M. Pierre Ouzoulias. Un lien de causalité pourrait même être établi entre une pratique religieuse d’ordre vestimentaire, la volonté de créer au sein de la République des communautés souhaitant échapper à ses lois et ce qu’Amin Maalouf appelle très justement les « identités meurtrières » qui se construisent dans la haine d’autrui. Cet amalgame n’est pas acceptable !

Puisque le débat porte finalement sur la fonction politique de la laïcité dans notre société, j’aimerais rappeler ici que celle-ci a été introduite dans la Constitution de 1946 par un amendement déposé par notre collègue et député communiste Étienne Fajon.

Conformément à l’article premier de cette Constitution, « la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale ». Cet article fut complété dans la Constitution de 1958 par les deux phrases suivantes : « Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. » L’essentiel est dit et la force de ces principes constitutionnels devrait nous inciter à plus de retenue, de circonspection et de sagesse, dès que l’on tente de les corriger pour en atténuer la portée ! (M. Pierre-Yves Collombat applaudit.)

M. Pierre Ouzoulias. Défendre la République, c’est aussi protéger celles et ceux que l’on veut rejeter hors de la Nation en raison de leurs origines ou de leurs croyances. Cette ardente obligation de l’État de défendre tous nos concitoyens victimes du racisme s’impose encore avec plus de force depuis l’attentat perpétré hier contre la mosquée de Bayonne. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)

La laïcité ne peut être l’instrument de l’exclusion ; elle est au contraire le principe qui, en imposant la neutralité de l’État, permet l’égalité des droits et des devoirs, sans distinction de naissance ni de religion.

D’aucuns appellent, y compris dans cette assemblée, à l’avènement d’une « nouvelle » laïcité, d’une laïcité « intégrale ». Ce surcroît de rigorisme obligerait les élus à une stricte neutralité religieuse par exemple, alors que, jadis, le chanoine et député Félix Kir montait à la tribune en soutane.

M. Pierre Ouzoulias. Dans le même esprit, la neutralité religieuse qui s’impose aujourd’hui à tous les agents du service public devrait aussi s’étendre à tous les services pour le public, même privés.

Un débat sur ces thèmes est légitime. Mais il mérite mieux qu’une discussion sur une proposition de loi de circonstance de deux articles, reprenant des dispositions déjà écartées.

En ce qui nous concerne, nous sommes disponibles pour travailler sur ces sujets. Nous le sommes d’autant plus que notre histoire nous porte à défendre une laïcité au service de l’émancipation intellectuelle, politique et sociale.

Monsieur le rapporteur, vous avez cité à plusieurs reprises Jean Zay, le ministre du Front populaire assassiné par la Milice. Comme vous, nous partageons son idéal, son programme et son action politique en faveur de l’éducation nationale. Vous avez rappelé, avec raison, ses deux célèbres circulaires, interdisant dans les écoles la propagande politique, qui, en 1936, était essentiellement le fait des ligues de l’extrême droite, et la propagande confessionnelle, qui lui reprochait d’être le ministre d’une école « sans Dieu ».

En septembre 1939, alors que le ministre de l’intérieur Albert Sarraut demandait le renvoi hors de France des enfants des réfugiés républicains espagnols, Jean Zay affirma seul, avec force, notre devoir moral de les maintenir dans les classes, au nom de la mission humaniste et universaliste de l’école. C’est toujours notre source d’inspiration, et c’est pourquoi nous voterons contre ce texte ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SOCR, LaREM, Les Indépendants et UC.)

M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants.)

Mme Colette Mélot. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme dans tout débat, il est important de savoir de quoi l’on parle. Aujourd’hui, la proposition de loi qui nous est présentée – je m’interroge d’ailleurs sur son opportunité, à l’heure où les polémiques enflamment le débat public – concerne le port du foulard des mamans accompagnatrices de sorties scolaires, et rien d’autre !

Je suis convaincue par ces mots : « laïcité de l’État, pas de la société ». Cela veut dire trois choses.

D’abord, cette expression signifie que la France garantit la liberté de conscience et de pratique, lorsque cette pratique s’inscrit dans la tolérance et le respect des valeurs républicaines.

Enseignante, j’ai exercé dans un collège en zone d’éducation prioritaire à Melun, en Seine-et-Marne, où j’ai également été adjointe au maire pendant trente ans.

Je connais bien ces femmes qui, pour la plupart, vivent dans des quartiers difficiles. Il est caricatural de penser que la totalité de ces Françaises musulmanes utilisent le foulard comme l’étendard d’un projet islamique. Plus simplement, elles veulent vivre dans une société ouverte, tolérante, respectueuse de toutes les religions, en préservant des traditions familiales.

Si l’on interdit à ces mamans d’accompagner leurs enfants lors de déplacements scolaires, l’organisation des sorties dans les écoles de ces quartiers sera probablement rendue plus difficile. Cela aura pour effet de « ghettoïser » encore davantage des enfants issus de milieux populaires. Est-ce cela que nous voulons ?

Les femmes qui se portent volontaires pour participer à ces sorties expriment également une volonté de s’intéresser à la vie de l’école, et nombre d’entre elles sont d’ailleurs élues dans les conseils d’écoles.

Interdire le port du voile risque, à l’opposé de l’objectif visé, de compromettre leur intégration sociale. En les stigmatisant, on les enferme dans leurs pratiques, on renforce le communautarisme, on empêche, paradoxalement, l’islam d’évoluer avec la société. L’école est parfois le seul lieu de socialisation pour ces femmes.

L’expression « laïcité de l’État, pas de la société » signifie aussi que l’État n’a pas à se plier aux revendications communautaires.

Il doit veiller à lutter contre une certaine vision de l’islam incompatible avec les valeurs de la République, sans céder aux pressions électorales, aux caricatures et sans faire de concessions.

Il doit également veiller à apaiser les tensions entre communautés, en s’opposant avec la plus grande fermeté à toute démonstration de haine à l’encontre d’une communauté ou d’une autre.

Enfin, ces quelques mots veulent dire que nous devons, collectivement, veiller à ce qu’aucun enfant ne soit victime de prosélytisme dans le cadre de l’école publique, à ce qu’aucune pression d’ordre religieux, même insidieuse, ne porte atteinte à la liberté de conscience de l’enfant, par définition vulnérable et influençable. Fions-nous à l’intelligence des enseignants, des directeurs d’établissements et, en dernier ressort, au juge pour garantir l’application éclairée du principe de laïcité.

La réponse au communautarisme n’est pas la stigmatisation qui exacerbe les tensions.

L’école, à mon sens, doit rester un sanctuaire, un abri pour permettre à tous les enfants de grandir avec les valeurs républicaines. Mais la France n’a jamais prôné l’égalitarisme. Elle ne saurait écarter une communauté qui lui paraît étrangère, mais, finalement, reflète une partie d’elle-même. Vivre en démocratie, c’est accepter les différences culturelles et religieuses de chacun de ses membres. Dès la petite enfance, c’est trouver la paix et l’entente, par-delà les différences.

Pour autant, cette tolérance n’est pas sans limites, nous le savons, comme l’interdiction du voile intégral l’a démontré en 2010, comme l’obligation de neutralité religieuse à l’école l’a démontré en 2004, comme le renforcement du contrôle des écoles coraniques et des enfants déscolarisés l’a démontré encore récemment.

D’autres lois viendront probablement, des lois que j’estime nécessaires, sur la formation et le contrôle des imams, sur le mode de financement des mosquées, sur l’évolution de notre système d’intégration. Les questions soulevées par ce débat sont éminemment plus complexes, plus vastes, que la réponse qui nous est proposée à travers ce texte.

Il me semble que la réponse la plus saine pour désamorcer ces tensions consiste à réaffirmer, au sein de la République une et indivisible qui est la nôtre, les principes de tolérance, de liberté de conscience, de fraternité entre les communautés, et de partage des valeurs républicaines.

Je pense que le respect de nos différences s’enseigne dès le plus jeune âge, par la confrontation aux autres, par le dialogue et l’ouverture.

Ce que nous devons vraiment combattre, ce n’est pas le port du voile par quelques femmes qui démontrent, en participant à des sorties scolaires, leur implication dans l’éducation de leurs enfants. Ce que nous devons combattre, c’est le glissement d’une partie des musulmans vers une pratique radicale de l’islam ; c’est l’obscurantisme religieux, les haines communautaires et l’aliénation des femmes.

Nous connaissons tous cette mère exemplaire meurtrie dans sa chair après l’assassinat de son fils par le terroriste Mohammed Merah. Depuis 2012, Latifa Ibn Ziaten, au sein de son association IMAD pour la jeunesse et la paix, circule dans les établissements scolaires pour venir en aide aux jeunes des quartiers en difficulté.

M. le président. Il faut conclure.

Mme Colette Mélot. Elle porte le voile sans que cela pose problème.

Pour finir, je tiens à préciser que je m’exprime à titre personnel, et au nom de plusieurs des membres de mon groupe Les Indépendants – République et Territoires, mais chacun aura sa liberté de conscience au moment du vote. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants et UC.)

M. le président. La parole est à M. Jérôme Bascher. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jérôme Bascher. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le sujet que la proposition de loi de Jacqueline Eustache-Brinio nous amène à discuter n’est ni médiocre ni conjoncturel. Ce n’est pas parce que quelques-uns l’hystérisent…

Mme Esther Benbassa. Ça, c’est vrai !

M. Jérôme Bascher. … qu’il ne faut pas le traiter. Nous n’avons que trop tardé !

Car, par aveuglement – pour paraphraser Charles Péguy, il faut dire ce que l’on voit, mais il est plus difficile de voir ce que l’on voit –, par manque de courage, ce sont hélas les extrémistes de tous bords qui se sont emparés, non pas du débat, mais des failles dans les lois de notre République.

Lors du vote de la loi pour une école de la confiance, sur mon initiative et après que j’avais déposé en mars 2018 ce même texte, le Sénat avait adopté un amendement défendu par Jacqueline Eustache-Brinio et affirmant le principe de laïcité, y compris lors des sorties scolaires, ainsi qu’un amendement, déposé par mes soins, pour lutter contre le prosélytisme aux abords des écoles. Je tiens d’ailleurs à votre disposition, monsieur le ministre, une proposition de loi de même teneur pour les universités.

Du respect de la neutralité religieuse à l’école, certains n’ont voulu voir qu’un prétexte de racisme, voire de « haine contre les musulmans ». Mais nous sommes en vérité bien en dessous d’Atatürk !

Le sujet n’est pas du tout celui-là ; il est celui du risque de fracturation profonde de notre pays, laïque et républicain, et, au premier rang, de son école publique.

Voulons-nous abandonner notre modèle pour l’enseignement laïque, issu des lois de Jules Ferry et des décrets de Jean Zay ?

Voulons-nous abandonner le creuset de l’école républicaine, sans distinction de race, de sexe et, à la suite de Portalis, de religion ?

Voulons-nous abandonner les combats des féministes, chère Laurence Rossignol ?

Ou voulez-vous plutôt, mes chers collègues, un modèle communautariste, où chacun s’accommode de la République selon ce qui l’arrange, où, par exemple, la charia l’emporterait ?

Ne trahissons pas Aristide Briand !

Si cela devait être, préparons-nous à vivre, selon une expression redoutable de l’ancien ministre chargé des cultes, plutôt « face à face » que « côte à côte ».

Préparons-nous aussi à modifier l’article 1er de notre Constitution sur l’unité et l’indivisibilité de notre République.

Sans texte clair, sans cadre légal, les positions des uns et des autres seront inconciliables : là est le risque grave de fracture de la République ! Voilà pourquoi, quinze ans après la loi de 2004, trente ans après l’affaire du foulard de Creil, dans le département de l’Oise que je représente ici avec Olivier Paccaud et Laurence Rossignol, il est temps d’engager un nouvel acte.

Robert Badinter nous l’a dit, lui qui sans nul doute aura sa médaille sur nos travées : « Ce qui n’est pas illégal n’est pas forcément bienvenu. » Selon lui, le voile ne marque pas une « bonne volonté de vivre ensemble », étant rappelé que le port du voile n’est pas une prescription canonique.

M. David Assouline. On est au Café du commerce ?

M. Jérôme Bascher. La laïcité est à la fois une « grande barrière contre le poison du fanatisme », mais aussi une garantie que « l’idée que l’on doit respecter l’autre signifie aussi que l’autre doit vous respecter ».

Dès lors, mes chers collègues, sans distinction de sensibilité, nous ne devons pas abdiquer.

M. David Assouline. Quel courage !

M. Jérôme Bascher. Nous ne le devons pas, pour être dignes des Lumières et des pères de la République, Jules Ferry – notre prédécesseur en ces lieux – en tête. Nous ne le devons pas pour l’école, mais aussi pour tous les croyants, tous les agnostiques et tous les athées de France qui se retrouvent dans cette école de la République.

Il ne s’agit de rien d’autre que d’apporter une nécessaire précision à l’indispensable neutralité à observer par tous durant le temps scolaire !

Face aux extrémistes, nous ne pouvons pas avoir la main tremblante ! Je vous demande donc, très solennellement, de soutenir sans réserve ce texte sur la laïcité, qui porte le sceau, selon les mots du Général, de l’honneur, du bon sens, de l’intérêt supérieur de la patrie. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Pemezec. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Philippe Pemezec. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà plus d’un an, ici même, j’interpellai le Gouvernement sur la question de la tenue des accompagnateurs de sorties scolaires. Votre réponse, monsieur le ministre, que j’ai écoutée religieusement à l’époque fut pour le moins ambiguë. (Sourires.)

Vos propos ont été en substance : « Je suis plutôt d’accord avec vous, mais la loi est la loi ! » J’entends que, depuis, la situation n’a pas évolué.

Je ne suis donc pas surpris du retour dans l’actualité de ce problème, posant un réel cas de conscience à nos concitoyens, et je suis heureux que ma collègue Jacqueline Eustache-Brinio ait traité la question dans le cadre de cette proposition de loi, que j’ai cosignée sans hésiter et avec enthousiasme.

Ce qui est en question, dans cette affaire, c’est la remise en cause régulière des valeurs de notre société et de notre vivre ensemble par les tenants d’une vision de l’islam communautariste et radicale.

Nous en sommes là aujourd’hui, car, depuis plus de vingt ans, les gouvernements successifs ont manqué de lucidité, ont fait preuve de lâcheté et n’ont pas eu le courage ni de gérer l’immigration…

M. David Assouline. Il y a un lien !

M. Philippe Pemezec. … ni d’adopter une ligne politique claire.

Cette ambiguïté a alimenté les tensions, attisées par les tenants d’un islam politique qui tente de remettre en cause notre société et ses valeurs républicaines.

Les sorties scolaires, puisque c’est bien d’elles qu’il s’agit, sont effectuées dans le cadre du temps scolaire et, à ce titre, doivent être soumises aux règles régissant l’obligation de neutralité des agents publics, indépendamment des fonctions exercées.

Ainsi, lorsque des parents se portent volontaires pour accompagner une sortie d’élèves, ils deviennent eux aussi, même bénévoles, des collaborateurs occasionnels du service public.

M. Philippe Pemezec. Il serait donc logique que les sorties soient considérées comme partie intégrante du temps scolaire et de l’environnement scolaire, et que les règles de neutralité vestimentaire soient appliquées dans ce cadre, comme à l’intérieur de l’établissement, pour toutes les personnes concourant à encadrer et éduquer les enfants.

L’école est le reflet de notre société ; c’est aussi le lieu où la France de demain se construit. Ce n’est pas avec de belles citations, de jolies petites phrases que le problème sera réglé !

Le communautarisme est en train de ronger la société française, il la fracture, la divise, créant des tensions de plus en plus vives. Il suffit de lire LArchipel français, l’excellent ouvrage du politologue Jérôme Fourquet, pour comprendre le glissement sociétal que nous vivons.

Nous avons été incapables d’intégrer ou de combattre les ghettos : nous en subissons aujourd’hui les effets !

Et si vous me dites, mes chers collègues, que je me focalise uniquement sur les signes extérieurs de la religion islamique, je vous dirai la même chose s’il s’agissait d’accompagnateurs coiffés d’une kippa ou d’un turban, ou d’accompagnatrices vêtues d’une robe bouddhiste.

Arrêtons de nous cacher derrière la bien-pensance ! Aujourd’hui, ce sont les maires et les directeurs d’école qui gèrent seuls, tant bien que mal, ces questions au quotidien, en composant avec le flou entretenu en haut lieu depuis de trop nombreuses années. Ainsi, nous parlons aujourd’hui du voile, mais que dire du prosélytisme de certains animateurs, des revendications sur les menus des cantines scolaires ou pour l’obtention d’horaires spécifiques pour les femmes à la piscine ?

Notre Constitution de 1958 dit que « la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale ».

Puisqu’il n’y a plus de religion d’État dans notre pays, la religion doit s’exercer uniquement dans un cadre privé et ne doit en aucun cas influencer d’une façon ou d’une autre l’opinion des enfants, qui se forment, sur le temps scolaire, dans un cadre strictement laïque.

A-t-on jamais forcé un parent d’élève à accompagner une sortie scolaire ? Si, pour une mère de famille, retirer son voile et montrer ses cheveux est insupportable, elle peut rester chez elle (Exclamations.), mais qu’elle ne prétende pas collaborer à un service public laïque et démocratique sans en accepter les règles.

Car il faut être lucide, c’est un véritable bras de fer qui est engagé par ces femmes brandissant le voile comme un étendard, appuyées par un communautarisme islamiste, politique, qui s’est fixé pour objectif d’utiliser chaque faille dans notre État de droit pour y imposer sa morale religieuse, faisant peu à peu de notre pays, non plus une Nation, mais un pays avec des communautés vivant les unes à côté des autres. Il est temps de choisir quel modèle de société nous souhaitons : vivre ensemble ou vivre à côté les uns des autres ?

Le Gouvernement nous dit : « On n’y peut rien, c’est la loi. » Mais la loi est faite pour évoluer ! Elle est faite pour s’adapter aux changements de la société, et nous autres parlementaires sommes là pour accompagner cette évolution !

Pour cela, il faut du courage. Il faut, pour une fois, avoir le courage d’entendre ce que disent les Français et comprendre ceux qui voient leur quartier et leur commune s’enfoncer peu à peu dans le communautarisme, leur environnement se transformer et les propos se radicaliser.

J’ai entendu récemment dans un débat : « Il suffit de généraliser la viande halal. Comme ça, tout le monde pourra en manger ! » Pourquoi ne pas imposer de manger casher dans ce cas ? Personnellement, je préfère manger du poisson le vendredi ! (Exclamations sur les travées des groupes CRCE et SOCR.)

Mais au nom de quel principe devrait-on soumettre le droit commun et la pratique commune au caprice des religions, dans une République laïque et indivisible ?

M. le président. Il faut conclure !

M. Philippe Pemezec. Moi, j’ose encore croire en la France ! Je crois aux valeurs de notre République et je me refuse à les voir grignotées insidieusement par des idéologies politiques, radicales et communautaristes, mettant à mal nos valeurs communes et notre vivre ensemble. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)

Mme Laurence Rossignol. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, une remarque pour débuter mon propos : j’imagine tout de même que les auteurs de cette proposition de loi se sont demandé si ce texte tombait vraiment bien et si nous allions pouvoir, dans le contexte actuel, nous concentrer sur son contenu. L’exercice me paraît délicat et un peu perdu d’avance !

Mais je voudrais partager avec vous un sentiment et quelques réflexions.

Mon sentiment, c’est celui – extrêmement désagréable – d’être prise dans un étau.

M. David Assouline. Bien sûr !

Mme Laurence Rossignol. La première mâchoire de cet étau est celle de la haine et du racisme, celle qui déteste les musulmans comme elle a toujours détesté les Arabes, celle qui n’a jamais été laïque, celle qui n’a jamais autant aimé la France que quand elle n’était pas la France. (Exclamations et sifflets sur les travées du groupe Les Républicains.)

J’invite mes collègues de la droite républicaine à ne pas s’émouvoir quand je parle de l’extrême droite. Je ne parlais pas de vous jusqu’à présent, mes chers collègues ! (Rires et applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)

M. Ladislas Poniatowski. C’est petit !

Mme Laurence Rossignol. Les femmes voilées personnifient, pour tous ceux-là, l’obsession d’une France islamisée par le « grand remplacement ».

La deuxième mâchoire de l’étau est celle de l’extension de l’emprise religieuse dans la société française, notamment de l’islam politique. En effet, autant la foi est un sujet intime, autant la religion est une question politique.

La première étape stratégique des doctrinaires passe par la réislamisation des musulmans de France. Il s’agit de communautariser les musulmans autour du fait religieux dans l’espace public, en opposant progressivement une pratique religieuse de plus en plus rigoriste à la laïcité républicaine. (Mmes Catherine Troendlé et Sophie Primas approuvent.)

Pour ceux-là, aussi, le port du voile est l’objet symbolique de leur visibilité, même si, paradoxalement, cette visibilité passe par l’invisibilité des femmes.

Les uns comme les autres ont donc objectivement intérêt à installer le voile au centre du débat public.

M. David Assouline. Bien sûr !

Mme Laurence Rossignol. Pour les promoteurs de l’islam politique, plus on parle du voile, de sa place et de sa compatibilité avec la République, mieux c’est, car c’est avec ce drapeau qu’ils comptent bien susciter la solidarité communautaire.

Si le voile devient un objet de racisme, alors il devient aussi le signe de la résistance au racisme, et c’est le pire des scénarios !

C’est le scénario de l’escalade : d’un côté, Dijon et son conseiller régional haineux, indigne, qui la nourrit ; de l’autre, la coalition des naïfs qui laissent prospérer l’islam politique, abandonnent celles et ceux qui résistent et choisissent le confort moral du déni.

Et nous, mes chers collègues, nous sommes au milieu, avançant sur une ligne de crête, pesant chacun de nos mots, chacun de nos actes, pour ne renforcer ni un camp ni l’autre.

Certains diront que c’est pleutre. Je me contenterai de dire que c’est précautionneux.

Il faut agir dans le bon ordre. À mes yeux, réduire la fracture qui s’est installée dans notre société est le préalable à toute reconquête républicaine.

Cette proposition de loi n’y contribuera pas. Je crains même qu’elle ne soit, si j’ose dire, du pain bénit pour les islamistes, une occasion supplémentaire de coaliser et de communautariser les musulmans, y compris ceux qui n’ont pas cette pratique rigoriste de l’islam.

M. Patrick Kanner. Très bien !

Mme Laurence Rossignol. Je ne pense pas non plus que cette proposition de loi rendra la laïcité plus aimable ou plus désirable à qui que ce soit.

Défendre la laïcité, c’est en faire un usage juste et constant. La laïcité, ce n’est pas exalter à tout propos l’identité chrétienne de la France ou convoquer les évêques à tout bout de champ pour solliciter leur avis sur le droit des femmes à disposer de leur corps ! (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

La laïcité, c’est un projet de société, qui suppose la justice et l’égalité.

M. Jean-Luc Fichet. Très bien !

Mme Laurence Rossignol. Je ne crois pas que de nouvelles interdictions soient la solution. C’est sans fin !

Peut-être certains d’entre vous, mes chers collègues, se sont-ils réjouis de constater, dans un sondage sorti dimanche dernier, que leur proposition était soutenue. Mais avez-vous vu, aussi, que davantage de personnes sondées sont favorables à une extension de l’interdiction aux usagers du service public : plus de voile, plus de kippa dans les halls d’hôpitaux, dans les bureaux de poste, aux caisses d’allocations familiales, etc. Êtes-vous prêts à les suivre ? Bien sûr que non ! Pas aujourd’hui ! Mais dans un an ou deux, en fonction du contexte, qui sait ? (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR. – M. François Patriat se joint à ces applaudissements.)

Ce que nous payons aujourd’hui, c’est l’abandon des quartiers populaires, l’absence de perspective pour ceux qui y vivent, la ségrégation spatiale et notre inefficacité à lutter contre le racisme. Tant qu’un jeune avec un prénom musulman aura cinq fois moins de chances de trouver un travail qu’un jeune avec prénom d’origine catholique,…

Mme Pascale Gruny. Ce n’est pas vrai !

Mme Laurence Rossignol. … il ne sera pas possible de convaincre ce jeune que la République et l’égalité sont faites pour lui et à partager avec lui ! (Mme Martine Filleul applaudit.)

Quand le relief est incertain, quand le paysage est trouble, il faut une boussole. La mienne tient en trois questions. Avec cette proposition de loi, allons-nous réduire la fracture qui s’est installée entre les Français ? Allons-nous désarmer les haineux de tous bords ? Allons-nous nous extraire du face-à-face sinistre entre les identitaires des deux camps ? Je ne le crois pas. Je pense même que nous nous tromperions de chemin en adoptant ce texte. C’est pourquoi le groupe socialiste et républicain ne le votera pas. (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes SOCR, CRCE, LaREM et Les Indépendants.)

M. le président. La parole est à Mme Pascale Gruny. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme Pascale Gruny. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la France est une République laïque. Cette règle, fruit de notre histoire, a longtemps divisé notre nation, mais, aujourd’hui, elle la rassemble et elle doit la rassembler !

La laïcité n’est pas seulement un droit ; c’est un devoir ! Elle exige d’accepter des règles communes, indispensables à l’équilibre de la société, au premier rang desquelles la neutralité des services publics.

Le législateur a voulu faire de l’école un espace neutre d’un point de vue religieux, pour permettre à l’élève de se construire librement en tant que citoyen, en le protégeant contre les influences et les passions extérieures.

Cette conquête d’une école laïque s’est faite par étapes. Il y a d’abord eu la substitution à l’enseignement d’une morale religieuse d’une instruction morale civique et laïque, puis la suppression en 2004 des signes ostensibles d’appartenance religieuse dans les établissements scolaires.

Il faut aujourd’hui franchir une nouvelle étape en inscrivant dans la loi le principe de neutralité religieuse applicable à toute personne participant aux sorties scolaires, ce qui est déjà le cas pour les enfants et les enseignants, mais pas pour les accompagnants. Il est donc temps de mettre fin à cette incohérence juridique !

Je ne comprends pas la posture de désintérêt du Président de la République, qui affirme que le port du voile dans l’espace public n’est pas son affaire. Doit-on lui rappeler que les sorties scolaires sont des temps pédagogiques s’inscrivant dans le temps de l’éducation nationale ?

Cela fait bien longtemps que l’enseignement scolaire ne se limite plus aux quatre murs de la classe. Cette ouverture vers l’extérieur nous invite à repenser le principe de laïcité appliqué à l’école.

Chaque sortie nourrit un projet pédagogique et fait l’objet d’une préparation en amont. Il n’est donc pas possible de déconnecter les enseignements scolaires en classe de ceux qui sont dispensés à l’extérieur. La sortie scolaire n’est en réalité qu’un prolongement des enseignements délivrés en classe, une école « hors les murs ».

La neutralité religieuse doit donc aussi s’y appliquer, de la même façon qu’elle s’applique en classe, de la même façon qu’elle s’applique dans le gymnase ou la salle municipale accueillant les activités d’éducation sportive.

Cette proposition de loi est également la suite logique des récentes évolutions jurisprudentielles, qui tendent vers toujours plus de neutralité des parents d’élèves.

En juillet dernier, la cour administrative d’appel de Lyon a admis la légalité d’un règlement intérieur imposant la neutralité religieuse à toute personne, y compris les parents d’élèves, intervenant dans une classe pour participer à des activités assimilables à celles des enseignants.

Par ailleurs, si le Conseil d’État estime que les parents d’élèves ne sont pas soumis à l’obligation de neutralité religieuse, il a toutefois précisé que le chef d’établissement peut leur recommander de s’abstenir de manifester leur appartenance ou leur croyance religieuses. Cette situation entraîne des décisions différentes d’un établissement scolaire à l’autre, au grand dam des parents d’élèves et des élus locaux.

Le droit actuel et l’ambivalence du Gouvernement sont sources de polémiques et de tensions, comme l’ont récemment montré les affiches de campagne de la FCPE, la Fédération des conseils de parents d’élèves, défendant le droit pour les mères voilées de participer à des sorties scolaires.

Monsieur le ministre, alors que plusieurs de vos collègues ont multiplié les prises de position contradictoires – ce sont les limites du « en même temps » –, votre gouvernement doit sortir de l’ambiguïté. Les Français vous le demandent, puisque 66 % d’entre eux sont favorables à cette proposition de loi.

Mes chers collègues, la laïcité que nous défendons n’est en aucun cas l’expression d’un sentiment antireligieux. C’est, au contraire, la liberté et la tolérance pour tous.

Jacques Chirac affirmait en 2003 que le débat sur la laïcité renvoyait « à notre cohésion nationale, à notre aptitude à vivre ensemble, à notre capacité à nous réunir sur l’essentiel ». Seize ans plus tard, la loi a juste besoin de clarté, et ce texte en apporte.

Deux questions, mes chers collègues : la neutralité religieuse à l’école a-t-elle été pensée pour protéger les enfants ou les murs de l’établissement ? La sortie scolaire est-elle du temps scolaire ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Annick Billon se joint à ces applaudissements.)