Mme Patricia Schillinger. Sous cette sérieuse réserve, mon groupe votera pour l’adoption de ce projet de loi.

Pour finir sur une note alsacienne, je formule le vœu que la nouvelle Collectivité européenne d’Alsace trouve en notre assemblée la cigogne bienveillante qui livrera le nouveau-né à la maison. Car, comme le dit notre proverbe, quand les cigognes sont là, le monde est en bon état. (Sourires.) « Mehr var net a Elsàss frei àber a Elsàss heiter. » Traduction : « Nous ne voulons pas une Alsace libre, mais une Alsace sereine. » (Nouveaux sourires. – MM. René Danesi et François Patriat applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.

M. Pierre-Yves Collombat. Pardonnez-moi : je ne suis pas une cigogne… (Sourires.)

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, au nom du droit à la différence territoriale, ce bricolage législatif, ni fait ni à faire, est une nouvelle étape de l’opération de démembrement de la République indivisible qui porte le nom de France. De cette entreprise ancienne, la loi NOTRe a marqué un temps fort, sans aller cependant jusqu’à autoriser des fiscalités indirectes à la demande. En l’espèce, c’est le cas : on innove !

Cette différenciation est assortie, comme d’habitude, du désengagement de l’État : transfert au nouveau département alsacien des routes nationales qui n’ont pas encore été transférées, des autoroutes, de l’enseignement des langues étrangères et des classes bilingues.

Si ce projet de loi est un prélude à l’acte III de la décentralisation, on peut craindre la suite. Rapiécer un habit qui est usé avant même d’avoir été neuf n’est certainement pas la solution !

Quand on se penche sur les détails du texte, on va de surprise en surprise.

Première surprise : il reprend le projet de fusion des deux départements alsaciens soumis sans succès à référendum il y a six ans. Revenir par la voie législative sur les décisions référendaires qui déplaisent devient une manie dans notre beau pays !

Deuxième surprise : sauf erreur de ma part, cette unique collectivité départementale d’Alsace devra cohabiter avec deux administrations territoriales de l’État. Curieuse innovation, curieuse simplification !

Troisième surprise : la législation actuelle permettant déjà de déployer la coopération internationale, on ne voit pas bien ce qu’apporte la création de la nouvelle organisation, pas plus qu’on ne voit en quoi nommer l’entité concernée « chef de file » de la coopération transfrontalière facilitera sa coopération avec la région Grand Est, laquelle est notamment chargée de l’élaboration du schéma régional de développement touristique.

M. Pierre-Yves Collombat. Non ! La vraie solution permettant de concilier différenciation territoriale et unité nationale consiste à revenir à notre tradition administrative, qui a toujours su garantir la place des petites nations locales dans la grande nation : revenir, donc, sur un découpage régional dont personne ne veut, parce qu’il est incompatible avec les réalités des territoires, et revenir sur la répartition bureaucratique des compétences entre régions et départements, sur la suppression de la compétence générale des départements, sur les boursouflures qui ont complexifié la gestion locale en augmentant la dépense publique au lieu de la faire baisser – on attend toujours les 20 milliards d’euros d’économies qui avaient été annoncés !

Contrairement à ce qui se colporte, le jacobinisme français n’est pas qu’un centralisme : c’est un étrange mélange de centralisme et de liberté locale qui fait de la France le pays où l’échelon territorial de proximité, la commune, dispose de l’autonomie la plus grande. À ceux qui en doutent, je conseille d’aller voir ce qui se passe en Allemagne, au Royaume-Uni ou aux États-Unis d’Amérique. Pierre Grémion l’a montré il y a bien longtemps : dans le système administratif classique, le préfet et son administration ne sont pas que la courroie de transmission de l’État central ; ils sont aussi les porte-parole des territoires et de leurs élus auprès de l’État, État qui, à la différence de sa version libérale actuelle, disposait alors, dans ledit système, de moyens d’intervention financiers et d’ingénierie.

Les lois de décentralisation de 1982 et 1983, puis celles qui sont relatives à la coopération intercommunale volontaire de projet, à partir de 1992, viendront renforcer ce « pouvoir périphérique », pour reprendre l’expression de Pierre Grémion. C’est cet édifice administratif solide et efficace que les réformes des quinquennats Sarkozy, Hollande et Macron ont voulu démonter, alors que c’est le contraire qu’il aurait fallu faire.

En l’espèce, respecter la spécificité alsacienne passe non pas par la création d’une collectivité à usage particulier, mais par un redécoupage régional permettant de garantir un tel respect, ce qui est déjà possible dans l’état actuel de la législation. J’ai cru d’ailleurs comprendre que telle était aussi la position de bon nombre de collègues alsaciens.

Selon Jérôme Fourquet, la France serait devenue un archipel d’îles et d’îlots sans liens entre eux, une nation multiple et divisée, autant dire autre chose qu’une nation.

N’entendant pas participer à cette entreprise de destruction de l’unité nationale, le groupe CRCE votera contre ce projet de loi ni fait ni à faire, mais bien révélateur des intentions de ses auteurs. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – MM. Jean-Marie Mizzon et Jean Louis Masson applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Laurence Harribey. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Mme Laurence Harribey. Monsieur le président, madame la ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, ce projet de loi constitue un prolongement logique du décret du 27 février 2019, qui crée le département d’Alsace en fusionnant les deux départements du Haut-Rhin et du Bas-Rhin.

Mais, en réalité, les auteurs de ce texte poursuivent deux objectifs : procéder aux adaptations législatives rendues nécessaires par la fusion et tenter, par des articles à la formulation quelque peu alambiquée, de résoudre la question du statut institutionnel alsacien. Or, selon nous, ce dernier volet relève davantage de la communication que du droit, et ne satisfait visiblement personne.

Les débats en commission ont bien montré que c’était là la question prédominante. Comprendre les spécificités de ce territoire nécessiterait bien plus que cinq minutes.

Toutefois, en tant que non Alsacienne, je retiendrai trois éléments : l’échec du référendum d’avril 2013 sur la création d’une collectivité territoriale d’Alsace, en raison d’une trop faible participation et d’un vote négatif du Haut-Rhin ; le traumatisme causé par la création de la région Grand Est ; la réouverture du dossier institutionnel avec le projet de loi que nous examinons aujourd’hui, cette réouverture s’appuyant – Mme la ministre et Mme la rapporteure l’ont bien rappelé – sur la déclaration commune dite de Matignon en faveur de la création de la Collectivité européenne d’Alsace. Cette nouvelle entité vise, dit-on, à donner corps au « désir d’Alsace ».

D’où le caractère dual de ce texte : d’un côté, un volet classique, qui vise à traduire en droit des évolutions institutionnelles ; de l’autre, un volet dont l’objet est, donc, de donner corps à une nouvelle collectivité qui, fondée sur le socle des compétences départementales, devrait être enrichie de compétences supplémentaires et particulières, mais sans fondement juridique clair. Le risque est de tromper les citoyens – les débats le montrent bien –,…

Mme Laurence Harribey. … puisqu’il ne s’agit en rien d’une communauté nouvelle à statut particulier au sens de l’article 72 de la Constitution, mais bien d’un département unique issu de la fusion de deux départements.

En ce sens, le texte tel qu’il est présenté en séance clarifie les choses, la commission ayant adopté sur notre initiative la dénomination « département d’Alsace ». Par cette modification, la commission a simplement mis le texte en conformité avec la réalité.

En revanche, dans le cadre de cette discussion générale, nous voudrions mettre l’accent sur une autre question soulevée par ce texte : celle de la coopération transfrontalière qui touche non seulement l’Alsace, mais toutes les régions transfrontalières.

Le texte vise à confier au département d’Alsace un rôle de chef de file – Mme la ministre l’a rappelé – en matière de coopération transfrontalière, mission consacrée dans un nouveau schéma sans caractère prescriptif ni décisionnel qui s’ajouterait aux schémas existants élaborés à l’échelle de la région et de l’eurométropole. Mme la ministre a même précisé qu’il fallait que ce schéma soit « conforme ».

En l’état, nous pensons que ce point reste insuffisamment défini et que le texte ne va pas assez loin. À l’article 13 du traité d’Aix-la-Chapelle, qui n’est certes pas encore ratifié, est pourtant soulignée la nécessité d’adopter la législation permettant de surmonter les obstacles à la réalisation de projets transfrontaliers.

Dans cette perspective, nous pensons qu’il faudrait avancer sur la définition des outils juridiques appropriés dans le cadre d’un travail législatif plus général. Nous avons proposé des pistes en ce sens sur la question d’un accord-cadre.

En définitive, on peut certes regretter que ce projet de loi ait été vu comme une opportunité de faire croire que la collectivité d’Alsace allait bénéficier d’un nouveau statut, mais l’essentiel, selon nous, a été corrigé avec le changement de dénomination.

Nous reconnaissons par ailleurs le caractère incontournable de ce texte, étant donné la nécessité de traduire dans la loi les dispositions du décret de fusion. Nous pensons cependant qu’il reste des améliorations à obtenir et des points à clarifier en séance ; en fonction des avancées constatées, nous affinerons notre position. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à Mme Josiane Costes.

Mme Josiane Costes. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, mes chers collègues, à peine quatre ans après l’adoption de la loi NOTRe et le redécoupage à la hache des régions, nous sommes amenés à débattre aujourd’hui d’une des premières conséquences de cette nouvelle organisation territoriale, que beaucoup ont à juste titre qualifiée de « mariage forcé ».

Bien sûr, nous sommes avant tout des républicains, respectueux de la légalité et de la souveraineté exprimées par le Parlement. La loi doit être appliquée en toutes circonstances, même si nous sommes réduits à compenser des erreurs originelles.

En deux ans, les nouvelles régions n’ont pas ménagé leurs efforts pour relever de nouveaux défis et tâcher de satisfaire l’intérêt général. Mais, en tant que législateurs, notre devoir est d’examiner le présent projet de loi à l’aune de deux principes qui nous sont chers : le caractère un et indivisible de notre République décentralisée, d’une part, et l’égalité entre tous les citoyens, d’autre part.

Certes, un « désir d’Alsace » s’est fortement exprimé depuis 2015. Le Président de la République, tout en réaffirmant que le Grand Est ne serait pas détricoté, a voulu que se noue un dialogue qui a conduit à un accord entre l’État, la région et les deux départements alsaciens. Cet accord prévoit donc la fusion des deux départements au sein d’une nouvelle collectivité, et le transfert de certaines compétences : coopération transfrontalière, bilinguisme, routes et tourisme.

Nous ne sommes pas opposés par principe à la fusion des deux départements alsaciens, dès lors qu’elle correspond à une volonté clairement exprimée et qu’elle est accompagnée de garde-fous correspondant aux principes que j’ai rappelés.

Mais nous nous interrogeons – je ne vous le cache pas – sur l’opportunité de légiférer dès maintenant sur le cas alsacien, alors même que la réforme constitutionnelle, toujours en navette, doit précisément prévoir les conditions d’un droit à la différenciation des collectivités.

Pourquoi l’Alsace aujourd’hui, alors que le régionalisme parvient à s’exprimer par de multiples voies dans notre pays ? Pourquoi, en outre, ne pas donner la priorité aux territoires les plus en difficulté ?

Je vous rappelle également que le Conseil d’État a émis des réserves, craignant que cette fusion ne crée des doublons, alors que nous avons en tête l’exemple des conséquences des fusions de régions.

Certains arguments invoqués pour justifier la fusion du Haut-Rhin et du Bas-Rhin me semblent par ailleurs caducs, comme la nécessité de pouvoir dialoguer d’égal à égal avec les Länder allemands : il s’agit précisément du rôle de la région Grand Est, car son poids le permet, sans compter que la Moselle est tout aussi concernée par ces questions du fait de sa frontière avec l’Allemagne.

De manière générale, il est fait état, dans le projet de loi, d’une spécificité de l’Alsace liée au transfrontalier. Or, en réalité, cette spécificité n’est pas propre à ce territoire : quatre autres départements ont une frontière commune avec la Belgique, le Luxembourg ou l’Allemagne, et ont donc à traiter des problématiques similaires liées à la mobilité et au travail transfrontaliers.

Le bilinguisme est également un sujet essentiel qui mériterait d’être développé dans toutes les régions frontalières. Et en quoi le périmètre le plus opportun serait-il celui de la nouvelle collectivité lorsque l’on parle numérique, culture ou transports ? Ce transfert de compétences pourrait créer de nouvelles difficultés – il faut l’envisager –, car le transfrontalier doit être abordé par tous les acteurs de la vie d’une région, et même d’un pays. Enfermer cet enjeu dans le périmètre d’une seule collectivité est à l’opposé de la vision à 360 degrés, ouverte à l’ensemble de la société, qui devrait être celle d’une République une, indivisible et décentralisée, particulièrement au moment où nos concitoyens expriment un besoin très vif de proximité.

S’agissant du transport, parmi les questions régulièrement soulevées par nos concitoyens figure le passage des poids lourds étrangers sur les axes français et leur non-participation au financement des infrastructures sur notre territoire. Ce sujet a été évoqué au cours de la discussion du projet de loi d’orientation des mobilités. Aucune solution n’a pour l’heure été trouvée, et le Gouvernement nous a renvoyés aux conclusions du grand débat.

C’est en partie cette raison qui justifie le transfert à la nouvelle collectivité des routes nationales et des autoroutes non concédées du domaine public routier national. Nous doutons que ce transfert puisse régler tous les problèmes, mais nous soutiendrons bien sûr l’ambition des élus locaux de lever de nouvelles ressources pour financer les infrastructures de transport et toutes les formes de mobilité.

Vous l’avez compris, mes chers collègues : mon groupe considère que la véritable question posée par ce projet de loi est celle du droit à la différenciation. Le texte a au moins le mérite d’ouvrir ce débat. Comme l’a souligné notre rapporteure, Agnès Canayer, la création d’une nouvelle collectivité d’Alsace est une première étape vers un nouvel acte de la décentralisation, très attendu par les élus locaux. Le groupe du RDSE y est bien sûr très favorable et apportera sa contribution à ces travaux.

Nous espérons toutefois que ce texte n’ouvrira pas la porte à une sortie de l’Alsace de la grande région. Et nous déplorons que la question de l’Alsace soit tranchée dès aujourd’hui, alors que la décentralisation sera au cœur des débats sur le projet de révision constitutionnelle.

Ces réserves ayant été soulignées, le groupe du RDSE attendra les débats, qui ne manqueront pas d’être riches, pour se déterminer. (Mme Mireille Jouve et M. Yves Détraigne applaudissent.)

M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt heures, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de Mme Hélène Conway-Mouret.)

PRÉSIDENCE DE Mme Hélène Conway-Mouret

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi relatif aux compétences de la Collectivité européenne d'Alsace
Discussion générale (suite)

6

Décès d’un ancien sénateur

Mme la présidente. J’ai le regret de vous faire part du décès de notre ancien collègue Philippe François, qui fut sénateur de la Seine-et-Marne, de 1983 à 2004.

7

Discussion générale (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi relatif aux compétences de la Collectivité européenne d'Alsace
Discussion générale (suite)

Collectivité européenne d’Alsace

Suite de la discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi relatif aux compétences de la Collectivité européenne d'Alsace
Demande de renvoi à la commission

Mme la présidente. Nous reprenons la discussion du projet de loi relatif aux compétences de la Collectivité européenne d’Alsace.

Discussion générale (suite)

Mme la présidente. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Jean Louis Masson.

M. Jean Louis Masson. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, les débats qui ont eu lieu sont tout de même très instructifs.

Comme je l’ai indiqué, pour beaucoup d’élus régionaux, le Grand Est, c’est un fromage ! Chacun y fait son trou et le défend ! Le fait que les élus du Grand Est défendent cette région serait, nous a-t-on expliqué, la preuve que tout va bien et qu’il ne faut pas créer de région Alsace de plein exercice. Je ne suis pas surpris : c’est la théorie du fromage ! Les gens ont fait leur trou. Chacun voit midi à sa porte, c’est-à-dire les bénéfices financiers, personnels, matériels ou politiques qu’il peut en tirer.

J’observe que le président de la région Grand Est, par exemple, a totalement retourné sa veste, affirmant aujourd’hui le contraire de ce qu’il disait hier ! On peut tout de même s’interroger… Une chance pour lui qu’il n’existe pas de nationalité alsacienne ; il en serait certainement déchu pour haute trahison ! Car son attitude est une véritable trahison au regard de ses déclarations passées. Hier, il expliquait qu’il fallait se battre jusqu’à la mort pour sauver la région Alsace, que sa disparition serait une catastrophe, et il appelait à signer la pétition qu’il avait lancée en ce sens. À présent que la soupe est un peu meilleure, il fait exactement le contraire !

En fait, nous sommes face à des personnes qui manquent non seulement de rationalité, mais aussi tout simplement d’honnêteté. L’honnêteté, ce n’est pas de dénoncer des problèmes un jour et de changer d’avis le lendemain quand on voit qu’on peut tirer un avantage personnel ou politique de la situation. (Mme Catherine Troendlé sexclame.) C’est à cela que nous assistons au conseil régional du Grand Est !

À un moment donné, il faudra, me semble-t-il, apporter des clarifications. Et cela ne concerna pas seulement les élus alsaciens. En tant qu’élu lorrain, je puis vous dire que nous aussi, nous souffrons de cette aberration qu’est la région Grand Est !

Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue.

M. Jean Louis Masson. Nous sommes victimes d’une absence totale de proximité. Je pense qu’il faut vraiment changer de braquet.

Mme la présidente. La parole est à M. Claude Kern.

M. Claude Kern. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, à mon sens, pour bien comprendre l’esprit et même la raison d’être du texte que nous propose aujourd’hui le Gouvernement, il est indispensable de revenir au début de l’histoire – certains diraient au péché originel –, c’est-à-dire à la nouvelle carte des régions issue de la loi du 16 janvier 2015.

Ceux qui avaient déjà la chance de siéger au sein de notre hémicycle à l’époque se rappellent des débats enflammés qui ont eu lieu tout en long de la navette parlementaire ; l’Assemblée nationale a adopté en dernier ressort ce texte polémique. Je tiens à le rappeler, au mois de décembre 2014, lors de l’examen en nouvelle lecture de ce dernier au Sénat, nous avions majoritairement adopté une carte préservant la région Alsace.

M. Claude Kern. Si la voix du Sénat avait été entendue, nous ne serions probablement pas aujourd’hui réunis pour examiner un projet de loi visant à créer une Collectivité européenne d’Alsace.

Comme nombre de mes collègues, alsaciens ou non, je regrette ce découpage. Selon ses promoteurs, la réforme devait permettre des économies considérables ; certains parlaient de 10 milliards d’euros, d’autres de 55 milliards d’euros. Ces économies, nous les attendons toujours ! Malheureusement, dans de nombreuses régions, on constate plutôt une augmentation des dépenses !

Trois ans après l’entrée en vigueur du texte, je ne suis toujours pas à l’aise avec cette nouvelle région Grand Est, qui est trop vaste et, surtout, dépourvue d’affectio societatis.

Mme Fabienne Keller et M. André Reichardt. Tout à fait !

M. François Bonhomme. Ça ne va pas s’arranger !

M. Claude Kern. C’est pour ces raisons que nous souhaitons donner une réalité juridique, législative, à un fort « désir d’Alsace », exprimé par une très large majorité d’Alsaciens, 84 % selon les derniers sondages. Ce « désir d’Alsace » a été très bien observé et compris par Mme la ministre, Jacqueline Gourault, que je tiens à remercier de son excellent travail.

Ainsi que cela a été rappelé, ce désir aurait pu prendre plusieurs formes. Le Gouvernement a choisi ce qu’on pourrait appeler une fusion de départements améliorée, aboutissant à la création d’une collectivité dénommée « Collectivité européenne d’Alsace ». Ce choix me conduit à formuler un regret. Je regrette que nous n’ayons pas pu aller plus loin et aboutir à la création d’une collectivité à statut particulier. À mes yeux, cela aurait été la meilleure solution.

Pour autant, même si j’aurais donc préféré aller plus loin, je reconnais, associant mon collègue Jean-Marie Bockel à cette remarque, l’intérêt du compromis auquel nous sommes parvenus avec le Gouvernement. Ce compromis a abouti à la signature à l’hôtel Matignon, le 29 octobre 2018, d’une déclaration commune en faveur de la création d’une Collectivité européenne d’Alsace. J’apporte donc mon soutien au projet de loi qui nous est proposé aujourd’hui.

Ce soutien ne m’empêche pas de formuler certaines réserves à l’égard du texte initial déposé sur le bureau du Sénat. Les travaux de la commission des lois ont permis de lever la plupart de ces réserves. Je tiens d’ailleurs à saluer le travail de notre rapporteur, Agnès Canayer, qui, sans être alsacienne – personne n’est parfait ! (Sourires.) –, a excellemment saisi les enjeux du texte et a proposé des améliorations salutaires. Sa tâche n’est pas aisée. Je suis certain qu’elle continuera en séance à faire preuve de pragmatisme, comme elle l’a fait en commission.

Je souhaite évoquer les avancées les plus importantes adoptées par la commission.

Le nouvel article 2 bis prévoit que la Collectivité européenne d’Alsace pourrait à titre expérimental se voir déléguer par la région l’octroi de tout ou partie des aides aux entreprises. Tout département pourrait d’ailleurs demander à bénéficier de la même expérimentation. Après l’adoption d’une disposition similaire dans le cadre de la proposition de loi relative à l’équilibre territorial et à la vitalité de la démocratie locale, adoptée le 13 juin 2018, c’est la deuxième fois que le Sénat tente de rectifier une orientation néfaste de la loi du 7 août 2015 portant sur la nouvelle organisation territoriale de la République, la loi NOTRe. Selon Mme la rapporteur, cette dernière a « réduit à peau de chagrin les compétences économiques des départements au détriment de la proximité souvent nécessaire en la matière ». Sans dessaisir la région, un tel mécanisme permettra d’introduire de la souplesse dans les politiques locales de développement économique.

À l’article 3, c’est à juste titre que la commission des lois a attribué le pouvoir de police de la circulation sur les autoroutes non concédées au président de la collectivité.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Merci !

M. Claude Kern. Il était effectivement nécessaire de clarifier les règles applicables aux autoroutes transférées.

Enfin, il n’était pas souhaitable que les règles relatives à la composition du collège électoral concourant à l’élection des sénateurs du Bas-Rhin et du Haut-Rhin intègrent le champ de l’habilitation prévue à l’article 9. Je me félicite que la commission ait adopté mon amendement sur ce point et que la rapporteur ait introduit, à l’article 8, la répartition des conseillers départementaux et régionaux élus dans la section correspondante entre les collèges appelés à élire les sénateurs du Bas-Rhin et du Haut-Rhin.

Je termine mon intervention en évoquant l’aspect le plus symbolique et le plus sensible du débat : le nom de la collectivité. « Collectivité européenne d’Alsace » : voilà l’intitulé figurant à la fois dans la déclaration commune signée à Matignon le 29 octobre 2018, dans le décret du 27 février 2019 portant regroupement des départements du Bas-Rhin et du Haut-Rhin – je précise que c’est la fusion des deux conseils départementaux, et non des deux départements – et dans le présent projet de loi.

Pour un Alsacien comme moi, comment défendre un autre intitulé aujourd’hui ? C’est celui sur lequel est fondé l’accord qui est l’objet même du projet de loi que nous examinons.

Contre l’avis du rapporteur, nos collègues du groupe socialiste et républicain ont fait adopter un amendement prévoyant la création d’un « département d’Alsace ». Pour nous, il s’agit d’une remise en cause du projet que nous défendons. Je regrette que cette modification ait été intégrée au texte de la commission, même si je suis d’accord pour dire que toutes les collectivités françaises ont une mission européenne. Je soutiendrai donc sans réserve les amendements visant à rétablir l’intitulé : « Collectivité européenne d’Alsace ».

Malgré ce dernier aspect, je tiens une fois encore à saluer la qualité du travail réalisé par la commission des lois. À l’exception du nom de la collectivité, le texte qu’elle nous propose aujourd’hui est enrichi, sans que soient remis en cause les équilibres initiaux défendus par le Gouvernement.

C’est donc avec fierté que je vous appelle tous, mes chers collègues, à adopter ce projet de loi créant la Collectivité européenne d’Alsace. Merci fer euere Unterstetz ! Merci pour votre soutien ! (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme Patricia Schillinger applaudit également.)