prévues à l’article L. 241-13 du code de la sécurité sociale.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Frédérique Puissat, rapporteur. Je vous rejoins, cher collègue, sur le fait qu’il est compliqué de parvenir à nos fins en la matière. Nous avons tenté dans plusieurs lois – en 1972, en 1983, en 2001, en 2010 – de mettre en place un certain nombre de dispositifs.

Le Gouvernement fait aujourd’hui le choix d’adopter une mesure ayant visiblement fait ses preuves en Suisse, même si ce pays n’a pas encore obtenu les résultats que nous connaissons, mais nous ne sommes pas là pour en discuter.

Cela dit, il nous a paru excessif de prévoir directement une sanction brutale, alors que le projet de loi offre plutôt une progressivité : une mesure annuelle, suivie d’un plan de rattrapage salarial, puis une pénalité plafonnée à 1 %. Une telle progressivité nous semble être plus appropriée.

La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Avis défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 485 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

Article additionnel après l'article 61 - Amendement n° 485 rectifié
Dossier législatif : projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel
Article additionnel après l'article 62 - Amendement n° 589

Article 62

I. – Le second alinéa de l’article L. 1153-5 du code du travail est complété par les mots et une phrase ainsi rédigée : « ainsi que des actions contentieuses civiles et pénales ouvertes en matière de harcèlement sexuel et des coordonnées des autorités et services compétents. La liste de ces services est définie par décret. »

bis et I ter. – (Supprimés)

II. – Le présent article entre en vigueur à une date fixée par décret, et au plus tard le 1er janvier 2019.

M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, sur l’article.

Mme Laurence Rossignol. La porosité entre les discriminations salariales, les discriminations sexistes et le harcèlement sexiste dans l’entreprise est très grande. Bien souvent, le harcèlement sexiste est aussi accompagné de pressions et de chantage à l’égard des salariées. Il est également un facteur de discrimination salariale ou dans les carrières professionnelles. L’article 62 a donc toute sa place dans le projet de loi, mais je présenterai tout à l’heure une série d’amendements visant à l’améliorer.

En cet instant, j’invite le Gouvernement à préserver les compétences déjà existantes en matière d’accompagnement des femmes victimes de harcèlement ou de discriminations professionnelles. Je pense particulièrement à l’AVFT, l’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail, dont les subventions sont réduites et dont le fonctionnement est de ce fait fragilisé. Elle a ainsi dû fermer son accueil.

J’ai entendu à plusieurs reprises Mme la secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes dire que l’AVFT ne lui paraissait pas être une association devant être confortée dans sa capacité à répondre aux besoins des femmes victimes de harcèlement ou de discriminations salariales. Par ailleurs, j’ai vu l’appel d’offres qui a été lancé, je vois le choix qu’est en train de faire le Gouvernement.

Je rappelle donc que, sur ces sujets, on ne s’improvise pas du jour au lendemain référent, accompagnant ou expert juridique auprès des femmes et que les compétences qui existent, qui ont été construites après des années de travail, comme celles de l’AVFT, doivent être préservées et encouragées.

M. le président. L’amendement n° 678 rectifié, présenté par Mme Rossignol et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 1

Insérer un paragraphe ainsi rédigé :

… - Le deuxième alinéa de l’article L. 1471-1 du code du travail est complété par les mots : « à l’exception de la contestation de tout licenciement à caractère discriminatoire, qui se prescrit par cinq ans ».

La parole est à Mme Laurence Rossignol.

Mme Laurence Rossignol. Cet amendement me paraissant juridiquement important, j’attire l’attention de Mme la ministre sur son contenu.

En 2017, la loi Fenech-Tourret a fait passer les délais de prescription de l’action publique de trois à six ans pour les délits, mais les ordonnances de septembre 2017 ont réduit le délai de prescription pour contester un licenciement à douze mois à compter de la notification de la rupture du contrat de travail.

Il semble, madame la ministre, qu’il y ait un problème d’articulation entre les délais de prescription. Le code du travail prévoit en effet que le délai est de cinq ans en cas de contestation d’un acte discriminatoire et d’un an en cas de rupture du contrat de travail.

On va bien entendu me répondre que cet amendement est satisfait. Or l’analyse de la jurisprudence prouve que cette question peut susciter d’âpres débats et des divergences, des conseils de prud’hommes à la Cour de cassation, et donc de longues procédures, en particulier pour les victimes.

Notre amendement vise donc à préciser – pourquoi s’en priver ? – que les licenciements à caractère discriminatoire sont prescrits au bout de cinq ans. Une telle harmonisation nous paraît juste et de nature à protéger les victimes. Elle permettrait également de figer la doctrine.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Frédérique Puissat, rapporteur. Cet amendement nous semble en effet satisfait par le droit en vigueur. La commission pense qu’il n’y a pas de zone floue, mais je laisse à Mme la ministre le soin de nous répondre sur ce point.

La commission émet un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Cet amendement est effectivement satisfait, car le délai de prescription en matière de rupture du contrat de travail a été porté à un an par les ordonnances de septembre 2017, sauf en cas de discrimination. Le délai de prescription spécifique aux actions en réparation d’un préjudice résultant d’une discrimination n’a pas été modifié par les ordonnances. Il est de cinq ans, conformément à l’article L. 1134-5 du code du travail.

J’émets donc un avis défavorable sur cet amendement.

Comme j’ai déjà eu l’occasion de l’expliquer devant vous, les ordonnances font la différence entre une simple rupture du contrat de travail et une rupture du contrat de travail en cas de discrimination. Dans ce dernier cas, il s’agit d’une atteinte non pas simplement au contrat de travail, mais aussi à l’intégrité de la personne. C’est la raison pour laquelle les délais de prescription n’ont pas été modifiés dans ce cas.

M. le président. Madame Rossignol, l’amendement n° 678 rectifié est-il maintenu ?

Mme Laurence Rossignol. Non, je le retire, monsieur le président. Les précisions apportées par Mme la ministre permettront de connaître l’intention du législateur et celle du Gouvernement. Les avocats pourront s’en prévaloir.

M. le président. L’amendement n° 678 rectifié est retiré.

Je suis saisi de cinq amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 504, présenté par Mmes Cohen, Apourceau-Poly et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :

Alinéa 2

Rétablir les I bis et I ter dans la rédaction suivante :

I bis. – Après l’article L. 1153-5 du code du travail, il est inséré un article L. 1153-5-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 1153-5-1 – Dans toute entreprise employant au moins deux cent cinquante salariés est désigné un référent chargé d’orienter, d’informer et d’accompagner les salariés en matière de lutte contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes. »

I ter. – Le titre Ier du livre III de la deuxième partie du code du travail est ainsi modifié :

1° L’article L. 2314-1 est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Un référent en matière de lutte contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes est désigné par le comité social et économique parmi ses membres, sous la forme d’une résolution adoptée selon les modalités définies à l’article L. 2315-32, pour une durée qui prend fin avec celle du mandat des membres élus du comité. » ;

2° Au premier alinéa de l’article L. 2315-18, après le mot : « économique », sont insérés les mots : « et le référent prévu au dernier alinéa de l’article L. 2314-1 ».

La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Cet amendement vise à rétablir l’article 62 du projet de loi.

Le harcèlement et les agressions sexuelles au travail touchent plus d’un tiers des femmes au travail. Certes, la création des référents chargés, dans les entreprises, d’orienter et d’accompagner les victimes ne permettra pas de résoudre tous les problèmes. Toutefois, cette mesure constituait une avancée notable dans la libération de la parole.

Soyons cohérents. Une salariée harcelée par un collègue de même niveau ou par son n+1 aura certainement plus de facilités à s’adresser à une personne spécialement chargée de l’aider plutôt qu’à son employeur. C’est assez logique. Les mécanismes de l’oppression sont connus et intériorisés : peur de ne pas être crue, peur des répercussions sur la carrière, peur que l’affaire soit considérée comme mineure, manque de confiance dans la direction.

De fait, ces référents, à l’instar des assistants sociaux, qui sont de plus en plus intégrés dans les entreprises, doivent servir de relais indépendants à même d’écouter et d’aider les victimes. Il ne s’agit aucunement de revenir sur les obligations des employeurs en matière de sécurité physique et psychique des salariés ou sur les pouvoirs disciplinaires des employeurs.

Il faut par ailleurs savoir raison garder, les référents ne fonctionneront pas en autarcie complète. Ils travailleront de concert avec les employeurs. L’enjeu est ici de définir un relais connu de tous.

Je le dis avec gravité, il ne faut ni surestimer ni sous-estimer cette mesure. Non, le harcèlement au travail ne s’arrêtera pas parce que les entreprises de 250 salariés et plus recruteront des référents. On ne peut se cacher ni derrière les responsabilités du chef d’entreprise et du service des ressources humaines ni derrière un accord de branche, sachant que plus d’un tiers des salariées ont déjà subi un harcèlement sexuel sur leur lieu de travail, espace de vie central au quotidien. J’ajoute que la destruction à petit feu de l’inspection et de la médecine du travail, réforme après réforme, réduit encore les possibilités d’action de ces structures pour lutter efficacement contre les risques psychosociaux.

Telles sont les raisons pour lesquelles nous demandons le rétablissement de l’article 62, même si la mesure qu’il prévoit n’est qu’une mesure parmi d’autres pour lutter contre le harcèlement et les agressions sexuelles sur le lieu de travail.

M. le président. L’amendement n° 592, présenté par Mmes Rossignol, Grelet-Certenais et Meunier, M. Daudigny, Mmes Féret et Jasmin, M. Jomier, Mmes Lienemann et Lubin, M. Tourenne, Mme Van Heghe et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

Alinéa 2

Rétablir le I bis dans la rédaction suivante :

I bis. – Après l’article L. 1153-5 du code du travail, il est inséré un article L. 1153-5-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 1153-5-1. – Dans toute entreprise employant au moins cinquante salariés est ou sont désignés un ou plusieurs référents chargés d’orienter, d’informer et d’accompagner les salariés en matière de lutte contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes.

« Le référent dispose a minima, sauf dispositions supplétives prévues par accord, des prérogatives suivantes :

« 1° Droit d’alerte ;

« 2° Droit d’assister une éventuelle victime de violences sexuelles ou sexistes au travail dès lors qu’elle est tenue de rencontrer un membre de la direction ou des ressources humaines ;

« 3° Droit d’être informé des étapes et du contenu de la procédure d’enquête diligentée par l’employeur ;

« 4° Droit d’accompagner l’inspecteur du travail en cas d’enquête ou de visite dans l’entreprise ;

« 5° Droit de saisine de l’inspection du travail ou de la médecine du travail ;

« 6° Droit de saisine ou d’inscription d’une question à l’ordre du jour du comité social et économique de l’entreprise. »

La parole est à Mme Laurence Rossignol.

Mme Laurence Rossignol. Cet amendement s’inscrit dans le même esprit que celui que vient de défendre Mme Assassi.

La lutte contre le harcèlement sexuel ou sexiste dans l’entreprise, comme celle pour l’égalité salariale, est beaucoup moins consensuelle dans la réalité que l’on pourrait l’imaginer ou le croire. Les stratégies de résistance sont encore développées dans un certain nombre d’entreprises. Il suffit d’ailleurs de consulter le bilan des entreprises du SBF 120 pour voir qu’il existe de grandes disparités dans la manière dont elles assument leurs responsabilités et luttent contre le harcèlement sexuel et sexiste et pour l’égalité salariale. On connaît tous le cas de référents désigné par l’entreprise pour l’affichage, ou privés de moyens…

Cet amendement vise donc à préciser les fonctions et les prérogatives du référent en charge de la lutte contre le harcèlement : droit d’assister une éventuelle victime, droit d’alerte, droit d’être informé des étapes et du contenu de la procédure d’enquête, droit d’accompagner l’inspection du travail, droit de saisine de l’inspection du travail, droit de saisine et inscription d’une question à l’ordre du jour du comité social et économique de l’entreprise.

M. le président. L’amendement n° 405 rectifié, présenté par Mmes Rossignol, Grelet-Certenais et Meunier, M. Daudigny, Mmes Féret et Jasmin, M. Jomier, Mmes Lienemann et Lubin, M. Tourenne, Mme Van Heghe et les membres du groupe socialiste et républicain et apparentés, est ainsi libellé :

Alinéa 2

Rétablir le I bis dans la rédaction suivante :

bis. – Après l’article L. 1153-5 du code du travail, il est inséré un article L. 1153-5-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 1153-5-1. – Dans toute entreprise employant au moins cinquante salariés est désigné un référent chargé d’orienter, d’informer et d’accompagner les salariés en matière de lutte contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes.

« Le référent mentionné au premier alinéa dispose de la formation, des ressources et des heures de délégation nécessaires à l’accomplissement de ses missions. »

La parole est à Mme Laurence Rossignol.

Mme Laurence Rossignol. Cet amendement vise à reprendre les dispositions prévues par l’Assemblée nationale et supprimées par la commission des affaires sociales du Sénat. On pourrait presque en conclure, madame la ministre, que je fais le travail du Gouvernement !

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Vous avez le droit de soutenir le Gouvernement !

Mme Laurence Rossignol. Le seuil de deux cent cinquante salariés me paraît somme toute insuffisant pour protéger efficacement les salariés.

M. le président. L’amendement n° 591, présenté par Mmes Rossignol, Grelet-Certenais et Meunier, M. Daudigny, Mmes Féret et Jasmin, M. Jomier, Mmes Lienemann et Lubin, M. Tourenne, Mme Van Heghe et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

Alinéa 2

Rétablir le I bis dans la rédaction suivante :

I bis. – Après l’article L. 1153-5 du code du travail, il est inséré un article L. 1153-5-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 1153-5-1. – Dans toute entreprise employant au moins cinquante salariés est ou sont désignés un ou plusieurs référents chargés d’orienter, d’informer et d’accompagner les salariés en matière de lutte contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes. »

La parole est à Mme Laurence Rossignol.

Mme Laurence Rossignol. Cet amendement tend à adapter la désignation des référents en matière de lutte contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes. Il est actuellement prévu de ne désigner qu’un référent unique. La réussite de la disposition proposée dans le présent projet de loi dépend donc de sa capacité d’adaptation à la taille de l’entreprise. Tel est l’objet de l’amendement, qui concerne les entreprises de plus de cinquante salariés.

M. le président. L’amendement n° 406, présenté par Mmes Rossignol, Grelet-Certenais et Meunier, M. Daudigny, Mmes Féret et Jasmin, M. Jomier, Mmes Lienemann et Lubin, M. Tourenne, Mme Van Heghe et les membres du groupe socialiste et républicain et apparentés, est ainsi libellé :

Alinéa 2

Rétablir le I ter dans la rédaction suivante :

ter. – Le titre Ier du livre III de la deuxième partie du code du travail est ainsi modifié :

1° L’article L. 2314-1 est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Un référent en matière de lutte contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes est désigné par le comité social et économique parmi ses membres, sous la forme d’une résolution adoptée selon les modalités définies à l’article L. 2315-32, pour une durée qui prend fin avec celle du mandat des membres élus du comité. » ;

2° Au premier alinéa de l’article L. 2315-18, après le mot : « économique », sont insérés les mots : « et le référent prévu au dernier alinéa de l’article L. 2314-1 ».

La parole est à Mme Laurence Rossignol.

Mme Laurence Rossignol. Cet amendement vise également à reprendre les dispositions prévues par l’Assemblée nationale et supprimées par la commission des affaires sociales du Sénat. Il a été défendu en partie par Mme Assassi voilà quelques instants.

Il est ici proposé de créer, au sein de la délégation du personnel au comité social et économique, le CSE, un référent, désigné par ses membres. Il nous paraît important qu’il y ait deux référents dans l’entreprise, l’un, désigné par l’employeur, l’autre, par le CSE.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Frédérique Puissat, rapporteur. Cette notion de référent a, il est vrai, été introduite par l’Assemblée nationale, sur la proposition de son rapporteur. Peut-être même a-t-elle été soufflée par le Gouvernement, mais je laisserai à Mme la ministre le soin de s’exprimer sur ce point.

L’une de nos collègues, soutenue, d’ailleurs, par plusieurs autres, a fait le choix de proposer en commission un amendement de suppression de ce dispositif, expliquant notamment que les référents dans les entreprises étaient déjà suffisamment nombreux, comme j’ai pu moi-même le constater en allant sur internet. On compte ainsi un référent handicap, un référent lanceur d’alerte, un référent santé et sécurité au travail, un référent énergie, un référent numérique. Je pourrais continuer de dérouler cette liste à loisir, étant bien entendu que le champ d’action de chacun d’entre eux a une portée différente.

Il faut considérer comme une chance le fait de voir, bientôt, un comité social et économique être mis en place dans toutes les entreprises. Ce CSE a un certain nombre de prérogatives : analyser les risques professionnels auxquels peuvent être exposés les travailleurs ; contribuer à faciliter l’accès des femmes à tous les emplois et à résoudre les problèmes éventuels ; susciter toute initiative qu’il estime utile et proposer des actions de prévention du harcèlement moral, sexuel et des agissements sexistes, le refus de l’employeur devant être motivé.

En la matière, soit on maintient ce comité social et économique, en lui conservant l’ensemble des prérogatives qui lui ont été attribuées, soit on décide de le « saucissonner » en autant de référents, au risque, à mon sens, de le vider de sa substance.

Madame Assassi, puisque vous avez évoqué le sujet, pensez-vous que les salariés des entreprises employant plus ou moins cent cinquante personnes savent qui est leur référent et à quel niveau il agit ? Ce n’est en tout cas pas l’expérience que j’ai moi-même de l’entreprise. En règle générale, un salarié connaît un ou deux délégués du personnel, dont les compétences seront désormais reconnues dans le cadre du CSE. Il les connaît soit parce qu’ils occupent un poste géographiquement proche du sien, soit parce qu’il a des affinités particulières avec eux. Mais il ne leur attribue pas forcément une délégation précise.

C’est donc plutôt aux délégués qu’ils connaissent que les salariés s’adressent d’abord, quitte, effectivement, à ce que les délégués les renvoient après aux personnes ayant des compétences plus spécifiques au sein du CSE. Le fait de saucissonner les compétences et d’attribuer telle ou telle tâche à chacune des composantes du CSE revient à vider ce dernier de sa substance, telle que le législateur l’a voulue.

Par conséquent, la commission émet un avis défavorable sur l’ensemble de ces amendements.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Muriel Pénicaud, ministre. J’émets un avis favorable sur l’amendement n° 504. Nous avons mené, depuis plusieurs mois, une concertation avec les partenaires sociaux en matière d’égalité professionnelle des femmes et des hommes, s’agissant, d’une part, de l’égalité salariale et de carrière et, d’autre part, de la prévention du harcèlement sexiste et sexuel au travail.

Nous avons tous été surpris, mais nous en avons pris acte, de l’ampleur du phénomène du harcèlement sexuel et sexiste au travail, dans le secteur public comme dans le secteur privé, dans les petites entreprises comme dans les grandes. C’est un phénomène de société, dont nous ne pensions pas qu’il était aussi développé non seulement dans le monde, mais aussi en France.

Les partenaires sociaux ont prôné deux concertations séparées. Les femmes subissent déjà une discrimination de salaire à l’embauche, puis, au long de la carrière, sans compter le poids de la maternité qu’on leur fait porter. Si, en plus, elles ont la peur au ventre quand elles vont au travail, comment voulez-vous qu’elles se projettent dans l’avenir professionnel ?

On ne peut pas, d’un côté, vouloir l’égalité professionnelle des salaires et des carrières, et, de l’autre, ne pas prendre en compte un tel phénomène.

Force est de constater également que les victimes de harcèlement sexuel ou d’agissements sexistes sont souvent insuffisamment accompagnées. Souvent, elles n’osent pas témoigner, victimes du syndrome habituel de la victime qui se croit coupable ou, en tout cas, humiliée et qui a honte.

Il convient donc de prévoir une personne de confiance, car ce n’est pas à une institution qu’elles vont se confier. Voilà pourquoi les partenaires sociaux ont souligné la nécessité, que l’Assemblée nationale a reprise, avec l’accord du Gouvernement, de pouvoir multiplier les points de contact. Il faut un référent du côté des ressources humaines ; c’est l’objet de cet amendement. Il en faut un autre du côté du CSE. Il en faut un troisième du côté de la médecine du travail.

Ces trois référents, ces trois points de contact, seront formés, notamment à l’accueil des personnes. Actuellement, dans nombre de situations, face à une personne qui ose parler, c’est un peu le vide sidéral, parce qu’on ne sait ni quoi faire ni comment. D’où l’importance de ces référents, qui ne seront pas des emplois à temps plein. Pour le dire autrement, avoir un point de contact dans les RH, au sein du CSE et à la médecine du travail, ce n’est pas du luxe ! Si au moins l’une de ces pistes fonctionne, permet d’instaurer une relation de confiance, grâce à une formation efficace, et d’adopter les bonnes attitudes, nous aurons fait grandement œuvre de progrès.

C’est la raison pour laquelle je vous invite, mesdames, messieurs les sénateurs, à voter en faveur de l’amendement n° 504.

En ce qui concerne l’amendement n° 592, j’y suis également favorable sur le principe, pour les raisons que je viens d’expliquer. En revanche, il n’est pas nécessaire de préciser les prérogatives dont le référent dispose en matière d’alerte, de saisine de l’inspection ou encore d’assistance aux victimes, puisque celles-ci sont déjà celles d’un délégué du CSE. Je suis donc favorable à cet amendement, sous réserve de ne retenir que le texte voté par l’Assemblée nationale, c’est-à-dire sa première partie.

Du coup, je suggère le retrait de l’amendement n° 405 rectifié, au profit de l’amendement n° 504. Il n’est pas non plus nécessaire de préciser que l’entreprise a des responsabilités, car c’est déjà inscrit dans la loi. L’entreprise a évidemment l’obligation de préserver l’ensemble de ses salariés et est responsable des actes de harcèlement contre lesquels elle n’aurait pas mis suffisamment de moyens en œuvre. De plus, préciser qu’il faut prévoir des ressources et des heures de délégation est induit par l’idée même de référent et me paraît donc superfétatoire.

J’émets aussi un avis favorable sur l’amendement n° 591. Néanmoins, les entreprises de cinquante salariés sont rarement dotées d’un service de ressources humaines. Après en avoir débattu, nous avons convenu, avec les partenaires sociaux, de fixer le seuil à deux cent cinquante salariés. Je souhaiterais que l’amendement puisse être rectifié en ce sens.

M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote sur l’amendement n° 504.

Mme Laurence Rossignol. J’entends bien, madame la rapporteur, votre argument selon lequel de nombreux référents existent déjà. Cela étant, notre collègue qui a contribué à supprimer le référent dont il est ici question aurait dû aller jusqu’au bout de sa logique. Pourquoi uniquement celui-là ? Il aurait fallu qu’elle supprime tous les autres !

Pourquoi choisir de laisser tomber le référent en matière d’égalité professionnelle femmes-hommes et de lutte contre les violences sexuelles, et pas un autre ? C’est toujours la même histoire : dès lors qu’on en arrive au sujet de l’égalité femmes-hommes et de la lutte contre le sexisme, on nous dit que beaucoup a déjà été fait.

Au demeurant, je vais me rallier à l’amendement n° 504, d’autant que, s’il est adopté, comme cela semble devoir être le cas, il fera tomber tous les autres. Madame la ministre, certes, il n’y a pas souvent de service de ressources humaines dans les entreprises de moins de cinquante salariés. Mais il y en a dans les entreprises de deux cents salariés, pourtant au-dessous du seuil fixé. L’écart est grand entre cinquante et deux cent quarante-neuf salariés…

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 504.

(Lamendement est adopté.) (Marques de satisfaction sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. En conséquence, les amendements nos 592, 405 rectifié, 591 et 406 n’ont plus d’objet.

L’amendement n° 398 rectifié, présenté par Mmes Rossignol, Grelet-Certenais et Meunier, M. Daudigny, Mmes Féret et Jasmin, M. Jomier, Mmes Lienemann et Lubin, M. Tourenne, Mme Van Heghe et les membres du groupe socialiste et républicain et apparentés, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 2

Insérer un paragraphe ainsi rédigé :

… – Après l’avant-dernier alinéa de l’article L. 8112-1 du code du travail, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Tout signalement de harcèlement sexuel au travail, de violences sexuelles ou sexistes, ou d’agissement sexiste transmis aux agents de contrôle de l’inspection du travail doit faire l’objet d’une enquête par ces mêmes agents. »

La parole est à Mme Laurence Rossignol.

Mme Laurence Rossignol. Cet amendement vise à prévoir que tout signalement de harcèlement sexuel au travail transmis aux agents de l’inspection du travail doit faire l’objet d’une enquête par ces mêmes agents.

Nous avons trop d’exemples, trop de dossiers sur nos bureaux qui mentionnent que de tels signalements n’ont pas été suivis d’effet. Cela est dû non pas à de la mauvaise volonté ou du désintérêt de la part de l’inspection du travail, mais à un problème de moyens, et donc de priorités. Comme je le disais à l’instant à propos du référent, ces priorités sont souvent défavorables aux femmes.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Frédérique Puissat, rapporteur. Là aussi, la commission émet un avis défavorable. Cet amendement, relatif à l’enquête obligatoire de l’inspection du travail en cas de signalement d’un fait de harcèlement sexuel, est satisfait par le droit, notamment par l’article L. 8112-2 du code du travail, aux termes duquel les délits de harcèlement sexuel entrent pleinement dans les matières qu’ont à constater les agents de l’inspection du travail.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Le Gouvernement émet également un avis défavorable. Chaque inspecteur du travail est assujetti à une obligation de diligence : s’il dispose d’éléments suffisants pour caractériser une situation de harcèlement sexuel au travail, de violences sexuelles ou d’agissements sexistes, il doit agir. Cette obligation lui est d’ores et déjà rappelée par l’article R. 8124-27 du code du travail. Pour autant, au regard du cadre d’exercice des missions d’inspecteur du travail, tel que défini par la convention n° 81 de l’Organisation internationale du travail, l’agent de contrôle doit conserver un pouvoir d’appréciation, dans ses modalités d’intervention, des suites juridiques qu’il y apporte.

L’objet de l’amendement n° 398 rectifié est donc à la fois satisfait et encadré.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 398 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 62, modifié.

(Larticle 62 est adopté.)

Article 62
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Article additionnel après l'article 62 - Amendement n° 587

Articles additionnels après l’article 62

M. le président. L’amendement n° 589, présenté par Mmes Rossignol, Grelet-Certenais et Meunier, M. Daudigny, Mmes Féret et Jasmin, M. Jomier, Mmes Lienemann et Lubin, M. Tourenne, Mme Van Heghe et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

Après l’article 62

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L’article L. 1153-2 du code du travail est complété deux alinéas ainsi rédigés :

« Un acte de licenciement d’une victime de harcèlement sexuel est présumé nul, sauf si ladite victime refuse la réintégration au sein de l’entreprise.

« Dans le cadre d’une procédure contentieuse engagée suite au licenciement d’une victime de harcèlement sexuel au travail, le juge ne doit pas examiner les autres éventuels motifs dudit licenciement. »

La parole est à Mme Laurence Rossignol.

Mme Laurence Rossignol. Il convient de faire un bref historique sur l’évolution de notre droit en la matière, en fonction de la jurisprudence et des dernières ordonnances.

La Cour de cassation admet, depuis plusieurs années, que le licenciement d’une salariée pour dénonciation de faits de harcèlement sexuel est nul de plein droit, sauf à ce que l’employeur puisse démontrer la fausseté de ces allégations, et ce quand bien même d’autres motifs de licenciement auraient été mentionnés dans la lettre de licenciement. Ces motifs complémentaires n’ont pas à être examinés, selon la jurisprudence de la Cour de cassation, dès lors que le licenciement a été prononcé à l’encontre d’une victime de faits de harcèlement.

La législation récente, par le biais des ordonnances, est revenue sur cette jurisprudence, juste et constante, de la chambre sociale de la Cour de cassation, alors même que les licenciements intervenus pour avoir dénoncé des faits de harcèlement sont assez rares, les employeurs utilisant, en général, d’autres motifs pour licencier ces salariés. Aussi, l’intérêt patronal de ces dispositions est, quoi qu’il en soit, minime.

Cet amendement vise donc à revenir sur ce qui avait été décidé au travers des ordonnances et à rétablir, dans le code du travail, la jurisprudence constante de la chambre sociale de la Cour de cassation, qui permet d’interdire aux juges, en cas de harcèlement sexuel au travail, d’examiner les autres motifs de licenciement. C’est un amendement important, et je n’ose imaginer, madame la ministre, que les ordonnances avaient pour finalité de mettre fin à la jurisprudence de la Cour de cassation.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Frédérique Puissat, rapporteur. Ne croyez pas que nous vous en voulions personnellement, ma chère collègue, mais, ici encore, prévaut la logique de satisfaction par le droit. Aux termes actuels de l’article L. 1153-2 du code du travail, le licenciement d’un salarié ayant refusé de subir un harcèlement sexuel ou ayant souhaité alerter la direction de l’entreprise sur des actes dont il a été témoin sera annulé par le conseil de prud’hommes.

Le premier alinéa de l’amendement, outre qu’il tend à introduire l’innovation d’une présomption subséquente à un jugement, se trouve donc satisfait par le droit en vigueur. Le second, en tant qu’il porte une atteinte manifeste à la séparation des pouvoirs, présente un risque élevé d’inconstitutionnalité.

La commission vous demande donc de retirer cet amendement. À défaut, elle y sera défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Avis défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 589.

(Lamendement nest pas adopté.)

Article additionnel après l'article 62 - Amendement n° 589
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Article additionnel après l'article 62 - Amendement n° 593 rectifié

M. le président. L’amendement n° 587, présenté par Mmes Rossignol, Grelet-Certenais et Meunier, M. Daudigny, Mmes Féret et Jasmin, M. Jomier, Mmes Lienemann et Lubin, M. Tourenne, Mme Van Heghe et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

Après l’article 62

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

À la seconde phrase du premier alinéa de l’article L. 1235-3-1 du code du travail, le mot : « six » est remplacé par le mot : « douze ».

La parole est à Mme Laurence Rossignol.

Mme Laurence Rossignol. Cet amendement vise à augmenter de six à douze mois de salaires l’indemnisation plancher prévue par l’article L. 1235-3-1 du code du travail pour tout salarié licencié en raison d’un motif discriminatoire, lié au sexe, à la grossesse, à la situation familiale, ou à la suite d’un harcèlement sexuel ou moral.

Il s’agit de tirer la conséquence de la recommandation n° 17 formulée par la délégation sénatoriale aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes dans le cadre de son rapport d’information intitulé Projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes : contribution au débat. Pareille recommandation avait également été formulée par le Défenseur des droits.

Dans la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes a été votée une disposition prévoyant que l’indemnisation du préjudice liée à la rupture du contrat de travail d’une salariée ayant dénoncé des faits de harcèlement sexuel ne pouvait être inférieure aux salaires des douze derniers mois. Jusqu’à l’entrée en vigueur de cette loi, la jurisprudence de la Cour de cassation fixait ce plancher à six mois. Ce n’était pas satisfaisant. Or le plancher désormais prévu par les ordonnances est défavorable aux victimes de harcèlement ou de discrimination.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Frédérique Puissat, rapporteur. Avis défavorable. Ce débat a déjà eu lieu dans l’hémicycle, lors de la ratification des dernières ordonnances Travail. Notre assemblée s’était alors prononcée pour une harmonisation du plancher à six mois pour toutes les indemnisations pour licenciement abusif.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Avis défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 587.

(Lamendement nest pas adopté.)

Article additionnel après l'article 62 - Amendement n° 587
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Article 62 bis

M. le président. L’amendement n° 593 rectifié, présenté par Mmes Rossignol, Grelet-Certenais et Meunier, M. Daudigny, Mmes Féret et Jasmin, M. Jomier, Mmes Lienemann et Lubin, M. Tourenne, Mme Van Heghe et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

Après l’article 62

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Les violences sexuelles ou sexistes sont ajoutées en tant que domaine spécifique aux domaines déjà existants de la négociation collective.

Les accords conclus sur cette base contiennent un plan de prévention des violences sexistes et sexuelles, intégrant la lutte contre le harcèlement sexuel et l’agissement sexiste, au sein duquel doit figurer une procédure adaptée aux victimes desdites violences au sein de l’entreprise.

Ce plan de prévention est présenté chaque année au comité social et économique de l’entreprise pour les entreprises de plus de onze salariés.

La parole est à Mme Laurence Rossignol.

Mme Laurence Rossignol. Cet amendement vise à renforcer la prise en charge de la lutte contre les violences sexistes ou sexuelles dans le cadre de la négociation collective. Il est inspiré par des préconisations portées par des spécialistes de l’égalité professionnelle, particulièrement sur les violences sexistes ou sexuelles au travail.

Il est donc proposé d’ajouter les violences sexistes et sexuelles en tant que domaine spécifique aux domaines déjà existants de la négociation collective. Je pressens que l’on va me rétorquer qu’il est inutile de prévoir un domaine supplémentaire compte tenu des nombreux domaines déjà existants ou que mon amendement est satisfait par je ne sais quelle disposition. J’insisterai tout de même sur le fait qu’il faut faire évoluer tout le monde, en particulier en matière de négociation collective, et j’entends par là les représentants aussi bien des employeurs que des syndicats de salariés. Inclure cette dimension permettrait en outre de donner une concrétisation supplémentaire à la grande cause nationale voulue par le Président de la République.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Frédérique Puissat, rapporteur. Je ne suis pas là pour défendre la grande cause nationale portée par le Président de la République, Mme la ministre s’en chargera ! En tout état de cause, nous y sommes tous attentifs. L’article L. 2241-1 du code du travail intègre déjà les conditions de travail, et englobe donc la lutte contre les violences sexistes et sexuelles.

En conséquence, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Muriel Pénicaud, ministre. La prévention des violences sexuelles et sexistes et la lutte contre ce phénomène ne sont pas des objets de négociation, c’est une obligation absolue de l’employeur. Ce dernier est donc directement responsable des aspects liés à l’organisation des rapports de travail, qui peuvent induire un contexte particulier.

Bien sûr, il faut renforcer l’information des salariés, la prévention et la prise en charge, d’où les référents de tous ordres. En revanche, il peut être utile, au niveau de chaque branche, de prévoir des outils susceptibles d’aider, notamment, les petites et moyennes entreprises. C’est pour cela que le projet de loi prévoit que les branches négocient sur la mise à disposition d’outils aux entreprises pour prévenir et agir – je fais la nuance entre les deux – en matière de harcèlement sexuel et d’agissements sexistes.

L’intention des auteurs de l’amendement, je la partage, le texte même, non. C’est donc un avis défavorable que j’émets.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 593 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

Article additionnel après l'article 62 - Amendement n° 593 rectifié
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Article 62 ter

Article 62 bis

Le 2° de l’article L. 2241-1 du code du travail est complété par les mots : « ainsi que sur la mise à disposition d’outils aux entreprises pour prévenir et agir contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes ».

M. le président. L’amendement n° 594, présenté par Mmes Rossignol, Grelet-Certenais et Meunier, M. Daudigny, Mmes Féret et Jasmin, M. Jomier, Mmes Lienemann et Lubin, M. Tourenne, Mme Van Heghe et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

Au début, insérer les mots :

Au premier alinéa de l’article L. 2241-1 du code du travail, le mot : « quatre » est remplacé par le mot : « deux » et

La parole est à Mme Laurence Rossignol.

Mme Laurence Rossignol. Cet amendement vise à diminuer la périodicité à laquelle sont négociés les thèmes relatifs aux salaires, aux mesures tendant à favoriser l’égalité professionnelle, aux conditions de travail, à la situation des personnes handicapées et au régime de formation professionnelle.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Frédérique Puissat, rapporteur. Les ordonnances de septembre 2017 ont effectivement redéfini la périodicité de la négociation des thèmes des accords de branche à quatre ans maximum, mais elles ont laissé la possibilité de réduire cette périodicité dans le cadre de la négociation collective. L’amendement nous semble par conséquent satisfait : avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Muriel Pénicaud, ministre. L’important, et les ordonnances ont été rédigées dans cet esprit, est que la négociation soit efficace et utile, d’où la possibilité offerte aux partenaires sociaux de la mener tous les deux, trois ou quatre ans.

Élaborer un plan d’ampleur sur quatre ans, avec des étapes bien définies chaque année, c’est aussi bien qu’un plan à un horizon de deux ans. Ce n’est pas la périodicité qui compte, c’est la qualité du plan, étant entendu qu’une borne maximale, à savoir quatre ans, a été fixée, pour inciter les partenaires sociaux à négocier. Il leur reviendra de choisir les thèmes sur lesquels portera la négociation et de fixer la périodicité de cette dernière.

Par conséquent, le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 594.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 62 bis.

(Larticle 62 bis est adopté.)

Article 62 bis
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Article additionnel après l'article 62 ter - Amendement n° 407

Article 62 ter

Le 3° de l’article L. 2242-17 du code du travail est ainsi rédigé :

« 3° Les mesures permettant de lutter contre toute discrimination en matière de recrutement, d’emploi et d’accès à la formation professionnelle, en favorisant notamment les conditions d’accès aux critères définis aux II et III de l’article L. 6315-1 ; ». – (Adopté.)

Article 62 ter
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Article additionnel après l'article 62 ter - Amendement n° 197 rectifié quater

Articles additionnels après l’article 62 ter

M. le président. L’amendement n° 407, présenté par Mmes Rossignol, Grelet-Certenais et Meunier, M. Daudigny, Mmes Féret et Jasmin, M. Jomier, Mmes Lienemann et Lubin, M. Tourenne, Mme Van Heghe et les membres du groupe socialiste et républicain et apparentés, est ainsi libellé :

Après l’article 62 ter

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le code du travail est ainsi modifié :

1° Avant le dernier alinéa de l’article L. 2222-3-1, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« La convention ou l’accord collectif prend en compte la prévention et la lutte contre les violences sexuelles ou sexistes, et notamment le harcèlement sexuel et l’agissement sexiste, ainsi que les droits familiaux dévolus aux salariés. » ;

2° Après le premier alinéa de l’article L. 2222-3-2, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« L’accord conclu au niveau de la branche et définissant la méthode applicable à la négociation au niveau de l’entreprise prend en compte la prévention et la lutte contre les violences sexuelles ou sexistes, et notamment le harcèlement sexuel et l’agissement sexiste, ainsi que les droits familiaux dévolus aux salariés. »

La parole est à Mme Laurence Rossignol.

Mme Laurence Rossignol. Cet amendement vise à sanctuariser, au sein de la négociation collective, la préservation des droits familiaux et la lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Il est nécessaire d’associer davantage les branches professionnelles à un travail d’envergure en ces domaines.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Frédérique Puissat, rapporteur. L’amendement n° 407 est quasi similaire à l’amendement n° 593 rectifié, à une nuance près. L’argumentaire de la commission sera donc identique : le code du travail porte déjà sur les conditions de travail, qui visent par capillarité les violences sexistes et sexuelles. Avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Avis défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 407.

(Lamendement nest pas adopté.)

Article additionnel après l'article 62 ter - Amendement n° 407
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Article additionnel après l'article 62 ter - Amendement n° 363

M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 197 rectifié quater, présenté par MM. Iacovelli et Antiste, Mme Blondin, MM. M. Bourquin, Durain et Duran, Mmes Espagnac, M. Filleul, Lepage, Meunier, Monier et Préville et M. Tissot, est ainsi libellé :

Après l’article 62 ter

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L’article L. 3142-3 du code du travail est ainsi rédigé :

« Art. L. 3142-3. - Il est interdit d’employer le salarié dans les quatorze jours qui suivent la naissance survenue au foyer du salarié ou l’arrivée d’un enfant placé en vue de son adoption. »

La parole est à M. Xavier Iacovelli.

M. Xavier Iacovelli. Cet amendement vise à rendre obligatoire le congé pour naissance ou adoption, sujet sur lequel la France accuse un retard par rapport à ses voisins. Une réforme du congé de paternité constituerait un levier essentiel pour réduire les inégalités professionnelles.

Aujourd’hui, les pères bénéficient d’un congé de paternité et d’accueil de l’enfant de onze jours consécutifs, qui s’ajoute au congé de naissance de trois jours. Ce congé est optionnel. Rappelons que le taux de recours au congé de paternité n’est que de 68 %. Pourtant, les comparaisons européennes montrent que, dans les pays où la législation promeut des congés parentaux plus longs et parfois obligatoires, les inégalités se réduisent et une meilleure articulation entre vie professionnelle et vie personnelle est constatée. C’est notamment observable au Portugal, où les pères ont droit à un mois de congé de paternité, dont deux semaines obligatoires.

Le Gouvernement a récemment rejeté l’idée de rendre obligatoire le congé de paternité. Pourtant, sur les seize semaines de congé de maternité, huit sont obligatoires, dont six après la naissance, afin de s’assurer que l’employeur ne fait pas pression sur sa salariée pour qu’elle ne prenne pas le congé auquel elle a droit. Pourquoi en serait-il autrement pour les hommes ? Le taux de non-recours de 32 % au congé de paternité s’explique notamment par la pression professionnelle subie. Il est donc indispensable de garantir ce droit en le rendant obligatoire. Cet amendement est une première étape en ce sens.

Article additionnel après l'article 62 ter - Amendement n° 197 rectifié quater
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Article additionnel après l'article 62 ter - Amendement n° 196 rectifié quater

M. le président. L’amendement n° 363, présenté par Mme Meunier, M. Daudigny, Mmes Féret, Grelet-Certenais et Jasmin, M. Jomier, Mmes Lienemann, Lubin et Rossignol, M. Tourenne, Mme Van Heghe et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

Après l’article 62 ter

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L’article L. 3142-3 du code du travail est ainsi rédigé :

« Art. L. 3142-3. – Il est interdit d’employer le salarié dans les trois jours qui suivent la naissance survenue au foyer du salarié ou l’arrivée d’un enfant placé en vue de son adoption. »

La parole est à Mme Michelle Meunier.

Mme Michelle Meunier. Cet amendement a un objet similaire au précédent. Je reprends les arguments déjà avancés, en y ajoutant des considérations liées à l’intérêt de l’enfant. La sociologue Olga Baudelot parlait, dans les années 1990, d’un « état de grâce » au moment de la naissance ou de l’arrivée d’un nouveau-né dans un couple. Plus on accoutume le corps du nourrisson à recevoir des soins nourriciers et de bientraitance, moins les risques de mauvais traitement sont importants.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Frédérique Puissat, rapporteur. À l’évidence, la naissance ou l’arrivée d’un enfant est un moment important pour les pères comme pour les mères. Cela étant, ces deux amendements sont probablement inconstitutionnels, puisque leur objet va à l’encontre de la liberté d’embauche. La commission y est donc défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Vous l’avez mentionné, monsieur le sénateur, près de sept pères sur dix prennent le congé de paternité : c’est à la fois beaucoup et peu. Effectivement, cela a des conséquences sur l’égalité professionnelle, peut-être sur la santé de l’enfant, sur celle de la mère assurément, et je suis bien placée pour le savoir : c’est bien pour la mère de ne pas se retrouver seule en ces moments.

Néanmoins, la réforme que vous proposez me paraît aujourd’hui prématurée. Vous savez que le Gouvernement a engagé une réflexion pour faire évoluer le dispositif du congé de paternité. Il a commandité un rapport à l’IGAS, en cours de finalisation. Il y aura une réflexion plus générale non seulement sur le congé de paternité, mais aussi sur le congé de maternité, car certaines femmes n’y ont pas accès pour des raisons pratiques. Cette réflexion s’élargira au congé parental dans l’optique de la directive européenne attendue sur ce sujet.

Il paraît nécessaire d’attendre les conclusions de ces travaux avant d’engager une réforme plus globale. J’émets donc un avis défavorable sur ces deux amendements, non sur l’intention, mais sur le moment choisi pour légiférer à ce propos.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 197 rectifié quater.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 363.

(Lamendement nest pas adopté.)

Article additionnel après l'article 62 ter - Amendement n° 363
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Article additionnel après l'article 62 ter - Amendement n° 364

M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 196 rectifié quater, présenté par M. Iacovelli, Mme Grelet-Certenais, M. Antiste, Mme Blondin, MM. M. Bourquin, Durain et Duran, Mmes Espagnac, M. Filleul, Lepage, Meunier, Monier et Préville et MM. Tissot et Tourenne, est ainsi libellé :

Après l’article 62 ter

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Au 3° de l’article L. 3142-4 du code du travail, le mot : « trois » est remplacé par le mot : « dix-sept ».

La parole est à M. Xavier Iacovelli.

M. Xavier Iacovelli. Cet amendement vise à rééquilibrer entre les deux parents l’impact d’une naissance sur la carrière et à réduire les inégalités professionnelles, en donnant la possibilité au père de s’impliquer un peu plus dans les premiers jours qui suivent la naissance de l’enfant.

En matière d’égalité professionnelle et de partage des tâches, nous sommes loin du compte. Il est donc indispensable de revoir la durée des congés, notamment du congé de paternité. Aujourd’hui, les pères bénéficient d’un congé de paternité et d’accueil de l’enfant de onze jours consécutifs, qui s’ajoute au congé de naissance de trois jours accordé et rémunéré par l’employeur.

L’application de l’article 40 de notre Constitution ne nous permet pas d’allonger le congé de paternité. Seul le congé de naissance peut l’être, car son financement est à la charge du seul employeur.

C’est pourquoi nous proposons, par cet amendement, d’allonger le congé de naissance de trois à dix-sept jours. Pourquoi dix-sept ? Parce que cela permettrait de doubler la durée cumulée actuelle du congé de naissance, trois jours, et du congé de paternité, onze jours, en la passant de quatorze à vingt-huit jours.

Rappelons que, pour rejeter le droit individuel à un congé parental d’au moins quatre mois, contenu dans le projet de directive sur l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée des parents et aidants, actuellement en discussion au Parlement européen, le Gouvernement a avancé des arguments de coût budgétaire et a indiqué qu’il préférerait allonger le congé de paternité.

J’espère que le Gouvernement fera preuve de cohérence et émettra un avis favorable sur cet amendement.

Article additionnel après l'article 62 ter - Amendement n° 196 rectifié quater
Dossier législatif : projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel
Article additionnel après l'article 62 ter - Amendement n° 496 rectifié

M. le président. L’amendement n° 364, présenté par Mme Meunier, M. Daudigny, Mmes Féret, Grelet-Certenais et Jasmin, M. Jomier, Mmes Lienemann, Lubin et Rossignol, M. Tourenne, Mme Van Heghe et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

Après l’article 62 ter

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Au 3° de l’article L. 3142-4 du code du travail, le mot : « trois » est remplacé par le mot : « six ».

La parole est à Mme Michelle Meunier.

Mme Michelle Meunier. Cet amendement, qui va dans le même sens, est en quelque sorte un amendement de repli, qui vise à faire passer la durée du congé de naissance de trois à six jours.

Article additionnel après l'article 62 ter - Amendement n° 364
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Article 63 (supprimé)

M. le président. L’amendement n° 496 rectifié, présenté par Mmes Cohen, Apourceau-Poly et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :

Après l’article 62 ter

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Au 3° de l’article L. 3142-4 du code du travail, le mot : « trois » est remplacé par le mot « cinq ».

La parole est à M. Pascal Savoldelli.

M. Pascal Savoldelli. Ultime tentative de repli, cet amendement vise à allonger le congé de naissance de trois à cinq jours, lequel resterait cumulable avec le congé de paternité de onze jours calendaires. Il permettrait aux pères ou à la conjointe de la mère de disposer de davantage de temps pour s’occuper de leurs enfants.

À titre de comparaison avec nos voisins européens – l’exemple du Portugal a été cité tout à l’heure –, je précise que le congé de maternité est de soixante jours en Suède et de cinquante-quatre jours en Finlande. Il reste donc des progrès à faire !

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Frédérique Puissat, rapporteur. Dans le prolongement des propos de Mme la ministre, si un rapport de l’IGAS est prévu sur le sujet, il faut attendre sa parution et peut-être s’en inspirer dans un futur texte de loi.

Ces trois amendements sont assez éloignés du projet de loi, ils n’ont donné lieu à aucune étude d’impact, aucune audition. Faut-il prolonger ce congé, actuellement de trois jours, à six jours, à dix-sept jours ? Doit-il être à la charge de l’entreprise ? Nous devons discuter de tout cela plus posément, avoir un avis du Conseil d’État, des auditions et une étude d’impact pour pouvoir trancher. Le travail parlementaire doit être respecté.

En conséquence, l’avis est défavorable sur ces trois amendements.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Pour les mêmes raisons, l’avis est défavorable.

Sur l’ensemble des congés liés à la parentalité, nous devons disposer d’études et d’indicateurs, notamment le rapport que j’ai évoqué.

Je suis néanmoins presque certaine que nous aurons l’occasion de reparler de ce sujet au Parlement.

M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.

Mme Laurence Rossignol. Je salue le nombre de cordes que Mme la rapporteur a à son arc pour émettre des avis défavorables sur nos amendements…

Je veux revenir aussi sur l’argument de l’inconstitutionnalité. On entend souvent des parlementaires ou des ministres l’avancer systématiquement à l’occasion de l’examen des textes de loi. En période de compétition, nous sommes tous sélectionneurs de l’équipe de France, je le sais bien, et en période de législation, il semblerait que nous soyons tous juges constitutionnels.

De grâce, laissons le Conseil constitutionnel faire son travail et ne nous interdisons pas, de temps en temps, d’adopter des articles ou des amendements qui nous permettent de le saisir. Je le rappelle, le droit constitutionnel est un droit essentiellement jurisprudentiel, qui se construit à travers les décisions du Conseil. Ne privons pas le Conseil constitutionnel d’occasions de donner son avis et de faire évoluer le droit constitutionnel.

Le rapport de l’IGAS sera le bienvenu, mais je propose que nous éclairions l’inspection en lui indiquant quel est le souhait du Parlement. Une décision du pouvoir législatif en faveur de l’allongement du congé de paternité permet aussi de nourrir la réflexion des hauts fonctionnaires. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary, pour explication de vote.

M. René-Paul Savary. Une fois n’est pas coutume, je suis d’accord avec Mme la ministre (Sourires.)

Cette discussion doit s’intégrer à une réflexion plus large sur la politique familiale, qui a tout de même été mise à mal ces dernières années et qu’il convient de redéfinir. Je ne sais pas exactement quel est le rapport avec les décisions qui ont été prises ces dernières années, mais le taux de natalité baisse en France, et c’est grave. En tant que rapporteur de la commission des affaires sociales pour l’assurance vieillesse dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale, je constate que le rapport démographique est essentiel. Si l’on ne mène pas une politique familiale déterminée visant à favoriser la natalité, nous aurons des problèmes à l’avenir pour équilibrer nos régimes de retraite.

Nous attendons de ce gouvernement une redéfinition globale de la politique familiale ; c’est un élément essentiel pour l’équilibre des générations au sein de notre société.

Je me rallie aux arguments de Mme la rapporteur et de Mme la ministre.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 196 rectifié quater.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 364.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 496 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

Chapitre V

Mesures relatives au parcours professionnel dans la fonction publique

Article additionnel après l'article 62 ter - Amendement n° 496 rectifié
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Article 64

Article 63

(Supprimé)

M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 253, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Rétablir cet article dans la rédaction suivante :

I. – Après le premier alinéa de l’article 51 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’État, sont insérés trois alinéas ainsi rédigés :

« Par dérogation au premier alinéa, lorsqu’un fonctionnaire bénéficie d’une disponibilité au cours de laquelle il exerce une activité professionnelle, il conserve, pendant une durée maximale de cinq ans, ses droits à l’avancement dans les conditions prévues par décret en Conseil d’État. Cette période est assimilée à des services effectifs dans le corps.

« Lorsqu’un engagement de servir pendant une durée minimale a été requis d’un fonctionnaire, la période mentionnée au deuxième alinéa n’est pas comprise au nombre des années dues au titre de cet engagement.

» Dans les conditions fixées par les statuts particuliers de chaque corps, les activités professionnelles exercées durant la période de disponibilité peuvent être prises en compte pour une promotion à l’un des grades mentionnés aux troisième et quatrième alinéas de l’article 58 dont l’accès est subordonné à l’occupation préalable de certains emplois ou à l’exercice préalable de certaines fonctions. Les activités professionnelles prises en compte doivent être comparables à ces emplois et ces fonctions au regard de leur nature ou du niveau des responsabilités exercées. »

II. – Le deuxième alinéa du I est applicable aux mises en disponibilité et aux renouvellements de disponibilité prenant effet à compter de la date de publication de la présente loi.

La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Olivier Dussopt, secrétaire dÉtat auprès du ministre de laction et des comptes publics. Si vous le permettez, monsieur le président, je présenterai conjointement les amendements nos 253, 254 et 255.

M. le président. Je vous en prie, monsieur le secrétaire d’État.

M. Olivier Dussopt, secrétaire dÉtat. Ces trois amendements, qui instaurent un dispositif favorable aux mobilités, visent à appliquer les mêmes dispositions à la fonction publique d’État, à la fonction publique territoriale et à la fonction publique hospitalière, en modifiant les deux lois de 1984 pour les deux premiers et la loi de 1986 pour le troisième.

Actuellement, lorsqu’un fonctionnaire occupe un emploi dans le cadre d’un détachement, sa carrière est protégée et son avancement continue pendant qu’il occupe cet emploi. À l’inverse, s’il souhaite vivre une expérience dans le secteur privé, il doit se mettre en disponibilité et son avancement de carrière est alors figé à la date de sa mise en disponibilité.

Nous proposons donc, pour les trois versants de la fonction publique, de protéger pendant cinq ans la carrière du fonctionnaire en cas de mise en disponibilité, s’il souhaite avoir une expérience dans le privé. À l’issue de cette période de cinq ans, et à condition de réintégrer le secteur public, le fonctionnaire concerné reprendra son déroulement de carrière comme s’il était resté dans la fonction publique.

Ce dispositif vise donc à faciliter les retours du privé vers le public. Souvent, nous déplorons le départ des meilleurs agents publics vers le secteur privé et, lorsque nous souhaitons les faire revenir, ils doivent accepter de voir leur carrière retardée de cinq ans.

Je précise enfin que, pour valoriser dans la carrière du fonctionnaire cette expérience vécue dans le privé, celle-ci sera également prise en considération pour permettre l’accès aux postes dits « fonctionnels ».

M. le président. L’amendement n° 505, présenté par Mmes Cohen et Apourceau-Poly, M. Collombat et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :

Rétablir cet article dans la rédaction suivante :

Après le 9° de l’article 18-5 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« …° S’abstenir d’exercer toute action pour le compte ou auprès d’une personne morale de droit public. »

La parole est à M. Pascal Savoldelli.

M. Pascal Savoldelli. Selon nous, la suppression des articles 63 à 65 quater était nécessaire, à plusieurs titres.

Premièrement, on ne peut que s’interroger sur la pertinence de l’introduction dans ce texte de tels dispositifs de pantouflage. Il y a fort à parier que, si ces mesures avaient été proposées par un groupe parlementaire, elles auraient été rejetées en tant que cavaliers législatifs. Ces suppressions sont donc signe de cohérence.

Deuxièmement, et c’est le plus important, cette volonté gouvernementale de promouvoir le pantouflage témoigne de deux volontés convergentes.

La première tend à détruire les frontières entre le secteur public et le secteur privé, avec l’idée sous-jacente de soumettre les emplois publics aux méthodes de management du secteur privé. Pour mémoire, chaque fois qu’on a privatisé une entreprise publique, on a plus retenu les drames humains qui s’en sont suivis que les gains de performance réalisés.

La seconde vise à entretenir une sorte de caste, un groupe réduit d’individus naviguant dans ce que j’appelle le « pouvoir caché ». Car, soyons sérieux, lorsque l’on parle de pantouflage, on ne parle pas d’un aide-soignant devenu restaurateur. (Sourires.)

Comme l’a montré notre collègue Pierre-Yves Collombat, si le pantouflage est minoritaire dans la fonction publique, il se concentre dans certains secteurs. Permettez-moi de citer un exemple – j’espère que personne ne se sentira visé… Ainsi, sur les 333 inspecteurs et inspecteurs généraux des finances publiques, plus de la moitié viennent du privé, dont un tiers du secteur bancaire. Le sociologue François Denord a calculé que, au final, 75 % des inspecteurs des finances « pantoufleront » dans leur carrière.

L’argument avancé par le Gouvernement de la lutte pour l’égalité entre les femmes et les hommes n’est pas satisfaisant. S’il est vrai que les femmes demandent plus souvent une mise en disponibilité que les hommes, ce sont ces derniers qui sollicitent le plus des mises en disponibilité de convenance, celles qui entrent dans le champ d’application des articles concernés. Clairement, ce cynisme et cette instrumentalisation n’honorent pas le Gouvernement.

La suppression des articles était un premier pas, mais le problème du pantouflage demeure. Dans ce cadre, nous vous proposons de franchir le gué en interdisant à un agent public devenu lobbyiste de mener son activité auprès de ses anciens collègues, et ce dans un souci de lutte contre les conflits d’intérêts et la collusion que peuvent engendrer des années de travail en commun.

M. le président. L’amendement n° 506, présenté par Mmes Cohen et Apourceau-Poly, M. Collombat et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :

Rétablir cet article dans la rédaction suivante :

Après l’article 25 decies de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, il est inséré un article 25… ainsi rédigé :

« Art. 25 …. – Il est interdit à tout ancien fonctionnaire ou agent public d’exercer une activité de conseil qui a trait directement ou indirectement aux missions de service public attachées à ses anciennes fonctions pendant un délai de dix ans. »

La parole est à M. Fabien Gay.

M. Fabien Gay. Il s’agit d’une mesure de repli.

Le dispositif que nous proposons à travers cet amendement vise à créer une « zone tampon » durant laquelle un fonctionnaire ayant quitté la fonction publique ne peut pas mener des opérations de lobbying auprès de son administration de rattachement.

On le sait, les agents publics, et surtout les hauts fonctionnaires, font l’objet d’une cour assidue, quand ce ne sont pas les institutions mêmes qui les poussent dans les bras du privé. Ainsi, la mission de suivi personnalisé des parcours professionnels, à Bercy, va jusqu’à recenser les offres d’emploi du privé pour les mettre à disposition des cadres du ministère.

En parallèle, la capacité d’action de la commission de déontologie et de contrôle demeure assez floue. Pour ne prendre qu’un exemple, cette commission a quand même réussi à valider la nomination, le 2 mars 2009, d’un fonctionnaire à la tête de la Caisse nationale des caisses d’épargne et de la Banque fédérale des banques populaires, moins d’une semaine après que celui-ci eut organisé la fusion de ces deux organismes.

Ces pratiques d’un autre temps remettent totalement en cause le principe même de la fonction publique, fondée sur le mérite républicain.

Je me permets une légère digression pour rappeler que le recrutement au concours des fonctionnaires a été une mesure de progrès social visant à replacer le mérite au premier plan, au détriment du népotisme qui existait jusque-là. Mais cet objectif est aujourd’hui mis en échec dans le cadre de la haute fonction publique. Ainsi, les « camarades de classe à l’école » deviennent « copains de promo à l’ENA », pour reprendre les termes des sociologues Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon. Ce constat d’une reproduction sociale tient à deux éléments : l’incapacité de l’école républicaine à gommer les inégalités de capitaux et le recrutement d’entrée à l’ENA, qui se fait à plus de 80 % parmi les étudiants de Sciences-Po et Polytechnique.

Ces « copains de promo » intègrent ensuite les cabinets, partent dans le privé et se rappellent les uns les autres à leur bon souvenir.

Le mécanisme que nous proposons, s’il ne permet pas de lutter totalement contre ce phénomène, vise à créer une période tampon de dix ans durant laquelle un ancien fonctionnaire ne peut faire du lobbying auprès de son administration de rattachement, c’est-à-dire concrètement auprès de ses anciens collègues.

L’enjeu est bien de préserver autant que possible la sphère publique des intérêts particuliers et privés, pour qu’elle conserve son caractère impartial.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Frédérique Puissat, rapporteur. Je donnerai l’avis de la commission sur les amendements nos 253, 254 et 255, défendus simultanément par M. le secrétaire d’État. Ils ont le même objectif, mais l’un concerne la fonction publique d’État, l’autre la fonction publique territoriale et le dernier la fonction publique hospitalière.

Vous avez fait le choix dans ce texte de faciliter la « perméabilité » entre le secteur public et le secteur privé. C’est intéressant, car notre société fonctionne en silos, qu’il s’agisse de la fonction publique et du secteur privé, mais aussi parfois au sein du secteur privé, ce qui crée des difficultés de compréhension. Faciliter les passages d’un secteur à l’autre peut être intéressant.

Cela étant, le choix que vous avez fait vise, dans les grandes lignes, à rapprocher la disponibilité sous réserve du détachement – il existe en effet deux types de disponibilité, la disponibilité de droit et la disponibilité sous réserve, qui concerne notamment les créateurs d’entreprises.

Vous voulez permettre aux fonctionnaires qui décideraient de prendre cette disponibilité de prétendre à leur avancement en cas de réintégration.

La commission a estimé que cette disposition ne serait pas réellement incitative. Surtout, pourquoi la collectivité devrait-elle supporter le coût de cet avancement, d’autant qu’elle devra déjà recruter, le cas échéant un nouveau fonctionnaire, pour remplacer pendant cinq ans l’agent en disponibilité ? Ce serait une double peine à la charge de la collectivité, sans compter que l’administration se trouvera en sureffectif lorsque le fonctionnaire sera réintégré.

À l’heure des logiques de contractualisation, le rôle du Sénat, c’est bien de limiter les dépenses de toutes les collectivités, quelles qu’elles soient. C’est pourquoi la commission a émis un avis défavorable sur les trois amendements du Gouvernement nos 253, 254 et 255.

Les amendements nos 505 et 506 sont quasi identiques et visent les représentants d’intérêts. Il existe déjà une commission de déontologie de la fonction publique, dont le dernier rapport date de 2016. Elle a déjà été saisie près de 4 000 fois, ce qui lui a permis de prendre position sur un certain nombre de cas.

Il me semble donc que nous disposons déjà des outils pour répondre aux craintes que vous avez exprimées, mes chers collègues.

La commission est donc défavorable aux amendements nos 505 et 506.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur les amendements nos 505 et 506 ?

M. Olivier Dussopt, secrétaire dÉtat. Il est défavorable, pour les mêmes raisons que celles qu’a invoquées Mme la rapporteur.

L’amendement n° 505 nous paraît extrêmement contraignant, puisqu’il interdirait en réalité l’exercice de la profession de représentant d’intérêts.

Quant à l’amendement n° 506, il pose un problème de cohérence, puisque la « période tampon » de dix ans que vous proposez d’instaurer va bien au-delà du délai de prescription de trois ans prévu pour le délit de prise illégale d’intérêts.

Avec votre permission, monsieur le président, je souhaiterais également livrer deux éléments de réponse à M. Savoldelli et à Mme la rapporteur sur les amendements du Gouvernement.

Ces derniers ne visent pas à faciliter la perméabilité entre le secteur privé et le secteur public ; celle-ci existe déjà. Les agents titulaires qui souhaitent avoir une expérience dans le privé demandent une période de disponibilité pour convenances personnelles.

Il s’agit, en revanche, de favoriser le retour dans la fonction publique des agents qui sont partis vers le privé, pour bénéficier de leur expérience. Puisque Bercy a été cité, je considère qu’il est utile à des services comme ceux du ministère de l’action et des comptes publics de pouvoir s’appuyer sur l’expérience d’agents publics ayant, par exemple, une expérience dans le domaine bancaire ou de la fiscalité et, le cas échéant, une meilleure connaissance d’un certain nombre de dispositifs.

Nous voyons généralement le pantouflage comme l’occasion saisie par celles et ceux qui, formés dans le public, vont gagner beaucoup d’argent dans le privé. En l’occurrence, on veut plutôt favoriser la fin du pantouflage et le retour dans le secteur public.

Il s’agit de dispositions visant à permettre un reclassement dans de meilleures conditions – c’est peut-être le seul point sur lequel je rejoins Mme la rapporteur.

Je précise que nous avons visé toutes les disponibilités sous réserve des nécessités absolues de service. Cela ne concerne pas seulement les créateurs d’entreprises, mais aussi l’exercice d’une profession libérale, salariée ou toute autre forme d’activité professionnelle.

Enfin, M. Savoldelli a évoqué la question de l’égalité femmes-hommes. Effectivement, les femmes demandent plus de disponibilités que les hommes. Cela tient à la fois à des demandes de disponibilité pour convenance personnelle, notamment liées à la naissance d’un enfant après un congé parental – que l’on s’en réjouisse ou pas, la société est ainsi faite aujourd’hui que les demandes sont plus souvent portées par des femmes que par des hommes dans ce cas-là – ou à des disponibilités demandées pour suivre un conjoint muté – là encore, c’est malheureusement le plus souvent la femme qui suit l’homme.

En revanche, nous avons identifié une cause d’inégalité salariale femmes-hommes dans la fonction publique liée aux disponibilités prises après un congé parental pour élever un enfant. Lorsqu’un agent public, très souvent une femme, demande un congé parental, son avancement de carrière est protégé la première année, mais réduit de 50 % la deuxième et troisième année.

Dans le cadre du renouvellement de l’accord sur l’égalité salariale femmes-hommes dans la fonction publique – nous espérons qu’il pourra être renouvelé à la rentrée, autour du mois d’octobre –, nous avons élargi les champs de l’accord à la question de la maternité et de la parentalité pour faire en sorte, comme nous le proposons dans le cas des disponibilités pour expérience professionnelle dans le privé, de garantir l’avancement de carrière au moins pendant le congé parental, et peut-être aussi pendant les deux premières années de disponibilité pour convenance personnelle, pour arriver à une durée de cinq ans, comme nous le proposons à travers ces amendements.

M. le président. La parole est à M. Jérôme Bascher, pour explication de vote.

M. Jérôme Bascher. Je suis un peu gêné par les amendements nos 505 et 506. En effet, le Sénat a constitué une commission d’enquête, à la demande du groupe CRCE, sur les mutations de la haute fonction publique. Cette commission d’enquête doit prendre fin en septembre et devrait émettre des recommandations. Je trouve bizarre de demander la création d’une commission d’enquête et d’en tirer les conclusions à mi-chemin, alors que les membres de ladite commission devraient avancer des propositions qui, je l’espère, seront les plus consensuelles possible.

Mme Éliane Assassi. Cela n’a rien à voir !

M. Jérôme Bascher. On se livre à des procès d’intention, on reprend des ouvrages à succès – relatif – de librairie, populistes et parfois populaires, et on en tire des conclusions un peu rapidement.

Évidemment, je ne voterai pas ces deux amendements et il me semblerait plus sérieux de les retirer, dans l’attente des conclusions d’une vraie étude sénatoriale.

Mme Éliane Assassi. Vous n’avez rien compris !

M. Jérôme Bascher. Un peu de respect !

Mme Éliane Assassi. Je ne vous ai pas insulté, j’ai simplement dit que vous ne compreniez rien à notre proposition !

M. le président. La parole est à M. Alain Fouché, pour explication de vote.

M. Alain Fouché. J’observe qu’il y a toujours une inégalité entre le public et le privé, mais aussi au sein du secteur public. Un fonctionnaire territorial qui part dans le privé risque fort de ne pas retrouver son job. En revanche, un fonctionnaire d’État, enseignant ou magistrat, s’il devient par exemple parlementaire, réintégrera immédiatement son poste dans l’administration publique après avoir été battu aux élections.

Ses collègues médecins ou avocats ont pendant ce temps perdu complètement leur clientèle et se retrouvent par terre, sans rien.

Le Gouvernement devrait se pencher sur ces injustices et prendre des mesures, car les élus qui viennent du secteur privé sont totalement lésés par rapport à leurs collègues issus du secteur public, parfois outrageusement avantagés.

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.

Mme Nathalie Goulet. Ces trois amendements en discussion commune sont très disparates.

L’amendement n° 253 du Gouvernement vise à rétablir l’article 63 et à faciliter les allers-retours et les promotions. Cette disposition peut effectivement poser un certain nombre de problèmes et nous devons en la matière attendre les conclusions de la commission d’enquête. Pourquoi créer une commission sur le pantouflage – il faut appeler les choses par leur nom, M. le secrétaire d’État a d’ailleurs lui-même employé ce terme – si c’est pour voter cette disposition ? Je partage donc la position de la commission sur l’amendement n° 253.

Les amendements nos 505 et 506 sont de nature un peu différente, puisqu’ils visent à prévenir des conflits d’intérêts. Je pense que je les voterai.

M. le président. La parole est à Mme Michelle Meunier, pour explication de vote.

Mme Michelle Meunier. Les amendements nos 253, 254 et 255 du Gouvernement visent à rétablir les articles 63, 64 et 65, supprimés en commission, qui prévoient d’introduire, dans le statut de la fonction publique d’État, de la fonction publique territoriale et de la fonction publique hospitalière la prise en compte de l’exercice d’une activité professionnelle sous le régime de la disponibilité dans l’avancement des fonctionnaires, dans la limite de cinq ans.

Monsieur le secrétaire d’État, vos explications ne nous ont pas convaincus et nous persistons à penser qu’il s’agit d’une incitation clairement assumée au pantouflage qui brouille, une fois de plus, les lignes entre le public et le privé et qui favorise de nouveau l’immixtion des intérêts privés dans la sphère publique.

Sans préjuger des conclusions de la commission d’enquête du Sénat sur les mutations de la haute fonction publique et leurs conséquences sur le fonctionnement des institutions de la République, il nous semble que ces amendements abordent un sujet lourd de sens pour la fonction publique et nécessitent, à l’évidence, que leurs conséquences soient sérieusement soupesées pour les trois versants de la fonction publique.

De plus, comme cela a été dit, ils n’ont fait l’objet d’aucune concertation, ni avec les représentants des employeurs publics ni avec les organisations syndicales ou associations professionnelles, alors même que des négociations viennent d’être ouvertes en vue d’un projet de loi relatif à la fonction publique en 2019.

Ces amendements nous semblent prématurés et nous suivrons cette fois l’avis de Mme la rapporteur.

M. le président. La parole est à M. Alain Richard, pour explication de vote.

M. Alain Richard. Le débat sur les amendements nos 253, 254 et 255 me semble présenter un petit défaut d’optique.

Très franchement, si ces amendements étaient faits pour favoriser les sorties et les retours de la haute fonction publique, ils seraient inutiles, car ces mobilités se pratiquent depuis des dizaines d’années. La simple reprise dans la rémunération d’un avantage d’ancienneté de cinq ans n’est pas un enjeu critique dans la décision d’un haut fonctionnaire de revenir dans l’administration.

Quand vous prenez des responsabilités et que vous progressez dans la hiérarchie, la proportion du régime indemnitaire dans votre rémunération change radicalement. Si vous avez, par exemple, quitté l’Inspection des finances et que vous revenez comme inspecteur général, ce que vous avez éventuellement perdu en avancement indiciaire sera assez aisément récupéré en indemnités.

En réalité, ces amendements ciblent essentiellement les agents de la catégorie B ou du bas de la catégorie A, ceux pour lesquels la reprise d’ancienneté présente un réel intérêt.

L’argumentation de la commission, outre qu’elle n’est pas valable pour les personnels de l’État, ne me semble pas complètement prendre la dimension du sujet. En effet, que la collectivité reprenne l’agent de retour de disponibilité – elle n’est pas obligée de le faire – ou qu’elle embauche quelqu’un d’autre, elle aura à assumer un coût salarial globalement équivalent. En revanche, permettre à des agents d’encadrement moyen de l’administration d’avoir une expérience dans le privé et de revenir ensuite dans le public me paraît d’un intérêt public certain.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Olivier Dussopt, secrétaire dÉtat. Je précise à Mme Meunier que les dispositions sur le retour de disponibilité pour exercice dans le privé ont été examinées par le Conseil commun de la fonction publique, au moins de mars, avec un avis favorable du collège des employeurs et un avis plus partagé du collège des organisations syndicales, certaines organisations parfois qualifiées de réformistes s’étant toutefois prononcées en faveur de ces dispositions.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 253.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour explication de vote.

Mme Éliane Assassi. Je voudrais faire une petite remarque de forme, qui rejoint le fond, bien évidemment.

Chers collègues, dans cette enceinte, il n’est pas question de dévoiler les travaux d’une commission d’enquête. Je suis bien placée, comme présidente de groupe, pour affirmer que je respecte les travaux de toutes les commissions d’enquête. Quel que soit leur contenu, j’appelle toujours les membres de mon groupe à voter en faveur de la publication des rapports desdites commissions.

Toutefois, ce n’est pas parce qu’une commission d’enquête est en cours que l’on doit s’abstenir de déposer des amendements sur les textes qui nous sont soumis.

Je remarque que ces amendements font débat, et je m’en réjouis pour la démocratie et pour le respect que l’on doit à la Haute Assemblée.

Sachez en tout cas, mon cher collègue, que je respecte pleinement le travail mené au sein de cette commission d’enquête.

M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.

M. Pascal Savoldelli. L’intervention d’Alain Richard me fait réagir. Croyez-vous vraiment, mon cher collègue, que c’est la navette des fonctionnaires territoriaux de catégorie B ou A- qui crée le problème de conflits d’intérêts que nous connaissons ?

M. Alain Richard. C’est l’amendement !

M. Pascal Savoldelli. Tout le monde connaît ici le niveau de rémunération d’un fonctionnaire territorial de catégorie B ! Nous avons tous été élus locaux, que ce soit dans une commune, un département ou une région. Franchement, nous ne sommes pas sur le même sujet !

Par ailleurs, monsieur le secrétaire d’État, les circonstances ne jouent pas nécessairement en votre faveur… Je veux bien vous faire confiance, mais je ne peux pas oublier que le Gouvernement va vendre des pans entiers du capital public ! Engie, Aéroports de Paris, La Française des jeux, la gare du Nord…

Nos propos ont été très respectueux sur votre amendement, mais il existe clairement une volonté de perméabilité. Votre cap est évident ! Je ne le partage pas, mais vous devriez, en ce qui vous concerne, l’assumer. Oui, il va y avoir une très grande perméabilité entre le public et le privé et nous avons vu, depuis plusieurs mois, le même processus s’enclencher : ce qui est public est filialisé, ce qui est filialisé est privatisé !

Or pour filialiser ou privatiser, vous avez besoin d’une navette entre le privé et le public, qui s’apparente à ce que j’appelle un « pouvoir caché ». Telle est la réalité ! Assumez-la !

M. Alain Fouché. Cela s’est produit avant…

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 505.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 506.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. En conséquence, l’article 63 demeure supprimé.

Article 63 (supprimé)
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Article 65 (supprimé)

Article 64

(Supprimé)

M. le président. L’amendement n° 254, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Rétablir cet article dans la rédaction suivante :

I. - Après le premier alinéa de l’article 72 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, sont insérés trois alinéas ainsi rédigés :

« Par dérogation au premier alinéa, lorsqu’un fonctionnaire bénéficie d’une disponibilité au cours de laquelle il exerce une activité professionnelle, il conserve, pendant une durée maximale de cinq ans, ses droits à l’avancement dans les conditions prévues par décret en Conseil d’État. Cette période est assimilée à des services effectifs dans le corps.

« Lorsqu’un engagement de servir pendant une durée minimale a été requis d’un fonctionnaire, la période mentionnée au deuxième alinéa n’est pas comprise au nombre des années dues au titre de cet engagement.

« Dans les conditions fixées par les statuts particuliers de chaque cadre d’emplois, les activités professionnelles exercées durant la période de disponibilité peuvent être prises en compte pour une promotion à un grade mentionné au sixième alinéa de l’article 79 dont l’accès est subordonné à l’occupation préalable de certains emplois ou à l’exercice préalable de certaines fonctions. Les activités professionnelles prises en compte doivent être comparables à ces emplois et ces fonctions au regard de leur nature ou du niveau des responsabilités exercées. »

II. – Le deuxième alinéa du I est applicable aux mises en disponibilité et aux renouvellements de disponibilité prenant effet à compter de la date de publication de la présente loi.

Cet amendement a été défendu.

Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable.

Je mets aux voix l’amendement n° 254.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. En conséquence, l’article 64 demeure supprimé.

Article 64
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Article 65 bis (supprimé)

Article 65

(Supprimé)

M. le président. L’amendement n° 255, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Rétablir cet article dans la rédaction suivante :

I. – Après le premier alinéa de l’article 62 de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière, sont insérés trois alinéas ainsi rédigés :

« Par dérogation au premier alinéa, lorsqu’un fonctionnaire bénéficie d’une disponibilité au cours de laquelle il exerce une activité professionnelle, il conserve, pendant une durée maximale de cinq ans, ses droits à l’avancement dans les conditions prévues par décret en Conseil d’État. Cette période est assimilée à des services effectifs dans le corps.

« Lorsqu’un engagement de servir pendant une durée minimale a été requis d’un fonctionnaire, la période mentionnée au deuxième alinéa n’est pas comprise au nombre des années dues au titre de cet engagement.

« Dans les conditions fixées par les statuts particuliers de chaque corps, les activités professionnelles exercées durant la période de disponibilité peuvent être prises en compte pour une promotion à un grade mentionné au sixième alinéa de l’article 69 dont l’accès est subordonné à l’occupation préalable de certains emplois ou à l’exercice préalable de certaines fonctions. Les activités professionnelles prises en compte doivent être comparables à ces emplois et ces fonctions au regard de leur nature ou du niveau des responsabilités exercées. »

II. – Le deuxième alinéa du I est applicable aux mises en disponibilité et aux renouvellements de disponibilité prenant effet à compter de la date de publication de la présente loi.

Cet amendement a été défendu.

Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable.

Je mets aux voix l’amendement n° 255.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. En conséquence, l’article 65 demeure supprimé.

Article 65 (supprimé)
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Article 65 ter

Article 65 bis

(Supprimé)

M. le président. L’amendement n° 256, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Rétablir cet article dans la rédaction suivante :

Après le 6° de l’article 3 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’État, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« …° Les emplois de direction des administrations de l’État et de ses établissements publics. Les emplois concernés et les conditions d’application du présent alinéa, notamment les modalités de sélection et d’emploi, sont fixés par décret en Conseil d’État. L’accès de non-fonctionnaires à ces emplois n’entraîne pas leur titularisation dans un corps de l’administration ou du service. »

La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Olivier Dussopt, secrétaire dÉtat. Monsieur le président, si vous me le permettez, je vais défendre les amendements nos 256, 252 et 257 rectifié, puisque, comme tout à l’heure, ils déclinent une même mesure pour les trois versants de la fonction publique.

L’objectif de ces amendements est de diversifier les modes de recrutement des cadres au niveau des emplois fonctionnels, ce qui concerne environ 400 emplois dans la fonction publique hospitalière, 6 800 dans la fonction publique territoriale et 2 700 dans la fonction publique de l’État.

Pour l’État, il s’agit essentiellement de postes de chef de bureau et de sous-directeur, puisque les postes considérés comme hiérarchiquement supérieurs sont généralement pourvus à la discrétion du Gouvernement par des procédures particulières, le cas échéant en Conseil des ministres, par exemple après examen de candidatures par des commissions d’audit ou de sélection.

L’objectif du Gouvernement est de diversifier les recrutements, en permettant aux employeurs publics de faire appel à des contractuels sur ces emplois fonctionnels.

Nous avons fait le choix de présenter ces amendements dans le cadre de l’examen du texte défendu devant vous par Muriel Pénicaud, parce que nous avons la conviction que la haute fonction publique doit être exemplaire. Vous le savez, le Gouvernement a engagé un train de réformes dans la fonction publique et il a décidé d’y faciliter le recours aux contrats. Il nous semble logique que ce mouvement concerne tout le monde, afin que la haute fonction publique puisse donner le la, voire prenne un peu d’avance.

Ces amendements, qui visent à rétablir les articles 65 bis, 65 ter et 65 quater, prévoient que les conditions de qualification et de rémunération des emplois fonctionnels ainsi pourvus seront précisées par décret, afin de les encadrer.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Frédérique Puissat, rapporteur. À l’instar de M. le secrétaire d’État et si vous me le permettez, monsieur le président, je vais donner un avis global sur ces trois amendements.

Nous savons bien que la question du recrutement de contractuels est un sujet sensible dans les trois fonctions publiques. C’est pourquoi il est dommage de l’avoir introduite par voie d’amendements durant les débats à l’Assemblée nationale. Comme cette mesure ne figurait pas dans le projet de loi initial, nous n’avons pu mener que peu d’auditions.

Aborder cette question ainsi est d’autant plus dommage que s’ouvre en ce moment même une concertation sur le statut de la fonction publique territoriale. Ces amendements arrivent tôt dans ce processus.

Pour ces raisons, l’avis de la commission est défavorable sur ces amendements, qui visent à rétablir les articles 65 bis, 65 ter et 65 quater.

M. le président. La parole est à Mme Michelle Meunier, pour explication de vote.

Mme Michelle Meunier. Les articles 65 bis, 65 ter et 65 quater visent à élargir l’accès aux emplois de direction des administrations de l’État et des collectivités territoriales, ainsi que des hôpitaux. Ces dispositions ne présentent pas de lien, même indirect, avec le projet de loi au regard de l’article 45 de la Constitution.

Si les modalités de recours à des agents contractuels, au demeurant déjà possible dans le cadre légal actuel, peuvent être améliorées, l’absence totale d’encadrement, qui découle de la rédaction qui nous est proposée, fait courir pour la gestion des administrations publiques des risques sans précédent.

Force est de constater que le recrutement par contrat de hauts fonctionnaires, aujourd’hui possible, mais dérogatoire, deviendrait inexorablement le mode de recrutement de droit commun, voire quasi exclusif, en se substituant au concours.

Or le concours reste l’instrument qui permet de mettre en œuvre le principe d’égal accès aux emplois publics proclamé par l’article VI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Le principe de l’égale admissibilité aux emplois publics est unanimement reconnu comme la pierre angulaire du droit de la fonction publique.

De plus, cette évolution, faussement présentée dans les médias comme concernant uniquement la haute fonction publique, a en réalité un impact sur l’ensemble de la fonction publique et de son encadrement supérieur.

Une sorte de démantèlement insidieux du statut est donc à l’œuvre et l’équilibre qui existe au sein de la fonction publique territoriale entre les emplois de fonctionnaire et de contractuel est profondément remis en cause.

C’est pourquoi nous voterons contre ces amendements.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 256.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. En conséquence, l’article 65 bis demeure supprimé.

Article 65 bis (supprimé)
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Article 65 quater (supprimé)

Article 65 ter

(Supprimé)

M. le président. L’amendement n° 252, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Rétablir cet article dans la rédaction suivante :

L’article 47 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale est ainsi rédigé :

« Art. 47. – Par dérogation à l’article 41, les emplois visés à l’article 53 peuvent être pourvus par la voie du recrutement direct.

« Les conditions d’application du premier alinéa du présent article, notamment les modalités de sélection et d’emploi, sont fixées par décret en Conseil d’État.

« L’accès à ces emplois par la voie du recrutement direct n’entraîne pas titularisation dans la fonction publique territoriale. »

Cet amendement a été défendu.

Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable.

Je mets aux voix l’amendement n° 252.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. En conséquence, l’article 65 ter demeure supprimé.

Article 65 ter
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Article additionnel après l'article 65 quater - Amendement n° 65 quater

Article 65 quater

(Supprimé)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 257 rectifié, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Rétablir cet article dans la rédaction suivante :

L’article 3 de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière est ainsi rédigé :

« Art. 3. – Des personnes n’ayant pas la qualité de fonctionnaire peuvent être nommées :

« 1° Par dérogation à l’article 3 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires et à l’article L. 6143-7-2 du code de la santé publique, sur les emplois de directeur des établissements mentionnés à l’article 2 de la présente loi, par le directeur général de l’agence régionale de santé pour les établissements mentionnés aux 1° , 3° et 5° du même article 2, à l’exception des centres hospitaliers universitaires, ou par le représentant de l’État dans le département pour les établissements mentionnés aux 4° et 6° dudit article 2.

« 2° Par dérogation à l’article 3 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 précitée, sur les emplois des personnels de direction mentionnés au deuxième alinéa de l’article 4 de la présente loi autres que ceux mentionnés au 1° du présent article, par le directeur général du Centre national de gestion ou le directeur de l’établissement. Un décret en Conseil d’État détermine l’autorité compétente.

« Ces personnes suivent, à l’École des hautes études en santé publique ou dans tout autre organisme adapté, une formation les préparant à leurs nouvelles fonctions.

« L’accès de non-fonctionnaires à ces emplois n’entraîne pas leur titularisation dans l’un des corps ou emplois de fonctionnaires soumis au présent titre.

« Les nominations aux emplois mentionnés au même 1° sont révocables, qu’elles concernent des fonctionnaires ou des non-fonctionnaires.

« Les conditions d’application du présent article, notamment les modalités de sélection et d’emploi, sont fixées par décret en Conseil d’État. »

Cet amendement a été défendu.

L’amendement n° 437 rectifié, présenté par MM. J.M. Boyer, Babary, Bonhomme et Brisson, Mme Bruguière, M. Daubresse, Mmes de Cidrac, Delmont-Koropoulis, Deroche, Deromedi et Deseyne, MM. Duplomb et B. Fournier, Mme Garriaud-Maylam, MM. Gilles et Gremillet, Mme Gruny, M. Laménie, Mme Lamure, M. D. Laurent, Mme Lopez et MM. Meurant, Panunzi, Poniatowski, Pierre, Pointereau, Savin, Sido et Vaspart, est ainsi libellé :

Rétablir cet article dans la rédaction suivante :

L’article 3 de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière est ainsi rédigé :

« Art. 3. – Des personnes n’ayant pas la qualité de fonctionnaire peuvent être nommées :

« 1° Par dérogation à l’article 3 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires et à l’article L. 6143-7-2 du code de la santé publique, sur les emplois de directeur des établissements mentionnés à l’article 2 de la présente loi, par le directeur général de l’agence régionale de santé pour les établissements mentionnés aux 1° , 3° et 5° du même article 2, à l’exception des centres hospitaliers universitaires, ou par le représentant de l’État dans le département pour les établissements mentionnés aux 4° et 6° dudit article 2.

« 2° Par dérogation à l’article 3 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 précitée, sur les emplois des personnels de direction mentionnés à l’article 4 de la présente loi autres que ceux mentionnés au 1° du présent article, par le directeur général du Centre national de gestion ou le directeur de l’établissement. Un décret en Conseil d’État détermine l’autorité compétente.

« Ces personnes suivent, à l’École des hautes études en santé publique ou dans tout autre organisme adapté, une formation les préparant à leurs nouvelles fonctions.

« L’accès de non-fonctionnaires à ces emplois n’entraîne pas leur titularisation dans l’un des corps ou emplois de fonctionnaires soumis au présent titre.

« Les nominations aux emplois mentionnés au même 1° sont révocables, qu’elles concernent des fonctionnaires ou des non-fonctionnaires.

« Les conditions d’application du présent article, notamment les modalités de sélection et d’emploi, sont fixées par décret en Conseil d’État. »

La parole est à Mme Vivette Lopez.

Mme Vivette Lopez. J’ai entendu l’avis de Mme la rapporteur sur l’amendement n° 257 rectifié, mais je vais tout de même présenter cet amendement, qui a pour objet de pallier les difficultés rencontrées en matière de recrutement dans des établissements publics dont le personnel relève de la fonction publique hospitalière.

Cette disposition permet un recrutement de contractuels n’ayant pas la qualité de fonctionnaire, en l’absence de candidat fonctionnaire titulaire. Sont ici explicitement visés des emplois de directeurs et de personnels de direction.

Je pense à certains EHPAD publics autonomes, qui rencontrent des difficultés d’emploi. Pour y remédier, des intérims de direction sont actuellement mis en place, ce qui est préjudiciable au bon fonctionnement des structures, notamment quand les intérims perdurent des années.

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur l’amendement n° 437 rectifié  ?

Mme Frédérique Puissat, rapporteur. Cet amendement est très proche de celui qu’a présenté le Gouvernement. L’avis de la commission est donc également défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Olivier Dussopt, secrétaire dÉtat. Favorable, monsieur le président.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 257 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 437 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. En conséquence, l’article 65 quater demeure supprimé.

Article 65 quater (supprimé)
Dossier législatif : projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel
Article 66 (Texte non modifié par la commission)

Article additionnel après l’article 65 quater

M. le président. L’amendement n° 661, présenté par M. Yung, Mme Schillinger, MM. Lévrier, Rambaud, Patriat, Amiel, Bargeton, Karam, Marchand, Mohamed Soilihi, Théophile et les membres du groupe La République En Marche, est ainsi libellé :

Après l’article 65 quater

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le dernier alinéa du 2° de l’article 19 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’État est complétée par les mots : « , ainsi qu’aux personnels contractuels recrutés sur place par les services de l’État français à l’étranger sur des contrats de travail soumis au droit local ».

La parole est à M. Richard Yung.

M. Richard Yung. Cet amendement est relatif aux agents contractuels de droit local, c’est-à-dire environ 4 000 personnes en poste dans les administrations françaises à l’étranger – consulats, ambassades et autres services. Il vise à leur permettre d’accéder à la fonction publique par le biais des concours internes.

Depuis le 1er janvier 2017, ces agents n’ont plus la possibilité de se présenter aux concours internes d’accès aux corps de fonctionnaires de catégorie C, dont la majorité d’entre eux relèvent.

Cette situation résulte d’une décision prise par le précédent gouvernement, selon laquelle l’accès aux catégories A, B et C par le biais des concours internes est désormais réservé aux agents publics. Or les agents locaux, par nature, ne sont pas des agents publics.

Cela est d’autant plus paradoxal que les concours internes sont ouverts aux personnes qui ont accompli des services au sein des administrations, organismes et établissements des autres États membres de l’Union européenne ou États parties à l’Espace économique européen. Autrement dit, si vous êtes Français, vous ne pouvez pas vous présenter, mais si vous êtes italien et avez travaillé dans une ambassade italienne, vous pouvez vous présenter. C’est tout de même une situation étonnante !

Il semble que le Gouvernement envisage d’autoriser les recrutés locaux à se présenter aux concours de la fonction publique par la troisième voie. Une telle décision irait dans le bon sens, mais le nombre de places offertes selon cette procédure est très inférieur à ce qui se pratique pour les concours internes. De plus, la troisième voie est ouverte à des personnes disposant d’une expérience professionnelle dont la durée est plus longue que celle qui est exigée pour se présenter à un concours interne.

Pour toutes ces raisons, nous proposons d’ouvrir les concours internes aux recrutés locaux, en sus de l’ouverture des troisièmes concours. Nous souhaitons ainsi permettre aux corps de fonctionnaires du ministère de l’Europe et des affaires étrangères de bénéficier des compétences des agents de droit local et de leur expérience.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Frédérique Puissat, rapporteur. La commission est favorable à cet amendement, qui ouvre une perspective intéressante. La situation des services de l’État à l’étranger est tout à fait particulière, ne serait-ce que parce qu’il n’est pas toujours simple pour eux de recruter.

Surtout, contrairement aux amendements que nous avons précédemment examinés, cette mesure ne remet pas en cause le principe du concours.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Olivier Dussopt, secrétaire dÉtat. Jusqu’au 1er janvier 2017, les agents recrutés en droit local étaient admis à participer aux concours internes de la fonction publique, ce qui contrevenait aux règles de droit. C’est pour corriger cet écart entre la gestion et la légalité que la décision mentionnée par M. Yung a été prise. Il est vrai qu’elle a eu les conséquences évoquées à l’instant.

Cet amendement pose deux difficultés.

Tout d’abord, au regard du droit européen, en particulier en ce qui concerne l’expérience acquise dans des pays de l’Union européenne, il n’existe guère de solution, sauf à fusionner, de manière définitive et radicale, les troisièmes voies et les concours internes.

Ensuite, l’accès aux concours internes pourrait être déséquilibré. Actuellement, tous les concours internes sont réservés à des agents de droit public, à l’exception du cas des ressortissants communautaires que vous avez évoqués. Les agents de droit local ne sont pas des agents de droit public et ouvrir un concours interne à ces agents viendrait bousculer l’équilibre des concours internes.

Nous avons travaillé à une solution alternative, que vous avez évoquée : ouvrir le droit de se présenter aux concours dits de la troisième voie à l’ensemble des agents recrutés en droit local, qu’ils soient de catégorie A, B ou C. Je puis vous affirmer que, d’ici à la fin de l’année 2018, l’intégralité des métiers et des corps seront couverts par cette possibilité d’accès à la titularisation par la troisième voie.

En cela, votre amendement me semble satisfait. Il l’est d’autant plus que nous avons veillé, dans ce cadre, à réduire la période exigée en termes d’ancienneté pour la rapprocher de celle en vigueur pour les concours internes. Cette mesure répond à une objection que vous avez formulée.

Il me semble que la généralisation de la troisième voie pour les agents recrutés en droit local et l’harmonisation des durées d’accès avec les concours internes répondent à votre objectif. C’est pourquoi je vous propose de retirer cet amendement.

M. le président. Monsieur Yung, l’amendement n° 661 est-il maintenu ?

M. Richard Yung. Oui, je le maintiens, monsieur le président.

Monsieur le secrétaire d’État, je suis sensible aux efforts que vous avez faits pour répondre à ce problème. Néanmoins, je ferai deux observations.

Tout d’abord, je constate que ce qu’il était possible de faire avant le 1er janvier 2017 ne l’est plus après, ce qui est tout de même surprenant… En outre, cette décision va plutôt dans le mauvais sens, puisqu’elle empêche un certain nombre de personnes expérimentées et méritantes de se présenter à ces concours, alors que nous avons besoin de ce type de profil.

Ensuite, le recrutement par la troisième voie va dans le bon sens, mais nous savons tous que le nombre de postes ouverts à ce titre se compte sur les doigts d’une main – et encore… Au ministère des affaires étrangères, il est même proche de zéro pour la catégorie A et les concours ne sont organisés que tous les deux ans ! Cela ne peut donc pas constituer une solution d’avenir.

Voilà pourquoi je maintiens cet amendement.

M. le président. La parole est à M. Alain Fouché, pour explication de vote.

M. Alain Fouché. Le sénateur Yung connaît particulièrement bien les problèmes qui se posent dans les ambassades. En outre, cet amendement est tout à fait raisonnable et ce sont les dispositions qui existent aujourd’hui qui ne le sont pas. C’est pourquoi le groupe Les Indépendants – République et Territoires suivra l’avis de la commission et votera cet amendement.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 661.

(Lamendement est adopté.)

M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 65 quater.

Chapitre VI

Dispositions d’application

Article additionnel après l'article 65 quater - Amendement n° 65 quater
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Article 67

Article 66

(Non modifié)

Dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution, dans un délai de douze mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement est autorisé à prendre par ordonnances toute mesure relevant du domaine de la loi afin :

1° D’harmoniser l’état du droit, d’assurer la cohérence des textes, d’abroger les dispositions devenues sans objet et de remédier aux éventuelles erreurs :

a) En prévoyant les mesures de coordination et de mise en cohérence rendues nécessaires par les dispositions de la présente loi ;

b) En corrigeant des erreurs matérielles ou des incohérences contenues dans le code du travail ou d’autres codes à la suite des évolutions législatives consécutives à la présente loi ;

2° D’adapter les dispositions de la présente loi aux collectivités d’outre-mer régies par l’article 73 de la Constitution, à Saint-Barthélemy, à Saint-Martin et à Saint-Pierre-et-Miquelon ;

3° D’adapter aux collectivités mentionnées au 2° les dispositions relatives à la mobilité à l’étranger des titulaires de contrat d’apprentissage ou de professionnalisation.

Un projet de loi de ratification est déposé devant le Parlement dans un délai de trois mois à compter de la publication de chacune des ordonnances prévues au présent article.

M. le président. L’amendement n° 378, présenté par Mmes Grelet-Certenais et Jasmin, M. Tourenne, Mme Taillé-Polian, M. Daudigny, Mme Férat, M. Jomier, Mmes Lienemann, Lubin, Meunier, Rossignol, Van Heghe et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à Mme Nadine Grelet-Certenais.

Mme Nadine Grelet-Certenais. Les articles 65 bis à 65 quater, insérés après l’adoption d’amendements du Gouvernement à l’Assemblée nationale, prévoient l’ouverture de la totalité des emplois fonctionnels des collectivités locales à des contractuels.

Au-delà des motifs indiqués dans l’objet de cet amendement, il est notable que ces mesures, si elles étaient votées, entraîneraient une transformation majeure de l’organisation des collectivités, sans que l’impact en soit mesuré à ce jour.

Une conséquence serait très certainement la disparition progressive du statut de la fonction publique territoriale.

Pour bien comprendre, il faut rappeler la fonction essentielle des directeurs généraux des services. Considérer que tous les postes dirigeants peuvent être occupés par un contractuel, y compris dans les collectivités de petite dimension, c’est considérer que le rôle des directeurs généraux est dénué de lien avec les responsabilités régaliennes que les collectivités mettent en œuvre au quotidien ; c’est aussi considérer que la gestion des collectivités ne fait pas appel, jour après jour, aux prérogatives de puissance publique au travers de ses fonctionnaires.

Ce serait le premier pas vers une sorte de désacralisation du rôle même des collectivités dans le modèle français. Banaliser à ce point le contrat public, c’est faire de même pour le contrat privé, et donc in fine banaliser le statut de la fonction publique.

Il serait au contraire urgent de travailler sur les missions des fonctionnaires et de conforter leurs spécificités et leur capacité à gérer la complexité, fruits d’un apprentissage que l’université ne permet pas. Leur expertise est appréciée, recherchée par les associations d’élus.

La présence généralisée de dirigeants contractuels exposera la collectivité à des conflits d’intérêts potentiels plus nombreux et à des conséquences pénales importantes. Elle soumettra ces postes à une pression politique accrue, là où le statut a jusqu’à présent joué un rôle de garde-fou.

Il n’est nul besoin de recrutements politisés pour bien mettre en œuvre les projets politiques ; loyauté et neutralité ne peuvent s’opposer. Ces principes sont le ciment du lien de confiance entre les élus et les cadres dirigeants. Ce lien qui existe entre un exécutif et sa direction générale est complexe et ténu, il fonde une grande partie de la légitimité du dirigeant.

Il est bon de rappeler qu’avant 1946 – dans l’ancien monde… – il n’y avait que peu de règles et pas de réel statut. Chacun pouvait être recruté dans un service public. Les historiens peuvent nous éclairer, sans remonter aux fermiers généraux, sur les dérives de la privatisation de la chose publique, à l’échelon tant national que local. Avant la mise en place du statut, le clientélisme politique existait largement.

Ce sont les raisons pour lesquelles nous proposons la suppression de cet article.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Frédérique Puissat, rapporteur. La commission est défavorable à cet amendement. Il est vrai que nous ne prônons pas la prolifération des ordonnances dans un champ si substantiel.

Cependant, nous ne devons pas oublier que les ordonnances n’échappent pas complètement au Parlement, puisqu’il est amené à les ratifier.

Ensuite, il faut reconnaître que l’ordre du jour est déjà bien rempli. Nous aurions de grandes difficultés, si nous devions examiner l’ensemble des dispositions qui sont envisagées à l’article 66.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Muriel Pénicaud, ministre. L’avis est également défavorable. L’article 66 habilite le Gouvernement à prendre des ordonnances, notamment pour adapter les dispositions du présent projet de loi aux territoires ultramarins – c’est un aspect essentiel dont nous avons déjà parlé.

L’outre-mer connaît des taux de chômage élevés, notamment pour les jeunes, ses habitants rencontrent des difficultés de mobilité importantes et les infrastructures de formation et les branches professionnelles sont, dans un certain nombre de cas, assez déficientes. Cette situation est connue, j’en ai longuement parlé avec les sénateurs et députés d’outre-mer.

C’est pour cela que nous avons proposé la création d’un groupe de travail composé de sénateurs et de députés ultramarins pour préparer en amont les ordonnances. Il se réunira dès le mois de septembre et travaillera avec les exécutifs locaux pour voir comment adapter les dispositions de la future loi, notamment en matière d’apprentissage et de formation professionnelle.

Nous voulons trouver des modalités d’application qui permettent de vraiment changer le paysage pour les jeunes ultramarins qui, aujourd’hui, ont un niveau moyen de qualification plus bas et font face à un chômage plus élevé.

Tel est l’objet principal de l’habilitation prévue à cet article. Nous devons absolument adapter, en concertation avec les représentants ultramarins, les dispositions qui vont être adoptées. Voilà pourquoi je suis défavorable à cet amendement.

M. le président. La parole est à M. Alain Fouché, pour explication de vote.

M. Alain Fouché. La diversité du recrutement dans les collectivités territoriales, certains venant du public et d’autres du privé, est une richesse. On le voit bien avec les postes en cabinet, où de nombreuses personnes viennent du privé et ont un rôle essentiel dans la collectivité, sans pour autant occuper un poste dirigeant. Ils apportent une vision différente des choses, qui est utile pour faire fonctionner la collectivité. Le public a donc besoin du privé !

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 378.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. L’amendement n° 377, présenté par M. Lurel, Mme Jasmin, M. Daudigny, Mmes Féret et Grelet-Certenais, M. Jomier, Mmes Lienemann, Lubin, Meunier et Rossignol, M. Tourenne, Mme Van Heghe et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

Alinéa 5

Après le mot :

aux

insérer les mots :

caractéristiques et contraintes particulières des

La parole est à Mme Victoire Jasmin.

Mme Victoire Jasmin. Madame la ministre, vous avez déjà évoqué la question de l’outre-mer, mais je souhaite tout de même présenter cet amendement, qui est très important à mes yeux.

En effet, le projet de loi qui nous est soumis ne prend pas en compte la spécificité de nos territoires d’outre-mer.

Le transfert de la gestion des centres de formation des apprentis, CFA, aux branches professionnelles est dangereux pour l’avenir de nos jeunes dans la mesure où, faute d’être suffisamment structurées, ces dernières sont incapables d’assumer seules cette compétence. La taille réduite des territoires et le volume limité des publics pouvant y être accueillis ne permettront pas aux CFA de remplir les objectifs fixés au niveau national.

La valorisation du compte personnel du salarié en euros n’est pas adaptée aux coûts unitaires moyens complets des formations financées. Le différentiel de coût horaire est de l’ordre de 30 % par rapport aux coûts pratiqués dans l’Hexagone.

Enfin, dans certains territoires, le financement de la formation fait peser des risques sur le statut juridique et la pérennité de certains établissements : je pense à Guadeloupe Formation, créé par le conseil régional et récemment transformé en EPIC.

Ce constat, partagé par le président de l’Association des régions de France et par le Gouvernement qui a proposé, lors de l’audition de Mme la ministre par la commission, puis par la délégation aux outre-mer à l’Assemblée nationale, d’identifier les adaptations nécessaires, nous a amenés à proposer des amendements collant à la réalité et aux besoins de nos territoires ultramarins.

À cette heure, nous attendons toujours le projet d’ordonnance promis par Mme la ministre lors de nos différents échanges et destiné à procéder aux adaptations nécessaires.

Si nous contestons la méthode qui consiste, une fois de plus, à donner un blanc-seing au Gouvernement pour légiférer à notre place, nous souhaitons que le plus grand nombre d’acteurs soient consultés et associés à l’élaboration de la future ordonnance et des décrets d’application.

C’est la raison pour laquelle nous proposons, par cet amendement, que l’élaboration de l’ordonnance prévue par le présent article prenne en compte les caractéristiques et contraintes particulières des collectivités concernées, termes reconnus constitutionnellement et sur lesquels se fondent l’ensemble des adaptations législatives pour les outre-mer.

Il s’agira de faire en sorte que l’ordonnance prenne concrètement en compte le bas niveau de formation initiale sur ces territoires, le fort taux de chômage et la faible employabilité d’un grand nombre de personnes.

M. le président. Mes chers collègues, vous me pardonnerez d’avoir permis à Mme Jasmin de dépasser son temps de parole. Faiblesse ultramarine… (Sourires.)

Quel est l’avis de la commission ?

Mme Frédérique Puissat, rapporteur. Il est vrai que la mise en œuvre des dispositions de ce texte doit prendre en compte les spécificités des outre-mer. Mme la ministre l’a déjà évoqué à plusieurs reprises. Le projet de loi contient des mesures qui satisfont cet objectif. C’est pourquoi la commission demande le retrait de cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Muriel Pénicaud, ministre. La présentation faite par Mme Jasmin montre bien pourquoi nous avons besoin de mettre en place une concertation et de prendre une ordonnance destinée à adapter les dispositions de ce texte aux outre-mer. C’est pourquoi je demande aussi le retrait de cet amendement, qui me semble satisfait par la procédure que nous avons mise en place.

M. le président. Madame Jasmin, l’amendement n° 377 est-il maintenu ?

Mme Victoire Jasmin. Non, je le retire, monsieur le président.

M. le président. L’amendement n° 377 est retiré.

Je mets aux voix l’article 66.

(Larticle 66 est adopté.)

Article 66 (Texte non modifié par la commission)
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Article additionnel après l'article 67 - Amendement n° 649

Article 67

I. – À titre expérimental, jusqu’au 31 décembre 2021 et par dérogation aux articles L. 1252-1 et suivants du code du travail, un entrepreneur de travail à temps partagé peut proposer un contrat de travail à temps partagé aux fins d’employabilité aux personnes rencontrant des difficultés particulières d’insertion professionnelle, qui sont inscrites à Pôle emploi depuis au moins six mois, bénéficiaires de minima sociaux, handicapées, ou âgées de plus de cinquante ans ou de niveaux de formation V, V bis ou VI.

II. – Le contrat de travail à temps partagé aux fins d’employabilité est un contrat à durée indéterminée.

Lorsqu’il est recouru au travail à temps partagé aux fins d’employabilité dans les conditions prévues au I, le dernier salaire horaire de base est garanti au salarié pendant les périodes dites d’intermissions.

III. – Le salarié bénéficie durant son temps de travail d’actions de formation prises en charge par l’entrepreneur de travail à temps partagé et sanctionnées par une certification professionnelle enregistrée au répertoire national des certifications professionnelles mentionné à l’article L. 6113-1 du code du travail ou par l’acquisition d’un bloc de compétences au sens du même article L. 6113-1.

Sans préjudice des dispositions de l’article L. 6323-14 du même code, l’employeur abonde le compte personnel de formation à hauteur de 500 € supplémentaires par salarié à temps complet et par année de présence. L’abondement est calculé, lorsque le salarié n’a pas effectué une durée de travail à temps complet sur l’ensemble de l’année, à due proportion du temps de travail effectué. L’employeur s’assure de l’effectivité de la formation.

IV. – L’entrepreneur de travail à temps partagé aux fins d’employabilité communique à l’autorité administrative, tous les six mois, les contrats signés, les caractéristiques des personnes recrutées, les missions effectuées et les formations suivies ainsi que leur durée, le taux de sortie dans l’emploi et tout document permettant d’évaluer l’impact du dispositif en matière d’insertion professionnelle des personnes mentionnées au I.

V. – Le présent article est applicable aux contrats conclus jusqu’au 31 décembre 2021.

VI. – Au plus tard le 30 juin 2021, le Gouvernement présente au Parlement un rapport, établi après concertation avec les organisations syndicales de salariés et les organisations professionnelles d’employeurs et après avis de la Commission nationale de la négociation collective, sur les conditions d’application de ce dispositif et sur son éventuelle pérennisation.

M. le président. L’amendement n° 736, présenté par M. Forissier, Mme C. Fournier, M. Mouiller et Mme Puissat, au nom de la commission des affaires sociales, est ainsi libellé :

Alinéa 1

Remplacer les mots :

et suivants

par les mots :

à L. 1252-13

La parole est à Mme le rapporteur.

Mme Frédérique Puissat, rapporteur. Il s’agit d’un amendement de précision juridique.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Favorable.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 736.

(Lamendement est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 67, modifié.

(Larticle 67 est adopté.)

Article 67
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Article additionnel après l'article 67 - Amendement n° 598 rectifié

Articles additionnels après l’article 67

M. le président. L’amendement n° 649, présenté par Mme Schillinger, MM. Lévrier, Rambaud, Patriat, Amiel, Bargeton, Karam, Marchand, Mohamed Soilihi, Théophile, Yung et les membres du groupe La République En Marche, est ainsi libellé :

Après l’article 67

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après la section 4 du chapitre 1er du titre V du livre II de la première partie du code du travail, est insérée une section … ainsi rédigée :

« Section …

« Contrat de travail à durée indéterminée intérimaire

« Art. L. 1251-58-1 – Une entreprise de travail temporaire peut conclure avec le salarié un contrat à durée indéterminée pour l’exécution de missions successives. Chaque mission donne lieu à :

« 1° La conclusion d’un contrat de mise à disposition entre l’entreprise de travail temporaire et le client utilisateur, dit « entreprise utilisatrice » ;

« 2° L’établissement, par l’entreprise de travail temporaire, d’une lettre de mission.

« Art. L. 1251-58-2 – Le contrat de travail mentionné à l’article L. 1251-58-1 du présent code est régi par les dispositions du code du travail relatives au contrat à durée indéterminée, sous réserve des dispositions de la présente section.

« Il peut prévoir des périodes sans exécution de mission. Ces périodes sont assimilées à du temps de travail effectif pour la détermination des droits à congés payés et pour l’ancienneté.

« Il est établi par écrit et comporte notamment les mentions suivantes :

« 1° L’identité des parties ;

« 2° Le cas échéant, les conditions relatives à la durée du travail, notamment le travail de nuit ;

« 3° Les horaires auxquels le salarié doit être joignable pendant les périodes sans exécution de mission ;

« 4° Le périmètre de mobilité dans lequel s’effectuent les missions, qui tient compte de la spécificité des emplois et de la nature des tâches à accomplir, dans le respect de la vie personnelle et familiale du salarié ;

« 5° La description des emplois correspondant aux qualifications du salarié ;

« 6° Le cas échéant, la durée de la période d’essai ;

« 7° Le montant de la rémunération mensuelle minimale garantie ;

« 8° L’obligation de remise au salarié d’une lettre de mission pour chacune des missions qu’il effectue.

« Art. L. 1251-58-3 – Le contrat mentionné à l’article L. 1251-58-1 du présent code liant l’entreprise de travail temporaire au salarié prévoit le versement d’une rémunération mensuelle minimale garantie au moins égale au produit du montant du salaire minimum de croissance fixé en application des articles L. 3231-2 à L. 3231-12, par le nombre d’heures correspondant à la durée légale hebdomadaire pour le mois considéré, compte tenu, le cas échéant, des rémunérations des missions versées au cours de cette période.

« Art. L. 1251-58-4 – Les missions effectuées par le salarié lié par un contrat de travail à durée indéterminée avec l’entreprise de travail temporaire sont régies par les articles L. 1251-5 à L. 1251-63 du code du travail, sous réserve des adaptations prévues à la présente section et à l’exception des articles L. 1251-14, L. 1251-15, L. 1251-19, L. 1251-26 à L. 1251-28, L. 1251-32, L. 1251-33 et L. 1251-36 du même code.

« Art. L. 1251-58-5 – Pour l’application des articles L. 1251-5, L. 1251-9, L. 1251-11, L. 1251-13, L. 1251-16, L. 1251-17, L. 1251-29, L. 1251-30, L. 1251-31, L. 1251-34, L. 1251-35, L. 1251-41 et L. 1251-60 du code du travail au contrat à durée indéterminée conclu par une entreprise de travail temporaire avec un salarié, les mots : « contrat de mission » sont remplacés par les mots : « lettre de mission ».

« Art. L. 1251-58-6 – Par dérogation à l’article L. 1251-12-1 du code du travail, la durée totale de la mission du salarié lié par un contrat à durée indéterminée avec l’entreprise de travail temporaire ne peut excéder trente-six mois.

« Art. L. 1251-58-7 – Pour l’application du 1° de l’article L. 6322-63 du code du travail, la durée minimale de présence dans l’entreprise s’apprécie en totalisant les périodes durant lesquelles le salarié exécute ou non une mission lorsque ce dernier est lié à l’entreprise de travail temporaire par un contrat à durée indéterminée.

« Art. L. 1251-58-8 – Pour l’application de l’article L. 2314-20 du code du travail, la durée passée dans l’entreprise est calculée en totalisant les périodes durant lesquelles le salarié exécute ou non une mission lorsque ce dernier est lié à l’entreprise de travail temporaire par un contrat à durée indéterminée. »

La parole est à M. Martin Lévrier.

M. Martin Lévrier. Le CDI intérimaire, introduit à titre expérimental et intégré à la loi du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi, connaît, depuis sa mise en place, un fort développement. En 2017, plus de 13 000 CDI intérimaires ont été signés, ce qui correspond à 1 000 nouveaux contrats chaque mois. Près de 30 000 contrats de cette nature ont été conclus depuis la création de ce statut.

Au-delà du succès du dispositif auprès des acteurs du secteur, son expérimentation a montré que le CDI intérimaire était un contrat gagnant-gagnant : gagnant pour le salarié, qui bénéficie d’un cadre contractuel fixe qui réduit sa situation de précarité et permet d’assurer son employabilité grâce aux formations qui lui sont dispensées ; gagnant pour l’entreprise de travail temporaire, puisque le dispositif lui permet de continuer à offrir à ses clients la flexibilité attendue, tout en répondant à leurs besoins actuels et futurs en termes de compétences.

Depuis sa mise en place, ce dispositif a incontestablement permis une intégration durable dans l’emploi de travailleurs temporaires et s’est révélé un outil efficace contre la précarisation des salariés. Il gagnerait donc à être pérennisé, ce qui passe par son inscription dans le code du travail.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Frédérique Puissat, rapporteur. Ainsi que nous l’avons souligné tout au long de l’examen de ce texte, plusieurs expérimentations ont été proposées. La commission s’est, par principe, montrée favorable à tous les dispositifs permettant de sécuriser les parcours professionnels, notamment à celui dont il est ici question.

Comme vous l’avez remarqué, mon cher collègue, cette expérimentation a été créée par une loi de 2015, qui prévoyait que le Gouvernement remette un rapport au Parlement. La commission vient de le recevoir, et certains d’entre vous n’ont pas encore pu en prendre connaissance. J’invite ceux qui le souhaitent à le faire.

Nous avons étudié ce document : il montre que cette expérimentation est plutôt positive. C’est la raison pour laquelle la commission est favorable à cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Le Gouvernement émet également un avis favorable sur cet amendement, dont l’objet s’inscrit pleinement dans la logique du projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel. Son adoption complétera notre approche d’une flexisécurité à la française, qui vise à sécuriser les parcours et à lutter contre la précarité excessive, tout en permettant aux entreprises d’être agiles.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 649.

(Lamendement est adopté.)

Article additionnel après l'article 67 - Amendement n° 649
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Explications de vote sur l'ensemble (début)

M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 67.

L’amendement n° 598 rectifié, présenté par M. Daudigny, Mmes Féret, Grelet-Certenais et Jasmin, M. Jomier, Mmes Lienemann, Lubin, Meunier et Rossignol, M. Tourenne, Mme Van Heghe et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

Après l’article 67

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Un décret institue un comité de suivi chargé d’évaluer l’application de la présente loi. Ce comité, composé à parité d’hommes et de femmes, comprend notamment quatre députés et quatre sénateurs, désignés par les commissions compétentes en matière d’affaires sociales de leurs assemblées respectives. Ses membres ne sont pas rémunérés et aucun frais lié au fonctionnement de ce comité ne peut être pris en charge par une personne publique.

Il transmet chaque année au Parlement un rapport sur ses travaux.

La parole est à M. Yves Daudigny.

M. Yves Daudigny. Au fil des discussions à l’Assemblée nationale et au Sénat, de nombreux amendements ont été examinés visant à demander des rapports sur les différents volets de ce projet de loi, marquant ainsi la volonté des parlementaires d’en suivre l’application. Ce texte suscite en effet de nombreuses interrogations, démultipliées par un recours très important – exagéré même, à nos yeux – aux décrets et aux ordonnances.

C’est pourquoi, au lieu de demander un rapport, proposition sur laquelle la commission des affaires sociales émet presque toujours un avis défavorable, nous suggérons de créer un comité de suivi chargé de l’application de la présente loi, qui garantira aux parlementaires un droit de regard et d’évaluation continu.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Frédérique Puissat, rapporteur. Pour finir en beauté, la commission émet un avis favorable sur cet amendement. (Sourires.)

Comme vous l’avez souligné, mon cher collègue, sur ce texte comme sur d’autres, la commission a rejeté un certain nombre de demandes de rapport. En revanche, la création d’un comité de suivi nous semble intéressante.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Je suis un peu étonnée, car il faudra un rapport… (Sourires.)

Plus sérieusement, le secrétariat général du Gouvernement s’assure désormais qu’un bilan de l’application des lois est établi tous les six mois, ministère par ministère. Celui-ci est adressé au Parlement et mis en ligne sur internet. Il existe donc de multiples moyens de suivre l’application d’une loi.

En outre, à tout moment, l’Assemblée nationale et le Sénat disposent de possibilités de contrôler la bonne application des lois : le Parlement peut notamment procéder à des auditions dans les commissions permanentes prévues à cette fin.

Cette demande me paraît donc superfétatoire, mais je serai ravie de revenir en parler avec vous. (Nouveaux sourires.) Nous aurons, je crois, l’occasion de le faire lors de l’examen de prochains textes

Par conséquent, le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 598 rectifié.

(Lamendement est adopté.)

M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 67.

Vote sur l’ensemble

Article additionnel après l'article 67 - Amendement n° 598 rectifié
Dossier législatif : projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble du projet de loi, je donne la parole à Mme Éliane Assassi, pour explication de vote.

Mme Éliane Assassi. J’interviens en lieu et place de mes collègues Laurence Cohen et Cathy Apourceau-Poly, qui ne peuvent malheureusement être présentes ce matin pour la fin de l’examen de ce texte.

La commission des affaires sociales du Sénat a dépassé les ambitions du Gouvernement : non seulement la majeure partie des dispositions contenues dans le projet de loi ont été adoptées, mais, en plus, de nouvelles mesures régressives ont été proposées et adoptées par notre assemblée.

Selon vous, madame la ministre, le volet « formation professionnelle » était censé rendre concrets et effectifs les droits des salariés. Pourtant, le compte personnel de formation en euros a été maintenu, bien qu’il ait été démontré qu’il entraînait pour les salariés une perte flagrante de droits à formation. De plus, la gestion de la formation professionnelle a été régionalisée, afin d’adapter le plus possible la formation aux exigences des entreprises, dans un but d’employabilité et au détriment de l’acquisition de diplômes et de qualifications.

En matière d’assurance chômage, le Gouvernement a instauré sa mainmise sans tenir ses promesses. En effet, le passage d’un financement par les cotisations à un financement par l’impôt ainsi que le cadrage de la négociation de la convention UNEDIC permettent au Gouvernement de prendre le contrôle de l’assurance chômage. Parallèlement, l’ouverture de l’allocation chômage aux démissionnaires et aux travailleurs indépendants est encadrée dans des conditions tellement strictes que l’on estime qu’elle ne bénéficiera qu’à 50 000 personnes au maximum, bien loin de la promesse d’universalité du Gouvernement.

Enfin, le volet du projet de loi portant des dispositions diverses relatives à l’emploi s’est révélé décevant. Certes, de nombreuses mesures relatives aux travailleurs handicapés et en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes ont été adoptées, mais aucune des propositions visant à mieux protéger les travailleurs des plateformes n’a été retenue.

Pendant les débats, notre groupe a défendu un projet alternatif, comme nous avons l’habitude de le faire pour chaque texte examiné. Celui-ci reposait, d’une part, sur un service public national de l’enseignement, ayant pour objectif l’acquisition de qualifications et non l’employabilité, et, d’autre part, sur la sécurisation des parcours professionnels des actifs, grâce à l’instauration d’une allocation autonomie jeunesse et à la création d’une sécurité sociale réellement universelle.

Ce texte étant l’exact opposé du projet que nous avons défendu, nous voterons contre.

M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny, pour explication de vote.

M. Yves Daudigny. En ce grand moment de bonheur collectif et après une campagne de Russie réussie, j’aurais aimé, madame la ministre, vous accompagner dans l’élaboration de ce projet de loi, car je pense fortement que le triptyque « éducation-formation-culture » doit servir de fondation à la construction d’une nouvelle cohésion sociale. Malheureusement, ce ne sera possible ni pour mon groupe ni pour moi-même, dans la mesure où ce texte marque une rupture, comme le montrent les régressions en matière de droits des salariés ou de droits sociaux qu’il contient.

Cette rupture s’exprime d’abord sur la forme et dans la méthode.

Les lois votées depuis 1971 ont toujours été consécutives à la signature d’accords nationaux interprofessionnels, porteurs d’avancées sociales favorables aux salariés ou aux demandeurs d’emploi. Ce n’est plus le cas en 2018 : le big bang conduit le Gouvernement à proposer un texte en opposition avec plusieurs choix affirmés par les partenaires sociaux.

Stupéfaction, quand le Gouvernement, à la suite du discours du Président de la République devant le Congrès à Versailles, dépose en cours de discussion un amendement n° 750 visant à appeler les partenaires sociaux à bouleverser la philosophie et le financement de l’assurance chômage. La sanction ne se fera pas attendre : 303 voix contre et 21 voix pour.

Cette rupture se manifeste ensuite sur le fond.

La première rupture concerne l’apprentissage : toutes les demandes des organisations patronales sont reprises. Il est donc juste de parler d’une forte imprégnation libérale. Même si la compétence régionale ne revient pas à l’État, vous l’avez martelé, madame la ministre – vous le voyez, je vous ai écoutée –, c’est bien la première fois qu’une compétence confiée aux régions depuis 1981-1983 est remise en cause au bénéfice des branches professionnelles et de l’initiative privée, au risque de creuser les inégalités entre les territoires et les secteurs d’activité.

La seconde rupture a trait à la nouvelle gouvernance par une institution publique quadripartite : France compétences, qui n’a fait l’objet d’aucune négociation et qui affaiblit considérablement l’un des trois piliers du paritarisme. Il semble bien que le Président de la République n’aime pas les corps intermédiaires, ce qui n’est pas un bon signe au moment d’engager la réflexion sur une nouvelle sécurité sociale.

D’autres points de désaccord sont apparus : monétisation, désintermédiation, disparition du congé individuel de formation, ouverture des droits aux indépendants, qui pourrait faire demain de la démission un outil ordinaire des transitions professionnelles. Il y a aussi toutes les mesures relatives à l’assurance chômage qui suscitent nos inquiétudes les plus vives, mais je n’ai pas le temps de développer le sujet.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, ce projet de loi n’est pas pour nous un texte de progrès. C’est un rendez-vous manqué en matière de formation professionnelle. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary, pour explication de vote.

M. René-Paul Savary. La commission a accompli un travail remarquable. Elle vous a mise en garde, madame la ministre, contre un certain nombre de dispositions pour vous aider à prendre le chemin de la réalité des territoires. Elle a ainsi établi un meilleur équilibre entre la région et les branches professionnelles et rééquilibré les relations entre les partenaires sociaux et l’État en matière d’assurance chômage en appelant à ne pas voter l’amendement du Gouvernement.

En matière d’apprentissage, en entérinant le travail de la commission, nous vous avons proposé de ne pas mettre tous vos œufs dans le même panier en assurant un meilleur équilibre entre la région et les branches professionnelles. N’oublions pas que les chômeurs et les personnes en insertion ne dépendent d’aucune branche professionnelle. Le Gouvernement sera donc bien content de trouver les collectivités à ses côtés. Les départements – le public de l’insertion les concerne directement – et les régions, qui ont acquis une expérience, même si leurs résultats peuvent être améliorés, doivent trouver leur place dans le nouveau dispositif.

Ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier permettra d’avancer pas à pas. Nous verrons bien quels seront les résultats, car, nous le savons, c’est un véritable pari sur l’avenir.

En matière d’assurance chômage, les objectifs sont complètement différents. Un amendement tombé comme un cheveu sur la soupe au milieu de la discussion visait à remettre en cause des accords qui ont été négociés voilà à peine quelques mois. Il vous faudra tenir compte du vote significatif du Sénat. Le nombre important de voix qui se sont exprimées contre votre amendement montre bien qu’on ne peut pas prendre des décisions aussi importantes pour l’avenir de notre pays sans le Parlement. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Laurent Lafon, pour explication de vote.

M. Laurent Lafon. Le groupe Union Centriste prendra toutes ses responsabilités sur ce projet de loi, dont chacun mesure l’importance.

Je commencerai par saluer le travail des rapporteurs de la commission des affaires sociales : il a permis d’améliorer de manière substantielle le texte qui a été débattu dans cet hémicycle.

Le projet de loi est un texte ambitieux qui touche à des secteurs clés du monde du travail : la formation professionnelle, la formation continue, l’apprentissage, l’assurance chômage. Je ne vous cache pas que, dans ces secteurs, les résultats n’étaient jusqu’à présent pas satisfaisants. C’est pourquoi la volonté de réforme du Gouvernement va dans le bon sens ; on ne pouvait se satisfaire du statu quo en la matière.

Le texte, dans sa version issue des travaux de l’Assemblée nationale, nécessitait ajustements et améliorations, notamment dans le domaine de l’apprentissage. Je ne reprendrai pas les remarques que vient de formuler à l’instant René-Paul Savary : sur ce sujet, il avait besoin d’être rééquilibré en faveur des régions, même s’il nous semble important de donner davantage de place aux branches professionnelles dans ce secteur – j’espère d’ailleurs que ces dernières sauront saisir l’opportunité qui leur est donnée. Il fallait faire en sorte que le travail accompli depuis des années par les régions ne soit pas réduit à néant de manière brutale ; c’est chose faite grâce aux amendements défendus par le Sénat.

À l’issue de ce débat au Sénat, nous parvenons à un texte plus équilibré. Évidemment, nous nourrissons quelques regrets sur l’engagement de la procédure accélérée, sur les conditions de travail qui nous ont été imposées sur un texte d’une telle importance et d’une grande densité. Au moment où l’examen de ce texte arrive à son terme, je tiens à faire remarquer que les conditions de travail auraient pu être meilleures et que chacun aurait apprécié de travailler de façon plus sereine sur des sujets qui l’exigeaient.

Il nous reste maintenant à espérer que la commission mixte paritaire saura faire preuve d’autant de sagesse que le Sénat et que ses travaux aboutiront à un consensus. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Martin Lévrier, pour explication de vote.

M. Martin Lévrier. Lors de la discussion générale, nous avions relevé que des risques de déséquilibre se faisaient jour, et nous étions inquiets. Nous voulions toutefois croire que le débat nous permettrait d’avancer dans le bon sens.

Malheureusement, sur un certain nombre de points et à l’inverse de certains groupes, nous considérons que nous n’y sommes pas parvenus. Je pense en particulier à l’article 15, dont l’objectif est très clair : mettre au cœur du réacteur les jeunes et les branches professionnelles, donc l’entreprise, pour créer de l’apprentissage et de l’emploi. Instaurer un copilotage, quand bien même serait-il avec les régions, ne peut que ralentir le développement du dispositif ; cela risque même de provoquer des situations de blocage, comme j’ai pu le souligner lors de nos débats.

Mes chers collègues, vous parliez de décentralisation, mais, quand vous parlez des régions, vous avez une logique très centralisatrice ! Avouez que demander que l’ensemble des CFA transmettent aux régions chaque année avant le 30 juin les documents comptables et financiers, même s’ils ne sont pas demandeurs de subventions, témoigne d’une logique terriblement centralisatrice ; cela m’échappe !

Tout aussi gênants sont votre position sur l’assurance chômage et le sort réservé à l’amendement n° 750. Vous vous y êtes opposés surtout pour des questions de forme – en commission, j’ai souligné que nous n’avions pas su accompagner cet amendement déposé en urgence. Or il s’agit de créer de l’emploi et d’avancer vite. Vous avez uniquement privilégié la forme et négligé le fond. Vous reprochez au Gouvernement de la verticalité, mais cet amendement visait à recréer de l’horizontalité. Là encore, une telle démarche m’étonne ! Vous prononcez des mots très forts à l’encontre du Gouvernement et de sa verticalité, mais, lorsqu’il propose de l’horizontalité, vous la rejetez en bloc.

À cela, il faut ajouter la suppression du bonus-malus, décision qui nous échappe aussi complètement.

Pour toutes ces raisons, nous voterons contre ce texte. Néanmoins, ce vote se veut positif, car nous espérons qu’en commission mixte paritaire des changements notables seront décidés pour nous permettre de faire évoluer notre position.

M. le président. La parole est à M. Alain Fouché, pour explication de vote.

M. Alain Fouché. Mon intervention sera brève, car, tout au long de la discussion, un certain nombre de mes collègues du groupe Les Indépendants sont intervenus.

Encore une fois, le Sénat a fait la démonstration qu’il jouait un rôle important. Dans un certain nombre de domaines, il fallait remettre de l’ordre ! Jusqu’à présent, les régions avaient seules la charge de la formation professionnelle, mais les départements y participaient. Pardonnez-moi de le dire ainsi, mais c’était un bazar sans nom, avec des résultats nuls, un gaspillage financier incroyable, des milliers d’associations s’occupant de formation professionnelle avec des résultats désastreux !

Pour ce qui concerne l’apprentissage, des progrès ont été accomplis. Dans le cadre d’un rapport que j’ai rédigé, j’ai eu l’occasion de rencontrer un certain nombre d’entreprises allemandes : les apprentis y travaillent dans de meilleures conditions, ceux qui gèrent les apprentis aussi. En France, c’est tellement difficile que les artisans ne veulent plus prendre d’apprentis ! Des assouplissements ont donc été décidés.

Même s’il ne convient pas tout à fait aux sénateurs macroniens (Sourires), ce texte apporte selon moi un certain nombre de progrès, de facilités et de souplesses par rapport à la législation actuelle. C’est pour cette raison que nous le voterons.

M. le président. La parole est à M. Philippe Mouiller, pour explication de vote.

M. Philippe Mouiller. Je tiens tout d’abord à remercier la commission et les rapporteurs assis au banc – la distinction s’impose, en l’occurrence (Sourires.) – du travail qu’ils ont accompli dans des conditions relativement difficiles, notamment au regard du peu de temps qui leur a été accordé pour analyser le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale et les nombreux amendements gouvernementaux qui sont arrivés au fur et à mesure de l’examen de ce texte et qui ont souvent donné lieu à des discussions rapides, sans réelle étude d’impact et sans capacité d’auditionner un certain nombre d’intervenants.

De façon plus générale, nous avons essayé de coconstruire ce texte avec le Gouvernement. Cependant, un certain nombre d’inquiétudes demeurent ; je pense aux relations avec les régions ou à la capacité réelle des branches professionnelles à être organisées et opérationnelles pour prendre en compte les nouvelles compétences qui leur seront confiées. Les relations avec l’éducation nationale ont aussi donné lieu à de nombreux débats ; il est vrai que nous aurions pu aller beaucoup plus loin dans l’intégration des lycées professionnels.

Je ne saurais oublier le grand débat du financement des structures de formation. Si les cartes ont été mises sur la table, un certain nombre de mécanismes restent à élaborer.

Si nous avons voulu cette coconstruction, c’est parce que nous avons cherché à promouvoir l’intérêt global en essayant d’améliorer l’apprentissage et la formation professionnelle.

Lorsque nous avons abordé le volet relatif à l’assurance chômage, le changement brusque de stratégie du Président de la République et du Gouvernement a considérablement modifié la donne, non seulement sur la forme, puisque nous avons eu le sentiment que les travaux du Parlement étaient oubliés, mais également sur le fond, puisque nous sommes revenus à la case départ. J’espère que cet article ne sera pas une source trop forte de conflit en commission mixte paritaire et que nous parviendrons à un accord permettant de conserver les différentes améliorations que le Sénat a pu apporter. Encore une fois, je tiens à saluer le travail du Sénat et sa capacité à aller de l’avant.

Pour toutes ces raisons, notre groupe politique votera très majoritairement en faveur de ce texte.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Michel Forissier, rapporteur de la commission des affaires sociales. En mon nom et au nom des autres rapporteurs saisis au fond et du rapporteur pour avis de la commission de la culture, je tiens à remercier les administrateurs de la commission des affaires sociales de leur travail et la direction de la Séance. Je tiens également à vous remercier personnellement, madame la ministre, ainsi que vos collègues et leurs services, d’avoir répondu à toutes nos sollicitations en faisant preuve d’une grande disponibilité. Tout cela s’est fait avec franchise, cordialité, mais détermination, puisque, en définitive, chacun a campé sur ses positions. En ce sens, nous avons eu des échanges démocratiques. C’est d’ailleurs ce qui importe, car trouver un accord pour un accord, ce n’est pas la démocratie !

Je pense aussi au travail accompli par les sénateurs : être présent lors d’une session extraordinaire, c’est toujours difficile. C’est la raison pour laquelle je tiens à vous remercier, mes chers collègues, d’être là ce matin, malgré vos différentes obligations.

L’intitulé de ce projet de loi est tout un symbole : il y est question de liberté et d’avenir professionnel. Or c’est ce qui assure l’autonomie de l’être humain dans une démocratie. Vivre dans une démocratie ne suffit pas : il faut avoir les moyens d’agir, de se nourrir, de gagner son « pain quotidien », pour reprendre une expression religieuse, de nourrir sa famille, pour le dire plus simplement. Voilà le fondement de la société !

Nous avons accompli un travail important dans des conditions assez difficiles, puisque ce texte est arrivé à un moment où le Gouvernement voulait faire bouger les lignes par une réforme constitutionnelle. Cela a été l’occasion d’envoyer quelques signaux à contre-courant de cette tendance.

Il faudra que le Gouvernement nous donne des gages, notamment sur les pouvoirs du Parlement. Il est évident que le parlementaire que je suis, à l’instar de l’ensemble des sénateurs, n’acceptera pas un recul des pouvoirs du Parlement. C’est le contraire qui doit être promu ! La Ve République, qui confère déjà un pouvoir fort à l’exécutif, ne peut s’accommoder d’un régime qui se présidentialise trop. En ce sens, l’intervention directe du Président de la République dans nos débats nous a quelque peu mis en colère et, vous vous en doutez bien, a suscité notre réflexion.

M. Michel Forissier, rapporteur. Pour moi, cet épisode doit être clos maintenant.

Je suis heureux d’arriver à la fin de l’examen de ce texte. Bien entendu, le travail n’est pas terminé.

On sera d’accord ou on ne sera pas d’accord, mais c’est cela, la démocratie. C’est comme une élection : on gagne ou on perd. L’examen de ce projet de loi est pour moi une fête, que nos convictions l’emportent ou non. Si nous ne gagnons pas aujourd’hui, nous remettrons le couvert dans quelque temps.

Reste que, madame la ministre, ce texte demande à être amélioré : nous sommes là pour cela. Le Sénat se veut l’assemblée qui améliore les textes. Cela continuera tant que le bicamérisme perdurera. C’est aussi à cette fin et pour cette conception de la démocratie qu’avec mes collègues sénateurs je me bats. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste. – M. Alain Fouché applaudit également.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble du projet de loi.

J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 219 :

Nombre de votants 333
Nombre de suffrages exprimés 319
Pour l’adoption 205
Contre 114

Le Sénat a adopté.

La parole est à Mme la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Je remercie les sénateurs et les sénatrices pour la qualité de nos débats – il y a eu une grande écoute et beaucoup de discussions au fond –, les rapporteurs et les rapporteuses,…

M. Jérôme Bascher. Ce n’est pas très beau !

Mme Muriel Pénicaud, ministre. … ou rapporteures, pour leur travail, ainsi que les administrateurs du Sénat, qui n’ont pas été en reste, et la direction de la Séance. Comme l’a dit M. Forissier, de tels moments sont importants pour la démocratie.

M. le président. Mes chers collègues, l’ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à douze heures trente-cinq, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de M. Vincent Delahaye.)

PRÉSIDENCE DE M. Vincent Delahaye

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel
 

3

 
Dossier législatif : projet de loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique
Discussion générale (suite)

Évolution du logement, de l’aménagement et du numérique

Discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (projet n° 567, texte de la commission n° 631, rapport n° 630, tomes I et II, avis nos 604, 606 et 608).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique
Question préalable

M. Jacques Mézard, ministre de la cohésion des territoires. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires économiques, madame la rapporteur, messieurs les rapporteurs pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi qui s’intitule « Évolution du logement, de l’aménagement et du numérique » – il est bon que les textes portent le nom de leur contenu plutôt que de celui qui les défend – poursuit son cheminement parlementaire. Après son adoption à l’Assemblée nationale, où plus de 3 400 amendements ont été examinés, j’ai l’honneur de présenter devant la Haute Assemblée, ce qui est pour moi toujours un plaisir, un texte dont l’objectif premier est la simplification. Il vise en effet à libérer et à protéger.

D’une part, il s’agit de faciliter l’activité dans la construction et la rénovation du parc bâti, de redonner confiance aux acteurs, aux constructeurs, et d’accompagner une société en mouvement qui a profondément évolué au cours des dernières décennies, certainement de la manière la plus accélérée que l’on ait connue dans l’histoire. Cela ne va pas changer, bien au contraire : les évolutions sociétales et technologiques des prochaines années seront, à mon avis, encore plus rapides.

D’autre part, il s’agit de lutter contre les fractures territoriales, d’adapter des solutions de logement pour les plus démunis et de fluidifier, dans la mesure du possible, les parcours résidentiels des plus fragiles.

La démarche globale qui inspire l’ensemble du projet de loi reste le pragmatisme et la simplification d’un droit devenu de plus en plus technique, qui, le plus souvent, empêche, contraint, complique, plutôt qu’il n’incite, rend possible et facilite. Il suffit de feuilleter le code de la construction pour se rendre compte que, au fil des décennies, on a accumulé des textes qui ont à voir, non plus avec la codification, mais avec la multiplication de contraintes et de normes, parfois contradictoires.

Il ne s’agit aucunement pour nous de remettre en cause tous les fondements de notre droit résultant de l’œuvre de majorités successives. Chacune d’entre elles a fait ce qu’elle croyait devoir faire au moment où elle était en poste. Nous voulons faciliter et accélérer l’action de ceux qui construisent, rénovent et aménagent, qu’il s’agisse des collectivités locales, des aménageurs, des bailleurs sociaux, des investisseurs, des promoteurs, des entreprises, des artisans, et ce pour essayer d’apporter le meilleur service possible à nos concitoyens, aux habitants de nos territoires.

C’est une véritable innovation que de rédiger un texte de loi qui n’ajoute pas de contraintes supplémentaires, mais qui, de manière pragmatique, lève des blocages. S’il arrive que nous ayons quelques points de divergence, ce sera, à mon avis, sur ce plan-là.

J’entends parfaitement les préoccupations des uns et des autres – je ne parle pas de lobbies, car chacun défend très légitimement ce qu’il sait et entend faire. Reste qu’il est bien évident que, si nous voulons simplifier et faciliter l’œuvre de construction dans ce pays, il est indispensable de diminuer le nombre de réglementations. Cela implique de ne pas forcément faire plaisir à ceux qui, au fil des ans, ont ajouté des normes.

Je tiens à le dire devant le Parlement – et je le sais pour avoir été, comme vous, un législateur –, nous avons certes une grande capacité de légiférer, d’accumuler les textes et les règlements, mais nous le faisons souvent parce que nombre de responsables économiques, syndicaux et culturels nous proposent des amendements très intéressants qui, au fil des années, aggravent cette inflation législative et réglementaire. J’ai d’ailleurs eu l’occasion de rappeler à plusieurs reprises à des responsables du secteur de la construction, avec lesquels nous entretenons des relations de confiance constructives, que beaucoup de dispositions législatives et réglementaires étaient en fait la conséquence de leurs demandes. Ils ne l’ont pas nié. En réalité, il est beaucoup plus difficile de simplifier que de complexifier, et nous allons nous en rendre compte au cours de ce débat.

Comme vous le savez, ce projet de loi est le fruit d’une large concertation lancée depuis plusieurs mois. Une importante consultation en ligne a été conduite par le ministère et a donné lieu à plusieurs milliers de contributions. Nous avons également tenu compte des réunions avec les élus locaux, les associations d’élus, les parlementaires et les spécialistes du secteur de l’habitat. Je tiens aussi à rendre hommage à l’initiative prise par le président du Sénat d’avoir organisé la conférence de consensus, qui a permis l’expression, large et libre, de divers points de vue sur la situation du logement dans notre pays. Il a ainsi été possible d’avancer sur plusieurs sujets, parmi lesquels la restructuration du secteur des bailleurs sociaux. C’est grâce au travail effectué durant cette conférence que nous avons pu éviter d’en passer par la voie des ordonnances. J’en remercie, encore une fois, le Sénat de la République.

Après son passage devant l’Assemblée nationale et un examen attentif – pour ne pas dire minutieux – par la commission des affaires économiques du Sénat, le texte dont nous allons débattre dans cet hémicycle compte 235 articles, dont les trois quarts sont d’origine parlementaire, et sur lesquels nous allons examiner prochainement plus de 1 000 amendements. Si certains d’entre eux sont des amendements de suppression et visent donc à raccourcir le texte, le risque existe bel et bien de voir celui-ci grossir de nouveau.

Mesdames, messieurs les sénateurs, à titre personnel, je considère cette production législative non pas comme un obstacle ou un frein, mais comme la traduction de l’intérêt manifesté par tous les groupes pour les sujets du logement, de l’urbanisme, du numérique et de l’aménagement du territoire.

M. Bruno Retailleau. Très bien !

M. Jacques Mézard, ministre. Comme je l’ai déjà dit à vos collègues députés, il serait malvenu de ma part de contester la procédure parlementaire et, plus encore, le droit d’amendement (Applaudissements sur les travées du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Les Républicains. – Mme Colette Mélot applaudit également.),…

M. Jacques Mézard, ministre. … un droit dont j’ai pu largement user, sans trop en abuser, me semble-t-il, lors des années précédentes.

Soyez assurés que le ministre que je suis poursuivra, comme lors des débats à l’Assemblée nationale, une démarche d’amélioration du texte. Je ne doute pas de l’apport du Sénat à cette réforme. Il a d’ailleurs déjà commencé : je n’oublie pas sa contribution à l’occasion de la conférence de consensus, qui a permis d’intégrer plusieurs éléments nouveaux, même si ceux-ci peuvent paraître insuffisants à certains égards, madame la rapporteur…

Nous nous prononcerons uniquement sur le contenu des amendements, quel que soit le groupe. En effet, je crois fondamentalement à la démocratie parlementaire, au bicamérisme et à l’importance du travail réalisé ici. Notre état d’esprit est très clair : nous serons à l’écoute, sans pour autant renoncer, vous le comprendrez, aux principes fondamentaux et aux objectifs premiers de ce projet de loi, qui sont la simplification des procédures et la protection des Français.

À l’Assemblée nationale, des amendements émanant de tous les groupes ont été retenus, ce qui illustre bien notre volonté. C’est aussi la raison pour laquelle le Gouvernement a fait le choix de ne déposer qu’un nombre limité d’amendements de retour à son texte ou à celui issu des travaux des députés.

En premier lieu, le projet de loi a pour objectif de construire plus, mieux et, si possible, moins cher. Il s’agit de libérer et de faciliter les initiatives dans les territoires, en articulant plusieurs leviers.

L’un de ces leviers est la promotion des « opérations d’urbanisme et de revitalisation » ambitieuses via de nouveaux outils de contractualisation entre l’État, les collectivités et divers partenaires.

Le projet partenarial d’aménagement, le PPA, permettra, par exemple, d’assurer la reconversion d’une ancienne caserne désaffectée pour l’intégrer dans un large projet de rénovation prévoyant logements, commerces, équipements et services. La libération du foncier public sera facilitée grâce à la cession par l’État du foncier de son domaine privé aux signataires d’un PPA.

L’outil « grande opération d’urbanisme », ou GOU – ce n’est qu’un outil –, permettra, quant à lui, de déroger à certaines règles du droit commun de l’urbanisme. Cela existe déjà, via les opérations d’intérêt national.

L’esprit de ces mesures est bien de simplifier, de faciliter, de se retrouver entre partenaires qui ont envie d’avancer et de construire la ville autour d’un projet commun. C’est pourquoi l’obligation d’avis conforme pour la constitution d’une GOU, qui fait l’objet d’un désaccord entre nous – c’est la vie parlementaire –, nous apparaît comme un obstacle à cet objectif.

Disons les choses clairement, et ici je m’éloigne un peu de mes excellents éléments de langage, il subsiste un sujet préoccupant : la place et le rôle des maires dans la décision concernant l’urbanisme, le logement et l’habitat.

Il faut le dire devant le Sénat de la République, qui a toujours été, et qui est toujours, le défenseur des collectivités locales…

M. Philippe Dallier. Oui, toujours !

M. Jacques Mézard, ministre. … – et je considère en être un, moi aussi –, les positions des élus locaux et des associations d’élus sur ce sujet ne sont pas univoques. Je me souviens ainsi du débat sur le PLUI, le plan local d’urbanisme intercommunal, qui a eu lieu ici en 2013.

M. Jacques Mézard, ministre. J’ai d’ailleurs eu la curiosité de relire les interventions des uns et des autres.

Passer au PLUI n’était pas évident. La solution retenue consistait à prévoir des minorités de blocage. Je constate qu’aujourd’hui pratiquement la moitié des intercommunalités ont désormais un tel plan. Cela montre que les choses avancent lorsqu’on fait confiance, même si le rythme n’est pas très rapide. Cette évolution a été importante.

Il est aussi question, depuis plusieurs années, de rendre le PLUI obligatoire dans les conditions initialement prévues. Nous ne l’avons pas voulu, car je ne souhaitais pas que de nouvelles mesures soient imposées aux collectivités locales.

Il faut aussi être conscient qu’il y a des demandes d’élus locaux, voire d’associations d’élus, pour que, systématiquement, l’instruction et la signature des permis de construire soient transférées aux intercommunalités.

M. Philippe Dallier. Par l’AdCF très certainement !

M. Jacques Mézard, ministre. Par d’autres aussi…

M. Philippe Dallier. Un peu moins !

M. Jacques Mézard, ministre. J’ai considéré que cela n’était pas une bonne chose, et notre texte, depuis le début, est parfaitement clair sur ce point.

Il y a un débat, et nous y reviendrons, sur les PPA et les GOU. J’entends que ce débat ait lieu, mais je vous demande de considérer que, globalement, et contrairement à certains propos médiatiques que j’ai pu entendre, le texte que je vous présente préserve très largement l’autonomie, l’indépendance et la responsabilité des maires.

Dans cette même logique, et parce qu’il faudra bien réaliser de nouveaux « morceaux de ville », nous n’avons pas voulu aller au-delà en ce qui concerne le transfert aux intercommunalités. À mon sens, nous avons retenu une solution équilibrée.

En pratique, nous le savons, mesdames, messieurs les sénateurs, l’immense majorité des projets seront coconstruits de façon très apaisée, parce que ces instruments ne seront lancés qu’à la demande des collectivités, et non de l’État. Je le répète, ce sera à la demande des collectivités, pour faciliter et accélérer les procédures et permettre aux grandes opérations d’avancer plus vite et plus fortement.

Nous savons tous aussi, par expérience, qu’il arrive qu’une commune décide de faire barrage à une grande opération. C’est une réalité ! Nous savons également, même si ce sentiment n’est pas forcément partagé par tout le monde, que nombre de constructeurs, de promoteurs, quand ils s’expriment librement, se plaignent de freins à la construction. Un certain nombre de maires, considérant que le PLU est un plafond, font de la préinstruction en amont pour signifier aux constructeurs qu’il ne faut pas aller jusqu’au bout de ce que permet le PLU. C’est aussi une réalité de terrain.

J’entends, et j’en suis convaincu, qu’il faut défendre et préserver la responsabilité et les compétences de droit des maires, mais il faut aussi avoir cela à l’esprit. C’est pour cette raison que notre texte est, à mon avis, équilibré. En tout cas, telle était ma volonté.

Autre levier pour faciliter la construction : la simplification des documents d’urbanisme. Si nous allons, comme le souhait en est partagé, vers la simplification, avec une procédure d’instruction dématérialisée et un nombre limité de pièces à fournir pour les permis de construire, nous allons gagner du temps et économiser de l’argent. Certes, comme certains d’entre vous l’ont relevé, la dématérialisation nécessite des investissements ab initio, mais elle permet ensuite d’aller plus vite et d’éviter certains errements que nous avons tous connus, par exemple la demande de pièces complémentaires inutiles pour freiner les dossiers quelques mois. C’est une méthode à laquelle il faut mettre fin !

À l’Assemblée nationale, nous avons débattu de l’articulation de ces mesures avec la loi Littoral. Ce débat, nous l’aurons également ici. Sur cette question, qui sera également abordée à l’occasion d’une motion tendant à opposer la question préalable, il me paraît assez extraordinaire d’entendre dire que nous avons détricoté la loi Littoral. Le travail avec les députés nous a au contraire permis de parvenir à une solution équilibrée, souhaitée par l’immense majorité des maires des communes littorales, sans remettre en cause les fondements de ladite loi. Nous avons ainsi amélioré le cadre législatif actuel en conciliant la préservation du patrimoine littoral, auquel nous sommes tous très attachés, et la réalité économique de nos territoires.

Votre commission a déjà apporté quelques évolutions, dont nous débattrons. C’est un sujet sur lequel nous ne devons pas être très éloignés. Je n’ai pas de difficultés, par exemple, à prévoir de façon plus explicite des dérogations sur la question des cultures marines pour régler les incertitudes autour de la production conchylicole, mais je veux le réaffirmer très clairement ici : il n’est pas question de revenir sur les règles fondamentales de la loi Littoral, qui est indispensable à la préservation de la biodiversité et du paysage de nos côtes. Elle s’inscrit d’ailleurs pleinement dans le cadre du plan Biodiversité que le Gouvernement a présenté voilà quelques semaines. Ce n’est pas pour rien que j’ai pu envoyer, à la suite des débats à l’Assemblée nationale, un communiqué commun avec Nicolas Hulot sur ce thème.

Autre sujet : la simplification des normes de construction pour permettre, par exemple, l’utilisation de nouveaux matériaux, notamment biosourcés, ou encore le développement de logements « évolutifs », pour un meilleur équilibre entre adaptation aux besoins de la société, coût de construction et confort des occupants.

Là encore, j’entends les interrogations sur le thème de l’accessibilité. Nous en avons largement débattu depuis la loi de 2005 dans cet hémicycle, et, vous le savez, les délais ont souvent été repoussés pour tenir compte des difficultés d’application des dispositions de cette loi. J’aimerais préciser que ces mesures ont été pensées depuis de nombreux mois et, dès l’origine, dans le cadre d’un travail de concertation. Il s’agit d’accorder aux personnes plus de souplesse en leur permettant d’adapter plus facilement leur environnement aux événements de la vie, plutôt que d’appliquer à tous un même cadre rigoureux et mal adapté.

M. Jacques Mézard, ministre. La synthèse est une chose, le résumé une autre. Quand on résume trop, on oublie de dire que, lorsque l’on habite à R+1, R+2 ou R+3, la question de l’accessibilité du logement ne se pose pas, parce que l’on n’y accède pas, le plus souvent. Il faut donc revenir aux fondamentaux avant de se perdre dans les digressions.

J’ai pris connaissance des amendements adoptés par la commission des affaires économiques du Sénat, notamment pour porter le taux de logements adaptés à 30 %. Ce chiffre fera l’objet de discussions, mais j’espère que les débats en séance ou lors de la navette, voire dès la CMP, nous permettront de trouver le point d’équilibre.

Concernant le traitement des recours contentieux – c’est un sujet important sur lequel nous avons, me semble-t-il, beaucoup avancé, en tenant compte des rapports parlementaires, du Sénat en particulier –, des mesures législatives et réglementaires sont prévues en concertation avec la Chancellerie, dans le but très clair d’accélérer les délais de jugement et de sanctionner davantage les recours abusifs.

Sur le premier point, l’objectif est simple : passer de vingt-quatre mois de procédure en moyenne à un délai d’environ dix mois pour les logements collectifs. Cela va accélérer les cycles de construction dans nombre d’agglomérations, ce qui est très attendu. Aujourd’hui, on estime à 30 000 le nombre de logements dont la construction est bloquée en France par des recours. Un maire d’une métropole du sud-ouest m’indiquait récemment que 60 % des permis de construire dans sa ville étaient frappés d’un recours.

C’est une réalité à laquelle il faut mettre fin ! Comment ? Avec les dispositions que contient ce texte, mais aussi avec des mesures réglementaires relevant de la cristallisation des moyens, qui sera non plus facultative, mais obligatoire, ainsi que l’encadrement des délais de jugement. Il n’est pas acceptable que des recours puissent perdurer pendant huit, dix ou douze ans, comme c’est le cas actuellement, avec l’utilisation de tous les moyens de procédure possible. Il s’agit d’empêcher non pas le droit au recours, qui est un droit démocratique qu’il faut préserver, mais l’abus de droit. Il s’agit d’empêcher que des recours soient faits uniquement pour négocier une lamentable transaction financière en échange de son abandon. C’est aussi une réalité contre laquelle nous allons lutter de la manière la plus vigoureuse possible.

Nous proposons également des mesures de simplification portant sur les avis des architectes des Bâtiments de France, sujet cher au rapporteur pour avis Jean-Pierre Leleux. (Sourires.) Je connais sa position. Comme elle est fondée sur une conviction, elle est éminemment respectable, même si je ne la partage pas totalement.

Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Au moins, c’est dit ! (Nouveaux sourires.)

M. Jacques Mézard, ministre. L’objectif est de rendre ces avis simples pour les installations nécessaires au déploiement de la téléphonie mobile et les opérations de résorption de l’habitat indigne. Ce n’est pas une révolution ! Disons-le clairement, c’est un message !

Je suis de ceux qui considèrent que l’on a besoin des architectes des Bâtiments de France. Pour aller chaque semaine dans des villes moyennes, voire petites, je suis bien placé pour savoir que nous avons dans ce pays un patrimoine exceptionnel qu’il convient de préserver et de mettre en valeur. Je ne risque pas de dire le contraire. Mais il ne s’agit pas non plus de « geler » la ville. Toutes les générations dans ce pays, et c’est la force de notre patrimoine, ont ajouté l’expression de leur architecture générationnelle. En revanche, depuis plusieurs décennies, on a gelé la ville sur la ville. Dans certains cas, on a empêché les maires de réaliser ce qu’ils pensaient bon et opportun pour leurs concitoyens.

Mesdames, messieurs les sénateurs, on ne peut pas, d’un côté, considérer que nous enlèverions du pouvoir aux maires et, de l’autre, opposer un refus lorsque nous proposons de leur en rendre. Cela n’est pas très logique. Nous avons donc proposé une solution profondément équilibrée.

Je sais que nombre d’ABF, ceux qui font bien leur métier en recherchant la concertation avec les élus locaux, peuvent entendre ce message. En revanche, beaucoup d’entre vous ont connu ces situations où, au changement d’ABF, il fallait aussi changer les couleurs.

M. Jacques Mézard, ministre. C’est juste un petit exemple parmi tant d’autres. Tenons compte de la réalité du terrain !

Nous proposons enfin, dans le cadre de ces évolutions, un élargissement de la procédure de réquisition des locaux vacants depuis plus d’un an à des fins d’hébergement. Si vous confirmez cette mesure, elle s’inclura dans la stratégie globale que nous mettons en œuvre pour le Logement d’abord, qui permettra, comme nous nous y sommes engagés au début du quinquennat, de créer 50 000 places supplémentaires d’intermédiation locative, qui est un très bel outil, et de pensions de famille, dont nous avons besoin pour sortir de l’hébergement d’urgence.

En deuxième lieu, ce texte a pour objet de faire évoluer le secteur du logement social.

Ce sujet a fait l’objet de discussions importantes. En relisant les débats sur les précédentes lois, y compris ceux de la Haute Assemblée, je me suis rendu compte que ce n’est pas la première fois que les mêmes causes produisent les mêmes effets. Toucher à certains secteurs provoque les mêmes réactions, quels que soient les majorités et les gouvernements en place.

M. Philippe Dallier. Pas dans ces proportions-là !

M. Jacques Mézard, ministre. Oh, vous savez, monsieur Dallier, après avoir relu les interventions des uns et des autres – les vôtres sont toujours pertinentes dans tous les domaines, mais particulièrement dans celui-ci –, je puis vous dire qu’il y a eu un certain nombre d’évolutions ou de tentatives d’évolution qui étaient encore plus frappantes. Il est bien normal que, chaque fois que l’on propose une évolution qui, parfois, est vécue comme une révolution, des résistances se fassent jour. Nous savons ce qu’il en est pour les niches fiscales, mais c’est vrai dans tous les domaines.

Nous souhaitons, avec cette réforme du secteur HLM, qui est le deuxième acte de la réforme d’ensemble, une restructuration des organismes du logement social, en posant comme principe qu’un organisme de logement locatif social qui n’a pas une taille suffisante doit rejoindre un groupe, sauf, j’y ai tenu, dans les territoires où le parc et les bailleurs sont peu nombreux. Il ne faut surtout pas mettre fin à la proximité en coupant le lien avec les territoires. Ceux qui ont voulu la fusion des régions doivent bien se rendre compte que le regroupement de ces organismes dans les treize nouvelles grandes métropoles régionales causerait de grandes difficultés, dans ce domaine comme dans bien d’autres. Le but est donc d’atteindre le bon équilibre entre la proximité, d’un côté, et la mutualisation, de l’autre. Le lien avec les territoires est ainsi garanti, ce qui est pour moi essentiel.

Je précise de nouveau qu’il s’agit non pas de contraindre les opérateurs à fusionner, sauf dans le cadre de la même intercommunalité, ce qui concerne un nombre très limité de cas, ni de faire disparaître la diversité des organismes d’HLM ou de leur faire perdre leur identité, mais seulement de fixer l’objectif et de leur fournir une boîte à outils complète pour y arriver. Ce que nous avons fait avec la fédération des SCOP, chère à Marie-Noëlle Lienemann, ou avec la fédération des EPL, en est la stricte démonstration.

Les travaux à l’Assemblée nationale ont permis de mieux prendre en compte certaines dimensions opérationnelles et d’en simplifier la mise en œuvre. Je pense, par exemple, à la réalité des situations des activités des bailleurs sociaux, notamment des entreprises publiques locales, pour lesquels des règles adaptées ont été définies.

Vous avez, là aussi, apporté une modification substantielle en abaissant le seuil de regroupement de 15 000 à 10 000 logements. Je comprends vos interrogations par rapport à cette évolution du secteur – j’ai bien dit « je ». Nous aurions pu obliger les bailleurs à fusionner pour devenir de grands acteurs régionaux, voire nationaux : tel n’est pas notre projet ! Il faut que, collectivement, nous gardions bien à l’esprit que l’objectif est d’aider les organismes à se renforcer mutuellement, tout en conservant leur diversité. Il n’y a aucun doute à avoir sur ce point. C’est la condition du maintien d’un système du logement social français fort. Or des sociétés de coordination trop petites à l’échelle des territoires ne pourront pas jouer le rôle qui est attendu d’elles. Il faut qu’elles puissent s’arrimer à des organismes de taille intermédiaire.

Par ailleurs, nous souhaitons la simplification du cadre juridique applicable aux bailleurs sociaux, avec de nouvelles mesures pour rendre leur maîtrise d’ouvrage plus efficace et compétitive. C’est d’ailleurs à la demande expresse des bailleurs sociaux que nous avons proposé ces mesures.

J’observe notamment que de plus en plus de bailleurs sociaux ont recours aux VEFA avec la promotion privée, car ils ne luttent plus à armes égales quand ils sont en compétition sur le foncier. Aujourd’hui, quasiment la moitié des logements sont construits ainsi, et même plus de 60 % dans certaines agglomérations tendues. Nous avions donc proposé, non pas de se passer des architectes, comme cela a pu parfois être grossièrement caricaturé, mais de donner plus de souplesse au cadre d’intervention qui est celui des bailleurs sociaux, et ce à leur demande, je le rappelle.

Quand on me dit que nous allons remettre en cause la qualité architecturale, je fais observer que la disposition obligeant les bailleurs sociaux à organiser des concours d’architecture remontait à moins d’un an et demi. On ne peut pas dire que ce qui s’était fait avant avait abaissé le niveau de qualité architecturale.

Je le répète, il s’agit simplement de donner plus de souplesse au cadre intervention qui est celui des bailleurs sociaux, qui plus est parce que ce cadre d’intervention est disparate entre les différentes familles de bailleurs sociaux, ce qui n’est pas justifié. Cette disposition engendrera non seulement des économies pour les bailleurs sociaux, mais surtout plus de réactivité, sans leur interdire de recourir aux concours d’architecture s’ils le souhaitent. Ils pourront également mieux s’adapter aux nouveaux modes de fabrication des logements, notamment avec les technologies numériques. Je pense au BIM. Bien sûr, je le répète une nouvelle fois, ils pourront toujours avoir recours aux mêmes procédures s’ils le souhaitent. Je le dis très clairement, c’est un objectif sur lequel nous n’entendons pas revenir. J’ai déjà eu l’occasion de l’indiquer à M. le rapporteur pour avis.

Nous souhaitons également simplifier l’accession à la propriété pour les locataires d’HLM avec un double objectif simple : d’une part, permettre à des locataires d’acquérir leur logement quand ils le peuvent et le souhaitent et, d’autre part, soutenir la construction ou la rénovation de logements sociaux neufs par les bailleurs.

J’ajoute que c’est aussi une solution pragmatique pour stabiliser les classes moyennes dans certains quartiers où la mixité sociale est un enjeu réel. À ce titre, et même si je considère qu’il faut effectivement pouvoir prendre en compte encore plus finement les enjeux des territoires – je l’ai déjà exprimé en séance à l’Assemblée nationale –, je ne suis pas favorable à l’ajout d’une contrainte, avec cet avis conforme du maire pour l’autorisation des ventes d’HLM.

Vous le voyez, quand le Gouvernement souhaite accorder plus de pouvoirs aux maires, certains ne sont pas d’accord. Là, certes, c’est l’inverse, mais à la différence qu’à ce jour l’avis conforme n’existe pas. C’est donc une contrainte supplémentaire qui serait proposée, là où, justement, il faut de la fluidité pour favoriser ces ventes. Je rappelle qu’aujourd’hui – je sais que le débat aura lieu, souvent en adoptant des postures – 8 000 logements trouvent acquéreurs, alors que 100 000 sont en vente. Ce n’est donc pas une nouveauté en soi. La nouveauté, c’est de permettre que les objectifs, y compris ceux fixés par les bailleurs sociaux, soient tenus.

En troisième lieu, le projet loi cherche à répondre aux nombreux besoins de nos concitoyens en matière de logements et à favoriser la mixité sociale. Pour ce faire, nous avons mené de nombreuses consultations, ce qui est bien naturel, et fait des déplacements sur le terrain.

Concernant le parc social, nous proposons de renforcer la transparence des attributions grâce à la généralisation de la cotation dans les grandes agglomérations, ce qui ne me paraît pas poser de gros problèmes, et de renforcer la mobilité des locataires dans le parc social en réexaminant tous les trois ans leur situation. J’ai vu que la commission proposait six ans. Je n’ai pas d’états d’âme par rapport à cette proposition, mais il faut savoir que nous avions proposé six ans à l’Assemblée nationale – j’ai toujours considéré que les deux assemblées étaient très différentes, ce qui fait tout le charme de la démocratie parlementaire française – et que nous sommes passés à trois ans à la demande de tous les groupes.

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Les députés manquent de métier ! (Rires.)

M. Jacques Mézard, ministre. Nous verrons comment le débat se passe ici.

Je souhaiterais également vous dire dès aujourd’hui que je ne suis pas favorable à ce que l’on revienne sur certaines dispositions de la loi Égalité et citoyenneté ou d’autres lois antérieures sur la mixité sociale. Je ne pense pas que cela soit une bonne chose.

Concernant le parc privé, nous entendons agir avec la création du bail mobilité, contrat de location de un à dix mois non renouvelable et sans dépôt de garantie pour les logements meublés. Il permettra de répondre concrètement aux besoins de personnes en mobilité, étudiants ou travailleurs en mission professionnelle pour une courte durée. J’ai vu d’ailleurs que des amendements intéressants avaient été déposés sur le sujet.

Il s’agit là encore d’adapter notre législation à la réalité des évolutions sociétales et de tirer les conclusions de la mobilité croissante des jeunes et des travailleurs. Nous avons de surcroît mis en place des garanties. Je pense notamment à la garantie VISALE, sur laquelle nous avons beaucoup travaillé avec M. le secrétaire d’État, Julien Denormandie.

J’en viens au développement de l’offre de logements intermédiaires. En zone tendue, les PLH, les programmes locaux de l’habitat, devront fixer un objectif de production de logements intermédiaires, car nous constatons un manque de logements à des loyers abordables pour permettre à des locataires de sortir du parc social. Il s’agit simplement de remettre de la fluidité, de permettre la création de parcours résidentiels.

Nous avons aussi la volonté, qui est largement partagée, de favoriser la mixité intergénérationnelle, de plus en plus plébiscitée. Nous avons ainsi prévu une disposition pour sécuriser les aides au logement en cas de cohabitation intergénérationnelle.

S’agissant de la colocation dans le parc social, les débats à l’Assemblée nationale ont permis l’adoption d’un amendement tendant à élargir la colocation pour personnes handicapées à une mesure de portée plus générale.

Nous proposons, par ailleurs, d’améliorer les procédures existantes, par exemple en coordonnant mieux celles relatives à l’expulsion et au surendettement pour la colocation. Nous souhaitons en effet simplifier les procédures dans l’intérêt des personnes particulièrement fragiles. Il faut favoriser au maximum la prévention des expulsions. Il y a à peu près 150 000 décisions d’expulsion ; heureusement, même si c’est déjà beaucoup, il n’y en a que 15 000 qui sont mises à exécution. Plus on interviendra en amont, moins il y aura de difficultés ensuite. Nous devons arriver à articuler la procédure devant les tribunaux d’instance et la procédure de surendettement, car il n’est pas sain qu’elles vivent leur vie de manière indépendante l’une et l’autre.

Enfin, le texte permettra aux territoires de mieux réguler l’activité, parfois problématique, de la location meublée touristique – tout le monde connaît Airbnb, mais ce n’est pas la seule plateforme. Si cette activité est souvent très utile pour le pouvoir d’achat des Français et l’attractivité touristique de nos régions, dans certaines villes, le marché locatif privé en est trop fortement impacté, au détriment de ceux qui cherchent à se loger. Des sanctions accrues contre les propriétaires ne respectant pas leurs obligations, ainsi que de nouvelles amendes pour les plateformes, ce qui n’existait pas jusqu’ici, ont été adoptées de façon consensuelle à l’Assemblée nationale.

Mesdames, messieurs les sénateurs, il y a le sujet SRU.

Je veux rappeler ici que le projet de loi ÉLAN n’entend pas toucher aux fondamentaux de la loi SRU, qui a fait la preuve de son efficacité au cours des ans. J’ai entendu ici ou là dire que, jamais au grand jamais, personne n’avait osé toucher à la loi SRU. C’est faux ! Il y a eu des évolutions législatives, y compris dans loi Égalité et citoyenneté. Il y en a même eu avant, et de manière assez positive. Il s’agit non pas d’en faire un tabou, mais d’essayer de trouver des solutions correspondant aux réalités du terrain.

Si, à l’Assemblée nationale, une large majorité de députés n’a pas souhaité modifier sur cette question le texte du Gouvernement, à l’inverse, votre commission a adopté de nombreuses évolutions, certaines avec une portée plutôt limitée, que je qualifierai de raisonnables – n’en prenez pas ombrage –, d’autres beaucoup plus impactantes et de nature à bouleverser les équilibres de la loi SRU.

Ce débat, nous l’aurons. Je reconnais que vos amendements s’appuient sur un certain nombre de situations concrètes que nous connaissons bien. Si le Sénat devait faire évoluer la loi SRU, je ne doute pas, et je le souhaite, qu’il trouvera aussi un équilibre raisonnable, empreint de sagesse.

M. Roger Karoutchi. C’est sûr !

M. Jacques Mézard, ministre. Le président du Sénat, avec sa sagesse légendaire – vous savez l’estime que je lui porte –, a certainement raison lorsqu’il dit qu’« il faut toucher à la Constitution d’une main tremblante ». Je crois sincèrement qu’il en va de même pour la loi SRU.

M. Bruno Retailleau. Ce n’est peut-être pas la même chose…

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur pour avis de la commission des lois. Ce ne sont pas les mêmes tremblements !

M. Jacques Mézard, ministre. Justement, entre les tremblements et la démolition, il y a un espace.

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur de la commission des affaires économiques. Oh, comme vous y allez !

M. Jacques Mézard, ministre. Il y a des cas où le bon sens nous pousse à voir qu’il y a des communes, nouvellement entrées, qui se trouvent dans des situations mathématiquement impossibles à supporter. Il faut que nous trouvions des solutions équilibrées.

Pour faire simple et clair, il y a une architecture globale de la loi SRU. Depuis des années, cette loi a permis de développer la construction de logements sociaux sur l’ensemble de nos territoires. En outre, les quelques modifications adoptées dans le cadre de la loi Égalité et citoyenneté ont permis de multiplier par quatre les exemptions. Cela signifie qu’il a déjà été tenu compte, au moins en partie, d’un certain nombre de difficultés réelles constatées sur le terrain.

Des amendements ont été déposés par la commission saisie au fond et par la commission des lois, saisie pour avis. Nous travaillerons du mieux que nous pourrons pour atteindre l’objectif, mais, je le redis, il est hors de question de remettre en cause l’architecture, la colonne vertébrale de la loi SRU.

Enfin, dernière ambition de ce texte : améliorer le cadre de vie de nos concitoyens. Ce dernier axe est au cœur de nos projets en faveur de la cohésion des territoires et va bien au-delà du seul domaine du logement.

Les mesures du projet de loi ÉLAN visent aussi à accélérer la rénovation des centres-villes à travers un contrat intégrateur unique : l’opération de revitalisation des territoires, l’ORT. C’est l’un des objectifs du programme « Action cœur de ville », que j’ai lancé voilà quelques mois pour 222 villes et intercommunalités réparties sur tout le territoire hexagonal et outre-mer, et dont les conventions commencent à être signées par l’ensemble des acteurs – elles seront toutes signées d’ici au 30 septembre.

Je souhaiterais préciser que, contrairement à ce que j’ai pu entendre, l’ORT est un dispositif qui s’adresse non seulement aux collectivités s’inscrivant dans le plan « Action cœur de ville », mais plus largement à toutes les collectivités qui souhaitent s’emparer d’un outil opérationnel de revitalisation de leur centre-ville. Ce point doit être bien intégré. La liste n’est donc pas bloquée à 222 villes.

Je suis également ouvert à la discussion sur la question de l’aménagement commercial dans les villes moyennes, qui fait l’objet d’un certain nombre d’amendements. Comme je vous l’avais dit à l’occasion de l’examen de la proposition de loi sénatoriale adoptée récemment sur la revitalisation des centres-villes et des centres-bourgs, l’examen du présent projet de loi doit permettre de répondre à certaines de vos interrogations et satisfaire nombre de vos préoccupations. Je citerai à cet égard un sujet qui n’est pas neutre, à savoir le financement de ces opérations, même si quelques propositions ont été validées par la commission des finances de la Haute Assemblée ; nous aurons l’occasion d’y revenir au cours du débat.

L’une des mesures fortes qui me tient particulièrement à cœur est la lutte contre l’habitat indigne et les marchands de sommeil. Le texte initial a été largement amendé, et jamais un texte de loi n’a été aussi loin, ce dont je me réjouis.

Nous nous attaquons frontalement à la racine de ce fléau. Il est ainsi prévu d’instituer une présomption de revenus pour les marchands de sommeil comme pour les trafiquants de drogue ; ils seront soumis au même traitement. Le projet de loi systématise aussi les astreintes administratives en cas de travaux prescrits, pour accentuer la pression sur les propriétaires.

De plus, en cas d’expropriation, l’indemnité liée sera saisie dans le cas où une enquête pénale a été ouverte. Il était en effet choquant, pour ne pas dire davantage, que, dans le cadre de mesures d’expropriation, des marchands de sommeil encaissent l’indemnité maximale après avoir profité de nos concitoyens les plus fragiles.

Ont été ensuite rendues obligatoires les peines complémentaires de confiscation des biens des marchands de sommeil et d’interdiction d’acquisition de nouveaux biens immobiliers pour une durée de dix ans, sauf décision contraire motivée du juge.

À la suite de la discussion de la proposition de loi qu’avaient déposée les membres du groupe communiste à l’Assemblée nationale – nous avons travaillé en concertation avec eux –, les députés ont adopté une mesure prévoyant que les marchands de sommeil condamnés ne pourront notamment pas acquérir de biens immobiliers en cas de vente par adjudication.

Par ailleurs, et nous aurons un débat sur ce point, nous prévoyons de moderniser et de simplifier le droit des copropriétés. C’est une vraie urgence ! Je sais que d’aucuns, ici, ont déposé nombre d’amendements pour que ces copropriétés puissent sortir plus rapidement de l’ornière. Ce sujet est très lourd, car il peut concerner des dizaines de milliers de logements dans certaines villes.

Je vous le dis pour être totalement transparent, nous lancerons dans les jours prochains une initiative « copropriétés » pour accélérer le processus. Nous n’aurons pas forcément besoin dans l’immédiat de ces dispositions législatives, tant l’urgence est grande d’agir efficacement contre les copropriétés dégradées. J’ai demandé aux préfets de nous transmettre, ville par ville, la situation des copropriétés les plus dégradées, puis, en deuxième rideau, de celles qui vont le devenir, afin que nous puissions agir notamment avec l’Agence nationale de l’habitat et l’Agence nationale pour la rénovation urbaine le plus rapidement possible.

Les amendements adoptés par votre commission sont intéressants. Dans l’esprit de coconstruction qui est le nôtre, ils sont directement versés aux travaux en cours, animés par la Chancellerie et le Gouvernement.

M. Jacques Mézard, ministre. C’est un sujet sur lequel il est difficile de ne pas procéder à une telle coordination avec la Chancellerie, car il relève en grande partie du droit civil.

Quoi qu’il en soit, j’ai la volonté que nous aboutissions, et je sais que l’objectif est commun. La question est de trouver le moyen d’y parvenir. Si le Gouvernement maintient sa position initiale, je prendrai devant vous des engagements sur la méthode que nous pourrons adopter pour que le Sénat soit directement et constamment associé à cette évolution.

Nous aurons également des discussions autour de la question majeure du traitement des copropriétés dégradées par les collectivités locales. J’étais vendredi à Marseille, et j’ai pu échanger sur ce sujet particulièrement important avec les différents acteurs.

Je conclurai sur le numérique, sujet qu’a particulièrement porté, avec talent et conviction, M. le secrétaire d’État Julien Denormandie.

Le projet de loi comporte un volet lié aux simplifications dans le déploiement du numérique au profit de tous les territoires. Vous le savez, l’accès à la téléphonie mobile et à une connexion internet de qualité est une attente forte de nos concitoyens et nécessite le déploiement de nouvelles infrastructures. Or le délai moyen d’installation d’un pylône ou d’une antenne est en France de vingt-quatre mois, très supérieur à tout ce que l’on constate chez nos voisins européens. Une partie de ces délais est imputable à la réglementation et aux procédures imposées aux opérateurs. Nous avons obtenu d’eux un effort d’accélération inédit, puisque chaque opérateur s’est engagé, sous peine de sanctions, à déployer des milliers de pylônes supplémentaires à ses frais, dont 5 000 pour apporter la téléphonie mobile là où elle est actuellement absente ou insuffisante.

S’agissant des mesures de simplification qui vous sont proposées, nous avons veillé à ce qu’elles permettent l’accélération de ces installations, parfois pour une durée limitée à celle de l’accord, tout en respectant le droit légitime à l’information des maires et des habitants des communes concernées. Je ne doute pas, là encore, que nos débats viendront enrichir le texte actuel en veillant à préserver cet équilibre indispensable entre le désenclavement numérique de nos territoires, qui est vivement demandé sur tous ces territoires en retard – ce n’est pas leur faute –, et le respect des prérogatives des élus dans l’aménagement de leur territoire.

Mesdames, messieurs les sénateurs, voilà quels sont les objectifs du Gouvernement dans le cadre du projet de loi ÉLAN.

L’objectif principal, je l’ai dit au début de mon intervention, est de simplifier, d’accélérer un certain nombre de procédures et de tenir compte des évolutions sociétales pour faciliter la construction dans ce pays. C’est le changement le plus évident par rapport à un certain nombre de dispositions législatives antérieures. Je le redis, je ne fais aucunement le procès de ce qui a pu être voté et mis en application sous les précédents gouvernements. Nous avons essayé de tirer le bilan de ce qui fonctionnait, de ce qui pouvait être accéléré et de ce qui devait correspondre aux évolutions sociétales qui impactent le quotidien des Français. Le véritable sens de ce texte, qui s’adresse à nos concitoyens, c’est de leur rendre la vie plus facile. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – M. André Gattolin et Mme Colette Mélot applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, construire plus, mieux et moins cher, améliorer le cadre de vie, répondre aux besoins de chacun et favoriser la mixité sociale : difficile de faire moins consensuel.

Si le diagnostic posé sur la crise du logement est bon, le texte n’apporte pas toutes les réponses appropriées, qui plus est dans un contexte qui voit toute la chaîne de production du logement neuf ralentir : ventes, mises en vente et mises en chantier sont en net retrait au premier trimestre de 2018 par rapport à la même période en 2017. Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, le choc de l’offre a disparu de vos éléments de langage !

Le projet de loi est clairement travaillé par une valse-hésitation constante entre décentralisation et recentralisation. Deux visions antagonistes le portent, au risque de conduire à un produit hybride fait de compromis multiples et d’incohérences absolues.

Monsieur le secrétaire d’État, lorsque vous êtes venu devant la commission des affaires économiques, vous nous aviez assurés de votre engagement de coconstruction du texte et que vous étiez ouvert, avec M. le ministre, à toute modification ou tout autre aménagement. Mais il faut croire que votre volonté s’est sérieusement émoussée au regard des amendements déposés par le Gouvernement sur le texte qui reviennent sur les apports du Sénat. Pourtant, la commission des affaires économiques s’est attachée à en corriger les imperfections et à l’enrichir de dispositifs qu’elle a jugés essentiels à la mise en œuvre d’une politique en matière d’habitat, en s’appuyant notamment sur les conclusions de la conférence de consensus sur le logement. Elle a été particulièrement attentive à la place des collectivités territoriales dans la mise en œuvre des politiques locales de l’habitat et, plus spécialement, au rôle des maires. Elle s’est opposée à la recentralisation des dispositifs au profit de l’État, car il existe encore trop souvent des injonctions nationales et des pratiques descendantes très éloignées des préoccupations et des besoins des territoires.

Les opérations d’aménagement d’ampleur ne peuvent se réaliser sans les communes. Dans les périmètres des grandes opérations d’urbanisme prévues par des projets partenariaux d’aménagement, la commission a réintroduit l’accord des maires.

Mme Victoire Jasmin. Très bien !

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. Pour lutter contre le phénomène de vacance de locaux, la commission s’est attachée à encourager les initiatives locales. Ainsi, elle a prolongé jusqu’en 2023 le dispositif volontaire et contractuel de mise à disposition de locaux vacants par leurs propriétaires en vue de la création de places de logement temporaire. La priorité doit rester le logement ! Dans cette optique, la commission a mieux encadré les conditions de réquisition des locaux à des fins d’hébergement d’urgence, dans le respect du droit de propriété.

En ce qui concerne la procédure d’avis des architectes des Bâtiments de France, la commission a considéré que le texte issu de l’Assemblée nationale offrait un consensus équilibré au service de la couverture numérique du territoire et de lutte contre l’habitat indigne.

Le Sénat, vous le savez, se fait depuis longtemps le relais du besoin d’adaptation des règles de constructibilité en zones littorale et agricole. Dans la lignée de la proposition de loi de Michel Vaspart relative au développement durable des territoires littoraux et de celle de Jacques Genest visant à relancer la construction en milieu rural, la commission a poursuivi la territorialisation des prescriptions de la loi Littoral et l’assouplissement de la règle d’inconstructibilité des zones non urbanisées. Ces mesures faciliteront notamment l’implantation d’annexes, d’équipements collectifs et d’activités de cultures marines. Ce sont des enjeux d’une importance centrale pour le développement démographique, touristique et économique de nos territoires ruraux et littoraux.

Le volet relatif à la réorganisation du secteur social n’est que la conséquence des mesures budgétaires de l’automne dernier prises brutalement et unilatéralement, qui ont mis plus qu’à la diète le secteur HLM. Nombre de mesures ne sont que de l’habillage ouvrant à terme la porte à des capitaux privés avec le risque d’une hausse des loyers et l’éviction des plus modestes.

M. Marc Daunis. Absolument !

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. Pour autant, la commission n’a pas souhaité remettre en cause les dispositions relatives à la restructuration du secteur social, dont chacun a admis la nécessité. En revanche, elle a apporté des modifications dans sa mise en œuvre en abaissant les seuils en deçà desquels le regroupement de bailleurs sociaux est obligatoire à 10 000 logements gérés et à 25 millions d’euros de chiffre d’affaires. Ces seuils nous ont paru plus en adéquation avec la situation des bailleurs. Elle a également clarifié les règles d’appartenance à un groupe de logement social, interdisant la double appartenance simultanée à deux groupes d’organismes de logement social. Il nous a paru incohérent de placer les organismes dans des situations insolubles où ils devraient choisir entre les orientations incompatibles de leurs groupes de rattachement.

La vente de 40 000 logements sociaux voulue par le Gouvernement est quasi impossible à atteindre, tout le monde, sauf le Gouvernement, le reconnaît. La commission n’est pas opposée à la vente des logements sociaux, mais pas à n’importe quelles conditions. Le maire ne peut pas être laissé de côté. On ne peut pas lui demander de construire plus de logements sociaux dans le cadre de la loi SRU et, dans le même temps, ne pas lui donner les moyens d’atteindre cet objectif. Nous avons donc prévu son vote conforme sur la vente de logements sociaux.

M. Bruno Retailleau. Très bien !

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. La loi SRU est effectivement la grande absente du projet de loi, puisque seul l’article 46 prévoit d’allonger le décompte des logements sociaux vendus de cinq à dix ans. La commission a adopté plusieurs mesures pour faciliter l’atteinte des objectifs de construction de logements sociaux.

Le calendrier actuel est intenable. Si les obligations de la loi SRU ont bien impulsé la dynamique recherchée, l’application uniforme de ce dispositif centralisé apparaît aujourd’hui comme un frein.

Combien de temps, messieurs les ministres, allez-vous fermer les yeux sur cette réalité ? La commission a décidé de prolonger les obligations de réalisation de logements sociaux de 2025 à 2031, ce desserrement devant permettre aux communes de réaliser la construction de logements sociaux à un rythme plus soutenable tout en maintenant l’objectif de 25 %. Un calendrier de rattrapage spécifique a été instauré pour les communes « entrantes », les communes nouvelles, qui bénéficieront ainsi de la même durée que les communes actuelles pour réaliser leurs objectifs de construction de logements sociaux.

Une expérimentation a été proposée avec la mise en place d’un contrat d’objectifs et de moyens. La liste des logements sociaux décomptés a été complétée de façon restreinte par l’ajout des logements occupés par un titulaire d’un PSLA, un prêt social location-accession, des logements objets d’un bail réel solidaire et des places d’hébergement d’urgence. Ces mesures pragmatiques et réalistes permettront aux maires de respecter leurs obligations de construction de logements sociaux dans de bonnes conditions, sans les décourager, ni démolir la loi SRU, monsieur le ministre.

Autre sujet oublié du texte : les relations entre bailleurs et locataires. La commission a souhaité rééquilibrer ces relations, notamment en facilitant la délivrance du congé en cas d’acquisition d’un logement occupé, ou encore en unifiant à deux mois le délai de préavis donné par un locataire, sauf lorsque l’état de santé ou la situation économique du locataire le justifie.

La copropriété est un sujet qui touche au quotidien de nos concitoyens. Il ne peut être traité via une habilitation à légiférer par ordonnances. La commission a donc adopté plusieurs mesures modifiant les règles de copropriété qui permettront une première amélioration de son fonctionnement.

Les squats de logements se développent, vous le savez. Nous ne pouvons rester indifférents. C’est pourquoi nous avons renforcé de nouveau le dispositif de lutte contre les squatteurs, trois ans après l’examen de la proposition de loi sénatoriale tendant à préciser l’infraction de violation de domicile, en prévoyant que les locaux à usage d’habitation bénéficieront des mêmes mesures de protection que le domicile des personnes.

M. Bruno Retailleau. Très bien !

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. La commission a également contribué au renforcement de l’efficacité du dispositif de lutte contre l’habitat indigne et les marchands de sommeil. Nous avons rendu plus efficaces les permis de louer et de diviser en donnant au maire l’accès au casier judiciaire des demandeurs. Nous avons étendu aux agents immobiliers l’obligation de déclarer au procureur de la République les suspicions d’activités de « marchands de sommeil ». Considérant qu’une ligne rouge avait été franchie, la commission a enfin supprimé deux points de l’ordonnance relative aux polices de lutte contre l’habitat indigne.

S’agissant des dispositions destinées à assurer la revitalisation des centres-villes et centres-bourgs, nous avons repris la quasi-intégralité des mesures non fiscales adoptées dans le cadre de la proposition de loi présentée par Rémy Pointereau et Martial Bourquin.

M. Rémy Pointereau. Très bien !

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. Enfin, s’agissant du volet relatif au déploiement des réseaux numériques, la commission a souhaité, avec la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, aller plus loin que le projet de loi issu de l’Assemblée nationale afin de répondre aux attentes de nos concitoyens en la matière, sans pour autant priver les maires de leurs prérogatives. Elle a notamment répondu à une forte demande des élus de montagne comme des opérateurs, en insérant explicitement dans la loi une dérogation au principe de construction en continuité d’urbanisme en zone de montagne. Elle a également entendu crédibiliser les engagements des opérateurs en renforçant les sanctions encourues en cas de manquement à ces engagements et en étendant leur champ d’application.

Sous le bénéfice de ces observations, je vous propose, mes chers collègues, d’adopter le texte tel que la commission l’a modifié. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)

M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur pour avis de la commission de la culture, de léducation et de la communication. Je viens effectivement à cette tribune, monsieur le ministre, défendre une cause.

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, c’est dans le but de créer un choc de l’offre et de libérer les contraintes pesant sur le secteur de la construction que le projet de loi ÉLAN comporte un certain nombre de dispositions visant à simplifier les normes et les procédures d’urbanisme. Parmi ces règles auxquelles le projet de loi apporte des modifications, ou qu’il prévoit d’assouplir, figurent plusieurs dispositions destinées à favoriser la création architecturale et la protection du patrimoine. Sur certaines d’entre elles, le Parlement s’est prononcé voilà moins de deux ans au travers de la loi LCAP, la loi relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine.

Face à l’ampleur de la crise du logement que connaît notre pays, je comprends parfaitement le souhait de vouloir donner aux entreprises et aux acteurs les capacités d’inventer des solutions nouvelles, de réduire les délais de production de logements, de construire et de rénover davantage. Faut-il pour autant prendre le risque de remettre en cause la qualité architecturale et la mise en valeur du patrimoine, deux éléments pourtant indispensables à l’attractivité de nos territoires et à la qualité de vie ?

Je suis conscient que le sujet est sensible, tant nous sommes tiraillés entre plusieurs objectifs d’intérêt général, aussi louables les uns que les autres, mais qui entrent en contradiction entre eux. Le débat n’est pas nouveau. En 1962, lorsqu’il a présenté devant le Parlement le projet de loi qui allait porter son nom, André Malraux pointait déjà du doigt ce paradoxe, évoquant la nécessité « de concilier deux impératifs qui peuvent paraître opposés : conserver notre patrimoine architectural et historique et améliorer les conditions de vie […] des Français ».

M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur pour avis de la commission de la culture. Alors même que la situation en matière de logement était plus tendue encore à l’époque qu’aujourd’hui, c’était la volonté de trouver le point d’équilibre entre ces différents principes apparemment contraires qui animait André Malraux. Tel n’est malheureusement pas l’objectif du projet de loi ÉLAN, qui semble davantage faire primer la construction de logements sur toute autre considération d’intérêt général, comme le laisse à penser l’étude d’impact.

Mme Cécile Cukierman. C’est vrai !

M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur pour avis de la commission de la culture. Or le risque de cette orientation, c’est de nous faire répéter les erreurs d’urbanisme d’après-guerre, dont nous payons encore aujourd’hui le prix.

C’est pour mettre un terme aux errements de cette période que la loi Malraux de 1962 dans le domaine du patrimoine, la loi du 3 janvier 1977 sur l’architecture ou la loi MOP, la loi relative à la maîtrise d’ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d’œuvre privée, du 12 juillet 1985 ont été votées. Ce sont ces mêmes lois que le projet de loi ÉLAN prévoit aujourd’hui de remettre en cause.

L’instabilité juridique que le projet de loi pourrait générer soulève d’autant plus d’inquiétudes qu’elle intervient dans des domaines où la stabilité des normes est particulièrement importante. La préservation du patrimoine est une action qui s’inscrit dans la durée et s’accommode mal des règles mouvantes.

Transformer l’avis conforme de l’architecte des Bâtiments de France en avis simple, quand bien même cette transformation resterait circonscrite à quelques cas clairement identifiés, n’est pas une décision sans conséquence. Je sais que l’ABF cristallise les crispations d’un grand nombre d’élus locaux. Je sais qu’il souffre d’une image de fonctionnaire parfois « buté » en dépit du faible nombre de refus qu’il oppose chaque année et des possibilités de recours qui existent contre ses décisions, à l’occasion desquelles les commissions régionales du patrimoine et de l’architecture, présidées par des élus, sont désormais consultées.

Le but de l’avis conforme – dois-je le rappeler ? – est de garantir que les enjeux patrimoniaux puissent aussi être pris en compte, au même titre que d’autres enjeux. Ne nous y trompons pas, les quatre cas qui nous sont soumis aujourd’hui sont loin d’être anodins et pourraient entraîner des atteintes irréversibles à notre patrimoine.

Renoncer à l’avis conforme privera certes l’ABF de sa capacité d’empêcher un projet, mais lui retirera également toute possibilité d’établir un dialogue pour permettre qu’un projet évolue dans le sens d’une meilleure conciliation de tous les intérêts en présence.

La commission de la culture vous proposera quelques amendements allant dans le sens d’une plus grande coconstruction des projets entre les élus et les ABF et d’une meilleure prévisibilité des avis de ces derniers.

Voulons-nous vraiment prendre le risque que le maire soit désormais seul et sans protection face à la pression des promoteurs de projet pour décider ? Voulons-nous vraiment ouvrir une brèche au principe de l’avis conforme pour que la liste des exceptions ne fasse que s’allonger au fil des années, au point de le vider de son sens ? Compte tenu de l’atout que représente le patrimoine pour notre pays et ses territoires, ce serait, aux yeux de la commission de la culture, une erreur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Patrick Chaize, rapporteur pour avis de la commission de laménagement du territoire et du développement durable. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable s’est saisie pour avis de vingt-sept articles du projet de loi que nous examinons aujourd’hui : onze sont relatifs à l’aménagement numérique du territoire, trois ont trait au littoral, qui prolongent les travaux effectués par la commission sur ce sujet depuis plus de cinq ans, et treize touchent à des sujets plus ponctuels concernant l’évaluation environnementale, la participation du public, la qualité de l’air intérieur ou encore l’eau et l’assainissement.

Avec ce périmètre de saisine large et des délais d’examen très contraints du texte au Sénat, la commission a fait le choix de concentrer son avis sur deux sujets au cœur de ses compétences : le volet « numérique », vous vous en doutiez, et, sur l’initiative de notre collègue Michel Vaspart, président du groupe d’études Mer et littoral, les dispositions relatives, non pas à la loi Littoral, mais à des mesures pragmatiques concernant le littoral.

Au-delà de ces éléments liminaires, je souhaite partager avec vous un constat sur la méthode : le projet de loi ÉLAN est devenu un monstre législatif.

Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, je considère que la diversité des sujets abordés, sans réelle cohérence d’ensemble, ne permet pas aux commissions permanentes compétentes du Parlement de travailler correctement. Au-delà de l’objectif de simplification, qui devrait d’ailleurs être considéré davantage comme un moyen que comme une fin en soi, l’objet du projet de loi ÉLAN est devenu difficile à cerner, ce qui nuit à la qualité du travail parlementaire.

En outre, si l’ambition affichée par le Gouvernement est grande, elle ne concerne pas tous les aspects du texte dans la même mesure. Je tiens, à cet égard, à vous témoigner ma déception à propos de la pauvreté de la partie « N » du projet de loi consacrée au numérique, qui comportait seulement quatre articles dans le projet de loi initial, sur soixante-cinq. Les discussions qui ont eu lieu sur le sujet à l’Assemblée nationale n’ont pas permis de rééquilibrer cette asymétrie, et les mesures proposées me paraissent très en deçà des besoins des acteurs du secteur.

De nombreuses lacunes demeurent, que ce soit sur la mutualisation des réseaux, le contrôle des obligations de déploiement des opérateurs ou encore sur l’évaluation de la qualité de la couverture mobile proposée à nos concitoyens. Ces sujets étaient d’ailleurs traités dans la proposition de loi tendant à sécuriser et à encourager les investissements dans les réseaux de communications électroniques à très haut débit, que j’ai déposée et qui a été adoptée, ici, au Sénat, le 6 mars 2018 sur le rapport de notre collègue Marta de Cidrac. Nous abordions aussi ces thèmes dans le rapport d’information sur le très haut débit pour tous en 2022, adopté par la commission en 2017 et que nous avons élaboré avec le président Hervé Maurey.

Pour toutes ces raisons, je me réjouis, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, que nous puissions évoquer ici, au Sénat, ces sujets avec vous. Vous connaissez l’attente des citoyens et des élus en la matière.

J’en viens à la présentation des travaux de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable sur ce texte.

La commission a adopté dix-huit amendements, dont seize sont intégrés au texte que nous examinons aujourd’hui.

Sur l’initiative de notre collègue Michel Vaspart, nous avons souhaité rendre plus opérationnelles les dispositions votées à l’Assemblée nationale concernant le littoral, en particulier sur le sujet des dents creuses dans les communes littorales, avec, comme je l’ai déjà dit, des propositions équilibrées et pragmatiques.

La commission a également souhaité renforcer le volet relatif à l’aménagement numérique du territoire avec deux objectifs : d’une part, l’accélération des déploiements des réseaux en fibre optique ; d’autre part, l’amélioration de la couverture mobile. Il faut mieux associer les collectivités territoriales pour assurer le respect des engagements souscrits par les opérateurs, que ce soit à l’échelle nationale ou locale, améliorer la transparence de l’information nécessaire au déploiement et organiser efficacement le marché des services de communications électroniques.

Nous l’avons vu encore hier, c’est en jouant collectivement que l’on peut gagner. C’est le sens des modifications apportées au texte de l’Assemblée nationale et des cinq articles additionnels insérés sur l’initiative de notre commission au sein du chapitre VI du titre IV portant sur l’amélioration du cadre de vie, qui doit contribuer à apporter à tous les Français un accès de qualité aux techniques et aux usages numériques. C’est, je crois, un élément central de la cohésion territoriale et une nécessité économique.

Sous le bénéfice de ces observations, la commission vous propose, mes chers collègues, d’adopter les articles dont elle est saisie. Prolongeons la victoire des Bleus pour que, dans le numérique aussi, la France soit demain championne du monde ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, Pierre Méhaignerie m’a dit un jour : « Pour faire une bonne politique du logement, il faut créer de la confiance. » La rapporteur au fond de ce projet de loi l’a rappelé : les derniers chiffres connus montrent une baisse significative des permis de construire et des constructions neuves au premier semestre, baisse qui se poursuivra d’ici à la fin de l’année et qui marque le début de cette crise de confiance après les annonces fiscales et financières qu’a faites le Gouvernement l’an dernier.

Tous les indicateurs nous laissent à penser que nous allons connaître dans les deux ans qui viennent non pas un choc de l’offre, mais un choc sur l’offre de logements.

Plusieurs gouvernements ont tenté de combattre cette fameuse crise du logement, due à des problèmes essentiellement démographiques. Ceux qui y ont réussi partiellement le doivent souvent à des questions de méthode. Ce fut le cas pour la loi de cohésion sociale, présentée il y a quelques années par Jean-Louis Borloo, dans un contexte de chômage aussi important qu’aujourd’hui, qui a permis d’augmenter de 50 % le nombre des constructions et de tripler le financement du logement social. Ce fut le cas également lorsque Mme Pinel proposa des mesures pragmatiques de relance du logement. Il n’y a donc pas de fatalité à la crise du logement.

Sous l’impulsion du président du Sénat, Gérard Larcher, et de vous-même, monsieur le ministre, le processus d’élaboration de ce texte a été enrichi par une démarche originale à travers la conférence de consensus, bonne initiative ayant permis d’engranger beaucoup de bonnes propositions que nous ne retrouvons pas dans les textes et les prises de position du Gouvernement.

Le président Larcher l’a dit : il faut adopter une approche pragmatique qui prenne mieux en compte les besoins et les spécificités des contraintes de tous les territoires, et il y a urgence à simplifier les nouveaux dispositifs.

Force est de constater que le projet de loi n’est pas un texte de décentralisation – notre excellente rapporteur au fond l’a dit –, puisque, dès ses premiers articles, il prévoit de créer de nouveaux outils permettant de dessaisir le maire de ses prérogatives et d’introduire le préfet quasiment à tous les niveaux dans le cas de grandes opérations d’urbanisme, dont l’utilité reste à démontrer après l’échec retentissant des opérations d’intérêt national.

Plusieurs autres articles dénotent une méfiance certaine du Gouvernement vis-à-vis des élus locaux, en particulier des maires. Il y a donc une nécessité impérative pour le Sénat de réintroduire le rôle du maire, qui est central dans tout ce qui touche à l’utilisation et à la régulation du droit du sol.

Le projet de loi n’est pas non plus un texte de simplification, puisque, comme vous l’avez vous-même dit, il s’est encore alourdi, dépassant désormais les 200 articles après avoir commencé à 55 articles. Si on les regarde bien dans le détail, on s’aperçoit qu’aucun ne crée de nouveaux outils plus efficaces que les anciens – ils sont même toujours plus complexes –, sans même qu’on ait bien utilisé ces derniers.

Enfin, ce texte ne s’attaque pas vraiment aux deux contraintes majeures qui contrarient l’augmentation de la construction dans le pays : la contrainte financière, qui a fait l’objet de discussions dans la loi de finances, qui privilégie les zones tendues au détriment des villes moyennes et des territoires ruraux ; la contrainte urbanistique, j’y insiste au nom de tous ceux qui sont en train d’élaborer des PLU ou des SCOT, de plus en plus enserrés, obérés par des prescriptions environnementales toujours plus lourdes qui raréfient considérablement le foncier disponible. Certes, on peut faire du renouvellement urbain, mais cela a des limites. Il y a donc une contradiction entre vouloir construire plus et ne pas simplifier ces règles d’urbanisme.

Malgré une saisine au périmètre très large – 71 articles –, la commission des lois a fait le choix de déposer seulement 34 amendements, là aussi pour des raisons d’efficacité et de simplification.

Je ne reviendrai pas sur ce qui a été dit par nos excellents collègues Dominique Estrosi Sassone, Patrick Chaize et Jean-Pierre Leleux et insisterai sur les aspects majeurs de ce texte nous concernant.

Lorsqu’on touche au droit de la copropriété, au pouvoir de police du maire, pour ne prendre que ces exemples, il n’est pas sain, monsieur le ministre, de procéder par ordonnance et de priver ainsi le Parlement de son pouvoir législatif, alors qu’il est le garant de l’équilibre des territoires et des relations entre les propriétaires et les locataires.

En outre, nous avons proposé un amendement visant à expérimenter une mutualisation intercommunale – notre collègue Dominique Estrosi Sassone l’a fait pour l’échelle communale – pour atteindre les objectifs de la loi SRU. Il ne s’agit en rien de la détricoter, puisque l’objectif de 25 % de production de logements locatifs sociaux assigné à chaque commune continuera de s’appliquer sur le stock ; il s’agit de la rendre plus efficiente pour qu’on n’en fasse pas un épouvantail. Nous vous proposerons des dispositifs sur lesquels nous espérons avoir votre écoute.

En conclusion, je dirai que ce texte comprend plusieurs points positifs pour accélérer la construction, notamment la lutte contre les recours abusifs et la lutte contre l’habitat indigne, mais il manque un ingrédient essentiel – je l’ai dit au début, et j’en termine par là – : la confiance dans les territoires, la confiance dans les élus locaux, que nous proposons de réintroduire par plusieurs amendements, alors même que plusieurs gouvernements précédents s’étaient appuyés avec succès sur cette confiance pour réussir à résoudre la crise du logement. Mais, c’est vrai, c’était dans l’ancien monde… (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)

M. le président. Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.

Question préalable

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique
Discussion générale

M. le président. Je suis saisi, par M. Gay, Mmes Cukierman, Gréaume, Assassi, Apourceau-Poly et Brulin, MM. Gontard et Bocquet, Mme Cohen, MM. Collombat, P. Laurent et Ouzoulias, Mme Prunaud et M. Savoldelli, d’une motion n° 1.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, après engagement de la procédure accélérée, portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (n° 631, 2017-2018).

Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à M. Fabien Gay, pour la motion. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

M. Fabien Gay. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en France, 900 000 personnes sont privées de logement personnel ; 4 millions de personnes sont mal logées ; 12 millions de personnes sont fragilisées par rapport au logement, par le surpeuplement, les impayés, l’insalubrité ou la précarité énergétique. Ce sont les chiffres du rapport de la fondation Abbé-Pierre. Rappelons-nous que, derrière ces chiffres, il s’agit quand même de 15 millions de nos concitoyens.

Le Président lui-même l’a dit : personne ne peut supporter aujourd’hui, dans notre pays, que des gens dorment et meurent dans la rue. Nous ne supportons pas non plus, pour notre part, que reprenne chaque 1er avril le ballet des expulsions locatives sans relogement pour des personnes toujours plus fragilisées et précarisées, prises dans la spirale infernale du déclassement et de l’exclusion. Cela ne va nullement s’arranger avec votre politique générale.

Avec l’emploi, l’éducation et la sécurité, le logement est une priorité de nos concitoyens, du fait de la cherté et du manque de logement. Face à ce défi du mal-logement, qui ronge notre pacte républicain, il faut des réponses fortes, globales et structurantes de la part des pouvoirs publics. À l’inverse, nous avons là un texte qui prône la dérégulation, la déréglementation et la privatisation du patrimoine de la Nation.

Sur la forme, nous pouvons regretter un texte lourd, véritable patchwork de mesures, sans autre fil directeur que celui du désengagement de l’État de ce secteur d’intérêt général répondant à un droit constitutionnel.

De 66 articles initialement, ce texte a triplé à l’Assemblée nationale, et le Sénat ne l’a pas allégé. Il est aujourd’hui plus épais que le code du travail. Il est d’ailleurs à noter que, lorsqu’il s’agit de protéger les salariés, vous trouvez le code du travail trop volumineux, archaïque, alors qu’il est l’héritage d’un siècle de luttes et de conquêtes sociales. En revanche, lorsqu’il s’agit de casser notre modèle du logement unique en Europe en quelques semaines, la complexité n’est étrangement plus un problème insurmontable pour vous, l’épaisseur est même moderne, car elle est l’un des outils au service de votre politique de casse sociale.

Monsieur le ministre, reprenons en quelques mots le chemin de croix que va affronter un futur demandeur de logement social.

Une fois qu’un demandeur aura accès à un logement – sept ans en moyenne aujourd’hui à Paris –, il lui sera plus difficile de s’y maintenir par la procédure de réexamen de sa situation tous les six ans. Certes, la mobilité ne sera pas imposée, mais il sera facile de faire pression sur les locataires.

Pour les jeunes, ce sera le bail mobilité, appelé bail précarité par les associations tellement l’équilibre dans les relations entre bailleurs et locataires sera défavorable. Quel avenir pour ces jeunes qui auront disposé d’un bail mobilité de un à dix mois ? Les enchaîner pendant toutes leurs études ? Retourner chez leurs parents ? Aller engraisser les marchands de sommeil ?

Pour les personnes en situation de handicap, ce seront seulement 30 % des nouveaux logements qui seront accessibles au lieu des 100 % prévus actuellement par la loi. Pourquoi ? Pour rogner quelques mètres carrés pour des logements toujours plus petits ? Nous avons déjà perdu dix mètres carrés en dix ans.

Par contre, pour les promoteurs et autres bailleurs, c’est Noël avant l’heure. La loi MOP est largement contournée, le concours d’architecture supprimé, la loi Littoral malmenée. L’avis des architectes des Bâtiments de France est rendu simplement consultatif.

Pour faire vite, toute entrave à la construction, à la production de béton est levée par ce projet de loi, indépendamment des objectifs environnementaux, de préservation du foncier et de la qualité du bâti. Pourtant, mes chers collègues, le beau, ce doit être aussi pour le logement social, qui a été le lieu de toutes les innovations architecturales.

Vous vouliez « construire mieux, plus et moins cher ». En réalité, vous construirez moins, en plus laid, pour enrichir toujours les mêmes !

Monsieur le ministre, le logement, en France, repose sur deux jambes : l’une privée, l’autre publique. Ce modèle est unique en Europe, depuis que Mme Thatcher en a détruit la version anglaise. C’est grâce à cette jambe publique que nous avons pu répondre à l’appel de l’abbé Pierre en 1954, ou encore qu’en 2008, pendant la crise des subprimes, près de 50 000 logements ont été déstockés par les bailleurs sociaux auprès des promoteurs pour qu’ils ne mettent pas la clé sous la porte.

Votre projet de loi ampute cette jambe publique. Pourtant, pour marcher, il faut les deux jambes !

Votre projet de société, c’est la précarité de la naissance à la mort ; votre devise, c’est « la France, une chance pour chacun », comme l’a dit le Président de la République lors de l’enterrement de première classe du plan Borloo. Mais, comme quand on signe un contrat, il ne faut pas oublier de lire les petits caractères en bas : une chance pour chacun, oui, surtout, si vous êtes bien né ; pour les autres, ce sera la galère à vie !

Monsieur le ministre, la France est un pays qui a une histoire, et cette histoire se respecte. On peut être de droite ou de gauche, mais on s’inscrit dans cette histoire. Nous avons un modèle social unique, que le monde entier nous envie, héritage de luttes sociales et de compromis entre différentes forces politiques, syndicales et sociales. Nous devons en être fiers ! On peut vouloir réformer, innover, mais la France a cette histoire singulière et ne se dirigera jamais comme une start-up de la Silicon Valley.

M. Fabien Gay. En réalité, votre projet de loi apporte sa pierre à un édifice construit depuis les années soixante-dix et les lois Barre de marchandisation du logement.

Après la dernière loi de finances, qui a privé les bailleurs sociaux de près de 1,5 milliard d’euros, vous portez le coup de grâce au tissu d’HLM en les obligeant à vendre leur patrimoine, par lots, à la promotion privée.

Pour favoriser cette gestion déshumanisée du patrimoine, vous les obligez dans la droite ligne de la loi ALUR à se regrouper, portant une atteinte forte à l’impératif de proximité. Or, nous le savons toutes et tous dans nos territoires, avec les politiques de logement, c’est cette proximité, ce lien avec les populations qui est fondamental.

Vous encouragez cette vente par le décompte de ces logements pendant dix ans au titre de la loi SRU, renvoyant aux prochains mandats les nécessaires efforts de construction.

Vous supprimez la taxe d’habitation et réduisez les dotations aux collectivités, qui se trouvent aujourd’hui dans l’impossibilité de mener des politiques audacieuses en matière d’habitat.

Vous créez les conditions d’une explosion prochaine du mal-logement, en affaiblissant l’offre publique de logement déjà saturée. Près de 2 millions de personnes en attendent un aujourd’hui !

Mes chers collègues, le passage en commission au Sénat du projet de loi a permis une avancée et donné lieu à un recul : une avancée sur le rôle des maires, que ce soit en matière d’urbanisme ou d’avis pour la vente des logements sociaux sur leur territoire ; mais un recul majeur, celui du détricotage de la loi SRU. Droit dans les yeux, je vous le dis : nous ne vous laisserons pas faire ! Il est usant de devoir rappeler que la loi SRU a permis la construction de plus de 500 000 logements depuis près de vingt ans.

Ici, la majorité de droite ne veut pas parler de détricotage, alors elle emploie le mot « expérimentation ». Pourtant, la loi SRU et les obligations qui en découlent doivent être respectées. Nous ne pouvons accepter que certains élus fassent du non-respect de cette loi un argument de campagne politique, souhaitant protéger les ghettos de riches des « hordes » de pauvres.

M. Philippe Dallier. Ces élus sont très peu nombreux !

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. Oui, c’est un peu excessif !

M. Fabien Gay. Dois-je vous rappeler que, suivant le dernier décompte, 1 152 communes étaient concernées et que 649 n’ont pas rempli leur objectif, seulement 269 étant carencées ? On est donc bien loin encore d’avoir atteint les objectifs initiaux !

L’obligation républicaine de solidarité doit être respectée. La mixité et le partage des espaces sont les conditions du vivre ensemble et d’une société apaisée.

Nous souhaitons faire des propositions d’avenir pour que le logement public reste le creuset de l’égalité républicaine, l’outil de la réalisation du droit au logement et à la ville.

Premièrement : interdire les expulsions sans relogement, pratique barbare, et mettre en place une sécurité sociale du logement pour apporter de la sécurité aux locataires comme aux bailleurs.

Deuxièmement : renforcer la régulation des loyers dans le secteur privé comme public. Il faut maintenir l’encadrement des loyers, mais en permettant leur baisse effective.

Troisièmement : en finir avec les surloyers qui excluent, en relevant les plafonds d’accès au logement social pour diversifier les publics, et aussi redonner des marges de manœuvre financières aux organismes d’HLM.

Enfin, nous accordons une attention spécifique à la question foncière, obstacle majeur à la construction.

Nous proposons la création d’une agence foncière pour le logement, qui serait le support d’un domaine public du logement. L’État, garant du droit au logement, en serait propriétaire, et l’usufruit serait confié aux bailleurs. Ce patrimoine serait inaliénable et aurait vocation à reprendre du terrain sur le secteur marchand.

Pour mener ces politiques, nous souhaitons que l’État se réengage dans les aides à la pierre en réorientant l’argent des niches fiscales, qui portent le nom de tous les ministres de la ville successifs et pèsent 2 milliards d’euros dans le budget de l’État et qui sont même contestées par la Cour des comptes.

Nous souhaitons que les employeurs contribuent plus encore aux bonnes conditions par un retour du 1 % à son taux initial.

Nous voulons enfin que les maires disposent financièrement et en droit de tous les outils leur permettant de répondre à l’urgence sociale.

Avant de voter cette motion tendant à opposer la question préalable, méditons sur cette phrase de l’abbé Pierre : « Chaque fois que l’on refuse 1 milliard pour le logement, c’est 10 milliards que l’on prépare pour les tribunaux, les prisons et les asiles de fous. » (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. Serge Babary, contre la motion. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Serge Babary. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le groupe Les Républicains est contre la motion présentée par les sénateurs du groupe CRCE tendant à opposer la question préalable.

Nous partageons certaines remarques et regrettons certains aspects du projet de loi, par exemple le contournement du rôle des maires au profit des intercommunalités. Nous regrettons également que, loin de provoquer un « choc de construction », les premières décisions du Gouvernement en matière de logement ont conduit à l’effet inverse : la baisse des aides personnalisées au logement dans le logement public et la réduction de loyer de solidarité créée pour la compenser ont eu pour résultat l’abandon de projets de construction et de rénovation sur tout le territoire.

Cela étant, la commission s’est attachée à corriger le texte initial et à lui redonner du souffle. La commission des affaires économiques a ainsi rétabli le rôle du maire, a apporté des aménagements concernant la restructuration du secteur du logement social et l’attribution de logements, a introduit de nombreux dispositifs concernant la revitalisation des centres-villes et des centres-bourgs, a amélioré les conditions d’accessibilité des logements neufs, a renforcé la régulation des meublés de tourisme.

Sur la simplification des documents d’urbanisme, de nettes améliorations ont été apportées.

Sur le numérique, le texte a également été enrichi pour atteindre les objectifs de couverture du territoire.

La commission a également introduit des dispositifs sur des sujets totalement absents du texte, mais pourtant essentiels pour le logement : c’est l’exemple des relations entre bailleurs privés et locataires ou des aménagements nécessaires à la loi SRU pour que les maires atteignent dans de bonnes conditions les 25 % de logements sociaux.

Il est donc nécessaire d’examiner le projet de loi et de continuer, à travers nos débats, à l’améliorer, d’autant plus que la conférence de consensus a permis à l’ensemble des acteurs du logement de travailler et d’être associé à ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. Avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jacques Mézard, ministre. Deux jours après le 14 juillet, je viens d’entendre un feu d’artifice de contradictions. Mais bon, c’est l’usage… Au demeurant, c’était très intéressant.

Bien sûr, la situation politique a évolué depuis un an, mais je me suis bien gardé de faire le procès des gestions antérieures.

M. Xavier Iacovelli. Pour une fois !

M. Jacques Mézard, ministre. Si vous voulez, on peut reparler de la réforme territoriale, monsieur le sénateur… Reste que j’ai l’habitude d’écouter et de ne pas interrompre, contrairement à vous, parce que, manifestement, vous n’acceptez pas le débat démocratique. À chaque fois, c’est pareil avec vous !

M. Claude Malhuret. Très bien !

M. Jacques Mézard, ministre. Si la situation du logement était parfaite, cela se saurait ! Les problèmes que rencontre le logement dans notre pays ne datent pas d’un an. Je ne dis pas cela pour ne pas assumer mes responsabilités, parce que j’ai habitude de les assumer. Simplement, je considère qu’un certain nombre de sujets ont été partiellement traités : certaines mesures ont conduit à des résultats positifs, d’autres n’ont pas fonctionné. J’ai donc essayé de formuler des propositions pragmatiques et équilibrées.

On me dit que ce texte contient de plus en plus d’articles. Je constate que l’Assemblée nationale en a inséré un certain nombre et que vous en faites autant. C’est cela le débat parlementaire ! Si l’on en était resté au corpus du texte initial du Gouvernement, on m’aurait dit, à juste titre, qu’il n’y a plus de débat parlementaire, que ce n’est plus la peine de se réunir, etc. Oui, le texte a connu des évolutions, l’Assemblée nationale ayant adopté des amendements émanant de tous les groupes ! Je pense que c’est une bonne chose.

La situation politique a changé, c’est une réalité, mais, ce qui n’a pas encore changé, c’est la situation du logement de nos concitoyens dans ce pays. Je ne me réfère pas constamment à l’abbé Pierre, dont on sait l’importance qu’il a eue, mais, c’est un fait, depuis longtemps, les difficultés sont nombreuses en matière de logement dans notre pays et dans d’autres pays d’ailleurs. Pour y faire face, il faut prendre un certain nombre de dispositions.

On nous dit que nous avons restructuré le logement social, que des ponctions ont été effectuées sur les bailleurs sociaux. Pour avoir siégé un certain nombre d’années ici, j’ai souvent entendu parler des actifs de certains d’entre eux… Nous y reviendrons.

J’ai entendu et lu que le budget du nouveau programme national de renouvellement urbain était bloqué. Nous sommes en train de le débloquer, et il va passer de 5 milliards à 10 milliards d’euros. C’est acté, c’est signé, c’est une réalité !

Quant au plan Villes moyennes, il a permis de flécher avec nos partenaires – Action logement, l’Agence nationale de l’habitat et la Caisse des dépôts et consignations –, 5 milliards d’euros vers le logement. Au-delà des textes, nécessaires, il faut aussi dégager de nouveaux moyens en faveur du logement. Je fais des propositions pour aujourd’hui et demain, non pour hier.

Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur cette motion. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – M. Julien Bargeton applaudit également.)

M. le président. Personne ne demande la parole ?...

Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer la question préalable.

Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.

(La motion nest pas adoptée.)

Discussion générale (suite)

Question préalable
Dossier législatif : projet de loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique
Demande de réserve (début)

M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Claude Malhuret.

M. Claude Malhuret. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le projet de loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique traduit la stratégie quinquennale en matière de logement annoncée par le Gouvernement en septembre 2017.

Le Sénat n’a pas attendu que le texte arrive aux portes du Palais du Luxembourg pour se saisir de la question du logement. Dès l’été 2017, la conférence de consensus, initiée par Gérard Larcher, a invité l’ensemble des acteurs du secteur à se prononcer sur les principaux axes de la réforme : la place des collectivités dans la politique du logement, l’accélération de la construction, la simplification normative, la réforme du logement social, la cohésion territoriale et le dynamisme des centres-villes.

Par ailleurs, une large majorité de sénateurs a soutenu la proposition de loi initiée par Rémy Pointereau et Martial Bourquin pour lutter contre la dévitalisation des centres-villes et des centres-bourgs.

Issu d’un long travail de concertation, le texte gouvernemental comptait à l’origine 65 articles ; nous en sommes aujourd’hui à 234, qu’il nous faudra examiner, avec plus de 1 000 amendements, en l’espace de sept jours pour simplifier et libéraliser le secteur du logement.

Tout au long des discussions, le groupe Les Indépendants sera particulièrement attentif à l’équilibre qu’il nous faut trouver entre libéralisation du secteur et progrès social et environnemental. À ce titre, notre groupe a porté une disposition, adoptée en commission, qui prévoit de recueillir l’avis de la commission départementale de la nature, des paysages et des sites sur les dérogations à la loi Littoral. Nous veillerons également à ce que l’autorité des maires soit préservée en matière de politique du logement afin de respecter la diversité locale.

Pour faire face à la crise du logement, il s’agit d’abord d’aligner la stratégie de construction sur les besoins des populations et des territoires.

À travers ce texte, le Gouvernement entend maintenir le rythme de production de logements pour permettre au parc d’absorber les évolutions démographiques, en particulier dans les zones tendues. Le secteur doit faire face, si l’on y ajoute les demandes locatives et d’acquisition, à une demande d’environ 2,7 millions de logements par an. À cet effet, les grandes opérations d’urbanisme et les contrats de projet partenarial d’aménagement représentent des outils intéressants.

Nous saluons la volonté de la commission des affaires économiques du Sénat de maintenir l’avis conforme du maire comme préalable à tout transfert de compétence en matière de délivrance d’autorisation d’urbanisme.

Par ailleurs, le texte propose plusieurs dispositifs visant à lutter contre la vacance, qui renchérit le coût des logements. Il entend faciliter la conversion de bureaux en habitations et la mise à disposition de logements vacants, tout en encadrant plus strictement les modalités de réquisition des bâtiments à des fins de logement d’urgence pour préserver le droit de propriété.

Ce texte vise également à simplifier les normes applicables en matière de logement. Le Gouvernement a ainsi proposé d’instaurer un gel normatif sur la durée du quinquennat pour la construction, à l’exception du champ de la sécurité.

L’une des principales mesures de simplification prévoyait une baisse drastique des taux d’accessibilité dans l’habitat collectif neuf. Nous avions proposé de relever ce taux à 25 % en commission, mais avons été devancés par une proposition de la rapporteur allant dans le même sens. Ces redressements sont importants, non seulement pour favoriser l’inclusion sociale des personnes porteuses d’un handicap, mais aussi pour préparer la société aux conséquences sur le logement du vieillissement de la population. Il s’agit également d’accélérer les procédures de contentieux, nombreuses en matière d’urbanisme.

Les règles concernant les autorisations délivrées par les architectes des Bâtiments de France ont également été légèrement remaniées en ce qui concerne l’implantation d’antennes relais et la rénovation d’habitats insalubres ou en ruine. C’est un difficile équilibre qui a été trouvé entre la commission des affaires économiques et la commission de la culture, comme sont parfois – et non pas souvent – difficiles les relations entre maires et ABF. Mais nous savons tous qu’il y a des maires démolisseurs et des ABF butés.

Autre dimension du texte : la refonte profonde du secteur des habitations à loyer modéré contribuera à leur équilibre économique. Une nouvelle dynamique devrait voir le jour dans les parcours résidentiels sociaux, avec l’allongement de la durée de décompte dans les quotas de la loi SRU des logements sociaux vendus.

En janvier 2017, le taux de mobilité était de 6,8 % en Île-de-France, contre une moyenne nationale de près de 10 %. La baisse de la mobilité résidentielle s’est accentuée, en lien avec la crise économique, en particulier dans les grandes agglomérations. La création d’un bail mobilité devrait contribuer au développement d’une offre de logements adaptés à la diversité des situations vécues.

Troisième dimension du texte, l’amélioration du cadre de vie passe par la rénovation des passoires thermiques.

Dans le parc ancien, les réhabilitations nécessaires du chauffage ou de l’isolation sont coûteuses, notamment pour les logements datant des années soixante. Nous défendrons un amendement visant à valoriser les actions d’amélioration de la performance énergétique des bâtiments prises de façon pionnière par les acteurs du secteur tertiaire.

À travers ces dispositions, le projet de loi est un pas vers l’adaptation de notre politique de logement aux grandes évolutions de la société. Nous espérons qu’il sera, à l’issue des discussions, à la hauteur des attentes de nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)

M. le président. La parole est à M. Joël Labbé.

M. Joël Labbé. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, mon propos vient en complément de celui de Jean-Claude Requier, président du groupe du RDSE, qui interviendra dans quelques instants. J’ajoute que je ne m’exprime pas nécessairement au nom de l’ensemble du groupe, mais d’un certain nombre de ses membres, notamment sur le volet « écologie ».

Le projet de loi porte sur des questions majeures.

Le logement est un sujet fondamental pour les Françaises et les Français, pour la cohésion sociale de notre pays. Les chiffres ont déjà été rappelés : la France compte 4 millions de mal-logés ou sans domicile et 12 millions de personnes en situation fragile en matière de logement. Cette situation est particulièrement préoccupante.

De même, l’aménagement du territoire et l’urbanisme sont essentiels pour la vie des territoires, face à de nombreux enjeux, qu’il s’agisse de la désertification des campagnes, de l’effondrement de la biodiversité ou encore du réchauffement climatique.

Ce texte présente certaines avancées, mais il inspire aussi des inquiétudes.

Je citerai tout d’abord les avancées que contient le projet de loi. Pour ce qui concerne la lutte contre les marchands de sommeil, on ne peut que saluer les mesures proposées. De même, pour ce qui concerne la nécessaire transition énergétique, le texte fait un pas dans la bonne direction. Mais, en tant qu’écologistes, nous souhaitons qu’il aille plus loin. Nous ferons, à cette fin, certaines propositions.

Sur la question de l’artificialisation des sols, certaines mesures vont dans le bon sens, notamment la réhabilitation des centres-villes, qui permet d’éviter l’étalement urbain. Je souhaiterais néanmoins que le texte soit davantage mis en cohérence avec le récent plan Biodiversité et, notamment, que soit inscrit dans la loi l’objectif « zéro artificialisation nette du territoire en 2025 », annoncé par Nicolas Hulot.

J’en viens à présent aux sujets d’inquiétude.

Sur bien des aspects, ce texte part du principe que c’est le marché qui permettra de répondre aux enjeux actuels. Mais le logement n’est pas un simple bien économique, c’est un droit humain fondamental. De même, l’aménagement du territoire, la qualité des constructions et celle des paysages sont des enjeux où l’intérêt général ne recoupe pas toujours l’intérêt privé.

Sur le modèle du logement social qui est proposé, là encore, nous ne pouvons qu’exprimer certaines inquiétudes. Certes, le fait de réexaminer la situation des locataires tous les trois ans permettra une attribution plus juste des logements. Cependant, les autres mesures du texte posent question. On ne peut que s’interroger sur la vente des HLM, telle qu’elle est proposée par le projet de loi. Le risque est important de diminuer l’offre de logements sociaux, dans un contexte de baisse des recettes des organismes d’HLM. La version de la commission a, quant à elle, été bien plus loin encore. Elle porte atteinte de manière, selon nous, inacceptable à la loi SRU, laquelle est pourtant essentielle à la mixité sociale et pour l’accès au logement.

Sur la question de l’accessibilité, le texte suscite aussi des inquiétudes. Nous proposerons de rendre l’ensemble des logements réellement évolutifs, en installant un ascenseur dans toutes les constructions à étages. Les droits des personnes handicapées et le vieillissement de la population nous imposent de ne pas considérer cette problématique comme un simple surcoût. En outre, des garanties doivent être apportées aux locataires, notamment sur le bail mobilité. Nous défendrons également des amendements en ce sens.

Enfin, je citerai un enjeu sur lequel il nous faudra, dans un avenir proche, nous pencher sérieusement : celui de l’accueil des migrants. Cet accueil pourrait et devra se faire sur l’ensemble du territoire, notamment dans les communes rurales. Il s’agit là, selon nous, d’une formidable occasion de revitaliser les campagnes, où l’agriculture aura besoin de main-d’œuvre, tout en accueillant une nouvelle population avec la plus grande des humanités. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)

M. le président. La parole est à M. François Patriat. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)

M. François Patriat. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ce jour marque l’une des dernières étapes du long processus d’élaboration d’un texte essentiel pour les Français. Le projet de loi ÉLAN est en effet la traduction législative de la stratégie de logement engagée par le Gouvernement. Il est également le fruit de la méthode de La République En Marche : la concertation, l’écoute et le dialogue.

Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, depuis mai 2017, vous avez rencontré les élus des territoires, les professionnels, les acteurs associatifs du monde du logement, de l’urbanisme et du numérique. Dans le prolongement de ces premières discussions, une large conférence de consensus s’est tenue ici, sur l’initiative du Sénat et avec la bienveillance du Gouvernement. Ces consultations ont permis d’associer à la discussion du texte plus de 20 000 contributions émanant des citoyens, des professionnels du secteur ou même des parlementaires. Cette méthode de concertation et de coconstruction a été saluée par tous.

Le dialogue va donc se poursuivre dans notre hémicycle pendant les sept jours à venir. Certaines répétitions générales ont déjà eu lieu cette année. Elles permettront d’enrichir le projet de loi ÉLAN. Je pense notamment à nos débats consacrés à la proposition de loi portant pacte national de revitalisation des centres-villes et centres-bourgs, à la proposition de loi de M. Chaize sur les infrastructures numériques ou encore aux diverses propositions de loi relatives au littoral.

Le logement est l’une des préoccupations majeures des Français. Nous ne sommes pas ici pour faire une loi de plus sur le logement – il y en a eu précédemment, et j’en ai d’ailleurs examiné plusieurs –, mais pour répondre aux besoins des Français.

Chers collègues, pouvons-nous nous satisfaire de 4 millions de mal-logés aujourd’hui ? Non !

Pouvons-nous accepter que des familles vivent dans des taudis à des prix indécents ? Non !

Pouvons-nous nous satisfaire que plus de 2 millions de Français attendent encore un logement social ? Non !

Pouvons-nous accepter que deux jeunes adultes sur trois habitent encore chez leurs parents et renoncent à des opportunités professionnelles parce qu’ils ne trouvent pas de logement ? Non !

Pouvons-nous accepter qu’il y ait toujours, dans notre pays, des zones grises et blanches où les Français ne sont pas connectés au très haut débit ? Non !

Nous sommes d’accord : une réforme ambitieuse est aujourd’hui nécessaire. Nous devons apporter des réponses concrètes à des problèmes concrets. C’est dans ce cadre, celui d’une méthodologie éprouvée et d’une réforme ambitieuse, que s’inscrit le projet de loi ÉLAN. Ce texte vise deux objectifs principaux.

Le premier est de protéger afin de donner plus à ceux qui ont moins. Il s’agit de renforcer le modèle du logement social, de favoriser la mobilité dans le parc social et de rendre plus transparentes les attributions de logements par les commissions, de lutter enfin contre l’habitat indigne.

Le second objectif est de libérer pour responsabiliser. Il faut offrir de nouvelles opportunités en facilitant la démarche de construction tout en responsabilisant les acteurs du logement quant aux objectifs à atteindre pour construire et rénover plus de bâtiments.

Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, finalement, le projet de loi ÉLAN s’inscrit dans la volonté de préserver la cohésion entre nos territoires, au cœur de la mission qui vous a été confiée par le Président de la République : donner à toutes et à tous les mêmes chances de réussir et de s’épanouir. C’est en créant de nouvelles solidarités que nous réduirons la fracture territoriale.

Les quatre titres du présent projet de loi fixent quatre grandes orientations. Elles ont été largement enrichies par nos collègues députés.

La première orientation est de construire plus, mieux et moins cher, en donnant aux professionnels les moyens d’être plus efficaces, par exemple à travers la dématérialisation du permis de construire, mais aussi en réduisant l’insécurité juridique liée aux recours contentieux ou à la multiplication des normes. À ce titre, la pause normative prévue sur la durée du quinquennat est une excellente initiative. À force, les surcoûts engendrés par l’inflation normative ont fini par freiner la construction et l’innovation.

La deuxième orientation est de faire évoluer le secteur du logement social en regroupant les bailleurs pour mutualiser les ressources, à travers des objectifs ambitieux, il est vrai. Le but est également de simplifier le cadre juridique dans lequel ces bailleurs exercent leur mission. M. le ministre l’a déjà indiqué, l’accession à la propriété, facteur d’ascension sociale, sera aussi favorisée à travers la vente de logements sociaux.

La troisième orientation est de favoriser la mixité sociale et de mieux répondre aux besoins de chacun en rendant plus transparentes les attributions de logements sociaux, en luttant contre l’habitat indigne et en favorisant la mixité, dans les deux sens : les logements sociaux ne doivent pas devenir des ghettos de pauvres, mais accueillir des gens de niveaux sociaux différents.

Répondre aux besoins de chacun, c’est aussi favoriser la mobilité dans le parcours résidentiel et lutter contre l’assignation à résidence. Vous proposez ainsi, monsieur le ministre, de construire plus ; vous proposez de favoriser la mobilité dans le parc d’HLM ; vous proposez la mobilité sociale et professionnelle avec le bail mobilité. Ce seront des éléments essentiels, non seulement du retour à la cohésion, mais aussi de la mobilité sociale, dont nous avons besoin.

La quatrième et dernière orientation est d’améliorer le cadre de vie des Français et de réduire les fractures territoriales. Il faut, à cette fin, assurer la revitalisation des centres-villes, en créant les opérations de revitalisation des territoires, ou ORT, et, évidemment, achever la couverture numérique de notre territoire.

Comme nous pouvions le prévoir, le texte a été profondément modifié lors de son examen en commission.

Madame la rapporteur, vous avez suggéré de nombreuses évolutions, pas toujours dans le sens que nous souhaitions. Ainsi, vous avez proposé de revenir sur différents acquis. J’en soulignerai trois en particulier.

Tout d’abord, je pense à la relation entre les locataires et les propriétaires. Sous couvert d’un rééquilibrage, ce sont finalement les locataires qui vont pâtir des mesures que vous défendez. Pour notre part, nous refusons d’ajouter, dans le contrat de location, la clause pénale qu’avait supprimée la loi ALUR, et nous nous opposons à la suppression des délais de délivrance du congé donné au locataire en cas de vente.

Ensuite, en matière d’attribution de logements sociaux, nous souhaitons maintenir deux obligations phares de la loi Égalité et citoyenneté que vous avez supprimées : réintroduire l’obligation de consacrer au moins 25 % des attributions aux ménages les plus pauvres, hors quartiers prioritaires de la politique de la ville, et revenir sur la suppression de la délégation du contingent préfectoral.

Enfin, le groupe La République En Marche soutient le souhait du Gouvernement de ne pas modifier l’équilibre actuel de la loi SRU. M. le ministre l’a rappelé, cette loi de 2000 est un outil de mixité sociale qui fonctionne bien au regard des quelque 250 communes carencées.

M. le président. Il faut conclure !

M. François Patriat. Certains problèmes demeurent à la marge, mais sont généralement réglés par les préfets. Il importe de garder ce cadre général pour construire du logement social. C’est pourquoi nous nous opposerons aux mesures d’assouplissement et d’expérimentation adoptées en commission.

Mes chers collègues, ne soyons pas dogmatiques, ne faisons pas la loi au travers d’exemples personnels : l’enjeu est trop important pour nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – M. Jean-Claude Requier applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.

Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la question du logement est aujourd’hui fondatrice et structurante : il s’agit de savoir dans quelle société nous voulons vivre.

Avoir un toit, est-ce encore un droit ? Telle est la question, quand on voit que vous considérez le logement comme un produit marchand, source de spéculation, de placements et de stratégies financières.

L’habitat, ce n’est pas simplement un produit pour promoteur ou une source de revenus pour ceux qui ont investi dans la pierre. De la qualité du logement, de sa taille, de sa configuration dans son environnement, de sa proximité avec les services publics en fonction de la mixité de l’espace dépendra, pour beaucoup, la qualité de vie de ses occupants.

Nous le savons tous : la suroccupation ou l’insalubrité des logements ont des conséquences directes sur les ménages, sur les enfants, notamment sur leur capacité à construire leur scolarité et sur leur épanouissement.

Ainsi, le logement et sa qualité ont un rôle fondamental pour l’aménagement du territoire de notre pays. Au-delà, parce qu’il a une incidence considérable sur l’épanouissement de chacune et de chacun, l’habitat joue un rôle fondamental dans le vivre en société, dans le faire ensemble.

C’est donc un texte à la hauteur des attentes de notre société que nous espérions. Or nous avons beaucoup reculé, qu’il s’agisse de la qualité du bâti ou de l’idée même de la préservation du patrimoine. En cinquante-six ans, nous sommes ainsi passés de l’exigence de la loi Malraux à la mise en place du « loto Bern »…

Sérieusement, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, on frôle le ridicule, la caricature : celle d’un nouveau monde qui confond intérêt général et ambition pour l’avenir avec une gestion à la petite semaine en mode start-up branchouille ; celle d’un Gouvernement qui confond les coups de com’ à répétition avec l’exigence d’agir pour les décennies à venir.

Le projet de loi, dans la foulée de la loi de finances pour 2018, n’a qu’un prisme : réduire l’engagement public du secteur du logement. Avec ce énième désengagement, un pactole est en perspective pour les lobbies de l’immobilier, qui gagnent ici le droit de construire plus vite, moins bien et souvent plus cher ; le droit de s’affranchir de la loi MOP et des obligations d’accessibilité. Est-ce cela, votre nouveau monde ? En l’occurrence, on est plus dans un retour vintage au début du XXe siècle que dans la volonté d’appréhender les défis du XXIe siècle.

Par ce projet de loi, le Gouvernement mène une attaque en règle contre le modèle même du logement social. En effet, le logement social, dans notre pays, repose sur trois piliers : il s’agit d’un bien public, qui fait l’objet d’une cogestion avec les habitants, au plus près du territoire, par l’intermédiaire d’organismes d’HLM à taille humaine pilotés par les élus de ce territoire.

D’un revers de main, vous revenez sur tous ces fondements. Vous obligez à la vente en masse, y compris dans les communes carencées au titre de la loi SRU, vous obligez au regroupement des offices et vous évincez les représentants des locataires de ces nouvelles structures.

Toute l’histoire de la construction sociale est ainsi mise à mal, et les offices, qui sont très fortement fragilisés, doivent compenser la diminution des APL décidée par la dernière loi de finances à hauteur de 1,5 milliard d’euros. Ces offices doivent également composer avec la quasi-suppression des aides à la pierre. Comment, demain, pourront-ils produire l’effort nécessaire pour répondre à la demande ?

Soyons clairs : la vente de logements sociaux aujourd’hui, c’est l’explosion du mal-logement demain. Ce sont des copropriétés dégradées et le patrimoine récent vendu au privé pour un plus grand retour sur investissement, notamment dans les zones les plus demandées. Or, jusqu’ici, personne n’avait osé soustraire ce patrimoine à la Nation : il s’agit là d’un bien commun financé par les subventions publiques.

Parallèlement, et dans la droite ligne des politiques de métropolisation menées depuis trente ans, tous les outils sont désormais soustraits de la main des maires, appelés à devenir de simples intendants des intercommunalités géantes. Sur ce point, nous nous félicitons du travail accompli par la commission pour redonner le pouvoir aux maires.

Avec votre projet de loi, les locataires, notamment du secteur HLM, sont dangereusement précarisés. Après avoir flexibilisé le droit du travail, vous flexibilisez le bail, par le bail mobilité. Toute volonté de régulation a été supprimée, notamment l’encadrement des loyers, ou encore la garantie universelle des loyers, qui s’est transformée en garantie spécifique VISALE. Or tous les indicateurs sont au rouge. Le poids des dépenses de logement dans le budget des ménages continue de peser trop lourd, et la rente immobilière ne faiblit pas, avec des niveaux de loyers toujours trop élevés.

Pourtant – « en même temps », devrait-on dire –, ce gouvernement n’en finit plus d’économiser sur les aides au logement. Apparemment, cet argent est plus utile pour financer les crédits d’impôt et autres niches fiscales sans même les évaluer, afin de conserver celles qui ont un effet levier et de supprimer les autres. Votre seul choix, c’est de retirer au logement public pour financer l’investissement privé sans souci des conséquences territoriales.

Bien sûr, nous regrettons que le passage en commission ait encore aggravé ce texte par une remise en cause inacceptable de la loi SRU, mettant au ban la nécessaire solidarité territoriale.

Enfin, dans ce projet de loi, on ne trouve rien sur les quartiers, malgré les propositions du plan Borloo ; rien sur les territoires ruraux et l’effort gigantesque à produire en termes de réhabilitation ; rien non plus sur les zones dites « détendues » ; rien sur l’impérieuse obligation qui est la nôtre d’apporter des solutions pour éviter des désertifications territoriales et une dégradation de l’existant ; rien sur la réimplantation de circuits courts de production de matières premières pour la construction, permettant de penser l’habitat de demain, de relever les défis environnementaux du secteur du bâtiment et de créer des emplois non délocalisables.

Alors, je le réaffirme ici fortement, nous considérons que nous avons plus que jamais besoin d’une politique publique du logement pour répondre aux besoins de nos concitoyens, des plus jeunes aux plus âgés. Ils sont près de 2 millions à attendre un logement social, près de 12 millions à souffrir d’une manière ou d’une autre du mal-logement. Pour eux, il n’y a aucun gâteau à partager : toutes les parts iront aux plus aisés, aux plus chanceux.

Par nos amendements, nous tenterons d’apporter des solutions et des pistes pour une politique du logement progressiste, humaniste, à l’inverse de votre logique de financiarisation et de privatisation de ce bien de première nécessité, de cet élément consubstantiel de la dignité qu’est le fait d’avoir un toit. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

Mme Éliane Assassi. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Valérie Létard. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)

Mme Valérie Létard. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je vous indique dès à présent que ma collègue Sonia de la Provôté viendra compléter mes propos sur les aspects d’urbanisme, notamment sur les questions relatives aux centres-villes et aux centres-bourgs.

C’est au terme d’un long processus que nous abordons aujourd’hui l’examen du projet de loi ÉLAN. Je salue à ce titre l’implication du Sénat et de son président, Gérard Larcher, à l’initiative de la conférence de consensus, qui a permis de recueillir, auprès des professionnels du logement et de l’aménagement, un nombre de propositions digne de l’ampleur du texte proposé par le Gouvernement.

Au travers des interrogations soulevées par les acteurs rencontrés lors de cette conférence comme au cours du travail préparatoire qui a suivi, de grands enjeux ont pu être identifiés, qui conditionnent l’examen du projet de loi.

Tout d’abord, la place des collectivités est rapidement apparue comme une problématique centrale. Celle-ci est en effet remise en cause tout au long du texte, et ce au profit d’une recentralisation, à rebours du discours de prise en main des politiques locales par les acteurs locaux, pourtant attendue et soutenue.

La gouvernance territoriale est essentielle. Nous défendrons des propositions en ce sens, pour que les politiques du logement et de l’habitat soient opérationnelles à une échelle pertinente sur le territoire et adaptées aux réalités locales.

Sans surprise, l’impact de la loi de finances pour 2018 et de la réduction de loyer de solidarité ne peut être occulté. Cette mesure a d’ores et déjà profondément affecté l’activité des bailleurs sociaux et le nombre de logements produits. Or le projet de loi ÉLAN ne nous semble pas permettre de remédier à l’ensemble des difficultés constatées. Les déséquilibres de production, à cause desquels les programmes locaux de l’habitat territoriaux menacent de ne pas atteindre leurs objectifs, risquent donc de s’aggraver.

Force est le constater : ce budget 2018 pose même aujourd’hui la question des moyens dont disposent les collectivités et les bailleurs pour atteindre les objectifs de l’article 55 de la loi SRU, dont nous ne voulons pas le détricotage, mais pour lequel le principe de réalité doit s’appliquer, car des distorsions et des phénomènes contradictoires se font jour.

Monsieur le ministre, nous vous rejoignons dans la volonté de réformer le secteur du logement social. Vos objectifs sont louables, et nous les approuvons. Toutefois, les moyens que vous comptez mettre en œuvre pour les atteindre ne nous paraissent, souvent, adaptés ni aux besoins des bailleurs ni aux intérêts des habitants de ces logements.

Vous proposez ainsi de regrouper les organismes de logement social afin de gagner en efficacité de gestion et de dégager des économies. Or vous risquez parfois de créer des structures surdimensionnées, sans prise avec les réalités fines de nos territoires, même si, comme vous l’avez rappelé, vous essayez d’infléchir les mesures prises.

Parfois, cette politique sera menée au détriment d’écosystèmes cohérents, efficaces dans leur gestion, et de certaines structures qui, fragilisées, pourraient se retrouver sans preneur dans les délais attendus. À ce sujet, des amendements présentés, il me semble, sur plusieurs travées devraient être pris en considération.

Vous proposez également de remédier à la baisse des aides publiques au logement en faisant de la vente du parc social un moyen de financement. Vous ouvrez ainsi la voie à une privatisation dangereuse du secteur. Vous fixez même un objectif annuel de vente de 40 000 logements sociaux par an, alors même que – vous l’avez rappelé – l’ensemble des bailleurs réunis ne dépassent pas les 8 000 ventes annuelles, faute de demande.

Par ailleurs, cette vente ne peut être menée dans une seule logique comptable, sans accompagnement des reprises de logements. Nous devons anticiper la constitution de copropriétés dégradées et être particulièrement vigilants à cet égard.

Enfin, pour faciliter la mise en œuvre de ces mesures, vous proposez de minimiser les possibilités de contrôle dont disposent les élus locaux, en particulier le maire. C’est ne faire aucun cas du rôle central des collectivités dans le financement et dans la garantie du logement social, de l’importance des communes et des EPCI pour la viabilité du système. Dominique Estrosi Sassone a d’ailleurs, à juste titre, introduit dans ce texte l’avis conforme du maire pour ce qui concerne la vente des logements sociaux : il s’agit là, à nos yeux, d’un point absolument essentiel.

Pour sa part, le groupe Union Centriste défendra une série d’amendements. Nous proposerons d’ajouter, à la convention d’utilité sociale, un volet territorial qui comprendrait non seulement un plan de vente territorialisé, mais aussi un plan de prévention des risques de copropriétés dégradées. Tout l’intérêt réside dans la signature tripartite de cette convention : il faut que les collectivités se voient remettre, à l’échelle territoriale, la mise en œuvre des politiques voulues par le Gouvernement.

Outre les dangers qu’elles impliquent pour l’avenir de l’ensemble du secteur, ces mesures s’ajoutent à d’autres évolutions récentes qui consacrent le retour de l’État central et où l’idée de coproduire les politiques publiques avec les acteurs territoriaux disparaît, qu’il s’agisse des politiques de l’habitat ou de l’aménagement du territoire.

À ce titre, la réforme d’Action logement est particulièrement révélatrice. Les mesures proposées relèvent d’une même logique, d’une même philosophie, que nous ne saurions approuver sans que certains engagements de l’État soient réintroduits.

M. le président. Il faut penser à conclure !

Mme Valérie Létard. Par souci de fluidité et de rationalisation, nous défendrons un amendement important sur ce sujet.

Je tiens à conclure en saluant le travail accompli par nos rapporteurs. Je remercie tout particulièrement Mme Estrosi Sassone des contributions qu’elle a apportées à ce texte dès l’examen en commission des affaires économiques. Bien sûr, au vu du sort réservé aux amendements que j’ai mentionnés, nous déciderons de notre vote final. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Marc Daunis. (Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain.)

M. Marc Daunis. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le projet de loi ÉLAN arrive aujourd’hui en séance publique au Sénat. Ce texte a triplé de volume depuis son passage à l’Assemblée nationale. Le temps qui m’est imparti m’interdit de faire tout commentaire au-delà de ce constat préliminaire. Il conviendra toutefois d’y revenir : l’enjeu, c’est la qualité du travail législatif que nous pouvons exercer dans de telles conditions…

Quoi qu’il en soit, nous connaissons bien ce texte, et c’est heureux eu égard aux conditions de travail que je viens d’évoquer. Déjà cet hiver, nous en avions débattu à l’occasion de la conférence de consensus sur le logement. Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, rappelez-vous l’implication et la réactivité des professionnels du secteur du logement, des associations de locataires et des élus. Ladite conférence a permis à tous les participants de s’exprimer, dans le respect de chacun, et d’identifier des lignes de convergence.

Ainsi, le rôle des élus dans la politique du logement, la simplification du droit de l’urbanisme et des normes de construction, la nécessaire mobilisation du foncier, la revitalisation des centres-villes sont autant de sujets qui font consensus, ici, au Sénat.

Le groupe socialiste avait alors affirmé ses orientations autour de trois préoccupations majeures : la nécessité d’une politique du logement au plus près des territoires, la modernisation sans altération du modèle du logement social et la qualité de vie pour tous nos concitoyens.

Permettez-moi d’associer à ce propos notre collègue Annie Guillemot, qui ne peut malheureusement pas être avec nous cette semaine pour des raisons de santé, mais qui a accompli un important travail sur ce texte, lors des auditions, à nos côtés.

Le projet de loi, notamment son titre Ier, sur lequel je concentrerai mon propos, affiche des objectifs que nous aurions pu soutenir sans aucune difficulté, tel que « construire plus, mieux et moins cher ». Néanmoins, quelques désaccords quant aux moyens nous en empêchent.

Le projet de loi propose aux collectivités de nouveaux outils de contractualisation, les PPA ou encore les GOU, pour engager des opérations d’aménagement complexes en associant tous les partenaires publics et privés.

Au-delà de la nécessaire prudence qu’il convient d’observer quand on légifère à nouveau, singulièrement dans le domaine de la construction et de l’aménagement, nous sommes favorables à ces nouveaux outils, qui vont dans le sens d’un urbanisme de projet. De même, nous sommes favorables à la cristallisation des moyens ; c’est d’ailleurs un dispositif que mon collègue Calvet et moi-même avions inclus dans la proposition de loi que nous avions présentée et que le Sénat avait adoptée à l’unanimité.

Mais le projet de loi issu de l’Assemblée nationale comporte des mesures qui contraignent et dessaisissent le maire d’une compétence majeure. Nous y sommes résolument, définitivement opposés.

Monsieur le ministre, nous aurons ce débat à propos de vos amendements. Notre conviction est qu’il faut agir dans la coconstruction et non dans la confiscation. Le transfert de la compétence « permis de construire », par exemple, est une disposition qui est contraire à l’intérêt des territoires et à l’efficacité d’une bonne mise en œuvre des politiques publiques.

De plus, ce qui pourrait s’apparenter à une méfiance envers les élus locaux, à un manque de confiance dans l’intelligence des territoires, s’accompagne d’une sorte de recentralisation rampante, voire autoritaire. Nous y reviendrons également au cours du débat. En écho à votre propos, nous vous inviterons à ne pas faire « largement » confiance aux élus locaux, mais à le faire pleinement.

Sur ce point, la commission a fait un excellent travail – je salue à mon tour l’action de Mme la rapporteur – pour redonner la main aux élus locaux et replacer les enjeux territoriaux au cœur des politiques locales de l’habitat, notamment avec l’abaissement du seuil de regroupement des organismes à 10 000 logements.

M. le président. Il faut conclure, cher collègue !

M. Marc Daunis. Pour conclure, j’indique que nous espérons que le débat permettra de consolider un équilibre entre communes, intercommunalités, politiques publiques et intérêt général. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Dallier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Philippe Dallier. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, construire plus, mieux et moins cher : voilà l’objectif affiché du projet de loi, qui ne peut cependant pas être dissocié de la dernière loi de finances.

C’est pourquoi, monsieur le ministre, vous auriez dû, à mon sens, ajouter à ce triptyque quatre mots : avec moins de moyens… En effet, depuis l’automne, les bailleurs sociaux ont fait leurs comptes : les mesures de contrepartie à la baisse des loyers adoptées en loi de finances ne compenseront pas, loin de là, la chute de leur autofinancement. Les prêts de haut de bilan de la Caisse des dépôts et consignations, le rallongement des prêts en cours ou l’enveloppe de prêts à taux bonifiés par le blocage du taux du livret A ne leur redonneront qu’une petite partie de ce que leur coûte la réduction de loyer de solidarité. De la même manière, le recentrage du prêt à taux zéro et du dispositif Pinel aura des conséquences sur le nombre de logements construits.

Construire plus, mieux et moins cher, mais avec moins de moyens : voilà donc le pari risqué du Gouvernement. Nous allons essayer pendant cette longue semaine, à travers de multiples dispositions, de redonner un peu d’oxygène au secteur, mais sans moyens budgétaires.

Vous comptez d’abord sur la réorganisation des bailleurs sociaux, dont vous attendez des économies d’échelle. C’est évidemment possible, mais à quelle hauteur ? Toute la question est là.

Quant à la vente de logements sociaux, autre mesure phare de votre réforme, l’objectif de 40 000 logements par an me semble inatteignable, malgré les montages financiers que vous imaginez, sans parler de ceux dont rêvent certains, mais qui conduiraient à une quasi-privatisation d’une partie du secteur du logement social, dont j’espère bien que nous tuerons dans l’œuf, ici, au Sénat, toute velléité.

En ce sens, je vous proposerai de supprimer la disposition issue de ce que certains ont appelé l’« amendement Monopoly », relatif à l’usufruit locatif social, étonnamment adopté sans aucun débat à l’Assemblée nationale et avec un surprenant avis favorable du Gouvernement. Depuis lors, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, vous vous êtes voulus rassurants. Dont acte ! Nous verrons au cours de nos débats ce qu’il en est réellement.

S’il est effectivement envisageable de vendre des logements sociaux, en prenant les précautions nécessaires pour protéger les locataires et les futurs acquéreurs, il serait inacceptable que cela se fasse au bénéfice d’intérêts privés profitant d’un bel effet d’aubaine : l’assèchement des finances des bailleurs, organisé par l’État lui-même. Le capital que représentent ces logements, financés en grande partie sur fonds publics, s’il peut être mobilisé, doit évidemment rester dans le giron public.

Au-delà des aspects financiers, il faut également bien mesurer le risque que la vente d’HLM représente, car, à l’évidence, les logements que l’on vendra seront les mieux situés, les mieux entretenus et ceux dont les locataires en auront les moyens. Concentrer à nouveau les ménages les plus pauvres ou en prendre le risque serait une grave erreur en matière de mixité sociale, bien sûr, mais également pour l’équilibre des budgets des bailleurs.

Espérons donc qu’ils manieront cet outil avec précaution et surtout que nos communes, en particulier les maires, seront étroitement associées aux prises de décisions, pour en limiter les conséquences.

Quant à la circulation des capitaux au sein des nouvelles entités, sociétés anonymes de coordination ou groupes, elle sera certes utile, mais ce n’est pas parce que nous aurons branché de nouveaux tuyaux que la source des financements que vous aurez contribué à réduire retrouvera son débit précédent…

Voilà pourquoi je suis persuadé qu’il ne sera pas possible de construire plus. Je doute même que nous soyons en mesure de construire demain autant qu’au cours des deux dernières années.

Je vous suggère donc, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, pour ajuster votre ambition à la situation que vous allez créer, de la limiter à cette formule : construire au moins autant, mieux et moins cher, avec moins de moyens. Si nous y parvenions, ce serait déjà un beau résultat.

Comment, en effet, ne pas s’inquiéter du nombre de logements sociaux financés en 2017 ? À 113 000, il a déjà marqué une inflexion par rapport aux 126 000 de 2016.

Chacun sait que c’est au dernier trimestre que le chiffre de l’année se construit, lorsque les dossiers sont remontés du terrain et que l’ajustement de la répartition des aides à la pierre est opéré par le FNAP. Au reste, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, cet établissement attend toujours de retrouver un président, après que le sortant a démissionné pour protester contre vos décisions de l’automne dernier : qu’attendez-vous ?

À l’évidence, à la fin de 2017, nombre de bailleurs, dans l’incertitude sur leur avenir, ont levé le pied. La période de réorganisation qui s’ouvre produira probablement les mêmes effets.

Pendant ce temps, les maires, qui portent les objectifs de construction que l’État leur assigne, par exemple au travers de l’article 55 de la loi SRU, ou ceux inscrits dans les schémas régionaux ou intercommunaux, vont se retrouver entre le marteau et l’enclume. Vente d’HLM d’un côté, opérateurs disposant de moins de moyens de l’autre, collectivités territoriales aux budgets fortement contraints : il ne faudra pas oublier, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, la part de responsabilité qui aura été la vôtre, si jamais les objectifs ne sont pas atteints.

Certes, notre pays doit réaliser des économies pour revenir à l’équilibre budgétaire et inverser enfin la courbe de la dette publique. Mais, pour ce faire, fallait-il s’attaquer ainsi, avec une telle brutalité, à ce secteur d’activité ? Je ne le crois pas.

Oui, la France consacre plus de 40 milliards d’euros par an à la politique du logement, dont près de la moitié est destinée aux aides personnelles, qui sont, je le rappelle, les aides les plus redistributives de notre système social !

Le Président de la République a appelé, lors du dernier Congrès à Versailles, à la construction de « l’État providence du XXIe siècle ». Belle formule… Mais que recouvrera-t-elle vraiment ?

En ce sens, le secteur du logement aurait dû rester une priorité. Il ne l’est plus, sauf pour Bercy, mais qui n’y voit que l’un des premiers postes d’économies possibles. Pourtant, aussi bien pour la croissance et les rentrées fiscales qu’il engendre que pour l’emploi non délocalisable qu’il procure, le secteur du logement est essentiel au dynamisme de notre économie.

Pour les Français, le logement est, comme l’emploi, une préoccupation centrale. De fait, un logement digne et abordable est l’une des conditions essentielles de la construction d’un projet de vie, l’une des conditions essentielles de la réussite scolaire des enfants des familles les plus modestes, l’une des conditions essentielles de la cohésion sociale.

La question est donc de savoir quelle place le Président de la République entend donner au logement dans le cadre de ce nouvel État providence. Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, vos premières décisions nous inquiètent plutôt.

Ainsi, réduire le montant des aides personnelles, comme vous vous apprêtez à le faire de nouveau, pour près de 1 milliard d’euros, si j’ai bien compris, dans la prochaine loi de finances, serait prendre le risque d’aggraver les difficultés des ménages les plus pauvres.

M. Xavier Iacovelli. C’est vrai !

M. Philippe Dallier. L’autre moitié de ces 40 milliards d’euros est consacrée, directement ou indirectement, aux aides à la construction. Les réduire, c’est prendre le risque de voir chuter le nombre de logements construits, y compris en accession à la propriété, car, aujourd’hui, de nombreuses opérations sont mixtes ; c’est pénaliser la classe moyenne, qui est déjà la grande oubliée de votre politique depuis le début de ce quinquennat.

Un mot, pour terminer, de l’article 55 de la loi SRU.

Tout le monde sait – en tout cas ceux qui ont un jour exercé des responsabilités locales – que l’objectif de 25 % de logements sociaux en 2025 est inatteignable pour nombre de communes, même pour celles qui ont jusqu’ici parfaitement respecté la loi et n’ont donc jamais été carencées.

Un rapport du Conseil général de l’environnement et du développement durable, daté de 2015 ne disait d’ailleurs pas autre chose : il annonce que, au terme de la période triennale en cours, dans de nombreux départements, le nombre des communes carencées sera multiplié par trois, c’est-à-dire que la part de ces communes atteindra 60 %. En conséquence, le CGEDD préconise le recrutement de fonctionnaires dans les préfectures…

M. Philippe Dallier. … pour gérer, en lieu et place des maires, le droit de préemption des communes et la mise en œuvre de toutes les sanctions prévues par la loi – vous savez qu’elles sont nombreuses. Cela, mes chers collègues, est absurde ! Lorsque la loi fixe, avec les meilleures intentions du monde, des objectifs devenus impossibles à atteindre, il faut changer la loi.

Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, êtes-vous prêts à accepter des accommodements raisonnables qui, sans dénaturer l’esprit de la loi, permettraient de l’adapter aux diverses situations de nos territoires ? Il le faut, car rien ne serait pire que de décourager définitivement les maires qui sont engagés dans la construction de logements sociaux, contrairement à la poignée de ceux qui ne veulent rien faire et le proclament haut et fort.

Notre commission a repris l’idée d’un contrat territorial plus souple, déjà promue lors de l’examen de la loi Égalité et citoyenneté, en rendant ce contrat dérogatoire et expérimental. J’espère, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, que vous irez dans ce sens.

Pour ma part, je vous présenterai un amendement visant à prendre en compte la situation des communes qui accueillent déjà de nombreuses de familles pauvres, mais qui ne disposent pas de 25 % de logements sociaux. Il en existe en Seine-Saint-Denis, comme dans le Nord et le Pas-de-Calais, en assez petit nombre au total. Ce qui distingue ces communes, c’est qu’elles sont éligibles à la dotation de solidarité urbaine et qu’elles ont parfois un taux de familles pauvres de 25 %, voire de 30 %, dans le parc locatif public et privé.

M. le président. Il vous faut conclure, mon cher collègue !

M. Philippe Dallier. Pour ces communes, une proportion de 25 % de logements sociaux reviendrait à les déstabiliser encore, d’où l’amendement que je présenterai les concernant.

J’espère sincèrement me tromper en anticipant une baisse du nombre des logements construits dans les prochaines années, car rien ne serait pire pour notre économie et pour les Français.

M. le président. Merci, cher collègue !

M. Philippe Dallier. Pourvu que vous ayez raison, pourvu que l’avenir me donne tort : je ne demande pas mieux ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)

M. le président. Mon cher collègue, vous avez largement dépassé votre temps de parole…

La parole est à M. Jean-Claude Requier.

M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’encouragement à concentrer les activités économiques dynamiques dans les métropoles a contribué, comme notre groupe l’a toujours souligné lors des réformes territoriales, à accentuer les fractures territoriales et, incidemment, la crise du logement. Cette situation illustre malheureusement l’accroissement des inégalités dans les villes et leur périphérie, comme dans la ruralité.

De façon générale, nos concitoyens aspirent à juste titre à un meilleur cadre de vie, mais également à un accès équitable aux services publics, aux transports et aux activités culturelles, quel que soit leur lieu d’habitation. Certes, quelques évolutions changent petit à petit la donne : nouvelles mobilités, télétravail, développement de l’autoentrepreneuriat, organisation par les entreprises des déplacements de leurs salariés. Autant de tendances qui réduisent les tensions sur le logement dans les grandes agglomérations. Pour autant, la succession des lois a surtout donné l’impression d’une cohésion territoriale inatteignable.

Le présent projet de loi apporte, à notre sens, des réponses pragmatiques et concrètes, qui correspondent aux attentes. J’en évoquerai quelques-unes dans le temps qui m’est imparti.

L’accès au logement passe incontestablement par un renforcement de l’offre, alors que les normes de construction ont connu une inflation de 60 % au cours de la dernière décennie. La volonté de simplifier est indispensable, afin de donner une lisibilité aux normes et de faciliter l’innovation par la numérisation.

Dans le même esprit, nous soutiendrons des mesures fortes et attendues : libération du foncier public, transformation des bureaux vacants en logements, création de grandes opérations d’urbanisme, dématérialisation de l’instruction des demandes d’autorisation d’urbanisme et lutte contre les recours abusifs.

Nous approuvons également les dispositions qui renforcent le rôle du parc social, tout en encourageant la rotation, notamment en Île-de-France.

Dans son rapport public annuel de 2017, la Cour des comptes a signalé que 48 % des ménages résidant dans les logements sociaux ne sont ni modestes ni défavorisés, ce qui tend à évincer le public prioritaire. Or cette situation concerne la moitié des ménages situés sous le seuil de pauvreté.

L’accès au logement social doit donc avoir lieu dans des conditions justes et mieux adaptées aux capacités financières des locataires. Le projet de loi va dans ce sens, en généralisant la cotation de la demande pour accroître la transparence des attributions.

Enfin, monsieur le ministre, je vous sais soucieux d’élargir l’accès à la propriété des Français, dans un contexte de mobilités accrues et de nouvelles formes de travail.

Plus globalement, le projet de loi est l’occasion d’apporter à nos concitoyens de nouvelles garanties sur un sujet au cœur de leurs préoccupations quotidiennes.

Vous l’aurez compris, notre groupe porte un regard très favorable sur ce texte, qui ne crée pas de contraintes supplémentaires et rejoint les principes que nous défendons depuis des années, dans un souci de pragmatisme et de simplification. Nous veillerons donc scrupuleusement à ce qu’il ne soit pas dénaturé. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – M. Julien Bargeton applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Rémy Pointereau. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Rémy Pointereau. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous voici réunis pour examiner le projet de loi dit ÉLAN, qui porte sur un sujet crucial pour notre société : la crise du logement. Il en découle une préoccupation à laquelle nous sommes très attachés au Sénat, représentant constitutionnel des collectivités territoriales et des territoires : la revitalisation des centres-villes, à laquelle tout un volet du projet de loi est consacré, à l’article 54. J’ajouterai, monsieur le ministre, la revitalisation des centres-bourgs. Je crois qu’il y a là un choix et un enjeu de société majeurs.

Avant tout, je tiens à remercier les différentes commissions saisies sur ce projet de loi. Je salue en particulier nos collègues rapporteurs, Dominique Estrosi Sassone, Marc-Philippe Daubresse, Jean-Pierre Leleux et Patrick Chaize, pour le travail qu’ils ont accompli. Leur tâche n’était pas facile, compte tenu du peu de temps qui nous a été accordé pour travailler sur ce projet de loi.

Monsieur le ministre, le 14 juin dernier, le Sénat a adopté à l’unanimité des suffrages exprimés, par 288 voix pour et aucune contre, la proposition de loi portant pacte national de revitalisation des centres-villes et centres-bourgs, soutenue par 240 sénateurs. Seule une partie du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe La République En Marche s’est abstenue, mais j’ose croire que cette abstention était positive…

M. Jean-Claude Requier. Elle n’était pas négative ! (Sourires.)

M. Rémy Pointereau. Quoi qu’il en soit, l’adoption unanime de ce texte est la preuve qu’il fallait s’attaquer aux fléaux qui rongent nos cœurs de ville.

M. Jacques Mézard, ministre. Nous le faisons !

M. Rémy Pointereau. Je ne reviendrai pas sur son contenu. Toutefois, avec notre collègue Martial Bourquin, coauteur de la proposition de loi, je me réjouis que la commission des affaires économiques ait inscrit dans son texte les dispositions que nous jugeons nécessaires pour mettre un terme à la culture de la périphérie et renouer avec celle de la centralité, tout en tenant compte du changement de comportement des consommateurs, qui se tournent vers le e-commerce. Bref, pour éviter, monsieur le ministre, que, comme vous le disiez, les mêmes causes ne produisent les mêmes effets…

Ces dispositions, vous les connaissez. Il s’agit d’abord de rénover en profondeur le système de régulation des implantations commerciales, grâce, notamment à une nouvelle composition des CDAC, les commissions départementales d’aménagement commercial, pour mieux représenter le tissu économique du territoire et les élus locaux. Il s’agite ensuite de réduire le seuil d’autorisation d’implantation commerciale, cette fois dans les périmètres ORT, et non OSER. Vous voyez, monsieur le ministre, que nous sommes conciliants…

M. Jacques Mézard, ministre. C’est osé…

M. Rémy Pointereau. Nous proposons aussi un processus de délivrance d’installation commerciale soumis à une étude d’impact, qui devra tenir compte du tissu économique existant.

En somme, ces mesures forment un ensemble cohérent, avec des objectifs fixés par le pacte national, au service de la reconquête de nos centres-villes au sens large – car l’enjeu n’est pas seulement commercial, mais également urbanistique. Il faut que les habitants se réapproprient les cœurs de ville, pour que ceux-ci se repeuplent.

Nous étions également dépositaires de plusieurs amendements examinés en commission. Nous avons choisi de ne proposer que des dispositions susceptibles d’être conjuguées avec celles que vous nous proposez, conformément à l’esprit de la conférence de consensus sur le logement voulue par le président du Sénat, Gérard Larcher.

Ainsi, nos dispositions visant à rééquilibrer la fiscalité entre commerces de proximité, de périphérie et électronique n’ont pas fait l’objet de nouveaux amendements, à l’exception d’une mesure, qui donnera lieu à un amendement d’appel destiné à rappeler que, sans de nouvelles recettes fiscales, nous ne pourrons absolument rien faire.

Je connais les réticences de Bercy et des commissions des finances. Simplement, je tiens à souligner que, dans le cadre de l’élaboration de notre proposition de loi, nous avons estimé les recettes de cette fiscalité à environ 1 milliard d’euros par an. Si nous les fusionnions avec le financement issu des ORT, nous serions encore mieux armés pour aider nos collectivités territoriales dans leurs projets de revitalisation. Mais, comme il a été dit lors de l’examen de notre proposition de loi, rendez-vous au prochain projet de loi de finances !

Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le Sénat est mobilisé pour faire bouger les choses. Contrairement à certaines idées reçues, nous sommes des progressistes, mais des progressistes soucieux d’aller dans le bon sens. C’est dans cet esprit que nous vous présenterons d’autres amendements.

Monsieur le ministre, ce que nous voulons par-dessus tout, c’est enrichir la future loi ÉLAN par les dispositions de notre proposition de loi, qui sont attendues et soutenues par les associations d’élus – Association des maires de France, Association des maires ruraux de France et Association des petites villes de France –, mais également par les associations professionnelles de commerçants. Ne les décevons pas !

Donnons des raisons d’espérer à nos millions de compatriotes qui vivent dans des villes et villages trop souvent délaissés et conservons la place des collectivités territoriales, plus particulièrement le rôle des maires, dans la mise en œuvre des politiques locales de l’habitat et de l’aménagement des territoires.

M. le président. Il faut conclure !

M. Rémy Pointereau. Notre volonté commune est de réanimer nos cœurs de ville. Au fond, il n’y a qu’une seule question à se poser :…

M. le président. Merci, cher collègue !

M. Rémy Pointereau. … voulons-nous vivre demain dans une ville à l’américaine, avec un centre sans vie et une périphérie faite de friches commerciales, ou dans une ville à l’européenne, avec un vrai centre-ville, du lien social et culturel et un commerce vivant et animé ? C’est cette seconde ville que nous souhaitons, au Sénat ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)

M. le président. Mes chers collègues, je demande aux orateurs de bien vouloir respecter leur temps de parole, car il nous reste une proposition de loi à examiner cet après-midi.

La parole est à Mme Sonia de la Provôté.

Mme Sonia de la Provôté. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la politique du logement est celle qui participe à toutes les politiques publiques : politiques sociales et d’inclusion, politiques d’innovation, politiques environnementales – on parle de sobriété énergétique –, politiques d’aménagement et d’équité du territoire. La politique du logement est par essence la politique d’aménagement du territoire.

Il faut donc se demander : où et comment générer la ville à travers la construction de logements ? Pour qui construit-on ? Comment répartir la population sur un territoire en tenant compte des mobilités et des infrastructures ? Comment protéger la qualité de vie en construisant du logement de qualité ?

On voit bien là le rôle primordial des collectivités territoriales et des élus locaux. C’est sur eux que s’appuient les politiques de l’habitat.

Le projet de loi ÉLAN vise à construire plus, mieux et moins cher. Son objectif apparaît essentiellement quantitatif. Mais un logement, c’est avant tout un lieu de vie intime : on s’y sent bien à condition qu’il corresponde à ses aspirations et que l’environnement vu depuis sa fenêtre, ou lorsque l’on sort de chez soi, est source de bien-être.

Voilà pourquoi les architectes et les architectes des Bâtiments de France, en liaison avec les urbanistes et les paysagistes, ont un rôle majeur à jouer en matière de construction de logements. C’est pour cela que la commission de la culture du Sénat et son rapporteur pour avis, Jean-Pierre Leleux, se sont attachés à remettre la dimension qualitative au cœur du projet de loi. En effet, construire vite et moins cher ne saurait se substituer à construire bien le paysage, qu’il soit urbain ou non. Le patrimoine, les espaces verts et publics, la qualité architecturale sont autant d’éléments nécessaires à la qualité de vie à laquelle tous nos concitoyens aspirent. Ils doivent donc être au cœur du projet.

Un élément positif est à souligner dans ce texte : il est pleinement en résonance avec la proposition de loi de nos collègues Rémy Pointereau et Martial Bourquin et aborde la dimension multifactorielle de la politique du logement pour revitaliser les centres-villes et centres-bourgs. Veiller aux commerces, aux services et à la qualité de vie est une condition essentielle pour redonner envie de vivre dans le cœur de nos villes et de nos bourgs ! Nous soutiendrons donc cette vision globale, clé d’une politique du logement réussie.

Toutefois, de grands défis se présentent encore à nous : le mal-logement, la précarité croissante, la dégradation du parc ancien à réhabiliter, la lutte contre l’étalement urbain, la désertification rurale, le vieillissement, les nouveaux besoins des familles, le retour de la nature en ville, le retour de la mixité sociale dans de nombreux quartiers, et j’en passe. Ces défis, il va bien falloir y répondre de manière globale, coordonnée et avec un financement. Ce sera forcément sur le terrain, avec les collectivités territoriales, les élus locaux, les acteurs de la construction et les habitants que cela se jouera.

Le projet de loi ÉLAN propose, certes, des outils utiles, mais qui restent partiels face à ces défis. Notre groupe, comme d’ailleurs nos collègues de toutes les autres travées, a cherché, à travers de nombreux amendements, à apporter sa pierre à l’édifice, pour une meilleure adéquation entre les besoins quantitatifs et qualitatifs des citoyens et ceux des territoires et des collectivités territoriales.

Bien construire du logement, c’est bien construire notre société et permettre à chacun de bien se construire. Je m’associe à Valérie Létard pour affirmer cet objectif au nom de notre groupe. Nous suivrons l’évolution de cette discussion avec la plus grande attention et beaucoup d’espoir. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Xavier Iacovelli. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. Xavier Iacovelli. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, tout avait bien commencé… Oui, je le dis sans ambages, tout avait – presque – bien commencé.

Lorsque, en septembre 2017, vous avez présenté, monsieur le ministre, votre stratégie pour le logement, j’ai pu constater des ambitions et des objectifs que nous avions en partage : la relance de la construction pour répondre aux besoins de logement, la rénovation urbaine pour améliorer le cadre de vie, la volonté de favoriser l’accession à la propriété dans le cadre d’un parcours résidentiel efficace. Autant de volontés partagées, parce qu’elles semblaient s’inscrire dans une logique de justice sociale.

Tout avait donc bien commencé. Mais, de la parole aux actes, il y a un long chemin, un long chemin que, bien trop souvent, le Gouvernement auquel vous appartenez ne prend pas la peine d’emprunter. Au reste, la trahison des actes sur les mots a débuté bien avant ce projet de loi ; elle s’est révélée, voilà quelques mois, dès la présentation du projet de loi de finances pour 2018 et des moyens budgétaires pour le logement : diminution des aides à la pierre, diminution des APL, suppression de l’aide aux maires bâtisseurs, déstabilisation majeure du modèle du logement social par la suppression de 70 % de la capacité d’investissement des organismes d’HLM…

Dans un pays où plus de 4 millions de personnes souffrent du mal-logement, il est inacceptable de freiner la construction de logements ! Inacceptable de demander aux plus modestes de se serrer la ceinture, quand les plus aisés bénéficient des largesses fiscales du pouvoir ! Mais cela ne semble pas vous émouvoir, puisque, comme l’a souligné M. Dallier, une nouvelle baisse de 1 milliard d’euros sur les APL serait à prévoir dans le projet de budget pour 2019.

Aujourd’hui, le projet de loi que nous examinons est vicié par l’idée centrale sur laquelle il repose : celle qui consiste à considérer la politique du logement comme une politique coûteuse pour la Nation. Partir de ce constat, c’est oublier sciemment les ressources qu’elle apporte en termes de TVA, de taxe foncière et d’activité économique.

Investir dans le logement, c’est investir pour que chacun ait un toit ; c’est investir dans le secteur du bâtiment, le premier employeur de France.

C’est donc ferrés par le dogmatisme de Bercy que nous allons débattre, alors que nous aurions pu construire ensemble des solutions de logement réconciliant humanité, solidarité et économie.

Le projet qui nous est présenté s’inscrit dans une logique de centralisme, de privatisation et de financiarisation du patrimoine français du logement social, au détriment de la mixité sociale et de l’accès au logement pour tous.

En limitant la capacité financière des bailleurs HLM et en les regroupant, monsieur le ministre, vous les contraignez à s’orienter vers le secteur privé pour emprunter. Vous autorisez la vente en bloc d’immeubles HLM, alors que vous avez avoué, la semaine dernière, que les objectifs en termes de construction de logements sociaux seront difficiles à atteindre.

Croire que vendre une HLM permettrait d’en construire trois est bel et bien un fantasme : l’expérience a toujours montré que la vente de logements HLM ne se substitue pas à l’investissement de fonds publics pour construire davantage de logements sociaux.

Aborder la thématique du logement, c’est prendre à bras-le-corps la question de la mixité sociale et le devoir républicain de garantir à tous la possibilité d’être logé.

En commission, la majorité sénatoriale l’a oublié. En dévitalisant avec méthode la loi SRU, elle a profondément attaqué cette mixité, en dépit de toute logique de justice et de bon sens économique.

Comptabilisation dans les 25 % de logements sociaux des logements provisoires, passage de 1 500 à 3 500 habitants pour l’exemption des communes en Île-de-France… Mes chers collègues, vous revenez même à vos réflexes les plus anciens, datant de 2006, quand vous proposiez la mutualisation à l’échelle de l’EPCI du reste des logements sociaux à construire par les communes. Une proposition qui avait fait se déplacer l’abbé Pierre, venu à l’Assemblée nationale à l’âge de quatre-vingt-treize ans et en fauteuil roulant pour dénoncer des amendements « inacceptables » mettant en « question l’honneur de la France ».

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur pour avis de la commission des lois. J’y étais !

M. Xavier Iacovelli. Concentrer la pauvreté dans certaines villes et dédouaner certaines autres de leur devoir de mixité sociale, voilà votre projet !

Qu’il s’agisse des 100 % de logements accessibles ou du respect de la loi SRU, vous pensez vous attaquer à des dogmes de la gauche ; mais c’est avant tout à des nécessités de notre République que vous vous attaquez.

Contrairement à ce que vous laissez penser, ces règles ne sont pas maximalistes. Des dérogations sont prévues, qui prennent en compte les réalités du terrain. Ainsi, plus de la moitié des communes françaises sont exemptées de la loi SRU, et, parmi celles qui ne respectent pas leurs obligations, 250 seulement sont déclarées carencées.

Le Conseil de l’Europe vient de condamner l’article 18 du projet de loi. De fait, seuls 6 % des logements sont accessibles. Face à cette réalité, l’accessibilité ne peut pas être réduite à des considérations techniques. Je comprends la volonté de Mme la rapporteur de trouver un compromis avec le Gouvernement, mais l’accessibilité ne peut pas faire l’objet de solutions de compromis, car elle conditionne la concrétisation des droits des personnes handicapées, mais aussi dépendantes ; elle est un préalable nécessaire à leur participation sociale. C’est pourquoi nous défendrons avec force le maintien de l’obligation de 100 % de logements accessibles.

Mmes Éliane Assassi et Michelle Meunier. Très bien !

M. Xavier Iacovelli. Nous défendrons également l’application de la loi SRU, parce que notre République a besoin de réussir le défi de la mixité sociale.

Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Justement, la loi SRU ne permet pas la mixité sociale !

M. Xavier Iacovelli. Protéger l’intégrité de la loi SRU en revenant sur ces amendements absurdes, c’est tout faire pour éviter de foncer tête baissée dans l’impasse d’une durable cohabitation entre « ghettos de riches » et « ghettos de pauvres ».

Mes chers collègues, ne devenez pas les fossoyeurs de la mixité sociale : elle est la source de notre ambition émancipatrice ; elle est le cœur de notre projet d’égalité ; elle est le ciment de notre République ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Jacques Mézard, ministre. Je tiens à remercier tous les intervenants pour leurs expressions respectives, qui ont été diverses et variées, d’opposition mais aussi de soutien – je remercie, à ce dernier titre, le groupe La République En Marche et le groupe du RDSE.

Je veux éviter toute confusion sur les objectifs du Gouvernement s’agissant de la place des maires. Comme vous, j’ai un certain nombre d’heures de vol, et je vois bien l’angle d’attaque, mais il ne correspond pas à la réalité. Je vais en donner quelques exemples.

En quoi ce texte met-il en danger le pouvoir exécutif des maires ?

Cher sénateur Daunis, je m’étonne de vous entendre faire ce procès après les soutiens forts que votre groupe a exprimés en faveur de la création du PLUI et même, d’ailleurs, à l’origine, en faveur d’un transfert total de la compétence en matière de signature des permis de construire du maire vers l’intercommunalité. Nous, nous n’avons pas souhaité toucher au pouvoir des maires en matière d’instruction et de signature des permis. Nous avons fait en sorte de le préserver !

M. Philippe Pemezec. Très bien !

M. Jacques Mézard, ministre. Cette orientation est une constante des instructions que j’ai pu donner en collaboration avec le secrétaire d’État Julien Denormandie, en dépit des demandes qui nous sont faites émanant de certaines associations d’élus, représentant un certain nombre de maires. De ce côté, donc, nous n’avons rien changé.

Que trouve-t-on dans ce texte ? La création des PPA et des grandes opérations d’urbanisme, qui ne visent que des dossiers lourds d’aménagement voulus par les collectivités locales. C’est pour faciliter le travail des collectivités locales qui le demanderont que nous avons mis en place ces dispositifs.

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur pour avis de la commission des lois. Mais que vient faire le préfet là-dedans ?

M. Jacques Mézard, ministre. Si ces mécanismes ne correspondent pas à la volonté des collectivités locales, ils ne seront pas utilisés – point à la ligne ! C’est la stricte réalité ! L’État n’imposera jamais à une collectivité – de toute façon, le texte ne le lui permet pas – …

Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Si !

M. Jacques Mézard, ministre. … de conclure un PPA. Que les choses soient très clairement dites !

M. Marc Daunis. Nous éclaircirons ce qui doit être éclairci pendant le débat !

M. Jacques Mézard, ministre. Monsieur Daunis, si vous souhaitez éclaircir, nous éclaircirons, mais vous n’êtes pas le seul, ici, à avoir de la mémoire.

Pour ce qui concerne l’avis conforme du maire avant toute vente d’HLM sur son territoire, il s’agit d’un « plus » par rapport à la situation existante. Le projet de loi ne comportait absolument aucun « moins » au regard de ladite situation. Vous proposez d’introduire un tel avis conforme, mais cette disposition n’existait pas auparavant.

S’agissant de l’avis conforme des ABF, nous proposons un « plus » demandé par beaucoup de maires, et vous n’en voulez pas. Dont acte ! En tout cas, la réalité est, en l’occurrence, que nous ne nous opposons pas au pouvoir des maires : nous voulons le faciliter – et là, curieusement, certains s’y opposent !

J’entends et je respecte toutes les explications ; quoi qu’il en soit, en aucun cas ce texte ne représente une attaque contre le pouvoir des maires. Il est tout simplement faux de défendre une telle assertion.

Je prends, pour terminer, deux exemples simples à l’appui de ma démonstration : le programme « Action cœur de ville » et le plan Villes moyennes.

Pourquoi n’avez-vous pas agi plus tôt, dis-je à ceux qui n’y trouvent pas leur compte ? Les dispositifs que nous mettons en place représentent quand même, financièrement, cent fois le poids de l’opération de revitalisation des centres-bourgs lancée il y a quelques années. Cent fois ! Ils ont donc un impact. Surtout, ces dispositifs sont entièrement confiés à la responsabilité des maires, à tel point, d’ailleurs, que le comité de projet mis en place dans chaque territoire retenu est présidé par le maire ; lorsque le préfet est à ses côtés, c’est simplement pour faciliter le travail. Le président, c’est le maire ! La démonstration est donc faite de la volonté qui est la mienne, au contraire de ce qui se dit ici ou là, de favoriser l’action des maires et d’augmenter leur capacité à réaliser leurs projets.

Pour ce qui concerne l’ANRU, l’Agence nationale pour la rénovation urbaine, les décisions qui ont été prises le 25 mai dernier par le conseil d’administration visent à accélérer le processus. Nous faisons en sorte que les maires ne soient plus convoqués pour passer des quasi-oraux où leurs projets sont jugés : nous faisons sauter cette étape ; autrement dit, nous accélérons et nous simplifions.

S’agissant des dossiers particulièrement importants, particulièrement lourds, ceux du NPNRU, le nouveau programme national de renouvellement urbain – nous venons de signer, avec nos partenaires, un accord pour doubler, de 5 milliards à 10 milliards d’euros, les fonds qui y seront consacrés –, nous allons permettre aux maires, contrairement à ce que d’aucuns allèguent, de réaliser plus vite leurs projets sans être constamment soumis à une administration tatillonne, ce qui était le cas jusqu’ici.

Voici ce que je souhaitais vous dire sur le respect du pouvoir des maires et des collectivités locales ! (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi que sur des travées du groupe La République En Marche et du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)

M. le président. La discussion générale est close.

Demande de réserve

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique
Demande de réserve (interruption de la discussion)

M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission.

Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, je demande, au nom de la commission des affaires économiques, la réserve jusqu’avant l’article 46 bis de l’article 9 bis A et de l’amendement n° 142 tendant à insérer un article additionnel après l’article 9 bis A, qui ont trait à la loi SRU. Pour des raisons de cohérence, il serait souhaitable que nous débattions de ces articles à ce moment-là.

M. le président. Je suis donc saisi d’une demande de la commission tendant à réserver jusqu’avant l’article 46 bis l’examen de l’article 9 bis A et de l’amendement n° 142 tendant à insérer un article additionnel après l’article 9 bis A.

Je rappelle que, aux termes de l’article 44, alinéa 6, du règlement, lorsqu’elle est demandée par la commission saisie au fond, la réserve est de droit, sauf opposition du Gouvernement.

Quel est l’avis du Gouvernement sur cette demande de réserve formulée par la commission ?

M. Jacques Mézard, ministre. Le Gouvernement émet bien sûr un avis favorable.

M. le président. La réserve est ordonnée.

La discussion du texte de la commission se poursuivra demain, mardi 17 juillet, à quatorze heures trente.

Demande de réserve (début)
Dossier législatif : projet de loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique
Discussion générale

4

Demandes de retour à la procédure normale pour l’examen d’un projet de loi et modification de l’ordre du jour

M. le président. Mes chers collègues, par lettres en date des 12 et 13 juillet 2018, M. Patrick Kanner, président du groupe socialiste et républicain, et Mme Éliane Assassi, présidente du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, ont demandé que le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement fédéral autrichien relatif à la réadmission des personnes en situation irrégulière soit examiné selon la procédure normale et non selon la procédure simplifiée.

En conséquence, par lettre en date de ce jour, le Gouvernement demande que ce projet de loi, dont l’examen était initialement prévu le jeudi 19 juillet, soit inscrit à l’ordre du jour du jeudi 26 juillet, à dix heures trente.

Acte est donné de ces demandes.

Dans la discussion générale, le temps attribué aux orateurs des groupes sera d’une heure.

Le délai limite pour les inscriptions de parole est fixé au mercredi 25 juillet, à quinze heures.

Il n’y a pas d’opposition ?…

Il en est ainsi décidé.

5

Candidatures à une éventuelle commission mixte paritaire

M. le président. J’informe le Sénat que des candidatures ont été publiées pour siéger au sein d’une éventuelle commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative à l’encadrement de l’utilisation du téléphone portable dans les écoles et les collèges.

Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.

6

 
Dossier législatif : proposition de loi relative à l'encadrement de l'utilisation du téléphone portable dans les établissements d'enseignement scolaire
Discussion générale (suite)

Encadrement de l’utilisation du téléphone portable dans les écoles et les collèges

Adoption en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relative à l’encadrement de l’utilisation du téléphone portable dans les écoles et les collèges (proposition n° 558, texte de la commission n° 625 rectifié, rapport n° 624).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi relative à l'encadrement de l'utilisation du téléphone portable dans les établissements d'enseignement scolaire
Question préalable

M. Jean-Michel Blanquer, ministre de léducation nationale. Monsieur le président, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je me réjouis de l’inscription à l’ordre du jour de cette proposition de loi, qui vise à interdire l’utilisation du téléphone portable dans les écoles et les collèges. Vous le savez, ce texte concrétise un engagement de campagne du Président de la République. Je suis évidemment fier, en tant que ministre de l’éducation nationale, de pouvoir mettre en œuvre cet engagement.

L’interdiction du téléphone portable répond à des enjeux à la fois éducatifs et de vie scolaire. Durant les activités d’enseignement, l’interdiction de l’usage des téléphones portables permettra de garantir aux élèves un environnement propice à l’attention, à la concentration, à la réflexion, indispensable à l’activité, à la compréhension et à la mémorisation.

Sur les temps de récréation, l’usage du téléphone portable peut s’avérer néfaste en réduisant l’activité physique et en limitant les interactions sociales entre les élèves – nous pouvons déjà en faire le constat en comparant les collèges qui ont décidé d’instaurer une telle interdiction et ceux qui ne le font pas. Cet usage peut empêcher la construction d’une sociabilité harmonieuse, essentielle au développement des enfants. Les chefs d’établissement le disent unanimement : une cour sans téléphone portable, c’est une cour où les enfants jouent, discutent, chahutent, où ils vivent leur vie d’enfant.

Par ailleurs, l’usage des téléphones portables est à l’origine d’une part importante des incivilités et des perturbations dans les établissements : casses, rackets, vols. Ils servent aussi souvent de supports aux phénomènes de cyberharcèlement, lesquels exportent la violence, de surcroît, en dehors des établissements.

Les téléphones portables peuvent en outre faciliter l’accès aux images violentes et aux images pornographiques. L’interdiction de l’usage du téléphone portable constitue l’un des outils susceptibles de limiter l’exposition des plus jeunes à des images choquantes.

Sur toutes ces questions, me semble-t-il, un consensus peut se former entre nous. Bien entendu, cette mesure n’éradiquera pas le cyberharcèlement ou l’accès des jeunes aux images pornographiques ; elle contribue néanmoins à la lutte nécessaire que nous devons mener contre ces phénomènes.

Ce constat me semble aujourd’hui partagé par tous ; certains d’entre vous s’interrogent toutefois sur la nécessité de légiférer, au motif que l’interdiction du téléphone portable à l’école est d’ores et déjà en partie dans le code de l’éducation. Je souhaite répondre à cette interrogation, qui me paraît légitime.

En l’état actuel du droit, l’article L. 511-5 du code de l’éducation prévoit l’interdiction de l’usage des téléphones portables durant les heures d’enseignement et dans les lieux qui sont prévus par le règlement intérieur. Cependant, le juge administratif n’admettant pas de manière certaine la légalité d’une interdiction générale prise par le pouvoir réglementaire, et seuls les chefs d’établissement pouvant inscrire à l’ordre du jour des conseils d’administration une telle mesure sans que cela soit considéré comme un impératif, l’effectivité de cette interdiction n’est aujourd’hui pas assurée. C’est donc bien la volonté de garantir l’interdiction effective de l’utilisation du téléphone portable dans toutes les écoles et dans tous les collèges qui justifie cette proposition de loi.

Je souhaite également saluer la souplesse que permet ce texte quant à la mise en œuvre pratique de l’interdiction de l’utilisation des téléphones portables. J’y suis évidemment très sensible, en tant que ministre de l’éducation nationale.

La rédaction actuelle de l’article 1er donne la possibilité au règlement intérieur de chaque établissement de préciser les modalités de cette interdiction. Contrairement à ce qu’il m’est arrivé d’entendre, il n’est pas question d’imposer des casiers dans tous les établissements, mais, tout simplement, de permettre qu’une telle mesure puisse être mise en place. Chaque établissement, en fonction de la configuration de ses locaux et de son organisation propre, pourra définir les modalités d’application de cette interdiction, au plus près de ses spécificités.

Le ministère publiera prochainement, dès que la proposition de loi sera adoptée, un vade-mecum élaboré par les services de la DGESCO, la direction générale de l’enseignement scolaire, avec l’appui d’un groupe de travail réunissant notamment des professeurs et des chefs d’établissement, tenant compte de nos débats, pour accompagner les établissements dans la mise en œuvre concrète de cette interdiction. Ce document présentera également les bonnes pratiques.

Pour l’ensemble de ces raisons, le Gouvernement, que je représente aujourd’hui, accueille très favorablement cette proposition de loi, que je vous invite donc à adopter très largement. (M. André Gattolin et Mmes Véronique Guillotin et Colette Mélot applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Sonia de la Provôté applaudit également.)

M. Stéphane Piednoir, rapporteur de la commission de la culture, de léducation et de la communication. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne vous cacherai pas que, lorsque j’ai été nommé rapporteur de cette proposition de loi par la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, mes premières réflexions furent pour m’interroger sur le bien-fondé de ce texte.

Comme bon nombre d’entre vous, mes chers collègues, qui le diront sans doute dans quelques instants, je m’interrogeai sur la nécessité de légiférer sur un tel sujet, si ce n’est pour mettre en œuvre une promesse de campagne du Président de la République, au fort impact médiatique. L’application d’un programme électoral, fût-il présidentiel, ne me pose aucun problème. Encore faut-il que cette application corresponde à un vrai besoin, particulièrement en ces temps où l’on nous propose de réviser la Constitution, avec pour objectif, notamment, de légiférer mieux et moins.

La perception par l’opinion publique est plus nuancée qu’il n’y paraît au premier abord, et, monsieur le ministre, il ne faudrait pas interpréter l’enthousiasme général que chacun d’entre nous a pu observer, ces dernières heures, dans les rues de tout le pays comme une adhésion profonde à cette initiative. (Rires.)

Certes, les parents et les enseignants l’accueillent plutôt avec bienveillance, mais ils ne manquent pas de faire observer qu’il est plus facile d’interdire le téléphone portable dans les écoles et les collèges que dans les prisons, où leur utilisation constitue pourtant un vrai problème.

Si beaucoup d’entre vous, mes chers collègues, estiment que les dispositions de cette proposition de loi ne relèvent pas du domaine de la loi, c’est parce qu’il existe déjà des dispositions législatives à ce sujet, et que ces dispositions sont perfectibles.

Introduit par la loi Grenelle II du 12 juillet 2010, d’ailleurs sur l’initiative du Sénat, l’article L. 511-5 du code de l’éducation interdit l’utilisation par un élève du téléphone portable « durant toute activité d’enseignement et dans les lieux prévus par le règlement intérieur ». La loi de 2010 obéissait donc à une autre logique, celle de la protection des élèves des ondes électromagnétiques.

Aujourd’hui, nous sommes amenés, en quelque sorte, à revoir notre copie, mais dans une tout autre perspective, celle de la vie scolaire et de la réussite des élèves. La présence et l’utilisation dans les établissements scolaires des smartphones, qui équipent près de neuf adolescents sur dix, sont lourdes de conséquences dans la vie quotidienne desdits établissements.

D’abord, leur utilisation perturbe les enseignements et constitue un facteur d’indiscipline en classe. La sollicitation permanente des élèves a des conséquences directes sur leurs capacités d’attention et d’apprentissage : aucun élève ne peut en même temps prêter pleinement attention au professeur et envoyer des messages sur son smartphone !

Ensuite, il faut évoquer les conséquences parfois graves de l’utilisation de ces appareils : prises de vue sans consentement, harcèlement sur internet, exposition à la pornographie. Du fait de leur prix, ils sont en outre l’objet de vols et de querelles.

Enfin, alors que l’école est un lieu de sociabilité, l’usage du smartphone alimente le repli sur soi de certains élèves.

Les auditions que j’ai menées permettent de conclure que, lorsque l’utilisation des téléphones portables a été interdite dans toute l’enceinte de l’établissement, comme c’est déjà le cas dans certains endroits, cela s’est traduit par des conséquences positives tant sur les apprentissages que sur le climat et la vie scolaires.

La simplicité et la lisibilité de l’interdiction facilitent son appropriation par les élèves et leurs parents ; son extension à l’ensemble de l’établissement s’est traduite par un moindre nombre d’incidents en classe, où l’usage était déjà interdit, et par un moindre nombre de confiscations. En outre, le climat scolaire s’est amélioré, et l’on observe une plus grande socialisation entre élèves, les jeux de ballon faisant par exemple leur retour dans les cours d’école.

Pour en revenir au cadre juridique, l’article L. 511-5 du code de l’éducation, dans sa rédaction en vigueur, présente deux défauts majeurs.

Premièrement, parce qu’elle distingue les activités d’enseignement, pendant lesquelles l’utilisation du téléphone portable est interdite, des autres temps de présence dans les établissements, cette disposition ne permet pas au règlement intérieur d’interdire l’utilisation du téléphone portable de manière générale et absolue ; hors de la classe, la liberté d’usage doit demeurer la règle.

Si un grand nombre d’écoles et de collèges, dans des proportions que le ministère est incapable de mesurer, mettent en œuvre cette interdiction, la légalité de cette mesure est très fragile et, dans certaines académies, les services juridiques des rectorats s’y opposent.

Deuxièmement, parce qu’il interdit de manière absolue toute utilisation du téléphone portable pendant les activités d’enseignement, l’article L. 511-5 place les établissements et les enseignants ayant recours à ce que l’on nomme le « Bring Your Own Device », ou « BYOD », que l’on peut traduire par « apportez votre propre appareil », dans une situation d’illégalité. Cela est problématique, dans la mesure où le BYOD tend à se développer. Un certain nombre de collectivités territoriales envisagent en effet d’y recourir, afin de rompre avec les politiques d’équipement de l’ensemble des élèves, très coûteuses et souvent peu efficientes.

Se pose également la question de la confiscation, qui constitue, après la réprimande, la solution la plus courante pour mettre fin à une utilisation illicite du téléphone portable. Son cadre juridique est incertain et fait l’objet d’interprétations contradictoires. Si elle est largement pratiquée, elle n’est mentionnée dans les circulaires ministérielles que dans le cas d’objets dangereux ou toxiques, ce que ne sont évidemment pas les téléphones portables. Notons qu’il est écrit, sur le site service-public.fr, que « la confiscation du téléphone portable n’est pas autorisée ».

Les chefs d’établissement et les enseignants rencontrés nous ont fait part de leur souhait de voir sécurisées leurs pratiques et clarifié ce cadre juridique, d’autant que la confiscation est souvent la principale source de tension avec les récalcitrants.

Y avait-il urgence à légiférer sur cette question au milieu d’une session extraordinaire particulièrement chargée ? Je vous en laisserai juges, mes chers collègues.

Amenée à se prononcer sur ce texte, notre commission a pris le parti d’adopter une démarche constructive, visant à en améliorer les dispositions au nom de l’intérêt général. La proposition de loi clarifie en effet le cadre législatif de l’interdiction du téléphone portable : à l’autorisation de principe dans l’établissement assortie d’une interdiction absolue dans la classe, l’article 1er substitue une interdiction de principe dans l’établissement, le conseil d’école ou d’établissement pouvant définir des exceptions à cette règle, y compris en classe.

J’insiste sur la nécessité, à mes yeux, de renvoyer au conseil d’école ou au conseil d’administration la définition des lieux et des circonstances dans lesquels il peut être dérogé au principe d’interdiction.

M. Stéphane Piednoir, rapporteur. Ce renvoi permettra d’adapter la portée de l’interdiction au contexte de chaque établissement et, à l’occasion de la révision du règlement intérieur, de construire un consensus sur cette question au sein de la communauté éducative, consensus qui devrait faciliter l’application de la règle.

Notre commission a considéré que, en clarifiant ainsi le cadre législatif, la proposition de loi donnait une plus grande sécurité aux chefs d’établissement et aux enseignants et permettait d’envoyer un signal fort aux élèves et à leurs parents. J’espère qu’elle participera de la prise de conscience de la nécessité de construire un rapport équilibré aux écrans, en particulier pour les enfants.

Les apports de la commission de la culture obéissent à trois principes : cohérence, confiance et simplification.

Cohérence, tout d’abord : le champ de la proposition de loi est étendu aux lycées, qui ne sont évidemment pas épargnés pas les difficultés liées à l’utilisation du téléphone portable. Compte tenu de la différence d’âge et de situation, nous avons fait le choix d’un régime ad hoc, distinct de celui applicable dans le primaire et les collèges. Il s’agit d’une « autorisation d’interdire » donnée au conseil d’administration, ce qui est, vous en conviendrez, particulièrement à propos cinquante ans après mai 68.

Confiance envers les chefs d’établissement et les enseignants, ensuite : il s’agit de laisser les établissements libres de fixer les règles les plus appropriées à leur situation particulière, sans les enserrer dans une réglementation bavarde et inutilement précise. C’est en particulier le cas s’agissant de la confiscation des appareils : le texte adopté par l’Assemblée nationale entrait sur ce point dans un luxe de détails inutile et nuisible. Notre commission a entièrement réécrit ces dispositions pour n’en conserver que le principe, renvoyant ses modalités d’application aux établissements, qui sauront adapter leur règlement intérieur en fonction de leur situation.

Simplification, enfin : nous supprimons les dispositions non normatives ou ne relevant pas du domaine de la loi, ainsi que les précisions inutiles.

Cette proposition de loi somme toute modeste ne doit pas nous exonérer d’un débat plus global sur la place du numérique dans l’éducation et sur l’éducation au numérique, dont la présidente de notre commission, Catherine Morin-Desailly, a rappelé l’urgence dans son récent rapport d’information.

Dans son ouvrage Transmettre, apprendre, Marcel Gauchet observait qu’« il est impossible à l’école, au risque de se détruire, d’être complètement en phase avec le contemporain. Sa fonction de tradition lui impose d’être toujours en décalage avec les mutations sociales et techniques, ainsi d’ailleurs qu’avec l’événement […]. L’institution scolaire est dans une autre temporalité, faite de rapport au passé, d’anticipation raisonnée du futur, et de lenteur dans l’acquisition des savoirs. »

Puisse ce texte contribuer à ce que l’école demeure fidèle à sa vocation : qu’elle soit un lieu de concentration, de sociabilité et d’apaisement, où les élèves de notre pays sont mis dans les meilleures conditions pour apprendre et s’élever. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste. – Mme Colette Mélot applaudit également.)

M. le président. Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.

Question préalable

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi relative à l'encadrement de l'utilisation du téléphone portable dans les établissements d'enseignement scolaire
Discussion générale

M. le président. Je suis saisi, par MM. Lozach, Kanner, Antiste et Assouline, Mmes Blondin, Ghali et Lepage, MM. Magner et Manable, Mmes Monier et S. Robert, M. Roux et les membres du groupe socialiste et républicain, d’une motion n° 1.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur la proposition de loi relative à l’encadrement de l’utilisation du téléphone portable dans les établissements d’enseignement scolaire (n° 625, 2017-2018).

Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à Mme Claudine Lepage, pour la motion. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Mme Claudine Lepage. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les sénateurs socialistes ont déposé une motion tendant à opposer la question préalable à la proposition de loi relative à l’encadrement de l’utilisation du téléphone portable dans les écoles et les collèges, car ils estiment qu’il n’y a pas lieu de légiférer sur ce sujet. N’imaginez pas que le dépôt de cette motion traduise de notre part un excès d’angélisme : nous ne connaissons que trop les dérives, et les ravages, qu’entraîne chez les jeunes, donc chez les élèves, l’utilisation des téléphones portables. Pour la plupart des jeunes, vivre sans cet appareil est devenu impossible ; son usage immodéré constitue désormais une menace à l’ordre public scolaire.

Il apparaît néanmoins que ni le législateur ni les responsables des établissements scolaires n’ont attendu cette proposition de loi pour se saisir de la question et pour la régler, généralement de façon simple et efficace.

Mme Maryvonne Blondin. Tout à fait !

Mme Claudine Lepage. Le code de l’éducation, dans son actuel article L. 511-5, dispose que, « dans les écoles maternelles, les écoles élémentaires et les collèges, l’utilisation durant toute activité d’enseignement et dans les lieux prévus par le règlement intérieur, par un élève, d’un téléphone mobile est interdite ».

Ainsi, toute personne, au fait ou non du droit, constatera-t-elle aisément que le législateur a déjà réglé la question de l’utilisation du téléphone portable dans les établissements d’enseignement scolaire hors lycées, encadrant la réglementation et laissant aux établissements et à leurs conseils d’administration la marge d’autonomie légale pour en régler les détails via leur règlement intérieur. Il s’agit d’une solution pragmatique et équilibrée.

Quiconque a déjà participé à la vie d’un établissement scolaire, notamment en siégeant dans un conseil d’administration ou dans une commission permanente préparant ces conseils, a eu à se prononcer, à l’occasion de la modification, généralement annuelle, du règlement intérieur, sur la limitation de l’usage des téléphones portables s’appliquant aux élèves au sein de l’établissement concerné.

Dans le règlement intérieur des établissements d’enseignement secondaire, on trouve toujours plusieurs lignes prévoyant les lieux et moments auxquels s’applique l’interdiction d’usage de ces appareils et les sanctions dont est passible tout contrevenant. J’ai ainsi sous les yeux deux extraits de règlements intérieurs, dont je vais vous donner lecture.

Le premier exemple s’applique à l’ensemble d’une cité scolaire parisienne, collège et lycée. Dans la partie III, intitulée « Obligations des élèves », au chapitre 4, « Comportement », on lit ce qui suit : « Les téléphones portables doivent être éteints dans l’établissement ; leur usage est cependant toléré dans la cour. La prise de photos et de films est strictement interdite. »

Le deuxième exemple d’un règlement intérieur s’applique, cette fois, uniquement dans un collège. Dans la partie « Vivre ensemble », au chapitre consacré aux objets personnels, on lit : « L’utilisation d’un téléphone et de tout type d’appareil audio-vidéo est interdite au sein des bâtiments et durant tous les enseignements : les téléphones sont éteints dans les bâtiments. En cas d’utilisation d’un de ces appareils, celui-ci sera retiré à l’élève et sera remis à son responsable légal. »

Je précise que, dans ce deuxième cas, le règlement intérieur date de 2013. Deux ans auparavant, en 2011, dans ce même collège, le règlement intérieur portait seulement la mention suivante : « Le matériel non nécessaire aux études est déconseillé (téléphone portable, lecteur de musique, appareil photographique, etc.) et son utilisation interdite. »

Je crois avoir apporté la preuve que les établissements savent parfaitement s’organiser et, surtout, qu’ils ont modifié leur règlement intérieur en fonction de l’évolution de l’accès aux technologies et des pratiques des élèves. Les conseils d’école ont également pris des dispositions, généralement fermes, d’interdiction de l’usage des téléphones portables.

Depuis 2010 et l’introduction de l’article L. 511-5 du code de l’éducation, les chefs d’établissement ont pris conscience des dangers liés à l’usage des téléphones. Ils ont fait voter des mesures de réglementation, voire d’interdiction, de leur usage, dans le cadre des débats qui se déroulent au sein des conseils d’administration et des commissions permanentes, et auxquels participent des représentants de toutes les composantes de la communauté éducative.

Je crois donc vous avoir démontré qu’un texte visant à interdire l’utilisation des téléphones au sein des écoles et des collèges et, sur l’initiative de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat, à renvoyer aux règlements intérieurs des lycées le soin d’en interdire éventuellement l’usage, ne sert à rien, sinon à entamer l’autonomie des établissements voulue par les lois de décentralisation, ainsi que le pouvoir délibératif des organes internes des établissements et l’autorité des chefs d’établissement.

Semblant ignorer ces évidences, les auteurs de la proposition de loi nous proposent une interdiction pure et simple de l’usage des téléphones « à l’exception des lieux et des circonstances dans lesquels le règlement intérieur l’autorise expressément ».

M. Jacques Grosperrin. C’est pragmatique !

Mme Claudine Lepage. Loin de simplifier la tâche des établissements, ce nouveau dispositif inverse la logique qui prévalait pour fonder les interdictions et va complexifier la mise en place de règles claires : l’utilisation du téléphone ne sera plus interdite où et quand le règlement le prévoira mais sera, au contraire, permise où et quand le règlement le prévoira. Il est toujours beaucoup plus compliqué de prévoir des exceptions in extenso que d’établir une interdiction claire !

Je suis d’autant plus étonnée par cette proposition de loi que, à ma connaissance – j’ai entendu nombre de représentants des membres de la communauté éducative –, ni le syndicat majoritaire des personnels de direction ni les représentants des parents d’élèves n’étaient demandeurs d’une telle modification législative… Seule l’extension aux lycées de l’actuel dispositif de l’article L. 511-5 du code de l’éducation, et non la mise en œuvre du raisonnement inversé qui sous-tend le dispositif de l’article 1er, pouvait se justifier. Je ne vous ai lu qu’un seul extrait de règlement intérieur de lycée, mais, dans leur grande majorité, ils ont anticipé sur la législation.

On demande une fois de plus au Parlement de servir de caution à la communication du Gouvernement et à sa majorité ! (M. André Gattolin sesclaffe.) Le message transmis est incomplet, et donc malhonnête.

Je m’étonne également de la démagogie dont a fait preuve la majorité de l’Assemblée nationale. Sans doute conscients que le dispositif de la proposition de loi était fort contestable, les députés ont souhaité compléter le texte par plusieurs articles additionnels pour – prétendument – renforcer l’éducation à l’utilisation d’internet et des outils numériques.

Néanmoins, l’un des articles du code de l’éducation que les députés se proposaient de compléter au travers de l’article 2 était de portée bien trop générale pour qu’il y soit fait mention de l’éducation à « l’utilisation d’internet et des services de communication au public en ligne ». Sur proposition de notre rapporteur, il a fort heureusement été supprimé en commission.

Les deux autres articles ajoutés ne bouleversent en rien l’arsenal déjà prévu par le code de l’éducation pour sensibiliser les élèves et les étudiants aux dangers de l’internet.

Modifier, au travers de l’article 3, le dispositif actuel du code de l’éducation, qui prévoit déjà une formation à l’utilisation des outils numériques et de leurs contenus, ainsi qu’une sensibilisation au respect de la vie privée, aux règles relatives aux données personnelles et aux droits d’auteur et voisins, pour indiquer qu’il s’agira désormais d’une utilisation « responsable » de ces outils ou substituer à la « sensibilisation » une « éducation » aux droits et devoirs liés à l’usage d’internet et des réseaux ne révolutionnera en rien l’éducation à l’utilisation des outils d’internet et aux droits et devoirs de l’internaute. De telles modifications prêteraient presque à sourire si elles ne figuraient pas dans le texte…

On ne pourra également que s’étonner de la précision figurant à l’article 4, selon laquelle les projets d’école et d’établissement pourront prévoir des expérimentations sur « l’utilisation des outils et ressources numériques » : la nature législative d’une telle disposition n’est pas avérée et, dans la pratique, les projets d’école et d’établissement sont déjà très souvent axés autour de cette utilisation.

Ces articles introduits par l’Assemblée nationale, de portée normative extrêmement limitée, permettront vraisemblablement au législateur de se donner bonne conscience : il estimera sans doute avoir agi de façon préventive, et pas seulement de manière coercitive, par le biais du seul dispositif de l’article 1er.

Ce n’est pas ainsi que nous envisageons notre rôle de législateur ! Rien ne justifiait de demander au Parlement de travailler sur un problème certes très important, mais dont les solutions résident non pas dans la mise en œuvre d’une nouvelle loi, mais dans une application plus stricte de la loi actuelle et dans un renforcement de l’éducation parentale et de la pédagogie scolaire.

M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue !

Mme Claudine Lepage. Toutes ces raisons nous conduisent à considérer qu’il n’y a pas lieu de débattre sur la proposition de loi relative à l’encadrement de l’utilisation du téléphone portable dans les écoles et les collèges, et à demander au Sénat de bien vouloir adopter notre motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. Y a-t-il un orateur contre la motion ?...

Quel est l’avis de la commission ?

M. Stéphane Piednoir, rapporteur. Madame Lepage, je conçois que vous manifestiez un enthousiasme mesuré pour cette proposition de loi. Lors de la discussion générale, j’ai moi-même exprimé quelques réserves.

J’observe cependant que la discussion de votre motion ne fait qu’allonger un peu plus les débats alors que notre ordre du jour est déjà quelque peu chargé et que son adoption aurait pour conséquence de supprimer les apports de notre commission. Jacques Grosperrin parlait tout à l’heure de pragmatisme : c’est vraiment dans cet esprit que nous avons souhaité travailler. De mon point de vue, les améliorations permises par le travail de la commission ne sont pas insignifiantes. Le texte me paraît plus précis, plus concis aussi : nous avons ainsi supprimé une partie du dispositif des articles 3 et 4, notamment.

Je m’étonne également de la position de M. Lozach, qui a pourtant participé à certaines des auditions que j’ai conduites et qui a, comme moi, entendu les chefs d’établissement nous dire qu’ils étaient demandeurs d’une sécurisation juridique de leurs règlements intérieurs. Pour l’heure, madame Lepage, ceux-ci ne sont pas entièrement sécurisés ; les services juridiques des rectorats l’expriment ainsi !

Simplification, clarté, sécurité : telles ont été les lignes directrices de notre travail. Vous avez employé plusieurs fois le verbe « démontrer », madame Lepage : une démonstration ne peut être tout à fait correcte quand certains éléments sont omis. Vous avez ainsi oublié d’indiquer qu’il était impossible, en l’état actuel de la législation, d’interdire l’utilisation du téléphone portable dans l’intégralité de l’enceinte d’un établissement.

La commission émet évidemment un avis défavorable sur la motion.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Sans surprise, j’émettrai un avis défavorable sur cette motion. Pour justifier cet avis défavorable, je m’appuierai tout simplement sur vos propos.

Vous avez d’abord dit que l’utilisation des téléphones portables était un phénomène de société inquiétant, très préjudiciable, établissant ainsi vous-même l’exposé des motifs du texte : soyez-en remerciée !

Ensuite, vous avez affirmé qu’il s’agissait d’une opération de communication du Gouvernement. Or la moitié de votre intervention a consisté à déclarer que cette proposition de loi était néfaste substantiellement, et notamment qu’elle portait atteinte à l’autonomie des établissements. Si ce texte est substantiel, il ne peut être réduit à une pure opération de communication : il a un contenu, et son adoption changera l’ordre des choses !

Au demeurant, s’il s’agissait d’une simple opération de communication – c’est un procès qui nous a également été fait à l’Assemblée nationale –, elle serait peu réussie : je ne pense pas que nous ne ferons pas l’actualité grâce à ce texte. Il aurait été beaucoup plus simple pour moi de prendre un décret. (M. André Gattolin approuve.) Si je suis aujourd’hui devant vous, ce n’est pas par masochisme, mais pour faire suite à une analyse juridique des services du ministère. J’ai exposé tout à l’heure les raisons pour lesquelles l’intervention d’une loi est nécessaire.

Il s’agit de raisons juridiques, mais qui renvoient à des questions de fond, que vous avez vous-même abordées, de sorte que vos propos appuient là encore mon argumentation. Vous avez en effet expliqué que, avec ce texte, l’on passait d’une logique où l’utilisation des téléphones était permise, sauf interdiction expresse, à une logique d’interdiction, hors exceptions qualitatives et ciblées.

Dans votre argumentation, vous avez bien montré l’hétérogénéité des situations. Or c’est justement de cette hétérogénéité que nous ne voulons plus. Certains collèges ont en effet mis en place de bonnes pratiques : on constate que l’interdiction de l’usage des téléphones y a amené une amélioration de la vie scolaire. Nous voulons que tous les collèges de France et, bien entendu, toutes les écoles primaires bénéficient de pratiques qui ne sont aujourd’hui en vigueur que dans certains établissements. C’est aussi simple que cela !

Tout cela justifie amplement que ce texte vous soit soumis aujourd’hui. Nous serons peut-être conduits à évoquer, dans la suite de la discussion, des éléments de nature à prouver davantage encore, s’il en était besoin, le caractère substantiel de cette proposition de loi. Je pense en particulier à la sécurité juridique qu’elle apportera aux établissements sur la question de la confiscation des téléphones. Elle n’est donc nullement anodine. On peut bien sûr la discuter sur le fond et être en désaccord, mais si l’on pense que l’utilisation des téléphones à l’école constitue bel et bien un phénomène de société néfaste, ce serait un fort mauvais service à rendre à l’intérêt général de nos établissements que de s’opposer la mise en œuvre de cette innovation législative ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – Mme Colette Mélot applaudit également.)

M. le président. Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer la question préalable.

Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet de la proposition de loi.

(La motion nest pas adoptée.)

Discussion générale (suite)

Question préalable
Dossier législatif : proposition de loi relative à l'encadrement de l'utilisation du téléphone portable dans les établissements d'enseignement scolaire
Article 1er

M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Mireille Jouve.

Mme Mireille Jouve. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, il y a maintenant plus d’un demi-siècle, les récepteurs de télévision entraient progressivement dans les foyers français. Ils allaient bien souvent y bouleverser les habitudes.

Ces profonds changements semblent aujourd’hui pourtant bien modestes à côté de celui que représente, depuis plus d’une décennie, l’omniprésence, tant au sein du foyer qu’en dehors, d’internet et des supports d’utilisation mobiles qui l’accompagnent. Qui n’a jamais eu l’occasion de constater, dans une rame de train ou de métro à l’heure des migrations pendulaires, que la quasi-totalité des voyageurs ont désormais les yeux rivés sur un écran ?

Mme Éliane Assassi. Comme au Sénat ! (Sourires.)

Mme Mireille Jouve. Au-delà de son aspect utile et ludique, cette pratique est clairement addictive et, comme pour toute pratique addictive, nous avons un devoir de vigilance tout particulier à l’égard de nos enfants.

Dans le cadre scolaire, le taux massif d’équipement des élèves en téléphones portables multifonctions – près de 86 % des enfants de douze à dix-sept ans en possèdent un – ne va pas sans poser des difficultés notables.

Tout d’abord, l’usage de ces appareils est source de repli sur soi à un âge où nos adolescents ont déjà une tendance à l’isolement. Certains jeunes s’enferment de fait dans un espace où la parole des adultes, habituellement source de modération, est exclue et où seule la parole adolescente a droit de cité. Par le biais des réseaux sociaux, ils se trouvent ainsi exposés à des formes de harcèlement particulièrement dévastatrices. Alors que le temps scolaire devrait justement permettre de rompre cet isolement et de porter le plus efficacement possible la parole des adultes, l’usage du smartphone vient contrarier ce nécessaire dialogue intergénérationnel.

En outre, par leurs fonctionnalités multiples, les téléphones intelligents favorisent la fraude. Enfin, leur prix croissant suscite de la violence et des vols.

Si elle aboutit à dégrader la qualité du climat scolaire, la présence du téléphone portable dans nos écoles, collèges et lycées soulève aussi un enjeu pédagogique. Incontestable facteur de dispersion, leur utilisation récurrente en classe conduit les enseignants à consacrer à la discipline un temps qui ne profite pas à l’instruction. On constate aisément que l’interdiction des téléphones portables au sein des enceintes scolaires s’accompagne généralement d’un regain de concentration et d’une amélioration des résultats, notamment chez les élèves les plus en difficulté.

Cette nécessité d’agir, la communauté éducative en a pris conscience depuis longtemps. Un grand nombre de collèges interdisent déjà via leur règlement intérieur l’usage d’un téléphone mobile en classe. Toutefois, si elle a déjà cours, cette interdiction se pratique aujourd’hui dans un cadre juridique incertain.

En effet, les dispositions introduites en 2010 au sein du code de l’éducation par la loi dite « Grenelle II » posaient un impératif de santé publique : il s’agissait de limiter l’exposition des élèves aux ondes électromagnétiques.

La rédaction actuelle de l’article L. 511-5 du code de l’éducation ne permet pas une interdiction générale et absolue du téléphone portable. En effet, en dehors de la classe, la libre utilisation demeure la règle, et les interdictions étendues à l’ensemble des enceintes scolaires présentent une fragilité juridique.

En outre, la confiscation fait également aujourd’hui l’objet d’interprétations diverses. Les circulaires ministérielles n’en font mention que dans le cas d’objets toxiques ou dangereux.

Enfin, les dispositions actuelles ne permettent pas l’utilisation des téléphones portables multifonctions dans un cadre pédagogique en classe. Or, après avoir procédé à l’équipement des élèves en outils numériques, avec des résultats mitigés, nos collectivités territoriales privilégient aujourd’hui l’utilisation d’un matériel appartenant déjà aux élèves.

Le texte présenté par notre rapporteur nous semble apporter des réponses à même de remédier à cette insécurité juridique. Dans un souci de cohérence et d’exhaustivité, il nous est proposé d’élargir son champ aux lycées, avec toutefois un régime d’encadrement spécifique.

Sur le fond de cette réforme, le groupe du RDSE rejoint la volonté du rapporteur de doter notre pays d’outils plus adaptés, s’agissant d’un enjeu éducatif et de santé publique majeur.

Si nous partageons également la volonté de nos collègues de préserver l’autonomie de la communauté éducative, qui demeure la mieux à même d’évaluer et de faire évoluer ses règles de fonctionnement, nous sommes convaincus que celle-ci est aujourd’hui dans l’attente d’un cadre plus sécurisant.

Sur la forme, comme beaucoup de nos collègues, nous nous montrerons beaucoup plus réservés.

Le Gouvernement et sa majorité ont choisi la voie législative pour mener à bien cette réforme. D’autres démarches auraient sans doute pu permettre de parvenir à un résultat identique, même s’il faut bien reconnaître les lacunes de l’article L. 511-5 du code de l’éducation.

Le calendrier retenu pour l’examen de la présente proposition de loi prête aussi à interrogations, alors que les textes d’envergure se succèdent. Nous sommes nombreux à penser que le temps parlementaire pourrait être mieux utilisé. La semaine passée encore, le Parlement a été réuni en congrès à Versailles pour entendre le Président de la République prononcer un discours dont le contenu relève davantage de l’entretien journalistique…

En dépit de ces réserves sur la forme, nous adhérons aux propositions qui nous sont faites par la commission de la culture du Sénat.

L’éducation dans le cadre scolaire suppose aussi d’apprendre à nos enfants à vivre sans écran. L’univers numérique évoluant vite, il est fort probable que de nouvelles adaptations seront prochainement à envisager, sans que celles-ci aient d’ailleurs nécessairement à faire de nouveau l’objet d’une loi.

Au-delà de la discussion du présent texte, nous ne devrons pas, à l’avenir, faire l’économie d’une réflexion, la plus large possible, sur le rapport de chacun d’entre nous au numérique et aux écrans.

Cette réflexion, le Sénat s’emploie déjà à la mener à travers les travaux de Mme la présidente de la commission de la culture, qui a récemment produit un rapport rappelant l’impérieuse nécessité de la formation pour prendre en main notre destin numérique. Sachons bâtir un rapport équilibré au progrès, comme cela a déjà été le cas par le passé ! (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe La République En Marche.)

M. le président. La parole est à M. Antoine Karam.

M. Antoine Karam. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui une proposition de loi visant à encadrer l’utilisation du téléphone portable dans les établissements scolaires.

À l’Assemblée nationale comme dans au sein de notre commission de la culture, le changement de paradigme proposé par les auteurs de ce texte, substituant au régime actuel d’autorisation un régime d’interdiction assorti d’exceptions, a suscité un certain scepticisme quant à l’utilité de légiférer.

Nous devons pourtant bien admettre deux réalités.

La première, c’est que nous sommes tous d’accord ici sur le fond, à savoir le bien-fondé de l’encadrement de l’utilisation du téléphone portable par les élèves dans les établissements scolaires. Je crois même que certaines divergences proviennent d’une vive inquiétude unanimement partagée, mais exprimée de manière différente. En effet, au-delà du cas de nos enfants, ce texte pousse chacun d’entre nous à s’interroger sur l’usage des téléphones portables dans notre vie quotidienne, sur leur omniprésence dans nos sphères professionnelle, personnelle et familiale.

Nous qui avons tous grandi sans téléphone portable avons vu les écrans connectés prendre dans nos vies respectives une place grandissante, voire inquiétante, surtout lorsque nous voyons nos enfants et nos petits-enfants s’emparer de cette technologie avec une aisance déconcertante, parfois abusivement, souvent sans précautions.

Dans ces conditions, lorsqu’il est question d’encadrer l’utilisation des téléphones portables dans l’enceinte de l’école, pilier sacré de notre pacte républicain, le sujet devient encore plus sensible, tant nous savons qu’il est de notre responsabilité d’apprendre à nos enfants à maîtriser l’usage de cet outil exceptionnel.

La seconde réalité, c’est que le cadre juridique actuel est défaillant. S’il a permis la mise en place de bonnes pratiques dans certains établissements, nous ne pouvons pas nier qu’il en existe aussi de très mauvaises. Très concrètement, la loi ne permet pas aujourd’hui d’interdire le téléphone portable dans l’ensemble de l’enceinte de l’établissement, le principe de liberté d’utilisation en dehors de la classe demeurant la règle.

Or nous savons que le téléphone induit des risques qui vont bien au-delà de la triche ou du déficit de concentration en classe, depuis les vols ou le racket jusqu’au cyberharcèlement et au visionnage de contenus violents ou inadaptés : autant de risques dont l’école doit protéger nos enfants lorsqu’ils sont dans ses murs.

Je ne m’étendrai pas sur les effets bénéfiques d’un meilleur encadrement.

Le premier enjeu est évidemment celui de l’assiduité des élèves et son corollaire, le climat scolaire.

Le second enjeu est de santé publique, tant on sait qu’un usage intensif des téléphones portables, et plus largement des écrans, peut engendrer des problèmes relationnels et émotionnels, des troubles du sommeil ou encore des phénomènes de dépendance et d’addiction.

Cela étant dit, j’entends naturellement, sans vraiment les comprendre, les voix qui s’élèvent pour dénoncer une mesure de communication, inutile pour certains, inopérante pour d’autres.

Nous savons bien que ce texte ne répondra pas à la grande complexité d’un tel sujet de société, mais devons-nous, pour autant, le balayer d’un revers de main ? Pourquoi ne pas y voir au contraire une occasion d’apporter une pierre supplémentaire, aussi modeste soit-elle, à l’édifice de notre école républicaine, de manière à la rendre plus forte, plus protectrice ?

À mon sens, la situation de défaillance que j’ai décrite impose non seulement de faire évoluer les dispositions actuelles, mais de le faire par la loi, avec ses vertus tant juridiques que symboliques. En encadrant l’usage du portable dans les écoles et les établissements, c’est aussi un signal que nous enverrons : cela montrera que nous légiférons dans le concret pour mieux sensibiliser les élèves et les familles aux usages raisonnés des écrans.

À cet égard, je tiens à saluer le travail engagé par notre rapporteur, qui a d’abord compris la nécessité de clarifier un cadre juridique incertain, avant d’apporter des améliorations que je considère comme essentielles, comme l’extension de l’interdiction des téléphones portables aux lycées ou la définition des modalités de la confiscation.

Je partage également son attachement aux dispositions prévoyant la formation à l’utilisation responsable des outils et des ressources numériques et le développement de l’esprit critique, ainsi qu’une véritable éducation aux droits et devoirs liés à l’usage d’internet.

Dans cet esprit, je proposerai de rétablir, à l’article 1er, la précision selon laquelle l’interdiction ne s’applique pas aux usages pédagogiques. S’il est sous-entendu que chaque établissement prendra en compte cet aspect dans son règlement intérieur, je considère qu’il est important que la loi l’assume explicitement.

Ayant enseigné pendant de très longues années, j’ai souvent entendu le refrain selon lequel les livres, le papier resteraient de meilleurs supports d’enseignement que les nouvelles technologies. Je réfute cette vision binaire qui tend à percevoir le numérique sous un seul jour. Il nous faut renforcer l’usage des outils numériques dans nos pratiques pédagogiques, tout en transmettant aux élèves un socle de compétences numériques.

Apprendre aux jeunes à utiliser ces outils avec discernement, c’est-à-dire encourager les bons usages et empêcher les mauvais, c’est bien la manière la plus volontariste, pour l’école, de relever les défis de la révolution numérique en cours.

Fort de ces réflexions et bien conscient que ces dispositions ne prendront leur pleine mesure qu’à l’épreuve du terrain, notre groupe votera en faveur de l’adoption de cette proposition de loi ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – Mme Colette Mélot applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias. (Mme Michelle Gréaume applaudit.)

M. Pierre Ouzoulias. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, l’expression « lit de justice » désigne, pour les institutions de l’Ancien Régime, une procédure par laquelle le souverain pouvait imposer sa décision au Parlement. (Sourires.) Celui-ci perdait alors son pouvoir discrétionnaire pour ne plus être qu’une chambre d’enregistrement, selon l’adage adveniente principe, cessat magistratus - quand le Prince vient, le magistrat s’interrompt. (Exclamations amusées.)

À lire le texte de la rapporteur de l’Assemblée nationale sur cette proposition de loi, celui de son collègue président de la commission de la culture et des députés de leur majorité, on peut se demander si sa première et seule légitimation ne réside pas dans l’obligation acceptée de satisfaire, selon la même sentence, un engagement pris par le Président de la République à l’occasion de sa campagne.

Ainsi, avec une certaine ingénuité, la rapporteur de l’Assemblée nationale, Mme Racon-Bouzon, tenait les propos suivants : « Comme vous le savez, cette proposition de loi vient mettre en œuvre un engagement pris par le Président de la République lors de sa campagne ; l’objectif est que cette réforme s’applique à partir de la rentrée scolaire de 2018 sous réserve, bien évidemment, du déroulement de nos débats à l’Assemblée, puis au Sénat. » Nous aurions envie d’ajouter : adveniente principe, cessat magistratus, voire une autre maxime encore plus explicite : « si veut le roi si veut la loi » ! (M. Philippe Pemezec rit.) Nous comprenons bien ici que cette forme de servitude volontaire exprime l’inclinaison vers laquelle est entraînée la réforme constitutionnelle en cours.

La proposition de loi est l’instrument de l’initiative parlementaire en matière législative. En l’occurrence, l’Assemblée nationale l’a mise à disposition de l’expression de la volonté présidentielle. Nous savons gré à notre collègue députée de nous laisser encore la liberté de maîtriser le déroulement de nos débats. En revanche, je m’associe aux remerciements adressés à notre collègue Stéphane Piednoir, qui a tenté de faire la part des choses et de donner un peu de substance juridique à un texte qui en était singulièrement dépourvu.

Qu’on en juge ! L’article L. 511-5 du code de l’éducation dispose que « dans les écoles maternelles, les écoles élémentaires et les collèges, l’utilisation durant toute activité d’enseignement et dans les lieux prévus par le règlement intérieur, par un élève, d’un téléphone mobile est interdite ». Cette rédaction sans ambiguïté marque une interdiction générale de l’utilisation du téléphone dans les établissements cités, tout en laissant la possibilité aux équipes pédagogiques de définir, par le biais du règlement intérieur, les lieux où elle ne s’exercerait pas.

La nouvelle rédaction proposée pour cet article n’apporte aucune extension ou confortation juridique majeure au dispositif actuel. Ses seules plus-values sont l’ajout de la notion d’« équipement terminal de communications électroniques » à celle de « téléphone mobile », la mention explicite dans la loi de la possibilité d’interdire ces équipements dans les lycées par le biais des règlements intérieurs et de pouvoir en autoriser la confiscation de la même façon.

Ces précisions méritaient-elles l’inscription, après engagement de la procédure accélérée, d’une proposition de loi à l’ordre du jour d’une session extraordinaire déjà surchargée par l’examen de textes qui auraient mérité des débats moins entravés ?

Dans les échanges à l’Assemblée nationale ou au Sénat, au sein de notre commission, ont été évoqués une « défaillance » du droit actuel et un vide juridique. Quels sont-ils ? Dans la pratique, aucun exemple ne nous est rapporté de situations dans lesquelles l’actuel dispositif de l’article L. 511-5 du code de l’éducation se serait révélé inapproprié ou aurait placé les équipes pédagogiques dans des situations de fragilité juridique.

Bien au contraire, il aurait été précieux de dresser un bilan des expériences nombreuses ayant permis aux enseignants, dans nombre d’établissements, de mettre à profit la discussion collective sur le règlement intérieur pour engager un débat très utile, avec les élèves et leurs parents, sur les conditions d’utilisation des téléphones.

Pourquoi faudrait-il absolument valider par la loi les bonnes pratiques locales, alors qu’il suffirait de leur donner la publicité qu’elles méritent pour en favoriser la diffusion ? La vérité ne procéderait-elle que du haut vers le bas ? Effaré par la minceur du sujet de cette proposition de loi, je me suis finalement demandé, comme notre collègue Antoine Karam, si son objet inconscient n’était pas de soigner un mal-être général et d’exiger de l’enfant une pondération que l’adulte n’arrivait plus à s’imposer. Quand je vous vois consulter vos téléphones portables, mes chers collègues, je me dis que je suis dans le vrai ! (Sourires.)

M. François Bonhomme. Nous ne sommes plus à l’école !

M. Pierre Ouzoulias. Sur le fond, car il ne faudrait pas que ces ratiocinations nous le fassent oublier, il est urgent d’ouvrir un vaste chantier de recensement, d’évaluation et de confrontation des expériences foisonnantes réalisées dans l’utilisation du numérique pour l’enseignement.

Forte de son indépendance, de ses compétences reconnues dans ce domaine et de son esprit constructif, la Haute Assemblée est à votre disposition, monsieur le ministre, pour engager avec tous les acteurs la réflexion générale sur ces sujets ; c’est peut-être l’utilité de la présente proposition de loi que d’en avoir montré l’urgence. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Sonia de la Provôté. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)

Mme Sonia de la Provôté. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, de prime abord, il peut sembler bien accessoire, au regard des vastes sujets que soulèvent l’école et l’éducation aujourd’hui, de chercher à encadrer l’utilisation, par les élèves, du téléphone mobile dans les établissements d’enseignement scolaire.

À l’heure où se prépare l’évolution de notre Constitution, se pose une fois de plus la question de l’articulation entre la loi et le règlement.

Pour appuyer le paradoxe de la situation, rappelons que la réforme du baccalauréat est, elle, d’ordre réglementaire. Nous n’aurons donc pas – hélas ! – l’occasion d’en débattre dans cette enceinte. Pourtant, quel sujet majeur !

Le texte que nous discutons n’en a pas moins une valeur symbolique importante, puisqu’il rappelle qu’il y a des règles à l’école.

Mme Sonia de la Provôté. Au travers de cette question de l’usage du téléphone portable, il s’agit bien ici de remettre en évidence la nécessaire organisation de l’autorité à l’école et le rôle tenu par l’éducation nationale et ses représentants, au premier rang desquels les professeurs et les professeurs des écoles.

Le code de l’éducation traite déjà du téléphone portable en son article L. 511-5 : aujourd’hui, son utilisation est autorisée, sauf disposition contraire du règlement. La présente proposition de loi vise à inverser cette règle.

L’entrée du téléphone portable et autres appareils de communication électronique à l’intérieur de l’école représente, bien sûr, un véritable sujet.

On sait que le téléphone portable peut perturber les cours, dissiper et distraire les enfants. On sait que l’émergence d’internet et des réseaux sociaux peut accentuer l’incapacité de certains élèves à se concentrer et à se structurer. Mais on sait aussi que de plus en plus d’établissements et d’enseignants ont pris possession de l’outil numérique dans le cadre des cours. Il faut donc encadrer, mais avec discernement.

Il est une véritable question, qui dépasse de loin celle de l’usage du téléphone portable à l’école : celle de l’éducation au numérique.

Ce texte aborde le sujet via l’utilisation du téléphone portable, mais ce qui constitue l’un des défis majeurs que l’école doit relever aujourd’hui, c’est bien l’éducation au numérique. Néanmoins, cette proposition de loi a le mérite, disons-le, de donner une base à laquelle le corps éducatif pourra se référer pour travailler.

Pour aller plus au fond du texte, on sait que le cadre législatif actuel est incertain et inadapté. Si un nombre élevé d’établissements scolaires pratiquent une interdiction totale du téléphone portable, c’est en l’absence de cadre juridique adapté.

Le code de l’éducation dispose actuellement que « dans les écoles maternelles, les écoles élémentaires et les collèges, l’utilisation durant toute activité d’enseignement et dans les lieux prévus par le règlement intérieur, par un élève, d’un téléphone mobile est interdite ».

La modification législative qu’il nous est proposé d’adopter s’inscrirait dans un projet éducatif précis et encadré par le personnel éducatif. La voie législative est, d’ailleurs, l’option juridique la plus sûre pour garantir l’effectivité de l’interdiction des téléphones portables.

Mais ce texte vise également à renforcer la formation des élèves à l’utilisation des outils et ressources numériques, qui constitue, je le redis, l’un des principaux défis pour l’éducation au XXIe siècle.

Les chiffres sont éloquents. L’usage des téléphones mobiles se développe de façon exponentielle chez les jeunes : 86 % des jeunes âgés de douze à dix-sept ans possèdent un smartphone ; 63 % des jeunes âgés de onze à quatorze ans sont inscrits à au moins un réseau social ; un collégien passe en moyenne 7 heures et 48 minutes par jour devant un écran…

L’interdiction de l’usage du téléphone portable au sein des établissements scolaires répond à la fois à des enjeux éducatifs et à des enjeux de vie scolaire. Il s’agit de permettre aux enfants et aux jeunes d’évoluer sereinement dans le milieu éducatif.

En effet, l’usage du téléphone portable peut contribuer à l’amplification de situations de harcèlement, ainsi qu’à la diffusion de contenus violents ou d’images pornographiques auprès des plus jeunes. Il peut s’avérer néfaste concernant les temps de récréation, en réduisant l’activité physique, en limitant les interactions sociales entre les élèves et en étant à l’origine d’une part importante des perturbations au sein des établissements – casse, racket ou vol.

L’interdiction de l’usage du téléphone portable au sein des établissements scolaires permettra de garantir aux élèves un environnement favorisant l’attention et la concentration, indispensables à l’activité, à la compréhension et à la mémorisation. De nombreuses études, notamment en neurophysiologie, montrent ainsi que l’utilisation abusive du téléphone portable a une incidence sur le fonctionnement cérébral, notamment sur la capacité de mémorisation et de concentration.

Les articles 3 et 4 de la proposition de loi introduisent le sujet, en remplaçant le terme « sensibilisation » au numérique par le terme « éducation ». Mais encore faut-il donner un contenu à cette éducation… Ce n’est pas notre présidente de la commission de la culture, Mme Catherine Morin-Desailly, qui a de nombreux éclairages à nous fournir sur le sujet, qui dira le contraire !

L’école du XXIe siècle doit former au numérique, en le prenant comme outil d’apprentissage et instrument de vie, qu’il faut savoir manier avec discernement. Nul doute que cette question sera débattue dans cette enceinte à l’avenir ; en tout cas, nous y comptons fortement.

Le groupe Union Centriste apporte son soutien aux avancées que la commission de la culture du Sénat est parvenue à obtenir, s’agissant notamment de l’extension du champ de l’interdiction aux lycées et des modalités de la confiscation, qui ont été précisées.

Nous pouvons nous féliciter que le rapporteur, Stéphane Piednoir, ait retiré du texte des précisions qui transformaient véritablement le code de l’éducation en règlement intérieur d’établissement.

Dans un souci de cohérence et d’exhaustivité, les membres de la commission de la culture ont donc étendu le champ de la proposition de loi aux lycées, en prévoyant un régime d’encadrement spécifique, distinct du régime défini pour les écoles et les collèges.

Afin de sécuriser la pratique de la confiscation et dans le respect de l’autonomie des établissements, ils ont par ailleurs récrit les dispositions relatives à la confiscation, notamment en étendant la faculté d’y procéder aux personnels d’éducation et de surveillance.

Privilégiant l’autonomie des établissements et l’appropriation de la règle par l’ensemble de la communauté éducative, ils ont supprimé les précisions inutiles qui affaiblissaient le rôle du règlement intérieur.

Enfin, fidèle aux orientations du Sénat en matière de qualité de la loi, la commission de la culture a supprimé plusieurs dispositions inutiles ou superfétatoires, dont celles de l’article 2.

Ayons donc ce débat sur l’usage encadré du téléphone portable à l’école, mes chers collègues, mais formulons l’espoir qu’il en appelle un plus vaste ! Nous abordons ici le sujet du numérique à l’école ; il reste plein et entier… Notre groupe est favorable à l’adoption de cette proposition de loi, mais il attend la suite, monsieur le ministre ! (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste. – Mme Colette Mélot applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Lozach. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. Jean-Jacques Lozach. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le vice-président de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi que nous avons à examiner aujourd’hui a été accueillie par nombre d’entre nous avec une certaine circonspection.

Il s’agit, certes, d’une promesse de campagne du Président de la République et il n’est jamais de bon ton de critiquer la volonté de respecter ses engagements, de mettre en accord ses discours et ses actes. Pour autant, nous pouvons sérieusement douter de l’utilité d’une telle démarche, alors que des dispositions de la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement fournissent déjà une base juridique appropriée pour l’encadrement de l’utilisation du téléphone portable dans les établissements scolaires.

L’article L. 511-5 du code de l’éducation dispose ainsi que, « dans les écoles maternelles, les écoles élémentaires et les collèges, l’utilisation durant toute activité d’enseignement et dans les lieux prévus par le règlement intérieur, par un élève, d’un téléphone mobile est interdite ».

S’agit-il d’élargir la notion de téléphone mobile pour inclure les appareils électroniques qui n’existaient pas à l’époque de l’adoption de la loi précitée ? Il faut saluer la judicieuse initiative de Mme Racon-Bouzon, rapporteur du présent texte à l’Assemblée nationale, visant à élargir le champ d’application des dispositions de cette proposition de loi, élément oublié dans la rédaction initiale.

S’agit-il de revenir sur la souplesse qu’offre le cadre des règlements intérieurs des établissements scolaires ? Le Gouvernement ne fait malheureusement pas la démonstration de l’irrépressible nécessité de rogner ainsi l’autonomie des établissements scolaires, jetant une pierre supplémentaire dans le jardin de la décentralisation, après que le projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel a retiré aux conseils régionaux la compétence en matière d’apprentissage.

Peut-être s’agit-il, plus prosaïquement, de la simple volonté d’effectuer une opération de communication politique, au risque d’engendrer une charge administrative supplémentaire ?

Cette proposition de loi va à l’encontre de la simplification législative et réglementaire que nous appelons tous de nos vœux. Le renversement du principe d’autorisation assorti de règles d’interdiction risque de provoquer une inflation des règlements intérieurs, sans parler de la nécessité de prendre en compte l’ensemble des situations susceptibles de permettre un usage encadré de ces dispositifs électroniques.

Je suis bien plus enclin à accorder ma confiance à la capacité d’initiative des communautés éducatives des établissements, permettant une mise en œuvre contextualisée de l’encadrement de l’usage des dispositifs de communication électronique. Par exemple, concernant les règles de saisie des appareils, chaque établissement peut actuellement définir sa politique au regard des considérations locales. Pourquoi priver les acteurs de terrain de leur capacité d’adaptation ?

Par ailleurs, on ne peut que le constater, il ne reste plus grand-chose de la rédaction initiale de la proposition de loi. La commission saisie du texte à l’Assemblée nationale en a même modifié le titre ! L’urgence semble toute particulière pour l’examen de cette proposition de loi, alors même que, selon des propos tenus par un député de la majorité durant les débats à l’Assemblée nationale, un nouveau texte relatif à l’école dans la société du numérique devrait être présenté d’ici à quelques mois. Le Gouvernement serait-il dans l’obligation de se prévaloir de l’instauration de nouvelles dispositions à chaque rentrée scolaire ? Cette proposition de loi, au mieux, n’ajoute rien à l’existant ; au pire, elle risque de complexifier les tâches de régulation au sein des établissements. Pendant les auditions, je n’ai pas noté un grand enthousiasme de la part des représentants des fédérations de parents d’élèves ou des principaux syndicats de chefs d’établissement.

Je ne peux que saluer la suppression, sur l’initiative du rapporteur, de l’article 2, dont le mérite principal était de creuser encore un peu plus le sillon, décidément fertile, des déclarations de principe sans portée normative, alimentant avec allégresse l’inflation législative.

De même, la suppression, à l’article 3, de l’expression « citoyenneté numérique » est une bonne chose, le concept semblant pour le moins évasif, voire problématique. L’apprentissage de la citoyenneté apparaît en effet comme un ensemble cohérent, auquel il ne semble pas nécessaire d’adjoindre des qualificatifs, sauf à estimer que l’on pourrait encourager l’apprentissage des comportements citoyens dans certaines circonstances ou dans certains espaces, et pas dans d’autres.

Nous sommes tous conscients des enjeux inhérents à la diffusion massive des téléphones « intelligents » et des dérives qu’une pratique irraisonnée peut engendrer : problèmes relationnels, isolement, captations vidéo inappropriées, dégradation du climat dans l’établissement, cyberharcèlement, etc.

Les chiffres, souvent rappelés, sont connus : 92 % des jeunes âgés de douze à dix-sept ans possèdent un téléphone portable et 86 % d’entre eux un smartphone. C’est une situation sans précédent, dont les effets débordent très largement le cadre strictement scolaire et interrogent l’évolution de notre société.

Les dérives dans l’usage de ces appareils technologiques ne doivent pas atteindre l’enceinte éducative. C’est néanmoins parfois le cas, et la modification législative aujourd’hui soumise à notre examen semble s’égarer dans une forme de discours performatif. Mais, en l’occurrence, dire n’est pas faire ! On ne voit pas en quoi ce texte et les changements qu’il tend à opérer sont de nature à faciliter la mise en œuvre de la régulation de l’usage de ces appareils électroniques. Le renversement de la logique vers une interdiction générale assortie d’exceptions ne remédiera pas, comme par enchantement, à l’existence de situations potentiellement conflictuelles.

Les difficultés d’application des règles, rencontrées avec certains élèves, voire parents d’élèves, récalcitrants, militent très nettement pour le maintien d’une gestion décentralisée de ces situations. Cela manifesterait, en outre, la confiance placée dans les équipes de chaque établissement au regard de leur capacité à faire vivre et à appliquer concrètement ces principes.

L’absence de réflexion en amont sur le sujet plus vaste de l’éducation au numérique et de l’usage responsable des nouvelles technologies est regrettable, d’autant que Mme la présidente de la commission sénatoriale de la culture, de l’éducation et de la communication vient de présenter un excellent rapport sur cette question. L’Assemblée nationale elle-même travaille sur le thème de l’école dans la société du numérique. Les dispositions de cette proposition de loi auraient certainement été bien plus utilement discutées et travaillées dans le cadre d’une initiative législative plus large, permettant d’appréhender toutes les dimensions de la question. Cela aurait pu être, également, l’occasion d’associer les parlementaires à des travaux préparatoires. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot.

Mme Colette Mélot. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, au travers de l’examen de cette proposition de loi, nous sommes invités à nous prononcer sur notre vision de l’éducation à l’ère du numérique.

Comme vous l’avez indiqué, monsieur le ministre, le texte répond à un engagement pris par le Président de la République pendant sa campagne électorale. En posant le principe d’une interdiction de l’utilisation des téléphones portables dans les établissements scolaires, tout en ouvrant la voie à des autorisations possibles, il offre une clarification juridique salutaire et pose, pour reprendre les propos de Mounir Mahjoubi, des « règles pour éviter le pire ».

Les deux plus grandes figures du numérique, Bill Gates et Steve Jobs, avaient déjà tiré la sonnette d’alarme.

En 2007, l’ancien PDG de Microsoft avait lui-même instauré une durée limitée d’exposition aux écrans pour ses enfants et leur interdisait l’usage d’un téléphone portable avant l’âge de quatorze ans. Pour le reste de la société, l’âge moyen de possession d’un premier téléphone est de dix ans. Tous les enfants ne sont pas égaux face aux risques que représente l’usage incontrôlé des nouvelles technologies… « J’échangerai toute ma technologie pour un après-midi avec Socrate », disait pour sa part Steve Jobs.

Nous connaissons déjà les risques, pour les enfants, d’une exposition excessive aux écrans : troubles de l’attention et du comportement, myopie, troubles de l’apprentissage, risques d’exposition aux contenus violents ou pornographiques, cyberharcèlement… La liste est longue, et les jeunes victimes de harcèlement via les réseaux sociaux sont nombreuses. L’école doit rester un sanctuaire !

Nous savons également que les risques de dépression augmentent pour un adolescent avec la fréquentation des réseaux sociaux. Le recul de l’exercice physique et la diminution du temps de lecture sont aussi des effets collatéraux de la dépendance des enfants aux écrans.

Inversement, la London School of Economics a démontré que les résultats scolaires progressaient après l’application d’une interdiction des téléphones portables dans les écoles.

Aussi cette proposition de loi nous apparaît-elle à tout point de vue bénéfique pour préserver l’équilibre des élèves et la qualité de l’apprentissage.

Je me félicite de l’adoption en commission d’un amendement visant à laisser à l’établissement la liberté de définir le mode de restitution de l’objet confisqué. J’avais moi-même déposé un amendement allant dans ce sens. L’adoption de cette disposition permettra de ne pas alourdir le dispositif.

Pour autant, l’utilisation des téléphones et des tablettes à des fins pédagogiques reste possible. Je pense, d’ailleurs, que le numérique est la voie de prédilection vers l’auto-apprentissage et offre des possibilités d’enseignement illimitées ! Ainsi, aux États-Unis, la plateforme dématérialisée HarvardX met à disposition du monde entier des cours de très haut niveau.

Les possibilités de partenariats internationaux, d’échanges de pratiques et de savoirs sont démultipliées avec le numérique. À ce titre, le rapport intitulé « Vers une société apprenante », remis par François Taddei en avril dernier, préconise la mise en place d’un campus national numérique pour fédérer les apports de chaque établissement d’enseignement.

Pour limiter les effets néfastes sur les enfants de l’exposition aux écrans dans le cadre des activités pédagogiques, je défendrai un amendement visant à équiper les écrans utilisés par les élèves de filtres à lumière bleue. Nous le savons, la rétine des élèves les plus jeunes est particulièrement vulnérable à cette lumière émise par les écrans. Cette mesure protectrice pour les enfants serait facile à mettre en œuvre, puisqu’il s’agirait simplement d’installer une application libre et gratuite sur les appareils.

L’adoption de cette proposition de loi sera une première étape vers un équilibre qu’il reste à trouver entre développement technologique et capacité de la société à en faire bon usage.

Aussi, au-delà du texte en lui-même, il s’agira de veiller à sensibiliser l’ensemble de la société à une utilisation maîtrisée des outils numériques, afin de ne pas donner raison à Albert Einstein quand il disait qu’« il est hélas devenu évident aujourd’hui que notre technologie a dépassé notre humanité ». (Applaudissements sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe La République En Marche.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Grosperrin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jacques Grosperrin. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le vice-président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la percée du smartphone parmi les jeunes s’est avérée fulgurante, bien plus rapide encore que celle que l’on constate dans l’ensemble de la population. En 2017, cela a été dit, 86 % des jeunes de douze à dix-sept ans possédaient un smartphone ; surtout, ce taux a quadruplé en six ans. C’est un chiffre inquiétant !

Le téléphone portable ne sert plus uniquement à téléphoner. Une multitude d’usages se sont développés : navigation sur internet, prise de photos, réalisation de films, visionnage de vidéos, jeux et, bien sûr, échange de messages. Ces smartphones soulèvent donc des enjeux pédagogiques et disciplinaires, tout particulièrement au collège, mais pas seulement. Ainsi, la possession de ces outils de communication est de plus en plus fréquente dès l’école élémentaire, ce qui me semble particulièrement inquiétant. Le climat scolaire s’en trouve trop souvent altéré.

Plusieurs raisons m’amènent à me prononcer en faveur de l’interdiction des téléphones dans les écoles et collèges.

Les téléphones portables, tout comme les vêtements, peuvent affirmer des disparités sociales entre enfants. À l’instar de l’initiative prise par certains établissements d’instaurer des tenues obligatoires afin de gommer ces différences, je suis favorable à l’interdiction de ces appareils, pouvant être perçus comme des signes extérieurs de richesse, susceptibles de créer un climat de comparaison malsain et frustrant entre camarades. L’école doit être un lieu d’apprentissage dans lequel les inégalités ne se creusent pas.

J’ajoute que les téléphones portables sont des objets fragiles et onéreux. Ayons donc à l’esprit la responsabilité conférée à un enfant qui en détient un. Racket et responsabilité en cas de détérioration risquent de causer des problèmes dont la communauté éducative, les enfants et les parents d’élèves se passeraient bien volontiers.

Par ailleurs, l’utilisation du portable pendant les cours porte atteinte à la capacité d’attention et de concentration des élèves. Elle conduit à une dispersion peu propice à la réflexion, à la compréhension et à la mémorisation des enseignements. En outre, elle peut favoriser la paresse – les élèves ne cherchant plus les réponses dans leurs connaissances personnelles –, le plagiat et, bien sûr, la « triche » lors des contrôles.

La nouvelle génération dispose d’un accès facilité aux réseaux sociaux sans avoir forcément une maîtrise intelligente de ces nouvelles technologies.

Dans un rapport, les députés ont rappelé les conclusions spectaculaires d’une étude de 2015 de la London School of Economics and Political Science. Selon cette étude, les résultats scolaires augmentent une fois l’usage du téléphone interdit, cette amélioration étant d’autant plus marquée chez les élèves en grande difficulté. Ses auteurs ont conclu que la limitation de l’usage du téléphone portable à l’école pouvait constituer un moyen de réduire les inégalités dans l’éducation.

Mais cette mesure n’aura pas uniquement des effets bénéfiques sur la réussite scolaire. Elle permettra d’engager une politique de prévention des risques du smartphone pour la santé. L’adoption de ce texte s’inscrit également dans une démarche de santé publique.

L’enfance et l’adolescence sont des périodes charnières en termes de construction psychique, physique, physiologique, cognitive. Outre la dépendance aux écrans, on évoque de plus en plus des troubles de l’attention et de la concentration, ainsi qu’une forte agitation en dehors des heures de classe. Du fait de la fameuse lumière bleue des écrans, l’endormissement devient plus difficile et le sommeil perd en qualité.

Les effets des radiofréquences sur la santé des enfants restent mal connus, mais, dans un rapport de 2016, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, l’ANSES, a déjà souligné que les enfants pouvaient être plus exposés à ces radiofréquences que les adultes, en raison de leurs spécificités morphologiques, anatomiques et physiologiques.

Nous pouvons aussi inclure, dans les impacts sur la santé, les répercussions psychologiques du cyberharcèlement à l’encontre d’un élève ou d’un professeur qui serait filmé ou photographié à son insu, ainsi que celles du visionnage d’un contenu inadapté à un public jeune auquel les enfants pourraient avoir accès en naviguant sur internet hors du contrôle d’un adulte.

Il me semble donc judicieux que l’institution scolaire se fasse un devoir de contrôler l’usage du téléphone lorsque les enfants se trouvent sous sa responsabilité. L’école doit s’adapter à la société numérique ; elle doit également être un garde-fou. Un encadrement par les établissements scolaires est plus que nécessaire pour faire entrer un usage raisonnable du smartphone dans les mœurs des jeunes et retarder ainsi l’âge de détention du premier téléphone portable.

L’école est là pour donner l’exemple aux enfants, mais aussi aux parents. Bien souvent, la prévention assurée dans le cadre scolaire produit ses effets au-delà de l’école et s’étend au cercle familial par la voix de l’enfant. Ne pas agir pour réguler l’usage du smartphone dès le plus jeune âge, c’est peut-être aussi favoriser des retards cognitifs, psychomoteurs et sociaux. Que des enfants sachent utiliser le téléphone de leurs parents avant même de savoir écrire, voire parler, ne me semble pas constituer une avancée. Malheureusement, si ces petits savent partiellement utiliser une tablette ou un portable, c’est parce que les parents ont cédé à une certaine facilité. Un enfant « happé » par un jeu ou une vidéo ne pleure plus, ne s’énerve plus sur le moment, mais il parle moins, joue moins, apprend moins, s’éveille moins et, en définitive, engramme moins. On a peut-être négligé cet aspect des choses dans le plan numérique pour l’éducation lancé en 2015…

Il me semble donc que l’on ne se préoccupe pas assez de la prévention des risques liés au numérique. Les rapports médicaux sont sans appel : il est urgent de prévenir, car nos jeunes, très au fait des nouvelles technologies, sont beaucoup moins informés de leurs méfaits.

Dans cet esprit, il pourrait être intéressant d’envisager le lancement d’une campagne de sensibilisation par les ministères de la santé et de l’éducation nationale. L’expérience menée dans une classe de CM2 en Alsace – « 10 jours sans écran » – avait donné des résultats très positifs et tangibles.

M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue !

M. Jacques Grosperrin. J’entends les réserves formulées, selon lesquelles il s’agirait d’un simple coup de communication, les règlements intérieurs pouvant assurer l’encadrement souhaité et le code de l’éducation étant déjà précis sur ce sujet, mais j’estime pour ma part que cette proposition de loi est bien plus que cela : c’est un signal fort adressé aux élèves, aux parents, à la communauté éducative, à la société, sur la place de l’école, sur la transmission du savoir, sur le rôle de l’autorité. L’école est un lieu de travail !

Enfin, si l’inscription de cette interdiction dans la loi peut garantir son effectivité, le pragmatisme doit primer sur les postures politiques, qui nous desservent trop souvent. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste. – M. André Gattolin applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Laure Darcos.

Mme Laure Darcos. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, notre assemblée examine aujourd’hui une proposition de loi émanant du groupe La République en Marche de l’Assemblée nationale, qui est la traduction d’un engagement de campagne du Président de la République.

La commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat a amendé ce texte afin de l’expurger des dispositions qui ne sauraient relever du domaine de la loi et d’y inscrire la possibilité d’interdire l’usage du téléphone portable via les règlements intérieurs des lycées. Ces précisions étaient, de mon point de vue, nécessaires, car, monsieur le ministre, ce n’est pas à un juriste comme vous qu’il faut rappeler l’adage romain : plurimae leges pessimae leges. Quand les lois sont trop nombreuses, elles perdent en qualité.

M. Pierre Ouzoulias. Très bien !

Mme Laure Darcos. Fallait-il avoir recours à un tel arsenal législatif quand une circulaire aurait pu suffire ? Les sanctions en cas d’infraction à la loi ne créeront-elles pas des lourdeurs nouvelles et des contentieux inutiles dans ce qui touche à l’éducatif, au pédagogique, à la vie scolaire ? Je ne vous cache pas que je m’interroge sur ce point.

Je sais toutefois que notre droit positif prévoit déjà, depuis la loi de 2010 portant engagement national pour l’environnement, une telle interdiction pour les enfants des écoles maternelles et élémentaires, ainsi que pour les collégiens.

Je ne souhaite pas polémiquer sur la portée concrète de cette interdiction ni entrer dans une opposition stérile. Espérons que cette discussion parlementaire servira à sensibiliser les familles sur les conséquences d’un usage excessif ou inapproprié du téléphone portable par les enfants et les adolescents.

Il est urgent d’agir. Quelques chiffres le prouvent : 86 % des jeunes âgés de douze à dix-sept ans possèdent un smartphone, soit un taux d’équipement supérieur à celui de l’ensemble de la population ; les jeunes âgés de sept à douze ans sont connectés à internet plus de six heures par semaine, ceux âgés de douze à dix-neuf ans plus de quinze heures par semaine, ces chiffres étant d’ailleurs contestés, car jugés sous-estimés ; enfin, 93 % des collégiens sont au-delà du seuil de sédentarité défini par les recommandations internationales.

Nos jeunes sont donc de plus en plus exposés aux écrans. Cette situation n’est pas sans conséquence. De nombreuses études l’ont montré, qu’elles émanent de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, de l’Académie des sciences ou de professionnels de santé reconnus. Toutes pointent les effets désastreux de la surexposition aux écrans : troubles du sommeil, de l’attention, voire difficultés cognitives ou état dépressif.

Nous sommes ici pour nous interroger sur les risques liés à une exposition à des contenus inappropriés dans l’enceinte des établissements scolaires, notamment à l’heure de la récréation et lors de la pause méridienne. En effet, il est à craindre que ces temps partagés puissent être l’occasion d’émulations malsaines liées à des phénomènes de groupe.

Je pense à la consultation de vidéos pornographiques librement accessibles sur les plateformes de téléchargement et de streaming, de sites véhiculant des thèses complotistes, de blogs communautaristes incitant à la violence religieuse et propageant la haine antisémite la plus virulente, ou encore au cyberharcèlement, qui, bien souvent, se prolonge au domicile, ne laissant aucun répit à sa victime.

Dans son récent rapport d’information consacré à la protection des mineurs victimes d’infractions sexuelles, notre collègue Marie Mercier relève que, dans un contexte d’hypersexualisation via les smartphones, on constate de plus en plus « le développement de comportements sexuels de la part de jeunes enfants, parfois de très jeunes enfants, qui tentent de reproduire entre mineurs des scènes pornographiques, de plus en plus “extrêmes” ».

Oui, mes chers collègues, il est nécessaire de réfléchir à l’usage des terminaux connectés, aux contenus accessibles et aux effets d’une surexposition aux écrans pour les plus jeunes, que ce soit pendant le temps scolaire ou en dehors. Je soutiendrai donc toute initiative qui contribuera à protéger nos élèves. Même si la loi ne me paraît pas être le véhicule le plus souple, l’intention des auteurs de ce texte mérite notre respect.

Enfin, je rappellerai ici que la responsabilité première, en matière éducative, incombe aux familles. L’école ne doit pas être le seul recours. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)

M. le président. La parole est à M. Max Brisson.

M. Max Brisson. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le vice-président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous sommes unanimes sur la nécessité d’encadrer l’utilisation du téléphone portable à l’école. Dont acte.

S’interroger sur ce sujet, c’est en fait se poser la question, beaucoup plus importante, de la sanctuarisation de l’école et des moyens de la protéger des tyrannies de l’instant.

En effet, si l’école est un lieu de transmission des savoirs, des savoir-faire et des savoir-être, elle est aussi un lieu de prise de distance par rapport au quotidien, au bruit de la rue, une sorte de sanctuaire laïque et républicain. Comme le disait Jean Zay, « les querelles des hommes doivent rester aux portes de l’école ».

C’était déjà une évidence pour les chefs d’établissement, dont un grand nombre ont interdit l’utilisation des smartphones à l’école.

Pourtant, il a semblé à nos collègues députés que les seuls règlements intérieurs des établissements n’avaient pas une portée suffisante et qu’il était nécessaire de s’appuyer sur un cadre plus sécurisé.

Pour autant, mes chers collègues, monsieur le ministre, légiférer était-il nécessaire ? Le règlement n’aurait-il pas suffi ? Arguments contre arguments, nous ne parviendrons pas à nous convaincre, mais ce qui est sûr, c’est que l’interdiction des téléphones portables dans les établissements relevant d’une promesse de campagne du Président de la République, il fallait que son édiction se sache ! Or un simple décret serait peut-être passé inaperçu…

Vous l’aurez compris, je suis dubitatif quant à l’intérêt d’en passer par la loi. Je m’associe pourtant volontiers à cette démarche, qui envoie un signal d’ordre à une école pouvant apparaître parfois confrontée à une crise d’autorité.

Je veux donc saluer les apports de notre collègue Stéphane Piednoir, qui ont permis de renforcer la cohérence de ce texte. Je pense à l’introduction d’un régime particulier pour les lycées ou à la suppression de mesures bavardes, détaillant par exemple les procédures de confiscation.

Toutefois, monsieur le ministre, mes plus vives interrogations portent sur l’intérêt de débattre quelques heures sur ce sujet alors que tant de grandes réformes que vous portez, avec un réel succès d’ailleurs, ne donneront pas lieu à une seule heure d’échanges dans cet hémicycle.

M. Max Brisson. Je veux parler, notamment, de la réforme du baccalauréat, de ses effets sur la réorganisation des lycées ou de la rénovation de la voie professionnelle. (Marques dapprobation sur les travées du groupe Union Centriste.)

M. Max Brisson. Certes, ce n’est pas vous qui décidez de ce qui relève du champ réglementaire – les examens, les programmes, l’organisation des filières, c’est-à-dire l’essentiel – ou de ce qui relève de la loi et qui est, en l’occurrence, anecdotique.

Enfin, je m’interroge sur l’ordre des facteurs, monsieur le ministre. Nous avons réorganisé l’accès à l’université avant d’avoir réfléchi sur le baccalauréat. Nous avons renversé l’apprentissage sans avoir accompli un travail de fond sur la voie professionnelle. Nous interdisons aujourd’hui le téléphone portable à l’école, sans avoir examiné de texte sur le numérique ou les effets de l’exposition aux écrans.

Ce dernier sujet est pourtant essentiel. La présidente de notre commission de la culture y attache avec juste raison une grande importance et a rendu un rapport riche en préconisations.

Il est vrai que la révolution numérique transforme l’accès à la connaissance, interroge comme jamais le métier de professeur, bouscule le rapport maître-élève, oblige à repenser la formation initiale des enseignants et rend nécessaire la relance de la formation continue.

C’est de ces sujets, monsieur le ministre, que nous espérons pouvoir un jour débattre, car nous sommes persuadés que vous avez beaucoup de choses à nous dire et un cap à fixer. Quant au Sénat, il aura lui aussi une puissante envie de nourrir ce débat, au travers notamment du rapport sur le métier d’enseignant.

En attendant, puisqu’il faut légiférer sur le téléphone portable à l’école, eh bien légiférons, mes chers collègues ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais simplement revenir sur deux points.

Tout d’abord, faut-il ou non élaborer une loi sur ce sujet ? Je relèverai, dans ce débat récurrent, un paradoxe.

Vous avez été nombreux à souligner l’importance de la question tout en considérant qu’elle était trop mineure pour mériter de retenir votre intérêt. Cela m’inspire une adaptation d’un autre adage latin : de minimis non curat senator, le sénateur remplaçant le préteur… (Sourires et applaudissements.) Cette attitude contradictoire me surprend. J’estime pour ma part que ce sujet est extrêmement important et qu’en parler est une très bonne chose !

Sortons donc de ce paradoxe et intéressons-nous au fond, à ce sujet de société que constitue la présence des écrans dans nos écoles et nos collèges. J’ai écouté avec beaucoup d’attention tous les intervenants : je tiens à dire que cette discussion parlementaire sera extrêmement utile. Les sujets qui ne relèvent pas de la loi ont vocation à trouver place dans le vade-mecum. Nous aurons à l’avenir un débat législatif plus large sur le numérique. Les travaux accomplis sur ce thème tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat seront pris en compte à ce titre. La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui ne constitue pas l’alpha et l’oméga en ce qui concerne le numérique. D’autres sujets touchant à l’éducation sont importants. La hiérarchie des normes en matière éducative est en effet parfois surprenante, mais cela ne dépend ni de vous ni de moi. Quoi qu’il en soit, ni la réforme du baccalauréat ni celle de l’enseignement professionnel ne sauraient ne pas être discutées au Sénat. J’ai eu de nombreuses occasions, ces derniers temps, de répondre à vos questions sur ces sujets, en séance ou en commission.

M. le président. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

proposition de loi relative à l’encadrement de l’utilisation du téléphone portable dans les établissements d’enseignement scolaire

Discussion générale
Dossier législatif : proposition de loi relative à l'encadrement de l'utilisation du téléphone portable dans les établissements d'enseignement scolaire
Article 2

Article 1er

Le chapitre unique du titre Ier du livre V de la deuxième partie du code de l’éducation est ainsi modifié :

1° L’article L. 511-5 est ainsi rédigé :

« Art. L. 511-5. – L’utilisation d’un téléphone mobile ou de tout autre équipement terminal de communications électroniques par un élève est interdite dans les écoles maternelles, les écoles élémentaires et les collèges et pendant toute activité liée à l’enseignement qui se déroule à l’extérieur de leur enceinte, à l’exception des lieux et des circonstances dans lesquels le règlement intérieur l’autorise expressément.

« Dans les lycées, le règlement intérieur peut interdire l’utilisation par un élève des appareils mentionnés au premier alinéa dans tout ou partie de l’enceinte de l’établissement ainsi que pour les activités se déroulant à l’extérieur de celle-ci.

« Le présent article n’est pas applicable aux équipements que les élèves présentant un handicap ou un trouble de santé invalidant sont autorisés à utiliser dans les conditions prévues au chapitre Ier du titre V du livre III.

« La méconnaissance des règles fixées en application du présent article peut entraîner la confiscation de l’appareil par un personnel de direction, d’enseignement, d’éducation ou de surveillance. Le règlement intérieur fixe les modalités de sa confiscation et de sa restitution. » ;

2° (Supprimé)

M. le président. La parole est à M. François Bonhomme, sur l’article.

M. François Bonhomme. L’interdiction du portable dans les écoles est une mesure de bon sens, qui nous conduit à nous interroger sur un sujet plus vaste et plus profond, celui de la place du numérique à l’école.

L’école doit être préservée. Elle doit être un sanctuaire à l’abri de l’air du temps et de la société, qui peut, dans ses diverses évolutions, menacer l’école en tant que lieu de transmission de la connaissance. La violence, la pornographie, la pression du groupe, le mimétisme grégaire sont des illustrations de cette menace.

Internet est une formidable invention, mais nous savons tous qu’il fragilise le rapport forcément vertical, donc inégal, et légitimement hiérarchique entre le professeur et l’élève. Le téléphone portable est son cheval de Troie. Il est donc urgent de préserver et de sacraliser cette indispensable verticalité de l’école, tellement mise à mal en quelques années.

Ne nous racontons pas d’histoire : l’école, et toute la société, ont été prises de vitesse par la technologie. Croire que l’on pourra s’en rendre maître est un leurre, une illusion.

Cela a été rappelé, l’usage du téléphone portable en classe est déjà réglementé, au moins durant toute la durée des enseignements, mais tout le monde fait le constat des dégâts qu’il provoque : problèmes relationnels, troubles de la concentration et de la mémorisation, troubles des apprentissages. Tout cela rend la classe et le milieu scolaire invivables. Nous pouvons tous observer le spectacle affligeant de ce que sont devenues les cours de création du fait de l’omniprésence du portable.

La classe doit être un lieu de silence, préservé de toutes les dérives de la société, sauf à accepter une dénaturation profonde de l’école. L’utilisation du téléphone portable à l’école est donc une véritable calamité. C’est un sujet de société : il suffit de voir combien de parents sont désarmés devant l’ampleur du phénomène. Il n’est plus aucun milieu social où la transmission du goût de la lecture ne soit devenue très difficile, car enfants et adolescents passent des heures de loisir devant des écrans avec leurs copains. Or ce n’est que dans la solitude que peut s’épanouir le goût de la lecture. C’est précisément cette solitude qu’internet fait disparaître.

C’est surtout une grave menace pour l’école, pour l’enseignement. L’école doit être par excellence le lieu de la déconnexion. C’est à l’écart et à l’abri d’internet que peuvent se former les élèves. Ils ont besoin d’être soustraits au monde environnant, à son agitation, à son brouhaha. Plus généralement, l’omniprésence du téléphone portable, c’est le règne de l’image au détriment de l’écrit, le flux de l’information immédiatement disponible, sans prise de distance possible, au détriment de la réflexion. Le professeur, ainsi concurrencé, devient malgré lui animateur pour sauvegarder sa classe.

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. François Bonhomme. M. Piednoir parlait de la nécessité, pour l’école, de ne pas être dans la même temporalité que la société. J’irai plus loin en disant que l’école se doit d’être anachronique.

M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, sur l’article.

Mme Cécile Cukierman. Chacun fait le constat des bouleversements liés au rapport aux écrans que peuvent entretenir nos enfants et nos adolescents, à l’école mais aussi en dehors. À cet égard, il serait illusoire de croire, mon cher collègue Bonhomme, que l’école puisse et doive se couper du monde.

Le simple fait d’interdire ou d’encadrer l’utilisation des téléphones portables à l’école et au collège permettra-t-il de résoudre la problématique soulevée par ce texte ? Je ne le pense pas.

D’ailleurs, le vrai problème, c’est celui du respect de la règle. Pourquoi respecte-t-on ou pas la règle quand on est à l’école primaire ou au collège ? Celles et ceux d’entre nous qui ont été enseignants savent que certaines choses ne se décrètent pas ou ne s’imposent pas d’en haut, par une loi ou une circulaire ; on l’a vu à propos d’autres sujets. On peut demain décider d’interdire le téléphone portable à l’école, mais la question est de savoir pourquoi des enfants vont défier la règle et comment faire face à cette attitude.

Je ne suis donc pas sûre que l’interdiction du téléphone portable soit forcément la réponse aux difficultés des enseignants confrontés à une utilisation non autorisée de cet appareil pendant les heures de cours.

M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.

Mme Cécile Cukierman. Ce débat reste à construire si nous voulons réellement répondre à l’enjeu de société que représente l’usage des écrans par les plus jeunes.

M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 4, présenté par Mme Brulin, M. Ouzoulias et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :

I. - Alinéa 3

Rédiger ainsi cet alinéa :

« Art. L. 511-5. - Dans les écoles maternelles, les écoles élémentaires et les collèges, l’utilisation durant toute activité d’enseignement et dans les lieux prévus par le règlement intérieur, par un élève, d’un téléphone mobile est interdite.

II. – Alinéa 6, seconde phrase

Remplacer cette phrase par les mots et une phrase ainsi rédigée :

si cette sanction est prévue par le règlement intérieur de l’établissement. Au plus tard à l’issue de la journée, l’appareil confisqué est remis à un des responsables légaux de l’élève ou, à défaut, à ce dernier.

La parole est à M. Pierre Ouzoulias.

M. Pierre Ouzoulias. N’ayant pas du tout utilisé mon téléphone portable cet après-midi, j’ai été très attentif au débat ! (Sourires.)

J’ai bien compris que nous étions tous d’accord sur le fait que les téléphones portables ne devaient absolument pas être utilisés dans les classes. Monsieur Grosperrin, l’étude anglaise que vous avez citée porte précisément sur ce sujet. Je le rappelle, aujourd’hui, les téléphones portables sont déjà interdits dans les classes, au titre de l’article L. 511-5 du code de l’éducation, qui prévoit que l’utilisation par un élève d’un téléphone mobile est interdite dans les écoles maternelles et dans les écoles élémentaires « durant toute activité d’enseignement et dans les lieux prévus par le règlement intérieur ». Ma question est simple, monsieur le ministre : comment se fait-il que, aujourd’hui, 50 % des établissements n’appliquent pas la loi ?

M. le président. L’amendement n° 7, présenté par M. Karam et les membres du groupe La République En Marche, est ainsi libellé :

Alinéa 3

Après les mots :

par un élève est

insérer les mots :

, sauf pour des usages pédagogiques,

La parole est à M. Antoine Karam.

M. Antoine Karam. Cet amendement a pour objet de rétablir une exception, supprimée par la commission de la culture du Sénat, au principe général d’interdiction de l’usage du téléphone portable dans l’enceinte des établissements scolaires et d’autoriser l’utilisation des appareils électroniques dans un cadre pédagogique, pour l’apprentissage et la formation aux outils numériques.

Il s’agit de remédier à une faille de la rédaction actuelle de l’article L. 511-5 du code de l’éducation, lequel dispose que l’usage des téléphones portables est interdit pendant toute activité d’enseignement. Si une telle interdiction a pu avoir un sens, ce n’est plus le cas aujourd’hui, tant les outils numériques font partie du quotidien de chacun. Il est nécessaire de former les jeunes à leur usage et de considérer les plus-values qu’ils apportent pour l’enseignement.

Ainsi, autoriser l’usage des appareils électroniques dans un cadre pédagogique permettrait d’inscrire dans la loi le renforcement de l’éducation des jeunes au regard des enjeux numériques, en vue de les responsabiliser et de les former aux nouvelles technologies.

Cela a été dit, près de 90 % des jeunes âgés de douze à dix-sept ans possèdent un smartphone. Leur apprendre à utiliser ces outils avec discernement, les accompagner et leur permettre de développer un esprit critique quant à leur usage est de mon point de vue indispensable.

On ne peut méconnaître les plus-values des appareils électroniques sur le plan éducatif. De nombreux professeurs y ont recours dans les enseignements qu’ils dispensent. Pour les élèves, ces outils facilitent les recherches et l’accès à des contenus interactifs. Ils constituent un atout pour les enseignants, qui disposent d’une palette d’outils plus large pour préparer et animer leurs cours. Enfin, l’éducation au numérique est essentielle en vue de l’insertion des élèves dans le monde professionnel.

Nous souhaitons donc rétablir cette exception, afin d’affirmer la dimension éducative de l’usage des appareils électroniques à l’école.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Stéphane Piednoir, rapporteur. La première partie de l’amendement n° 4 vise à revenir à l’esprit de l’article L. 511-5 du code de l’éducation, dont on a expliqué dans quelle insécurité juridique il plaçait certains chefs d’établissement. Il me semble qu’elle est satisfaite par le texte proposé par la commission de la culture.

La seconde partie de l’amendement tend à apporter des précisions relatives à la confiscation. Ses dispositions ne me semblent pas relever de la loi. Il ne paraît pas utile d’inscrire un tel luxe de détails dans un texte de loi.

La commission sollicite donc le retrait de cet amendement ; à défaut, elle émettra un avis défavorable.

L’amendement n° 7 tend à autoriser les téléphones portables à l’école pour des usages pédagogiques. Cet amendement est contraire à la position de la commission, qui a souhaité supprimer cette exception. Cela étant, la rédaction proposée par la commission, qui mentionne des « lieux et des circonstances dans lesquels l’utilisation du téléphone portable peut être autorisée par l’établissement », peut viser les usages pédagogiques. Cela peut être précisé dans le règlement intérieur : l’article 1er, tel qu’il est actuellement rédigé, n’interdit absolument pas de recourir aux téléphones portables pour des usages pédagogiques.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. L’amendement n° 4 a deux objets, comme l’a rappelé le rapporteur : rétablir l’article L. 511-5 du code de l’éducation dans sa rédaction issue de la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement ; prévoir que l’utilisation d’un téléphone portable en méconnaissance des règles fixées à cet article ne peut entraîner sa confiscation que si cette sanction est prévue par le règlement intérieur.

Pour justifier le rétablissement de l’article L. 511-5 du code de l’éducation, les auteurs de l’amendement soutiennent que la quasi-intégralité des établissements interdiraient déjà l’utilisation du téléphone portable dans leurs locaux. L’objet de la proposition de loi est justement de sécuriser ces interdictions, dont la légalité pourrait être contestée, dès lors que si le règlement intérieur peut évidemment encadrer l’utilisation du téléphone portable dans l’enceinte des établissements scolaires, il ne peut pas, en revanche, édicter une interdiction générale et absolue.

Par ailleurs, le Gouvernement souhaite que le principe de l’interdiction de l’utilisation du téléphone portable s’impose dans toutes les écoles et dans tous les collèges, sans qu’il faille s’en remettre à la volonté de l’autorité chargée d’adopter le règlement intérieur, à savoir le conseil d’école ou le conseil d’administration pour les collèges. Ces derniers pourront néanmoins décider, le cas échéant, des lieux et des circonstances dans lesquels l’utilisation du téléphone portable pourrait éventuellement être autorisée.

Les auteurs de l’amendement entendent par ailleurs sécuriser le droit à la confiscation d’un téléphone portable en précisant que cette sanction ne peut intervenir que si elle est prévue par le règlement intérieur. Or l’objet de la proposition de loi n’est pas d’ériger la confiscation du téléphone portable en sanction disciplinaire, au sens de l’article R.511-13 du code de l’éducation. La confiscation représente en l’espèce une simple punition scolaire, constitutive d’une mesure d’ordre intérieur, qui peut être décidée par tout personnel de direction, d’enseignement, d’éducation ou de surveillance de l’établissement.

Dans ces conditions, il semble plus adapté de renvoyer au règlement intérieur le soin de préciser les modalités concrètes de sa mise en œuvre – durée, information des parents, restitution –, plutôt que de les inscrire dans la loi.

La confiscation de l’appareil ne fera par ailleurs pas obstacle, dès lors qu’il s’agit, comme cela a été dit, d’une simple punition, et non d’une sanction disciplinaire, à l’engagement d’une procédure disciplinaire susceptible d’aboutir au prononcé d’une des sanctions prévues à l’article R.511-13 lorsque les circonstances le justifieront, par exemple en cas de récidive ou d’utilisation portant atteinte à l’image et à la dignité d’un élève ou d’un membre de la communauté éducative.

Pour toutes ces raisons, je suis défavorable à l’amendement n° 4.

L’amendement n° 7 a pour objet de rétablir une exception au principe général d’interdiction de l’usage du téléphone portable.

En effet, bien que l’article 1er de la proposition de loi vise à récrire l’article L. 511-5 du code de l’éducation en faisant de l’interdiction le principe général, il paraît opportun de préciser que ces appareils peuvent être utilisés à des fins pédagogiques au regard des évolutions technologiques que connaît la société. Ces usages pédagogiques doivent être encadrés, construits par les enseignants dans le cadre de démarches pédagogiques au service de l’apprentissage des élèves.

C’est une des vertus de cette proposition de loi que d’être beaucoup plus explicite sur la question. Il s’agit de faciliter le travail des équipes de direction et des enseignants, en leur donnant un point d’appui législatif, un repère clair et une base juridique solide.

Nombre d’écoles et d’établissements d’enseignement scolaire ont mené ou mènent des expériences incluant l’utilisation pédagogique des téléphones portables par des élèves, par exemple en tant que simples outils d’enregistrement audio en langues vivantes ou de photographie dans le cas de travaux pratiques en sciences de la vie et de la Terre. Les élèves peuvent également utiliser certaines fonctions de communication par le biais de recherches sur internet. Toutefois, il s’agit là de démarches pédagogiques qui doivent être strictement encadrées, et c’est donc uniquement sous l’autorité du professeur que cela peut se concevoir.

Enfin, le Gouvernement souhaite non seulement ne pas remettre en cause ces expérimentations, mais aussi les encourager, dès lors qu’elles permettent d’associer les représentants de la communauté éducative.

Pour l’ensemble de ces raisons, je suis favorable à l’amendement n° 7.

M. le président. La parole est à M. François Bonhomme, pour explication de vote.

M. François Bonhomme. Au risque de détonner quelque peu par rapport à l’opinion générale, je crois vraiment que l’interdiction du téléphone portable doit être absolue. Il sera d’autant plus facile aux conseils d’administration des collèges et aux conseils d’école de poser une interdiction qu’elle sera ferme. Cela évitera les circonvolutions que l’on peut connaître dans les discussions de terrain. Il s’agit de le dire très clairement : le téléphone portable n’est l’ami ni de l’école ni de la connaissance.

Pourquoi vouloir distinguer les bons et les mauvais usages du téléphone portable ? Par nature, c’est un mauvais instrument, un intrus dans la classe, qui vient défaire ce lien de verticalité qui doit demeurer entre l’enseignant et ses élèves !

M. le ministre a marqué une inflexion forte par rapport à l’action de son prédécesseur, mais je vois bien qu’il est quelque peu gêné aux entournures et n’ose pas aller au bout de sa démarche en énonçant clairement les choses. Qu’il me permette ici de me faire en quelque sorte l’interprète de sa conscience ! (Sourires.) On s’incline devant le totem technologique. Autant l’usage d’un tableau blanc interactif peut être utile, car le professeur fait le lien entre les élèves et l’écran et tout le monde regarde le même contenu, autant les tablettes et les téléphones portables, a fortiori, sont des facteurs de distraction, d’éparpillement, de baisse de la concentration. Leur utilisation a déjà fait d’énormes dégâts, il est encore temps d’intervenir pour éviter que de nouvelles générations d’élèves ne soient sacrifiées !

« Qu’en sera-t-il quand nous aurons des crétins connectés ? » s’interrogeait un philosophe. Remettons la connaissance, la transmission des savoirs au cœur de l’école. Ce n’est pas l’hyperconnexion qui nous conduira nécessairement dans cette voie.

M. le président. La parole est à M. Max Brisson, pour explication de vote.

M. Max Brisson. Le débat le montre bien, nous avons mis la charrue devant les bœufs. Si, dans cette enceinte, nous avions eu un vrai débat sur les pratiques numériques, sur l’utilisation, ou pas, du téléphone portable, sur ce que recouvre véritablement la pédagogie numérique, sur la manière dont celle-ci remet aujourd’hui en question la formation même des professeurs, qui doivent apprendre à leurs élèves à apprendre, plutôt que leur transmettre des savoirs, peut-être n’aurions-nous pas de tels échanges aujourd’hui : notre discussion s’inscrirait dans un autre contexte.

L’examen de cette proposition de loi ne revêtait aucun caractère d’urgence absolue, même s’il importe de tenir les promesses de campagne électorale. En tout cas, on prend la question par le petit bout de la lorgnette.

Mmes Maryvonne Blondin et Claudine Lepage. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Antoine Karam, pour explication de vote.

M. Antoine Karam. Tous les territoires ne sont pas logés à la même enseigne. Le mien connaît de très grandes disparités : certains établissements scolaires de Guyane ne comptent aucun ordinateur. Or on exige aujourd’hui des futurs professeurs formés dans les écoles supérieures du professorat et de l’éducation, les ESPE, qu’ils obtiennent un certificat attestant de leur capacité à enseigner en utilisant les outils numériques. Lorsque l’établissement n’est pas équipé, le professeur demande aux élèves qui possèdent un smartphone de le sortir, et c’est ainsi que la classe travaille.

La proposition que je formule se veut tout à la fois pratique et pragmatique, afin de faire progresser la pédagogie grâce au numérique, car on ne pourra jamais revenir en arrière.

M. le président. La parole est à M. Jacques Grosperrin, pour explication de vote.

M. Jacques Grosperrin. M. Ouzoulias a demandé pourquoi tous les chefs d’établissement n’appliquaient pas la loi. C’est qu’ils font parfois, eux aussi, de la politique… Adopter cette proposition de loi serait, à ce titre, un acte fort. M. Brisson a raison de dire que l’école doit être sanctuarisée : ce n’est pas un lieu où l’on joue, c’est un lieu où l’on travaille, où l’on apprend. Poser clairement l’interdiction dans la loi permettrait de mettre fin à toutes ces conduites d’évitement que l’on peut observer : si cela permet de garantir son effectivité, pourquoi s’en priver ?

M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.

M. Pierre Ouzoulias. Ce sera ma dernière intervention. Ce n’est pas la peine de faire durer le débat ou de jouer la montre, comme on dit…

Je partage complètement les propos très justes et très forts de M. Brisson. Je dirai à notre collègue Grosperrin que, ayant été fonctionnaire, je me souviens d’une époque où la circulaire ministérielle avait encore de la valeur. Pourquoi n’en a-t-elle plus aujourd’hui ? Pourquoi faut-il imposer par la loi ce qui pourrait l’être par une circulaire ministérielle ?

M. Pierre Ouzoulias. En ce qui concerne l’amendement n° 4, monsieur le ministre, vous avez indiqué très justement que ce que nous proposons serait plus à sa place dans le règlement intérieur ; c’est exactement ce que nous voulons ! Ces dispositions doivent être inscrites non dans la loi, mais dans le règlement intérieur.

Permettez-moi de citer un extrait du règlement intérieur d’un lycée dont je tairai le nom : « Les élèves doivent adopter une tenue correcte en classe. Les sous-vêtements ne doivent pas être visibles. Les articles suivants sont interdits : casquettes, shorts, décolletés excessifs. »

Serons-nous conduits, un jour, à légiférer sur la surface minimale de textile en deçà de laquelle le décolleté est considéré comme excessif ? (Sourires.) Non ! Mieux vaut en rester à l’interdiction générale, et renvoyer tout le reste au règlement intérieur.

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Lozach, pour explication de vote.

M. Jean-Jacques Lozach. Nous faisons le distinguo entre les amendements nos 4 et 7. À chaque débat, nous retombons sur le même dilemme : qu’est-ce qui relève du domaine réglementaire, en l’occurrence du règlement intérieur de l’établissement, et qu’est-ce qui relève de dispositions législatives ? En l’espèce, s’il en est ainsi, c’est parce que nous n’avons pas eu de débat général, ambitieux sur la relation entre la société numérique et le système éducatif.

Nous voterons contre l’amendement n° 7 : pourquoi une telle interdiction relèverait-elle du niveau législatif, alors que d’autres interdictions relèveraient simplement du règlement intérieur de l’établissement ? Ce n’est pas cohérent.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 4.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 7.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. L’amendement n° 3 rectifié ter, présenté par M. Decool, Mme Mélot et MM. Lagourgue, Chasseing, Malhuret et Wattebled, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 3

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« L’utilisation des téléphones, tablettes ou autre appareil de télécommunication par les élèves à des fins pédagogiques dans le cadre scolaire respecte les durées maximales d’exposition journalière recommandées à savoir : aucune exposition avant trois ans, trente minutes entre trois et six ans, deux heures de six à douze ans.

La parole est à Mme Colette Mélot.

Mme Colette Mélot. Cet amendement vise à limiter la durée journalière d’exposition des élèves aux écrans des téléphones, tablettes et ordinateurs utilisés dans le cadre des activités pédagogiques.

Les écrans sont devenus la première occupation des enfants et adolescents. Scientifiques et professionnels ont alerté les parents et les pouvoirs publics sur les effets néfastes, pour la santé et le développement de l’enfant, de la surexposition aux écrans : retard dans l’acquisition du langage, troubles de l’attention, désorientation du regard, troubles relationnels, troubles du sommeil et myopie.

Par ailleurs, une étude PISA datant de 2015 a montré que les enfants utilisant le moins les outils numériques dans le cadre scolaire en font meilleur usage, car ils ont pu développer au préalable des capacités de synthèse et de hiérarchisation de l’information.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Stéphane Piednoir, rapporteur. Madame Mélot, je comprends votre intention, mais j’émets un avis défavorable, pour trois raisons.

D’abord, ces prescriptions ne me semblent pas relever du niveau législatif. Il ne paraît pas utile de graver dans la loi de telles dispositions, à plus forte raison lorsqu’il est fait référence à des notions scientifiques, qui, par nature, peuvent évoluer dans le temps.

Ensuite, le présupposé de départ est lui aussi assez contestable. La surexposition aux écrans a avant tout lieu à la maison, en dehors de l’établissement.

Enfin, on imagine mal comment pourrait être contrôlé le temps d’exposition des élèves aux écrans, qui plus est avec des variations suivant l’âge.

Je vous demanderai donc de bien vouloir retirer cet amendement. À défaut, l’avis sera défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis.

M. le président. Madame Mélot, l’amendement n° 3 rectifié ter est-il maintenu ?

Mme Colette Mélot. Chacun l’aura compris, c’est un amendement d’appel, de mise en garde. Je le retire, monsieur le président.

M. le président. L’amendement n° 3 rectifié ter est retiré.

L’amendement n° 2 rectifié ter, présenté par Mme Mélot et MM. Decool, Chasseing, Malhuret, Lagourgue et Wattebled, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 4

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« Les équipements utilisés par les élèves à des fins pédagogiques ou destinés aux élèves présentant un handicap ou un trouble de santé invalidant pendant l’activité scolaire doivent nécessairement être équipés d’un filtre à lumière bleue.

La parole est à Mme Colette Mélot.

Mme Colette Mélot. Cet amendement vise à protéger les enfants de l’exposition à la lumière bleue des écrans utilisés à des fins pédagogiques ou pour des raisons de santé ou de handicap, pendant le temps scolaire.

La plupart des écrans d’ordinateur, de tablette ou de téléphone émettent une lumière enrichie en bleu. Chez l’homme, la lumière bleue a des effets physiologiques et des risques associés spécifiques, à savoir, principalement, une atteinte de la rétine, d’une part, et une perturbation de l’horloge biologique, d’autre part.

L’exposition à la lumière bleue pourrait notamment être un des facteurs à l’origine de pathologies rétiniennes, telles que la dégénérescence maculaire liée à l’âge. Les jeunes constituent la population la plus vulnérable, car leur exposition cumulée au cours du temps sera plus importante et leur cristallin transparent ne filtre pas la lumière bleue : en vieillissant, le cristallin s’opacifie et prend progressivement une coloration jaune, faisant office de filtre physiologique. Bien sûr, au fil du temps, les appareils pourront évoluer, mais ne serait-il pas envisageable, surtout pour ceux qui utilisent les écrans en milieu scolaire pour des raisons de santé, de prévoir l’installation d’un filtre ?

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Stéphane Piednoir, rapporteur. Là encore, je partage l’intention généreuse des auteurs de l’amendement, mais la disposition proposée, déjà rejetée en commission, ne relève pas de la loi. La commission émet donc un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis.

M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot, pour explication de vote.

Mme Colette Mélot. Je vais également retirer cet amendement, en espérant qu’il pourra être tenu compte du problème soulevé.

M. le président. L’amendement n° 2 rectifié ter est retiré.

Je mets aux voix l’article 1er.

(Larticle 1er est adopté.)

Article 1er
Dossier législatif : proposition de loi relative à l'encadrement de l'utilisation du téléphone portable dans les établissements d'enseignement scolaire
Article 3

Article 2

(Supprimé)

Article 2
Dossier législatif : proposition de loi relative à l'encadrement de l'utilisation du téléphone portable dans les établissements d'enseignement scolaire
Article 4 (début)

Article 3

I. – L’article L. 312-9 du code de l’éducation est ainsi modifié :

1° À la première phrase, après le mot : « utilisation », il est inséré le mot : « responsable » ;

2° La seconde phrase est ainsi modifiée :

a) Le mot : « sensibilisation » est remplacé par le mot : « éducation » ;

b) Après le mot : « intellectuelle », sont insérés les mots : « , de la liberté d’opinion et de la dignité de la personne humaine » ;

3° Est ajoutée une phrase ainsi rédigée : « Elle contribue au développement de l’esprit critique. »

II. – À l’article L. 371-1 du code de l’éducation, après les mots : « Wallis-et-Futuna » sont insérés les mots : « les dispositions suivantes du présent livre dans sa rédaction résultant de la loi n°… du … relative à l’encadrement de l’utilisation du téléphone portable dans les établissements d’enseignement scolaire : ».

M. le président. L’amendement n° 5, présenté par Mme Brulin, M. Ouzoulias et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Pierre Ouzoulias.

M. Pierre Ouzoulias. Cet amendement est défendu, monsieur le président.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Stéphane Piednoir, rapporteur. Avis défavorable. Les modifications qu’apporte l’article 3 ne nous semblent pas entièrement dépourvues d’intérêt…

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 5.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 3.

(Larticle 3 est adopté.)

Article 3
Dossier législatif : proposition de loi relative à l'encadrement de l'utilisation du téléphone portable dans les établissements d'enseignement scolaire
Article 4 (fin)

Article 4

I. – (Non modifié) À la première phrase du troisième alinéa de l’article L. 401-1 du code de l’éducation, après le mot : « interdisciplinarité, », sont insérés les mots : « l’utilisation des outils et ressources numériques, ».

II. – (Supprimé)

M. le président. L’amendement n° 6, présenté par Mme Brulin, M. Ouzoulias et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Pierre Ouzoulias.

M. Pierre Ouzoulias. Cet amendement est défendu, monsieur le président.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Stéphane Piednoir, rapporteur. Avis défavorable, pour les mêmes motifs que précédemment.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 6.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 4.

(Larticle 4 est adopté.)

Vote sur l’ensemble

M. le président. Personne ne demande la parole ?…

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’ensemble de la proposition de loi.

(La proposition de loi est adoptée.)

Article 4 (début)
Dossier législatif : proposition de loi relative à l'encadrement de l'utilisation du téléphone portable dans les établissements d'enseignement scolaire
 

7

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, mardi 17 juillet 2018, à quatorze heures et le soir :

Suite du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (n° 567, 2017-2018) ;

Rapport de Mme Dominique Estrosi Sassone, fait au nom de la commission des affaires économiques (n° 630, 2017-2018) ;

Avis de M. Marc-Philippe Daubresse, fait au nom de la commission des lois (n° 604, 2017-2018) ;

Avis de M. Jean-Pierre Leleux, fait au nom de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication (n° 606, 2017-2018) ;

Avis de M. Patrick Chaize, fait au nom de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable (n° 608, 2017-2018) ;

Texte de la commission (n° 631, 2017-2018).

Personne ne demande la parole ?…

Puisque le latin était à l’honneur ce soir, quam prodicta dies(Applaudissements.)

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures vingt-cinq.)

nomination de membres dune éventuelle commission mixte paritaire

La liste des candidats désignés par la commission de la culture, de léducation et de la communication pour faire partie de léventuelle commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative à lencadrement de lusage du téléphone portable dans les écoles et les collèges a été publiée conformément à larticle 12 du règlement.

Aucune opposition ne sétant manifestée dans le délai prévu par larticle 9 du règlement, cette liste est ratifiée. Les représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire sont :

Titulaires : MM. Jacques Grosperrin, Stéphane Piednoir, Max Brisson, Mme Sonia de la Provôté, M. Jean-Jacques Lozach, Mmes Claudine Lepage, Mireille Jouve ;

Suppléants : Mmes Annick Billon, Laure Darcos, MM. Antoine Karam, Jacques-Bernard Magner, Pierre Ouzoulias, Olivier Paccaud, Alain Schmitz.

Direction des comptes rendus

GISÈLE GODARD