M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie et des finances.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Madame la sénatrice, la proposition de tarif appliquée et retenue par le ministre d’État est issue d’une décision de la Commission de régulation de l’énergie dont nous ne faisons que suivre les recommandations. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Il n’empêche, je le rappelle, que la France garde aujourd’hui, grâce à son mix énergétique, l’un des tarifs des plus bas de l’électricité pour les particuliers.

Vous nous parlez aussi du pouvoir d’achat en réponse à la crise des « gilets jaunes ». Le pouvoir d’achat, c’est le travail. La philosophie de ce gouvernement et de cette majorité, c’est de passer par le travail et par l’emploi pour redonner du pouvoir d’achat aux Français. Et vous devriez vous réjouir que, pour la première fois depuis dix ans, le niveau de chômage commence enfin à baisser tandis que le taux d’emploi atteint son niveau le plus élevé toujours depuis dix ans. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains, sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous devriez vous réjouir que nous ayons pris toutes les décisions nécessaires pour que le travail paie en France. (Protestations sur les mêmes travées.) Nous avons supprimé les cotisations pour l’assurance maladie et l’assurance chômage. Nous avons augmenté la prime d’activité. Nous avons supprimé la taxe à 20 % sur l’intéressement pour faire en sorte d’associer tous ceux qui travaillent aux résultats des entreprises. Le Président de la République vient également d’annoncer une baisse de 5 milliards d’euros de l’impôt sur le revenu pour tous ceux qui travaillent.

Vous le voyez, au-delà du sujet de l’énergie, la question clé pour nos compatriotes, pour tous ceux qui vont travailler, qui ont un emploi, qui sont salariés, c’est de pouvoir vivre dignement de leur travail. Eh bien, c’est l’honneur de cette majorité que de permettre à tous ceux qui travaillent de vivre dignement de leur emploi ! C’est notre philosophie, c’est notre politique et ce sont nos résultats ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

protection des données de santé

M. le président. La parole est à Mme Sonia de la Provôté, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)

Mme Sonia de la Provôté. Ma question s’adresse à Mme la ministre des solidarités et de la santé.

Alors que le Sénat s’apprête à discuter du projet de loi Santé, je souhaite vous interroger sur les pratiques du site Doctolib et des plateformes en ligne de rendez-vous médicaux. Cette situation amène quatre sujets dangereux pour notre vision régalienne et protectrice de la santé.

Primo, la plateforme permet la prise rapide de rendez-vous de consultation à toute heure du jour ou de la nuit. Cela plaît, mais est-ce souhaitable ? En effet, une réponse immédiate à un besoin de santé oublie la prévention, la prise en compte des habitudes de vie, l’histoire du patient, l’éducation thérapeutique.

Deuzio, pour y parvenir, elle contractualise avec des cabinets et des médecins. Si le médecin traitant de la personne n’a pas passé de contrat avec Doctolib, le site indique que ce rendez-vous est impossible. Qu’à cela ne tienne, il propose une liste d’autres médecins à proximité, disponibles, et qui, eux, sont adhérents au site ! Cette pratique est totalement contradictoire avec les notions de médecin référent et de parcours de soins.

Tertio, la plateforme contractualise avec des cliniques, établissements de santé, hôpitaux publics, dont les établissements de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, l’AP-HP. Quand un patient se rend sur le site de l’AP-HP, par exemple, pour prendre rendez-vous, il doit créer un compte Doctolib. Ainsi, les patients de l’AP-HP doivent s’inscrire sur un site privé, alors que l’hôpital public, faut-il le rappeler, est financé par l’argent public ? Il y a là, me semble-t-il, un problème éthique grave.

Enfin, cette alliance entre cliniques, hôpitaux, professionnels de santé et Doctolib crée un risque majeur pour la protection des données de santé.

En effet, la plateforme collecte les données personnelles des patients, le nom de leur médecin, le motif de consultation ou d’examen complémentaire, mais aussi les comptes rendus des téléconsultations.

En France, ces données sont très encadrées par le règlement général européen sur la protection des données, le RGPD. Si un jour la start-up, devenue licorne, venait à passer sous giron américain, par exemple, il y aurait conflit avec le Cloud Act, beaucoup plus laxiste.

Madame la ministre, il y a urgence ! Avant qu’il ne soit trop tard, quelles mesures comptez-vous prendre pour sécuriser les patients et les pratiques médicales face à cette évolution et au risque d’ubérisation de la santé ? (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre des solidarités et de la santé.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice Sonia de la Provôté, j’entends bien sûr votre inquiétude sur l’utilisation des données de santé.

Vous prenez l’exemple de la plateforme de rendez-vous en ligne. En France, vous le savez, les données de santé sont très encadrées grâce au règlement général européen sur la protection des données, le RGPD.

Les données de santé sont encore davantage encadrées, puisque chaque société qui en récolte est chargée de les chiffrer et de les stocker chez un hébergeur agréé. Les données personnelles de santé des utilisateurs sont ainsi validées par des prestataires ayant reçu un agrément certifié « hébergeur de données de santé » et leur exploitation est très surveillée.

Les plateformes auxquelles vous faites référence respectent l’ensemble des dispositions législatives et réglementaires françaises et européennes relatives à la protection des données personnelles.

Madame la sénatrice, je suis également très attachée à la protection des données. Je voudrais prendre pour exemple ce que nous avons fait dans le projet de loi Santé que vous serez amenés à examiner dans une semaine. L’article 11 de ce texte, qui est dédié au Health Data Hub, vise justement à parvenir à un équilibre entre les usages innovants et efficaces des données de santé, en vue d’améliorer nos connaissances et la protection de la vie privée.

Cet équilibre a d’ailleurs été salué par le Conseil d’État. Il a considéré que le projet de loi ne méconnaît aucune exigence de valeur constitutionnelle ou conventionnelle, dès lors que le système national des données de santé apporte des garanties suffisantes pour l’utilisation des données auxquelles il donne accès.

Comme vous aurez tout le loisir de le vérifier lors des discussions parlementaires, nous serons extrêmement vigilants à ce qu’aucun Français ne soit inquiété quant à l’utilisation de ses données de santé. C’est ce que nous devons à nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)

M. le président. La parole est à Mme Sonia de la Provôté, pour la réplique.

Mme Sonia de la Provôté. Madame la ministre, je vous ai bien entendue ! À l’heure du dossier médical partagé, on répète aux patients qu’ils sont propriétaires de leurs données. Nous devons être très attentifs à ce sujet, car il s’agit de richesses extrêmement convoitées. Il faut aussi espérer que ces plateformes et ces entreprises innovantes restent françaises ou européennes. En effet, si elles passent sous le contrôle de pays bien plus laxistes que le nôtre, je ne donne pas cher de l’avenir de nos données de santé ! (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)

M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.

Les prochaines questions d’actualité au Gouvernement auront lieu le mardi 28 mai, à seize heures quarante-cinq.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures quarante, est reprise à dix-sept heures cinquante, sous la présidence de Mme Catherine Troendlé.)

PRÉSIDENCE DE Mme Catherine Troendlé

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

4

Mises au point au sujet de votes

Mme la présidente. La parole est à M. François Grosdidier, pour une mise au point au sujet d’un vote.

M. François Grosdidier. Madame la présidente, je tenais à rectifier mon vote tel qu’il est paru sur l’amendement n° 100 rectifié quater, après l’article 1er bis G du projet de loi pour une école de la confiance. Je vote contre et non pour cet amendement, que je trouve contre-productif dans la lutte contre le communautarisme.

La surenchère affaiblit parfois les justes combats. On finit par confondre l’islam et l’islamisme, le voile avec la burqa, la tyrannie subie par certaines femmes avec la liberté dont disposent d’autres femmes, les agents du service public avec les maires bénévoles – sans aucune arrière-pensée… Et on finira par confondre Mme Ibn Ziaten avec des salafistes et lui empêcher l’accès aux établissements… (Protestations.)

Mme la présidente. Cher collègue, je vous ai donné la parole pour une mise au point au sujet d’un vote !

M. François Grosdidier. J’ai toujours été opposé à cette proposition !

Mme la présidente. Cher collègue, une mise au point n’est pas une explication de vote !

Acte vous est donné de cette mise au point. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.

La parole est à Mme Colette Mélot, pour une mise au point au sujet d’un vote.

Mme Colette Mélot. Madame la présidente, ma mise au point porte sur scrutin n° 113 relatif à l’article 9 du projet de loi pour une école de la confiance. Il a été indiqué que mon collègue Franck Menonville et moi-même, pour le groupe Les Indépendants, n’avions pas pris part au vote. Or nous souhaitions voter pour cet article.

Mme la présidente. Acte vous est donné de cette mise au point, ma chère collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.

5

 
Dossier législatif : projet de loi portant création d'une taxe sur les services numériques et modification de la trajectoire de baisse de l'impôt sur les sociétés
Discussion générale (suite)

Création d’une taxe sur les services numériques

Discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, portant création d’une taxe sur les services numériques et modification de la trajectoire de baisse de l’impôt sur les sociétés (projet n° 452, texte de la commission n° 497, rapport n° 496).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi portant création d'une taxe sur les services numériques et modification de la trajectoire de baisse de l'impôt sur les sociétés
Article 1er (début)

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Madame la présidente, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, nous examinons aujourd’hui en séance publique le projet de loi sur la taxation des géants du numérique et sur la modification de la trajectoire de baisse de l’impôt sur les sociétés pour les entreprises dont le chiffre d’affaires est supérieur à 250 millions d’euros.

Pour avoir suivi attentivement vos débats en commission, j’ai vu émerger deux grandes inquiétudes auxquelles je voudrais répondre, car je n’aime pas voir des sénateurs inquiets !

M. Roger Karoutchi. Très bien !

M. Bruno Le Maire, ministre. Première inquiétude, nous aurions abandonné notre politique de l’offre. Je tiens à vous rassurer : tant que je serai ministre de l’économie et des finances,…

M. Bruno Sido. Pour combien de temps ?

M. Bruno Le Maire, ministre. … nous maintiendrons une politique de l’offre. C’est le choix qui a été fait par le Président de la République, et c’est l’engagement qu’il a pris au cours de sa campagne présidentielle.

Cet engagement sera tenu non par obstination, mais tout simplement parce qu’il donne des résultats. La seule manière de consolider notre économie et la compétitivité de nos entreprises tout en garantissant prospérité et emploi à nos compatriotes, c’est de maintenir une politique de l’offre, de redresser la compétitivité des entreprises françaises, d’améliorer la qualité des produits qu’elles fabriquent, de soutenir l’innovation, l’investissement, la recherche et de permettre à notre économie d’être l’une des plus performantes au XXIe siècle.

De ce point de vue, je veux vous confirmer que nous atteindrons bien le taux de 25 % pour l’impôt sur les sociétés applicable à toutes les entreprises d’ici à 2022. Soucieux de transparence, je rappelle qu’un débat a eu lieu. On nous conseillait, pour réaliser de promptes économies, de reporter au-delà de 2022 cette baisse du taux de l’impôt sur les sociétés à 25 % pour certaines entreprises.

La décision a été prise par le Président de la République : le taux de l’impôt sur les sociétés sera de 25 % pour toutes les entreprises françaises, sans exception, en 2022. C’est l’un des enjeux majeurs de compétitivité pour notre économie et c’est l’une des conditions du rétablissement de notre attractivité.

Si nous entrons enfin pour la première fois dans le top 5 des nations les plus attractives de la planète, c’est précisément parce que nous avons une politique fiscale attractive et que nous tenons nos engagements : un impôt sur les sociétés à 25 % en 2022 pour toutes les entreprises, même les plus grandes d’entre elles.

Certains nous ont reproché, en décalant la trajectoire de baisse de l’impôt sur les sociétés, de viser un rendement afin de nous aider à financer des mesures. On ne peut pas nous reprocher à la fois de ne pas dévoiler nos batteries sur le financement des mesures et d’en préciser les modalités quand nous le faisons.

Je rappelle que le décalage de la trajectoire de l’impôt sur les sociétés rapportera 1,7 milliard d’euros en 2019 et participera au financement d’un certain nombre de mesures annoncées.

Je tiens à le redire avec fermeté, nous maintenons cette politique de l’offre. Regardez les choix qui ont été confirmés par le Président de la République lors de sa conférence de presse : nous maintenons la transformation du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE, en allégement de charges et nous faisons l’intégralité de la bascule du CICE en allégement de charges en 2019. Cela demande du courage !

Beaucoup nous incitaient à ne faire qu’une seule partie de la bascule du CICE en allégement de charges, ce qui nous aurait permis de récupérer quelques milliards d’euros d’économies. Si nous n’avons pas fait ce choix, c’est précisément pour avoir un coût du travail compétitif par rapport à nos grands concurrents européens. C’est bien l’intégralité du CICE qui sera transformée en allégement de charges, ce qui évitera les décalages de trésorerie pour les entreprises et nous permettra d’avoir un coût du travail aussi compétitif que celui de nos voisins allemands.

Le choix de la suppression de l’impôt sur la fortune, l’ISF, a été maintenu et Dieu sait qu’il a pu être contesté ! La création d’un prélèvement forfaitaire unique pour les revenus du capital à 30 % a été maintenue. Tous les éléments fondamentaux de la politique de l’offre – l’impôt sur les sociétés au taux de 25 % pour toutes les entreprises, l’allégement de la fiscalité sur le capital, la transformation du CICE en allégement de charges – ont donc été maintenus par le Président de la République, confirmant le cap d’une politique de l’offre pour la nation française.

Je le dis avec d’autant plus de fermeté que ces choix produisent des résultats : nous sommes désormais une des nations les plus attractives en matière d’investissements étrangers, lesquels, je le rappelle, créent des emplois directs pour nos compatriotes : 34 000 emplois en découlent. Ce résultat positif est nécessaire à notre économie, comme vous le voyez vous-même sur vos territoires.

Je me suis ainsi rendu récemment à Arras, dans une usine du glacier Häagen-Dazs, qui y a investi près de 200 millions d’euros. Ce sont des emplois directs, des emplois qualifiés, dont nous avons besoin !

Notre taux de chômage est au plus bas depuis 2009 ; nous ouvrons plus d’usines que nous n’en fermons ; pour la première fois depuis dix ans, nous créons de nouveau des emplois industriels. Nous tenons le bon bout et les résultats commencent à se faire sentir, il serait incohérent de changer de politique. Nous poursuivons donc cette politique de l’offre à laquelle je suis attaché.

M. Richard Yung. Très bien !

M. Bruno Le Maire, ministre. Votre seconde inquiétude concernait la taxation même des géants du numérique, qui est au cœur de nos discussions aujourd’hui. Vous avez mentionné plusieurs éléments de préoccupation auxquels je voudrais répondre.

Le premier était que cette taxe ne soit pas temporaire, mais permanente ; vous considérez qu’il vaudrait mieux en limiter la durée à trois ans. Je ne partage pas ce constat ni cette stratégie.

Revenons sur l’histoire de cette mesure, qui découle d’une proposition faite par la France en juin 2017 dans le cadre européen, à partir d’un constat simple que je ne cesserai de marteler, pour m’opposer aux contre-vérités que j’entends parfois à l’extérieur de cet hémicycle : les géants du numérique, qu’ils soient américains, européens ou chinois, paient quatorze points d’impôt en moins que nos grandes entreprises, nos PME, nos TPE ou nos commerces.

M. Bruno Sido. Ce n’est pas normal !

M. Bruno Le Maire, ministre. C’est inacceptable et je ne m’y résignerai jamais.

Il est indispensable de rétablir de la justice fiscale et de faire en sorte que ceux qui utilisent les données de nos compatriotes et de nos entreprises contribuent à l’impôt au même niveau que les entreprises françaises. Il n’y a aucune raison qu’ils paient quatorze points d’impôt sur les sociétés de moins !

M. Bruno Sido. C’est exact !

M. Bruno Le Maire, ministre. Nous avons donc fait cette proposition, avec, ensuite, nos amis et partenaires allemands.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Voyons, c’est une fable !

M. Bruno Le Maire, ministre. En septembre 2017, nous avons été rejoints par d’autres États : l’Italie, le Royaume-Uni et l’Espagne. Nous étions donc cinq à proposer cette taxation des géants du numérique, un nombre insuffisant pour mobiliser la Commission européenne et obtenir le dépôt d’une directive.

Au Conseil européen informel de Tallinn, en octobre 2017, nous avons réussi à rassembler sur notre position dix-neuf États européens pour affirmer qu’il fallait taxer les géants du numérique parce que nous ne pouvions pas nous satisfaire de cette situation d’injustice fiscale, ce qui a conduit la Commission européenne à déposer, en janvier 2018, une proposition de taxation des géants du numérique.

Celle-ci reposait sur le chiffre d’affaires, parce qu’il est trop compliqué de distinguer comment les bénéfices sont réalisés à partir des données. Cette solution n’est pas idéale, mais elle est robuste.

Dans les mois qui ont suivi, nous avons essayé d’entraîner l’intégralité de nos partenaires européens, puisque les décisions fiscales se prennent à l’unanimité, mais nous avons échoué à convaincre le Danemark, la Suède, la Finlande et l’Irlande de rejoindre le mouvement. J’avais pourtant accepté, par souci de consensus et de compromis, de limiter la portée de cette taxe en ne la faisant plus peser que sur un seul aspect du numérique et pas sur les trois, comme la Commission européenne l’avait initialement envisagé.

Voyant que nous n’arrivions pas à un accord au niveau européen, faute de consensus, j’ai proposé au Président de la République et au Premier ministre que, comme l’Autriche, le Royaume-Uni, l’Italie ou l’Espagne, nous prenions une disposition nationale, qui vous est soumise aujourd’hui.

M. Bruno Sido. Très bien !

M. Bruno Le Maire, ministre. J’ai toujours été très clair sur ce point : le jour où une solution internationale existera, nous abandonnerons cette taxation nationale. Dans nos discussions à l’échelle internationale, avec nos partenaires américains ou dans le cadre de l’OCDE, la France sera plus forte en faisant valoir ce levier d’une taxation nationale. Si nous introduisions une clause d’extinction dans notre propre texte de loi, nous pratiquerions une forme de désarmement unilatéral !

M. Benoît Huré. Absolument !

M. Bruno Le Maire, ministre. Pour un pays attaché, comme l’est la France, à la dissuasion, c’est une solution que je ne recommande pas. (MM. Richard Yung, Yvon Collin, Philippe Bonnecarrère, Roger Karoutchi et Bruno Sido applaudissent.)

Je vous propose donc de maintenir cette taxe nationale, que je prends l’engagement de retirer dès qu’un consensus aura été trouvé à l’OCDE.

Votre deuxième élément d’inquiétude concernait la supposée fragilité juridique de ce dispositif. C’est un argument parfaitement recevable, car toutes les questions fiscales sont complexes. Je veux toutefois vous rassurer quant aux précautions que nous avons prises en ce qui concerne la solidité juridique de cette taxation.

Au niveau national, le Conseil d’État a validé ce projet de loi ; au niveau européen, j’ai décidé de retenir les modalités européennes de taxation du numérique, même si celles-ci sont critiquables, par souci, précisément, de solidité juridique. J’ai ainsi écarté toute autre base fiscale que le chiffre d’affaires. Ce n’est pas idéal, je l’ai dit, mais c’est la solution la plus robuste et la moins contestable juridiquement.

C’est la raison pour laquelle nous nous en sommes tenus à cette méthode, en écartant l’idée d’un barème progressif qui était, certes, séduisante : nous aurions pu ainsi établir un taux à 1 %, un autre à 3 %, un autre, encore, à 5 % en fonction du niveau de chiffre d’affaires des entreprises, par souci de justice et d’équité. Il se trouve que, juridiquement, cette proposition affaiblissait la taxation du numérique, je ne l’ai donc pas retenue.

Nous avons également exclu certains services financiers inclus, à l’origine, dans le champ de la taxe et sur lesquels le Conseil d’État nourrissait des doutes. Il est vrai que proposer des services financiers sur internet ne crée pas nécessairement de la valeur par effet de réseau et donc n’entre pas dans le champ de la taxe.

Pour ces raisons, nous estimons qu’il n’y a pas lieu de s’inquiéter de la solidité juridique de cette mesure ni au niveau national ni au niveau européen. Par ailleurs, nous ne la notifierons pas à la Commission européenne, car cela retarderait de plusieurs mois l’entrée en vigueur de cette taxe et affaiblirait les négociations à l’OCDE, qui vont reprendre dès cette semaine. J’y serai demain pour discuter de ces sujets et j’ai bon espoir que nous parvenions à un accord d’ici à la fin de l’année.

Vous le voyez, tout est question de levier dans la négociation. Faudra-t-il, à un moment donné, préparer un rapport afin d’être plus transparent ? Je suis ouvert à toutes les propositions, pourvu que cela ne ralentisse pas l’entrée en vigueur de la taxe.

Troisième élément d’inquiétude : la taxe nationale serait dangereuse pour la compétitivité de nos entreprises. Je tiens simplement à indiquer que nous avons défini le champ le plus responsable possible et, surtout, que nous avons ciblé les entreprises dont le chiffre d’affaires numérique, et seulement numérique, est supérieur à 750 millions d’euros dans le monde et à 25 millions d’euros en France, c’est-à-dire celles qui sont les plus créatrices de valeur dans ce domaine.

Il ne me semble donc pas souhaitable d’élargir le champ de cette taxe ni de revenir sur ses modalités, calquées, je vous le rappelle, sur la proposition européenne.

Enfin, un débat s’est fait jour sur l’élargissement de cette taxe à la vente directe sur internet. Cette question est très différente, mais je suis prêt à en débattre le moment venu. Ce que nous taxons ici, c’est la valeur provenant de l’effet de réseau créé par l’accumulation de données grâce auquel on sait quel type de cravate ou de costume vous portez, quel type d’hôtel ou de restaurant vous appréciez, de manière à cibler la publicité sur vos habitudes de consommation. De la valeur est ainsi créée, qui n’est pas taxée. Par souci de justice, nous allons le faire.

Le cas des commerçants qui décident de vendre par internet des produits qu’ils réalisent eux-mêmes est très différent. Il peut y en avoir dans vos territoires : ils pratiquent la vente directe en ligne, qui n’est pas de la création de valeur par accumulation de données.

Faut-il taxer cette activité au même niveau que les autres commerces ? Je n’ai pas la réponse, mais je suis prêt à en débattre à un autre moment. Vous voyez bien, toutefois, que c’est un sujet très différent. Cela ouvrirait fortement le champ de la taxation pour beaucoup de commerçants indépendants qui créent des produits, parfois agricoles, et les vendent en ligne, mais qui ne s’en sortiraient pas avec une boutique physique, au risque de remettre en cause l’équilibre économique de beaucoup de petites entreprises en France. Je suis prêt à en discuter, mais ce n’est pas comparable à la taxation des géants du numérique qui nous occupe aujourd’hui.

M. Benoît Huré. Merci de le préciser !

M. Bruno Le Maire, ministre. Tels sont les éléments que je souhaitais vous apporter. Je ne vous cache pas que la majorité, le Gouvernement et le Président de la République ont l’ambition de bâtir, au XXIe siècle, une fiscalité plus juste et plus efficace. Cette taxation du numérique est la première brique de la construction d’une taxation internationale conforme à cet objectif : il n’est pas acceptable que des géants du numérique utilisent les données des Français et ne paient pas au Trésor public français leur juste part d’impôts.

Cette mesure doit toutefois être complétée par d’autres dispositions, sur lesquelles nous allons nous battre également.

Tout d’abord, il faudra définir un taux d’impôt minimal sur les sociétés. De la même manière que je ne peux pas accepter que des géants du numérique paient moins d’impôts qu’une TPE française, je ne peux pas non plus admettre que de grandes multinationales récoltent des données et fassent des profits à partir du consommateur français, pour ensuite délocaliser ces bénéfices dans un paradis fiscal où ils ne paieront pas le montant d’impôt sur les sociétés dont ils devraient s’acquitter. Nous allons donc nous battre dans le cadre du G7 des ministres des finances pour un juste assujettissement minimal à l’impôt sur les sociétés.

Ensuite nous devons tirer les leçons de ce qui s’est passé dans l’Union européenne. C’est décisif. Il n’est pas agréable, après deux ans de négociations, après avoir obtenu l’accord de vingt-trois États sur vingt-sept, d’échouer parce que quatre États sont en mesure, seuls, de s’opposer à la décision des autres en raison de règles institutionnelles obsolètes. En matière fiscale, l’unanimité est une impasse et les impasses, il faut en sortir ! Je propose donc que nous passions à la majorité qualifiée pour les décisions fiscales. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

Je me réjouis de vous retrouver pour ce débat auquel je vous remercie de participer aussi nombreux. La question de la fiscalité des géants du numérique est essentielle et je souhaite que nous puissions trouver un accord sur le projet de loi proposé par le Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)