Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Chasseing.

M. Daniel Chasseing. Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons porte l’ambition de réformer notre système de santé, et notamment de résorber les déserts médicaux. La situation présente est le fruit de décisions anciennes – diminution du numerus clausus, hospitalo-centrisme –, mais aussi, plus récemment, de la volonté des jeunes médecins de mener une vie différente.

On constate de fortes disparités sociales et régionales dans l’accès aux soins, une inégale répartition des médecins, mais aussi des infirmiers – notamment en Ehpad –, sur les territoires, pouvant aller, sur certains d’entre eux, jusqu’à la pénurie.

Beaucoup de médecins sont proches de la retraite ; une aggravation est donc à prévoir dans les années qui viennent, avec une extension des zones blanches dans la France périurbaine et rurale et, si ce projet de loi ne remédie pas rapidement à cette situation, une désertification pure et simple des territoires ruraux.

M. Jean-François Longeot, rapporteur pour avis. Tout à fait !

M. Daniel Chasseing. Notre système de santé doit faire face à plusieurs problèmes : une population vieillissante, une forte croissance de la prévalence des pathologies chroniques, un encombrement des urgences par des pathologies qui devraient être traitées en médecine de ville, sans parler des problèmes de rupture d’approvisionnement en médicaments, dont le Sénat s’est saisi en juillet dernier à la demande du groupe Les Indépendants et du sénateur Jean-Pierre Decool – à ce sujet, madame la ministre, vous avez annoncé un plan d’action d’ici à la fin du mois de juin.

La France a la chance d’avoir un système de santé qui compte parmi les meilleurs au monde. Nous disposons d’excellents professionnels, d’une sécurité sociale parmi les plus complètes, d’un réseau hospitalier étendu et d’une recherche médicale de pointe – en la matière, les efforts doivent être poursuivis. Mais il nous faut retrouver une couverture médicale de premier recours dans tous les territoires.

Je salue, à ce titre, ce projet de loi d’organisation et de transformation du système de santé, dont les auteurs entendent remédier à cette situation, mais également la qualité du travail réalisé par la commission des affaires sociales et par son rapporteur Alain Milon, qui a veillé, lors de l’examen du texte en commission, à préserver la ligne directrice du texte tout en l’améliorant sensiblement.

La réforme des études contribuera, en supprimant le numerus clausus, à préserver nos filières médicales tout en humanisant la formation de nos médecins et en augmentant progressivement les capacités de formation de nos universités, en lien – nous l’espérons – avec les hôpitaux périphériques, les cliniques et les médecins généralistes.

Nous partageons totalement cet objectif d’augmentation de 20 % environ du nombre d’étudiants en deuxième année de médecine. Cet objectif devra être défendu par l’État et par les ARS auprès des universités – nous devrons être très vigilants sur ce point.

Nous saluons également l’adoption par la commission d’une mesure d’incitation fiscale à l’installation des jeunes médecins, à l’article 4, et l’amélioration du CESP, le contrat d’engagement de service public, pour les zones sous-denses, ainsi que la limitation des remplacements à trois ans, à l’article 4 ter – cette dernière mesure, notamment, me paraît importante.

Notre groupe défendra un amendement commun à plusieurs groupes visant à favoriser la mise à disposition par la faculté ou par les hôpitaux périphériques d’étudiants en dernière année de troisième cycle, qui pourront exercer comme médecins adjoints pour renforcer l’offre de soins dans les territoires sous-dotés en médecins.

Madame la ministre, nous devons absolument trouver une solution au problème, prioritaire, de l’égalité d’accès aux soins sur l’ensemble de nos territoires. Les élus et la population l’attendent impatiemment. Si la mesure que j’ai évoquée n’était pas acceptée et organisée par un projet territorial de santé autour des CPTS, les communautés professionnelles territoriales de santé, les élus des territoires demanderaient des mesures coercitives, et nous les soutiendrions.

La création de projets territoriaux de santé vise avant tout à mieux coordonner l’offre de soins dans les territoires afin d’améliorer les parcours de soins dans l’intérêt des patients et des professionnels de santé – nous y sommes favorables.

Le développement d’un réseau renforcé d’hôpitaux de proximité – c’est l’objet de l’article 8 – devrait permettre de repenser l’offre de soins à l’échelle des territoires, dans une logique de subsidiarité et de complémentarité entre médecine de ville et médecine hospitalière. Nous serons attentifs au contenu de l’ordonnance qui en précisera le fonctionnement et la gouvernance.

La numérisation de notre système de santé constitue un autre versant important du projet de loi. La généralisation et l’enrichissement du dossier médical partagé contribueront à améliorer la cohérence et la continuité des soins délivrés.

Avec le DMP, les pharmaciens, qui sont bien répartis sur le territoire, pourront, dans le cadre de protocoles établis avec le médecin traitant, s’investir davantage dans les soins prodigués aux patients.

Nous regrettons la suppression par la commission du droit opposable à bénéficier d’un médecin traitant dans les déserts médicaux. Aussi notre groupe défendra-t-il un amendement pour rétablir cette disposition ; il n’est pas concevable que des Français soient pénalisés financièrement et voient leur parcours de soins dégradé faute de médecin traitant.

Je défendrai également un amendement visant à élargir l’accès au dispositif d’évaluation à tous les praticiens à diplôme hors Union européenne, tout en restant vigilant, bien sûr, en matière de niveau de qualification des médecins autorisés à exercer.

Notre groupe proposera par ailleurs d’étendre le droit à l’oubli instauré pour les personnes ayant été atteintes d’un cancer aux personnes ayant été victimes d’un infarctus du myocarde, en l’absence de facteur de risque de récidive.

Mesdames les ministres, mes chers collègues, dans nos territoires périurbains et ruraux, nos compatriotes attendent en premier lieu de cette loi des mesures efficaces pour résoudre les problèmes des zones sans médecins. Les mesures annoncées, 4 000 assistants médicaux et 400 médecins dans les déserts médicaux, vont dans le bon sens, mais ne suffiront pas.

La suppression du numerus clausus ne produira ses effets que dans dix ans. Il faut absolument, sans attendre, permettre aux étudiants en dernière année de troisième cycle de devenir médecins adjoints dans ces territoires. La mise en œuvre de cette mesure est possible ; elle doit être organisée à partir des hôpitaux de proximité.

Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Daniel Chasseing. Si cette mesure, en particulier, n’était pas retenue, nous irions vers des dispositions coercitives, qui sont souhaitées par 70 % de la population. C’est cette mesure que le Sénat, représentant des collectivités, doit apporter, au titre de sa contribution propre, dans ce projet de loi. (MM. Franck Menonville et Jean-Claude Requier applaudissent.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Deroche. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Catherine Deroche. Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, après avoir discuté du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019, voici venu le moment d’examiner ce texte – il était attendu – relatif à la santé.

Mais – il faut en convenir –, ce projet de loi recouvre essentiellement la réforme, bienvenue, des études médicales, des précisions et ajustements quant à l’organisation des soins et des dispositions relatives aux sujets importants que sont le numérique et les données de santé.

Le domaine du texte ainsi circonscrit, nombre de nos amendements ont été déclarés irrecevables au titre de l’article 40, mais surtout de l’article 45, de la Constitution.

Mme Catherine Deroche. Éternelle répétition : en PLFSS, argue-t-on, on ne peut pas ; mais, nuance-t-on, ce sera pour une future loi santé. Or, le moment venu, la loi en question laisse hors de son périmètre des sujets aussi attendus que, par exemple, l’innovation en santé – nous avions traité ce sujet dans notre rapport publié l’an passé sur l’accès aux médicaments innovants –, la filière visuelle ou les biosimilaires.

Dans l’attente des débats à venir, je me contenterai de dresser rapidement le bilan de la mission sur l’organisation territoriale de la santé que Véronique Guillotin, Yves Daudigny et moi-même avons menée depuis le début de l’année dans le cadre de la Mecss, la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale, et en préparation de l’examen de ce texte. Nous avons ciblé notre analyse sur les outils et dispositifs destinés à organiser la coordination entre les acteurs au niveau des territoires, outils et dispositifs issus des derniers textes législatifs, loi HPST de 2009 et loi Touraine de 2016.

Madame la ministre, votre projet de loi fait de ces outils des piliers de la « transformation » souhaitée de notre système de santé.

Un petit rappel, au préalable : les professionnels de santé se sont toujours, dans une mesure certes variable, coordonnés entre eux, avec ou sans formalisation juridique. À cet égard, la notion d’exercice « isolé », auquel les évolutions en cours sont supposées mettre fin, constitue assez largement un mythe.

Quoi qu’il en soit, l’inscription de leur activité dans un exercice coordonné est un argument décisif pour l’installation des nouvelles générations de professionnels.

Les communautés professionnelles territoriales de santé, ou CPTS, de taille et de modèle très variables, s’adressent aux professionnels de santé de premier comme de second recours, ainsi qu’aux acteurs du secteur médico-social. Elles nous ont paru utiles à la prise en charge des patients complexes. La place des coordonnateurs y est majeure.

Tandis que les équipes de soins primaires, ou ESP, organisées autour du premier recours et centrées sur les généralistes, visent à la prise en charge d’une patientèle, les CPTS tendent à organiser et à structurer une action sanitaire territoriale plus populationnelle.

Le constat est clair : la réussite de ces initiatives tient toujours à la force de volonté et à la ténacité de leurs instigateurs, dont il faut saluer l’engagement, mais aussi au soutien apporté par les équipes locales de l’ARS, qui doivent être facilitatrices et non directives.

Des bémols, néanmoins : la difficulté, parfois, à mobiliser les spécialistes, et le frein que constituait l’instabilité juridique entourant le dispositif de coordination et son financement.

Un point, en tout cas, fait consensus : celui de l’absolue nécessité de conserver un cadre juridique souple à la main des professionnels, ceux-ci devant avoir la possibilité de s’en saisir sur une base volontaire, avec des marges de manœuvre suffisantes pour permettre son adaptation aux besoins de leur territoire.

À côté de ces modes d’organisation existent différents dispositifs d’appui à la coordination des professionnels de santé : les MAIA, les méthodes d’action pour l’intégration des services d’aide et de soin dans le champ de l’autonomie, et les CLIC, les centres locaux d’information et de coordination, que nous connaissons bien, ainsi que, depuis la loi de 2016, les plateformes territoriales d’appui, à l’échelon départemental.

L’enchevêtrement de ces dispositifs d’appui, qui fonctionnent à une échelle territoriale souvent différente de celle des CPTS, entretient un sentiment de confusion bien compréhensible chez les professionnels de santé.

Certains de nos interlocuteurs se sont prononcés en faveur d’une fusion des différents dispositifs d’appui ou du pilotage des plateformes par les CPTS elles-mêmes. Mais l’essentiel est bien de développer l’idée d’un guichet unique de coordination.

Nous avons fait par ailleurs un point sur les groupements hospitaliers de territoires, les GHT, qui sont actuellement au nombre de 136. Le constat évident est celui d’une très grande hétérogénéité : le nombre d’établissements parties varie de 2 à 20, la population des territoires desservis de 100 000 à 2,5 millions d’habitants ; les effectifs s’inscrivent dans un rapport de 1 à 20, et les budgets s’échelonnent de 100 millions à plus de 2 milliards d’euros.

Le ressenti des acteurs est souvent celui d’un groupement hospitalier public de territoire plus que d’un GHT à proprement parler.

Une évaluation par territoire et des ajustements au cas par cas, sur le périmètre par exemple, selon des modalités plus souples, paraissent réalistes, mais, là encore, en accompagnant la dynamique locale.

Les GHT ont-ils permis de développer les relations avec la médecine de ville ? De nombreux GHT ont fait de cet objectif un axe de leur projet. Toutefois, le bilan apparaît, là aussi, inégal. Le déploiement des CPTS est attendu comme un moyen de faciliter ces échanges, mais les efforts devront également venir du monde hospitalier.

Un élément indispensable à cette coopération entre médecine de ville et hôpital sera en outre le développement d’outils numériques interopérables.

Pour le reste, je soutiens évidemment notre rapporteur Alain Milon et salue l’équilibre trouvé dans ses propositions. Je remercie également notre collègue Corinne Imbert pour son initiative sur la professionnalisation de la dernière année d’études.

Pour conclure, madame la ministre, je rappellerai les principes suivants, qui vaudraient dans d’autres domaines : souplesse, adaptation aux territoires et confiance dans les acteurs locaux, en attendant le PLFSS pour 2020 ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Élisabeth Doineau. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste. – M. Guillaume Arnell applaudit également.)

Mme Élisabeth Doineau. Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, l’inégal accès aux soins est une préoccupation majeure pour nos concitoyens. Aucun territoire n’échappe véritablement à cette problématique qui cristallise les angoisses voire les peurs, pour ne pas dire les colères. Le manque de médecins peut tout aussi bien se ressentir s’agissant des généralistes que des spécialistes. Certains territoires cumulent ces difficultés.

Dès octobre 2017, soit quatre mois seulement après votre entrée en fonction, madame la ministre, vous lanciez, aux côtés du Premier ministre, un premier plan pour renforcer l’accès territorial aux soins, preuve de votre prise de conscience précoce sur cette question primordiale d’aménagement des territoires.

En septembre dernier, le Président de la République présentait sa stratégie de transformation Ma santé 2022. Ce plan de réorganisation de notre système était largement salué, notamment par les professionnels de santé, qui y voyaient la traduction de votre engagement à rechercher des solutions concrètes.

Le projet de loi Santé, que nous examinons aujourd’hui, ne représente qu’un chapitre de ce plan. Il vise à réformer les études des futurs professionnels de santé, en supprimant notamment le numerus clausus, à réorganiser notre système de santé afin de libérer du temps médical et de structurer les territoires, et à créer une véritable plateforme des données de santé.

Il suscitera néanmoins beaucoup d’impatience et d’insatisfaction, car il ne répondra pas immédiatement aux difficultés d’accès aux soins.

Le recours à de nombreuses ordonnances est également une source d’inquiétude. Un seul exemple : la labellisation des hôpitaux de proximité, dont la définition et la gouvernance restent encore assez floues, suscitera forcément soit le bonheur soit l’exaspération des élus et des professionnels d’un territoire.

Au sein du groupe Union Centriste, même si nous sommes partagés,…

M. Laurent Lafon, rapporteur pour avis de la commission de la culture. C’est une lapalissade !

Mme Élisabeth Doineau. … nous sommes convaincus qu’il faut proposer et mobiliser une multiplicité d’outils pour répondre au cas par cas aux réalités des territoires.

Aussi avons-nous identifié trois pistes essentielles qui seront traduites, pour partie, en amendements visant à regagner du temps médical et à implanter les futurs médecins sur les territoires.

Première piste : décentraliser la formation.

La fin du numerus clausus n’entraînera pas immédiatement l’augmentation attendue du nombre de médecins, en raison du caractère limité des capacités d’accueil dont disposent les universités et les maîtres de stage, bien que le nombre de ces derniers ait enregistré une progression remarquable de 17 % lors de l’année écoulée.

C’est pourquoi nous pensons que décentraliser les formations est une piste à explorer, qui permettrait d’augmenter le nombre de places, de susciter davantage de vocations, avec pour effet de diversifier les profils, et de maintenir les étudiants sur leur lieu de vie. Cessons de concentrer nos étudiants dans les grandes métropoles – ils y restent souvent une fois leurs études terminées. Certains territoires donnent l’exemple : Laval accueillera à la rentrée prochaine des cours retransmis de la faculté d’Angers.

Cette proposition ne peut se traduire par un amendement ; son sort dépendra de la volonté des universités et de leurs doyens. Merci à vous, mesdames les ministres, de les intéresser à une telle ouverture !

Deuxième piste : priorité aux stages.

Nous le savons : les stages ambulatoires sont un levier essentiel pour faire découvrir les réalités des territoires fragiles, pour promouvoir la richesse des modes d’exercice et pour orienter les vocations des étudiants.

J’identifie plusieurs conditions pour faire de ces stages des expériences réussies, donnant envie de s’installer durablement dans ces territoires : offrir aux étudiants de bonnes conditions matérielles, et ce dès les stages d’externat ; garantir la qualité de l’encadrement et diversifier les lieux de stage, ce qui implique de mieux prendre en compte les retours d’expérience des stagiaires et de faciliter l’agrément des maîtres de stage – nous proposerons des amendements en ce sens ; organiser des politiques d’accueil des étudiants dans ces territoires, non seulement par la promotion du cadre de vie, mais aussi par la rencontre avec le réseau des professionnels de santé desdits territoires.

Troisième piste : favoriser le partage des tâches.

Le profil type du médecin d’aujourd’hui n’est pas celui d’hier. Les 80 heures par semaine en pratique isolée sont derrière nous ; 97 % des médecins expriment le souhait de travailler en pluridisciplinarité. Ainsi le simple remplacement d’un médecin par un nouveau professionnel est-il aujourd’hui insuffisant. La Drees, la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, indiquait récemment que les médecins généralistes travaillent en moyenne 54 heures par semaine.

Avec le vieillissement de la population et le développement des maladies chroniques, nos concitoyens doivent se rendre régulièrement chez leur médecin traitant ou chez un spécialiste.

C’est pourquoi nous devons favoriser le partage des tâches et regagner du temps médical. Nous proposons, dans cette perspective, de donner une définition claire des « équipes de soins primaires », en prévoyant un triptyque composé d’un médecin généraliste, d’un pharmacien et d’un infirmier libéral auquel viendraient s’ajouter, selon les besoins des patients, les autres auxiliaires médicaux.

Il est également nécessaire de fluidifier les parcours des professionnels de santé, en facilitant les exercices mixtes – c’est d’ailleurs ce que vous proposez, madame la ministre. Dans la continuité de vos propositions, nous voulons autoriser la pratique d’une activité libérale aux praticiens salariés à temps plein des Espic, les établissements de santé privés d’intérêt collectif.

Je soutiendrai tout amendement dont l’adoption aurait pour effet de permettre un meilleur partage des tâches, tout en restant très vigilante sur la nécessité de maintenir un haut niveau de qualité des soins. L’objectif n’est pas de déléguer à tout va – cela mettrait en danger à la fois les professionnels et les patients.

À ce stade de mon propos, je souhaite vous livrer un témoignage. Déléguée à l’accès aux soins avec le député Thomas Mesnier et le docteur Sophie Augros, j’ai pu mesurer, au cours de nos déplacements, combien le dialogue et l’accompagnement étaient nécessaires et essentiels. Expliquer les dispositifs, rencontrer les acteurs, relever les difficultés, comprendre les enjeux liés à chaque territoire, mettre du lien entre institutions et professionnels : autant d’actions qui mériteraient une véritable structuration. Or, sur les territoires, la déclinaison des mesures est perfectible. Nos concitoyens, les élus et les professionnels eux-mêmes ont besoin de mesurer les effets de la politique nationale.

Il convient de communiquer au plus près du terrain pour fédérer tous les acteurs. Je pense toutefois qu’un effort de simplification et de clarification est nécessaire et permettra une meilleure adhésion. Je suis persuadée par ailleurs que les élus locaux ont un grand rôle à jouer – vous l’avez dit, madame la ministre –, à la condition qu’ils maîtrisent pleinement l’ensemble des dispositifs.

Si ce projet de loi suscite globalement l’enthousiasme des Français, d’après un sondage publié aujourd’hui par un grand quotidien national, ceux-ci demandent aussi des mesures coercitives. Cette option est relayée par certains parlementaires, y compris de mon groupe ; à titre personnel, je n’y suis pas favorable. Car, pour pouvoir répartir, encore faut-il disposer du nombre de professionnels suffisant. Or, ce nombre, actuellement, fait défaut, s’agissant en particulier des médecins généralistes. Je me contenterai de citer un chiffre : en 2010, ces derniers étaient plus de 94 000 ; en 2019, ils ne sont plus que 87 000.

Dessiner le paysage de demain, en matière de santé, est indispensable ; quant à vos ambitions, madame la ministre, nous les partageons toutes, tous autant que nous sommes. Mais je crois beaucoup, au-delà d’un projet de loi, à la pédagogie et au partage des responsabilités pour engager une véritable dynamique. La santé est un sujet universel qui devrait nous unir, pour le bien de nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste. – MM. Guillaume Arnell et Franck Menonville applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Imbert.

Mme Corinne Imbert. Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, nous commençons aujourd’hui l’examen du projet de loi relatif à l’organisation et à la transformation du système de santé. Sur ce sujet, beaucoup d’inquiétudes avaient été soulevées lors des discussions des derniers projets de loi de financement de la sécurité sociale, mais elles avaient sans cesse été renvoyées à un futur texte de loi non financier, exclusivement consacré à la santé.

Nous y voici. Le présent texte représente donc l’unique porte d’entrée de ce quinquennat pour réformer de manière efficiente notre système de santé. Mis à part la réforme des études, qui est satisfaisante, ce nouveau projet de loi structuré autour de la réorganisation des soins nous laisse pourtant, précisément parce que nous en partageons le diagnostic et l’urgence, un goût d’inachevé !

C’est un texte administratif, qui continue de donner un pouvoir trop important, à mon sens, aux agences régionales de santé, sentiment d’autant plus marqué vu la taille XXL des nouvelles régions.

Nous sommes à un moment clé, madame la ministre. Ce texte arrive en discussion au Sénat après le grand débat national – cela a déjà été dit –, pendant lequel l’accès aux soins a été au cœur du débat politique, alors que le Président de la République n’avait pas retenu le sujet de la santé parmi les grands thèmes de cette concertation.

Cela fait des années que les questions de démographie médicale préoccupent les élus et nos concitoyens. Je vous reconnais le mérite de poser le sujet sur la table. Mais vous le faites sans y consacrer de moyens financiers et, surtout, en vous inspirant de la vision d’une médecine administrée ; le résultat ne saurait donc être vraiment satisfaisant.

Après avoir beaucoup parlé des MSP, on ne parle désormais que de CPTS et de PTS ! Je m’exprime volontairement avec ces acronymes, comme si tout cela allait régler les problèmes d’accès aux soins. Ce ne sont pas les murs qui soignent, madame la ministre – vous le savez. Il est certes nécessaire de créer de bonnes conditions d’exercice, et certaines collectivités y investissent beaucoup d’argent ; mais un tel investissement est vain sans médecins ni professionnels de santé !

Mme Corinne Imbert. S’agissant des CPTS, l’échelle retenue se situant entre 20 000 et 100 000 habitants, nous n’avons vraiment pas le même sens de la proximité – il faudra de la souplesse quant à leur périmètre.

Tous les médecins qui exercent ont un réseau, même si ce réseau n’est pas formalisé. Mon sentiment est qu’aujourd’hui, tous ces médecins qui exercent en dehors des MSP ou qui ne seraient pas impliqués dans une CPTS ne sont plus dans vos radars, alors qu’ils soignent chaque jour des patients.

Et, si la question des hôpitaux de proximité est majeure, si l’interaction entre l’hôpital et les professionnels de ville est un vrai sujet, commençons par améliorer les sorties d’hôpital ! Je crains que l’on ne soit en train de détricoter la médecine libérale, et je ne suis pas sûre que les solutions proposées dans ce texte pour répondre à la question de la démographie médicale aient été discutées en amont avec les professionnels.

Car, si la réforme des études est une bonne chose, elle ne règle pas la question de l’installation des jeunes médecins, qui est bien au cœur des préoccupations de tous.

À titre personnel, et comme vous, je suis défavorable aux mesures coercitives. Les mesures incitatives, souvent critiquées comme « ne marchant pas », ont au moins le mérite de permettre l’installation de jeunes praticiens. Dire qu’elles ne marchent pas est exagéré : quand, dans un département, 15 jeunes médecins s’installent grâce à de telles mesures incitatives, plus de 15 000 patients sont pris en charge !

Dans ce contexte, je vous proposerai, madame la ministre, comme plusieurs de mes collègues appartenant à différents groupes politiques de cette assemblée, un amendement visant à instaurer une formation professionnalisante en dernière année d’internat de médecine. Je me félicite du travail constructif dont cette proposition est le fruit ; afin de répondre efficacement aux besoins de médecins, nous proposerons que les étudiants de dernière année de troisième cycle de médecine effectuent une année de pratique ambulatoire en autonomie dans les zones sous-dotées. Plus de 3 400 futurs médecins généralistes sont ainsi potentiellement disponibles pour tout le territoire, soit une moyenne de 34 médecins par département. Si vous le souhaitez, certaines spécialités pourront être aussi concernées par cette mesure.

Vous en conviendrez, madame la ministre, mes chers collègues, cette proposition constitue une réponse rapide, efficiente et pragmatique aux difficultés rencontrées. Cette solution viendrait parfaitement compléter la fin du numerus clausus, qui, elle, produira ses premiers effets sur le temps long.

Je proposerai un autre amendement tendant à rendre obligatoires deux stages en médecine ambulatoire pour tout étudiant de troisième cycle.

Madame la ministre, vous connaissez les vertus de la Haute Assemblée en matière d’écoute, de propositions et de défense de l’intérêt général. Je vous demande donc, dans les circonstances actuelles, avec plus de solennité encore qu’à l’ordinaire, de vous appuyer sur l’expérience et la connaissance du terrain des parlementaires que nous sommes.

Soyez à l’écoute du Sénat ! Je pense que le sujet est trop grave pour se prêter à des querelles stériles. Dans ses Mémoires de guerre, le général de Gaulle évoquait la « certaine idée de la France » qu’il se faisait. Cette conception particulière de notre pays sera d’ailleurs réutilisée à maintes reprises par ses successeurs.

Madame la ministre, je vous le dis très solennellement aujourd’hui : au Sénat, dans ce lieu de défense des territoires et de la proximité, nous nous ferons toujours une certaine idée de la santé. Soyons ensemble capables de répondre à l’essentiel ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Daniel Chasseing applaudit également.)