compte rendu intégral

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

M. Yves Daudigny,

Mme Françoise Gatel.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 24 janvier 2019 a été publié sur le site internet du Sénat.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté.

2

 
Dossier législatif : projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises
Discussion générale (suite)

Croissance et transformation des entreprises

Discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises
Question préalable

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la croissance et la transformation des entreprises (projet n° 28, texte de la commission spéciale n° 255, rapport n° 254, rapport d’information de la commission des affaires européennes n° 207).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Monsieur le président, madame la présidente de la commission spéciale, madame, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis particulièrement heureux de vous présenter en séance ce projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises, dit projet de loi PACTE, et je me réjouis par avance, avec ma secrétaire d’État Agnès Pannier-Runacher, des débats constructifs que nous allons avoir dans les jours à venir.

Ce projet de loi PACTE, c’est dix-huit mois de dialogue pour offrir de véritables solutions, permettant à nos entreprises de grandir, d’investir, d’innover, d’embaucher et de gagner des parts de marché à l’extérieur.

Dialogue avec les acteurs économiques, d’abord.

Ce texte n’est pas sorti tout droit du bureau du ministre de l’économie et des finances ; il découle des concertations, des discussions, des échanges que nous avons eus avec les entrepreneurs, les salariés, les fédérations professionnelles, les organisations syndicales.

Dialogue avec les parlementaires, bien sûr.

J’ai attaché beaucoup d’importance à ce que tous les parlementaires, sénateurs et députés, soient associés dès le départ à notre démarche. Nous avons d’ailleurs adopté une position ouverte, en travaillant avec les députés de tous les partis politiques – ceux du groupe majoritaire, mais aussi ceux du groupe socialiste ou du groupe Les Républicains – pour améliorer notre texte.

Cette approche reposant sur le dialogue et la concertation, en vue d’améliorer un projet de loi servant l’intérêt général, j’entends la conserver, ici, au Sénat, durant les travaux que nous engageons aujourd’hui. Le dialogue que nous avons commencé à nouer tout en conviction me donne la certitude que nous pouvons encore renforcer ce texte, au service de nos entreprises. C’est tout l’objectif de nos discussions.

Je voudrais tout particulièrement remercier la présidente de la commission spéciale, Catherine Fournier, le rapporteur sur le chapitre Ier, Élisabeth Lamure, le rapporteur sur le chapitre II, Jean-François Husson, et le rapporteur sur les chapitres III et IV, Michel Canevet, pour le travail remarquable qu’ils ont réalisé afin d’étudier les possibilités d’amélioration du texte.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous connaissez les grandes orientations du projet de loi PACTE, nous les avons discutées en commission. Il s’agit de la croissance des entreprises, de l’innovation – c’est la clé du succès de notre nation – et de la justice – chacun a conscience, vous peut-être plus que les autres, de la soif de justice des citoyens français.

La croissance, d’abord, doit nous préoccuper, car nos entreprises sont trop petites et le ralentissement économique, partout dans le monde, mais particulièrement dans la zone euro, nous impose de retrousser nos manches et d’améliorer notre système économique, afin que celui-ci engendre plus d’activité, produise plus d’emplois et retrouve le dynamisme qui doit être le sien, à la hauteur des talents de la France.

Depuis des années, nous avons accumulé toute une série de blocages, au service d’intérêts particuliers, et non de l’intérêt général. Administratifs, techniques, culturels, financiers, ces blocages étaient chaque fois pleinement justifiés, mais, je le redis, ils servaient des intérêts particuliers, pas l’intérêt général, et ont bridé le dynamisme et la compétitivité de nos entreprises, les empêchant de créer les emplois et la prospérité dont les Français ont besoin. Ces blocages, nous allons, tous ensemble, les lever !

Cela passe par la simplification.

Nous nous sommes fait une spécialité, en France, de la complexité administrative, et celle-ci est un obstacle pour nos entreprises. Chaque fois, c’est le prétexte de la sécurité ou de la protection qui est avancé, alors que la vraie sécurité, la vraie protection, repose sur la croissance des entreprises et l’emploi pour tous.

Nous travaillerons donc à la simplification des registres, des déclarations administratives, à la simplification de la création d’entreprise – particulièrement dynamique en France –, à la simplification du rebond ou de la transmission des entreprises. Je crois, en effet, au capitalisme familial, à la possibilité offerte à une famille de transmettre le fruit de son travail et de son ingéniosité à ses descendants.

Parmi ces simplifications, il est une mesure emblématique, celle qui, à mon sens, est la plus à même de permettre à nos PME de grandir : il s’agit de la simplification des seuils sociaux, de leur allégement et des cinq années données aux PME pour remplir leurs nouvelles obligations en la matière.

Si vous adoptez ce texte, mesdames, messieurs les sénateurs, une PME de 47 ou 48 salariés du secteur du bâtiment ou des travaux publics, qui, à la suite d’une commande importante, par exemple la construction d’un hôpital, d’une crèche ou d’un collège, décide de passer à 55, 56 ou 60 salariés, disposera désormais de cinq années avant d’être obligée de remplir ses obligations fiscales au titre des seuils sociaux. Si, au terme de ce délai, elle n’a plus de commandes et revient à un effectif de 47 ou 48 salariés, elle n’aura subi aucune contrainte supplémentaire ; si, en revanche, elle maintient son effectif à 60 ou 70 salariés car la croissance était structurelle, elle devra légitimement s’en acquitter.

Cette simplification majeure doit permettre à tous ces chefs d’entreprise que nous avons, vous et moi, rencontrés sur nos territoires, dans les départements, et qui rechignent à embaucher un cinquante et unième salarié, de le faire librement, sans contrainte supplémentaire.

J’ai compris, des travaux de la commission, que vous souhaitiez aller plus loin et décaler le seuil de 50 salariés, sans toucher aux questions de représentativité – j’y suis profondément attaché et, à mon sens, il ne faut pas y toucher. Mais nous aurons un débat – bienvenu – sur le sujet, car je serai favorable à tout ce qui permet de débloquer cet acte fondamental qu’est l’acte d’embauche, décision la plus lourde de responsabilités pour un chef d’entreprise.

La modification des seuils est décisive pour libérer la création de dizaines de milliers d’emplois dans notre pays. Je suis donc prêt à étudier, de manière ouverte et constructive, les propositions d’amélioration que vous ferez sur ce thème.

L’innovation, ensuite : c’est la condition de la compétitivité de nos entreprises.

Sur ce sujet, soyons lucides. Nos entreprises ont pris du retard en matière de digitalisation et de robotisation. Or l’une et l’autre font la productivité, et la productivité fait l’emploi.

Voilà quelques jours, je visitais une magnifique entreprise de Vénissieux qui a réussi à se transformer. Elle fabriquait des injecteurs diesel pour Bosch ; désormais, elle fabrique des chaudières électriques extraordinairement performantes. Cette entreprise Boostheat, pour la nommer, emploie des technologies de pointe, et c’est là que réside sa productivité. Grâce à cela, elle a embauché 200 salariés au cours de l’année passée.

Mesdames, messieurs les sénateurs, c’est l’innovation qui fera notre succès !

Hélas, d’après les comparaisons européennes, la France accuse un retard, qu’il faut désormais combler rapidement. Quand on dénombre 19 robots pour 1 000 salariés dans l’industrie française, on en dénombre 21 ou 22 en Italie, et 34 en Allemagne.

À ce retard sur la robotisation, s’ajoute un nombre important de PME, en particulier parmi les plus petites, qui ne sont pas digitalisées, et une entreprise non digitalisée aura malheureusement des difficultés à réussir.

Tous les moyens de financement que nous allons mettre en place pour faciliter les expérimentations, donner plus de transparence aux Initial Coin Offerings, les ICO, construire des ponts entre la recherche publique et l’entreprise vont nous permettre de développer l’innovation et de lever, là aussi, certains freins incompréhensibles à la construction du lien entre innovation et entrepreneuriat.

Ainsi, comment accepter que l’on ait bridé, à ce point, la possibilité, pour un chercheur, de travailler dans une entreprise ? Pourquoi a-t-on empêché un chercheur de posséder des participations dans une entreprise et de les conserver après son retour dans le monde de la recherche ? Levons ces freins et ces obstacles, qui ont empêché le talent français de s’exprimer au niveau qui est le sien !

La justice, enfin, car le travail doit payer.

Le travail doit payer en France et chacun mesure bien, à l’aune de la crise actuelle, le nombre de nos compatriotes qui se retrouvent à ne pas pouvoir vivre dignement de leur travail, voire à ne pas en vivre du tout. Certes, les salaires ont progressé au cours des dernières années, mais les dépenses contraintes ont augmenté encore plus, le nombre de femmes élevant leurs enfants seules a explosé. Elles doivent les déposer le matin à la crèche, revenir les chercher le soir, parfois avec des horaires contraints, effectuer des déplacements en voiture et elles ont le sentiment, en travaillant, de vivre moins bien que si elles restaient chez elles à percevoir des allocations.

Il me semble donc indispensable, au travers du projet de loi PACTE, de pousser encore plus loin la politique que nous avons engagée avec le Premier ministre et le Président de la République pour faire en sorte que le travail paie.

Les salariés sont la première condition de la réussite d’une entreprise. Il est légitime que, lorsqu’une entreprise réussit, ses salariés en soient récompensés, via l’intéressement ou la participation.

D’où cette mesure phare du projet de loi qui vous est soumis : la suppression de toute taxe sur l’intéressement pour les entreprises de moins de 250 salariés. Désormais, dès lors qu’il n’y a plus ni taxe ni prélèvement et que cela ne lui coûtera plus rien, aucune PME n’a de raison de refuser de proposer un intéressement à ses salariés.

Dans ce même chapitre consacré à la justice, nous devons veiller à ce que les écarts de rémunération entre salariés et dirigeants au sein d’une même entreprise ne soient pas excessifs. Nous instaurons donc un rapport d’équité dans l’entreprise sur la transparence des niveaux de rémunération, rapport d’équité permettant de définir le salaire médian dans les entreprises et qui, je l’espère, en plus de devenir une règle nationale grâce au projet de loi PACTE, s’imposera à l’avenir comme une règle européenne.

Il faut aussi remédier à la faiblesse actuelle du statut de conjoint collaborateur pour les indépendants, qu’ils soient artisans, commerçants ou professions libérales. Un quart des indépendants travaillent avec leur conjoint, dans le cadre d’un temps partiel ou d’un temps complet. Or près d’un tiers de ces conjoints, qui sont majoritairement des femmes, travaillent sans être protégés. Nous devons leur donner cette protection, et c’est ce que permet le texte.

Par ailleurs, et cette mesure figurera dans une prochaine loi de finances, il faut obliger les mandataires sociaux des entreprises françaises les plus importantes à payer leurs impôts en France.

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. Bruno Le Maire, ministre. Pas un de nos compatriotes ne peut accepter que des dirigeants – présidents ou directeurs généraux – d’une grande entreprise française ne payent pas leurs impôts en France. (Très bien ! et applaudissements sur plusieurs travées du groupe La République En Marche, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains. – Murmures sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Mesdames, messieurs les sénateurs, ces grandes lignes font consensus et je salue le dialogue constructif que nous avons engagé avec les rapporteurs sur les différents volets de ce projet de loi.

Il va dans l’intérêt de l’économie française, dans l’intérêt des PME que ce texte entre en vigueur le plus vite possible. Il est attendu par les chefs d’entreprise, par les PME, par les commerçants, qui savent que ce texte libérera les capacités d’embauche, d’investissement et d’innovation.

Je vous propose donc que nous essayions de l’adopter dans les plus brefs délais, en trouvant un accord entre nous sur ces grandes lignes.

Nous avons d’ailleurs, grâce au travail des rapporteurs, beaucoup progressé sur un certain nombre de sujets. Je pense à la redéfinition de l’objet social de l’entreprise dans le code civil, à la réforme des seuils d’audit pour les commissaires aux comptes, à la réforme de l’épargne retraite, à la fusion entre La Poste et CNP Assurances, qui donne naissance à un grand ensemble financier public, au service des territoires auxquels vous êtes profondément attachés.

Vous avez formulé des propositions pour améliorer le texte, notamment celle qui vise à renforcer la présence des élus des territoires au conseil d’administration de La Poste. Je suis favorable à tout ce qui permettra d’obtenir un texte sorti du Sénat meilleur qu’il n’y était entré.

J’en viens à un certain nombre de sujets sur lesquels vous avez marqué votre sensibilité.

Premier sujet d’attention particulière, les territoires.

En qualité d’élus de nos territoires, vous m’avez signalé l’importance que vous attachez à la présence des acteurs économiques dans les territoires, notamment les chambres de commerce et d’industrie – les CCI – et les chambres de métiers et de l’artisanat – les CMA.

Je veux lever toute ambiguïté. Je suis moi-même un élu territorial depuis plusieurs années et je connais l’importance de ces chambres consulaires dans nos territoires. Le projet de loi PACTE n’a pas pour objectif de les affaiblir ; il vise au contraire à les renforcer, en proposant un nouveau modèle de financement, plus solide que celui de la taxe affectée.

Il y a là un enjeu de transformation. Tous les présidents de CCI et de CMA que j’ai rencontrés sont parfaitement lucides sur ce sujet. Il faut de nouvelles modalités de financement, de nouvelles modalités de recrutement et de nouvelles modalités d’organisation des chambres consulaires : c’est ce qui vous est proposé.

J’attacherai une importance toute particulière aux chambres de commerce des territoires les plus ruraux, là où, peut-être, elles sont les plus utiles, efficaces et nécessaires, et où il est évidemment beaucoup plus complexe de trouver des recettes que dans une grande métropole. Nous allons trouver, ensemble, un équilibre sur ce sujet.

Nous pouvons avoir des dissensions sur d’autres sujets, mais le débat nous permettra de les éclairer.

S’agissant, notamment, du stage préalable à l’installation des artisans, dès lors que l’on conserve l’obligation d’obtenir un diplôme pour être artisan – artisan coiffeur, par exemple –, je ne vois pas pourquoi on imposerait, en plus, une obligation de stage. De nouveau, nous en rediscuterons ensemble. Il me semble, néanmoins, que la simplification et l’allégement sont nécessaires.

Deuxième sujet d’attention, voire d’opposition entre nous – mais cela fait partie du débat démocratique –, les cessions d’actifs dans Aéroports de Paris, la Française des jeux et Engie. (Exclamations sur des travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain.)

Vous me permettrez de prendre un peu de temps pour expliquer les choix politiques et économiques qui sous-tendent la proposition que nous vous faisons.

Je ferai un premier constat, à mes yeux le plus important : ce sont les innovations de rupture qui tirent désormais l’économie mondiale.

Ces innovations de rupture feront la différence entre les économies qui réussiront et celles qui échoueront. Dans l’intelligence artificielle, les lanceurs renouvelables pour le secteur spatial, le digital, le numérique, le stockage et la valorisation des données, ces innovations de rupture feront la différence entre les nations qui resteront debout et celles qui seront soumises, entre les nations qui demeureront souveraines et productrices et celles qui n’auront plus d’autre choix que de devenir vassales et clientes de la Chine et des États-Unis.

Pour moi, c’est ce qui, sur le plan stratégique, au XXIe siècle, fera la différence entre les continents qui réussiront et ceux qui, malheureusement, se verront dans l’obligation d’acheter, à un prix qu’ils ne choisiront même pas, des technologies qu’ils ne maîtriseront plus.

Tel est l’enjeu et, croyez-moi, les choses n’avancent pas vite ; elles vont très vite ! Le risque de vassalisation, de perte de souveraineté technologique est majeur pour la France, et pour l’Europe tout entière.

Il est capital, pour notre nation, pour les générations à venir, de gagner cette bataille de l’innovation. Il faut nous en donner les moyens concrets et, pour cela, toujours selon moi, nous disposons de trois armes décisives.

La première arme, c’est la formation et la qualification. Car le premier problème de l’économie française, avant les coûts, les taxes, les impôts, c’est bien celui-là.

M. Bruno Retailleau. Nous sommes d’accord !

M. Bruno Le Maire, ministre. Trop d’entreprises, à l’heure actuelle, cherchent des compétences qu’elles ne parviennent pas à trouver : des chaudronniers, des soudeurs, des zingueurs, des carrossiers, des ingénieurs, des codeurs. Or ces compétences sont indispensables à leur développement.

Le plan d’investissement dans les compétences présenté par Muriel Pénicaud doit nous permettre de relever ce premier défi dans les meilleures conditions.

La deuxième arme pour gagner la bataille de l’innovation – pardon de parler très simplement –, c’est l’argent.

M. Gérard Longuet. C’est vrai !

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Pour financer la recherche !

M. Bruno Le Maire, ministre. Il faut beaucoup d’argent pour financer les innovations, les recherches sur l’intelligence artificielle, les algorithmes, la digitalisation, la robotisation.

Tous ceux qui nous parlent d’industrie matin, midi et soir – à juste titre, parce que nous voulons reconquérir notre place industrielle dans le monde – ne doivent jamais oublier qu’elle coûte cher. Ce sont des équipements lourds et des investissements stratégiques. Oui, il faut de l’argent pour gagner la bataille de l’innovation.

Nous avons besoin de conditions financières compétitives.

Pour cela, il nous faut des fonds propres, car l’argent de la dette est moins bon que l’argent des fonds propres. Si nous voulons que nos entreprises se financent correctement, il faut qu’elles se financent moins par la première – comme elles le font actuellement – et davantage par les seconds.

Nous devons également développer le capital-risque, non seulement à l’échelle française, mais aussi à l’échelle européenne. Les chiffres, hélas, sont sans appel : les opérations d’investissement en capital-risque ont représenté, en 2018, 100 milliards de dollars aux États-Unis, 80 milliards de dollars en Chine et 20 milliards de dollars en Europe. Autrement dit, nous sommes en train de perdre la bataille de l’innovation et des nouvelles technologies, parce que nous n’investissons pas assez sur ces innovations.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Le CICE ! 40 milliards !

M. Bruno Le Maire, ministre. On peut me dire que ce sont là des chiffres globaux et théoriques. Mais, mesdames, messieurs les sénateurs, quand votre voiture, demain, aura une carrosserie produite en France ou en Allemagne, mais tout ce qui fait sa valeur produit ailleurs – les batteries en Chine ou en Corée du Sud ; le système de guidage autonome aux États-Unis –, vous n’aurez plus que vos yeux pour pleurer ! Les ouvriers français, quant à eux, n’auront plus rien à se mettre au fond des poches ! (Applaudissements sur des travées du groupe La République En Marche, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains. – Exclamations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

Il nous faut aussi une fiscalité nouvelle, et je me réjouis que nous ayons ce débat car la France mérite que nous débattions clairement de ce que nous voulons pour son avenir. Cette fiscalité nouvelle doit être attractive pour favoriser l’installation des groupes, l’investissement des entreprises en France et leur permettre de dégager les moyens capitalistiques suffisants pour acheter machines, robots, outils de numérisation ou de digitalisation.

Avec le Président de la République, nous avons fait un choix fiscal en 2017, visant à alléger la fiscalité sur le capital. Ce choix sera maintenu. (MM. Emmanuel Capus et Pierre Louault applaudissent. – Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

Mme Laurence Cohen. Alors, pourquoi débattons-nous ?

M. Bruno Le Maire, ministre. Il doit impérativement donner les résultats nécessaires pour permettre à nos entreprises d’investir.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Elles ne le font pas assez !

M. Bruno Le Maire, ministre. Le prélèvement forfaitaire unique et l’allégement de la fiscalité sur le capital doivent nous permettre de financer nos entreprises et de financer l’industrie.

Les choix…

M. Bruno Le Maire, ministre. … que nous avons faits sur le crédit d’impôt recherche, le CIR, la décision que nous avons prise de donner aux entreprises deux années de suramortissement pour qu’elles puissent acheter des robots et se digitaliser sont la condition du redressement de notre pays.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Deux ans, c’est trop court !

M. Bruno Le Maire, ministre. Il en va de même pour la trajectoire de l’impôt sur les sociétés. Nous avons pris la décision de ramener cet impôt de 33,3 % à 25 % d’ici à 2022. Ainsi, toutes les entreprises de France se verront imposer, à cette échéance, au taux de 25 %. Il n’a jamais été question, et il ne le sera jamais, de remettre en cause cette trajectoire de l’impôt sur les sociétés, qui est une condition clé de l’attractivité du territoire français et du développement de nos entreprises.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Plus elles dégagent de profits, moins elles recherchent !

M. Bruno Le Maire, ministre. La troisième arme pour gagner cette bataille de l’innovation, après celle des compétences, après celle du financement, c’est la protection.

Nous n’investissons pas dans les nouvelles technologies pour nous faire piller par nos partenaires ou par nos voisins.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Là, je suis d’accord !

M. Bruno Le Maire, ministre. Il faut donc mieux nous protéger, comme le font, d’ailleurs, les États-Unis, la Chine et toutes les grandes puissances de la planète.

Le décret étendant le champ du contrôle des investissements étrangers en France est entré en vigueur au 1er janvier 2019 et nous vous proposons, dans le projet de loi dont nous débutons l’examen, de renforcer le régime de sanctions associé à ce décret.

Le règlement européen sur le screening des investissements étrangers en Europe sera aussi une étape majeure. Il marque une véritable prise de conscience par l’Europe de la nécessité de protéger ses technologies.

La protection est l’un des défis majeurs que pose le passage à la 5G sur notre territoire, dont il sera question dans le projet de loi car il entraîne des transformations technologiques majeures.

Avec la 5G, les données sensibles seront accessibles non plus simplement dans le cœur des réseaux, mais aussi dans les antennes relais. Cette nouvelle réalité technologique exige, de notre part, des réponses appropriées. Nous vous proposons donc, dans le projet de loi PACTE, de mettre en place un régime d’autorisation préalable, qui nous permettra de contrôler de manière rigoureuse les nouveaux équipements mis en place dans ce cadre.

Chacun doit avoir conscience que les risques de captation des données sont réels, que l’enjeu réside bien dans la sécurité de technologies critiques, comme l’autonomie des véhicules. Nous ne pouvons et nous ne voulons prendre aucun risque en la matière.

Il ne s’agit en aucun cas de cibler un équipementier en particulier, mais nous nous doterons des moyens de protéger les données sensibles dans le cadre du déploiement de la 5G et de garantir notre totale autonomie et notre complète souveraineté en ce domaine.

C’est dans ce cadre d’innovation que s’inscrivent les cessions d’actifs proposées dans le projet de loi PACTE. Celles-ci, en effet, serviront principalement au fonds pour l’innovation de rupture.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. N’importe quoi !

M. Bruno Le Maire, ministre. Elles nous permettront de financer des technologies qui garantiront, demain, notre souveraineté.

L’un des premiers défis que nous allons relever au travers de ce fonds pour l’innovation de rupture, c’est la recherche sur les batteries électriques.

Je me rendrai dans quelques jours à Berlin pour rencontrer mon homologue allemand, Peter Altmaier. Nous allons mettre en place, à la suite de l’accord entre le Président de la République et la Chancelière, une filière de batteries électriques européenne, franco-allemande au départ et, je l’espère, ouverte ensuite à d’autres nations.

L’objectif est de permettre à des constructeurs et des industriels automobiles français et allemands, à l’image de Total et de sa filiale Saft, de joindre leurs moyens de financement avec des moyens publics indispensables, réclamés par les constructeurs comme par les industriels, pour que, demain, les batteries installées dans vos véhicules et ceux de nos compatriotes ne soient plus importées de Chine ou de Corée du Sud, mais qu’elles soient fabriquées en France, en Allemagne ou ailleurs en Europe.

Sans le financement du fonds pour l’innovation de rupture, on ne peut envisager la mise en place de cette filière de batteries, qui garantit notre autonomie, notre souveraineté, notre liberté et notre puissance économique.

Mesdames, messieurs les sénateurs, j’entends bien sûr les inquiétudes, les critiques qui se sont exprimées dans les rangs de votre assemblée. J’entends les comparaisons, un peu rapides, qui sont faites avec le précédent des autoroutes. (Protestations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.) Je veux vous dire que nous avons tiré toutes les conséquences de ces précédents. Des erreurs ont été faites, nous ne referons pas les mêmes. (« Bien sûr que non… » sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.) Nous garantirons les intérêts à long terme de nos compatriotes et de l’État ; nous renforcerons le cadre de régulation pour éviter que les futurs acteurs présents au capital n’abusent de leur position.

Je prends l’exemple d’Aéroports de Paris. (Ah ! sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.) Cela peut valoir le coup que nous nous écoutions mutuellement sur ces sujets !

Le cadre de régulation sera plus strict après cette opération qu’il ne l’était avant. (MmMarie-Noëlle Lienemann sesclaffe.)

Premier point : il n’y a pas de privatisation sèche. La réalité, aujourd’hui, que certains, visiblement, veulent défendre, c’est que 49 % d’investisseurs privés sont propriétaires à vie des infrastructures d’Aéroports de Paris, des pistes et du foncier, c’est que 49 % de propriétaires privés ont un accès illimité, à vie et au-delà, aux infrastructures d’Aéroports de Paris. Voilà bien la réalité d’aujourd’hui ! Si elle vous satisfait, tant mieux ; moi, elle ne me satisfait pas. (Mme Marie-Noëlle Lienemann sexclame.)