Mme la présidente. La parole est à M. Joël Guerriau, pour explication de vote.

M. Joël Guerriau. L’intercommunalité, c’est avant tout un choix des communes de se réunir et de travailler ensemble.

M. Jacques Genest. Non, ce n’est pas un choix !

M. Joël Guerriau. Bien entendu, les couleurs politiques des communes peuvent évoluer avec le temps. Mais l’essentiel est de préserver l’intérêt des communes ; cela implique qu’elles puissent vivre au sein d’un exécutif partagé.

Le risque d’un vote par listes bloquées est de rendre cet objectif plus difficile à atteindre et de recréer des clivages liés aux oppositions politiques, ce que nous devons, me semble-t-il, éviter.

Certes, le système actuel n’est pas parfait, tant s’en faut. Il existe déjà des dérives. Ainsi, la présidente de mon intercommunalité a décrété un jour que seuls les membres de sa majorité devaient faire partie de l’exécutif, dont elle a ainsi exclu les élus majoritaires des communes qui ne partageaient pas ses orientations politiques. C’est dommageable.

Nous devons trouver des solutions qui garantissent le respect des communes. L’intérêt général implique de travailler ensemble, au-delà des clivages, et surtout, de ne pas créer de clivages. Toute mesure qui aurait pour conséquence d’accentuer le phénomène que nous constatons et qui constitue à mes yeux une dérive ne peut donc pas être une solution pertinente.

Or je crains que ce ne soit le cas du vote par listes bloquées. Certes, si les maires décident collectivement de faire une présentation par liste, pourquoi pas ? Cela signifie qu’il y a eu une négociation et un accord en amont. Mais si cette condition n’est pas remplie, le dispositif envisagé peut déboucher sur des oppositions politiques avec un risque de rupture. Nous ne serions plus dans le respect des pairs ; nous ne serions plus dans ce qui fait l’intercommunalité. Ne prenons pas ce risque !

C’est pourquoi les mesures qui nous sont proposées ne me paraissent pas convenir. Nous devons rechercher une autre voie. Il vaut mieux en effet tendre vers un système permettant une négociation et un accord entre les maires, dans le respect de chaque commune.

Au demeurant, le problème que je soulève ne concerne pas seulement les petites communes. Des élus de communes dites « intermédiaires » peuvent aussi être exclus d’un exécutif intercommunal.

Certains ont affirmé que le bureau n’avait pas de pouvoir. Ce n’est pas vrai ! Le bureau a le pouvoir qui lui est donné par le conseil communautaire. Si le conseil lui délègue des compétences, le bureau peut prendre des décisions et les mettre en œuvre.

M. Jacques Bigot. Ce n’est pas vrai !

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Paccaud, pour explication de vote.

M. Olivier Paccaud. Le sujet est passionnant, puisque cela va faire quarante-cinq minutes que nous en débattons. Mais, comme vous avez dû le constater, la gouvernance de nos intercommunalités pose effectivement problème dans beaucoup d’endroits, et le mode de désignation des vice-présidents est tout sauf anodin.

Entre la liste bloquée ou le vote par vice-président comme aujourd’hui, je ne suis pas persuadé qu’il y ait une solution idéale, mais je pense qu’il y en a une moins mauvaise.

Personnellement, je suis favorable au vote par vice-président. D’une part, cette formule permet d’avoir plusieurs choix, contrairement à une liste bloquée. D’autre part, et c’est le point essentiel à mes yeux, nous devons traiter une problématique qui n’a pas été évoquée. Peut-être les situations que je connais dans l’Oise n’existent-elles pas ailleurs ? J’en doute…

Jacques Genest décrit l’intercommunalité comme une école de diplomatie : un bon président va essayer de composer un bureau avec des élus venant d’un petit peu partout sur le territoire, de plus ou moins grandes villes. C’est évidemment la logique. Mais tel n’est pas toujours le cas.

La liste bloquée encouragera un vice, facilitera un défaut. Dans beaucoup d’intercommunalités, le président est aussi le maire de la grande ville. Dans certains cas, il profite de l’occasion – je pourrais vous citer des exemples – pour placer ceux qu’il n’a pas pu prendre comme adjoints dans sa commune. Il faut à tout prix bannir cette pratique. Or le vote par listes bloquées la favorisera.

Je conçois que le président veuille avoir un bureau à sa main. Mais je trouve tout de même dommage d’utiliser l’intercommunalité, quitte à s’éloigner de son esprit, pour satisfaire ou consoler des conseillers municipaux qui n’ont pas eu la chance de devenir adjoints !

C’est pour cela, entre autres, que je voterai pour l’amendement du Gouvernement. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM et Les Indépendants.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie Mercier, pour explication de vote.

Mme Marie Mercier. Je voudrais revenir à quelques fondamentaux. L’intercommunalité n’est pas une collectivité territoriale de plein exercice. C’est un outil au service des communes et de leurs habitants. Elle permet aux communes de faire ensemble ce que celles-ci ne pourraient pas faire isolément. Cela implique donc d’avoir un projet.

Dans la vraie vie, le candidat à la présidence de l’intercommunalité en campagne a déjà forcément sa liste en tête. Et s’il a une véritable vision de l’intercommunalité, il voudra avoir comme vice-présidents des hommes et des femmes, des élus ruraux et des élus urbains, mais surtout des personnes susceptibles de favoriser une gouvernance. Car le plus important, c’est le projet et la gouvernance ! À défaut, l’intercommunalité ne fonctionnera pas.

Ainsi, même si la liste n’est pas établie, elle est dans la tête du candidat. Gardons à l’esprit que, sur le navire intercommunalité, nous sommes non des passagers, mais des membres de l’équipage. Pour que l’ensemble fonctionne, nous avons besoin de la volonté d’un homme…

Mme Sophie Primas. Ou d’une femme !

Mme Marie Mercier. … sachant fédérer autour de lui. Certes, on ne peut pas écrire cela dans la loi.

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour explication de vote.

Mme Catherine Morin-Desailly. Je partage l’analyse de mon collègue Hervé Maurey, et je comprends évidemment le souci d’efficacité de la commission des lois.

Certes, à la suite des dernières élections, les choses ont pris du temps dans ces nouvelles et grandes intercommunalités. Il a fallu prendre le temps de se découvrir ; le travail d’apprentissage et de connaissance de l’autre – même les territoires étaient nouveaux – a été assez long.

Ce qui me dérange très profondément, c’est que l’on est en train de changer la nature de l’intercommunalité, qui doit être une coopération et un dialogue permanent entre les uns et les autres.

Je crains – c’est souvent aussi la crainte des élus en milieu rural – la politisation de la gouvernance des équipes intercommunales. Des clans vont s’instaurer. Est-ce propice à l’émergence d’une gouvernance partagée ? Des rancœurs peuvent rester…

Je pense qu’il vaut mieux nous en tenir au sens profond de l’intercommunalité et laisser à chacun la chance de se présenter. C’est ce que je ressens en écoutant nos collègues maires, notamment en ruralité.

Mme la présidente. La parole est à M. Didier Marie, pour explication de vote.

M. Didier Marie. Comme cela a été souligné depuis le début de nos débats hier, l’intercommunalité est l’expression d’une volonté des communes de travailler ensemble. En tout cas, c’est ce que nous souhaitons toutes et tous ici.

Par conséquent, la logique est la recherche du consensus ou, à défaut, du compromis. Bien entendu, la déclinaison de cette logique suppose que le candidat ayant vocation à devenir président de l’exécutif tente de rassembler le plus largement possible et puisse présenter une liste couvrant toutes les spécificités du territoire, de la petite commune rurale au centre-bourg, voire à la commune urbaine.

Mais il peut effectivement y avoir des difficultés ou des blocages ici ou là. Ma collègue Catherine Morin-Desailly, qui vient de s’exprimer, et moi-même connaissons bien notre département, la Seine-Maritime. Nous pourrions citer une ou deux intercommunalités dans lesquelles les choses ne se passent pas aussi bien que nous le souhaiterions. Des maires sont écartés de l’exécutif pour des raisons politiques, alors qu’ils sont à la tête des communes les plus importantes de l’établissement public de coopération intercommunale.

Pour ma part, je suis favorable au scrutin de liste, qui devrait permettre la recherche du consensus et donc de régler systématiquement les difficultés. Mais les difficultés peuvent exister. Aussi, monsieur le rapporteur, plutôt qu’un scrutin de liste bloquée, j’aurais souhaité que vous introduisiez la possibilité d’un scrutin de liste avec prime majoritaire. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) C’est une bonne chose que le scrutin de liste permette de constituer une équipe homogène dans la grande majorité des cas. Mais, quand ce n’est pas possible, il faut effectivement que ceux qui ne trouvent pas leur place dans le compromis puissent la revendiquer devant le conseil communautaire.

Enfin, à l’instar de collègues qui se sont exprimés aujourd’hui, je suis favorable au scrutin de liste, quel qu’il soit, parce que c’est le seul qui permettra d’avancer sur la parité, thème que nous allons aborder dans les amendements suivants.

Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour explication de vote.

M. Guillaume Gontard. Nous touchons du doigt la question de la gouvernance et du système démocratique de ces communautés de communes, qui est de toute manière insatisfaisant pour l’instant.

Pour moi, il n’y a pas une bonne solution. En revanche, si j’étais président d’une communauté urbaine, je serais favorable au scrutin de liste.

J’ai vraiment la crainte que cette solution n’entraîne une perte d’autonomie des communes, et que les élus de certaines communes n’aient plus la possibilité de se présenter pour devenir vice-présidents. Petit à petit, on est en train de construire une super-commune. Il me semble que ce n’est pas le sens de l’intercommunalité. Ou alors, l’étape d’après, c’est le suffrage direct, et là, on tue les communes. Je pense donc qu’il faut être très prudent sur cette question.

Le seul point positif – j’avais déposé des amendements en ce sens – concerne la parité. Le scrutin de liste pourrait effectivement permettre de l’améliorer. Mais mieux vaut travailler la parité à la base et à l’échelon communal, faute de quoi nous n’y arriverons pas.

Je partage les objectifs que les rapporteurs ont affichés. Mais le système actuel permet tout à fait de les atteindre : des majorités s’installent, et on a ensuite un vote vice-présidence par vice-présidence. Je suis donc d’accord – une fois n’est pas coutume – avec M. le ministre. La proposition qu’il a formulée pourrait constituer, me semble-t-il, un bon compromis.

Mme la présidente. La parole est à M. Maurice Antiste, pour explication de vote.

M. Maurice Antiste. Je souhaite apporter une pierre nouvelle à la réflexion, à partir de mon vécu, qui est très simple.

À la Martinique, il y a trois intercommunalités. J’étais maire de la commune principale de l’une d’elles. Nous avons constitué cette intercommunalité avec douze communes, et c’est le maire de la plus petite commune qui en est devenu le président ! Certes, il n’y a là rien d’illégal, et tout le monde l’a accepté. Mais ma commune, la plus grande, n’a pas obtenu la vice-présidence que nous réclamions, malgré le verdict du suffrage universel ; je vous rappelle qu’en 2014, avec le fléchage, les représentants des communes dans l’intercommunalité étaient élus au suffrage universel. Et qui a été élu vice-président ? Un membre de mon opposition municipale ! Notre ville avait cinq représentants au sein de l’intercommunalité : quatre appartenaient à la majorité municipale, et le cinquième était un opposant ; c’est lui qui a été élu vice-président ! Voilà un cas concret, un cas d’étude !

Je veux rappeler ici que l’intercommunalité n’est pas une instance politique. Elle a été créée pour mutualiser les moyens afin de développer un territoire de la manière la plus sensible et la plus convenable.

Comment peut-on dès lors accepter qu’un président opère ainsi ? Je comptais déposer un amendement, mais comme l’épisode que je vous raconte n’avait rien d’illégal, je ne sais pas bien quel amendement proposer. Mais reconnaissez que c’est loin de toute éthique politique et de toute morale. Voilà une situation concrète qui devrait permettre de faire avancer la réflexion !

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Houpert, pour explication de vote.

M. Alain Houpert. J’ai entendu le mot : « consensus » ; je voudrais parler d’« équilibre ».

L’équilibre n’est pas facile à trouver. Mon collègue François Patriat et moi-même faisons le tour de notre département. Nous avons des communautés « XXL » avec de toutes petites communes. Et le mot que nous entendons, cher François Patriat, c’est : « frustration ». Beaucoup de maires de petites communes ont le sentiment de ne pas avoir voix au chapitre. Je crains que le vote par listes bloquées n’apporte symboliquement un blocage supplémentaire et n’accentue ce phénomène.

Il n’est pas facile de trouver l’équilibre. Nous avons un vieux système qui marche.

Mme Sophie Primas. Mais non, ça ne marche pas, tout le monde le dit !

M. Alain Houpert. Comme l’a souligné le sénateur Hervé Maurey, on met six heures, voire dix heures à élire un vice-président, mais cela marche. J’ai peur que le système de listes bloquées ne nous fasse faire un saut dans l’inconnu ! (M. Emmanuel Capus applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marie Bockel, pour explication de vote.

M. Jean-Marie Bockel. Beaucoup de choses intéressantes ont été dites. Au regard des arguments qui ont été avancés, quelle est la solution qui présente le plus d’avantages ou le moins d’inconvénients ?

Culturellement, je serais plutôt favorable au vote par listes bloquées. Je me souviens des débats que nous avions au sein de l’Association des maires de grandes villes de France, qui n’était pas encore devenue France urbaine, à propos de l’élection au suffrage universel des présidents d’intercommunalité.

Je pense que tout cela n’est pas prêt, pas mûr. D’ailleurs, ce n’est pas seulement une question de moment. Si nous basculons un jour vers un tel système, ce sera parce que l’architecture aura complètement changé et que des réponses, notamment aux frustrations des petites communes, auront été apportées et que le vote bloqué ne sera plus perçu comme un frein empêchant les consensus que nous devons bâtir.

Tout bien pesé, il me semble plus raisonnable à ce stade de ne pas retenir le vote par listes bloquées et d’en rester au système actuel. Il faut parfois savoir faire preuve de modestie et se donner du temps.

Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Duranton, pour explication de vote.

Mme Nicole Duranton. Je voterai pour l’amendement du Gouvernement, en raison des expériences que j’ai connues dans mon département. Dans l’Eure, certaines intercommunalités ne fonctionnent plus, parce que les tentatives des candidats à la présidence des EPCI concernés de faire des listes bloquées ont suscité des polémiques et créé des problèmes de gouvernance.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marie Mizzon, pour explication de vote.

M. Jean-Marie Mizzon. Nous avons donc le choix entre deux systèmes : le premier fonctionne bien, et le second fonctionne bien aussi ! (Sourires.)

Le premier, qui prévaut dans les collectivités locales, fonctionne bien, parce qu’il joue précisément l’intérêt des collectivités. Le second, applicable aux EPCI, qui sont – cela a été dit maintes fois ce soir – une construction au service des communes, fonctionne également bien. Je ne sache pas qu’il soit important de changer un système qui fonctionne bien ! Si tout fonctionne bien, laissons les choses en l’état !

En outre, le système des listes tend à caporaliser, à vassaliser les membres, en les rendant redevables de celui qui les a choisis.

M. Jean-Marie Mizzon. Par conséquent, puisque les deux systèmes fonctionnent bien, laissons les choses en l’état. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Angèle Préville, pour explication de vote.

Mme Angèle Préville. Je souhaite intervenir en faveur du vote par listes bloquées, car c’est le système qui permettra la parité. Longtemps, les femmes ont été tenues à l’écart de la politique, puisqu’elles n’avaient pas le droit de vote. La parité est une exigence démocratique : les femmes doivent être représentées dans les exécutifs.

En réalité, le chemin vers une situation qui devrait être plus normale est très long. Les femmes doivent avoir toute la place qui leur revient, car elles ne sont ni moins intelligentes ni moins compétentes que les hommes.

D’ailleurs, elles apporteraient aux collectivités une richesse au niveau des idées. Je souhaite évoquer les investissements réalisés par les collectivités territoriales. Avez-vous constaté – je m’adresse aux hommes de l’hémicycle – que les installations sportives qui existent dans chaque commune, par exemple le stade de foot, sont beaucoup plus faites pour les garçons et les hommes que pour les filles et les femmes ? (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jacques Genest. Ce n’est plus le cas !

Mme Angèle Préville. C’est juste un constat ; je ne critique pas. Dans ma commune, la piscine est laissée plus ou moins à l’abandon, parce que les hommes ne s’y intéressent pas, n’étant pas eux-mêmes nageurs. (Exclamations sur les mêmes travées.) C’est juste un constat ; je ne critique pas.

Cela dit, je pense que si on avait eu plus de femmes dans les exécutifs, les choix d’infrastructures auraient peut-être été un peu différents dans les communautés de communes. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains. – Brouhaha.) C’est quelque chose que vous devez entendre ! Le fait que les exécutifs aient été menés par des hommes pendant des dizaines d’années induit certains choix politiques !

Il est temps que les femmes soient un peu plus présentes. Indépendamment de l’exemple que j’ai cité, elles peuvent apporter plein d’idées sur les choix à faire en politique. C’est pourquoi je suis pour le vote par listes bloquées.

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Mathieu Darnaud, rapporteur. À ce stade du débat, je voudrais fermer les yeux et me mettre à la place d’un élu intercommunal qui s’apprête à voter pour la gouvernance de son intercommunalité. Peut-être, pour s’épargner quatre, cinq, six ou sept heures d’élections stériles, espère-t-il que le bon sens va frapper la Haute Assemblée et permettre de trouver une disposition adaptée…

Nous pouvons tourner dans tous les sens les débats qui nous opposent depuis une heure. Le problème que soulèvent Mme Cartron et MM. Paccaud et Houpert tient non pas au système de vote par listes bloquées, mais à la capacité des élus des villes les plus importantes à faire un accord local pour avoir un, deux, trois ou quatre vice-présidents.

Excusez-moi de vous dire cela, mais la question du vote par listes bloquées a été quelque peu instrumentalisée. Soyons un peu honnêtes…

M. Emmanuel Capus. Exceptionnellement !

M. Mathieu Darnaud, rapporteur. … et convenons que ce n’est pas cela, un scrutin de liste.

Un scrutin de liste permet de désigner les membres d’une assemblée locale, comme c’est le cas aux élections municipales. Là, il s’agit de déterminer la gouvernance. Certes, on peut faire de la sémantique et appeler cela « scrutin de liste ».

Mais tout le monde sait bien que le poids des maires des différentes villes est prépondérant à un moment ou à un autre. Certes, la situation est totalement différente selon que l’on se trouve dans une intercommunalité dite « XXL » ou une petite communauté de communes dans laquelle tous les maires siègent au bureau. Mais ce qui permet à un maire, un « baron local », de faire élire un, deux ou trois vice-présidents, c’est tout simplement son poids au sein de l’exécutif de l’intercommunalité. C’est la réalité.

Je ne suis pas dogmatique. Je ne vois pas malice dans la solution proposée par le Gouvernement. Si elle permet de gagner du temps tout en empêchant que le scrutin ne soit détourné, pourquoi pas ? Mais faisons preuve d’un minimum d’honnêteté : la construction intercommunale se fait et continuera de se faire sur l’intelligence collective partagée. Tout le monde, et pas seulement une collectivité en particulier, devra faire un pas pour construire un consensus.

J’en veux d’ailleurs pour preuve la proposition de loi déposée par notre collègue Jean-Pierre Sueur, dont l’objet est d’avancer sur les accords locaux. Il reste toutefois à traiter le problème posé par la décision Commune de Salbris du Conseil constitutionnel, si nous voulons éviter un déséquilibre durable entre communes rurales et urbaines.

Mme la présidente. La parole est à Mme le rapporteur.

Mme Françoise Gatel, rapporteur. Le président Philippe Bas, mon collègue Mathieu Darnaud et moi-même exprimons, sans dogmatisme, le point de vue de la commission des lois. Nos échanges sont très riches ce soir, toutes les positions sont pertinentes, mais on voit bien également qu’il y a autant de vérités que d’intercommunalités.

Monsieur le ministre, vous le savez, j’ai beaucoup de respect et d’amitié pour vous. Toutefois, comme l’a dit Philippe Bas, sans doute plus brillamment que moi, je ne voudrais pas que nos collègues comprennent de vos propos que nous n’aimons pas la ruralité.

Vous arguez que notre proposition écarterait les communes rurales. On nous accuse de tous les maux, y compris de vouloir détricoter l’intercommunalité, alors que nous prônons une intercommunalité positive, constructive, fondée sur le consensus. Vous ne pouvez pas dire à la chambre des territoires qu’elle ignore les communes rurales !

Monsieur le ministre, notre solution n’est sans doute pas géniale, mais la vôtre ne l’est pas davantage… Son succès n’est nullement garanti.

Nous sommes nombreux, dans cette magnifique chambre, à avoir été présidents d’intercommunalité. Je l’ai été également, et je pense que mon expérience est largement transposable.

Comment les bureaux des intercommunalités se forment-ils ? Pour se présenter, il faut déjà avoir été élu. Et c’est une utopie de croire que les décisions peuvent se prendre seulement le jour de la réunion ; il est évident qu’il faut travailler ensemble en amont !

Que l’on opte pour un scrutin de liste ou un scrutin uninominal, si certains barons ne veulent pas que tel maire soit élu, il ne le sera pas, même si on le laisse gentiment se présenter.

Mme la présidente. Il faudrait conclure, madame le rapporteur…

Mme Françoise Gatel, rapporteur. Nous voulons tous faciliter l’action publique des élus et supprimer les irritants. Mais plutôt que de nous lancer des anathèmes à la figure, essayons de trouver ensemble une solution, monsieur le ministre.

J’appelle par ailleurs chacun à bien mesurer les conséquences invisibles de ce que nous allons décider.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Monsieur le président Bas, vous le voyez, il n’y avait aucune malice dans mon intervention initiale.

Ce long débat montre que les réalités sont complexes et que des approches différentes de l’intercommunalité se jouent à travers le choix du mode de scrutin. Comme d’aucuns l’ont souligné, cette question n’est vraiment pas anecdotique.

Deux objectifs se concurrencent finalement : la stabilité de l’exécutif intercommunal et la liberté pour chacun de candidater.

Le président Maurey s’est brillamment exprimé sur la question, la sénatrice Duranton a exposé une situation locale. J’ai aussi en tête quelques cas dans ce même département de l’Eure.

Chère Françoise Gatel, je vous demande pardon si je me suis mal fait comprendre. En aucun cas je n’ai sous-entendu que le Sénat n’aimait pas la ruralité.

Mme Françoise Gatel, rapporteur. Je vous aurai donc mal compris, monsieur le ministre…

M. Sébastien Lecornu, ministre. Tout comme le Sénat ne dit jamais que le Gouvernement n’aime pas la ruralité… (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Vous voyez combien les procès d’intention font mal, dans les deux sens ! (M. Jacques Grosperrin sexclame.)

Oui, monsieur le sénateur, quand vous dites que le Gouvernement n’aime pas la ruralité, je le vis aussi mal que Mme Gatel. J’ai présidé un département rural, je ne pense pas être un ennemi de la ruralité.

Hier, durant les trois heures de discussion générale, j’ai entendu qu’il fallait cesser d’opposer les urbains aux ruraux, la province à Paris… Nous devons sortir par le haut des procès d’intention qui opposent de façon caricaturale les bons aux méchants.

M. Jacques Grosperrin. Vous aimez la ruralité ? Et les 80 kilomètres par heure ?

M. Sébastien Lecornu, ministre. Oui, je l’aime, monsieur le sénateur, et les limitations de vitesse n’ont rien à voir avec le mode de désignation des intercommunalités.

Je vous propose donc une mesure de bon sens : là où les choses se déroulent correctement, le scrutin de liste peut s’appliquer. À l’inverse, là où elles pourraient se faire de manière moins libérale, on réserve la possibilité de revenir au mode de scrutin précédent.

Je propose donc, si vous en êtes d’accord, mesdames, messieurs les sénateurs, de retirer l’amendement de suppression n° 834 au profit de l’amendement n° 975, que nous venons de déposer.

Mme la présidente. Je suis donc saisie d’un amendement n° 975, présenté par le Gouvernement, et ainsi libellé :

Après l’alinéa 2

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« Si un conseiller communautaire s’oppose, à l’ouverture du scrutin, à cette modalité d’élection, il est recouru à l’élection des vice-présidents selon les règles prévues à l’article L. 2122-7.

La parole est à M. le ministre.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Comme cela se pratique pour les scrutins à bulletin secret dans nos conseils municipaux sur certaines désignations, il suffirait qu’un conseiller communautaire le demande pour que le vote par vice-présidence soit de droit. À défaut, c’est le scrutin de liste qui s’appliquerait.

Cet amendement n’est certainement pas miraculeux, mais il me semble plein de bon sens et, pour tout dire, assez rural finalement ! Si la commission y est favorable, je retirerai l’amendement n° 834.

Mme la présidente. Madame Cukierman, l’amendement n° 755 rectifié est-il maintenu ?

Mme Cécile Cukierman. L’objectif de cet amendement était d’alimenter la réflexion. En effet, il n’y a pas de solution miracle, mais il me semble tout de même préférable d’adopter la proposition du Gouvernement et de poursuivre notre réflexion au fil de la navette.

Je retire donc cet amendement, madame la présidente.

Mme la présidente. L’amendement n° 755 rectifié est retiré.

La parole est à M. le président de la commission.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Madame la présidente, je sollicite une courte suspension de séance de dix minutes au maximum pour réunir la commission. Je vous propose, mes chers collègues, que nous nous retrouvions en salle des conférences.

Mme la présidente. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à zéro heure dix, est reprise à zéro heure vingt.)