compte rendu intégral

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

Mme Jacky Deromedi,

M. Daniel Dubois.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Hommage au Président Jacques Chirac

M. le président. Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les membres du Gouvernement, mes chers collègues, Jacques Chirac nous a quittés jeudi dernier, dans sa quatre-vingt-septième année. La nouvelle de sa disparition nous a plongés, a plongé l’ensemble du pays, dans une grande émotion. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que Mmes et MM. les membres du Gouvernement, se lèvent.)

La séance, ce matin-là, a été suspendue dès l’annonce de cette triste nouvelle. Notre hémicycle s’est rassemblé dans le recueillement. Puis Philippe Dallier, qui présidait la séance l’après-midi, a rendu un premier hommage du Sénat à cet homme d’État au parcours exceptionnel, qui a profondément marqué la France et les Français. Nous étions nombreux, sénateurs et anciens sénateurs, à assister avant-hier à la cérémonie d’adieu en l’église Saint-Sulpice.

Au nom du Sénat tout entier et en présence de vous-même, monsieur le Premier ministre, et de nombreux autres membres du Gouvernement, je souhaite rendre un nouvel hommage solennel à Jacques Chirac, qui, tout au long d’une vie politique de plus de cinquante années, a occupé d’éminentes fonctions.

Jacques Chirac avait de la France une connaissance intime, celle d’un homme qui a gravi tous les échelons des mandats de terrain avant de présider au destin de la Nation.

Né de parents corréziens, Jacques Chirac accomplit ses études primaires et secondaires d’abord à Sainte-Féréole, en Corrèze, puis à Versailles et à Paris. Après son bac, rêvant de faire carrière dans la marine marchande, il s’engagea quelques mois comme pilotin sur un cargo charbonnier, mais son père ne le laissa pas persévérer dans cette voie. Il reprit alors ses études : Sciences Po, puis l’université d’Harvard, enfin l’École nationale d’administration.

Au cours de son service militaire, il se porta volontaire pour partir vers l’Algérie en guerre. Cette période d’aspirant, puis de sous-lieutenant, le marquera profondément. Il ira jusqu’à dire qu’elle fut peut-être la plus passionnante de son existence.

Si Jacques Chirac débuta sa carrière à la Cour des comptes, très vite, il s’engagea dans la vie politique : dès 1962, à trente ans, il devint chargé de mission au secrétariat général du Gouvernement, puis au cabinet du Premier ministre, Georges Pompidou, son mentor en politique, auquel il témoigna une fidélité indéfectible.

Parallèlement, avec l’énergie et la ténacité qui le caractérisaient, il se lança à la conquête de la Corrèze, se confrontant avec succès au suffrage universel. Élu conseiller municipal de Sainte-Féréole en 1965, il devint député de la circonscription d’Ussel deux ans plus tard, puis, en 1968, conseiller général du canton de Meymac.

Ensuite, vint la carrière nationale que nous connaissons tous : candidat aux élections présidentielles de 1981 et 1988, Jacques Chirac fut élu Président de la République en 1995 et réélu en 2002.

Nous avons tous en mémoire ces moments particuliers, mais permettez-moi d’apporter à cet hommage deux touches plus personnelles. Ministre de l’agriculture, Jacques Chirac a profondément marqué le monde agricole, dans une relation exceptionnelle nouée au moment où la politique agricole commune se mettait en place. Et, sans Jacques Chirac, je n’aurais jamais été élu maire de Rambouillet, en 1983.

Je rappellerai le souvenir d’un autre épisode, survenu dans cet hémicycle : un soir de déclaration de politique générale suivie d’un débat, Jacques Chirac arriva ici même… en smoking ! Le groupe d’opposition avait réclamé sa présence, estimant que le Premier ministre ne pouvait s’exprimer seulement par la voix de son ministre chargé des relations avec le Parlement, André Rossinot – n’en prenez pas ombrage, monsieur le ministre chargé des relations avec le Parlement…

Ces souvenirs forts, humains, illustrent les qualités de Jacques Chirac. J’ai eu l’honneur de servir dans deux de ses gouvernements – quelques-uns dans cet hémicycle en faisaient aussi partie. Que de souvenirs de ses conseils des ministres… Que de souvenirs aussi de ces dimanches après-midi où il nous « convoquait » pour parler cohésion sociale, emploi et travail. Ces moments sont pour moi des souvenirs vivaces.

Jacques Chirac a incarné les valeurs de notre République.

La liberté, d’abord, en refusant toute compromission avec les extrêmes et en assumant le passé de notre pays, ses lumières et ses ombres ; son discours du Vel d’Hiv en est le symbole le plus éclatant.

L’égalité, ensuite, en tentant de résorber la fracture sociale, lui qui, maire de Paris, avait créé le SAMU social. Maire de Paris, il reçut de ses administrés une formidable reconnaissance, réussissant, à la fin de son premier mandat, le grand chelem dans les vingt arrondissements de la capitale. Reconnaissance d’un Paris qu’il a profondément aimé et transformé, comme de la Corrèze à laquelle il était tellement attaché.

La fraternité, enfin, dans sa proximité avec les Français, dans sa sensibilité à la souffrance de ceux qui sont empêchés par le handicap ou la maladie – je me souviens encore de la présentation en conseil des ministres du projet de loi dont est issue la loi de 2005. Il attachait le plus grand prix à être parvenu à faire adopter trois lois en faveur de l’intégration des personnes handicapées. Le plan Cancer fut, comme la sécurité routière, un autre grand chantier de son second mandat présidentiel ; il permit des améliorations dans la lutte contre cette terrible maladie.

Sur la scène internationale, le président Jacques Chirac sut conforter la place de la France et développer son rayonnement dans le monde. Il faut avoir vécu des conseils des ministres franco-allemands avec Jacques Chirac – ce fut mon cas pendant trois ans, sous des chanceliers différents – pour mesurer combien cet homme rayonnait.

S’il sut conforter la place de la France, il sut aussi assurer l’adaptation des moyens de notre défense aux progrès techniques et à leurs exigences. Il décida ainsi, ce qui n’était pas simple, la professionnalisation de nos armées.

Il chercha à promouvoir le multilatéralisme dans les relations internationales. Portant haut la voix de la France, il n’hésita pas à s’opposer aux Américains : le « non » à la guerre en Irak restera dans l’histoire.

Chacun ces derniers jours a rappelé son cri d’alarme à Johannesburg. Oui, le président Jacques Chirac s’est attaché à la préservation de l’environnement, domaine dans lequel il était à bien des égards précurseur. Des textes majeurs furent adoptés en la matière en 1975 et 1976, alors qu’il était Premier ministre, et la Charte de l’environnement fut intégrée au bloc de constitutionnalité en 2004, pendant son second mandat présidentiel.

Jacques Chirac était aussi un homme de culture, passionné par l’histoire des civilisations africaines et asiatiques, domaine dans lequel il faisait preuve d’une incroyable érudition. Il nous laisse un grand musée.

Chaleureux, attentif aux autres, simple aussi, il prenait le temps d’écouter et d’avoir un mot pour chacun, puissant ou humble. Il compatissait aux souffrances d’autrui, mais, pudique et discret, n’évoquait jamais les siennes, alors que la vie ne l’avait pas épargné.

Sa profonde humanité, sa proximité avec ses concitoyens et son contact charnel avec les Français ont suscité une sympathie qui dépasse toutes les sensibilités, comme en ont témoigné, dimanche dernier, les interminables files d’attente pour se recueillir devant son cercueil, lors de l’hommage populaire aux Invalides.

Permettez-moi de rappeler aussi combien Jacques Chirac aimait la France des outre-mer. Il l’aimait passionnément et avec attention. Il avait parfaitement compris que la France n’est vraiment la France qu’avec ses outre-mer.

À Bernadette Chirac, son épouse, qui a tant œuvré pour nos hôpitaux – j’en fus le témoin comme président de la Fédération hospitalière de France –, à sa fille, Claude Chirac, à son petit-fils, Martin, à toute sa famille et à ses proches, ainsi qu’à tous ceux qui ont partagé ses engagements, je renouvelle, au nom du Sénat, l’expression de la part que nous prenons à leur chagrin.

Peu d’entre vous ici ont connu Jacques Chirac Premier ministre – c’est pourtant votre cas, monsieur le haut-commissaire. Cet homme d’État dont nous voyions la grande silhouette arriver dans l’hémicycle avait un attachement au bicamérisme dont il a témoigné.

Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les membres du Gouvernement, mes chers collègues, recueillons-nous quelques instants en sa mémoire. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que Mmes et MM. les membres du Gouvernement, observent une minute de silence.)

La parole est à M. le Premier ministre.

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Monsieur le président du Sénat, mesdames, messieurs les sénateurs, beaucoup a été dit, et très bien dit, sur Jacques Chirac : par le Président de la République, à l’annonce de son décès, jeudi dernier, par vous-même, monsieur le président, à l’instant, et par des Françaises et des Français en très grand nombre, célèbres ou inconnus.

Beaucoup a été dit, et très bien dit, sur ce sublime guerrier de la politique, sur son incroyable carrière, sans doute unique en son genre, sur ses victoires à la hussarde, sur ses défaites retentissantes, sur ses erreurs – qui n’en commet pas, surtout durant une si longue carrière ?

Beaucoup a été dit, et très bien dit, sur ses intuitions politiques profondes et sur ses décisions majeures, que le président Chirac a prises parfois soutenu, parfois seul, et dont nous mesurons aujourd’hui la sagesse et la perspicacité.

Beaucoup a été dit, et très bien dit, sur sa personnalité attachante et complexe, sur ses habitudes, sur ses goûts, sur ses combats secrets et ses blessures intimes.

Nombre de ces récits proviennent de compagnons, dont vous faites partie, monsieur le président, ainsi que d’autres sur ces travées, des compagnons dont certains étaient devenus ses amis. Car si la politique est parfois brutale, et peut-être pas toujours à la hauteur de ce qu’elle devrait être, elle peut être aussi, quand on le veut, l’expression d’un certain panache et le creuset d’amitiés profondes qui dépassent – c’est heureux – les limites des familles politiques, quand il s’agit de défendre une idée, un territoire, l’intérêt de la Nation ou des valeurs communes.

Le Sénat, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, est une excellente incarnation de cette opiniâtreté courtoise – ou de cette courtoisie opiniâtre, je ne sais comment dire – de la République, que Jacques Chirac lui aussi incarnait.

« C’est beau, mais c’est loin » : nul besoin de préciser qui est l’auteur de cette phrase… Si je l’ai retenue, c’est non seulement pour rendre hommage au sens de la formule du président Jacques Chirac, mais aussi pour souligner trois aspects de son parcours.

D’abord, avant d’être un grand Premier ministre, puis un grand Président de la République, Jacques Chirac fut un grand élu local : conseiller municipal de Sainte-Féréole durant douze ans, conseiller général de la Corrèze, puis président de ce département durant neuf ans, enfin maire de Paris durant dix-huit ans. Ainsi, il aura été à la fois un grand élu de la France rurale et le maire d’une des plus puissantes métropoles d’Europe – deux réalités françaises que Jacques Chirac synthétisait et qui n’ont jamais été pour lui exclusives l’une de l’autre.

Ensuite, cette formule dit quelque chose de la fonction d’élu local. Si nous sommes nombreux ici à avoir sillonné une ville, un canton, un département dans tous les sens, aucun d’entre nous, probablement, n’a sillonné la France autant que Jacques Chirac. Nous savons qu’un territoire, ce n’est pas un dossier ; que, pour le connaître, il faut l’arpenter physiquement, mètre carré par mètre carré. Parfois, quand nous arrivons à destination, après quelques kilomètres d’une route cabossée, dans un lieu comme il en existe des milliers en France – des lieux qui en font bien souvent le charme –, je sais que nous sommes nombreux, quelles que soient nos opinions politiques, à nous exclamer intérieurement quelque chose comme : « C’est beau, mais c’est loin. » Quelquefois, c’est d’ailleurs justement parce que c’est loin que c’est beau…

Enfin, cette formule souligne que, pour Jacques Chirac, aucun territoire de la République n’était trop éloigné. Aucun de métropole, bien entendu, mais aucun non plus des outre-mer, avec lesquels, comme vous l’avez rappelé, monsieur le président, il entretenait des liens extrêmement forts, des liens de proximité malgré la distance.

C’est ainsi que, au moment où les responsables politiques de l’Hexagone et des outre-mer, avec des chefs d’État du monde entier, se recueillaient en l’église Saint-Sulpice, nos compatriotes des outre-mer et leurs élus rendaient, eux aussi, hommage à Jacques Chirac : des centaines de personnes se sont réunies place de la République à Mamoudzou, à Mayotte, ainsi qu’au jardin de l’État à Saint-Denis de La Réunion ; des minutes de silence ont été observées en Guyane, en Martinique, en Guadeloupe et à Wallis-et-Futuna ; les habitants de Nouvelle-Calédonie ont pu exprimer leur émotion dans plusieurs livres d’or. Les unes des quotidiens d’outre-mer sont particulièrement éloquentes, où les mêmes termes reviennent : l’amoureux, l’ami, le grand défenseur.

Il y a le lien personnel que le président Jacques Chirac a su tisser avec les outre-mer, leurs populations et leurs élus. Il y a aussi les décisions prises, les inflexions données pour construire l’avenir de ces territoires. Je pense à la création, en 1986, de la défiscalisation orientant des fonds privés vers le tissu économique ultramarin. Autre décision majeure, dix ans plus tard : l’alignement du salaire minimal et des prestations sociales dans les outre-mer et en métropole, aboutissement du long combat pour l’égalité des droits sociaux.

Certaines décisions ont été plus douloureuses. Nous nous rappelons, bien sûr, les événements de Nouvelle-Calédonie et le drame d’Ouvéa, en 1988. Nous nous souvenons aussi que, dix ans plus tard, c’est sous la mandature du président Jacques Chirac, et grâce au travail du Premier ministre Lionel Jospin, que nous avons signé l’accord de Nouméa.

Un grand nombre de Calédoniens se souviennent que c’est sous l’autorité du même Jacques Chirac que la République a adopté la révision constitutionnelle gelant le corps électoral pour les élections provinciales. Au reste, j’observe que responsables indépendantistes et non indépendantistes ont salué avec une même émotion la mémoire du président défunt.

Gardons également en mémoire la décision difficile, car éminemment stratégique, de relancer les essais nucléaires en Polynésie française : une décision qui a provoqué des contestations, parfois violentes, mais qui a garanti notre indépendance. Quelques années plus tard, le président Jacques Chirac et le gouvernement de la Polynésie française ont proposé au Parlement un nouveau statut pour le territoire, marquant une étape importante vers une plus grande autonomie.

Le président Jacques Chirac, c’était aussi – au Sénat, vous le savez bien – une politique courageuse de reconnaissance de la mémoire de l’esclavage, dans le droit fil du rapport d’Édouard Glissant, conduisant à l’instauration, en 2006, d’une journée de commémoration officielle, le 10 mai. Une politique consistant, au fond, à regarder le passé droit dans les yeux, à nommer les choses pour mieux les surmonter.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, Jacques Chirac avait sans doute toutes les qualités pour faire un excellent sénateur… Il ne l’a jamais été, ce qui ne l’a pas empêché de bien connaître votre assemblée, comme ministre chargé des relations avec le Parlement, puis comme Premier ministre.

Dans une courte intervention pour accueillir les membres du bureau du Sénat à l’Élysée, en 1995, Jacques Chirac rappelait ainsi qu’il avait toujours entretenu des relations courtoises avec le Sénat. C’est d’ailleurs un sénateur qu’il nomma Premier ministre en 2002, Jean-Pierre Raffarin, engageant avec lui l’acte II de la décentralisation jusqu’à la loi constitutionnelle du 28 mars 2003, dont vous connaissez mieux que quiconque les avancées considérables.

Un enracinement profond, une attention particulière aux territoires de la République, un amour de nos terroirs : voilà ce qui a fait de Jacques Chirac l’incarnation de la France et des Français – de nous tous, en somme –, avec ce que cela implique de défauts, de générosité et parfois de génie.

Pour paraphraser Malraux, le patriotisme de Jacques Chirac ignorait le chauvinisme. Cet équilibre subtil, exigeant, c’est celui d’une France souveraine, autonome, farouchement indépendante, d’une France fière de son identité, mais capable de s’ouvrir et de parler à tous, avec raison, mesure et sagesse ; de la France du multilatéralisme, du projet européen et de l’amitié franco-allemande, de la conscience écologique et du combat pour réduire les inégalités entre le Nord et le Sud.

Cette conception de la France, très gaullienne, est aux antipodes des discours que l’on peut parfois entendre. Dans l’une de ses dernières interventions, en mars 2017, le président Jacques Chirac nous exhortait à refuser l’extrémisme sous toutes ses formes. Douze ans plus tard, nous savons que ces propos n’ont rien perdu de leur acuité ; ils nous placent chacun devant nos responsabilités.

Monsieur le président du Sénat, mesdames, messieurs les sénateurs, mes pensées vont à la famille et à tous les proches du président Jacques Chirac, en particulier à son épouse, à sa fille, Claude, et à son petit-fils.

Au lendemain de la défaite de son mari aux élections présidentielles de 1988, Mme Chirac avait dit : « Les Français n’aiment pas mon mari. » S’il y a une chose que les derniers jours ont montrée, c’est que les Français aimaient passionnément Jacques Chirac.

Ils l’aiment sans doute plus qu’ils ne l’imaginaient et peut-être plus qu’il ne l’imaginait lui-même. Ils l’aiment comme on aime parfois ceux qui vous ressemblent le plus : avec des intermittences, des impatiences, mais aussi avec une profonde tendresse et une fidélité peu commune, qui résiste à tout. Aux vicissitudes de la vie politique, aux erreurs, aux opinions du moment. Et, surtout, au temps. (De nombreux sénateurs et plusieurs membres du Gouvernement applaudissent avec recueillement.)

M. le président. Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les membres du Gouvernement, mes chers collègues, je vous invite à nous recueillir encore quelques instants. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que Mmes et MM. les membres du Gouvernement, observent un moment de silence.)

3

Questions d’actualité au Gouvernement

M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.

La séance est retransmise sur Public Sénat et sur notre site internet.

Je vous appelle, mes chers collègues, à être attentifs aux temps de parole et au respect des uns et des autres.

incendie survenu à rouen

M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Catherine Morin-Desailly. Monsieur le Premier ministre, jeudi dernier, un terrible incendie a ravagé, heureusement sans faire de victime, une partie de l’usine Lubrizol de Rouen, dégageant un immense nuage noir qui s’est abattu sur une partie de la Seine-Maritime et au-delà. Je remercie vivement les forces de l’ordre, les salariés de l’usine et nos pompiers, car le pire a été évité. Mais, chez les habitants, une angoisse et une colère légitimes demeurent.

Les enquêtes judiciaire et administrative doivent rapidement déterminer les responsabilités. Mais, à cette heure, c’est la santé qui prime : à cet égard, des réponses précises et des explications claires sont attendues.

Lors de votre visite sur place, monsieur le Premier ministre, vous vous êtes engagé à la transparence, du reste garantie par l’article 7 de la Charte de l’environnement. Or, hier, le préfet a dévoilé des chiffres alarmants : 5 253 tonnes de produits chimiques ont été brûlées et 160 fûts sont toujours entreposés, dans un état délicat. Il faut que les prochaines analyses nous renseignent sur les molécules dégagées qui ont été inhalées, les retombées de suie et leurs conséquences !

Nos familles sont inquiètes. Vous avez reconnu la nécessité d’un suivi médical de long terme, mais il faut aussi un suivi épidémiologique strict de ceux qui sont intervenus sur le sinistre et de toute la population touchée d’une manière ou d’une autre.

Si, comme vous le dites, la reconnaissance de l’état de catastrophe technologique n’est pas envisagée, quelle solution proposez-vous pour indemniser les victimes ?

Je remercie Didier Guillaume, qui a reconnu la gravité de la situation et promis des aides aux agriculteurs, éleveurs et maraîchers des 206 communes de Normandie et des Hauts-de-France concernées par la suspension des récoltes et des collectes de lait.

Enfin, lorsqu’un événement de cette gravité et de cette ampleur se produit, il faut que l’ensemble des maires soient bien informés. Or ils nous ont dit regretter de n’avoir pas toujours pu jouer leur rôle auprès de la population. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Madame la sénatrice, lundi soir, avec d’autres parlementaires, députés et sénateurs, nous étions tous les deux sur le site pour mesurer l’ampleur de l’incendie.

Comme vous l’avez souligné, cet incendie très spectaculaire et grave a été maîtrisé en douze heures, sans victime ni blessé, grâce à l’exceptionnelle qualité de l’intervention des pompiers.

Je répondrai à votre question en tout point, mais permettez-moi d’abord de saluer devant le Sénat l’action remarquable des services de l’État et la coordination non moins remarquable entre les forces de l’ordre et de secours et les salariés du site. Grâce à eux, l’effet domino a été évité, alors que l’expansion du feu d’une zone de stockage vers des zones de production aurait eu des conséquences bien plus graves. Toutes vos questions sont légitimes, mais gardons à l’esprit l’exceptionnelle qualité de cette première réponse.

Madame la sénatrice, je comprends parfaitement l’émotion et l’inquiétude, voire la colère des Rouennais, et, au-delà, des habitants de la métropole et des communes qui ont vu passer le nuage et qui s’interrogent sur les conséquences de ce nuage sur leur santé.

Je redis le plus clairement et le plus fermement possible l’engagement absolu du Gouvernement à la transparence totale, complète. Toutes les informations, toutes les données scientifiques qui seront rendues disponibles par les analyses mises en œuvre seront communiquées au public.

Le principe de précaution a été appliqué avec vigilance dès le premier jour. Des recommandations claires ont été formulées. J’entends toutefois, madame la sénatrice, vos propos sur la diffusion de l’information. Le préfet, que je veux assurer de mon soutien, car son action était délicate, a reconnu lui-même, lors d’une rencontre avec les maires de la métropole rouennaise, que la qualité de l’information diffusée aux premières heures de l’événement à destination d’un certain nombre de maires n’avait peut-être pas été à la hauteur des aspirations légitimes formulées par les premiers magistrats des communes considérées.

Les retours d’expérience que nous réaliserons pour apprendre de cet événement nous permettront sans doute d’identifier les améliorations que nous pouvons apporter sur ce point.

Les consignes de vigilance ont été immédiatement données. Nous avons fait procéder au nettoyage de toutes les écoles avant leur réouverture lundi. Une campagne de surveillance approfondie de l’ensemble des impacts environnementaux sur l’eau, sur l’air, sur les sols avec des prélèvements a commencé dès vendredi.

Les résultats sont et seront rendus publics au fur et à mesure de leur délivrance, en fonction des produits qui sont testés et de la difficulté technique de ces analyses, certaines pouvant prendre plus de temps. Mais l’ensemble des résultats, je le répète, sera rendu public.

J’ai demandé au préfet de Normandie de rendre compte au public chaque jour en fin d’après-midi de l’avancée des travaux à l’occasion d’une conférence de presse. Il sera appuyé par une cellule nationale scientifique, car il faut apporter des réponses précises aux nombreuses questions techniques, environnementales ou médicales qui sont posées. Le directeur général de l’Ineris, l’Institut national de l’environnement industriel et des risques, un expert de Santé publique France et le chef du service de pneumologie du CHU de Rouen seront associés à ses prises de parole, afin de donner les réponses les plus précises possible aux questions qui ne manqueront pas d’être posées.

Hier, en fin d’après-midi, le préfet a rendu publique la liste complète des produits présents dans l’entrepôt qui a brûlé avec les caractéristiques de ces produits et les risques associés. Je veux sur ce point être clair, mesdames, messieurs les sénateurs : depuis la fin de l’année 2017, pour des raisons de sécurité qui n’échapperont à personne, la liste complète des substances autorisées sur les sites classés Seveso n’était plus rendue publique, mais, dans tous les cas, cette liste ne dit rien des produits et des quantités qui sont réellement présents sur un site à un moment donné.

La liste que nous avons rendue publique hier est précise ; elle mentionne les produits qui étaient effectivement présents dans l’entrepôt qui a brûlé, ainsi que leur quantité. L’État a reçu cette liste hier matin, et nous l’avons publiée dans la journée.

Sur la base de cette liste, l’Ineris et l’Anses, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, seront saisis dès ce jour pour faire des recommandations sur des produits supplémentaires à rechercher dans l’air ou dans les suies.

Mesdames, messieurs les sénateurs, nous ne savons pas tout aujourd’hui, parce que les analyses sont en cours et qu’il va falloir les poursuivre, et pendant longtemps. Ce que nous savons d’ores et déjà, concernant la qualité de l’air, c’est que tous les prélèvements d’air dont nous disposons à cette heure, dont les analyses ont été rendues publiques, font apparaître un état habituel de la qualité de l’air sur le plan sanitaire à l’extérieur du site.

Des analyses complémentaires ont été engagées pour vérifier si des fibres d’amiante sont présentes dans l’air, parce que la toiture des bâtiments qui ont brûlé en contenait. Les premiers résultats, pour les mesures effectuées dans un rayon de 300 mètres autour du site, ont été rendus publics hier : ils montrent qu’aucune fibre n’a été détectée dans les prélèvements de surface, et que les prélèvements d’air ne révèlent pas d’anomalie. D’autres résultats sur des zones plus éloignées vont suivre dans les prochains jours ; ils seront bien sûr rendus publics.

Je n’ignore pas les odeurs incommodantes qui perduraient encore hier. J’ai parfaitement conscience qu’elles gênent et qu’elles inquiètent la population. Mais les résultats connus des mesures d’air permettent aux autorités sanitaires d’affirmer que ces odeurs ne présentent pas de risque pour la santé. Ce n’est pas moi qui le dis, ce sont les autorités sanitaires. Les services de l’État travaillent d’ailleurs avec l’entreprise pour résorber les sources d’odeurs. Comme l’a indiqué le préfet hier, les opérations de nettoyage du site sont en cours ; une protection sera installée sur la zone contenant des fûts endommagés pour capter les flux d’air.

Monsieur le président, je vous prie de m’excuser de cette réponse trop longue…