Sommaire

Présidence de M. Philippe Dallier

Secrétaires :

Mmes Catherine Deroche, Françoise Gatel.

1. Procès-verbal

2. Neutralité religieuse des personnes concourant au service public de l’éducation. – Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Discussion générale :

Mme Jacqueline Eustache-Brinio, auteure de la proposition de loi

M. Max Brisson, rapporteur de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication

M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse

Demande de renvoi à la commission

Motion n° 13 de M. Jean Louis Masson. – M. Jean Louis Masson ; M. Max Brisson, rapporteur ; M. Jean-Michel Blanquer, ministre ; Mme Samia Ghali ; Mme Josiane Costes. – Rejet.

Discussion générale (suite)

M. Laurent Lafon

Mme Sylvie Robert

Mme Françoise Laborde

M. Antoine Karam

M. Jean Louis Masson

M. Pierre Ouzoulias

Mme Colette Mélot

M. Jérôme Bascher

M. Philippe Pemezec

Mme Laurence Rossignol

Mme Pascale Gruny

M. Jean-Michel Blanquer, ministre

Clôture de la discussion générale.

Article 1er

M. Max Brisson, rapporteur

M. Olivier Paccaud

M. Pierre Ouzoulias

M. Stéphane Piednoir

M. Patrick Kanner

M. Alain Joyandet

Mme Esther Benbassa

M. Michel Savin

M. David Assouline

M. Jean Louis Masson

M. Guillaume Gontard

M. Pierre-Yves Collombat

Mme Nassimah Dindar

M. François Bonhomme

M. Fabien Gay

Mme Sylvie Goy-Chavent

Mme Samia Ghali

Mme Annick Billon

M. Jean-Marie Mizzon

Mme Sophie Taillé-Polian

M. Rachid Temal

M. Laurent Duplomb

M. Jean-Michel Blanquer, ministre

Amendement n° 10 de M. Jacques-Bernard Magner. – Rejet par scrutin public n° 17.

Amendement n° 3 de M. Jean Louis Masson. – Rejet.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio

M. Pierre Ouzoulias

Adoption, par scrutin public n° 18.

Article 2 (nouveau)

Amendement n° 11 de M. Jacques-Bernard Magner. – Rejet.

Adoption de l’article.

Intitulé de la proposition de loi

Amendement n° 9 rectifié de Mme Françoise Laborde. – Adoption de l’amendement modifiant l’intitulé.

Vote sur l’ensemble

Mme Sylvie Robert

M. Pierre Ouzoulias

Mme Françoise Gatel

M. Bruno Retailleau

M. Jean-Michel Blanquer, ministre

Adoption, par scrutin public n° 19, de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.

3. Organisation des travaux

Suspension et reprise de la séance

4. Assistons-nous au recul de l’État de droit en France ? – Débat organisé à la demande du groupe socialiste et républicain

Mme Sophie Taillé-Polian, pour le groupe socialiste et républicain

M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement

Débat interactif

M. Jean-Raymond Hugonet ; M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement.

M. Jean-Yves Leconte ; M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement ; M. Jean-Yves Leconte.

M. Jean-Claude Requier ; M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement.

Mme Esther Benbassa ; M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement ; Mme Esther Benbassa.

Mme Colette Mélot ; M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement.

M. Michel Canevet ; M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement.

M. Serge Babary ; M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement.

M. Jean-Yves Leconte ; M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement ; M. Jean-Yves Leconte.

M. Jean-François Longeot ; M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement.

M. Christophe Priou ; M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement ; M. Christophe Priou.

Mme Sylvie Robert ; M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement ; Mme Sylvie Robert.

M. François Bonhomme ; M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement ; M. François Bonhomme.

M. Jérôme Bascher ; M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement ; M. Jérôme Bascher.

Conclusion du débat

Mme Marie-Pierre de la Gontrie, pour le groupe socialiste et républicain

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Marc Gabouty

5. Mise au point au sujet d’un vote

6. Politique sportive. – Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains

M. Michel Savin, pour le groupe Les Républicains

Mme Roxana Maracineanu, ministre des sports

Débat interactif

M. Jean-Jacques Lozach ; Mme Roxana Maracineanu, ministre des sports.

Mme Mireille Jouve ; Mme Roxana Maracineanu, ministre des sports ; Mme Mireille Jouve.

M. Didier Rambaud ; Mme Roxana Maracineanu, ministre des sports.

Mme Céline Brulin ; Mme Roxana Maracineanu, ministre des sports.

M. Dany Wattebled ; Mme Roxana Maracineanu, ministre des sports ; M. Dany Wattebled.

M. Claude Kern ; Mme Roxana Maracineanu, ministre des sports.

M. Stéphane Piednoir : Mme Roxana Maracineanu, ministre des sports.

Mme Sylvie Robert ; Mme Roxana Maracineanu, ministre des sports.

Mme Françoise Gatel ; Mme Roxana Maracineanu, ministre des sports.

Mme Florence Lassarade ; Mme Roxana Maracineanu, ministre des sports ; Mme Florence Lassarade.

M. Christian Manable ; Mme Roxana Maracineanu, ministre des sports.

M. Jean-Raymond Hugonet ; Mme Roxana Maracineanu, ministre des sports.

M. Olivier Paccaud ; Mme Roxana Maracineanu, ministre des sports.

Mme Nicole Duranton ; Mme Roxana Maracineanu, ministre des sports.

M. Jacques Grosperrin ; Mme Roxana Maracineanu, ministre des sports.

Conclusion du débat

M. Alain Dufaut, pour le groupe Les Républicains

Suspension et reprise de la séance

7. Catastrophes climatiques : mieux prévenir, mieux reconstruire. – Débat organisé à la demande d’une mission d’information

M. Michel Vaspart, président de la mission d’information sur la gestion des risques climatiques et l’évolution de nos régimes d’indemnisation

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure de la mission d’information sur la gestion des risques climatiques et l’évolution de nos régimes d’indemnisation

Mme Maryse Carrère

M. Bernard Buis

M. Guillaume Gontard

M. Alain Fouché

Mme Évelyne Perrot

M. Yves Bouloux

M. Claude Bérit-Débat

Mme Nadia Sollogoub

M. Jean-François Husson

Mme Gisèle Jourda

M. Didier Mandelli

Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire

8. Ordre du jour

compte rendu intégral

Présidence de M. Philippe Dallier

vice-président

Secrétaires :

Mme Catherine Deroche,

Mme Françoise Gatel.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 24 octobre 2019 a été publié sur le site internet du Sénat.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté.

2

 
Dossier législatif : proposition de loi tendant à assurer la neutralité religieuse des personnes concourant au service public de l'éducation
Discussion générale (suite)

Neutralité religieuse des personnes concourant au service public de l’éducation

Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi tendant à assurer la neutralité religieuse des personnes concourant au service public de l'éducation
Demande de renvoi à la commission

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Les Républicains, de la proposition de loi tendant à assurer la neutralité religieuse des personnes concourant au service public de l’éducation, présentée par Mme Jacqueline Eustache-Brinio et plusieurs de ses collègues (proposition n° 643 [2018-2019], texte de la commission n° 84, rapport n° 83).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme Jacqueline Eustache-Brinio, auteure de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Sylvie Goy-Chavent applaudit également.)

Mme Jacqueline Eustache-Brinio, auteure de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, chaque jour, près de 13 millions d’enfants et adolescents sont confiés à l’école de la République, dont 2,5 millions en maternelle et 4,3 millions en primaire, généralement quatre jours par semaine, de 8 heures 30 à 11 heures 30 et de 13 heures 30 à 16 heures 30.

Cette école républicaine, qui trouve son socle dans les lois Ferry de 1881 et 1882, a pour objectif de former des citoyens à la République et de les intégrer dans la société. C’est la raison pour laquelle je fais miens les propos de Jules Ferry, dans sa lettre de 1883 aux instituteurs et institutrices sur l’école laïque, tendant à établir la neutralité confessionnelle des écoles : « Sans doute [le législateur] a eu pour premier objet de séparer l’école de l’église, d’assurer la liberté de conscience et des maîtres et des élèves, de distinguer enfin deux domaines trop longtemps confondus, celui des croyances qui sont personnelles, libres et variables, et celui des connaissances qui sont communes et indispensables à tous, de l’aveu de tous. »

Plus tard, dans sa circulaire du 15 mai 1937, Jean Zay, ministre de l’éducation nationale, soulignait à son tour l’importance de la neutralité de l’école républicaine, en précisant : « Ma circulaire du 31 décembre 1936 a attiré l’attention de l’administration et des chefs d’établissement sur la nécessité de maintenir l’enseignement public de tous les degrés à l’abri des propagandes politiques. Il va de soi que les mêmes prescriptions s’appliquent aux propagandes confessionnelles. L’enseignement public est laïque. Aucune forme de prosélytisme ne saurait être admise dans les établissements. Je vous demande d’y veiller avec une fermeté sans défaillance. »

Voilà quinze ans, la loi interdisant le port de signes religieux ostentatoires dans les écoles publiques françaises, voulue par le président Chirac, était adoptée par le Parlement. Cette loi, fondée sur le principe selon lequel le déroulement des cours n’est pas possible dans de bonnes conditions sans la neutralité religieuse de l’école, a jeté les bases du confinement de la religion à l’intimité des élèves. Il était devenu indispensable de permettre à nos enfants d’acquérir des savoirs dans l’harmonie garantie par la République française, afin de préserver leur liberté de conscience.

Depuis lors, la question de la neutralité des accompagnants des sorties scolaires refait régulièrement surface, opposant défenseurs de la laïcité républicaine et tenants d’une laïcité dite « ouverte », sans que celle-ci soit véritablement définie.

La circulaire du 23 mars 2012 signée de Luc Chatel, alors ministre de l’éducation nationale, semblait avoir mis fin à cette polémique : « Il est recommandé de rappeler dans le règlement intérieur que les principes de laïcité de l’enseignement et de neutralité du service public sont pleinement applicables au sein des établissements scolaires publics. Ces principes permettent notamment d’empêcher que les parents d’élèves ou tout autre intervenant manifestent, par leur tenue ou leurs propos, leurs convictions religieuses, politiques ou philosophiques lorsqu’ils accompagnent les élèves lors des sorties et voyages scolaires. »

Ainsi était affirmée la nécessité de l’absolue neutralité des parents concourant au service public de l’éducation en participant aux sorties scolaires et astreints, de ce fait, au respect des valeurs fondamentales du service public français, au premier rang desquelles le principe de laïcité. Un principe, du reste, partagé à droite comme à gauche, si bien que Vincent Peillon décida de ne pas abroger la circulaire Chatel, après l’élection de François Hollande à la présidence de la République.

Plus tard, sitôt nommée, Najat Vallaud-Belkacem déclarait que l’acceptation de la présence d’accompagnatrices voilées lors des sorties scolaires devait être la règle et son refus, l’exception. Cette position peu claire a conduit les juridictions à adopter des positions contradictoires à travers la France, laissant aujourd’hui les enseignants face à un vide juridique insécurisant, sans principe unique régissant les sorties scolaires.

En juillet dernier, la cour administrative d’appel de Lyon a jugé que le principe de laïcité imposait que les personnes participant à des activités assimilables à celles des personnels enseignants à l’intérieur des locaux scolaires soient astreintes aux mêmes exigences de neutralité. Par ailleurs, il apparaît clairement à toute personne douée d’un minimum de bon sens que les sorties scolaires font partie intégrante du temps scolaire et s’inscrivent dans le cadre du service public de l’éducation. (M. Roger Karoutchi opine.)

Les accompagnateurs de sorties scolaires, parents d’élève ou non, sont non pas des usagers du service public, mais bel et bien des collaborateurs bénévoles de ce service, assimilés aux personnels d’éducation et, par voie de conséquence, astreints au respect de la neutralité de celui-ci. (M. David Assouline fait une moue dubitative.)

Il est primordial de veiller au respect de la liberté de conscience des élèves, principe fondamental reconnu par les lois de la République, affirmé par l’article 1er de la loi du 9 décembre 1905, et de tout faire pour éviter qu’ils ne soient, du fait de leur vulnérabilité, des proies pour tous les prosélytismes. Comme le faisait observer Lionel Jospin, alors ministre de l’éducation nationale, dans une circulaire de 1989, « rien n’est plus vulnérable qu’une conscience d’enfant ». Et de préciser : « Les scrupules à l’égard de la conscience des élèves doivent amplifier, s’agissant des enseignants, les exigences ordinaires de la neutralité du service public et du devoir de réserve de ses agents. »

Il convient de rappeler que les sorties scolaires constituent des temps d’activités pédagogiques destinés aux élèves et non à leurs parents, qui n’ont en aucun cas l’obligation d’y participer. De fait, l’accompagnement des sorties scolaires est proposé aux parents, sur la base du bénévolat ; il doit, dès lors, s’inscrire dans le respect des principes régissant le service public de l’éducation. Tout parent désireux d’accompagner une classe dans le cadre d’une sortie doit donc se soumettre au principe de neutralité déjà imposé par la loi aux enseignants et aux enfants.

Devant le vide juridique auquel nous nous trouvons confrontés, mais surtout face aux graves menaces pesant sur notre unité et le respect d’un des principes qui la fondent, la laïcité, le législateur ne peut pas rester passif. C’est la raison pour laquelle Jérôme Bascher, Bruno Retailleau et moi-même avions déposé, avec 103 de nos collègues, un amendement au projet de loi pour une école de la confiance visant à interdire aux parents d’élèves accompagnant des sorties scolaires le port de signes religieux ostentatoires. Cette disposition de bon sens, largement adoptée par le Sénat, n’a malheureusement pas été retenue par la commission mixte paritaire.

Par ailleurs, la Fédération des délégués départementaux de l’éducation nationale elle-même, à l’occasion de son congrès de juin dernier, a adopté une motion demandant la reconnaissance de la fonction d’auxiliaire bénévole du service public de l’éducation pour les personnes accompagnant les sorties scolaires, ce qui entraînerait pour ces personnes une obligation de neutralité et de respect de la liberté de conscience des enfants.

Voilà pourquoi j’ai déposé, le 9 juillet dernier, en dehors du contexte médiatique actuel et de toute polémique, une proposition de loi, cosignée par un certain nombre de nos collègues, tendant à assurer la neutralité religieuse des personnes concourant au service public de l’éducation.

Ce texte réaffirme les principes de laïcité et de neutralité religieuse aux articles L. 111-1 et L. 141-5-1 du code de l’éducation et les étend aux parents d’élèves accompagnant les sorties scolaires. Les collaborateurs occasionnels du service public étant, pour l’heure, considérés comme de simples usagers de celui-ci, l’adoption de cette proposition de loi permettra d’étendre à ces personnes l’exigence de neutralité religieuse dans l’exercice de leur mission bénévole auprès des élèves.

Mes chers collègues, il nous appartient aujourd’hui de marquer notre attachement à la République, à ses valeurs et, singulièrement, à la laïcité, sans laquelle l’unité de la Nation est impossible et l’indivisibilité de la République, illusoire. Il nous revient aujourd’hui, dans cet hémicycle, de défendre l’héritage de Jules Ferry et de Jean Zay, en affirmant haut et fort notre détermination à protéger l’innocence et la liberté de conscience des enfants dans un pays secoué par des tensions politico-religieuses.

Il s’agit non pas d’un combat entre la droite et la gauche, mais d’un combat républicain, rien d’autre. Car, comme l’a souligné Robert Badinter, la laïcité est « une grande barrière contre le poison du fanatisme ». Tous les enfants que nous accueillons dans nos écoles sont des enfants de la République, qui doivent pouvoir vivre et s’épanouir en dehors de toute tentative d’influence, sans être les otages de pressions politiques ou religieuses.

Nous avons à former les citoyens de demain dans une école où ils doivent être accueillis avec sérénité et apaisement, sur un socle commun : la République une et indivisible ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Jean-Pierre Corbisez et Jean-Marie Mizzon applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

M. Max Brisson, rapporteur de la commission de la culture, de léducation et de la communication. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans le contexte politique et médiatique qui préside à l’examen de la proposition de loi de notre collègue Jacqueline Eustache-Brinio, il me paraît important, pour que nos débats gagnent en sérénité, qu’ils se concentrent sur l’école, et elle seule, et qu’ainsi nous soyons fidèles à Jean Zay, qui parlait de l’école comme « l’asile inviolable où les querelles des hommes ne pénètrent pas ». (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

M. Max Brisson, rapporteur. Permettez à l’ancien professeur d’histoire que je suis de revenir brièvement, pour peser et pour poser les choses, sur ce qui caractérise, depuis l’origine, notre école publique.

Pour ses pères fondateurs, l’école avait une mission essentielle : permettre à l’élève de se construire librement en tant que citoyen, à l’abri de toute influence extérieure. Cet idéal émancipateur a eu immédiatement un corollaire : la neutralité de l’école publique face aux croyances. Ainsi, dès 1882, le cours d’instruction religieuse devint leçon d’instruction morale et civique. À partir de 1886, l’ensemble du personnel enseignant dans les écoles publiques dut être de statut laïque. Puis, entre 1886 et 1903, les signes religieux furent progressivement retirés des salles de classe.

Ce contexte historique fondateur rappelé, mon cours d’histoire est achevé… (M. Roger Karoutchi sourit.) Quittons donc le XIXe siècle pour en venir à la situation actuelle, en posant quatre questions nécessaires à un débat serein.

Première question : qu’est-ce qu’une sortie scolaire ?

Les circulaires de 1999 et 2011 sont claires. Celle de 1999 précise : « Les activités pratiquées à l’occasion d’une sortie scolaire viennent nécessairement en appui des programmes. Elles s’intègrent au projet d’école et au projet pédagogique de la classe. Chaque sortie, quelle qu’en soit la durée, nourrit un projet d’apprentissages. » J’en veux pour preuve l’interdiction faite aux élèves, depuis la loi de 2004, de porter des tenues et signes religieux ostensibles non seulement dans le bâtiment scolaire, mais aussi lors des sorties scolaires. L’application de cette loi par le ministre de l’éducation nationale le montre : les sorties scolaires sont bel et bien du temps scolaire. Elles doivent donc être neutres du point de vue des croyances religieuses.

Deuxième interrogation : que signifie, justement, la neutralité du point de vue des croyances à l’école publique ?

En la matière, le législateur s’est progressivement montré particulièrement strict. Ainsi le droit impose-t-il une neutralité religieuse dans l’enseignement public aux personnels, comme dans tous les services publics, mais également aux usagers que sont les élèves, mineurs ou majeurs, depuis la loi de 2004, qui a restreint leur possibilité d’afficher leurs croyances religieuses – une loi simple, peu bavarde et finalement parfaitement acceptée et appliquée. La neutralité s’impose en outre à toute personne intervenant dans une salle de classe, même parent d’élève, lorsqu’elle participe à des fonctions similaires à celles des enseignants, depuis la décision de la cour administrative d’appel de Lyon du 23 juillet dernier.

Mes chers collègues, le service public de l’éducation est donc l’unique service public qui impose à ses usagers – en l’occurrence, les élèves – une restriction de la manifestation de leurs croyances religieuses. En somme, les intervenants à l’extérieur des salles de classe, donc les accompagnants de sorties scolaires, sont désormais les seuls à ne pas être soumis, dans les activités liées à l’enseignement, à ce principe de neutralité religieuse ou, a minima, à une restriction de la manifestation ostensible de leur appartenance religieuse.

Or qu’est-ce qu’un accompagnateur ? C’est là ma troisième question.

Son rôle est défini, notamment, par la fiche relative aux parents d’élèves tirée du vade-mecum sur la laïcité à l’école : « Participant à une activité scolaire, le parent devient un accompagnateur […] Il contribue ainsi à la bonne marche de l’activité pédagogique. Il a donc un devoir d’exemplarité devant tous les élèves concernés par cette activité, dans son comportement, ses attitudes et ses propos. » Mes chers collègues, j’insiste : dans son comportement, ses attitudes et ses propos.

Ajoutons qu’il paraît important de traiter cette question aussi du point de vue de l’enfant. En effet, il me semble difficile de croire qu’un enfant de 4 ans, ou même de 8, serait capable de faire la subtile différence statutaire et réglementaire entre l’accompagnant et l’intervenant. Pour lui, il s’agit dans tous les cas d’un adulte, qu’il doit écouter et vers lequel il peut se tourner en cas de problème.

Enfin, à l’heure de la coéducation et de l’inclusion des parents dans la communauté éducative, à l’heure où les fédérations de parents d’élèves souhaitent que ceux-ci deviennent davantage encore des partenaires à part entière de l’école, considérer le parent d’élève accompagnant une sortie scolaire comme un simple tiers me paraît paradoxal. Sauf à penser que le parent serait un acteur en tout, sauf pendant la sortie scolaire, où il devrait rester motus et bouche cousue ! Non, il s’agit bien d’un collaborateur occasionnel du service public, bénéficiant d’ailleurs de ce statut en cas d’accident pendant l’activité.

Pour autant, une loi est-elle nécessaire ? Telle est ma quatrième question.

Je le crois sincèrement, afin de clarifier une situation qui n’est pas acceptable pour les directeurs d’école et les chefs d’établissement.

De fait, l’étude du Conseil d’État de 2013 n’a pas apporté aux acteurs de terrain de réponses jugées suffisamment claires. Le Conseil d’État indique que le parent d’élève est un simple usager du service public de l’éducation, non soumis, donc, au principe de neutralité religieuse ; mais, parallèlement, il demande à l’autorité compétente de déterminer si « des considérations précises relatives à l’ordre public, au bon fonctionnement du service public d’éducation ou à la nature des missions confiées aux parents » justifient l’application du principe de neutralité à l’adulte accompagnant la sortie scolaire. C’est là que naît l’inconfort juridique, qui rend une loi nécessaire.

Au reste, plusieurs syndicats de chefs d’établissement et d’inspecteurs, lors de leur audition, nous ont fait remarquer que, en l’absence de textes clairs, les directeurs apprécient seuls les considérations mentionnées par le Conseil d’État, ce qui entraîne, en fonction des écoles et parfois au sein d’une même commune, des décisions différentes. Cela n’est pas acceptable du point de vue du législateur.

M. Max Brisson, rapporteur. Mes chers collègues, mes réponses à ces quatre questions vous convaincront, je l’espère, d’adopter la présente proposition de loi.

J’ajoute que, au-delà du solide travail de notre collègue Jacqueline Eustache-Brinio, la commission a entendu élargir la portée du dispositif à toutes les activités liées à l’enseignement, afin de prendre en compte l’école « hors les murs » à laquelle j’ai fait référence.

En revanche, comme il est logique, cette interdiction ne s’appliquera pas aux parents d’élèves dans leurs activités non liées à l’enseignement : démarches administratives, rencontres avec les enseignants, fête de l’école, entre autres.

Mes chers collègues, l’article 1er de la loi de 1905, une loi de liberté, affirme que la République protège la liberté de croire ou de ne pas croire et d’afficher ou non ses croyances religieuses ; je le rappelle avec une vigueur particulière au lendemain de l’attaque inacceptable contre la mosquée de Bayonne, dans le département que j’ai l’honneur de représenter au Sénat.

Mais si notre République est neutre et protectrice, cette neutralité a pris, à l’école publique, une dimension exceptionnelle par rapport aux autres services publics, et cela depuis 130 ans, afin de protéger de toute influence « cette chose délicate et sacrée qu’est la conscience de l’élève », selon les mots de Jules Ferry.

Il nous appartient de parachever cette volonté continue qui anime le législateur depuis plus d’un siècle, afin de protéger mieux encore l’école pour mieux protéger l’enfant et sa conscience en construction ! (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Annick Billon ainsi que MM. Michel Laugier et Jean-Claude Requier applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre de léducation nationale et de la jeunesse. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, dans les circonstances que nous connaissons, j’exprime à mon tour, comme je l’ai déjà fait, ma solidarité avec les victimes de Bayonne. S’en prendre à un lieu de culte est une offense doublement inacceptable : c’est s’en prendre à ce que des hommes considèrent comme sacré ; par là, c’est s’en prendre à la République, protectrice de la liberté de conscience.

Nous examinons cet après-midi la proposition de loi tendant à assurer la neutralité religieuse des personnes concourant au service public de l’éducation dans le cadre des sorties scolaires. La question a déjà été débattue, ici même, voilà trois mois. Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous le dis d’emblée : ma position n’a pas changé. (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.)

Elle demeure celle que je vous avais exposée en refusant votre amendement, que, ensuite, vous avez consenti à retirer en commission mixte paritaire. Je pensais d’ailleurs que nous en resterions là… Je regrette d’avoir à revenir cet après-midi sur ces sujets.

Pour moi, la situation est claire. Lorsque j’ai dit, récemment encore : « pas interdit, mais pas souhaitable », je n’ai fait que résumer la situation actuelle. J’entends ceux qui me disent : « Vous allez trop loin, car vous semblez porter un jugement de valeur. » J’entends aussi ceux qui, comme les défenseurs de ce texte, me disent, en sens inverse : « Alors, il faut légiférer. »

Je réponds aux deux camps par la formule latine que j’ai déjà invoquée devant la Haute Assemblée voilà trois mois : In medio stat virtus. Oui, au milieu se tient la vertu ! (Exclamations amusées et applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Virtus, comme je le souligne toujours, signifie aussi « courage ». Du courage, il en faut aujourd’hui pour désigner les maux qui traversent notre société. Il n’en faut pas moins pour, ensuite, tenir une position d’équilibre qui sauve notre liberté et notre concorde. C’est le trésor de notre République que de nous donner, avec la laïcité, les clés de la liberté en même temps que de la concorde nationale.

C’est une question qui appelle discernement et esprit de responsabilité. En la matière, comme M. le rapporteur l’a souligné, c’est d’abord l’intérêt des élèves qui doit guider nos réflexions et nos débats.

Il est normal qu’il y ait eu discussion sur un tel sujet, car il est hybride, à plus d’un titre : il concerne une activité non située dans l’espace scolaire, mais qui relève du temps scolaire ; il concerne l’encadrement des élèves par des adultes, mais qui ne sont pas des fonctionnaires. Selon l’angle choisi, on peut défendre l’un ou l’autre des points de vue.

Le respect du principe de laïcité s’impose à l’ensemble des personnels du service public. À ce titre, il leur est interdit de manifester des convictions religieuses, notamment par le port de signes religieux ostentatoires.

En revanche, la neutralité ne s’applique pas aux usagers du service public. Cette règle connaît toutefois une exception importante, prévue par la loi de 2004 : l’extension de la neutralité aux élèves des écoles primaires, des collèges et des lycées. Cette loi, que j’ai souvent qualifiée d’excellente, est une de nos grandes réussites.

Il s’agit donc de savoir à quelle catégorie appartiennent les parents d’élèves accompagnateurs de sorties scolaires : doit-on les considérer comme des usagers ou des collaborateurs occasionnels du service public ?

Le Conseil d’État, dans son étude de 2013, a rappelé que la manifestation des convictions religieuses avait pour limite le trouble à l’ordre public ou au bon fonctionnement du service public. En particulier, il a estimé, ce qui me paraît capital, que « les exigences liées au bon fonctionnement de l’éducation peuvent conduire l’autorité compétente, s’agissant des parents d’élèves qui participent à des déplacements ou des activités scolaires, à recommander de s’abstenir de manifester leur appartenance ou leurs croyances religieuses ».

Que chacun mesure bien le sens de cette phrase, qui résume le droit existant. En vertu de ce droit existant, nous ne sommes pas démunis pour examiner au cas par cas si le port de signes religieux par les parents d’élèves entraîne un risque de prosélytisme ou de pression inacceptable sur les élèves. (Marques dapprobation sur les travées du groupe SOCR.)

M. David Assouline. Bien sûr !

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Une loi qui interviendrait en la matière irait au-delà du nécessaire et aurait des effets contre-productifs.

Elle irait au-delà du nécessaire, parce qu’elle poserait en règle absolue ce qui relève du discernement quotidien. Il est impossible de demander à la loi de réglementer chaque aspect de la vie courante ! C’est ce qu’a rappelé le Président de la République lorsqu’il a évoqué les règles de civilité.

Ainsi, nous observons aujourd’hui, dans le contexte scolaire ou dans d’autres, que des hommes refusent de serrer la main d’une femme. C’est un fait qui nous choque, et nous devons refuser cette pratique.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Pour autant, il est inimaginable, vous en conviendrez, qu’une loi impose quoi que ce soit en la matière. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Philippe Pemezec. À quoi donc sert la loi ?

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Souvenons-nous de Montesquieu : « Les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires. » (Mme Colette Mélot et M. Emmanuel Capus applaudissent.)

En allant au-delà du nécessaire, une loi serait aussi contre-productive, parce qu’elle enverrait un message brouillé aux familles.

M. Olivier Paccaud. C’est ce qu’on disait en 2004…

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Nous voulons rapprocher les familles des écoles : c’est la meilleure chance d’accomplir le projet républicain. Ce que la République veut pour ses enfants, c’est qu’ils puissent grandir, s’épanouir et finalement atteindre l’âge adulte grâce aux lumières que donne l’éducation.

M. Philippe Pemezec. Ce n’est pas gagné : tout cela n’est que théorie !

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Pour cela, nous avons besoin d’un pacte entre la famille et l’école : nous devons envoyer aux enfants le message que les parents sont les bienvenus, et que c’est ensemble, parents et école, que nous assurons leur éducation. C’est ainsi que nous pouvons compter sur une contagion positive des valeurs de la République.

L’école, c’est l’espace de la science, de l’argumentation, du discernement. L’enfant a besoin d’un cadre de neutralité pour forger ses convictions et son esprit critique,…

M. Philippe Pemezec. Précisément !

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. … dans la plus belle tradition philosophique et scientifique de notre pays.

L’histoire de l’école républicaine témoigne de cette volonté collective de mettre nos enfants à l’abri des passions des adultes.

Vous avez rappelé, madame Eustache-Brinio, monsieur le rapporteur, ce qu’écrivait Jean Zay, ministre de l’éducation nationale et des beaux-arts, dans une circulaire du 31 décembre 1936, qui reste une référence pour nous tous. Il écrivait que l’école doit « rester l’asile inviolable où les querelles des hommes ne pénètrent pas ». (Marques dapprobation sur les travées du groupe Les Républicains.)

La laïcité, avant d’être un principe qui s’impose à tous, fut à la racine de l’école de la République. Elle met en effet au-dessus de tout, pour reprendre les termes de Jules Ferry, « cette chose sacrée qu’est la conscience d’un enfant ». L’école mène le futur citoyen à la liberté, c’est-à-dire à l’exercice autonome de son jugement.

En 1882, un enseignement laïque est institué dans les écoles primaires. La morale religieuse est remplacée par l’instruction morale et civique. Nous sommes vingt-trois ans avant les lois de 1905. Nous aurions eu peut-être à l’époque des débats inversés entre les travées qui se trouvent à ma gauche et à ma droite…

En 1886, la loi Goblet confie à un personnel exclusivement laïque l’enseignement dans les écoles publiques.

La loi de 2004 interdisant le port de signes ostentatoires à l’école s’inscrit dans cette longue tradition républicaine. C’est une loi de clarté qui fait aujourd’hui largement consensus. On le voit bien : cette laïcité est notre héritage commun. Elle devrait être ce qui nous unit totalement sur l’ensemble de ces travées.

Comment mieux le rappeler qu’avec les statues qui m’environnent ? Ce n’est pas seulement 1905, ce n’est pas seulement 1881, ce n’est même pas seulement 1789 qui ont préparé la laïcité. C’est le long travail des siècles qui a permis de faire la distinction entre ce qui relève du divin, et donc de la conscience de chacun, et ce qui relève du politique, c’est-à-dire des règles communes à tous.

C’est Michel de L’Hospital, qui nous met en garde contre les risques de la discorde.

C’est Malesherbes, qui s’est battu pour la liberté de pensée dans un esprit d’équilibre, en nous gardant de tout excès.

C’est Molé, qui a su se lever contre des lois injustes.

C’est l’ensemble de nos ancêtres, et c’est enfin Portalis, qui nous enjoint de ne pas multiplier les lois inutiles, et dont les propos résonnent particulièrement aujourd’hui : « il faut être sobre de nouveautés en matière de législation ».

Ce socle de laïcité, il nous vient de loin, de très loin. Mais il n’est pas qu’un socle ; il est aussi le cadre de notre avenir.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je n’ai jamais pensé que la laïcité était un principe du passé. Je crois au contraire qu’elle est un principe profondément moderne. Ce que nous voulons avec la laïcité, c’est l’application concrète de l’idéal républicain.

Cet idéal républicain est un idéal d’émancipation de chacun par l’éducation, un idéal d’égalité.

Il est à l’envers des projets de société de pays différents du nôtre. Je veux parler du communautarisme, qu’on trouve par exemple dans d’autres sociétés démocratiques et qui ne correspond pas à ce que nous entendons par République : des sociétés qui préfèrent juxtaposer des communautés plutôt que de faire vivre le contrat social entre des citoyens égaux.

M. Bruno Retailleau. Absolument !

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Ces sociétés dont nous ne voulons pas courent le risque de la fragmentation.

M. Bruno Retailleau. Très bien !

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Ce sont des sociétés qui souvent aujourd’hui s’interrogent sur leur devenir. Ils sont nombreux, nos cousins, en Europe ou même ailleurs, qui voient les limites du multiculturalisme et qui comprennent que la vraie chance pour la liberté de conscience – je le dis pour toutes les confessions – est celle de vivre dans un cadre laïque.

La laïcité est un trésor français. Elle se traduit par un corps de règles. Ce corps de règles, j’ai tenu à le préciser dès mon arrivée au ministère de l’éducation nationale.

Ce n’est pas un ministre inactif en matière de laïcité qui est devant vous, mesdames, messieurs les sénateurs.

Plusieurs sénateurs du groupe Les Républicains. Si !

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Nous avons établi un vade-mecum de la laïcité qui est à la disposition de l’ensemble de la communauté éducative. Il établit à partir de cas concrets ce qu’il convient de faire.

Nous avons mis en place des équipes laïcité mobilisées dans chaque rectorat pour intervenir au cas par cas dans chaque établissement, chaque fois qu’un personnel de l’éducation estime qu’on a contrevenu au principe de laïcité. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Par-delà tous les discours, ce sont des centaines d’interventions qui ont eu lieu depuis deux ans dans les établissements pour rétablir la laïcité, là où, malheureusement, elle avait été pourfendue depuis tant d’années.

Notre combat pour la laïcité est aussi un combat contre le communautarisme et contre la radicalisation.

M. Pierre Ouzoulias. Et pour l’égalité !

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. En la matière, nous n’avons pas été inactifs non plus. Je veux évidemment parler de ce que nous avons fait, y compris avec vous, mesdames, messieurs les sénateurs, quand nous avons donné une suite favorable à la proposition de loi, présentée par la sénatrice Françoise Gatel, visant à simplifier et mieux encadrer le régime d’ouverture et de contrôle des établissements privés hors contrat.

Grâce à cette loi, des écoles ont été fermées. Jour après jour, je me tiens personnellement informé des écoles et des établissements dans lesquels le contenu des enseignements ou le comportement du personnel va au-delà de ce qui est acceptable.

Avec la loi pour une école de la confiance, vous avez aussi voté il y a quelques mois le contrôle de l’instruction à domicile, qui est désormais renforcé.

De surcroît, par l’article 10 de cette même loi, vous avez permis l’interdiction de tout prosélytisme aux abords des établissements scolaires. (M. Jérôme Bascher sen félicite.)

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture, de léducation et de la communication. Merci !

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. C’est un apport considérable qui aura des effets très importants dans les temps à venir.

Voilà des mesures concrètes. Nous n’avons pas besoin de grands débats pour nous épuiser. Nous avons besoin, concrètement, d’assurer un équilibre entre des positions et, surtout, de lutter contre le communautarisme, contre la radicalisation et pour la laïcité.

Mesdames, messieurs les sénateurs, l’article premier de notre Constitution indique le chemin dont nous devons jamais dévier. La France est une République indivisible, laïque,…

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. … démocratique et sociale.

Parce qu’elle est indivisible, nous combattons fermement toutes les tentations de repli communautaire.

Parce qu’elle est laïque, nous veillons à éduquer nos enfants dans un espace de raison, hors de toute emprise, quelle qu’en soit la nature.

Parce qu’elle est démocratique, nous luttons sans relâche contre toutes les idéologies qui prônent l’inégalité.

Enfin, parce qu’elle est sociale, nous offrons le meilleur à chaque enfant, quelle que soit son origine, et nous portons une attention constante aux plus fragiles pour les amener au plus loin de leur talent.

Voilà la République que nous souhaitons au XXIe siècle. Voilà le cap que nous devons toujours garder pour notre école. Redonnons du sens au mot « laïcité », redonnons du sens à notre destin collectif. Ce dernier a un nom : la République ; il a un objet : l’émancipation de tous ; et il a une raison d’être qui nous unit : notre pays, la France ! (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM, ainsi que sur des travées des groupes Les Indépendants, SOCR et UC. – M. Pierre-Yves Collombat applaudit également.)

Demande de renvoi à la commission

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi tendant à assurer la neutralité religieuse des personnes concourant au service public de l'éducation
Discussion générale

M. le président. Je suis saisi, par M. Masson, d’une motion n° 13.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l’article 44, alinéa 5, du règlement, le Sénat décide qu’il y a lieu de renvoyer à la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, la proposition de loi tendant à assurer la neutralité religieuse des personnes concourant au service public de l’éducation (n° 84, 2019-2020).

Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 7, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à M. Jean Louis Masson, pour la motion. (Murmures sur de nombreuses travées.)

M. Jean Louis Masson. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, je voudrais tout d’abord vous dire, monsieur le ministre, que vous avez très bien parlé. Maintenant, il faut passer aux actes ; c’est ce qui a manqué, non pas seulement à ce gouvernement, mais à tous ceux qui se sont succédé sous les précédents présidents de la République.

Si j’ai déposé cette motion de renvoi à la commission, ce n’est pas pour m’opposer à la présente proposition de loi, mais parce que je pense qu’il fallait aborder globalement la problématique.

Récemment, le 27 octobre, Le Journal du Dimanche a publié un sondage qui montre l’inquiétude des Français face à la radicalisation du communautarisme musulman. Selon ce sondage, 78 % des Français estiment que la laïcité est menacée par le communautarisme ;…

Mme Esther Benbassa. Non, ce n’est pas vrai !

M. Jean Louis Masson. … 82 % des Français souhaitent l’interdiction des prières de rue dans l’espace public ;…

Plusieurs sénateurs du groupe Les Républicains. Nous aussi !

Mme Claudine Lepage. Quel rapport avec le texte ?

M. Jean Louis Masson. … 73 % des Français souhaitent l’interdiction du voile islamique ou des signes communautaristes ostensibles pour les parents qui accompagnent les sorties scolaires – c’est l’objet de la présente proposition de loi ; et 72 % des Français souhaitent que l’employeur puisse interdire les signes religieux ostensibles pour les salariés du secteur privé.

Ce sondage confirme, d’une part, que cette proposition de loi est la bienvenue et qu’elle répond à un besoin et à une aspiration de nos concitoyens, et, d’autre part, qu’elle aurait dû aller plus loin, car il faut prendre la problématique du communautarisme musulman dans sa globalité.

Ce constat m’amène à déposer la présente motion de renvoi à la commission. En effet, la commission aurait pu manifestement compléter de manière utile et constructive le texte initial.

Il faut dire clairement non à tout ce qui peut favoriser de près ou de loin le terrorisme islamique.

Il faut donc dire non à la radicalisation et non à toutes les formes de communautarisme islamique.

Il faut aussi dire non à certains flux migratoires, au sein desquels le terrorisme essaie de recruter.

À ce sujet, je pose une question : pourquoi les migrants de religion islamique viennent-ils se réfugier en Europe et pas dans les pays musulmans, pourtant voisins, d’autant que certains de ces pays sont particulièrement riches et ont les moyens financiers de les accueillir ? (Marques damusement sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Fabien Gay. Quel est le rapport ?

M. Emmanuel Capus. Ils n’ont pas le même droit du travail !

M. Jean Louis Masson. De même, pour quelle raison les bateaux prétendument humanitaires accueillent-ils les migrants immédiatement en limite des eaux territoriales de la Libye pour les ramener ensuite en Europe ?

M. Fabien Gay. Quel est le rapport ?

M. Jean Louis Masson. Ceux qui conduisent ces bateaux savent pourtant que les ports d’Algérie, de Tunisie et d’Égypte sont juridiquement sûrs au sens du droit international et qu’ils sont beaucoup plus proches que les ports français.

Par le passé, les immigrés qui venaient en France voulaient s’intégrer dans nos sociétés. Aujourd’hui, les flux migratoires sont différents ; ils conduisent à la formation de noyaux communautaristes qui rejettent notre façon de vivre.

Les personnes immigrées ou issues de l’immigration ne doivent pas nous imposer leurs us et coutumes. Au contraire, si les intéressés viennent dans notre pays, c’est à eux de s’adapter à notre mode de vie et aux règles de notre société.

N’oublions pas que le communautarisme radicalisé est un vivier pour les terroristes musulmans. Nous avons le devoir de réagir contre toutes les formes de communautarisme qui alimentent directement ou indirectement le terrorisme.

Lors de la séance de questions d’actualité au Gouvernement du 16 octobre dernier, j’ai rappelé une nouvelle fois cette réalité, et félicité l’élu de la région Bourgogne-Franche-Comté qui avait protesté lors d’une séance du conseil régional contre la présence, dans le public, d’une femme voilée accompagnant la sortie scolaire de jeunes enfants.

Je suis heureux de constater que la grande majorité des Français pense la même chose que moi sur ce sujet. Si la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui avait été déposée plus tôt, sous d’autres gouvernements, par exemple sous la présidence de M. Sarkozy, l’incident qui est intervenu au conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté n’aurait pas eu lieu.

Ces femmes voilées dévoient les jeunes enfants, car il est très dangereux pour un jeune enfant d’être confronté tout petit à des actes et à tendances communautaristes radicalisantes.

Mme Laurence Cohen. C’est n’importe quoi !

M. Jean Louis Masson. C’est dans cette logique que j’ai déposé trois groupes d’amendements sur le texte que nous examinons.

Le premier vise à interdire le port du burkini et l’organisation d’horaires séparés pour les femmes dans les piscines.

Le deuxième vise à interdire le port du voile islamique et des symboles communautaristes sur les lieux de travail – dans le secteur privé, pas seulement dans le secteur public –, dans les assemblées des collectivités territoriales, et, pour renforcer le texte que nous examinons, dans le cadre des sorties scolaires.

Enfin, le troisième groupe d’amendements – déposés trop tard, ces amendements n’ont pu être enregistrés –…

M. Fabien Gay. On s’en passera !

M. Jean Louis Masson. … visait à appliquer nos lois relatives au bien-être animal de manière stricte, notamment en ce qui concerne l’égorgement rituel des animaux de boucherie. (Exclamations sur les travées des groupes CRCE, SOCR et LaREM. – Mme Laurence Cohen hue.)

M. Fabien Gay. Il faut que ça s’arrête !

M. Jean Louis Masson. Par ces amendements j’ai voulu montrer qu’aucun communautarisme ne doit être au-dessus des lois.

Si demain je vais me baigner tout habillé dans une piscine, je serai mis à la porte, car on ne peut pas se baigner sans se doucher d’abord. Je ne vois pas pourquoi des gens se réclamant de telle ou telle religion pourraient se baigner tout habillés dans une piscine. (Mme Samia Ghali sexclame.)

Ma famille a toujours vécu en France, et j’aurais moins de droits que ces gens qui veulent se baigner tout habillés ?

Mme Samia Ghali. Hors sujet !

M. Jean Louis Masson. Ce n’est du reste pas seulement un problème de religion, mais un problème de propreté. Pourquoi les uns seraient-ils obligés de se doucher quand les autres pourraient se baigner tout habillés ? (Brouhaha.)

C’est tout à fait scandaleux, car cela caractérise le renoncement de nos dirigeants face à ce communautarisme. Il est temps de réagir.

Par ailleurs, j’ai entendu certains collègues protester lorsque j’évoquais le bien-être animal. C’est pourtant la même chose : il est interdit de laisser agoniser les bovins pendant plus de cinq minutes dans les abattoirs au nom du bien-être animal, et cela me semble tout à fait normal ; mais, si vous êtes musulman ou de telle ou telle religion, vous avez le droit de faire ce que vous voulez : vous pouvez les laisser agoniser dix minutes dans un coin, il n’y a pas de problème !

M. Stéphane Piednoir. Quel est le rapport ?

Mme Samia Ghali. Il y a des sorties scolaires aux abattoirs ?

M. Jean Louis Masson. Cette question n’est pas seulement religieuse, elle est économique. (Murmures appuyés et continus sur de nombreuses travées.)

Permettez-moi de rappeler que le code civil, qui s’applique à tout le monde, précise que les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité. C’est à ce titre que la France réglemente l’abattage des animaux de boucherie, qui doivent être étourdis avant d’être tués.

Malheureusement, il y a ces dérogations qui entraînent de longues agonies des animaux. Cette cruauté d’un autre âge est réclamée par certaines religions.

M. Stéphane Piednoir. On s’éloigne du sujet !

M. Jean Louis Masson. Mais ailleurs en Europe, (Brouhaha.)

M. le président. Il faut conclure !

M. Jean Louis Masson. … Écoutez-moi ! (« Trois, deux un, zéro : cest fini ! » sur les travées des groupes SOCR et CRCE, dont les membres frappent sur leur pupitre pour couvrir la voix de lorateur.) Ailleurs en Europe,…

M. le président. Concluez !

M. Jean Louis Masson. … au Danemark, en Finlande, en Suisse, ces mêmes religions acceptent parfaitement l’étourdissement préalable. (Brouhaha.)

M. le président. Votre temps de parole est écoulé !

M. Jean Louis Masson. Il n’y a pas de raison qu’il y ait deux poids, deux mesures !

M. le président. Y a-t-il un orateur contre la motion ?…

Quel est l’avis de la commission ?

M. Max Brisson, rapporteur. L’espérance que j’exprimais au début de mon propos liminaire est déçue. J’imaginais que nous parlerions de l’école, que de l’école, rien que de l’école. Elle le mérite, les élèves qui la fréquentent le méritent, les professeurs qui la servent le méritent. J’espère que dans la suite du débat nous ne parlerons que de l’école, parce que nous aimons l’école ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDSE. – M. Martin Lévrier applaudit également.)

En général, lorsqu’on demande le renvoi d’un texte à la commission, c’est que l’on a manqué de temps pour l’examiner. Or le moins qu’on puisse dire, c’est que cet après-midi, entre cette intervention et celle qui va suivre dans la discussion générale, M. Masson n’aura pas manqué de temps pour évoquer de nombreux sujets, qui, à mon avis, relèvent de la commission des lois ou de la commission du développement durable, mais sans doute pas de la commission de l’éducation et de la culture, où nous travaillons avant tout sur l’école.

M. Fabien Gay. Vous avez ouvert la boîte de Pandore !

M. Max Brisson, rapporteur. Sur le fond, monsieur Masson, la commission s’est efforcée de n’aborder que le code de l’éducation, de ne parler que d’enseignement. Les sorties scolaires interviennent pendant le temps de la classe, c’est-à-dire sur ce temps de la scolarisation qu’il nous paraît nécessaire de protéger.

Nous voulons le contraire de ce que vous venez de faire à la tribune en important tous les débats de la société, toutes les querelles des hommes dans l’école, parce que, comme je le disais en conclusion de mon intervention, la conscience des enfants, qui est fragile et qui nous est chère, mérite bien d’être protégée. Telle est notre conception de l’école, et nous y resterons fidèles !

Pour ces raisons, j’émets un avis défavorable sur cette motion tendant au renvoi à la commission. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – Mme Josiane Costes applaudit également.)

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Défavorable.

M. le président. La parole est à Mme Samia Ghali, pour explication de vote. (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Samia Ghali. L’intervention de M. Masson me conforte dans l’idée que cette proposition de loi n’avait pas lieu d’être. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et LaREM.) Parce qu’elle stigmatise…

M. Bruno Sido. Pas du tout.

Mme Samia Ghali. … et qu’elle nous amène à des débats qui n’ont pas leur place dans cet hémicycle de la République.

La France est une et indivisible. Aujourd’hui, peu importe notre confession religieuse, peu importe d’où nous venons, nous sommes avant tout des Français. Avant d’être musulmans, chrétiens, juifs ou autre, nous sommes avant tout français.

M. Pierre Charon. Et les femmes voilées ?

Mme Samia Ghali. Oui, les femmes voilées appartiennent à la France, elles se considèrent comme françaises. Vous les avez stigmatisées à travers cette proposition de loi. (Mme Jacqueline Eustache-Brinio fait un signe de dénégation.) Vous les avez mises en accusation.

Je le regrette, parce qu’aujourd’hui elles sont en souffrance. Elles sont tristes, et je suis triste pour elles. La République devrait l’être également.

J’en appelle au Premier ministre et au Président de la République, à qui je veux rappeler qu’il est le juge de paix et qu’il lui appartient de siffler la fin de la récréation, car nous avons donné un spectacle qui n’est pas digne de ce qu’est la France et de ce qu’est la République. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Une maman qui accompagne son enfant et d’autres enfants lors d’une sortie scolaire est une maman qui veut participer à la République.

M. Alain Joyandet. Justement !

Mme Samia Ghali. Si l’éducation nationale n’est pas en accord avec cela, elle devra payer des intervenants pour faire le travail que font ces parents bénévoles. (Mme Laurence Cohen et M. Jean-Luc Fichet applaudissent. – Mmes Pascale Gruny et Catherine Troendlé ainsi que M. Alain Joyandet protestent.) Ils donnent de leur temps pour permettre aux établissements scolaires de poursuivre leur travail pédagogique à l’extérieur de l’école.

Ne l’oublions jamais : dans certains quartiers, si ces mamans n’accompagnaient plus les enfants, il n’y aurait plus de sorties périscolaires. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Comme je l’ai dit au président Retailleau, je regrette que cette proposition de loi n’ait pas pu être retirée. Elle n’est pas le reflet de la réalité, et elle n’est pas ce dont nous avons besoin aujourd’hui dans la République. (« Trois, deux un, zéro : cest fini ! » sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. Il faut conclure, chère collègue.

Mme Samia Ghali. On laisse ainsi la possibilité à des personnages comme M. Masson…

M. le président. Vous n’aviez que deux minutes trente : c’est terminé !

Mme Samia Ghali. … de raconter tout et n’importe quoi dans cet hémicycle. (Applaudissements sur des travées des groupes SOCR et CRCE.)

M. le président. La parole est à Mme Josiane Costes, pour explication de vote.

Mme Josiane Costes. Le groupe RDSE ne votera pas cette motion de renvoi à la commission, car nous voulons le débat – c’est une tradition –, et d’autant plus dans ce cas, compte tenu de ce qui vient de nous être présenté. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

M. le président. Je mets aux voix la motion n° 13, tendant au renvoi à la commission.

(La motion nest pas adoptée.)

Discussion générale (suite)

Demande de renvoi à la commission
Dossier législatif : proposition de loi tendant à assurer la neutralité religieuse des personnes concourant au service public de l'éducation
Article 1er

M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Laurent Lafon. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Sylvie Goy-Chavent applaudit également.)

M. Laurent Lafon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi sur la neutralité religieuse lors des sorties scolaires est inscrite au débat de notre Haute Assemblée. Avant même d’être discutée, elle a déjà fait l’objet de nombreux débats dans les médias ou dans l’opinion publique.

Permettez-moi, pour commencer, d’essayer de l’analyser au-delà de toute polémique et en faisant abstraction dans un premier temps du contexte dans lequel elle intervient.

L’encadrement législatif et réglementaire actuel est-il suffisant, ou y a-t-il un trou dans la raquette juridique ou une imprécision qui nécessiteraient un nouveau dispositif législatif ? Telle est la question qui nous est posée par cette proposition de loi.

Pour notre part, nous l’abordons avec le souci de préserver l’esprit de la loi de 1905 et également de celle de 2004, qui – doit-on le rappeler ? – sont des lois d’équilibre dont le fondement ne doit pas être remis en cause.

De ce point de vue, il est utile de rappeler que le voile, comme toute autre tenue inspirée par la religion, à condition qu’elle ne trouble pas l’ordre public, n’est pas interdit en France. Son usage, en revanche, est encadré, notamment pour préserver la neutralité dans les services publics et protéger l’enfant dans l’école alors que sa conscience n’est pas encore formée.

Qu’en est-il des sorties scolaires ? Si le législateur de 2004 n’a pas traité directement de cette question, cela a été fait au travers d’instructions ministérielles.

Indéniablement, ce dispositif nous paraît perfectible. La proposition de loi apporte de ce point de vue deux améliorations notables.

Premièrement, si cette proposition de loi est votée, la décision d’accepter ou pas des parents en fonction de leur tenue lors des sorties scolaires relèvera non plus du directeur d’école, mais de la loi. À bien des égards, d’autant plus compte tenu des débats actuels, il semble en effet préférable de ne pas faire reposer cette décision sur les seuls directeurs d’école. (Mmes Jacqueline Eustache-Brinio et Catherine Troendlé applaudissent.)

Dans certaines villes, nous pouvons du reste nous interroger pour savoir s’ils ont réellement le choix, actuellement, d’accepter ou de refuser tel ou tel parent.

Deuxièmement, les sorties scolaires participent clairement de l’activité pédagogique et, à ce titre, la notion d’école hors l’école introduite par un amendement du rapporteur précise de manière utile leur situation juridique.

Cette disposition permet d’interdire que l’élève arbore un signe ou une tenue ostentatoire lorsqu’il sort de l’école pour participer à une sortie scolaire. Dans l’état actuel du droit, rien ne s’y oppose.

En revanche, la proposition de loi ne nous semble pas apporter une clarification suffisante sur le statut d’accompagnant. Ce dernier n’a en effet jamais été défini, si ce n’est en creux, à travers des jurisprudences. Un statut permettrait clairement de préciser la mission qui incombe à l’accompagnant et sa responsabilité.

Il s’agirait ainsi d’établir la différence entre l’enseignant ou l’animateur, qui, à travers la pédagogie utilisée, participe clairement d’une activité d’enseignement, et l’accompagnant, dont la mission est uniquement de permettre que la sortie ait lieu.

S’agissant du risque de prosélytisme et de la nécessité de protéger l’enfant, il nous semble que mettre sur le même plan l’intervenant et l’accompagnant est inexact. L’un participe de manière active et directe à l’enseignement, l’autre n’a pas, en revanche, vocation à y prendre part.

De ce point de vue, la jurisprudence de la cour administrative d’appel de Lyon, qui porte sur l’intervenant, ne peut être complètement utilisée pour justifier la proposition de loi actuelle.

Nous sommes également en droit de nous interroger pour savoir si le caractère bénévole permet d’assimiler les parents accompagnateurs à des collaborateurs occasionnels du service public ou à des usagers.

Le Conseil d’État, en 2013, a répondu à cette question de manière claire en leur attribuant le statut d’usagers. Je ne peux m’empêcher de rappeler que, du point de vue du risque de prosélytisme qui doit nous préoccuper, les sorties scolaires ne méritent sans doute pas d’être devenues en quelques semaines le symbole d’une intrusion dangereuse de la religion dans l’école.

Nous devrions être plus inquiets des phénomènes plus pernicieux et dangereux pour les jeunes que sont le développement de l’instruction à domicile et celui des écoles hors contrat (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe SOCR.),…

M. Laurent Lafon. … dès lors qu’ils ont pour objectif de soustraire complètement les enfants à l’enseignement de matières comme les sciences ou l’histoire par les écoles de la République pour les placer sous le joug d’un obscurantisme religieux.

Nous le voyons à travers cette rapide analyse : la proposition de loi apporte des réponses utiles, mais qui ne sont que partielles tant que le statut de l’accompagnant n’est pas clarifié.

Mais l’essentiel n’est peut-être pas là. Nous ne pouvons en effet faire abstraction du contexte dans lequel ce débat intervient. L’emballement médiatique de ces derniers jours a mis sur le même plan la question du port du voile lors des sorties scolaires, la présence de listes communautaires aux élections municipales et même, comme cela a été évoqué récemment, l’interdiction de signes ou de tenues ostentatoires dans l’espace public.

Dans ce grand déballement commencé par un élu écervelé du conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté, un peu de raison et de sérénité s’impose. Notre assemblée gagnerait à ne pas se laisser happer par ce tourbillon en se saisissant à tout prix de ces sujets, en multipliant les propositions de loi ou en créant des commissions d’enquête.

Disons-le franchement, pour un certain nombre d’entre nous, ce qui gêne dans cette proposition de loi n’est pas tant le contenu que le contexte dans lequel celle-ci intervient, un contexte où les amalgames simplificateurs prennent le pas sur les discours raisonnés, où la voix des modérés est peu audible par rapport à celle des extrêmes et où les réserves des uns ont peu de poids face à la récupération politique des autres.

Ce contexte appelle à la prudence et à la réserve. La crainte est forte en effet que cette proposition de loi ne fasse qu’alimenter le débat tel que nous le connaissons depuis quelques jours, sans y apporter la sérénité nécessaire. Est-ce la vocation du Sénat d’y participer dans ces conditions ?

M. Laurent Lafon. Sur les sujets sensibles face auxquels l’angoisse du temps présent fait l’objet d’une exploitation par des extrémismes de tout poil, nous gagnerions collectivement à prendre plus de recul et à témoigner d’une plus grande hauteur de vue pour rappeler simplement ce qu’est notre histoire et ce qui fonde notre concorde nationale.

Dire cela, c’est faire preuve non pas d’angélisme ou de laxisme, mais de lucidité pour identifier ce qui pose problème et ce qui n’en pose pas.

C’est en travaillant ainsi et quand il légifère dans la sérénité que le Sénat fait œuvre utile.

M. Pierre Ouzoulias. Très bien !

M. Laurent Lafon. C’est ce qu’ont démontré les travaux de nos collègues Nathalie Goulet et André Reichardt, rapporteurs de la mission d’information sur l’organisation, la place et le financement de l’Islam en France et de ses lieux de culte, en suggérant d’améliorer la formation par la création d’un conseil scientifique unique chargé de la définition d’un programme commun, ou en proposant un meilleur financement du culte musulman.

C’est encore ce que le groupe Union Centriste a fait en faisant voter la proposition de loi de notre collègue Françoise Gatel pour mieux encadrer les écoles privées hors contrat. Le sujet n’en était pas moins délicat, bien au contraire !

Mes chers collègues, nous le savons, la voie est étroite entre la nécessité de lutter avec force contre le communautarisme et la radicalisation, et la nécessité tout aussi importante de ne pas se couper de la communauté musulmane,…

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Laurent Lafon. … dont la grande majorité s’inscrit pleinement dans les lois et l’esprit de la République.

M. le président. Il faut conclure !

M. Laurent Lafon. J’en termine, monsieur le président.

Les sénateurs centristes se partageront sur cette question en exprimant des votes différents. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées des groupes Les Indépendants et RDSE. – Marques détonnement sur des travées du groupe SOCR.)

M. le président. La parole est à Mme Sylvie Robert. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)

Mme Sylvie Robert. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a de grandes lois auxquelles il ne faudrait jamais toucher, tout du moins en ce qui concerne les valeurs qu’elles portent, comme la loi de 1905 dont les articles 1 et 2 posent les fondements de la laïcité. Selon ces articles, en effet, « la République assure la liberté de conscience » et « ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. »

Malheureusement, il y a aussi des lois opportunistes, mal faites et mal pensées, que l’on est contraint d’examiner : c’est le cas du présent texte.

Vous prétendez vouloir sortir du flou qui entourerait l’accompagnement des sorties scolaires par les mères voilées et combler ainsi un vide juridique qui serait devenu manifeste. C’est faux !

Aujourd’hui, la jurisprudence administrative est claire et limpide : les parents accompagnateurs sont des usagers du service public de l’éducation et, en tant que tels, ne sont pas soumis à l’obligation de neutralité qui incombe aux agents publics et qui dépasse, d’ailleurs, la seule sphère religieuse.

Seulement, ce postulat, pourtant d’une logique implacable, ne vous convient pas. Vous essayez donc de tripatouiller la loi, afin qu’elle entre en résonance avec votre idéologie – pardonnez-moi l’expression, mais je n’en trouve pas d’autres quand je vois le texte de la commission !

En définitive, vous vous retrouvez à élargir le périmètre de l’interdiction en matière de signes religieux ostensibles – qui prévaut en l’état pour les élèves – aux parents accompagnateurs, tout en tendant à les aligner sur le régime applicable aux agents publics, comme le prévoit le premier alinéa de l’article 1er.

Autrement dit, dans une forme de dualité qui s’apparente davantage à une double confusion, vous ne remédiez à aucun flou. En revanche, vous créez un authentique problème juridique.

Alors que vous prétendez venir en aide aux directeurs d’école pour soi-disant les protéger, ne pensez-vous pas qu’il serait préférable de leur proposer un véritable statut – parce qu’ils l’attendent – et de leur témoigner ainsi une reconnaissance légitime ? Il ne me semble pas que votre proposition de loi figure en haut de la liste de leurs priorités ; il me semble encore moins qu’elle faciliterait leur quotidien et leur permettrait d’organiser des sorties scolaires dans l’intérêt supérieur des enfants que, en l’espèce, vous semblez ignorer.

Au fond, les deux questions connexes que nous pose ce texte sont celles de la laïcité et de notre capacité à vivre ensemble.

S’agissant de la première, je souhaiterais d’abord répondre à notre rapporteur, qui, dans une dépêche, a estimé que nous étions un certain nombre à être partisans d’une laïcité « accommodante », alors qu’il représenterait quant à lui une laïcité « intransigeante ». Eh bien, j’affirme que je défends pleinement la laïcité, monsieur le rapporteur, et que je n’ai nul besoin de la qualifier d’« intransigeante » ! (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR, ainsi que sur des travées du groupe CRCE.)

Mme Sylvie Robert. En effet, dès lors que l’on commence à lui accoler des épithètes, c’est que l’on s’éloigne de son sens originel et qu’on la vide de sa substance pour mieux y substituer sa propre conception. (Nouveaux applaudissements sur les travées du groupe SOCR. – Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Sylvie Robert. Mes chers collègues, la laïcité n’est pas une palette chromatique dans laquelle chacun choisirait sa coloration en fonction de sa sensibilité.

La République a magnifiquement défini la seule et unique laïcité qui existe, c’est-à-dire la possibilité laissée à chacune et à chacun de croire ou de ne pas croire dans un esprit de concorde et de tolérance mutuelle. Robert Badinter l’a récemment présentée comme l’« une des grandes barrières contre le poison du fanatisme, parce que vous reconnaissez l’autre tel qu’il est, comme humain, avec les mêmes droits que vous, quelle que soit sa religion. […] C’est l’autre que je rencontre dans le respect ».

Évidemment, la laïcité interroge avant tout notre rapport individuel et collectif à l’altérité, la manière dont nous parvenons ou non à vivre en société. Elle est cette pierre angulaire sur laquelle repose notre socle commun. Et il est terrible de constater que c’est en son nom, que c’est en l’instrumentalisant que d’aucuns effritent progressivement ce socle et finissent par fragmenter et déliter la communauté nationale !

Immigration, islam, communautarisme, radicalisation, tout est amalgamé, parfois sciemment. Et ce désordre alimenté en permanence empêche de régler les vrais problèmes et dérives qui se font jour, puisque tout n’est que confusion. Arrêtons de tout mélanger et de tout confondre !

Oui, la République a sûrement des territoires à reconquérir, mais il s’agit d’un sujet d’une nature et d’une ampleur tellement différentes et tellement plus importantes que celui qui nous occupe actuellement.

Interdire aux mères voilées d’accompagner des enfants lors de sorties scolaires pourrait se révéler contre-productif et ne fera qu’ériger un fossé entre la République et ses citoyens de confession musulmane. La laïcité exige une éthique de responsabilité. Or, dans le cadre de ce texte, je ne l’aperçois pas.

À l’opposé des fondamentalistes qui prospèrent sur le sentiment d’exclusion, et à l’opposé des identitaires qui ne peuvent accepter une société multiple, nous ne voterons pas cette proposition de loi.

J’en appelle à votre sagesse, mes chers collègues, le Sénat ayant pour tradition de prendre de la hauteur et de viser l’apaisement, surtout dans le contexte actuel. Ne nous trompons pas de combat en faveur de la laïcité, ne nous trompons pas de combat en faveur de la République, ne la desservons pas ! Comme s’exclamait Aristide Briand, nous n’avons pas le droit de faire une loi qui ébranle la République. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et LaREM, ainsi que sur des travées du groupe CRCE.)

M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

Mme Françoise Laborde. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, une actualité récente donne à l’examen du texte de notre collègue Jacqueline Eustache-Brinio un écho particulier, dont nous nous serions bien passés.

Cette proposition de loi s’inscrit en fait dans le prolongement de la discussion du projet loi pour une école de la confiance, au cours de laquelle avait été adopté un amendement tranchant la délicate question de la neutralité religieuse des personnes accompagnant les sorties scolaires.

Les députés en ont décidé autrement lors de la réunion de la commission mixte paritaire en supprimant cet amendement, laissant du même coup un vide juridique propice aux polémiques dans lesquelles certains se sont depuis engouffrés.

Tirant les conséquences de cet épilogue, notre collègue a déposé sa proposition loi en juillet dernier. Nous ne pouvions alors imaginer que deux événements médiatiques déclencheraient la frénésie.

Il y a tout d’abord eu la polémique récente autour de l’affiche de la FCPE. Elle a pris à contre-pied nombre d’observateurs qui connaissent bien cette fédération, dont les statuts sont pourtant depuis toujours de nature laïque.

La seconde polémique fait suite à la provocation absurde d’un élu du Rassemblement national, qui ne connaît apparemment ni les règles d’accueil du public dans l’enceinte de sa collectivité ni le droit de cette mère d’élève à accompagner une sortie scolaire en l’état actuel des textes. Cette forme d’humiliation envers une maman devant son enfant est humainement inacceptable !

Si la question de l’expression religieuse des accompagnants de sorties scolaires n’est pas nouvelle, aucune solution concrète n’a jamais été trouvée ni dans la loi ni dans les circulaires Royal ou Chatel encore en vigueur. On le voit bien aujourd’hui, l’insécurité juridique est préjudiciable à tous, et d’abord aux acteurs de l’éducation : enseignants, chefs d’établissement et directeurs d’école.

Malgré la légalité de ces circulaires qui n’ont jamais été abrogées, leur interprétation a varié au gré des déclarations contradictoires de certains ministres. Il revient par conséquent au législateur de lever les contradictions qui persistent, de clarifier la question, et de régler une situation qui aurait dû l’être depuis longtemps, avant qu’elle ne devienne explosive et ne soit instrumentalisée par les extrêmes.

En 2013 déjà, dans un contexte où la laïcité soulevait d’importantes interrogations, le Conseil d’État avait rendu une étude – et non un avis ! – sur saisine du Défenseur des droits, et invité le législateur à clarifier la question que nous examinons aujourd’hui. En vain ! S’appuyant sur un arrêt de 1941, il soulignait que, « entre l’agent et l’usager, la loi et la jurisprudence n’ont pas identifié de troisième catégorie de collaborateurs ou participants, qui serait soumise en tant que telle à l’exigence de neutralité religieuse ».

En 2014, le Conseil d’État a confirmé la spécificité du service public de l’éducation dans son dossier thématique sur le juge administratif et l’expression des convictions religieuses, l’exemple le plus significatif étant celui de la loi du 15 mars 2004 qui impose, à juste titre, une neutralité aux usagers directs du service public de l’éducation, c’est-à-dire les élèves, dans le but premier de les protéger contre toute forme de prosélytisme, à un âge où l’individu se construit. Elle leur interdit de manifester ostensiblement leur appartenance religieuse pendant le temps pédagogique.

Néanmoins, le Conseil d’État souligne qu’il reste paradoxalement possible pour les accompagnants des sorties scolaires de manifester leur appartenance religieuse.

Il nous faut lever cette contradiction, car les activités pratiquées à l’occasion d’une sortie viennent nécessairement en appui des programmes et s’intègrent au projet pédagogique de la classe, comme l’indique la circulaire de septembre 1999.

Pour parvenir à la clarification attendue, il nous faut nous attarder à la fois sur le principe de neutralité et sur la nature de toute sortie scolaire, tout en rappelant quelques évidences.

La notion de neutralité dans le service public de l’éducation nationale s’est construite au fil du temps par la loi et la jurisprudence, et ce depuis Jules Ferry : neutralité des agents, des enseignants et des usagers.

Plus récemment, le 23 juillet dernier, un arrêt de la cour administrative d’appel de Lyon a posé une neutralité plus large des intervenants en estimant : « Ce même principe impose également que, quelle que soit la qualité en laquelle elles interviennent, les personnes qui, à l’intérieur des locaux scolaires, participent à des activités assimilables à celles des personnels enseignants, soient astreintes aux mêmes exigences de neutralité. »

La sortie scolaire, quant à elle, est une activité qui prolonge l’enseignement en classe hors les murs de l’établissement. Elle intervient sur le temps scolaire obligatoire pour l’élève. Elle est organisée par l’enseignant dans un but pédagogique et ne constitue pas une activité de loisir extrascolaire. À ce titre, elle représente bien un prolongement du service public de l’éducation. Sa neutralité, quelle qu’en soit d’ailleurs la nature, doit donc être respectée.

Mme Françoise Laborde. La sortie scolaire repose de son côté sur le volontariat des accompagnants, qui répondent à une sollicitation de l’enseignant. Cette démarche volontaire n’a pas vocation à se transformer en un droit. Le parent accompagnateur s’inscrit donc de jure dans le cadre d’une mission de service public.

Mme Françoise Laborde. Il vient non pas dans le seul dessein d’être avec son enfant, mais bien dans l’objectif d’aider l’enseignant à encadrer toute la classe. Il peut même arriver qu’il participe à la pédagogie de l’activité avec le professeur.

Ce sont autant d’éléments qui fondent la nature juridique de l’accompagnant et qui démontrent que la sortie scolaire s’inscrit dans le prolongement de la mission de service public de l’éducation.

Le texte de la commission, à la suite des nombreuses auditions de notre rapporteur Max Brisson, que je remercie pour son travail, me paraît satisfaisant en ce qu’il soumet les personnels de l’éducation et toute personne participant au service public de l’éducation aux mêmes valeurs, dont la liberté de conscience et la laïcité.

Sa traduction juridique, par l’extension claire et sans ambiguïté du champ d’application de la loi du 15 mars 2004, me paraît de nature à offrir une solution aux problèmes rencontrés par le corps enseignant.

Les membres de mon groupe se prononceront individuellement, en conscience, sur ce texte. Quant à moi, estimant que l’on ne peut pas laisser les directrices et directeurs d’école dans l’insécurité juridique, et suivant mes convictions, je voterai en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Antoine Karam. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)

M. Antoine Karam. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici réunis dans cet hémicycle quelques jours seulement après l’outrance prétendue laïque d’un élu du Rassemblement national, plus soucieux d’agiter le peuple avant de s’en servir que de respecter le droit et les libertés de ses concitoyens.

L’acte discriminatoire passé et la réalité du droit posé, il eût été sage que celui-ci présente publiquement ses excuses. Au lieu de cela, nous avons eu droit aux débats malsains, aux amalgames scandaleux et à un déversoir de haine. Cette polémique ne vise qu’un seul objectif : faire le lit de tous les extrêmes. On ne peut donc que regretter que, en dépit d’un contexte malaisé, le présent débat soit maintenu.

Je l’ai dit en commission et le redis ici : ne pas céder à la provocation est aussi un acte républicain !

Avant d’entrer dans le détail, je dois avouer l’étonnement qui a été le mien quand j’ai vu ce texte proposé par la droite sénatoriale, la même droite qui s’était vivement opposée, il y a deux ans de cela, à l’un de mes amendements tendant à mettre fin à la rémunération des prêtres par la collectivité territoriale de Guyane. (M. Pierre Ouzoulias applaudit.)

Vous en conviendrez, mes chers collègues, notre passion commune pour la laïcité peut décidément avoir des priorités surprenantes.

Monsieur le ministre, vous avez rappelé avec justesse les principes qui régissent la laïcité de notre République.

C’est la liberté de croire ou de ne pas croire, mais aussi l’égalité de tous devant la loi, quelles que soient nos croyances ou nos convictions. C’est aussi la stricte neutralité de l’État à l’égard du fait religieux.

Dans le milieu scolaire, un vade-mecum rappelle avec clarté le cadre de cette neutralité.

Aujourd’hui, aucune loi n’interdit à un adulte qui accompagne une sortie scolaire de porter un signe ostensible de religion, sauf en cas de prosélytisme. En effet, la neutralité religieuse dans les écoles, les collèges et les lycées s’applique seulement aux enseignants, aux employés de la fonction publique et aux élèves.

L’objectif annoncé par les auteurs de ce texte est de clarifier la situation.

Pour ce faire, la proposition de loi crée une nouvelle catégorie de personnes qui « participent » au service public de l’éducation. Or l’étude du Conseil d’État de 2013 affirme que le parent d’élève demeure un usager du service public, y compris lorsqu’il accompagne une sortie scolaire.

En effet, le caractère bénévole de la tâche confiée aux parents accompagnateurs ne permet pas, à mon sens, de les assimiler à des collaborateurs occasionnels.

En revanche, il revient aux chefs d’établissement de prévenir, voire de signaler tout acte prosélyte qui constituerait un trouble à l’ordre public et au bon fonctionnement du service public.

L’état actuel du droit, que certains jugent ambigu, révèle en fait l’équilibre lumineux trouvé par la loi et la jurisprudence pour concilier les principes si exigeants qui fondent la laïcité.

Ce silence sur les signes religieux, Aristide Briand, rapporteur de la loi de 1905, l’explique mieux que je ne pourrais le faire : « Le silence du projet de loi n’a pas été le résultat d’une omission. […] Il a paru à la commission que ce serait encourir […] le reproche d’intolérance et même s’exposer à un danger plus grave encore, le ridicule, que de vouloir, par une loi qui se donne pour but d’instaurer dans ce pays un régime de liberté, […] imposer de modifier la coupe de [ses] vêtements. »

Ainsi, une fois l’État et les Églises séparés, la kippa, le foulard, la croix ou le turban deviennent des accessoires et des vêtements comme les autres, portés par qui le souhaite.

Une fois cela dit, la loi peut toujours évoluer, mais doit-elle régler les convictions intimes qu’elle suppose chez les adultes ? Le pourrait-elle seulement ?

Mes chers collègues, les évolutions du paysage religieux ne doivent pas nous conduire à remettre en cause l’esprit de la loi de 1905. Je crois qu’il nous faut au contraire prendre appui sur ses piliers : la liberté de croire, la neutralité et le non-subventionnement des cultes pour apporter des réponses pragmatiques aux questions nouvelles.

D’ailleurs, ce bel usage qui veut que les enseignants sollicitent des parents pour participer à l’encadrement d’une sortie scolaire s’organise déjà dans le cadre d’un dialogue, d’une relation de confiance entre l’école et ces parents.

Dans cet échange, les enseignants rappellent le cadre laïque de l’école et peuvent inviter les parents à s’y conformer, sans pour autant les y obliger.

De même, il faut le dire, le port d’un signe religieux lors d’une sortie est moins un droit exercé par les parents qu’une tolérance dans le pacte de confiance qu’ils nouent avec l’école. (M. Philippe Pemezec sexclame ironiquement.) À cet égard, la récente affiche revendicatrice de la FCPE me semble tout aussi contre-productive et inadaptée que la présente proposition de loi.

M. Antoine Karam. Nous le savons, dans certaines écoles, l’interdiction du foulard – disons-le, puisque c’est de cela qu’il s’agit – placerait les enseignants dans des situations inextricables au détriment des élèves. Plus grave encore, elle pourrait in fine éloigner certains enfants de l’école publique, lorsque notre priorité commune est justement de ramener tous nos concitoyens vers la République.

Mes chers collègues, ne cédons pas à la tentation de faire de la laïcité un territoire guerrier sur lequel nous lutterions contre le communautarisme.

En la matière, notre assemblée a su, sur l’initiative de notre collègue Françoise Gatel, apporter une réponse législative adaptée pour mieux contrôler les écoles hors contrat. Nous devons aussi travailler à des solutions efficaces pour lutter contre la déscolarisation et mieux contrôler l’enseignement à domicile.

J’entends parler ici de courage de légiférer. Mais le véritable courage ne serait-il pas d’assumer le principe selon lequel la liberté doit être la règle et la restriction de police, l’exception ?

La laïcité léguée par les législateurs de 1905 n’est ni un glaive ni un bouclier. Elle est le cadre au sein duquel il nous faut élaborer les réponses pragmatiques qui, sans être simples, permettent de préserver le vivre ensemble de notre société.

Mes chers collègues, vous l’aurez compris, c’est parce que nous jugeons cette proposition de loi inutile et inadaptée que notre groupe s’y opposera avec fermeté ! (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM, ainsi que sur des travées des groupes UC, SOCR et CRCE.)

M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson. (Encore ! sur de nombreuses travées.)

M. Jean Louis Masson. Comme je l’ai dit tout à l’heure, il faut une réponse globale aux dérives communautaristes. À l’évidence, dans ce domaine, le port du voile est un élément emblématique, car, dans certains quartiers, il prend une telle ampleur que l’on en vient à se demander si l’on est encore en France !

Or, si nous en sommes arrivés là, c’est aussi le résultat d’un certain laxisme généralisé depuis des décennies. Dans le passé, tout le monde savait qu’il existait un problème lié au port du voile chez les accompagnateurs de voyages scolaires.

Autant, j’approuve le dépôt de cette proposition de loi et me réjouis que nous l’examinions aujourd’hui, autant je me dis, dans la mesure où ses auteurs sont membres du parti Les Républicains, qu’ils auraient pu la présenter et la faire adopter facilement lorsque M. Sarkozy était encore Président de la République ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Stéphane Piednoir. C’est une obsession !

M. Fabien Gay. Changez de disque !

Mme Cécile Cukierman. Cela ne nous rajeunit pas !

M. Jean Louis Masson. Dans cette affaire, il y a une certaine hypocrisie : en effet, c’est facile de proposer des choses quand on est dans l’opposition !

Mme Sophie Primas. On espère bien que vous y resterez longtemps !

M. Jean Louis Masson. Mais, en fait, c’est quand on a le pouvoir que l’on doit agir !

Je regrette que certains qui étaient au pouvoir n’aient pas fait ce qu’il fallait en la matière !

M. Jacques-Bernard Magner. Il a raison ! Pourquoi la droite n’a-t-elle rien fait ? (Sourires.)

M. Jean Louis Masson. Aujourd’hui, les pseudo-bien-pensants persistent dans leur complaisance face au communautarisme.

Mme Esther Benbassa. Quels bien-pensants ? Vous parlez de Zemmour ?

M. Jean Louis Masson. Pire encore, au niveau local, certains responsables politiques soutiennent les dérives communautaristes dans un but purement électoraliste.

À juste titre, l’actuel ministre de l’intérieur s’est lui-même inquiété de ce qu’il appelle des « Molenbeek à la française », c’est-à-dire des villes où le communautarisme s’épanouit avec le soutien de la municipalité ou des élus locaux. On en trouve partout : ainsi, dans mon département, un maire s’est vanté de gagner les suffrages des musulmans en étant le seul en France à avoir financé avec 100 % de fonds publics la construction d’une mosquée.

M. Pierre Ouzoulias. C’est interdit !

M. Jean Louis Masson. Non, c’est autorisé en Alsace-Lorraine, mon cher collègue ! (Exclamations sur les travées des groupes CRCE et SOCR.)

M. Pierre-Yves Collombat. Soyons logiques et revenons sur le Concordat ! (Sourires.)

M. Jean Louis Masson. Plus grave, il a aussi financé la mise en place d’une école coranique, et même l’installation de lampadaires décorés du croissant islamique dans la rue qui donne accès à la mosquée !

Mme Esther Benbassa. Ça suffit !

M. Jean Louis Masson. Alors, faut-il s’étonner si, avant de quitter la Moselle, le procureur général a évoqué devant la presse ce qu’il appelle…

M. Marc Daunis. Terminé !

M. le président. Il faut conclure !

M. Jean Louis Masson. … un inquiétant potentiel de radicalisation dans certains secteurs du département !

M. le président. Mon cher collègue, vous avez dépassé le temps de parole qui vous était imparti. (Marques de soulagement sur diverses travées.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)

M. Pierre Ouzoulias. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les dispositions dont nous discutons aujourd’hui ont déjà été votées par le Sénat lors des débats sur la loi dite « pour une école de la confiance ». Simplement, dans le cadre des travaux de la commission mixte paritaire, votre majorité a choisi de ne pas les retenir.

Elle a accepté cette « concession mineure » selon l’expression du rapporteur, parce que le dispositif d’un autre amendement a été intégralement repris dans la loi définitive. Introduite à l’article L. 141-5-2 du code de l’éducation, cette disposition prévoit : « Les comportements constitutifs de pressions sur les croyances des élèves ou de tentatives d’endoctrinement de ceux-ci sont interdits dans les écoles publiques et les établissements publics locaux d’enseignement, à leurs abords immédiats et pendant toute activité liée à l’enseignement. » Voilà ce que vous avez voté !

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. C’est excellent !

M. Pierre Ouzoulias. La portée de cette interdiction est bien plus large que celle dont nous débattons aujourd’hui. On peut donc légitimement se demander pourquoi vous avez déposé, moins d’une semaine après l’adoption définitive de la loi par le Sénat, une proposition de loi qui reprend in extenso une mesure rejetée par la commission mixte paritaire au profit d’un dispositif plus général d’application directe.

Les polémiques suscitées, initiées ou provoquées par cette proposition de loi éclairent sans conteste son objet essentiel. L’intention n’est pas de discuter de nouveau de la loi dite « pour une école de la confiance » que vous avez adoptée. Déposé cinq jours après l’adoption définitive de la loi par le Sénat, ce texte sert de prétexte à un débat sur la place du voile dans notre société.

Elle nourrit la suspicion plus générale selon laquelle certains de nos concitoyens, par leur origine familiale, leur religion ou leur tradition, ne pourraient pleinement appartenir à la Nation, qu’il y aurait des dispositions religieuses fondamentalement incompatibles avec la citoyenneté républicaine.

M. Pierre Ouzoulias. Un lien de causalité pourrait même être établi entre une pratique religieuse d’ordre vestimentaire, la volonté de créer au sein de la République des communautés souhaitant échapper à ses lois et ce qu’Amin Maalouf appelle très justement les « identités meurtrières » qui se construisent dans la haine d’autrui. Cet amalgame n’est pas acceptable !

Puisque le débat porte finalement sur la fonction politique de la laïcité dans notre société, j’aimerais rappeler ici que celle-ci a été introduite dans la Constitution de 1946 par un amendement déposé par notre collègue et député communiste Étienne Fajon.

Conformément à l’article premier de cette Constitution, « la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale ». Cet article fut complété dans la Constitution de 1958 par les deux phrases suivantes : « Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. » L’essentiel est dit et la force de ces principes constitutionnels devrait nous inciter à plus de retenue, de circonspection et de sagesse, dès que l’on tente de les corriger pour en atténuer la portée ! (M. Pierre-Yves Collombat applaudit.)

M. Pierre Ouzoulias. Défendre la République, c’est aussi protéger celles et ceux que l’on veut rejeter hors de la Nation en raison de leurs origines ou de leurs croyances. Cette ardente obligation de l’État de défendre tous nos concitoyens victimes du racisme s’impose encore avec plus de force depuis l’attentat perpétré hier contre la mosquée de Bayonne. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)

La laïcité ne peut être l’instrument de l’exclusion ; elle est au contraire le principe qui, en imposant la neutralité de l’État, permet l’égalité des droits et des devoirs, sans distinction de naissance ni de religion.

D’aucuns appellent, y compris dans cette assemblée, à l’avènement d’une « nouvelle » laïcité, d’une laïcité « intégrale ». Ce surcroît de rigorisme obligerait les élus à une stricte neutralité religieuse par exemple, alors que, jadis, le chanoine et député Félix Kir montait à la tribune en soutane.

M. Pierre Ouzoulias. Dans le même esprit, la neutralité religieuse qui s’impose aujourd’hui à tous les agents du service public devrait aussi s’étendre à tous les services pour le public, même privés.

Un débat sur ces thèmes est légitime. Mais il mérite mieux qu’une discussion sur une proposition de loi de circonstance de deux articles, reprenant des dispositions déjà écartées.

En ce qui nous concerne, nous sommes disponibles pour travailler sur ces sujets. Nous le sommes d’autant plus que notre histoire nous porte à défendre une laïcité au service de l’émancipation intellectuelle, politique et sociale.

Monsieur le rapporteur, vous avez cité à plusieurs reprises Jean Zay, le ministre du Front populaire assassiné par la Milice. Comme vous, nous partageons son idéal, son programme et son action politique en faveur de l’éducation nationale. Vous avez rappelé, avec raison, ses deux célèbres circulaires, interdisant dans les écoles la propagande politique, qui, en 1936, était essentiellement le fait des ligues de l’extrême droite, et la propagande confessionnelle, qui lui reprochait d’être le ministre d’une école « sans Dieu ».

En septembre 1939, alors que le ministre de l’intérieur Albert Sarraut demandait le renvoi hors de France des enfants des réfugiés républicains espagnols, Jean Zay affirma seul, avec force, notre devoir moral de les maintenir dans les classes, au nom de la mission humaniste et universaliste de l’école. C’est toujours notre source d’inspiration, et c’est pourquoi nous voterons contre ce texte ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SOCR, LaREM, Les Indépendants et UC.)

M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants.)

Mme Colette Mélot. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme dans tout débat, il est important de savoir de quoi l’on parle. Aujourd’hui, la proposition de loi qui nous est présentée – je m’interroge d’ailleurs sur son opportunité, à l’heure où les polémiques enflamment le débat public – concerne le port du foulard des mamans accompagnatrices de sorties scolaires, et rien d’autre !

Je suis convaincue par ces mots : « laïcité de l’État, pas de la société ». Cela veut dire trois choses.

D’abord, cette expression signifie que la France garantit la liberté de conscience et de pratique, lorsque cette pratique s’inscrit dans la tolérance et le respect des valeurs républicaines.

Enseignante, j’ai exercé dans un collège en zone d’éducation prioritaire à Melun, en Seine-et-Marne, où j’ai également été adjointe au maire pendant trente ans.

Je connais bien ces femmes qui, pour la plupart, vivent dans des quartiers difficiles. Il est caricatural de penser que la totalité de ces Françaises musulmanes utilisent le foulard comme l’étendard d’un projet islamique. Plus simplement, elles veulent vivre dans une société ouverte, tolérante, respectueuse de toutes les religions, en préservant des traditions familiales.

Si l’on interdit à ces mamans d’accompagner leurs enfants lors de déplacements scolaires, l’organisation des sorties dans les écoles de ces quartiers sera probablement rendue plus difficile. Cela aura pour effet de « ghettoïser » encore davantage des enfants issus de milieux populaires. Est-ce cela que nous voulons ?

Les femmes qui se portent volontaires pour participer à ces sorties expriment également une volonté de s’intéresser à la vie de l’école, et nombre d’entre elles sont d’ailleurs élues dans les conseils d’écoles.

Interdire le port du voile risque, à l’opposé de l’objectif visé, de compromettre leur intégration sociale. En les stigmatisant, on les enferme dans leurs pratiques, on renforce le communautarisme, on empêche, paradoxalement, l’islam d’évoluer avec la société. L’école est parfois le seul lieu de socialisation pour ces femmes.

L’expression « laïcité de l’État, pas de la société » signifie aussi que l’État n’a pas à se plier aux revendications communautaires.

Il doit veiller à lutter contre une certaine vision de l’islam incompatible avec les valeurs de la République, sans céder aux pressions électorales, aux caricatures et sans faire de concessions.

Il doit également veiller à apaiser les tensions entre communautés, en s’opposant avec la plus grande fermeté à toute démonstration de haine à l’encontre d’une communauté ou d’une autre.

Enfin, ces quelques mots veulent dire que nous devons, collectivement, veiller à ce qu’aucun enfant ne soit victime de prosélytisme dans le cadre de l’école publique, à ce qu’aucune pression d’ordre religieux, même insidieuse, ne porte atteinte à la liberté de conscience de l’enfant, par définition vulnérable et influençable. Fions-nous à l’intelligence des enseignants, des directeurs d’établissements et, en dernier ressort, au juge pour garantir l’application éclairée du principe de laïcité.

La réponse au communautarisme n’est pas la stigmatisation qui exacerbe les tensions.

L’école, à mon sens, doit rester un sanctuaire, un abri pour permettre à tous les enfants de grandir avec les valeurs républicaines. Mais la France n’a jamais prôné l’égalitarisme. Elle ne saurait écarter une communauté qui lui paraît étrangère, mais, finalement, reflète une partie d’elle-même. Vivre en démocratie, c’est accepter les différences culturelles et religieuses de chacun de ses membres. Dès la petite enfance, c’est trouver la paix et l’entente, par-delà les différences.

Pour autant, cette tolérance n’est pas sans limites, nous le savons, comme l’interdiction du voile intégral l’a démontré en 2010, comme l’obligation de neutralité religieuse à l’école l’a démontré en 2004, comme le renforcement du contrôle des écoles coraniques et des enfants déscolarisés l’a démontré encore récemment.

D’autres lois viendront probablement, des lois que j’estime nécessaires, sur la formation et le contrôle des imams, sur le mode de financement des mosquées, sur l’évolution de notre système d’intégration. Les questions soulevées par ce débat sont éminemment plus complexes, plus vastes, que la réponse qui nous est proposée à travers ce texte.

Il me semble que la réponse la plus saine pour désamorcer ces tensions consiste à réaffirmer, au sein de la République une et indivisible qui est la nôtre, les principes de tolérance, de liberté de conscience, de fraternité entre les communautés, et de partage des valeurs républicaines.

Je pense que le respect de nos différences s’enseigne dès le plus jeune âge, par la confrontation aux autres, par le dialogue et l’ouverture.

Ce que nous devons vraiment combattre, ce n’est pas le port du voile par quelques femmes qui démontrent, en participant à des sorties scolaires, leur implication dans l’éducation de leurs enfants. Ce que nous devons combattre, c’est le glissement d’une partie des musulmans vers une pratique radicale de l’islam ; c’est l’obscurantisme religieux, les haines communautaires et l’aliénation des femmes.

Nous connaissons tous cette mère exemplaire meurtrie dans sa chair après l’assassinat de son fils par le terroriste Mohammed Merah. Depuis 2012, Latifa Ibn Ziaten, au sein de son association IMAD pour la jeunesse et la paix, circule dans les établissements scolaires pour venir en aide aux jeunes des quartiers en difficulté.

M. le président. Il faut conclure.

Mme Colette Mélot. Elle porte le voile sans que cela pose problème.

Pour finir, je tiens à préciser que je m’exprime à titre personnel, et au nom de plusieurs des membres de mon groupe Les Indépendants – République et Territoires, mais chacun aura sa liberté de conscience au moment du vote. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants et UC.)

M. le président. La parole est à M. Jérôme Bascher. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jérôme Bascher. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le sujet que la proposition de loi de Jacqueline Eustache-Brinio nous amène à discuter n’est ni médiocre ni conjoncturel. Ce n’est pas parce que quelques-uns l’hystérisent…

Mme Esther Benbassa. Ça, c’est vrai !

M. Jérôme Bascher. … qu’il ne faut pas le traiter. Nous n’avons que trop tardé !

Car, par aveuglement – pour paraphraser Charles Péguy, il faut dire ce que l’on voit, mais il est plus difficile de voir ce que l’on voit –, par manque de courage, ce sont hélas les extrémistes de tous bords qui se sont emparés, non pas du débat, mais des failles dans les lois de notre République.

Lors du vote de la loi pour une école de la confiance, sur mon initiative et après que j’avais déposé en mars 2018 ce même texte, le Sénat avait adopté un amendement défendu par Jacqueline Eustache-Brinio et affirmant le principe de laïcité, y compris lors des sorties scolaires, ainsi qu’un amendement, déposé par mes soins, pour lutter contre le prosélytisme aux abords des écoles. Je tiens d’ailleurs à votre disposition, monsieur le ministre, une proposition de loi de même teneur pour les universités.

Du respect de la neutralité religieuse à l’école, certains n’ont voulu voir qu’un prétexte de racisme, voire de « haine contre les musulmans ». Mais nous sommes en vérité bien en dessous d’Atatürk !

Le sujet n’est pas du tout celui-là ; il est celui du risque de fracturation profonde de notre pays, laïque et républicain, et, au premier rang, de son école publique.

Voulons-nous abandonner notre modèle pour l’enseignement laïque, issu des lois de Jules Ferry et des décrets de Jean Zay ?

Voulons-nous abandonner le creuset de l’école républicaine, sans distinction de race, de sexe et, à la suite de Portalis, de religion ?

Voulons-nous abandonner les combats des féministes, chère Laurence Rossignol ?

Ou voulez-vous plutôt, mes chers collègues, un modèle communautariste, où chacun s’accommode de la République selon ce qui l’arrange, où, par exemple, la charia l’emporterait ?

Ne trahissons pas Aristide Briand !

Si cela devait être, préparons-nous à vivre, selon une expression redoutable de l’ancien ministre chargé des cultes, plutôt « face à face » que « côte à côte ».

Préparons-nous aussi à modifier l’article 1er de notre Constitution sur l’unité et l’indivisibilité de notre République.

Sans texte clair, sans cadre légal, les positions des uns et des autres seront inconciliables : là est le risque grave de fracture de la République ! Voilà pourquoi, quinze ans après la loi de 2004, trente ans après l’affaire du foulard de Creil, dans le département de l’Oise que je représente ici avec Olivier Paccaud et Laurence Rossignol, il est temps d’engager un nouvel acte.

Robert Badinter nous l’a dit, lui qui sans nul doute aura sa médaille sur nos travées : « Ce qui n’est pas illégal n’est pas forcément bienvenu. » Selon lui, le voile ne marque pas une « bonne volonté de vivre ensemble », étant rappelé que le port du voile n’est pas une prescription canonique.

M. David Assouline. On est au Café du commerce ?

M. Jérôme Bascher. La laïcité est à la fois une « grande barrière contre le poison du fanatisme », mais aussi une garantie que « l’idée que l’on doit respecter l’autre signifie aussi que l’autre doit vous respecter ».

Dès lors, mes chers collègues, sans distinction de sensibilité, nous ne devons pas abdiquer.

M. David Assouline. Quel courage !

M. Jérôme Bascher. Nous ne le devons pas, pour être dignes des Lumières et des pères de la République, Jules Ferry – notre prédécesseur en ces lieux – en tête. Nous ne le devons pas pour l’école, mais aussi pour tous les croyants, tous les agnostiques et tous les athées de France qui se retrouvent dans cette école de la République.

Il ne s’agit de rien d’autre que d’apporter une nécessaire précision à l’indispensable neutralité à observer par tous durant le temps scolaire !

Face aux extrémistes, nous ne pouvons pas avoir la main tremblante ! Je vous demande donc, très solennellement, de soutenir sans réserve ce texte sur la laïcité, qui porte le sceau, selon les mots du Général, de l’honneur, du bon sens, de l’intérêt supérieur de la patrie. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Pemezec. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Philippe Pemezec. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà plus d’un an, ici même, j’interpellai le Gouvernement sur la question de la tenue des accompagnateurs de sorties scolaires. Votre réponse, monsieur le ministre, que j’ai écoutée religieusement à l’époque fut pour le moins ambiguë. (Sourires.)

Vos propos ont été en substance : « Je suis plutôt d’accord avec vous, mais la loi est la loi ! » J’entends que, depuis, la situation n’a pas évolué.

Je ne suis donc pas surpris du retour dans l’actualité de ce problème, posant un réel cas de conscience à nos concitoyens, et je suis heureux que ma collègue Jacqueline Eustache-Brinio ait traité la question dans le cadre de cette proposition de loi, que j’ai cosignée sans hésiter et avec enthousiasme.

Ce qui est en question, dans cette affaire, c’est la remise en cause régulière des valeurs de notre société et de notre vivre ensemble par les tenants d’une vision de l’islam communautariste et radicale.

Nous en sommes là aujourd’hui, car, depuis plus de vingt ans, les gouvernements successifs ont manqué de lucidité, ont fait preuve de lâcheté et n’ont pas eu le courage ni de gérer l’immigration…

M. David Assouline. Il y a un lien !

M. Philippe Pemezec. … ni d’adopter une ligne politique claire.

Cette ambiguïté a alimenté les tensions, attisées par les tenants d’un islam politique qui tente de remettre en cause notre société et ses valeurs républicaines.

Les sorties scolaires, puisque c’est bien d’elles qu’il s’agit, sont effectuées dans le cadre du temps scolaire et, à ce titre, doivent être soumises aux règles régissant l’obligation de neutralité des agents publics, indépendamment des fonctions exercées.

Ainsi, lorsque des parents se portent volontaires pour accompagner une sortie d’élèves, ils deviennent eux aussi, même bénévoles, des collaborateurs occasionnels du service public.

M. Philippe Pemezec. Il serait donc logique que les sorties soient considérées comme partie intégrante du temps scolaire et de l’environnement scolaire, et que les règles de neutralité vestimentaire soient appliquées dans ce cadre, comme à l’intérieur de l’établissement, pour toutes les personnes concourant à encadrer et éduquer les enfants.

L’école est le reflet de notre société ; c’est aussi le lieu où la France de demain se construit. Ce n’est pas avec de belles citations, de jolies petites phrases que le problème sera réglé !

Le communautarisme est en train de ronger la société française, il la fracture, la divise, créant des tensions de plus en plus vives. Il suffit de lire LArchipel français, l’excellent ouvrage du politologue Jérôme Fourquet, pour comprendre le glissement sociétal que nous vivons.

Nous avons été incapables d’intégrer ou de combattre les ghettos : nous en subissons aujourd’hui les effets !

Et si vous me dites, mes chers collègues, que je me focalise uniquement sur les signes extérieurs de la religion islamique, je vous dirai la même chose s’il s’agissait d’accompagnateurs coiffés d’une kippa ou d’un turban, ou d’accompagnatrices vêtues d’une robe bouddhiste.

Arrêtons de nous cacher derrière la bien-pensance ! Aujourd’hui, ce sont les maires et les directeurs d’école qui gèrent seuls, tant bien que mal, ces questions au quotidien, en composant avec le flou entretenu en haut lieu depuis de trop nombreuses années. Ainsi, nous parlons aujourd’hui du voile, mais que dire du prosélytisme de certains animateurs, des revendications sur les menus des cantines scolaires ou pour l’obtention d’horaires spécifiques pour les femmes à la piscine ?

Notre Constitution de 1958 dit que « la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale ».

Puisqu’il n’y a plus de religion d’État dans notre pays, la religion doit s’exercer uniquement dans un cadre privé et ne doit en aucun cas influencer d’une façon ou d’une autre l’opinion des enfants, qui se forment, sur le temps scolaire, dans un cadre strictement laïque.

A-t-on jamais forcé un parent d’élève à accompagner une sortie scolaire ? Si, pour une mère de famille, retirer son voile et montrer ses cheveux est insupportable, elle peut rester chez elle (Exclamations.), mais qu’elle ne prétende pas collaborer à un service public laïque et démocratique sans en accepter les règles.

Car il faut être lucide, c’est un véritable bras de fer qui est engagé par ces femmes brandissant le voile comme un étendard, appuyées par un communautarisme islamiste, politique, qui s’est fixé pour objectif d’utiliser chaque faille dans notre État de droit pour y imposer sa morale religieuse, faisant peu à peu de notre pays, non plus une Nation, mais un pays avec des communautés vivant les unes à côté des autres. Il est temps de choisir quel modèle de société nous souhaitons : vivre ensemble ou vivre à côté les uns des autres ?

Le Gouvernement nous dit : « On n’y peut rien, c’est la loi. » Mais la loi est faite pour évoluer ! Elle est faite pour s’adapter aux changements de la société, et nous autres parlementaires sommes là pour accompagner cette évolution !

Pour cela, il faut du courage. Il faut, pour une fois, avoir le courage d’entendre ce que disent les Français et comprendre ceux qui voient leur quartier et leur commune s’enfoncer peu à peu dans le communautarisme, leur environnement se transformer et les propos se radicaliser.

J’ai entendu récemment dans un débat : « Il suffit de généraliser la viande halal. Comme ça, tout le monde pourra en manger ! » Pourquoi ne pas imposer de manger casher dans ce cas ? Personnellement, je préfère manger du poisson le vendredi ! (Exclamations sur les travées des groupes CRCE et SOCR.)

Mais au nom de quel principe devrait-on soumettre le droit commun et la pratique commune au caprice des religions, dans une République laïque et indivisible ?

M. le président. Il faut conclure !

M. Philippe Pemezec. Moi, j’ose encore croire en la France ! Je crois aux valeurs de notre République et je me refuse à les voir grignotées insidieusement par des idéologies politiques, radicales et communautaristes, mettant à mal nos valeurs communes et notre vivre ensemble. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)

Mme Laurence Rossignol. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, une remarque pour débuter mon propos : j’imagine tout de même que les auteurs de cette proposition de loi se sont demandé si ce texte tombait vraiment bien et si nous allions pouvoir, dans le contexte actuel, nous concentrer sur son contenu. L’exercice me paraît délicat et un peu perdu d’avance !

Mais je voudrais partager avec vous un sentiment et quelques réflexions.

Mon sentiment, c’est celui – extrêmement désagréable – d’être prise dans un étau.

M. David Assouline. Bien sûr !

Mme Laurence Rossignol. La première mâchoire de cet étau est celle de la haine et du racisme, celle qui déteste les musulmans comme elle a toujours détesté les Arabes, celle qui n’a jamais été laïque, celle qui n’a jamais autant aimé la France que quand elle n’était pas la France. (Exclamations et sifflets sur les travées du groupe Les Républicains.)

J’invite mes collègues de la droite républicaine à ne pas s’émouvoir quand je parle de l’extrême droite. Je ne parlais pas de vous jusqu’à présent, mes chers collègues ! (Rires et applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)

M. Ladislas Poniatowski. C’est petit !

Mme Laurence Rossignol. Les femmes voilées personnifient, pour tous ceux-là, l’obsession d’une France islamisée par le « grand remplacement ».

La deuxième mâchoire de l’étau est celle de l’extension de l’emprise religieuse dans la société française, notamment de l’islam politique. En effet, autant la foi est un sujet intime, autant la religion est une question politique.

La première étape stratégique des doctrinaires passe par la réislamisation des musulmans de France. Il s’agit de communautariser les musulmans autour du fait religieux dans l’espace public, en opposant progressivement une pratique religieuse de plus en plus rigoriste à la laïcité républicaine. (Mmes Catherine Troendlé et Sophie Primas approuvent.)

Pour ceux-là, aussi, le port du voile est l’objet symbolique de leur visibilité, même si, paradoxalement, cette visibilité passe par l’invisibilité des femmes.

Les uns comme les autres ont donc objectivement intérêt à installer le voile au centre du débat public.

M. David Assouline. Bien sûr !

Mme Laurence Rossignol. Pour les promoteurs de l’islam politique, plus on parle du voile, de sa place et de sa compatibilité avec la République, mieux c’est, car c’est avec ce drapeau qu’ils comptent bien susciter la solidarité communautaire.

Si le voile devient un objet de racisme, alors il devient aussi le signe de la résistance au racisme, et c’est le pire des scénarios !

C’est le scénario de l’escalade : d’un côté, Dijon et son conseiller régional haineux, indigne, qui la nourrit ; de l’autre, la coalition des naïfs qui laissent prospérer l’islam politique, abandonnent celles et ceux qui résistent et choisissent le confort moral du déni.

Et nous, mes chers collègues, nous sommes au milieu, avançant sur une ligne de crête, pesant chacun de nos mots, chacun de nos actes, pour ne renforcer ni un camp ni l’autre.

Certains diront que c’est pleutre. Je me contenterai de dire que c’est précautionneux.

Il faut agir dans le bon ordre. À mes yeux, réduire la fracture qui s’est installée dans notre société est le préalable à toute reconquête républicaine.

Cette proposition de loi n’y contribuera pas. Je crains même qu’elle ne soit, si j’ose dire, du pain bénit pour les islamistes, une occasion supplémentaire de coaliser et de communautariser les musulmans, y compris ceux qui n’ont pas cette pratique rigoriste de l’islam.

M. Patrick Kanner. Très bien !

Mme Laurence Rossignol. Je ne pense pas non plus que cette proposition de loi rendra la laïcité plus aimable ou plus désirable à qui que ce soit.

Défendre la laïcité, c’est en faire un usage juste et constant. La laïcité, ce n’est pas exalter à tout propos l’identité chrétienne de la France ou convoquer les évêques à tout bout de champ pour solliciter leur avis sur le droit des femmes à disposer de leur corps ! (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

La laïcité, c’est un projet de société, qui suppose la justice et l’égalité.

M. Jean-Luc Fichet. Très bien !

Mme Laurence Rossignol. Je ne crois pas que de nouvelles interdictions soient la solution. C’est sans fin !

Peut-être certains d’entre vous, mes chers collègues, se sont-ils réjouis de constater, dans un sondage sorti dimanche dernier, que leur proposition était soutenue. Mais avez-vous vu, aussi, que davantage de personnes sondées sont favorables à une extension de l’interdiction aux usagers du service public : plus de voile, plus de kippa dans les halls d’hôpitaux, dans les bureaux de poste, aux caisses d’allocations familiales, etc. Êtes-vous prêts à les suivre ? Bien sûr que non ! Pas aujourd’hui ! Mais dans un an ou deux, en fonction du contexte, qui sait ? (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR. – M. François Patriat se joint à ces applaudissements.)

Ce que nous payons aujourd’hui, c’est l’abandon des quartiers populaires, l’absence de perspective pour ceux qui y vivent, la ségrégation spatiale et notre inefficacité à lutter contre le racisme. Tant qu’un jeune avec un prénom musulman aura cinq fois moins de chances de trouver un travail qu’un jeune avec prénom d’origine catholique,…

Mme Pascale Gruny. Ce n’est pas vrai !

Mme Laurence Rossignol. … il ne sera pas possible de convaincre ce jeune que la République et l’égalité sont faites pour lui et à partager avec lui ! (Mme Martine Filleul applaudit.)

Quand le relief est incertain, quand le paysage est trouble, il faut une boussole. La mienne tient en trois questions. Avec cette proposition de loi, allons-nous réduire la fracture qui s’est installée entre les Français ? Allons-nous désarmer les haineux de tous bords ? Allons-nous nous extraire du face-à-face sinistre entre les identitaires des deux camps ? Je ne le crois pas. Je pense même que nous nous tromperions de chemin en adoptant ce texte. C’est pourquoi le groupe socialiste et républicain ne le votera pas. (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes SOCR, CRCE, LaREM et Les Indépendants.)

M. le président. La parole est à Mme Pascale Gruny. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme Pascale Gruny. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la France est une République laïque. Cette règle, fruit de notre histoire, a longtemps divisé notre nation, mais, aujourd’hui, elle la rassemble et elle doit la rassembler !

La laïcité n’est pas seulement un droit ; c’est un devoir ! Elle exige d’accepter des règles communes, indispensables à l’équilibre de la société, au premier rang desquelles la neutralité des services publics.

Le législateur a voulu faire de l’école un espace neutre d’un point de vue religieux, pour permettre à l’élève de se construire librement en tant que citoyen, en le protégeant contre les influences et les passions extérieures.

Cette conquête d’une école laïque s’est faite par étapes. Il y a d’abord eu la substitution à l’enseignement d’une morale religieuse d’une instruction morale civique et laïque, puis la suppression en 2004 des signes ostensibles d’appartenance religieuse dans les établissements scolaires.

Il faut aujourd’hui franchir une nouvelle étape en inscrivant dans la loi le principe de neutralité religieuse applicable à toute personne participant aux sorties scolaires, ce qui est déjà le cas pour les enfants et les enseignants, mais pas pour les accompagnants. Il est donc temps de mettre fin à cette incohérence juridique !

Je ne comprends pas la posture de désintérêt du Président de la République, qui affirme que le port du voile dans l’espace public n’est pas son affaire. Doit-on lui rappeler que les sorties scolaires sont des temps pédagogiques s’inscrivant dans le temps de l’éducation nationale ?

Cela fait bien longtemps que l’enseignement scolaire ne se limite plus aux quatre murs de la classe. Cette ouverture vers l’extérieur nous invite à repenser le principe de laïcité appliqué à l’école.

Chaque sortie nourrit un projet pédagogique et fait l’objet d’une préparation en amont. Il n’est donc pas possible de déconnecter les enseignements scolaires en classe de ceux qui sont dispensés à l’extérieur. La sortie scolaire n’est en réalité qu’un prolongement des enseignements délivrés en classe, une école « hors les murs ».

La neutralité religieuse doit donc aussi s’y appliquer, de la même façon qu’elle s’applique en classe, de la même façon qu’elle s’applique dans le gymnase ou la salle municipale accueillant les activités d’éducation sportive.

Cette proposition de loi est également la suite logique des récentes évolutions jurisprudentielles, qui tendent vers toujours plus de neutralité des parents d’élèves.

En juillet dernier, la cour administrative d’appel de Lyon a admis la légalité d’un règlement intérieur imposant la neutralité religieuse à toute personne, y compris les parents d’élèves, intervenant dans une classe pour participer à des activités assimilables à celles des enseignants.

Par ailleurs, si le Conseil d’État estime que les parents d’élèves ne sont pas soumis à l’obligation de neutralité religieuse, il a toutefois précisé que le chef d’établissement peut leur recommander de s’abstenir de manifester leur appartenance ou leur croyance religieuses. Cette situation entraîne des décisions différentes d’un établissement scolaire à l’autre, au grand dam des parents d’élèves et des élus locaux.

Le droit actuel et l’ambivalence du Gouvernement sont sources de polémiques et de tensions, comme l’ont récemment montré les affiches de campagne de la FCPE, la Fédération des conseils de parents d’élèves, défendant le droit pour les mères voilées de participer à des sorties scolaires.

Monsieur le ministre, alors que plusieurs de vos collègues ont multiplié les prises de position contradictoires – ce sont les limites du « en même temps » –, votre gouvernement doit sortir de l’ambiguïté. Les Français vous le demandent, puisque 66 % d’entre eux sont favorables à cette proposition de loi.

Mes chers collègues, la laïcité que nous défendons n’est en aucun cas l’expression d’un sentiment antireligieux. C’est, au contraire, la liberté et la tolérance pour tous.

Jacques Chirac affirmait en 2003 que le débat sur la laïcité renvoyait « à notre cohésion nationale, à notre aptitude à vivre ensemble, à notre capacité à nous réunir sur l’essentiel ». Seize ans plus tard, la loi a juste besoin de clarté, et ce texte en apporte.

Deux questions, mes chers collègues : la neutralité religieuse à l’école a-t-elle été pensée pour protéger les enfants ou les murs de l’établissement ? La sortie scolaire est-elle du temps scolaire ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Annick Billon se joint à ces applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, si un Huron arrivait au sein de la Haute Assemblée à ce stade de notre débat, son premier constat serait qu’un principe unit tous les orateurs, sur l’ensemble des travées : c’est le principe de laïcité.

Chacun et chacune ont dit que la laïcité était fondamentale. Cela n’a pas été le cas à tous les moments de notre histoire.

M. Pierre Ouzoulias. C’est vrai !

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Mais ce n’est pas un scoop !

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Le fait que ce socle d’union existe est, à mes yeux, un atout considérable. Considérons-le comme un trésor, et voyons-le, le plus possible, comme un outil de concorde nationale.

D’autres thèmes abordés au cours de cette discussion sont, à mon sens, tout aussi consensuels : voyons-les, eux aussi, comme autant de trésors. Tous les orateurs ont rappelé que la lutte contre le communautarisme était essentielle ; bien entendu, ils en ont dit autant de la lutte contre la radicalisation, et pratiquement tout le monde considère qu’il ne faut pas confondre l’ensemble de ces sujets.

Je tiens à rappeler tous ces éléments : il est important de montrer aux Français que, en réalité, la représentation nationale repose sur notre contrat social, qui constitue son socle essentiel.

Notre sujet n’est donc pas le « pourquoi » – nous sommes, j’en suis persuadé, pratiquement tous d’accord sur ce point, et donc sur la base du contrat social –, mais le « comment » : par quels chemins arriverons-nous à une laïcité effective, en luttant contre le communautarisme et la radicalisation, pour une République de citoyens égaux ?

Sur chacun de ces points – je tiens à le redire –, j’ai mené depuis deux ans et demi des actions extrêmement concrètes. Personne ne peut donner d’exemples plus concrets d’initiatives prises, en la matière, pendant les quinze ou vingt dernières années…

M. Jacques Grosperrin. Et la loi de 2004 ?

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. À part la loi de 2004, je vous l’accorde bien volontiers. Mais, depuis cette date, rien d’aussi important n’a été fait dans la lutte contre la radicalisation, dans la lutte contre le communautarisme et pour une laïcité effective.

Dès lors, la question est la suivante : cette proposition de loi va-t-elle nous aider à atteindre nos objectifs communs ? Certains pensent que oui, d’autres pensent que non. Pour ma part, je vous l’ai dit, ma réponse est non, et ce non – je tiens à le dire, car il s’agit presque d’une question d’honneur –, c’est la réponse que je donne depuis deux ans et demi.

D’ailleurs, monsieur Pemezec, il y a quelques instants, vous m’avez attribué une citation que je qualifierai d’apocryphe. Je ne sais pas comment les débats sont retracés,…

M. Alain Joyandet. On ne peut pas attaquer nos rédacteurs !

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. … mais vous avez fait de mes propos une sorte de résumé qui n’en est pas un : je n’ai jamais dit une chose pareille.

J’ai toujours dit que le droit actuel nous permettait d’agir d’une manière pertinente. C’est pourquoi, aujourd’hui, je considère que cette proposition de loi serait contre-productive, au regard d’objectifs que, par ailleurs, nous approuvons tous : la lutte pour la laïcité, contre le communautarisme et contre la radicalisation.

Bien entendu, il faut respecter les visions différentes, la pluralité de chemins conduisant au même but. Mais, comme l’a dit Mme Rossignol, il faut être très attentif à l’importance des mots.

Il est difficile d’être subtil et équilibré sur ces questions aujourd’hui : celui qui vous parle est bien placé pour le savoir. Lorsque j’ai dit « pas interdit, mais pas souhaitable », j’ai résumé l’état du droit actuel et j’ai résumé ce qu’ensuite Robert Badinter a dit. Il est bien normal que vous ayez plus de révérence pour les paroles de Robert Badinter que pour les miennes, mais en réalité ce sont les mêmes ! (Sourires.)

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Au fond, nous avons formulé un rappel de bon sens, que presque tous les Français approuveraient sans doute si l’on prenait le temps de consacrer un débat apaisé à ces questions. Certains sujets relèvent de la loi et d’autres n’en relèvent pas, même si nous pouvons nous accorder à dire que les signes ostentatoires ne sont pas souhaitables lors des sorties scolaires.

Ce qui est très important aujourd’hui, c’est que notre action nous permette d’aller vers une laïcité du quotidien et de faire reculer le communautarisme. Ce dernier a progressé, c’est exact, non seulement dans les espaces, mais aussi dans les esprits : je suis le premier à le dire, à le déplorer et à me battre contre. Je tiens à le dire : le communautarisme a notamment progressé dans l’esprit de certaines de nos élites – je l’ai largement observé ces derniers temps. La lutte contre le communautarisme et contre la radicalisation est bel et bien un sujet essentiel.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je tenais à revenir sur ces points, car nous avons besoin d’être clairs. Nous avons également besoin d’être efficaces : puisque nous visons tous les mêmes objectifs, pesons nos points de vue et évaluons nos analyses à l’aune de l’efficacité. Ce que nous faisons nous permet-il d’atteindre l’objectif fixé ? J’ai donné ma réponse ; chacun a la sienne. Mais c’est en conscience que nous devons donner l’image d’une France qui, en réalité, est unie sur l’essentiel, donc sur son contrat social, où la laïcité occupe une place centrale ! (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM, ainsi que sur des travées des groupes UC, Les Indépendants et SOCR.)

M. le président. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

proposition de loi tendant à assurer la neutralité religieuse des personnes concourant au service public de l’éducation

Discussion générale
Dossier législatif : proposition de loi tendant à assurer la neutralité religieuse des personnes concourant au service public de l'éducation
Article 2 (nouveau)

Article 1er

I. – Le troisième alinéa de l’article L. 111-1 du code de l’éducation est complété par une phrase ainsi rédigée : « Les personnes qui participent au service public de l’éducation sont également tenues de respecter ces valeurs. »

II. – Après le premier alinéa de l’article L. 141-5-1 du code de l’éducation, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« La même interdiction s’applique aux personnes qui participent, y compris lors des sorties scolaires, aux activités liées à l’enseignement dans ou en dehors des établissements, organisées par ces écoles et établissements publics locaux d’enseignement. »

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Max Brisson, rapporteur. Avec l’article 1er, nous abordons le cœur de cette proposition de loi, et je tiens à remercier M. le ministre de ses propos qui apaisent le débat en le plaçant au bon niveau. Je souhaite en faire autant, en tant que rapporteur de ce texte. D’ailleurs, tout au long des travaux de la commission, je me suis efforcé de centrer cette proposition de loi sur l’école.

À ce titre, il faut garder en tête la manière dont l’école publique s’est construite ; il s’agit d’une histoire très particulière, d’une histoire française,…

M. David Assouline. Une histoire de la gauche !

M. Max Brisson, rapporteur. … que l’on ne retrouve pas dans les autres pays d’Europe.

Monsieur Assouline, la gauche y a pris sa part, mais elle n’a pas été la seule : peu à peu, un vrai consensus s’est construit dans notre pays, en faveur de cette école publique, de cette école laïque, de cette école où l’on n’affiche pas ses croyances. (M. David Assouline manifeste sa circonspection.)

Mes chers collègues, la seule chose inscrite dans cet article, c’est la volonté de poursuivre le travail du législateur. En 2004, le législateur a fait du service public de l’éducation un service public particulier, où l’usager est soumis au principe de neutralité, alors que, dans les autres cas, seuls les agents du service public sont tenus de l’observer.

Dans le droit fil des pères fondateurs de l’école, le législateur a exigé, à l’école, une neutralité particulière. En essayant de sortir de cette période un peu tendue, de ce brouhaha médiatique et politique qui entoure nos débats, nous vous demandons tout simplement de parachever le travail, en considérant qu’un accompagnant participe à une activité d’enseignement, et uniquement à une activité d’enseignement.

Il ne s’agit pas de stigmatiser qui que ce soit – et, personnellement, je m’y refuse absolument ! En revanche, même si l’on peut diverger sur ce point, il s’agit de considérer que la sortie scolaire, c’est la classe, la classe hors les murs, et que l’école hors les murs doit être protégée tout autant que l’école dans les murs.

Aussi, au cours de cette discussion, restons centrés sur l’école ; pensons aux sorties scolaires et protégeons ce temps d’activité pédagogique ! (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et UC.)

M. le président. La parole est à M. Olivier Paccaud, sur l’article.

M. Olivier Paccaud. N’est-il pas de bon sens que les personnes participant au service public de l’éducation, pour des activités liées à l’enseignement dans les établissements ou en dehors d’eux, soient également tenues de respecter ses valeurs, comme l’indique le texte de l’article 1er ?

Dans notre société, de plus en plus fracturée par le fléau du repli communautariste, par les tentations du huis clos technologique ou de l’entre soi sociologique, « faire Nation » apparaît bien compliqué. Si « vivre ensemble » est devenu un slogan, c’est en fait désormais surtout un objectif, car ce n’est malheureusement plus une évidence. Or il est un lieu où l’on peut semer et faire germer les valeurs de la République, qui nous unissent ; un lieu où l’on transmet le savoir, où l’on ancre des valeurs, où les consciences se construisent, s’épanouissent et s’émancipent ; un lieu qui doit être protégé, préservé, sanctuarisé : c’est l’école de la République, véritable pré carré de la genèse citoyenne, libre et indépendante.

Si c’est la République qui a instauré l’école moderne gratuite et obligatoire, c’est l’école qui a fortifié la République. Toutes deux sont indissociables, consubstantielles. Or, dès l’origine, cette école s’est voulue laïque, donc neutre, d’abord parce qu’elle entendait respecter tous ses enfants – ceux dont les parents croyaient au ciel et ceux dont les parents n’y croyaient pas.

Remercions d’ailleurs notre rapporteur pour ses rappels juridiques et historiques, précis et précieux : mieux vaut savoir d’où l’on vient pour ne pas se perdre.

Le combat pour la laïcité a une histoire jalonnée de débats et de fièvres. On a évoqué les lois de 1882, de 1886 et de 1905 : personne aujourd’hui n’en conteste la légitimité ou l’utilité. On a aussi mentionné la loi de 2004, relative à l’interdiction du port de signes religieux ostentatoires par les élèves : personne non plus ne la remet désormais en cause, bien au contraire. Or ce texte fut précédé de quinze ans de controverses et de polémiques nées, notamment, après l’affaire du collège Gabriel-Havez de Creil, dans le département de l’Oise, dont Jérôme Bascher et Laurence Rossignol sont, comme moi, les élus.

Relisez les articles d’alors : vous serez surpris par leur actualité. À l’époque, certains refusaient la perspective de légiférer, sous prétexte de « stigmatisation ». On nous annonçait même que certains établissements scolaires allaient se vider de leurs élèves ! Il n’en a rien été : au contraire, cette loi a permis de retrouver un débat plus serein.

L’école admet toutes les fois, toutes les croyances, pour peu qu’on ne les montre pas.

M. le président. Il faut conclure.

M. Olivier Paccaud. C’est valable pour les enseignants, pour les personnels administratifs et techniques et pour les élèves. Pourquoi ne le serait-ce pas pour les parents ? (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, sur l’article.

M. Pierre Ouzoulias. Monsieur le ministre, mes chers collègues, vous l’avez dit à plusieurs reprises : le voile n’est pas anodin. Sur ce sujet, je me permettrai de vous donner quelques éléments purement factuels, avec la double distance que me donnent mon statut d’historien et ma qualité d’athée – sans porter de jugement de valeur.

Dans les trois religions du Livre, les religions juive, chrétienne et musulmane, le voile est la manifestation vestimentaire d’une position particulière de la femme au sein de la société.

Tertullien, l’un des premiers catéchètes de la foi chrétienne, écrivait ainsi à l’intention des femmes, dans son ouvrage Le Voile des vierges : « Qu’elles sachent que tout est féminin dans une tête de femme ; […] tout ce que les cheveux dénoués peuvent recouvrir, voilà le domaine du voile, de façon qu’il enveloppe aussi la nuque. C’est la nuque en effet qui doit être soumise, elle à cause de qui la femme doit avoir sur la tête un signe de sujétion. Le voile est son joug – Velamen iugum illarum est. » (M. Pierre-Yves Collombat rit.) Vous trouverez cela dans le volume 424 des Sources chrétiennes. (M. Pierre Ouzoulias brandit louvrage en question.)

Dans son travail d’histoire religieuse dédié au voile, Rosine Lambin montre que le christianisme est le premier monothéisme qui a construit la théorie religieuse de la morale de la coiffure féminine. Elle conclut ainsi : « Le voile des femmes est de souche méditerranéenne, donc à la fois occidental et oriental. […] C’est l’occident chrétien qui a institué religieusement le voile. »

Je ne crois pas qu’il nous appartienne de légiférer en matière théologique…

M. Pierre Ouzoulias. … et ce n’est pas à nous de décider ce que doit être la pratique religieuse des croyantes.

En revanche, dans notre travail législatif, seules comptent les lois que nous nous donnons à nous-mêmes : il n’y a rien au-dessus qui puisse nous être imposé.

Chers collègues, nous aborderons bientôt le projet de loi relatif à la bioéthique et il faudra s’en souvenir ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE ainsi que sur ces travées du groupe SOCR.)

M. le président. La parole est à M. Stéphane Piednoir, sur l’article.

M. Stéphane Piednoir. Le débat de cette après-midi illustre toute la complexité du rapport que nous avons, nous Français, avec la religion. N’en déplaise à certains, les racines de notre pays sont judéo-chrétiennes : c’est notre héritage commun.

Il a fallu des siècles pour établir le Concordat, un siècle de plus pour séparer l’Église de l’État, puis pour affirmer ce concept de laïcité auquel nous sommes tous très attachés, j’en suis convaincu.

On trouve bien quelques laïcards aigris qui voudraient pouvoir effacer totalement cette référence chrétienne, comme une sorte de revanche sur l’histoire. (Protestations sur des travées du groupe SOCR.) Chose étonnante, ce sont les mêmes qui militent pour ne porter aucune restriction à l’exercice d’autres cultes dans le domaine public.

Rappelons que la religion musulmane n’oblige personne à porter en permanence un voile ou un foulard sur la tête. Ce bout de tissu est devenu un emblème politico-religieux pour ceux qui veulent défier la République, pour ceux qui veulent afficher comme une évidence la soumission de la femme.

Ce bout de tissu, comme d’autres, est tout sauf insignifiant. Faut-il que nous soyons à ce point aveugles, face aux références historiques qui ont été rappelées, pour refuser d’encadrer a minima tout ce qui concourt au service public ? Faut-il que nous soyons à ce point irrationnels pour ne pas même admettre que les activités qui se déroulent sur le temps scolaire sont des activités scolaires ?

Monsieur le ministre, vous l’avez dit il y a quelques instants : « L’enfant a besoin d’un cadre de neutralité. » Alors, étendons à ces temps l’interdiction de signes ostensibles, dans le prolongement de la loi de 2004.

Mes chers collègues, il y a une solution finalement assez simple au problème qui nous est soumis aujourd’hui : demandons aux accompagnants de ces sorties scolaires d’enlever, pour quelques heures, ce bout de tissu. Cela ne les privera nullement d’exercer librement leur religion comme notre Constitution le leur garantit ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Alain Houpert. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, sur l’article.

M. Patrick Kanner. Pourquoi donc cette proposition de loi ? Sommes-nous submergés – je pèse mes mots – par des incidents à caractère prosélyte et antirépublicain lors des sorties scolaires ? Les auteurs du texte qui nous intéresse aujourd’hui n’instrumentalisent-ils pas plutôt le mot de laïcité au profit d’un calcul politique ?

Bien sûr, il y a des phénomènes de radicalisation dans notre pays,…

M. Patrick Kanner. … qu’il s’agisse de l’islam ou d’autres religions. Mais les prédateurs qui rejettent notre modèle républicain peuvent se réjouir de l’émergence d’une société de prohibition, d’interdiction et d’exclusion, qui ne fera que renforcer les extrêmes.

On ne répond pas à une vision totalitaire de la société par l’instauration d’une intolérance institutionnelle vécue comme une humiliation.

La loi de 1905 sanctuarise une séparation entre les Églises et l’État, pas entre les Églises et la société. Le choix de convoquer cette loi, d’invoquer la laïcité, comme le fait aujourd’hui une partie de la droite sénatoriale, ne laisse pas de m’interpeller : la même sensibilité politique s’est farouchement opposée au grand service public laïque et unifié de l’éducation nationale ;… (Protestations sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Alain Joyandet. Cela n’a rien à voir !

M. Patrick Kanner. … ou, plus récemment, lors de l’examen du projet de loi Égalité et citoyenneté, à l’autorisation administrative préalable pour ouvrir une école privée ; et, plus récemment encore, à l’inscription de l’Église dans le répertoire des influenceurs. (M. Jean-Noël Guérini proteste.)

Mme Françoise Gatel. On ne peut pas dire ça !

M. Patrick Kanner. Permettez-moi de m’étonner devant cette laïcité à géométrie variable : la laïcité ne se défend pas de manière occasionnelle !

L’unité de la Nation doit être notre préoccupation prioritaire, dans ces temps où les forces centrifuges minent notre modèle de société ; mais l’unité de la Nation ne peut être rabaissée à une uniformité mettant à mal ce que Jean-Paul Delevoye appelle très justement « le prosélytisme de l’empathie et de l’altérité », que je considère comme un fondement de l’intégration républicaine.

Sachons méditer cette belle maxime d’Armand-Jean du Plessis, plus connu sous le nom de Richelieu : « La politique, c’est l’art de rendre possible le nécessaire. » Le présent texte n’est pas nécessaire, et nous voterons contre ! (Applaudissements sur des travées du groupe SOCR.)

M. le président. La parole est à M. Alain Joyandet, sur l’article.

M. Alain Joyandet. Monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens à vous décrire aujourd’hui le moment que nous avons vécu au conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté. Je ne reviendrai pas sur le fond ou sur la forme de l’intervention qui a déclenché l’incident, mais sur des circonstances qui illustrent l’ambiguïté totale dans laquelle nous nous trouvons, par rapport à la législation.

Les images diffusées sur les réseaux sociaux ne montrent pas le vrai moment : le moment où, dans l’assemblée, plus personne ne sait où l’on en est. La présidence ne suspend pas la séance, elle ne contredit pas l’intervenant. On voit des conseillers régionaux en venir aux mains, d’autres courir pour s’emparer des appareils photo de ceux qui viennent de les photographier, etc. Il a fallu un très grand nombre de minutes pour que nos travaux reprennent, le tout – j’y insiste – sans que la séance ait été suspendue.

Au moins, ce débat aura pour utilité de nous éclairer quant à l’état du droit aujourd’hui, car, à mon sens, celui-ci n’était pas clair. (M. le ministre manifeste sa circonspection.) Je ne reviendrai pas sur la dernière intervention de M. le rapporteur, qui, pour moi, était parfaite. Cela étant, je risquerai un parallèle.

Monsieur le ministre, dans son avis du 27 novembre 1989, rendu après l’affaire des filles de Creil, que dit le Conseil d’État ?

M. Bruno Retailleau. Il ne dit rien !

M. Alain Joyandet. Si, mon cher collègue, il dit tout de même quelque chose : on a le droit de porter le voile, mais, sous certaines réserves, les directeurs d’école peuvent l’interdire.

Hier, il s’agissait des filles de Creil, aujourd’hui, il s’agit des accompagnantes. Mais qui reviendrait sur la loi de 2004, laquelle a mis fin à cette ambiguïté pour les élèves ? Entre-temps, l’un de vos prédécesseurs, M. Bayrou, a dit non au voile à l’école, par la voie d’une circulaire et contre l’avis du Conseil d’État. Il a fallu une loi pour clarifier la situation.

Aujourd’hui, nous sommes exactement dans cette situation : nous avons besoin d’un texte qui clarifie, qui rende service aux directeurs d’école, qui facilite la tâche pour tout l’encadrement de l’éducation nationale. Quand vous-même dites : « Ce n’est pas interdit, mais ce n’est pas souhaitable », on devine votre embarras !

La proposition de loi que nous vous présentons aujourd’hui n’est pas un texte révolutionnaire.

M. Alain Joyandet. Elle ne fait que boucler la boucle de la laïcité dans nos établissements scolaires. Je le dis aux uns et aux autres : ne partons pas dans de grandes leçons au sujet de la laïcité !

M. le président. Il faut conclure.

M. Alain Joyandet. À mon sens, il s’agit d’une simple précision et, pour avoir vécu ces situations de l’intérieur, j’en suis persuadé : cette précision législative pourra ramener le calme dans nos établissements et dans nos assemblées ! (Bravo ! et applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et UC.)

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, sur l’article.

Mme Esther Benbassa. Cette proposition de loi n’est pas le premier texte à s’en prendre aux mères accompagnatrices voilées. La droite va mal, son mauvais score aux élections européennes le confirme. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Alain Joyandet. Voilà, des leçons de morale !

M. Stéphane Piednoir. Les communistes vont si bien !

Mme Esther Benbassa. En cette veille de municipales, elle cherche à mordre sur les plates-bandes de l’extrême droite, dans l’espoir de grappiller des voix.

En France, 35 % des musulmanes seulement portent le voile : le chiffre est modeste au regard la réprobation que le fait suscite chez certains. Il n’y a pas de quoi alarmer la population !

D’ailleurs, selon un récent sondage, la lutte contre l’islamisme, souvent confondu avec l’islam, n’intéresserait que 56 % des Français, la santé et la lutte contre le chômage venant largement en tête.

Voilà donc une droite faisant mine de lutter contre l’islamisme en enlevant leur voile aux mères accompagnatrices, quand d’autres, dignes héritiers de la vision paternaliste des colonisateurs d’antan,… (Protestations sur des travées des groupes Les Républicains et UC.)

M. François Bonhomme. Olé ! Olé !

Mme Esther Benbassa. … prétendent les émanciper des chaînes de l’oppression masculine musulmane. (Brouhaha.)

M. Stéphane Piednoir. Tout en nuances !

Mme Esther Benbassa. Marqueur identitaire pour beaucoup de femmes dans une France peinant à les intégrer, le voile est certes utilisé par des intégristes comme un signe de ralliement. Mais, heureusement, le libre arbitre est encore la règle : 70 % des musulmanes y seraient favorables,…

Mme Catherine Troendlé. Mais bien sûr !

Mme Esther Benbassa. … sans avoir obligatoirement à le porter.

Seule une laïcité inclusive nous mènera à l’intégration. La stigmatisation engendre le désordre en brisant la cohésion sociale. Occupons-nous plutôt des femmes battues et assassinées par leurs compagnons, de nos 9 millions de pauvres, ou encore du chômage, et luttons sérieusement contre la radicalisation avec un programme construit et de long terme !

M. le président. La parole est à M. Michel Savin, sur l’article.

M. Michel Savin. Nous débattons aujourd’hui de l’interdiction de la manifestation ostensible d’une appartenance religieuse, dès lors que la personne participe à une activité liée à l’enseignement : peu importe si cette dernière a lieu dans l’établissement scolaire ou en dehors.

Les lignes de fracture sont nombreuses : nous l’avons largement entendu au cours de la discussion générale. À cet égard, je fais mienne l’analyse livrée par M. le rapporteur et par mes collègues. Toutefois, il me semble déterminant que notre débat ne se focalise pas sur le port du voile, car il existe d’autres signes religieux susceptibles de provoquer des situations conflictuelles lors des sorties scolaires.

Je pense notamment à une problématique face à laquelle nous serions, me semble-t-il, très démunis. Prenons le cas d’une sortie scolaire au cours de laquelle une baignade est organisée dans un parc aquatique, sur un lac ou à la plage. Imaginons qu’une accompagnante arrive vêtue d’un burkini : en l’absence d’une législation portant sur la neutralité religieuse, quelle sera la réaction des enseignants face au port de cette tenue, qui est un signe religieux manifeste ?

La question du port du burkini a été largement relayée durant l’été. Le Gouvernement ne souhaite pas réellement traiter ce sujet, ce que je regrette : il me semble important que ce sujet ne soit pas instrumentalisé dans le cadre des sorties scolaires. Ainsi, l’on évitera toute dérive communautaire dans le cadre des sorties scolaires, mais aussi lors des activités liées à l’enseignement, que ce soit dans les établissements ou au-dehors.

Pour ces raisons, je soutiendrai le présent texte ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. David Assouline, sur l’article.

M. David Assouline. En préambule, je tiens à dire que je souscris, à la virgule près, aux propos prononcés il y a quelques instants par Laurence Rossignol.

Nous sommes pris dans une mâchoire, et l’on ne peut pas nier que ce débat est le symptôme du climat qui règne dans le pays.

À l’évidence, nous sommes face à une manœuvre politique. Il ne s’agit pas de régler un problème concret qui nous empêcherait de vivre ensemble. Personne ne peut dire aujourd’hui que, sur le front de la laïcité, le problème en milieu scolaire, ce sont les accompagnatrices : c’est, avant tout, le fait qu’un nombre croissant d’enfants soient retirés du système scolaire, pour être éduqués à domicile ou envoyés dans des écoles qui ne sont même pas déclarées, et où on les endoctrine. Réfléchissons aux moyens de lutter contre cela !

Et puis, mes chers collègues, y a-t-il oui ou non une montée du racisme antimusulman dans ce pays ?

Mme Esther Benbassa. Islamophobie !

M. David Assouline. Sommes-nous donc les seuls à le voir ? Non !

Quand M. Zemmour peut s’exprimer en direct sur LCI ;…

Mme Esther Benbassa. Islamophobie !

M. David Assouline. … quand M. Zemmour a pignon sur rue ; quand on permet à M. Zemmour de chroniquer dans la presse française tranquillement, alors qu’il a été condamné pour incitation à la haine religieuse et que le racisme est, non une opinion à débattre, mais un délit ; quand on est dans cette situation, on doit s’interroger sur l’opportunité des débats ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Alain Joyandet. Quel est le rapport ?

M. David Assouline. Je suis intransigeant dans la lutte contre l’islamisme politique…

M. Pierre Charon. Ce n’est pas évident !

M. David Assouline. … et, aujourd’hui, je reste Charlie ! Je le répète, ceux qui ont été tués le 7 janvier étaient mes amis ! Mais regardons l’histoire de ce pays et celle de cet hémicycle : qui s’est battu pour la loi de 1905 ?

M. Jean-Claude Requier. Les radicaux !

M. David Assouline. Qui s’est battu contre la loi Falloux ?

M. Jean-Claude Requier. Les radicaux !

M. David Assouline. Relisez les débats !

À l’inverse, qui a été soutenu massivement par Sens commun, lors d’une campagne électorale qui a mobilisé l’Église et tout le réseau privé catholique (Protestations sur des travées du groupe Les Républicains.),…

M. Jacques Grosperrin. Il ne faut pas tout mélanger !

M. David Assouline. … pour aller à l’encontre du mariage homosexuel, après avoir lutté contre le droit à l’avortement ? Qui ? (Applaudissements sur des travées du groupe SOCR.)

Je vous le dis très tranquillement,…

M. le président. Il faut conclure !

M. David Assouline. … dans un débat comme celui-là, il faut de la sincérité, faute de quoi l’on brouille les lignes. (Vives protestations sur des travées des groupes Les Républicains et UC.) Et je vois que les grands laïcs tolérants montrent leur vrai visage !

M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson, sur l’article. (Mouvements divers. – Oh là là ! sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme Esther Benbassa. Encore M. Masson ? Ce n’est plus possible !

M. Jean Louis Masson. Mes chers collègues, dans le cadre de cette proposition de loi, on parle beaucoup des femmes voilées, mais on ne parle pas du tout des enfants.

On dit que les femmes voilées ont des droits. Mais, lors des déplacements scolaires, trouvez-vous normal que vos enfants ou vos petits-enfants, qui, je l’espère, ne sont pas habitués à côtoyer l’obscurantisme voilé, soient encerclés par des femmes voilées qui font du communautarisme ?

Les enfants sont des usagers du service public : en cette qualité, ils ont le droit de ne pas être confrontés au prosélytisme communautariste.

Mme Esther Benbassa. Où est-il, le prosélytisme ?

M. Jean Louis Masson. J’ajoute qu’ils sont plus fragiles que les adultes !

On s’apitoie sur le sort de cette mère de famille : « La pauvre, quelle misère ! » Mais elle n’avait qu’à ne pas mettre son voile, elle n’aurait pas eu de problème : c’est tout ! La question était réglée.

Je le répète, est-ce que l’on pense aux enfants ?

Mme Esther Benbassa. On ne fait que cela !

M. Jean Louis Masson. On pourrait choisir n’importe qui pour les accompagner lors des voyages scolaires : pourquoi pas les sorcières d’Halloween, tant qu’on y est ? (Exclamations et protestations diverses.)

Mme Esther Benbassa. Ça suffit !

M. Fabien Gay. Faites-le taire !

M. Jean Louis Masson. C’est scandaleux ! Nos enfants ne doivent pas être pollués par ce type de prosélytisme. Ce n’est pas à nous de nous aligner sur les communautaristes ; c’est aux communautaristes qui vivent chez nous de s’aligner sur notre société ! Et, s’ils ne sont pas contents, ils n’ont qu’à retourner d’où ils viennent ! (Huées sur des travées du groupe CRCE.)

M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, sur l’article.

M. Guillaume Gontard. Quelle lourde responsabilité pour la majorité sénatoriale : elle a donné la parole aux extrêmes – on vient de l’entendre –, créé l’amalgame, clivé, divisé et stigmatisé. Nous n’avons pas besoin de cela et, par définition, nous n’avons pas besoin d’une loi inutile !

Au passage, je note que l’on s’en prend toujours aux mêmes : aux mamans, aux femmes. Mais pourquoi parler d’un sujet qui n’existe pas ? Pourquoi parler d’un non-problème ?

Chers collègues de la majorité sénatoriale, je vous pose la question : de quoi avez-vous peur ? Les valeurs de la République ne vous suffisent-elles plus ? Pourtant, la laïcité, c’est la liberté ; la laïcité, c’est l’égalité ; la laïcité, c’est la fraternité. La loi de 1905 assure ces valeurs, un point c’est tout.

Souvenons-nous des mots prononcés par Aristide Briand avant le vote de la loi de 1905 : « La réforme que nous allons voter laissera le champ libre à l’activité républicaine pour la réalisation d’autres réformes essentielles. »

Alors, passons à l’essentiel et parlons des vrais problèmes, c’est-à-dire l’urgence climatique, la santé, la précarité, la pauvreté qui augmente, avec plus de 9 millions de personnes touchées, les services publics qui ferment, nos biens communs qu’on abandonne. Mais peut-être ne voulez-vous justement pas en parler ?

Je citerai, pour conclure, une poésie de Brigitte Fontaine qui résume selon moi ce texte d’opportunité :

« Le voile à l’école

Frivoles paroles

Le voile à l’école

Folles fariboles ».

Faut-il donc en faire, à chaque réveillon, un plat que nous sert la télévision ? (M. Pierre Laurent applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, sur l’article.

M. Pierre-Yves Collombat. Mes chers collègues, je voudrais faire deux remarques.

Premièrement, certains de nos collègues pensent calmer les esprits avec ce type de proposition de loi. Or rappelez-vous la dernière fois où l’on a voulu régler définitivement le problème de la laïcité : c’était à l’époque du projet de grand service public unifié et laïque de l’éducation nationale, le SPULEN, qui a mis une bonne partie de la France dans la rue. Peut-être n’étiez-vous pas du même côté qu’aujourd’hui lors de ces manifestations ? Il faut donc toucher à ce sujet avec beaucoup de précaution !

Deuxièmement, on nous « bassine » – passez-moi l’expression ! – avec le service public de l’éducation nationale. Il s’agit certes d’un service public, mais c’est aussi plus que cela.

Ce n’est pas un service public comme celui de l’eau ou du gaz…

M. Pierre-Yves Collombat. C’est une ardente obligation et la condition nécessaire pour faire des esprits républicains, c’est-à-dire des esprits libres, capables, quoi qu’ils pensent, de se faire leur propre idée sur tout.

C’est cela, faire des consciences libres ! Voilà pourquoi on a procédé notamment à la laïcisation des personnels enseignants.

J’aimerais que l’on m’explique en quoi la présence d’une mère lors d’une sortie, et non entre les murs de l’école, qui a été sollicitée pour accompagner les enfants, et dont les cheveux sont masqués conformément aux préceptes de Tertullien, serait une atteinte à ce principe de formation des consciences libres. C’est se moquer du monde ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SOCR.)

M. le président. La parole est à Mme Nassimah Dindar, sur l’article.

Mme Nassimah Dindar. Puisque la présente proposition de loi tend « à assurer la neutralité religieuse des personnes concourant au service public de l’éducation », devons-nous considérer le poutou ou le kishali, que toutes les femmes mahoraises ou comoriennes portent sur la tête, comme des signes de distinction religieuse ?

Dieu sait, monsieur le ministre, si ces femmes demandent que l’on construise sur leur territoire, à Mayotte, des écoles de la République française pour que leurs enfants puissent recevoir l’enseignement que la République leur doit !

Considérons-nous, encore une fois, que le poutou porté par les Tamouls à la Réunion ou dans d’autres territoires par des personnes qui sont françaises, est un signe de distinction religieuse ?

Je comprends la proposition de loi. Je vous le dis très sincèrement, je vis sur un territoire français, le département de la Réunion, où toutes les cultures, toutes les religions, coexistent de manière pacifique. On a pu y voir, voilà quelques semaines, l’évêque remettre les insignes de la Légion d’honneur à un imam, et ce dans l’esprit de la République.

Je préfère que les femmes qui portent ce petit foulard ne soient pas assignées entre leurs murs, comme si elles n’appartenaient pas à la République, et qu’on ne les oblige pas à rester chez elles. En effet, dans ce cas, les enfants ne les reconnaîtraient pas comme faisant partie du système scolaire, tandis que, dans le même temps, on reconnaît un homme qui porte dans l’espace public ce qu’on appelle chez nous le bazou.

La mère de famille est un usager, même quand elle accompagne son enfant. Je connais la tolérance de notre collègue, et je ne doute pas un seul instant qu’elle nous soumet cette proposition de loi dans un esprit républicain.

Je vous le dis sincèrement, nous allons à contre-courant de ce que la République nous demande de faire en poussant ces femmes dans leurs retranchements.

M. le président. Il faut conclure !

Mme Nassimah Dindar. S’il faut lutter contre le radicalisme, et je suis bien consciente qu’il faut le faire, ce n’est ni en mettant la République et l’école sur le devant de la scène, ni en séparant les élèves ou les parents qui les accompagnent. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, LaREM, SOCR et CRCE.)

M. le président. La parole est à M. François Bonhomme, sur l’article.

M. François Bonhomme. Cela a été dit précédemment, le Conseil d’État, interrogé par le Défenseur des droits pour obtenir des clarifications sur le statut des accompagnateurs, a constaté, « à travers les réclamations reçues, que beaucoup d’incertitudes demeurent quant au champ d’application de ce principe de laïcité ». Il n’est donc pas illégitime de légiférer.

Pour autant, j’ai du mal à comprendre la position du Conseil d’État, que vous avez fait vôtre, monsieur le ministre, au prix de quelques contorsions, lorsqu’il énonce que les parents ont le statut de simples « usagers », n’exercent pas une mission de service public de l’éducation et ne seraient donc pas soumis au principe de neutralité, issu de la laïcité.

Il ne saurait être question de faire peser sur les directeurs la responsabilité d’interpréter les modalités applicables à ces accompagnants différemment selon les établissements ou selon le contexte. Cela doit en effet, à mon sens, relever de la loi, c’est-à-dire de la règle commune, sauf à s’engager sur la voie des accommodements déraisonnables, de surcroît quand il s’agit de l’école, et à aller contre une partie de notre héritage républicain.

C’est notre singularité, je crois, qui est précisément vilipendée parfois par les instances anglo-saxonnes qui, elles, ont fait le choix de reconnaître une forme de communautarisme. Or c’est l’honneur de notre histoire nationale que de faire de l’école un lieu sanctuarisé, dévolu à la transmission et protégé contre toute intrusion idéologique ou religieuse par le principe de neutralité religieuse.

Je ne crois pas qu’il faille que notre pays s’aligne peu à peu, d’accommodement en accommodement, sur le modèle de sécularisation qui prévaut dans d’autres pays européens, c’est-à-dire sur la laïcité libérale qui, au nom d’une conception dévoyée de la tolérance, laisse une place aux influences religieuses, quelles qu’elles soient, dans les lieux ou dans le temps de l’école.

L’école en dehors de l’école, à travers les sorties pédagogiques, c’est encore l’école !

Robert Badinter n’a pas dit autre chose sur la valeur de cette laïcité, qu’il a récemment qualifiée de « grande barrière contre le poison du fanatisme religieux ». Il a ajouté : « L’idée que l’on doit respecter l’autre signifie aussi que l’autre doit vous respecter. »

Il convient par conséquent de donner aux collaborateurs occasionnels du service public de l’éducation un statut spécifique, en fixant clairement leurs obligations et en tirant les conséquences de leur participation au temps pédagogique du point de vue du principe de neutralité, issu de notre laïcité. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Fabien Gay, sur l’article.

M. Fabien Gay. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a, d’un côté, le texte – je ne reviendrai pas sur notre opposition, Pierre Ouzoulias en ayant présenté les principales raisons – et, de l’autre, le contexte.

J’ai un différend avec M. le rapporteur, qui nous invite à ne pas tenir compte de ce contexte. Or on ne peut en faire fi !

Sans remonter à l’épisode de Creil que citait notre collègue, considérons ce qui s’est passé au cours des dernières semaines. Il y a d’abord eu la convention de l’extrême droite organisée par Marion Le Pen, Zemmour et compagnie, lesquels ciblent nos compatriotes musulmans comme un ennemi de l’intérieur. Puis l’agression verbale par un élu du Rassemblement national d’une femme qui donnait de son temps pour accompagner des enfants lors d’une sortie scolaire destinée à leur faire comprendre nos institutions. Je peux dire qu’il s’agit là de radicalité républicaine ! Et, hier, un attentat islamophobe a été orchestré par un individu, ex-candidat du Rassemblement national aux élections départementales.

Le climat est malsain et délétère à l’encontre de nos compatriotes de confession musulmane, en particulier les femmes qui portent le voile. Voilà le contexte !

On observe, en outre, une orchestration et une libération de la parole islamophobe, de la parole publique de l’extrême droite et d’une partie de la droite, et ce avec le soutien des médias. Un éditorialiste a tout de même comparé le voile à l’uniforme SS ! Un autre a dit qu’il quittait le bus dans lequel il était monté lorsqu’il y avait une femme voilée !

M. Pierre-Yves Collombat. C’est son problème ! (Sourires.)

M. Fabien Gay. Nous en sommes arrivés là !

Il faut arrêter cette stigmatisation parce qu’elle renforce le communautarisme que vous êtes censés vouloir combattre. Ce sont les deux côtés de la même pièce ! Cette haine et ce rejet de l’autre renforcent la stigmatisation, le repli sur soi et le communautarisme.

Il faut donc parler d’une voix claire et forte. Liberté, égalité, fraternité, tel est évidemment notre combat commun, mais c’est une autre question.

À la société de vigilance, qui conduit à une société de délation, je préfère une société de la confiance et du vivre ensemble qui veut aller vers un monde de paix ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)

M. le président. La parole est à Mme Sylvie Goy-Chavent, sur l’article.

Mme Sylvie Goy-Chavent. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a quelques décennies, la question du port du voile par des femmes accompagnatrices lors de sorties scolaires ne se posait pas. Aujourd’hui, malheureusement – on ne peut pas dire le contraire ! –, ce prosélytisme religieux prospère et de nombreuses femmes sont obligées de se voiler, même s’il est vrai que certaines choisissent de le faire.

J’ai trop vu, lorsque j’étais enseignante, des jeunes filles habillées à l’européenne être du jour au lendemain contraintes – ce sont elles qui me le disaient – de s’habiller avec des vêtements les couvrant de la tête aux pieds !

L’école de la République, dont vous êtes le garant, monsieur le ministre, et dont nous sommes tous ici les garants, doit rester gratuite, mixte, mais aussi laïque. Il est question ici non pas, bien sûr, de stigmatiser qui que ce soit, mais bien au contraire de garantir cette laïcité que vous avez tous défendue, mes chers collègues, lors de la discussion générale.

C’est pourquoi je voterai sans hésiter ce texte qui donne un cadre et aide les directeurs d’école, bien souvent pris entre le marteau et l’enclume, entre des parents qui se fâchent en voyant des femmes voilées et des femmes voilées qui insistent pour accompagner les sorties. Il faut donner un cadre, surtout à l’heure où des femmes se battent, dans le monde, pour avoir la liberté de porter ou non le voile, et finissent en prison.

Nous sommes aujourd’hui les garants de la laïcité et nous devons permettre aux jeunes filles qui n’ont pas envie de se voiler de ne pas rentrer dans le carcan de ce prosélytisme. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Samia Ghali, sur l’article.

Mme Samia Ghali. Cet après-midi, nous faisions visiter le Sénat à des mamans de Marseille.

Cette visite était organisée depuis six mois. Ce sont les hasards du calendrier ! (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) Vous savez très bien que les visites ne s’organisent pas au pied levé, mais bien en amont ! Celle-ci avait donc lieu le jour de la présentation de cette proposition de loi.

Les enfants qui accompagnaient ces mamans m’ont dit qu’ils ne comprenaient pas de quoi l’on parlait. Il a fallu leur expliquer, monsieur le ministre, ce que l’on était en train de dire. « Pourquoi ils veulent du mal à ma maman quand elle nous accompagne ? », ont-ils réagi. (Protestations sur les mêmes travées.) Oui, parce que c’est comme cela qu’ils le comprennent !

C’est ainsi que l’a compris également l’enfant qui s’est mis à pleurer, dans ce conseil régional, parce qu’on avait humilié sa mère en public !

M. Alain Joyandet. Vous n’y étiez pas !

Mme Samia Ghali. Je vous assure que j’aurais eu les mêmes larmes aux yeux et la même peine si on avait humilié ma grand-mère de cette façon-là !

M. Alain Joyandet. C’est du racolage !

Mme Samia Ghali. C’est vous qui faites du racolage auprès du Front national !

Où est la « douce France » de Charles Trenet, celle que nous chantions quand nous étions enfants ? Vous l’avez effacée pour laisser place à cette haine qui n’est pas la France, qui n’est pas la République et qui exclut, malheureusement, une partie des Français, lesquels ont aussi le droit d’exister.

Je veux répondre à Mme Goy-Chavent qu’il y a la liberté de ne pas porter le voile, mais aussi celle de le porter quand on choisit librement de le faire.

Interdire le voile, cela revient à reconnaître une conception de la liberté, un regard et un dress code qui vous conviennent, même s’ils ne conviennent pas aux autres. Prenez garde de ne pas devenir des extrémistes de cette liberté !

M. le président. La parole est à Mme Annick Billon, sur l’article.

Mme Annick Billon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, parce que j’estime qu’on ne doit pas laisser les directeurs seuls pour décider d’accepter ou non les signes ostentatoires lors des sorties scolaires, parce que j’estime que ces sorties effectuées sur le temps scolaire doivent respecter le principe de neutralité, parce qu’il est utopique d’imaginer qu’un enfant de quatre, six ou huit ans est capable de discernement, et de faire la différence entre un accompagnateur et un intervenant, mais aussi parce que je crois à l’égalité entre les femmes et les hommes et que je n’oublie pas que, dans certains pays, des femmes risquent la mort, car elles refusent de porter le voile, et parce qu’aucune religion n’impose le port du voile, parce que parfois aussi – je dis bien : « parfois » ! – le voile est un signe de soumission à l’homme,…

Mme Annick Billon. … je voterai la proposition de loi de notre collègue Jacqueline Eustache-Brinio.

Je n’accepte pas non plus que l’actualité tragique nous pousse à nous dédouaner de nos responsabilités aujourd’hui.

Mme Annick Billon. Ce contexte ne doit pas nous empêcher d’adopter une position, comme nous l’avions fait lors de l’examen du projet de loi pour une école de la confiance. Cette proposition de loi n’a pas créé le contexte ! (Bravo ! et applaudissements sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Mizzon, sur l’article.

M. Jean-Marie Mizzon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, quelle est la fonction première de la loi ? Protéger les plus faibles, les plus fragiles !

Or dans notre société, parmi les plus fragiles il y a, à l’évidence, les enfants, nous en sommes tous d’accord. C’est fort de ce constat que, depuis Jules Ferry jusqu’à aujourd’hui, tous ceux qui ont contribué à bâtir le système de l’école publique laïque l’ont composé de cette façon.

Parce que les enfants sont en croissance, le corps et l’esprit en évolution, ils ont besoin qu’on les protège.

Pour ma part, en cas de conflit d’intérêts entre un enfant et un adulte, je n’ai jamais hésité, j’ai toujours choisi l’enfant. Voilà pourquoi je voterai cette proposition de loi. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian, sur l’article.

Mme Sophie Taillé-Polian. Ce que vient de dire notre collègue me stupéfie ! De quoi faut-il protéger les enfants ?

Mme Catherine Troendlé. De l’image délétère de la femme !

Mme Sophie Taillé-Polian. En quoi le fait de voir une femme voilée, ou toute autre personne pourtant un signe ostensible d’appartenance à une religion, quelle qu’elle soit, serait-il une maltraitance, provoquerait-il une souffrance ?

Je vous confirme, mon cher collègue, que dans nos quartiers, lors des sorties scolaires ou devant la porte des écoles, des enfants voient des femmes voilées et des hommes portant tel ou tel signe d’appartenance à leur religion. Mais attention, ne confondons pas tout ! Comme cela a été dit à plusieurs reprises, il y a le texte et il y a le contexte.

Or le contexte dans lequel nous sommes est extrêmement alarmant et, avec cette proposition de loi, vous donnez du grain à moudre à ceux que vous prétendez combattre !

L’école sert, entre autres, à apprendre la culture du respect et de la compréhension de l’autre. Non, porter le voile, ce n’est pas forcément faire du prosélytisme, cela peut être un choix personnel.

J’en ai d’ailleurs un peu assez que l’on parle des « mamans », ce que l’on ne fait nulle part ailleurs.

M. Jacques Grosperrin. Elles sont là en tant que mamans !

Mme Sophie Taillé-Polian. Ce sont des femmes libres, pour la plupart, de choisir. (Brouhaha sur les travées du groupe Les Républicains.) Il ne faut pas les infantiliser ainsi !

Certaines de ces femmes font ce choix. D’autres, qui ne portent pas le voile, sont tout aussi asservies à leur domicile. J’aimerais que cesse ce féminisme de circonstance ! (Exclamations sur les mêmes travées.)

M. Max Brisson, rapporteur. Il faut lire le texte !

Mme Catherine Troendlé. Vous n’avez pas le monopole du féminisme !

Mme Sophie Taillé-Polian. Nous saurons vous redire, mes chers collègues de la majorité sénatoriale, notamment lors de l’examen du projet de loi de finances, à quel point vous n’êtes pas au rendez-vous de la lutte contre les féminicides et de l’égalité entre les femmes et les hommes ! (Protestations sur les mêmes travées.)

Je pense, quant à moi, que ces femmes sont, pour la plupart d’entre elles, des citoyennes qui font leur choix, que l’on soit d’accord ou non avec ce choix.

M. le président. Il faut conclure !

Mme Sophie Taillé-Polian. C’est à ce titre qu’elles interviennent au sein de l’école en tant qu’accompagnatrices, dans le cadre de leur choix personnel. En tant que parents, elles ont le droit de rester qui elles sont.

M. le président. La parole est à M. Rachid Temal, sur l’article.

M. Rachid Temal. Je vais essayer de calmer les passions… On le voit, ce texte suscite de nombreux débats, tout comme la question du voile dans la société française. Mais nous pourrions, d’abord, regarder quels sont nos points communs, les points qui nous rassemblent.

Dans cet hémicycle, nous sommes tous favorables au principe de laïcité. Il faut qu’on se le dise, il n’y a pas à cet égard deux camps qui s’opposent, même si nous pourrons avoir des débats le moment venu.

Nous sommes tous favorables à la lutte contre le communautarisme et l’intégrisme, d’une part, et contre les identitaires, de l’autre. Parfois, les deux ont partie liée et s’organisent ensemble parce qu’ils ont, les uns et les autres, comme l’a dit Laurence Rossignol, une vision particulière de la société française. Nous sommes là pour les combattre.

Nous pouvons également nous dire que l’égalité entre les femmes et les hommes est un objectif partagé et soutenu sur toutes les travées.

M. Rachid Temal. Nous pouvons aussi convenir que la question de l’unité nationale est un bien précieux, et que la laïcité est un élément essentiel qui permet à tous de croire ou de ne pas croire, et à toutes les religions de notre pays d’exister.

Il existe par ailleurs dans notre société des forces, de diverses origines religieuses, qui souhaitent que leur dogme dépasse la République. Nous devons les combattre.

Cela étant dit – et je crois que nous sommes d’accord sur ces points –, on peut se demander pourquoi ce texte est présenté.

S’il s’agit du bien de l’enfant et de son développement, on pourrait décider que des personnels de l’éducation nationale participent à chaque sortie scolaire et l’organisent, auquel cas la question de la présence des parents serait totalement réglée.

S’il s’agit du port du voile, la question posée concerne le prosélytisme religieux, que nous combattons. Mais, dans ce cas, quelle sera la prochaine étape ? Après l’école, il faudra aller toujours plus loin…

Je préfère une société qui organise aujourd’hui un débat sur le vivre ensemble et sur la façon de faire vivre la laïcité au XXIe siècle. Pour ma part, je ne suis pas favorable à ce que l’on modifie la loi de 1905, car elle nous permettra parfaitement d’avancer.

Je considère que cette proposition de loi est un texte d’opportunité qui n’apporte pas de réponse et ne résout rien. Je m’y opposerai donc. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR. – M. François Patriat applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Laurent Duplomb, sur l’article.

M. Laurent Duplomb. La question est simple. Si l’on considère que la sortie scolaire est le prolongement logique de la classe, et qu’il s’agit d’un temps scolaire au même titre que la classe, alors les règles qui s’appliquent dans ladite classe doivent aussi s’appliquer à l’extérieur. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.) C’est aussi simple que cela ! Le reste, c’est de la politique ou de la posture !

À titre personnel, si la question se posait, je voterais contre le principe d’une interdiction des signes religieux dans l’espace public. Or nous ne parlons pas de cela ! Le sujet est celui des sorties scolaires dans le cadre de la classe. Les règles doivent s’appliquer dans la droite ligne de ce que d’autres, avant nous, ont prévu dans les différentes lois relatives à l’espace scolaire – la classe, la cour – et aux intervenants. Il est logique d’appliquer les mêmes règles à l’extérieur de la classe, lorsqu’il s’agit de sorties dans le cadre scolaire. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je ne répéterai pas ce que j’ai déjà dit, mais j’aborderai la question de l’efficacité de la loi. Quelle serait en effet l’utilité d’un tel texte, à la lumière de tout ce que vous avez dit ?

La question de M. Joyandet permet de synthétiser plusieurs propos. Il a comparé cette proposition de loi avec la loi de 2004, dont je suis un très fervent partisan. Je l’étais déjà en 2004, lorsque j’exerçais les fonctions de recteur. Il y avait à l’époque, aussi, des débats autour de ce texte. Certains arguments avaient trait à sa non-applicabilité et à son éventuel caractère stigmatisant.

Vous avez eu raison de le rappeler, la loi de 2004 a été bien faite, de façon très réfléchie : elle n’a pas surgi d’un seul coup, mais était le fruit de travaux qui avaient duré de nombreux mois. Elle a été bien appliquée, et s’applique aujourd’hui encore de façon satisfaisante, et c’est une bonne chose.

On ne peut toutefois pas faire de parallèle entre cette loi et le texte qui est proposé, et pas seulement parce que le sujet a déjà été débattu ou a fait l’objet d’avis du Conseil d’État. La problématique est en effet différente, pour plusieurs raisons, comme on a pu s’en rendre compte au travers de plusieurs interventions.

La problématique est différente, d’abord et profondément, en raison de son hybridité : chacun peut avoir raison selon l’angle qu’il choisit. Il s’agit en effet, cela a été dit, du temps scolaire, mais pas de l’espace scolaire. On peut en discuter à l’infini, car la situation, encore une fois, est complètement hybride.

Je suis très sensible à la situation des directeurs d’école, qui a été évoquée, et dont je dois garantir qu’elle sera la meilleure possible par rapport à ce problème de société bien réel.

Certains directeurs d’école me disent qu’ils ont besoin de règles, car il y a un problème de prosélytisme à l’occasion de sorties scolaires. D’autres considèrent qu’il ne faut surtout pas adopter une loi parce qu’ils n’arriveraient pas à la faire appliquer, certaines mères d’élèves étant voilées, mais sans aucune velléité de prosélytisme. Par ailleurs, dans certaines écoles, les directeurs n’ont pas le choix, car toutes les mères sont voilées.

Nous connaissons tous des exemples de directeurs d’école qui sont dans une situation inconfortable, dans un cas comme dans l’autre. C’est pourquoi j’ai insisté dans mon propos sur le fait que le droit actuel n’était pas muet. Lisez l’avis du Conseil d’État, qui n’est d’ailleurs qu’un avis et pourra être complété par des jurisprudences ultérieures…

Mme Françoise Laborde. C’est une étude !

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Vous avez raison, madame la sénatrice !

Selon cette étude, donc, qui fait le point sur le droit existant, il est loisible à un directeur d’école, avec le soutien de son ministre – mes propos ont été très clairs à cet égard –, d’interdire un accompagnement si la personne a des visées prosélytiques.

Vous pouvez, de chaque côté de l’hémicycle, décrire la réalité de deux façons différentes, car les deux aspects coexistent. Il existe des manières totalement naturelles et normales de vivre sa religion, quand d’autres correspondent à des poussées communautaristes dans certains quartiers. Encore une fois, les deux réalités coexistent. On peut donc toujours argumenter dans un sens ou dans un autre, et la loi viendra en quelque sorte écraser le réel.

Certains sujets sont en deçà de la loi et relèvent des pratiques quotidiennes. Nous ne devons pas laisser les directeurs d’école démunis. C’est pourquoi nous avons édicté des règles, via le vade-mecum de la laïcité et le Conseil des sages de la laïcité, de façon à nous adapter au cas par cas.

Soyez assurés que ma consigne au quotidien, notamment vis-à-vis des inspecteurs de l’éducation nationale, est d’aider les directeurs d’école confrontés à cette situation.

Encore une fois, ne généralisons pas ! Certaines situations de communautarisme confinent au prosélytisme actif, ne le nions pas. Mais il y a aussi des situations naturelles, qu’il convient de ne pas exagérer. Ces deux cas existent, nous le savons. L’état du droit et de la pratique doit donc permettre d’y faire face. Les textes dont nous disposons ainsi que mes discours adressés aux cadres de l’éducation nationale nous donnent les moyens de faire face à ces réalités.

Il est important, à ce stade du débat, de poser la question de l’utilité et de l’efficacité d’une telle proposition de loi si elle était adoptée, car les conséquences seraient contraires à l’objectif visé, ce qui n’était pas le cas pour la loi de 2004. Premièrement, elle aboutirait à uniformiser les réponses, alors qu’il n’y a pas lieu de le faire. Deuxièmement, elle cliverait, alors même que nous souhaitons emmener tous les enfants de la République dans la même direction.

Les exemples en outre-mer sont intéressants de ce point de vue. Les situations étant différentes, nous devons les régler différemment dans un esprit républicain.

Ayons confiance dans la République et dans le message des Lumières que nous donnons au travers de l’école de la République !

Vous avez raison, monsieur Assouline, la principale question est non pas ce dont nous parlons aujourd’hui, mais d’éviter les écoles hors contrat fondamentalistes, l’instruction à domicile totalement radicalisante, etc.

M. Loïc Hervé. Très bien !

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. La principale question, c’est de faire en sorte que tous les enfants aillent à l’école et qu’ils soient portés par une pensée pour laquelle, parce que nous y croyons, nous ne devons pas être sur la défensive : la pensée des Lumières. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM, ainsi que sur des travées des groupes Les Indépendants, UC et SOCR.)

M. le président. L’amendement n° 10, présenté par M. Magner, Mme S. Robert, MM. Kanner, Antiste et Assouline, Mmes Blondin, Ghali et Lepage, MM. Lozach, Manable et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Jacques-Bernard Magner.

M. Jacques-Bernard Magner. Il s’agit d’un amendement de suppression de l’article 1er. Certes, la commission de la culture et de l’éducation a modifié le texte de la proposition de loi. Mais cette modification ne va, en aucun cas, améliorer l’état du droit existant, ou apporter, comme elle prétend le faire, une aide aux chefs d’établissement. Au contraire, elle tend à accentuer la confusion juridique en étendant à davantage de personnes, d’une part, une interdiction et, d’autre part, l’obligation de respecter des valeurs.

Le texte dont nous débattons aujourd’hui, sous couvert d’appliquer une laïcité sans concession, ne comblera aucun éventuel vide juridique. À l’inverse, il va complexifier l’état du droit tout en stigmatisant une catégorie de citoyens, des parents d’élèves et, par là même, leurs enfants. Nous ne sommes pas dupes quant au but de ce débat.

En voulant étendre un article du code de l’éducation, issu de la loi de 2004, portant une interdiction destinée aux seuls élèves, qui – je le rappelle – sont des usagers particuliers du service public de l’éducation puisqu’ils sont soumis à l’obligation scolaire, le Sénat est en train de créer un amalgame entre deux catégories juridiquement distinctes : les agents du service public, qui doivent respecter la plus stricte neutralité dans l’exercice de leurs fonctions, et les usagers, soumis à une simple obligation de discrétion liée à la nécessité du bon fonctionnement du service, auxquels la jurisprudence constante depuis 2013 a toujours assimilé les parents d’élèves, notamment en tant qu’accompagnateurs.

En commission, le rapporteur a visé, de façon très large, toutes les personnes qui participent au service public de l’éducation et à tout moment ; le texte est ainsi potentiellement étendu aux intervenants extérieurs.

Est ainsi créée une nouvelle catégorie, qui correspond à une sorte de croisement entre la catégorie d’usager et celle d’agent public : celle des personnes « qui participent au service public de l’éducation ». Le problème est que cette nouvelle catégorie n’est absolument pas définie par la loi et que ses contours juridiques pour le moins incertains ne manqueront pas d’entraîner des contentieux. Qui dit participants et obligations dit également droits et, éventuellement, traitements liés à la fonction de participant.

Par ailleurs, le rapporteur ne cesse d’invoquer la très récente décision de la cour administrative d’appel de Lyon du 23 juillet 2019, laquelle admet que l’exigence de neutralité puisse être appliquée – ce n’est pas une obligation ! – aux parents d’élèves.

Ainsi, ces dispositions risquent d’entraîner des conséquences administratives et juridiques importantes, et peuvent être de nature anticonstitutionnelle. C’est la raison pour laquelle le groupe socialiste vous propose la suppression de cet article. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Max Brisson, rapporteur. Adopter cet amendement reviendrait à rejeter l’article unique de la proposition de loi initiale, et donc le texte…

M. Rachid Temal. Ce serait ballot !

M. Max Brisson, rapporteur. Or la construction de celui-ci repose sur le fait – Laurent Duplomb l’a fort bien rappelé – que la sortie scolaire est considérée comme du temps scolaire, et donc comme une projection de la classe à l’extérieur des murs. Je ne changerai pas d’avis, parce que c’est sous cet angle, et sous aucun autre, que nous avons examiné cette proposition de loi et l’avons travaillée.

La classe, c’est la classe dans les murs et hors les murs. Je ne vois pas pourquoi ce qui vaut pour la classe dans les murs ne vaudrait pas lorsque cette classe se déroule hors les murs, par exemple à l’occasion de la visite d’un musée.

M. Pierre-Yves Collombat. Parce que les activités sont différentes !

M. Max Brisson, rapporteur. J’ai proposé un amendement qui élargit l’exigence de neutralité à toute activité liée à l’enseignement, en m’appuyant d’ailleurs sur la jurisprudence de la cour administrative d’appel de Lyon, qui peut-être vous gêne, mes chers collègues, mais qui existe bel et bien.

Demain, un intervenant qui entrera dans une classe ne pourra pas afficher sa croyance en vertu non pas de la proposition de loi, mais de l’arrêt du 23 juillet 2019 de la cour administrative d’appel de Lyon.

Donnez donc un cadre, monsieur le ministre ! J’ai apprécié votre intervention, mais je pense que lorsque deux directeurs, dans une même commune, prennent, dans un contexte tout à fait comparable, des décisions différentes sur un même sujet, cela n’est pas satisfaisant du point de vue de l’application des politiques publiques.

On peut avoir un avis divergent, mais, pour ma part, j’estime que les directeurs ne peuvent pas être laissés ainsi seuls face à leurs responsabilités. Le législateur doit avoir le courage de fixer le cadre que ces derniers appliqueront en toute clarté.

Finalement, et ce sera le seul moment où mon propos débordera du seul sujet de l’école, je veux dire que c’est cette laïcité intransigeante qui a construit l’école publique dans les campagnes de France à la fin du XIXe siècle. Une laïcité accommodante n’aurait pas permis de construire la même école publique dans notre pays. On peut changer de position vis-à-vis de l’école, mais alors il faut l’assumer. En ce qui me concerne, et avec beaucoup de mes amis, je m’en tiendrai à cette idée d’une laïcité intransigeante pour l’école, parce que c’est ainsi qu’elle s’est construite et que son caractère d’exception s’est façonné dans le temps.

Au nom de la commission, je vous propose de ne pas supprimer cet article, et donc d’émettre un avis défavorable sur l’amendement, pour protéger ce bien précieux, cet héritage que nous devons aux pères fondateurs de l’école publique et qui fait toute la spécificité de l’école française.

Cette école, il faut la protéger, et je vous propose de parachever le travail. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Avis favorable.

M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.

M. David Assouline. Cette explication de vote me permettra de compléter mon propos. Le problème, c’est la sincérité de notre débat, sur laquelle je terminais mon intervention précédente. Ceux qui ont jusqu’à présent défendu l’autonomie des établissements, le fait de juger au cas par cas, l’idée selon laquelle la loi ne peut pas tout régler dans le service public et notamment celui de l’éducation, disent aujourd’hui que cette proposition de loi est absolument nécessaire.

Je suis d’accord avec le ministre sur le fait qu’il y a voile et voile, que chaque situation est particulière et que le baromètre doit être le prosélytisme. Si ceux qui sont sur le terrain considèrent que le port d’un habit ou d’un signe ostentatoire quelconque est une manifestation de prosélytisme, alors ils peuvent sévir.

Pourquoi ai-je parlé de sincérité ? Parce que pour être crédible sur la laïcité, sur l’intransigeance par rapport à l’islamisme politique qui est un ennemi irréductible, alors il faut l’exiger complètement. Par exemple, on ne peut pas continuer à convoquer au concert des nations respectables celles qui financent massivement dans tous les quartiers de notre pays, et dans plusieurs autres, l’islamisme politique, au travers notamment des œuvres sociales et éducatives, et pas seulement religieuses. Si l’on est intransigeant sur ce point, alors j’écoute, car je me dis que le propos est sincère. Mais quand ceux qui tiennent ce discours laissent filer, alors que ce prosélytisme est bien plus massif que celui qui pourrait être pratiqué lors des sorties scolaires… (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Je pense aussi – vous verrez, mes chers collègues, que nous aborderons bientôt cette question dans l’hémicycle, parce que le phénomène devient important et qu’il menace, comme l’islamisme politique, l’équilibre du monde – aux évangélistes, qui ont dicté la position de George W. Bush dans la guerre, tout comme celle de Trump. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) Ils dictent la position du chef d’État brésilien et, dans nos quartiers, ils agissent massivement, avec des moyens énormes. J’espère que nous aurons la même intransigeance à leur égard ! (Protestations et sifflets sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Bruno Retailleau. Hors sujet !

M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.

M. Pierre Ouzoulias. Je veux revenir au fond et au droit. Chers collègues de la majorité sénatoriale, vous nous avez expliqué à plusieurs reprises ici, dans cet hémicycle, que cette loi était une étape fondamentale, essentielle, pour faire progresser la laïcité et qu’elle était, par ailleurs, un moyen de défendre la liberté des femmes.

Pourquoi n’avez-vous alors pas adopté cette disposition dans le cadre de l’examen de la loi Blanquer ? Je suis désolé, monsieur le ministre, mais je lui donne votre nom… Pourquoi avez-vous accepté en commission mixte paritaire d’écarter cette disposition, si elle était aussi fondamentale que ce que vous nous présentez maintenant ?

Par ailleurs, vous avez fait adopter, avec l’accord du Gouvernement, une disposition beaucoup plus large, qui interdit toute forme de prosélytisme lié à l’enseignement. Expliquez-nous pourquoi, alors que vous avez fait voter cet amendement fort, vous nous dites maintenant qu’il est absolument inutile ?

M. Max Brisson, rapporteur. Vous vous répétez !

M. Pierre Ouzoulias. Enfin, je veux évoquer un point fondamental : je suis élu des Hauts-de-Seine, où aujourd’hui les petites filles qui ne veulent pas enlever leur voile vont à l’école privée confessionnelle, qui les accepte. Si vous considérez que le voile est une forme de joug pour les filles, comme je l’ai dit à propos de Tertullien, pourquoi ne l’interdisez-vous pas dans l’école privée ? Soyez logiques, allez jusqu’au bout de votre démarche laïque et féministe ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SOCR.)

M. le président. La parole est à M. Rachid Temal, pour explication de vote.

M. Rachid Temal. Le rapporteur nous dit qu’il s’agit toujours de la classe, qu’elle soit dans les murs ou hors les murs. Je repose la question : puisque, dans les murs, interviennent des personnels de l’éducation nationale ou des agents des communes, pourquoi, dans votre système, ne pas faire la même chose hors les murs ? Cette solution permettrait de résoudre les problèmes. Il faudrait se mettre d’accord.

Par ailleurs, et mon collègue vient de l’évoquer, si la loi devait être votée, nous aurions dans une même commune des écoles privées, dans lesquelles les parents pourraient porter des signes religieux, et d’autres, pas très loin, dans la rue d’à côté, où les parents ne pourraient pas en porter. La question de la laïcité est tout de même variable ! (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) À un moment donné, si l’on veut que la loi, quelle qu’elle soit, soit acceptée par nos concitoyens, il faut de la cohérence, du sens. Allez jusqu’au bout de votre logique !

Nous sommes, je l’ai dit précédemment, pour la laïcité, pour le combat contre tout prosélytisme. Cela passe par des propositions cohérentes : c’est la raison pour laquelle nous souhaitons la suppression de cet article.

M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour explication de vote.

M. Jean Louis Masson. Je veux le souligner, on ne peut pas laisser des directeurs d’école décider eux-mêmes d’autoriser ou non l’accompagnement par les mères ayant un voile. Pourquoi ? Parce que cela conduit à une République à deux vitesses. Dans certaines écoles, pour des raisons personnelles ou d’appartenance religieuse par exemple, le directeur pourra dire qu’il s’en moque si un fourgon de femmes voilées vient accompagner les enfants. Dans d’autres, on dira que cela ne va pas et qu’on fait respecter une vraie laïcité. Il existe donc un véritable problème.

L’argument de M. le ministre selon lequel il faut autoriser les femmes voilées parce qu’elles sont nombreuses dans certaines écoles est scandaleux. Cela signifie que les enfants de cette école issus d’un milieu qui n’a rien à voir avec les femmes voilées, même s’ils ne sont que dix, subiront cet environnement. Je l’ai dit précédemment, c’est comme si on prenait comme accompagnatrices des personnes déguisées en sorcières pour Halloween ! Voilà le problème ! On a le droit de ne pas tolérer d’être entouré par de telles personnes. Nous sommes dans un régime de liberté : les communautaristes n’ont pas à empiéter sur la liberté des autres ou à faire du prosélytisme à l’égard d’enfants en bas âge qui risquent d’être influencés.

M. le président. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet, pour explication de vote.

M. Jean-Raymond Hugonet. Si j’en juge par le nombre de caméras et de télévisions présentes dans la salle des conférences, le sujet dont nous discutons aujourd’hui intéresse beaucoup de monde, à l’intérieur et à l’extérieur de cet hémicycle…

M. Pierre Laurent. C’est le système médiatique !

M. Pierre-Yves Collombat. Ils ne sont intéressés que par ce qui est insignifiant !

M. Jean-Raymond Hugonet. C’est le premier point.

Comme à notre habitude, nous avons, au sein de la Haute Assemblée, un débat particulièrement intéressant, d’un haut niveau et relativement serein, mis à part quelques saillies excessives que nous devons tout de même, mes chers collègues, entendre, car elles sont une expression démocratique.

Je veux saluer le rapporteur, qui a mis le point technique – le statut des accompagnateurs – au cœur de notre désaccord. Sont-ils uniquement des usagers ou peuvent-ils être des collaborateurs occasionnels du service public ?

Pour ma part, j’estime que les sorties scolaires ont un contenu pédagogique : les accompagnateurs sont donc clairement des collaborateurs occasionnels du service public dans une école hors les murs, comme Max Brisson l’a très bien dit. C’est ce qui va expliquer mon vote.

Puisque Aristide Briand a été cité plusieurs fois sur d’autres travées de cet hémicycle, je voudrais qu’il le soit également sur les travées de notre groupe. D’ailleurs, le président de notre assemblée ne s’y est pas trompé, puisqu’il le citait hier dans les médias. J’aimerais donc que l’on médite cette citation d’Aristide Briand : « La loi doit protéger la foi aussi longtemps que la foi ne prétend pas dire la loi. » (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Jacques-Bernard Magner, pour explication de vote.

M. Jacques-Bernard Magner. Monsieur le ministre, j’ai bien enregistré votre soutien à cet amendement de suppression de l’article 1er et je vous en remercie. J’ai apprécié, comme beaucoup d’entre nous, je pense, sur ces travées, votre intervention claire sur cette question.

Monsieur le rapporteur, une nuance doit être apportée dans ce débat sur la nature pédagogique ou non de la sortie scolaire. Qui dit sortie pédagogique dit préparation de cette sortie, avec des professionnels qui l’organisent. Or, à ma connaissance – j’ai fait un certain nombre de sorties pendant ma carrière d’enseignant –, l’enseignant n’invite pas les accompagnateurs lors de la préparation de la sortie, il demande simplement, en espérant avoir des réponses positives, de l’aide aux parents, pour la partie non pas pédagogique, mais « logistique », si je puis dire, de la sortie : pour habiller les plus petits, faire traverser la rue aux enfants. Mes chers collègues, vous le savez aussi bien que moi pour avoir, soit en tant que parent, soit en tant qu’enseignant, participé à ce type de sortie.

Il ne peut donc pas y avoir d’ambiguïté. Si l’on rejette les bonnes volontés qui, avec ou sans voile, viennent au secours des enseignants quand cela est nécessaire – il n’est pas possible matériellement que des professionnels assurent toutes les sorties –, on se trompe de République ! (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR. – M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Alain Joyandet, pour explication de vote.

M. Alain Joyandet. Monsieur le ministre, je vous remercie de vos propos, car vous nous apportez vous-même les arguments sur l’utilité de ce texte de précision – c’est de cela qu’il s’agit au fond dans notre esprit.

Vous avez dit que, sur le terrain, des directeurs d’école ont affaire à des femmes voilées qui ne posent aucun problème, tandis que d’autres sont confrontés à des mères qui font du prosélytisme – cela existe sur le terrain.

M. Pierre Laurent. Combien de cas ?

M. Alain Joyandet. Alors ma question est simple : que pourrez-vous répondre à votre directeur d’école s’il n’a pas de loi sur laquelle s’appuyer pour refuser la présence de ces personnes ?

Sous prétexte de ne pas déplaire à des femmes qui ne posent pas de problème, vous vous privez d’un argument juridique fort ! Que va-t-il se passer ? Vous allez dire à votre directeur de ne pas autoriser de telles situations pour respecter votre circulaire. Comme avant la loi de 2004, un contentieux va surgir, et le juge dira que la loi est claire, qu’elle n’interdit pas le port du voile aux accompagnateurs, et que le directeur d’école a donc tort.

Un jour ou l’autre, vous allez être obligé de légiférer, certes peut-être moins dans l’urgence, mais vous devrez le faire. Vous nous avez vraiment donné le bon argument : nous sommes totalement dans l’ambiguïté. Vous avez même dit que la loi actuelle nous permettait d’agir au cas par cas. Mais comment est-ce possible ? La loi, c’est la loi, et elle est la même pour tout le monde. Cela me choque d’entendre un ministre dire que la loi permet d’agir au cas par cas.

Je sais, monsieur le ministre, qu’un de nos prédécesseurs illustres ici disait toujours : « On ne sort de l’ambiguïté qu’à ses dépens. » Si, pour une fois, nous pouvions sortir de l’ambiguïté pour servir la République laïque, ce serait vraiment bien ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Pierre-Yves Collombat. C’est une citation d’un grand ecclésiastique !

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Je ne vais pas répondre à chaque intervention, de nombreux arguments ayant été échangés, mais puisque vous rebondissez précisément sur mes propos, monsieur Joyandet, je voudrais dire de la manière la plus claire, si je ne l’ai pas été assez, que l’état du droit permet à un directeur d’école d’empêcher un accompagnement dans ce cas-là.

Comme l’a très bien dit M. Ouzoulias, vous avez, mesdames, messieurs les sénateurs, renforcé cette possibilité en votant une disposition dont nous n’avons pas assez mesuré l’impact pour le futur : il s’agit de l’article 10 de la loi pour une école de la confiance qui interdit tout prosélytisme aux abords des établissements.

J’ai écouté avec attention les discussions qui ont eu lieu au Sénat, et je les ai articulées avec les éléments du terrain dont je dispose. L’article 10 est absolument essentiel pour la suite. Dans l’exemple que vous citez, le directeur d’école aura une base juridique suffisamment solide pour faire ce qu’il souhaitera, et il aura évidemment son ministre avec lui.

En procédant ainsi, c’est-à-dire de façon pragmatique et souple, nous évitons d’entrer dans une casuistique législative dans laquelle certains essayent de vous précipiter. Quand je dis « certains », je vise ceux qui, sur le terrain, essayent de faire avancer le communautarisme. Cette casuistique vous obligerait à faire une loi chaque fois qu’un vêtement vous paraîtrait bizarre ou chaque fois qu’on commencerait à trouver que quelque chose ne va pas. Dans les faits, cela est impossible et nous dévie d’ailleurs du but essentiel, qui est de lutter réellement contre le communautarisme et la radicalisation.

Je l’ai dit, il y a des sujets très importants que nous devons regarder en face. C’est la raison pour laquelle je recherche tant l’unité nationale sur un tel sujet. C’est aussi pour cela que je me désole des polémiques qui surgissent chaque fois que l’on essaye de parler sobrement de ce sujet. Regardez toutes les insultes que j’ai subies depuis dix jours pour avoir tenu un simple propos, encore une fois complètement identique à ce que Robert Badinter a dit. Je sais que vous-même subissez des insultes en tous genres dès que l’on parle de ces questions.

Aujourd’hui, nous devons, chacun avec ses convictions, essayer d’aller vers ce qui nous rassemble, c’est-à-dire le respect de la laïcité et la lutte contre le communautarisme. Cela passe par un pragmatisme de terrain, parce que nous ne pouvons pas faire face à des phénomènes différents avec une règle unique, qui, en quelque sorte, « écraserait » le réel.

Donc, je le répète, dans le cas que vous citez, la situation juridique serait suffisamment solide pour que le directeur fasse ce qu’il a à faire. Une loi qui irait dans le sens que vous souhaitez serait, je le crains, contre-productive eu égard aux objectifs que vous affichez et que, par ailleurs, je peux partager.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Max Brisson, rapporteur. J’ai souhaité que le débat soit centré sur l’école et soit digne. Depuis quelques instants, nous avons une véritable discussion, dans laquelle s’affrontent des visions différentes, sur des questions qui peuvent nous séparer. J’ai toujours parlé très sobrement de ce sujet. En tant que rapporteur, j’ai veillé à ce que le travail des sénateurs membres de la commission de l’éducation et la culture, qui s’est traduit par un rapport fort, ne soit pas altéré – la dernière réunion de notre commission l’a d’ailleurs, je le crois, montré.

Je voudrais revenir sur les interventions de Rachid Temal et Jacques-Bernard Magner, qui ont évoqué l’école avec des propos sur lesquels j’ai des divergences que j’assume.

On évoque l’école dans les murs, et l’école hors les murs. Des intervenants extérieurs entrent dans l’école dans le cadre d’activités liées à la classe. Avant la décision de la cour administrative d’appel de Lyon, ceux-ci pouvaient afficher leur croyance. Ils ne le peuvent plus dans les murs, dans la classe, au cours de l’activité liée à l’enseignement. Je vous propose, mes chers collègues, de projeter cette vision hors les murs, en considérant que la sortie est une activité liée à l’enseignement. On peut travailler sur ce point, car nous sommes là, me semble-t-il, au cœur du sujet.

S’agissant du rôle de l’adulte, Jacques-Bernard Magner nous a fait part de son expérience de professeur des écoles – d’instituteur certainement à son époque. Comme je l’ai dit lors de mon intervention à la tribune, j’aimerais que l’on se place du point de vue de l’enfant. Comment peut-on demander à un enfant de faire cette subtile nuance de statut, qui fait que le règlement exige de l’adulte qui est à ses côtés d’être motus et bouche cousue ? Au contraire, nous partageons une vision commune du rôle et des apports des parents à l’école, et de la coéducation. Je ne peux pas penser qu’un adulte puisse être strictement limité à compter les élèves, par exemple. Pour l’enfant, l’adulte est porteur de repères.

On en revient au sujet de fond : nous demandons seulement de ne pas afficher sa croyance dans le cadre d’une activité liée à l’enseignement, ni plus ni moins, et de faire l’effort du vivre ensemble et du respect de l’école publique. On peut afficher sa croyance, y compris à l’école, lorsque l’on vient remplir des papiers administratifs ou payer les droits de cantine. Mais lorsque l’on participe à l’activité liée à l’enseignement, on fait cet effort. De la sorte, on respecte la conscience des enfants. Voilà ce qui peut nous séparer sur le rôle de l’adulte.

Notre débat sur l’école me semble à la fois apaisé et digne, même si nous avons eu, comme on devait s’y attendre, quelques moments plus difficiles. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme Annick Billon. Très bien !

M. le président. La parole est à M. François Bonhomme, pour explication de vote.

M. François Bonhomme. Je veux indiquer à mes collègues, en faisant preuve – je l’espère – de sobriété, que l’objet de cet amendement de suppression évoque un « éventuel vide juridique ».

Ce vide juridique est établi ! Nous avons des décisions de justice, du tribunal administratif de Nice ou de la cour administrative d’appel de Lyon, qui sont différentes. On ne légifère pas par plaisir, mais parce qu’une question est en suspens et met précisément en difficulté les chefs d’établissement ou les directeurs d’école.

Monsieur le ministre, vous ne souhaitez pas intervenir, mais je pense que, malheureusement, la réalité va vous rattraper dans quelques mois, lorsque ces chefs d’établissements vont se retrouver en porte-à-faux et seront mis en difficulté.

Ce n’est pas une vue de l’esprit, ce n’est pas quelque chose que l’on invente pour le plaisir d’une polémique ou d’un débat difficile ! C’est justement parce que la question est ardue que l’on doit intervenir, de manière sobre comme l’a dit notre rapporteur. Nous voulons uniquement préciser que les agents qui interviennent dans le cadre du service public, hors de l’école, mais dans le temps scolaire, pour des sorties, doivent être soumis à certaines règles. C’est tout de même extrêmement clair et limité, mais aussi véritablement nécessaire.

J’entends parfois ce débat déborder sur d’autres sujets. Nous parlons là de l’école, l’institution républicaine la plus importante, qui doit être préservée de toute intrusion de quelque nature qu’elle soit, y compris religieuse. La réaffirmation du principe de laïcité me semble essentielle.

Juste un point sur la sobriété lexicale. L’utilisation du terme « stigmatiser » dans l’objet de cet amendement est malvenue. On emploie ce mot à tout bout de champ : en 2004 par ceux qui étaient opposés à l’époque à la loi, en 2010 quand il s’agissait d’interdire la dissimulation du visage dans l’espace public, et chaque fois qu’un problème se pose.

Ce vocabulaire devrait garder sa signification première : je vous le rappelle, stigmatiser signifie « marquer des stigmates », en référence aux blessures du Christ en croix. C’est en quelque sorte un retour du refoulé ! Ce genre de vocabulaire ne participe pas à la sobriété des débats. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Françoise Gatel, pour explication de vote.

Mme Françoise Gatel. Mon intervention sera décalée, car je voudrais répondre avec beaucoup de respect et d’amitié au président Kanner, au président Assouline, à Pierre Ouzoulias et à Rachid Temal.

J’ai entendu ce que vous disiez sur la cohérence dont nous devrions faire preuve pour défendre l’école de la République, puisque l’école est bien le creuset de notre société et des valeurs dont nous ne cessons de parler.

Cher Max Brisson, il y a longtemps que nous avons quitté l’école, nous nous sommes envolés et non pas « envoilés ». (Sourires.) Nous ne sommes plus hors les murs, puisque nous parlons du problème de communautarisme qui existe dans notre société.

Cher président Kanner, vous avez loué les positions que défend la gauche depuis un certain nombre d’années en faveur de la République et de la laïcité. Permettez-moi de vous dire, sans polémiquer, que je m’étonne que vous n’ayez pas, dans cet esprit de cohérence évoqué par Rachid Temal, voté le texte sur l’école privée hors contrat, qui me semblait pourtant tout à fait répondre à la philosophie qui est la vôtre. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.

Mme Laurence Cohen. Premièrement, puisque l’on parle de cohérence, je veux dire que je soutiens les propos qu’ont tenus mon collègue Pierre Ouzoulias et M. le ministre.

Finalement, la loi pour une école de la confiance a posé un acte très fort : l’interdiction de toute forme de prosélytisme. Je ne vois donc pas pourquoi, chers collègues, vous revenez sur le sujet.

Deuxièmement, vous appelez à rester dans le champ de l’école. Soyez cohérents !

J’entends qu’il y aurait une école dans les murs et une école hors les murs. Il y aurait donc un contenu pédagogique dans les sorties scolaires. (Eh oui ! sur les travées du groupe Les Républicains.)

Certes ! Toutefois, comme un de mes collègues l’a déclaré, ce sont les enseignants qui travaillent lors des sorties scolaires. On ne demande pas aux accompagnateurs de jouer un rôle pédagogique.

Or, si l’on va jusqu’au bout de la logique que vous dévidez à longueur d’interventions et que je ne partage pas, celle d’une école dans les murs et d’une école hors les murs, alors les accompagnateurs ont un rôle pédagogique, appartiennent à l’éducation nationale et ne doivent plus être bénévoles, mais rémunérés. (Exclamations sur les mêmes travées.) J’essaie simplement de suivre votre raisonnement !

Troisièmement, il n’y a pas besoin de renforcer la loi. En effet, la loi sur la laïcité de 1905 est suffisante, car elle est d’abord et avant tout une loi de liberté.

Par conséquent, nous nous interrogeons sur l’opportunité de la présente proposition de loi, qui instrumentalise un problème pour lequel il n’existe pas de contentieux. De fait, vous n’évoquez aujourd’hui pratiquement aucun cas d’incidents en matière de port du voile.

Cette proposition de loi participe d’une instrumentalisation extrêmement dangereuse dans le contexte politique actuel. Cela ne grandit pas celles et ceux qui la portent ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – Mme Martine Filleul applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.

M. Jean-Yves Leconte. À mes yeux, la mission de l’éducation, dans la République, est d’accepter les jeunes, mais aussi leurs familles, tels qu’ils sont et d’où qu’ils viennent, et de les accompagner pour qu’ils deviennent des citoyens.

Dès lors, une école qui renverrait des enfants dans d’autres organisations et ne leur offrirait pas la chance d’être accompagnés, parce que leur famille se sentirait exclue, ne serait plus l’école de la République.

Monsieur le rapporteur, vous avez évoqué une laïcité intransigeante et vous vous êtes inscrit dans les pas de ceux qui ont milité pour la séparation de l’Église et de l’État. En ce cas, pourquoi le dispositif de la proposition de loi n’a-t-il pas été voté il y a cent quatorze ans ?

Permettez-moi de vous citer un extrait de l’intervention d’Aristide Briand, rapporteur de cette loi de liberté qu’est la loi de 1905 : « Dans ce pays où des millions de catholiques pratiquent leur religion, les uns par conviction réelle, d’autres par habitude, par tradition de famille, il était impossible d’envisager une séparation qu’ils ne puissent accepter. Ce mot a paru extraordinaire à beaucoup de républicains qui se sont émus de nous voir préoccupés de rendre la loi acceptable. […] Nous n’avons pas le droit de faire une réforme dont les conséquences puissent ébranler la République. »

Mes chers collègues, ces mots restent d’actualité, alors que certains d’entre vous proposent d’utiliser la laïcité pour fracturer la société et créer des divisions.

Je crois que nous devrions en rester à nos fondamentaux, demeurer inspirés par cette loi de liberté et ne pas en faire un carcan pour fabriquer des clivages et du communautarisme – or c’est ce que vous proposez, monsieur le rapporteur.

M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde, pour explication de vote.

Mme Françoise Laborde. Je vais tâcher d’être brève.

Je pense qu’il convient de parler d’accompagnants, et non de mamans accompagnatrices ou de papas accompagnateurs. Les accompagnants peuvent aussi être les grands-parents, par exemple.

Quoi qu’il en soit, ce qui me gêne, c’est que l’enjeu n’est pas la liberté des parents ou de ces accompagnants : c’est la liberté de conscience que les élèves sont en train de se construire et qui fait la force de notre école publique française.

Oui, je suis cohérente, cher Antoine Karam : j’ai voté en son temps l’amendement qui était très intéressant, même s’il n’avait pas été voté par tous. J’ai voté d’autres textes, comme la loi Gatel.

En revanche, il est vrai, monsieur le ministre, que je n’ai pas voté l’amendement relatif au prosélytisme aux abords de l’école, non pas parce que je ne le trouvais pas intéressant, mais tout simplement parce que je pense qu’il n’y aura évidemment pas de prosélytisme si une personne revêtue d’un uniforme, le vaguemestre ou le policier municipal, le professeur principal, le principal ou le proviseur surveille. Sans surveillance, il y en aura !

Je parle du prosélytisme en général – on ne me fera pas traiter d’une religion en particulier.

Je resterai cohérente avec la position que je défends depuis des années. Je rappelle que j’avais déjà soulevé la question du prosélytisme passif à l’occasion de la discussion d’un texte inspiré par l’affaire Baby Loup.

N’en ayant pas eu le temps dans la discussion générale, je veux citer Ferdinand Buisson maintenant – à chacun ses références – : « Le triomphe de l’esprit laïque, ce n’est pas de rivaliser de zèle avec l’esprit clérical pour initier prématurément les petits élèves de l’école primaire à des passions qui ne sont pas de leur âge. […] C’est de réunir indistinctement les enfants de toutes les familles et de toutes les églises » – cela vaut aussi, bien sûr, pour ceux qui ne sont pas dans les églises – « pour leur faire commencer la vie dans une atmosphère de paix, de confiance et de sérénité. »

Je crois que, dans cet hémicycle, nous avons été à peu près sereins ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE et sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Nassimah Dindar, pour explication de vote.

Mme Nassimah Dindar. Le véritable problème est de lutter contre la religion de la violence dans les écoles.

À vous écouter, mes chers collègues, j’ai l’impression que l’on oublie la réalité du quotidien des chefs d’établissement : ceux-ci ne se demandent pas chaque matin qui sont les accompagnants et s’ils portent le voile !

C’est vraiment la question de la violence à l’école qui est le sujet principal.

Pour lutter contre les violences entre les enfants eux-mêmes, il vaut mieux que les parents soient parties prenantes, avec ou sans foulard sur la tête. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE. – Mme Patricia Schillinger applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Sophie Primas, pour explication de vote.

Mme Sophie Primas. C’est très hésitante que je suis venue participer à ce débat.

Je ne citerai aucune grande réforme ni aucun grand homme de l’éducation nationale,…

M. Bruno Retailleau. Sauf Max Brisson ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Sophie Primas. … je parlerai plutôt avec mon cœur et sur la base de mon expérience.

Tout à l’heure, Laurence Rossignol a parlé de « ligne de crête ». Je crois que c’est la meilleure expression que l’on puisse utiliser dans ce débat. Oui, nous sommes sur une ligne de crête.

Je vois, partout sur le territoire, les élus locaux qui travaillent avec les écoles, les collèges, les lycées. Si certains y voient de l’électoralisme, je crois qu’il faut plutôt saluer ce travail, qui vise à recoudre la République là où elle pourrait se découdre. Il s’agit d’amener à l’école les accompagnants pour faire société et pour vivre ensemble.

Je veux remercier tous ceux qui, travaillant beaucoup sur ces problèmes, m’ont éclairée lorsque je les ai sollicités. Je pense à Raphaël Cognet, maire de Mantes-la-Jolie, à Catherine Arenou, maire de Chanteloup-les-Vignes, à François Garay, maire des Mureaux ou encore à Pierre Bédier, président du conseil départemental des Yvelines.

La question qui se pose aujourd’hui est la suivante : doit-on considérer que le temps de l’école hors les murs est le même que le temps de l’école dans les murs ?

Monsieur le rapporteur, vous m’avez convaincue : je voterai cette proposition de loi. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe SOCR.)

Cependant, je ne veux pas donner raison aux fondamentalistes, comme à cette extrémiste avec laquelle vous avez débattu voilà quelques jours, madame Rossignol, sur un plateau de télévision – voyez comme je suis hésitante !

Finalement, je voudrais interroger les accompagnants : est-il si terrible d’enlever sa kippa ou son voile pour accompagner les enfants à une sortie scolaire ? Décider de retirer ce qui fait religion l’espace de quelques heures, n’est-ce pas, finalement, la meilleure façon d’affirmer, quand on est d’une confession, que, oui, on adhère aux principes de la République française ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et Les Indépendants. – M. Jean-Noël Guérini applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Laurent Lafon, pour explication de vote.

M. Laurent Lafon. D’abord, je tiens à saluer le travail de M. le rapporteur, qui, à travers l’article 1er, a essayé de trouver une voie d’équilibre. Ce n’était pas simple, compte tenu des différentes préoccupations qui ont été exprimées.

J’apprécie la notion d’école hors les murs et dans les murs. Elle a du sens, notamment du point de vue pédagogique, au-delà même du problème qui nous réunit aujourd’hui.

Cependant, la notion de participation aux activités liées à l’enseignement, qui figure à l’article 1er à la suite de l’adoption d’un amendement en commission, m’inspire une réserve.

La fonction d’accompagnement permet de respecter les règles en matière de taux d’encadrement des sorties scolaires, celles qui impliquent, pour les élèves des écoles maternelles et élémentaires, la présence d’un nombre important d’adultes. Je ne souhaite pas que cette fonction soit assimilée à une fonction active d’enseignement et de pédagogie, qui doit relever du seul personnel de l’éducation nationale. Je ne doute pas que telle est aussi votre intention, mais, dans la rédaction de l’article, cette distinction n’apparaît pas en tant que telle.

Comme j’ai essayé de l’exprimer tout à l’heure, je dois vous avouer que je suis gêné par le fait que le statut de l’accompagnant ne soit pas mieux défini.

Monsieur le ministre, je veux rebondir sur vos propos. Je suis assez sensible à ce que vous avez dit sur la nécessité d’une souplesse un peu accrue et d’une liberté de jugement, toutes les situations ne s’équivalant pas, notamment du point de vue du risque de prosélytisme.

Toutefois – n’y voyez pas de critique –, je suis surpris que vous n’ayez jamais fait référence aux recteurs. Je m’étonne tout de même que l’administration de l’éducation nationale ne s’implique pas davantage, au niveau des rectorats, pour mettre à l’abri les directeurs d’école, dont on ne peut nier qu’ils soient un peu seuls face à ce problème. Étant, par leurs fonctions mêmes, davantage confrontés aux parents, ils ne disposent pas forcément de la même hauteur de vue ou du même recul sur la décision qui doit être prise.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, je ne pourrai répondre à toutes les interventions, ne serait-ce que parce que je dois être à vingt et une heures trente à l’Assemblée nationale pour la discussion du projet de loi de finances. Si l’examen de la proposition de loi devait se prolonger au-delà, ce sera le ministre chargé des relations avec le Parlement qui me remplacera à ce banc.

Sur le fond, il arrive que l’on tienne, sur l’éducation nationale, des propos correspondant à des jugements que l’on a forgés avec le temps, sans considérer les évolutions bien réelles qui se produisent sur le terrain.

À cet égard, je veux vous rassurer : dès les premiers discours que j’ai tenus aux recteurs et aux inspecteurs d’académie, j’ai exprimé mon soutien total aux inspecteurs de l’éducation nationale et aux directeurs d’école sur les questions relatives à la laïcité. Cet engagement n’a pas été purement verbal, puisque, immédiatement après, nous avons créé le Conseil des sages de la laïcité. Chacun doit bien comprendre que le travail que réalise cette instance est tout sauf négligeable.

L’existence de ce conseil est, en soi, un point de repère. Il édicte des règles que j’endosse moi-même. Tout directeur, toute directrice d’école doit bien savoir que l’ensemble de ces règles, qui figurent dans un vade-mecum, reçoivent le soutien du ministre. Nous faisons ensuite valoir ces règles par des équipes spécialisées en matière de laïcité dans chaque rectorat. Ainsi, chaque recteur de France est en capacité de venir en appui sur le terrain chaque fois que se pose un problème de laïcité.

J’y insiste, tout cela n’est pas que discours et pure théorie, comme en témoignent les centaines d’interventions qui ont eu lieu depuis deux ans et demi. C’est cela la laïcité au concret sur le terrain ! Je ne voudrais pas que l’on minimise, aujourd’hui, cette situation.

Je répète, en effet, que la question de l’accompagnement scolaire, quelle que soit par ailleurs l’issue qui sera réservée à la proposition de loi, est très loin d’être le principal sujet en matière de laïcité ou de lutte contre le communautarisme – plusieurs intervenants l’ont d’ailleurs déclaré. Je concède que le sujet est devenu emblématique, mais, soyez-en convaincus, ce n’est pas le plus important des problèmes concrets qui se posent sur le terrain.

Quoi qu’il en soit, pour répondre très clairement à la question qui m’a été posée, oui, les recteurs et les inspecteurs d’académie sont pleinement mobilisés. D’ailleurs, s’il y avait une quelconque exception à cette mobilisation, le ministre pourrait parfaitement être saisi. Nous tenons des réunions consacrées à ces questions et je dispose, sur ces enjeux, de remontées d’informations quotidiennes, dont je rends compte publiquement chaque trimestre.

M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour explication de vote.

M. Bruno Retailleau. De nombreux arguments ont été échangés.

Je veux moi aussi rendre hommage à M. le rapporteur. Les propos qu’il a tenus sont très importants. J’y reviendrai tout à l’heure, dans mon explication de vote sur l’ensemble du texte.

On voit que, dans nos débats, deux conceptions de la laïcité, qui ne sont pas complémentaires, s’affrontent. J’y reviendrai également.

En réalité, si la question des signes ostentatoires divise notre hémicycle, si elle divise les élus et les politiques, elle rassemble très largement les Français.

M. Bruno Retailleau. Aujourd’hui, les sondages qui se succèdent, qu’ils soient réalisés pour la Fondation Jean-Jaurès ou pour l’Observatoire de la laïcité, montrent une angoisse de nos compatriotes, qui, à 78 %, craignent une remise en cause de la laïcité à laquelle nous tenons. Chaque fois qu’ils sont interrogés, les Français sont au moins 80 % à nous dire qu’il ne faut pas toucher à la loi de 1905 et qu’il s’agit d’un patrimoine commun, désormais consensuel à droite comme à gauche.

Je reviens sur notre histoire récente. Comme cela a été rappelé, l’affaire du voile de Creil, c’était il y a trente ans ! Il aura fallu quinze ans pour qu’une première loi soit votée. Il s’agissait alors d’exprimer une orientation pour ne pas se défausser sur les directeurs d’école.

Mes chers amis, dans ce parcours législatif, notre famille politique a rendu de nombreux services à la communauté nationale. C’est elle qui, en 2004, a porté l’interdiction du voile. C’est aussi elle qui, en 2010, a défendu l’interdiction du voile intégral.

Je dois rendre hommage à Myriam El Khomri, qui, dans la loi Travail, même si ce fut un peu timidement, a donné aux entreprises la possibilité de mieux encadrer la présence de signes ostentatoires dans leur règlement intérieur. Si ce texte avait existé à l’époque, l’affaire Baby Loup n’aurait sans doute jamais vu le jour…

Monsieur le ministre, vous avez évoqué la question de l’efficacité. C’est une question clé.

La loi de 2004 est efficace. J’en veux pour preuve la dernière mouture du sondage réalisé par l’IFOP pour la Fondation Jean-Jaurès, qui montre que seulement 15 % des jeunes filles sont voilées.

Vous nous parlez d’une situation hybride, de casuistique, de cas par cas. Non ! La loi doit être claire. Elle ne peut pas verser dans le « en même temps ».

M. le président. Il faut conclure.

M. Bruno Retailleau. Nous devons évidemment avoir le courage de légiférer. Sinon,…

M. le président. Il faut vraiment conclure !

M. Bruno Retailleau. … cela signifiera que nous nous défaussons sur le personnel de l’éducation nationale.

Il y a l’école dans les murs et l’école hors les murs ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Boyer, pour explication de vote.

M. Jean-Marc Boyer. M. le rapporteur a, dès le début de son intervention, essayé d’encadrer la définition de l’activité périscolaire.

Qu’est qu’une activité périscolaire ? C’est une activité qui se déroule à côté de l’enseignement traditionnel dispensé au sein des établissements.

Durant ma modeste carrière, j’ai eu à encadrer des activités périscolaires, en particulier des activités sportives : piscine, ski de fond, ski alpin, escalade, natation, football, rugby… Cela ne s’est jamais produit, mais, franchement, je ne sais pas comment j’aurais réagi si un accompagnant, susceptible de participer à un arbitrage ou à l’encadrement d’un groupe, s’était présenté avec des signes religieux ostentatoires. Je pense que cela m’aurait paru complètement décalé.

Je crois que la définition des activités périscolaires, de leurs objectifs pédagogiques et de ce qui est attendu des accompagnants doit être clarifiée. Ainsi que M. le rapporteur l’a bien précisé au début de son propos, c’est là que se situe la limite ! On ne doit pas faire d’amalgame. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec, pour explication de vote.

M. Ronan Dantec. L’histoire, sur ce sujet, est parfois complexe.

On a évoqué tout à l’heure la grande loi d’apaisement Briand-Clemenceau, Georges Clemenceau ayant été appelé au ministère de l’intérieur pour participer à ce grand compromis. On oublie de dire que, dans celui-ci, une circulaire très précise, consécutive à l’adoption de la loi de 1905, autorise le port de signes ostentatoires à l’école en échange du décrochage des crucifix.

Pourquoi ? Bien sûr, il y avait la nécessité de trouver un compromis politique avec les forces conservatrices du pays mobilisées – elles ont un peu changé de point de vue aujourd’hui. Cependant, il y avait aussi le pari de l’école, parce que l’interdiction du port de la croix aurait, à l’époque, fait sortir énormément d’enfants de l’école publique pour les ramener vers les écoles confessionnelles. D’ailleurs, je suis obligé de dire que, d’un point de vue religieux, ce choix assumé de Briand a porté ses fruits, puisque, malgré le droit de porter des signes ostentatoires, la pratique catholique a plutôt baissé.

La question qui est posée aujourd’hui porte toujours sur la force de l’école : l’école est-elle assez puissante pour permettre que les enfants, qui sont évidemment héritiers de la culture et des choix religieux de leur famille, se trouvent confrontés, à l’école, à un autre cadre de valeurs ? C’est cet équilibre entre l’héritage familial et ce qu’apporte l’école qui fait société.

Finalement, avec le dispositif que vous proposez, chers collègues, vous montrez du doigt les parents, vous ramenez l’enfant vers son héritage familial et vous fragilisez le message de l’école, qui permet justement de faire société en créant une distance entre l’enseignement scolaire et ce qui relève de l’héritage familial. Je crois donc que vous allez à l’inverse de ce que vous semblez rechercher.

La loi, aujourd’hui, est claire. Elle interdit le prosélytisme. Il ne faut pas y toucher ! (Mme Nassimah Dindar applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour explication de vote.

Mme Esther Benbassa. Nous parlons, depuis quatorze heures trente, du voile. Or, dans le texte, le mot « voile » n’apparaît pas. C’est pourtant l’une de nos obsessions ! (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Je veux poser une question aux concepteurs de ce texte : celui-ci concerne-t-il également les accompagnateurs hommes qui seraient porteurs d’une kippa ? (Bien sûr ! sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent, pour explication de vote.

M. Pierre Laurent. Le vote que nous allons émettre sur cet article et sur l’ensemble de la proposition de loi est extrêmement politique.

Je vois bien les efforts des auteurs de ce texte pour le réduire à un « texte de précision technique », comme cela a été dit tout à l’heure, et pour masquer leurs intentions réelles.

Chers collègues, pourquoi en êtes-vous réduits à ce genre d’arguments ? Parce que vous n’êtes pas convaincants sur le texte et encore moins sur le contexte.

Sur le texte, vous ne cessez de dire que l’éducation nationale fait face, en ce moment, à un problème majeur, mais l’avez-vous démontré une seule fois depuis le début de nos débats ? Vous êtes-vous appuyés sur des faits qui en témoignent ? Non. Et pour cause : alors que 14 millions de personnes interviennent aujourd’hui dans le monde éducatif, si l’on additionne les enfants et les enseignants, on estime qu’il n’y a que quelques centaines de problèmes par an.

Au demeurant, ces problèmes, pour l’essentiel, ne concernent absolument pas l’accompagnement de sorties scolaires par des femmes voilées. Pourtant, vous focalisez tout le débat sur cette question.

En vérité, l’argument prétendument technique que vous employez n’en est pas un. Même si l’on s’en tenait à ce qu’a dit M. le rapporteur, à savoir qu’il ne s’agit que d’une qualification concernant les accompagnants, on ne réglerait pas le problème posé, car les parents d’élèves interviennent à de nombreux moments de la vie scolaire, et pas seulement lors des sorties : ils accompagnent leurs enfants dans les classes à l’école maternelle, ils participent aux kermesses, aux réunions de parents d’élèves…

En adoptant ce texte, on mettrait le doigt dans un engrenage extrêmement dangereux.

En vérité, les motivations de votre proposition de loi sont ailleurs : on les trouve malheureusement dans le contexte très préoccupant que nous connaissons actuellement, que, pour certains, vous accompagnez et que, pour d’autres, vous alimentez ! Vous surfez sur des eaux nauséabondes (Protestations sur les travées des groupes Les Républicains et UC.) et vous prenez la responsabilité de jeter de l’huile sur le feu,…

M. le président. Il faut conclure.

M. Pierre Laurent. … à un moment où, au contraire, nous avons besoin de faire confiance…

M. le président. Il faut conclure, cher collègue.

M. Pierre Laurent. … et de construire une société d’unité et de solidarité. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – Mme Martine Filleul applaudit également.)

M. le président. Je vais mettre aux voix l’amendement n° 10.

Je rappelle que, si cet amendement était adopté, il n’y aurait pas lieu de débattre de l’article 2, pas plus que de soumettre la proposition de loi au vote, puisque celle-ci serait vidée de son contenu.

Je mets aux voix l’amendement n° 10.

J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.

Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable et que celui du Gouvernement est favorable.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Je vous invite, mes chers collègues, à vérifier que votre carte de vote est bien insérée dans votre terminal.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater les résultats du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent les résultats du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 17 :

Nombre de votants 330
Nombre de suffrages exprimés 302
Pour l’adoption 121
Contre 181

Le Sénat n’a pas adopté.

L’amendement n° 3, présenté par M. Masson, est ainsi libellé :

Alinéa 1

Compléter cet alinéa par les mots :

et de s’abstenir de porter des signes ou tenues manifestant ostensiblement une appartenance religieuse ou communautariste

La parole est à M. Jean Louis Masson.

M. Jean Louis Masson. Mon amendement donnera certainement moins lieu à discussion que le précédent, sinon on sera encore là tard ce soir…

Si j’ai déposé cet amendement, ce n’est pas pour m’opposer à cette proposition de loi, dont j’approuve l’esprit et que je trouve pertinente, mais parce que la rédaction du texte de la commission ne me semble ni assez ferme ni assez claire. Il faut indiquer explicitement la nécessité de s’abstenir de porter des signes ou des tenues manifestant ostensiblement une appartenance religieuse ou communautariste. C’est très important !

Je ne suis toujours pas convaincu par les propos tenus par M. le ministre de l’éducation nationale, selon lequel tout finira par s’arranger. L’un de nos collègues nous a même dit que, sur 14 millions d’enfants et de parents, il y a seulement une centaine de problèmes par an. Or, même s’il n’y a que cent problèmes par an, c’est déjà énorme ! Ça signifie qu’il doit y avoir des milliers d’endroits où les difficultés ne sont pas remontées à la surface. Combien de parents sont-ils mécontents que leur enfant soit entouré de personnes habillées pour Halloween et combien écrivent au ministre ou à l’éducation nationale pour dire qu’ils sont choqués ? Ces personnes ne prennent tout simplement pas l’initiative de se plaindre. Il est donc absolument indispensable de légiférer très fermement.

On aurait presque pu attendre encore deux jours : on aurait été à la veille de la Toussaint, et ça aurait été vraiment Halloween !

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Max Brisson, rapporteur. L’article L. 111-1 porte sur les principes, les valeurs et les missions de l’école. La mention de tenues ou de signes ostensibles ne nous semble pas aller dans le sens de cet article du code de l’éducation. C’est la raison pour laquelle j’avais déposé en commission un amendement visant à exclure la mention des sorties scolaires de cet article.

Laissons à cet article toute sa cohérence. M. Olivier Paccaud, dont j’ai apprécié l’intervention, s’est parfaitement exprimé sur ce sujet tout à l’heure. La commission est donc défavorable à cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Avis défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 3.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Eustache-Brinio, pour explication de vote sur l’article.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Tout d’abord, je souhaite remercier Max Brisson des propos qu’il a tenus.

Ensuite, parce que j’ai été enseignante dans un lycée à Argenteuil, je souhaite dédier cette proposition de loi à Zora, Fatima, Leïla et Samia, ces élèves que j’ai eues jusque dans les années 2000, qui se sont battues pour sortir du carcan familial, de la pression des pères et de la pression religieuse pour vivre leur liberté, comme toutes les jeunes filles de France dans les années 1980, 1990 et 2000. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote sur l’article.

M. Pierre Ouzoulias. Je veux revenir sur le débat philosophique que vous nous proposez, monsieur le président Retailleau.

J’ai lu différemment le sondage que vous avez cité. J’ai ainsi noté que, quand on questionne les Français sur le sens qu’ils veulent donner à la laïcité, 26 % d’entre eux considèrent qu’il faut faire reculer l’influence des religions – au pluriel – dans notre société. Ce chiffre progresse de 6 %, ce qui représente l’évolution la plus importante.

Aujourd’hui, les deux tiers des Français ne se réclament d’aucune religion. On assiste à un mouvement de fond, à savoir le recul du religieux de la sphère publique, celui-ci se cantonnant peu à peu à la sphère privée.

Vous nous dites, monsieur le président Retailleau, que cette loi est destinée à accompagner ce mouvement. Irez-vous au bout de cette logique ? Souhaitez-vous vraiment que la religion sorte complètement de l’espace public ? Je n’en suis pas sûr. Lors de l’examen de lois à venir, notamment en matière de bioéthique, vous reviendrez certainement à des conceptions beaucoup plus traditionnelles.

Mme Sophie Primas. Vous n’en savez rien !

M. le président. Je mets aux voix l’article 1er.

J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Je vous invite, mes chers collègues, à vérifier que votre carte de vote est bien insérée dans votre terminal.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater les résultats du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent les résultats du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 18 :

Nombre de votants 322
Nombre de suffrages exprimés 285
Pour l’adoption 165
Contre 120

Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

Article 1er
Dossier législatif : proposition de loi tendant à assurer la neutralité religieuse des personnes concourant au service public de l'éducation
Intitulé de la proposition de loi

Article 2 (nouveau)

La présente loi est applicable dans les îles Wallis et Futuna.

M. le président. L’amendement n° 11, présenté par M. Magner, Mme S. Robert, MM. Kanner, Antiste et Assouline, Mmes Blondin, Ghali et Lepage, MM. Lozach, Manable et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Jacques-Bernard Magner.

M. Jacques-Bernard Magner. Il s’agit d’un amendement de coordination avec notre amendement de suppression de l’article 1er.

La majorité sénatoriale n’a pas souhaité nous suivre, n’entendant ni nos arguments juridiques ni nos arguments politiques, ce qui est fort dommage. J’espère que tous ceux qui s’apprêtent à voter le texte dont nous débattons ont bien à l’esprit que, en excluant des sorties scolaires les mères d’élèves portant un foulard, ce sont des classes entières que l’on va priver de sortie. Ces parents d’élèves que la majorité sénatoriale est en train de stigmatiser font pourtant preuve, en accompagnant une sortie scolaire, d’un souhait d’intégration. Vous le savez, mes chers collègues, il leur en coûte souvent de faire la démarche d’entrer à l’école. Au lieu de leur tendre la main et de les conforter dans leur souhait d’intégration, on va les exclure définitivement. (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. Mon cher collègue, votre argumentaire est sans rapport avec l’amendement.

M. Jacques-Bernard Magner. Si, il y a un rapport ! À moins que vous vouliez me dire ce que je dois dire, monsieur le président…

M. le président. Cela ressemble à une explication de vote sur le texte et non pas à la présentation de l’amendement.

M. Jacques-Bernard Magner. Vous souhaitez que je m’arrête là ?

M. le président. Quand on présente un amendement, on parle de l’amendement. Vous êtes, à mon avis, très largement à côté. Vous pourrez reprendre la parole ensuite si vous le souhaitez.

M. Jacques-Bernard Magner. Soit, monsieur le président !

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Max Brisson, rapporteur. Je vais essayer de répondre à une intervention qui n’a pas eu lieu…

Les sorties scolaires sont du temps scolaire sur l’ensemble du territoire de notre République. Par conséquent, pour que le texte soit appliqué à Wallis et Futuna, comme l’est la loi de 2004 sur l’interdiction des signes religieux ostensibles pour les élèves, la loi doit expressément le prévoir.

Pour ce qui concerne les autres territoires d’outre-mer, soit la loi est applicable de plein droit dans ce domaine, soit le législateur que nous sommes n’est pas compétent pour intervenir.

Dans la mesure où votre amendement précédent n’a pas été adopté, je vous demande, mon cher collègue, de bien vouloir retirer celui-ci. À défaut, la commission se verra contrainte d’émettre un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Sagesse.

M. le président. Monsieur Magner, l’amendement n° 11 est-il maintenu ?

M. Jacques-Bernard Magner. Oui, monsieur le président.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 11.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 2.

(Larticle 2 est adopté.)

Article 2 (nouveau)
Dossier législatif : proposition de loi tendant à assurer la neutralité religieuse des personnes concourant au service public de l'éducation
Intitulé de la proposition de loi

Intitulé de la proposition de loi

Intitulé de la proposition de loi
Dossier législatif : proposition de loi tendant à assurer la neutralité religieuse des personnes concourant au service public de l'éducation
Explications de vote sur l'ensemble (début)

M. le président. L’amendement n° 9 rectifié, présenté par Mme Laborde, MM. Arnell, Artano et A. Bertrand, Mme M. Carrère, M. Collin, Mmes Costes et N. Delattre, MM. Gabouty, Gold et Guérini, Mme Guillotin et MM. Requier et Vall, est ainsi libellé :

Remplacer le mot :

concourant

par le mot :

participant

La parole est à Mme Françoise Laborde.

Mme Françoise Laborde. Dans la mesure où le texte initial de la proposition de loi a été modifié, il me semble cohérent de changer son titre. Cet amendement ne devrait pas susciter de polémique.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Max Brisson, rapporteur. Je profite de cette occasion pour répondre à Laurent Lafon.

Dans le cadre d’une querelle byzantine, nous avons pensé que le terme « participant » prenait mieux en compte les activités des intervenants adultes à l’extérieur des murs ou dans les murs de l’école, le terme « concourant » semblant plus restrictif.

Je rejoins Françoise Laborde : le terme « participant » ayant été retenu pour le texte, il semble nécessaire de mettre le titre en conformité. Sans doute le rapporteur aurait-il dû y penser… La commission est donc favorable à cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Sagesse.

M. le président. La parole est à M. Jacques-Bernard Magner, pour explication de vote.

M. Jacques-Bernard Magner. Il existe une nuance entre les termes « concourir » et « participer ». Celui qui participe est dans l’action du début jusqu’à la fin de la sortie scolaire. Il participe à son organisation et à sa préparation. Or tel n’est pas le cas en général. Par conséquent, le terme « concourir » paraît mieux convenir.

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour explication de vote.

Mme Esther Benbassa. J’aimerais bien avoir une réponse à la question que j’ai posée.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Max Brisson, rapporteur. Je trouve que vous vous éloignez beaucoup des textes qui organisent les sorties scolaires. En la matière, l’ensemble des circulaires donne bien un rôle aux accompagnants.

Je prends acte d’un clivage concernant nos appréciations du rôle des adultes, car il ne s’agit pas uniquement des parents, dans une activité liée à l’enseignement, lorsqu’il s’agit d’accompagner une classe. Manifestement, nous n’avons pas la même vision sur ce sujet.

Madame Benbassa, bien évidemment, c’est l’ensemble des signes religieux ostensibles qui sont visés. Je n’ai d’ailleurs pas beaucoup utilisé le mot « voile » au cours de nos débats. Le cœur de cette proposition de loi ne porte que sur l’affichage. Le prosélytisme, c’est un autre sujet ! Il s’agit ici de s’inscrire dans la logique d’une école publique où l’on n’affiche pas ses croyances religieuses.

Bien avant la loi de 1905, qui a été beaucoup citée, les lois de 1881, 1882, 1886 et même de 1903, c’est-à-dire avant la loi de séparation des Églises et de l’État, ont précisé clairement que, à l’école publique, on n’affiche pas – je n’ai parlé que d’affichage – des signes religieux ostensibles.

M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour explication de vote.

M. Jean Louis Masson. Notre rapporteur a longuement disserté sur la terminologie du titre. À quoi sert-il d’en modifier le libellé ? Si la proposition de loi est adoptée, c’est le contenu de l’article qui sera appliqué, le titre n’ayant aucune importance.

Je n’ai donc pas très bien compris l’intérêt de la querelle sur les termes du titre. Notre rapporteur pourrait-il nous l’expliquer ?

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Max Brisson, rapporteur. Comme professeur, j’ai souvent bataillé contre les élèves qui mettaient des titres bien différents de la dissertation qu’ils présentaient. Je pense que le titre doit être en concordance avec le texte. Celui-ci ayant été modifié par rapport à la proposition de loi initiale, cet amendement me paraît de bonne logique.

M. le président. La parole est à Mme Claudine Lepage, pour explication de vote.

Mme Claudine Lepage. Je souhaite revenir sur l’intervention de notre collègue de La Réunion. Je ne crois pas que sa question, qui me semblait très pertinente, ait reçu une réponse de la part de M. le rapporteur ou de M. le ministre.

M. le président. Je rappelle que nous examinons l’amendement n° 9 rectifié. On pourrait refaire tout le débat et reprendre toutes les questions qui n’ont pas obtenu de réponse, mais cela me semble un peu compliqué…

Je mets aux voix l’amendement n° 9 rectifié.

(Lamendement est adopté.)

M. le président. En conséquence, l’intitulé de la proposition de loi est ainsi rédigé.

Vote sur l’ensemble

Intitulé de la proposition de loi
Dossier législatif : proposition de loi tendant à assurer la neutralité religieuse des personnes concourant au service public de l'éducation
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à Mme Sylvie Robert, pour explication de vote.

Mme Sylvie Robert. Voilà maintenant près de cinq heures que nous débattons de ce texte. Chacun a pu développer ses arguments, et nous voyons bien que nous avons de réelles divergences de point de vue.

Je maintiens que cette proposition de loi est vraiment un texte de circonstance. Après toutes les clarifications qui ont pu être apportées, nous ne sommes toujours pas convaincus de sa nécessité. La loi actuelle est claire. Ce texte sera donc totalement inefficace.

Par ailleurs, pour reprendre ce qu’ont dit M. le ministre et notre collègue Pierre Ouzoulias, dans notre République indivisible, laïque, démocratique et sociale, cette loi n’est pas la bienvenue. Je souhaiterais qu’on s’en tienne aux valeurs de la laïcité et à la loi de 1905. Je suis d’ailleurs effarée et stupéfaite que vous puissiez arranger à votre sauce cette loi, que vous avez qualifiée d’« intransigeante ». Non, la loi de 1905 est une loi de liberté, dont les valeurs sont claires !

Je le répète, il s’agit d’une proposition de loi de circonstance. Dans le contexte actuel, elle est malvenue, voire dangereuse. Nous l’avons dit, elle introduit confusion et amalgames dans un climat de tension. Mes chers collègues, cela fait trois semaines qu’on ne parle que de ça ! (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.) Êtes-vous conscients que notre République a besoin d’apaisement ?

Mme Sylvie Robert. Ce n’est pas un texte comme celui-là qui va y contribuer !

Mme Sylvie Robert. Pour toutes ces raisons, et pour tous les arguments que nous avons défendus, nous ne voterons pas cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.

M. Pierre Ouzoulias. Ma collègue l’a dit, le contexte est très difficile. Nous avons accepté – je vous demande de le mettre à notre crédit – de revenir sur le terrain du droit, comme le rapporteur nous a demandé de le faire. Mais vous ne nous avez pas donné les explications que nous vous demandions. Vous ne nous avez pas expliqué les raisons pour lesquelles cette proposition de loi a été déposée cinq jours après le vote de la loi Blanquer. Que s’est-il passé durant ces cinq jours pour que vous changiez d’avis ? Ainsi, une disposition rejetée par vous en commission mixte paritaire est devenue fondamentale et indispensable. Quelle est votre motivation profonde ? (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SOCR, ainsi que sur des travées du groupe LaREM.)

Vous nous avez expliqué que vous défendiez la laïcité, abandonnée par la gauche. Je ne doute pas de votre sincérité sur ce point. Nous vous proposerons donc, dans les semaines et mois qui viennent, un certain nombre de propositions de loi nous permettant d’aller plus loin dans la laïcité. Je pense notamment à des textes auxquels vous vous êtes récemment opposés. Nous mettrons ainsi à l’épreuve votre sincérité sur ce sujet.

De notre côté, nous considérons que la laïcité est un outil fondamental dans nos sociétés du XXIe siècle, afin de permettre une émancipation totale des consciences. Nous porterons cette valeur jusqu’au bout, avec vous ou sans vous ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SOCR. – MM. Henri Cabanel et Joël Labbé applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Françoise Gatel, pour explication de vote.

Mme Françoise Gatel. Je tiens à remercier notre rapporteur et à saluer sa rigueur, qui nous a permis de suivre ce que d’aucuns ont appelé à juste titre un « chemin de crête ». Je tiens également à témoigner de mon respect vis-à-vis de nos collègues ayant déposé cette proposition de loi.

Pour répondre aux derniers propos tenus, je dirai, sans mauvais jeu de mots : ne nous voilons pas la face ! Reste que je ne voterai pas non plus le texte qui nous est proposé. Les mères de famille et les enfants dont nous parlons ont un lien ténu avec la République. Ces enfants sont scolarisés à l’école de la République, là où on forge le creuset de la société. Si nous portons l’anathème sur ces familles, je crains que nous ne les jetions dans les bras de radicaux, qui prétendront que les Français les rejettent.

En même temps, mes chers collègues siégeant à gauche, je veux bien entendre des leçons de morale, mais je rappelle que c’est la majorité sénatoriale qui a voté la proposition de loi sur les établissements privés hors contrat ; à ce titre, je la salue.

Je vous invite tous, mes chers collègues, à considérer qu’il existe dans notre pays des lieux où la République n’est pas. C’est vrai à l’école de la République, dès qu’un petit enfant refuse de s’asseoir à côté d’une petite fille ; c’est vrai à l’hôpital, où certaines personnes ne veulent pas être soignées par des femmes médecins. C’est vrai aussi à l’université, où une pensée politiquement correcte interdit de tenir des débats sur la prévention de la radicalisation.

Monsieur le ministre, vous avez toute ma confiance. Je sais le combat que vous menez pour la laïcité à l’école, et je salue votre action : rien n’a été fait de cette nature auparavant – il faut le dire. Mais, en même temps, la question qui est posée aujourd’hui est celle du communautarisme. Il y va d’une mobilisation en tous lieux de toute la société, du Gouvernement, mais aussi – on l’a dit – des musulmans, qui doivent eux aussi avoir une parole sur le radicalisme et le communautarisme. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Indépendants, ainsi que sur des travées du groupe RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour explication de vote.

M. Bruno Retailleau. L’immense majorité de notre groupe va bien sûr voter ce texte, parce qu’il est nécessaire, parce que nous devons sortir de l’entre-deux et de l’« en même temps », parce que nous considérons que les règles qui s’appliquent à l’école dans les murs doivent aussi s’appliquer à l’école hors les murs – Max Brisson l’a formidablement démontré.

Cela étant posé, pourquoi l’école doit-elle être le lieu d’une exigence de neutralité religieuse renforcée ?

La première raison tient à la dimension individuelle du problème : les élèves sont des jeunes, des enfants, qui, comme tels, sont en construction, des consciences fragiles qui, comme telles, doivent être libérées de toutes les allégeances, de toutes les affiliations, de tous les déterminismes.

La deuxième raison tient au fait que l’école est aussi le lieu par excellence de la conception que nous nous faisons de la laïcité à la française.

Il existe deux conceptions de la laïcité, deux modèles : une conception républicaine et française et une conception anglo-saxonne, très libérale, que j’ai entendu s’exprimer dans cette enceinte aujourd’hui.

La première différence entre les deux est la suivante : en France, le processus de laïcisation a été public ; la laïcisation s’est faite par l’État, alors que, outre-Atlantique et dans le monde anglo-saxon en général, le lieu par excellence de la liberté individuelle, c’est la société civile. La laïcité à la française, mes chers collègues, ne connaît que le citoyen, qui n’est pas l’individu ; elle ne reconnaît qu’une seule communauté, la communauté nationale, tandis que le régime libéral anglo-saxon ne reconnaît, lui, que l’individu, et s’accommode parfaitement du communautarisme.

Ce texte est important ; il doit nous permettre de lutter en nous munissant de principes républicains. Dans la République, mes chers collègues, le citoyen est beaucoup plus qu’un individu ; en tout cas, c’est un individu qui se défait de ses avis privés, de ses allégeances, de ses particularités, pour rejoindre la communauté nationale.

La logique de la laïcité est la logique de la citoyenneté : ces deux logiques sont sœurs jumelles, et même sœurs siamoises ; elles sont ce qui donne au citoyen cette liberté et cette autonomie qui doivent précisément s’épanouir dès l’école, au plus jeune âge. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, au moment où vous vous apprêtez à voter, je voudrais de nouveau, au risque de me répéter, souligner les éléments d’unité entre nous.

Je le dis avec un peu de solennité, le sujet dont nous avons traité aujourd’hui, celui du port du voile ou de signes ostentatoires quels qu’ils soient par des accompagnants, est ambivalent. Il n’est certes pas, sur le plan pratique, le sujet le plus important, aujourd’hui, en matière de laïcité ; en revanche, les débats auxquels il renvoie – nous venons encore de l’entendre – deviennent, eux, des sujets centraux dans notre société – il faut en être conscient.

De ce point de vue, notre responsabilité est grande. Je voudrais remercier l’ensemble des sénateurs et des sénatrices : les débats ont été de grande tenue – l’un d’entre vous l’a dit. Il est normal qu’une diversité de points de vue s’exprime sur un tel sujet. En même temps, il est très important de souligner ce qui nous unit. Le débat entre nous n’est pas tout, en effet ; il faut penser aux commentaires qui en seront faits, à ceux que vous ferez, à n’en pas douter, en sortant de l’hémicycle, et à tout ce qui s’ensuivra.

Tout cela n’est pas forcément facile à comprendre : nous avons tous constaté combien un discours précis, subtil, attentif à chaque mot, n’est pas facile à tenir sur ces questions, alors même qu’elles l’exigent. La dimension juridique du sujet, en particulier, requiert cette précision. Sa dimension politique nous rappelle à notre sens des responsabilités.

Quel que soit le vote que vous ferez dans un instant, nous avons à souligner ces éléments d’unité. Il est très important en effet de dire qu’il existe un contrat social français, qui est un contrat spécifique. S’il y a un point dont on doit se réjouir, c’est qu’au fil des décennies s’est finalement imposée une définition commune de ce contrat, qui n’était pas acquise au début de notre histoire républicaine, et qui peut correspondre à ce que vous venez de dire, monsieur le président Retailleau : nous sommes contre une société fragmentée, contre l’idée que l’appartenance à une communauté serait supérieure à l’appartenance à la République.

Tout le monde ou presque en serait d’accord ; en tout cas, l’immense majorité des Français l’est. Nous avons aujourd’hui à relever le défi consistant à montrer, d’une manière qui ne soit pas apeurée mais constructive et volontariste, la supériorité de la vision républicaine du contrat social. C’est bien ce genre de choses qui se jouent là.

Croyez bien que, sur ces questions, chacune de mes prises de position, aujourd’hui comme hier et comme demain, est inspirée par ce que je vois sur le terrain ; les réponses que je donne me semblent appropriées sur un plan pratique. Or, précisément, sur un plan pratique, je ne pense pas que cette proposition de loi fasse avancer ce que nous souhaitons en matière de laïcité, de lutte contre le communautarisme et de lutte contre la radicalisation. Je voudrais que nous ayons ces trois sujets à l’esprit.

La lutte contre la radicalisation est par définition un sujet d’unité nationale ; elle concerne chacun des services publics, et l’éducation nationale y prend largement sa part en ce moment, même si l’on doit toujours être plus attentif.

La lutte contre le communautarisme ne doit pas tant être une lutte contre qu’une lutte pour : une lutte pour la République, pour des choses auxquelles nous croyons, c’est-à-dire l’égalité des citoyens et l’émancipation par l’éducation. Là encore, ce sujet, qui doit faire de notre part l’objet d’un travail quotidien, nous unit, et il est très important que la société française sente cette unité.

S’agissant enfin de la mise en œuvre des principes de laïcité, notamment de la neutralité du service public de l’éducation, je ne reviendrai pas sur l’ensemble des arguments. Je le redis, il s’agit d’un sujet-frontière : la variable pertinente est-elle l’espace scolaire ou le temps scolaire ? Ce dont je suis sûr – je tiens à le souligner, comme l’ont fait certains sénateurs –, c’est que nous disposons aujourd’hui des outils juridiques qui nous permettent d’assurer le respect de ce principe de neutralité et nous permettront, à l’avenir, d’aller plus loin dans la lutte contre le prosélytisme.

Par ailleurs, quoi qu’il en soit de ce texte, y compris s’il ne devient jamais loi, sachant que, même si vous le votez ce soir, il faudra du temps pour qu’il parvienne devant l’Assemblée nationale,…

Mme Sophie Primas. C’est joliment dit !

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. … où l’on peut imaginer, le cas échéant, quel sort sera le sien, ce qui pose la question de l’utilité politique d’une telle discussion…

M. Alain Joyandet. Vous dérapez !

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. … – je ne me prononce pas sur ce point –, je soutiendrai évidemment les directeurs d’école dans les mesures qu’ils souhaiteront prendre pour éviter tout prosélytisme. D’une certaine façon, il vous sera démontré que nous pouvons lutter contre le prosélytisme et pour la laïcité avec les outils juridiques dont nous disposons aujourd’hui. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM, ainsi que sur des travées des groupes SOCR, RDSE et UC.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi.

J’ai été saisi de deux demandes de scrutin public émanant, l’une, du groupe CRCE et, l’autre, du groupe Les Républicains.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Je vous invite, mes chers collègues, à vérifier que votre carte de vote est bien insérée dans votre terminal.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater les résultats du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent les résultats du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 19 :

Nombre de votants 317
Nombre de suffrages exprimés 277
Pour l’adoption 163
Contre 114

Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi tendant à assurer la neutralité religieuse des personnes concourant au service public de l'éducation
 

3

Organisation des travaux

M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que la conférence des présidents a inscrit à l’ordre du jour de cet après-midi, à la suite de cette proposition de loi, un débat sur le thème : « Assistons-nous au recul de l’État de droit en France ? », puis un débat sur la politique sportive.

Je constate qu’il ne reste pas suffisamment de temps pour commencer le deuxième débat avant la suspension si nous voulons reprendre nos travaux ce soir à une heure raisonnable. Dans ces conditions, en accord avec le groupe Les Républicains, la mission d’information sur la gestion des risques climatiques et l’évolution de nos régimes d’indemnisation et le Gouvernement, je vous propose de reporter le débat sur la politique sportive à la reprise de la séance, ce soir, avant le débat sur les conclusions du rapport Catastrophes climatiques. Mieux prévenir, mieux reconstruire.

Y a-t-il des observations ?…

Il en est ainsi décidé.

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures quinze, est reprise à dix-huit heures vingt.)

M. le président. La séance est reprise.

4

Assistons-nous au recul de l’État de droit en France ?

Débat organisé à la demande du groupe socialiste et républicain

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe socialiste et républicain, sur le thème : « Assistons-nous au recul de l’État de droit en France ? »

Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.

Je rappelle que l’auteur de la demande dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.

À l’issue du débat, le groupe auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.

Dans le débat, la parole est à Mme Sophie Taillé-Polian, pour le groupe auteur de la demande.

Mme Sophie Taillé-Polian, pour le groupe socialiste et républicain. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, si nous avons demandé la tenue de ce débat, c’est parce que nous estimons que le Gouvernement distille continuellement le discours de la peur. Ce faisant, il court derrière l’illusion du tout-sécuritaire et met en péril l’équilibre entre libertés publiques et sécurité.

Dans ce monde dangereux, le plus grand péril est peut-être celui de la remise en cause de notre idéal de liberté, car ce monde est aussi celui où les progrès technologiques permettent un contrôle de chacun à chaque instant.

Mes chers collègues, cette liberté, pour s’exprimer, s’appuie sur l’État de droit, c’est-à-dire un État qui protège les individus face à l’arbitraire en soumettant la puissance publique à de puissants contrôles, notamment via la séparation des pouvoirs et l’indépendance de la justice.

Dans ce cadre, un État de droit a, bien sûr, besoin de forces de l’ordre, et je tiens à rendre hommage à l’action des hommes et des femmes qui ont choisi de passer, voire de risquer, leur vie pour nous protéger ; je salue leur engagement, et je me range à leurs côtés quand, à l’instar de tant d’autres agents publics, ils hurlent leur désarroi face à leurs conditions de travail indignes.

Mais cela ne doit pas nous rendre aveugles au fait que nous assistons à l’institutionnalisation de la machine sécuritaire, au détricotage progressif de nos droits, au recul constant de la place du juge par rapport à celle du préfet. Oui, ce recul est constant ! Où en sommes-nous ?

Vous avez accepté l’assignation à résidence sans intervention d’un juge.

Quel bilan tirer de l’état d’urgence, qui, je le rappelle, a été instauré à un moment particulièrement grave pour notre société ?

Sur les 4 600 perquisitions qui ont été menées durant la période de l’état d’urgence, seules 20 étaient liées au terrorisme et 16 seulement relevaient d’actes d’apologie du terrorisme. L’état d’urgence a occasionné l’interdiction de 155 manifestations en dix-huit mois et a servi de cadre pour ordonner 639 interdictions individuelles de manifester.

Pourtant, alors même que, tirant ce bilan, nous avions démontré que l’état d’urgence n’était pas une réponse satisfaisante et posait de graves problèmes en termes de libertés publiques – par exemple, il a été largement démontré que les individus qui avaient été interdits de manifester n’avaient été, pour nombre d’entre eux, auteurs d’aucune violence –, le Gouvernement a fait en sorte, via la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, d’inscrire les principes de l’état d’urgence dans le droit commun.

Vous avez accepté le filtrage individuel des manifestants.

La loi dite « anticasseurs », promulguée cette année, prévoyait que l’autorité administrative pourrait interdire toute manifestation à une personne constituant une « menace d’une particulière gravité pour l’ordre public ».

C’est accepter l’idée qu’il n’est pas nécessaire de passer à l’acte pour être coupable.

C’est accepter l’idée que le préfet prenne la place du juge – et nous touchons là aux fondamentaux !

Le Conseil constitutionnel a, fort heureusement, joué son rôle de garant et censuré ce dispositif. Avons-nous pour autant entendu ce rappel à l’ordre ? Je ne le pense pas.

Vous avez accepté que la doctrine française du maintien de l’ordre devienne celle de la lutte contre les violences urbaines et que notre gouvernement considère son propre peuple comme son adversaire.

Cela doit nous ouvrir les yeux sur les méthodes qui ont été employées depuis plus de vingt dans nos banlieues et qui, de fait, sont maintenant employées contre des manifestants de tout âge et de toutes origines sociales.

Or, ces méthodes, qui nous apparaissent aujourd’hui dans toute leur violence, comment avons-nous pu accepter qu’elles soient utilisées, normalisées, légitimées, dans des quartiers de France où, désormais, l’uniforme est parfois vécu comme une menace et non plus comme une protection ?

Il faut changer radicalement d’orientation et renouer les liens de notre police avec les Français.

Il ne s’agit pas là de céder à l’angélisme, mais de se rendre à l’évidence : la violence engendre la violence. Nous ne pouvons cautionner les pratiques qui entretiennent les discriminations. La Cour de cassation, en novembre 2016, a relevé le caractère abusif des contrôles d’identité discriminatoires et a condamné l’État pour faute lourde.

Ma collègue Michelle Meunier, élue de la Loire-Atlantique, peut témoigner de ce qui s’est déroulé sous nos yeux : comment certaines manifestations sportives ou culturelles ont servi de laboratoire de la contention, voire de la répression de la foule par les forces de l’ordre, la police finissant, à Nantes, par disperser la Fête de la musique par des mesures disproportionnées, qui ont conduit à la chute dans la Loire de quinze personnes et à la noyade tragique de Steve.

Vous avez accepté le dévoiement total de l’usage des lanceurs de balles de défense, qui blessent gravement et handicapent à vie. Depuis le début du mouvement des « gilets jaunes », vingt-cinq personnes ont perdu un œil, cinq une main.

Je voudrais ici saluer les journalistes, qui, mettant parfois en jeu leur propre intégrité physique, nous ont permis de mesurer les conséquences de cette conception du maintien de l’ordre par la répression systématique. Car qui contrôle les forces de l’ordre ? L’IGPN n’est pas indépendante, le parquet non plus, et le juge est trop peu souvent saisi.

Les experts en droits de l’homme de l’ONU ont fait part de leurs inquiétudes, relevant la mise en place d’une conception nouvelle de la pratique judiciaire, celle d’une société sans vrai procès. Sont pointés du doigt le nombre élevé d’interpellations, de gardes à vue et de fouilles, l’utilisation abusive de la comparution immédiate, des audiences de nuit et des gardes à vue sans qu’aucune infraction soit constatée ou sans qu’aucune condamnation soit prononcée après coup.

Malgré cela, nous offrons souvent de belles leçons de morale « à la française » à ceux qui nous alertent.

Mme Sophie Taillé-Polian. Parlons-en, justement, de ceux qui nous alertent. Vous avez accepté de sacrifier les lanceurs d’alerte, notamment les journalistes, sur l’autel complaisant du secret des affaires. Vous avez accepté de mettre en danger le secret des sources. En mai, plusieurs journalistes du Monde et de Disclose ont été convoqués par la DGSI pour avoir diffusé des contenus relatifs à l’affaire Benalla et à l’utilisation d’armes françaises par l’Arabie saoudite au Yémen. En février, Mediapart faisait face à une perquisition scandaleuse !

Vous avez accepté que notre liberté d’expression soit limitée. La proposition de loi contre les contenus haineux sur internet viendra s’ajouter à la liste, alors même que nous avons observé, la semaine dernière encore, à quel point les réseaux sociaux pouvaient être des lieux de censure, après la suspension de comptes Facebook et Twitter de syndicalistes de la SNCF.

Vous êtes en train de céder sur la biométrie faciale, qui va s’installer progressivement, si nous n’y prenons garde, dans notre vie quotidienne. Face à ces dérives permises par les avancées technologiques, la CNIL a de bien trop faibles moyens.

Vous êtes en train de promouvoir la société de vigilance et le transfert de responsabilité de l’État vers les citoyens pris individuellement. Conséquence : ce ne sont plus les autorités qui assument, mais la société tout entière qui s’inquiète et qui, dès lors, participe à la construction des barreaux d’un espace sécuritaire toujours plus important.

Toutes les digues sautent.

Ce qui est sûr, c’est que l’ensemble de ces dispositifs contribuent à accroître la violence dans notre société plutôt qu’à la résorber.

Benjamin Franklin le disait : « Un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l’une ni l’autre et finit par perdre les deux. »

Mes chers collègues, un État de droit, c’est aussi un pouvoir exécutif contrôlé. Notre débat est un débat de contrôle, et nous en connaissons les limites. L’illustration en sera très certainement criante, car, quelle que soit la teneur des propos qui seront échangés ici, quelle que soit la gravité des faits exposés, qui, mis bout à bout, offrent un tableau alarmant de l’état de nos libertés publiques, le pouvoir exécutif nous répondra, certes, mais n’aura aucune obligation d’en tenir compte. Cette situation doit aussi nous interpeller quant au rôle du Parlement, qui doit être renforcé dans l’exercice de ses missions de contrôle. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, l’article XVI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen dispose qu’une « société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution. » C’est sur ce fondement que nous avons construit patiemment, depuis deux siècles, notre État de droit.

Cet État de droit s’est constitué autour d’institutions parlementaires et juridictionnelles. C’est le Parlement qui, tout d’abord, a su s’émanciper du pouvoir exécutif pour instituer un régime de liberté. C’est l’époque des grandes lois de la IIIe République comme celle sur la liberté de la presse. Nous vivons encore sur ces acquis républicains, qui sont notre ADN commun. Je n’oublie pas que le Sénat fut à cette époque, notamment lors de l’affaire Dreyfus, un défenseur intransigeant de ces libertés. Je ne m’étonne pas que vous soyez encore profondément attachés à ces questions, comme en témoigne le débat d’aujourd’hui.

Cet État de droit s’est aussi constitué grâce à la montée en puissance de nos juridictions judiciaire, administrative et, plus tardivement, constitutionnelle. Je ne prendrai qu’un exemple récent, avec l’introduction dans la Constitution de la question prioritaire de constitutionnalité par la révision constitutionnelle de 2008.

Le débat d’aujourd’hui s’intitule : « Assistons-nous à un recul de l’État de droit en France ? » J’ai entendu le propos introductif de Mme la sénatrice Taillé-Polian et les inquiétudes qu’elle a exprimées. Je vous le dis : je les ai trouvées, pour un certain nombre d’entre elles, excessives, voire inexactes.

M. Loïc Hervé. Nous sommes d’accord !

M. Marc Fesneau, ministre. Je ne prends pas pour autant à la légère ces préoccupations, car je pense que, en matière d’État de droit, nous devons toujours être vigilants. Il s’agit d’une conquête permanente, et rien n’est jamais totalement acquis. Par tous les moyens, nous devons conforter et même renforcer l’État de droit. Mais faut-il considérer qu’il serait menacé en France ?

En ce domaine, la vigilance n’interdit pas la rigueur et la lucidité. Oui, nous faisons face à des menaces de tous ordres, à des menaces nouvelles, à des menaces qui s’amplifient ! Le terrorisme a justement pour projet d’anéantir tout ce à quoi nous croyons ensemble : la République, la démocratie, la liberté, l’égalité, en particulier l’égalité entre les hommes et les femmes.

Madame la sénatrice, il me semble que ce gouvernement a justement voulu sortir de l’état d’urgence. Un gouvernement précédent avait été obligé de l’instaurer – et il avait eu raison –, mais c’est nous qui avons fait entrer dans le droit commun des mesures auparavant exceptionnelles.

Mme Sophie Taillé-Polian. En les inscrivant dans la loi !

M. Marc Fesneau, ministre. Le populisme et la démagogie entendent aussi ébranler notre démocratie représentative. Or, si la représentation politique doit évoluer et faire plus de place à la participation des citoyens, elle constitue le fondement de notre démocratie et, partant, de notre État de droit.

Ne nous y trompons pas. Ceux qui sèment le désordre absolu ou qui le cherchent n’ont jamais pour dessein de respecter les libertés. L’histoire en offre bien des témoignages.

Face à cela, le Gouvernement est attentif à assurer le respect des libertés en trouvant des équilibres entre différentes aspirations. Tel est le cas, par exemple, lorsqu’il s’agit de rendre possible le droit de manifester dans des conditions sereines en empêchant les casseurs – car c’est bien de ce cela dont il s’agit – de porter atteinte aux personnes et aux biens.

Tel est aussi le cas lorsqu’il s’agit de lutter contre la propagation de la haine en ligne dans un espace numérique où le meilleur et le pire souvent se côtoient. Nous devons trouver des équilibres entre le maintien de la liberté de cet espace, mais aussi le respect des personnes en mettant fin à ce qui s’apparente parfois à des torrents de haine déversés en toute impunité.

Tel est encore le cas quand nous luttons contre les manipulations de l’information et les fake news, car elles peuvent porter atteinte au fonctionnement de notre démocratie – on l’a vu dans d’autres pays – avec des conséquences d’une extrême gravité.

Quant à la justice, elle demeure le fondement même de l’État de droit. Le Gouvernement s’est engagé dans une réforme de fonctionnement avec la loi de programmation de la justice afin de donner plus de moyens à cette dernière et de lui permettre d’être plus accessible à nos concitoyens.

C’est également préserver l’indépendance de la justice. La loi organique de 2013 a interdit les instructions individuelles faites aux parquets. Le Gouvernement respecte scrupuleusement cet interdit. Quant aux nominations des membres du parquet, le Gouvernement propose que le Conseil supérieur de la magistrature donne désormais un avis conforme.

Madame la sénatrice, vous avez pris des positions très critiques faisant état d’une présidence autoritaire ou de lois liberticides. Votre droit de porter ces critiques est fondamental, et je suis heureux que vous puissiez l’exercer pleinement. C’est ce qui nous vaut ce débat aujourd’hui. Mais je crois que ce sujet est suffisamment important pour ne pas porter de jugements excessifs ou à l’emporte-pièce, car l’État de droit est une chose précieuse et fragile.

Par son article V, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen affirme : « La loi n’a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société. Tout ce qui n’est pas défendu par la loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas. »

Des lois sont votées. Certaines d’entre elles défendent les actions nuisibles à une société fragile et en proie au doute. Le Conseil constitutionnel veille à ce que les lois respectent l’État de droit. Telle est la situation dans notre pays. Je crois que nous devons en apprécier toute la réalité, car, dans bien d’autres pays, y compris parfois en Europe, tel n’est pas tout à fait le cas.

Débat interactif

M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.

Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question, suivie d’une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.

Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.

Dans le débat interactif, la parole est à M. Jean-Raymond Hugonet.

M. Jean-Raymond Hugonet. L’État de droit est un concept juridique, philosophique et politique. Il implique dans un État la prééminence du droit sur le pouvoir politique et que tous, gouvernants et gouvernés, doivent obéir à la loi. En effet, l’État de droit suppose le respect de la hiérarchie des normes, l’égalité devant le droit et l’indépendance de la justice.

La loi votée par le législateur peut être déclarée inconstitutionnelle par une cour qui s’appuie sur un certain nombre de principes. La réforme du 23 juillet 2008 de notre Constitution permet, sous certaines conditions, d’invoquer l’inconstitutionnalité d’une loi. C’est la question prioritaire de constitutionnalité.

On peut également considérer l’État de droit d’une façon bien plus large que le seul respect de la hiérarchie des normes, en intégrant dans sa définition un contenu dont le cœur est, en France, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, le préambule de la Constitution de 1946 et la Constitution de 1958.

Dès lors, il apparaît que la question des mesures à prendre d’urgence pour lutter, par exemple, contre les violences terroristes, met en cause ces différentes conceptions de l’État de droit. Or, dans les pays démocratiques, il est essentiel que les ennemis de la démocratie soient combattus par des moyens démocratiques. C’est même la difficulté centrale !

L’État de droit existe lorsque la loi votée par le Parlement est appliquée et que les décisions administratives sont rapidement exécutées.

L’État de droit existe lorsque les citoyens ont confiance dans les institutions de la République et que celle-ci sait, d’une part, se faire respecter et, d’autre part, faire respecter les droits fondamentaux de ces derniers.

Pour ma part, mes chers collègues, sur ces deux points et pour ne citer qu’eux, il me semble que le doute est permis et que le recul est flagrant. Aussi prenons garde, monsieur le ministre, à cette situation, car, lorsque l’État de droit est bafoué, ce sont la cohérence et la solidarité de la nation qui sont menacées. Qu’entendez-vous faire pour améliorer cette situation ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur, l’État de droit suppose un strict respect, vous l’avez rappelé, de la hiérarchie des normes – on le sait depuis deux siècles, et c’est finalement l’un des héritages des Lumières et de la Révolution française –, mais aussi et surtout de la doctrine constitutionnelle du début du XXsiècle, en particulier celle de Hans Kelsen.

Dans notre pays, nous avons désormais un édifice juridique très robuste. L’institution du Conseil constitutionnel en 1958, sa décision de 1971 sur la liberté d’association, sa saisine ouverte à soixante parlementaires – réforme que l’on doit au Président Giscard d’Estaing – et, enfin, l’introduction de la QPC en 2008 : tout cela a contribué à ce que notre bloc de constitutionnalité soit protégé et respecté.

La loi doit respecter la Constitution, vous le savez mieux que moi encore. Elle doit aussi respecter les conventions internationales, singulièrement la convention européenne des droits de l’homme. Il appartient ici à toutes les juridictions d’assurer ce respect, ce que les juges judiciaires depuis 1975 et les juges administratifs depuis 1989 font. C’est aussi l’une des conditions absolues de notre État de droit. Il s’agit même d’une certaine façon de sa clé de voûte.

Le Gouvernement est toujours attentif à ces données juridiques, comme le Parlement d’ailleurs. Il ne le serait pas que les juridictions, en particulier le Conseil constitutionnel, nous rappelleraient à l’ordre, comme elles le font parfois à bon escient.

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.

M. Jean-Yves Leconte. Le fondement de l’État de droit, c’est une séparation des pouvoirs dans laquelle l’autorité judiciaire est indépendante et la justice ainsi que les décisions qu’elle rend sont dépourvues de toute suspicion.

Notre Constitution prévoit que le juge judiciaire est garant de nos libertés individuelles. L’article 6 de la convention européenne des droits de l’homme garantit, quant à lui, le droit à un procès équitable, dont le principe du contradictoire est un des fondements.

Or nous assistons actuellement à un inquiétant glissement des prérogatives du juge judiciaire vers l’exécutif et l’administration, mais aussi à plusieurs atteintes aux droits de la défense, qui sont particulièrement inadmissibles et inquiétantes pour nos libertés. À ce titre, j’évoquerai les pratiques relatives à des personnes étrangères « entendues » en visioconférences effectuées depuis un commissariat dans le cadre d’un appel de la décision du juge des libertés et de la détention prolongeant leur enfermement, dans l’attente d’une procédure d’éloignement. Cela s’est produit dans un commissariat, un établissement de police, dépendant du ministère de l’intérieur, qui jouxte le CRA d’Hendaye au Pays basque !

Plusieurs associations et syndicats d’avocats ont dénoncé ces audiences scandaleuses « conçues dans le seul but de faire l’économie des escortes policières » et « tenues en violation des principes les plus essentiels régissant les débats judiciaires dans un État de droit ».

Si les vidéoaudiences, sans consentement des intéressés, ont été malheureusement introduites avec le vote de la loi Collomb relative à l’asile et à l’immigration, il n’en demeure pas moins que l’article L. 552-12 du Ceseda prévoit à cette fin des « salles d’audience ouvertes au public » et la « confidentialité de la transmission ». Or, en l’espèce, un commissariat n’est pas une salle d’audience remplissant ces conditions !

Ces vidéoaudiences semblent donc dépourvues d’une base légale. Comment rendre une justice impartiale depuis des locaux de police et en dehors d’un bâtiment du ministère de la justice ? Comment rendre la justice sans respecter les conditions de son exercice, de son impartialité et le droit de la défense ?

Monsieur le ministre, dans un climat où le justiciable manifeste de plus en plus de méfiance à l’égard du système judiciaire, comment peut-on justifier de telles dérives ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur, vous m’interrogez sur certaines conditions de garde à vue.

Les gardes à vue demandées sur l’initiative d’un officier de police judiciaire, ou sur demande d’un procureur ou d’un juge d’instruction, sont toujours placées sous le contrôle d’un magistrat, qui peut les lever dès qu’il estime que la mesure n’est plus nécessaire. Le code de procédure pénale décrit précisément les cas dans lesquels des personnes peuvent être placées en garde à vue. Il s’agit, principalement, de conduire l’enquête et d’empêcher que l’infraction ne se poursuive. C’est une mesure essentielle au travail d’investigation, qui a son équivalent dans tous les systèmes juridiques.

La garde à vue est soumise enfin au contrôle des juridictions de jugement lorsque la procédure est présentée au tribunal.

Vous posez la question du recul en France de l’État de droit en raison d’un recul du juge dans ce domaine. Je puis vous garantir qu’il n’en est rien. L’emploi des moyens coercitifs est très encadré et le contrôle du juge est omniprésent, que ce juge soit le juge national ou parfois le juge européen.

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour la réplique.

M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le ministre, je vous interrogeais d’abord sur la vidéoaudience et sur la justice rendue dans des commissariats. Vous avez répondu à côté. Avez-vous écouté ma question ou avez-vous mélangé vos réponses ? Je l’ignore. Quoi qu’il en soit, vos explications n’ont rien à voir avec la question que j’ai posée, ce qui prouve bien la considération du Gouvernement pour l’État de droit !

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.

M. Jean-Claude Requier. Je remercie tout d’abord nos collègues du groupe socialiste et républicain de ce débat qui soulève beaucoup de passions, mais aussi des questions consubstantielles à notre démocratie. Ce rappel est salutaire : notre État de droit n’est pas un acquis qu’il nous suffit de revendiquer par réflexe, sans conscience ni vigilance. Il doit être protégé en permanence et affermi contre tous ceux qui abusent de ses valeurs pour prêcher l’intolérance et tenter de miner nos libertés.

Oui, notre République est le fruit d’une histoire complexe, d’oppositions, de luttes, comme de moments d’unité nationale lorsque l’essentiel est en jeu ! La démocratie représentative en est l’incarnation, certes imparfaite, mais sûrement la plus poussée pour que s’expriment les composantes du corps social.

Le Parlement vote la loi, dans les conditions fixées par la Constitution de 1958, mais encore faut-il qu’il dispose de toute l’information utile pour délibérer en connaissance de cause. Or notre société tend vers toujours plus de complexité et d’informations à trier et à analyser.

J’ajoute que la Constitution favorise structurellement la concentration par le pouvoir exécutif de la masse critique de données nécessaires pour légiférer. Je pense, par exemple, aux données de fiscalité locale, qui seraient indispensables au représentant des collectivités territoriales qu’est le Sénat.

C’est enfin peu dire également que les études d’impact sont des coquilles vides en ce qu’elles n’engagent pas à grand-chose, puisque seul leur formalisme fait grief.

Ma question est donc simple : comptez-vous améliorer l’information préalable du Parlement, en lui donnant réellement accès à davantage de données, afin de nourrir ses travaux et d’éclairer ses votes ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le président Requier, vous m’interrogez au fond sur trois sujets.

Premièrement, vous m’interrogez sur l’information des parlementaires en amont des débats législatifs. Il me semble qu’on essaye de progresser, puisqu’un agenda prévisionnel sur trois mois est envoyé au Sénat pour faciliter le travail en amont et que nous avons pu, dans certains cas – c’est au président du groupe du RDSE que je m’adresse –, travailler à la construction avec les sénateurs. Je pense, par exemple, à la conférence de consensus qui s’est tenue sur le logement, initiative proposée par le Sénat pour préparer le projet de loi sur le logement.

Deuxièmement, vous m’interrogez sur les études d’impact et leur caractère parfois imparfait, incomplet ou insatisfaisant. Je vous rappelle qu’une circulaire du Premier ministre, en date du 5 juin 2019, demandait que les études d’impact puissent comporter des indicateurs permettant de préciser les effets attendus de la réforme envisagée. Ce sont des objectifs mesurables, tournés vers les Français, pour partie qualitatifs et aisément compréhensibles par tous : faciliter l’information des sénateurs et améliorer le suivi après le vote des lois.

Troisièmement, vous m’interrogez sur les données fiscales. Une convention passée avec le Sénat permet l’accès au logiciel dit « Chorus », qui est l’outil de gestion financière, budgétaire et comptable de Bercy. Il me semble qu’un hackathon est prévu à partir du mois de janvier avec Bercy et le Sénat sur cette question. Cette manifestation permettra aussi d’améliorer le processus sur l’accès aux données fiscales.

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. L’État de droit est-il en recul en France ? À cette interrogation, je répondrai sans préambule que, oui, indéniablement, l’État de droit est mis à mal au sein de la nation.

Qu’est-ce qu’un État de droit ? Un système institutionnel dans lequel la séparation des pouvoirs est de mise. Un système institutionnel dans lequel la branche judiciaire prévient toute atteinte aux libertés fondamentales et sanctionne sa police quand des dérives sont à déplorer, comme ce fut le cas avec le mouvement social des « gilets jaunes », à l’encontre des lycéens de Mantes-la-Jolie ou quand le jeune Steve a disparu.

Depuis plusieurs années, tant les exécutifs successifs que la majorité conservatrice du Sénat utilisent la loi pour porter atteinte à de nombreux droits fondamentaux.

En 2017, un projet de loi a fait entrer dans le droit commun des dispositions de l’état d’urgence. En avril et en octobre 2019, des propositions de loi sont venues gravement porter atteinte aux droits à manifester et à s’exprimer dans l’espace public.

Peu à peu, nous entrons dans une société de la répression permanente. Les droits inhérents à une démocratie moderne sont mis à genou au nom de la lutte contre le terrorisme et du maintien de l’ordre public.

Alors que tout semble désormais permis en matière sécuritaire, ma question est simple, monsieur le ministre : quand les pratiques de nos forces de police seront-elles encadrées, sur le modèle de la « désescalade » dans les manifestations appliquée en Allemagne et dans les pays scandinaves ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Madame la sénatrice, je ne partage pas votre point de vue sur la question de l’État de droit. Le recours assez régulier à la violence dans les manifestations, c’est un problème pour l’État de droit. La menace qui pèse sur les journalistes dans leur travail, c’est une menace contre l’État de droit. Les violences à l’endroit des policiers ou des forces de secours, c’est une menace contre l’État de droit. Les actions terroristes et le danger qu’elles font peser, y compris sur la cohésion collective, c’est une menace contre l’État de droit.

On peut certes regarder les choses comme vous le faites, mais un certain nombre d’événements se produisent qui nécessitent que notre pays se dote de moyens et d’outils pour rétablir l’État de droit et protéger nos citoyens, y compris dans leur droit de manifester.

Je vous rappelle que nous sommes profondément attachés – cela a été rappelé à plusieurs reprises – à la liberté de manifestation. Ce droit s’inscrit dans les racines de notre démocratie, c’est d’ailleurs un droit et une liberté fondamentale. Contrairement à ce que vous dites, je ne pense pas que nous pénalisions le droit à manifester – car, au fond, c’est ce que vous affirmez. En revanche, il faut reconnaître que, lors de l’émergence il y a tout juste un an du mouvement des « gilets jaunes », des faits d’une violence inouïe ont été commis à Paris ou en région. Chacun a pu le mesurer : cela n’a plus rien à voir avec le fait d’exprimer son opinion sur la voie publique.

Les parquets ont exercé leurs prérogatives, conformément à la loi. Des manifestants qui commettent des actes délictuels – pillages, violences – contre les forces de l’ordre ne sont plus des manifestants et doivent être poursuivis conformément à la loi.

Garantir l’État de droit, c’est garantir la possibilité de manifester publiquement. Je ne voudrais pas que, par notre incapacité à empêcher les Black Blocs d’agir, nous privions les manifestants pacifistes du droit à manifester. C’est bien dans ce cadre-là que la doctrine du maintien de l’ordre s’inscrit pour faire respecter l’État droit, en particulier la liberté de manifester.

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour la réplique.

Mme Esther Benbassa. Monsieur le ministre, la sécurité doit nous permettre d’exercer nos libertés et non de les restreindre. Vous avez parlé des « gilets jaunes » et de leur violence. Je crois que vous les confondez avec les Black Blocs ! Ceux qui commettaient les violences, c’étaient des Black Blocs que les forces de l’ordre n’arrêtaient pas ! Certes, il y a eu également des violences de la part des « gilets jaunes », mais, curieusement, les Black Blocs n’ont pas souvent été arrêtés…

Notre population est meurtrie par plusieurs mois de contestation sociale. Le rôle de l’État de droit est de permettre à nos concitoyens d’exercer leur liberté d’expression et de manifester. Les entraves se multiplient ces derniers mois. Je crains, hélas ! que nos institutions ne puissent bientôt plus garantir liberté et sérénité aux mouvements sociaux populaires dans nos territoires.

M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot.

Mme Colette Mélot. Nous avons vu ces dernières années le climat sécuritaire de la France se tendre. Afin de parer les menaces, des mesures ont été prises. Le gouvernement précédent y a largement contribué, notamment avec l’importante loi relative au renseignement de 2015 et un état d’urgence prolongé. La majorité actuelle poursuit cette démarche, et certains sont inquiets de voir la liberté de plus en plus contrainte au profit de la sécurité.

Il est vrai que nous voyons dans le domaine de la sécurité, comme dans les autres, proliférer une inflation législative toujours plus difficile à maîtriser. « Les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires », disait Montesquieu. La profusion permanente de nouvelles règles fait peser un risque sur l’État de droit.

Nul n’est censé ignorer la loi, mais qui peut prendre connaissance et retenir la soixantaine de lois promulguées chaque année ?

Partant de ce constat, le groupe Les Indépendants est convaincu que nous devons collectivement veiller à limiter la production de nouvelles normes et à ce que les lois restent de portée générale et visent à s’appliquer à tous. Cela nous permettrait d’améliorer sensiblement la stabilité du cadre juridique de nos concitoyens, mais aussi la connaissance des libertés et des devoirs de chacun.

À l’heure actuelle, certaines normes créent de nouveaux dispositifs censés être plus adaptés aux situations nouvelles. Mais nous constatons bien souvent qu’un dispositif préexistant, de portée plus générale, pourrait suffire à régler les difficultés récentes s’il était effectivement mis en œuvre.

Monsieur le ministre, le Gouvernement partage-t-il ce point de vue et compte-t-il s’engager sur cette voie aux côtés du Parlement ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Madame la sénatrice, vous avez raison : l’État de droit, c’est aussi la lisibilité du droit, car si nul n’est censé ignorer la loi, encore faut-il être en mesure de la connaître dans sa profusion. Aucun esprit, aussi puissant soit-il, même s’il avait les capacités d’un Pic de la Mirandole, n’est en mesure aujourd’hui de maîtriser tout notre corpus législatif. Vous le soulignez à juste titre : lutter contre l’inflation législative est au fond un vieux combat. Chacun s’y est attaqué à sa façon, quelles que soient les majorités.

Le Sénat a pris des initiatives heureuses, par exemple, en déclarant irrecevables de manière systématique les amendements non normatifs, les cavaliers divers ou réglementaires. Mais cela ne peut suffire, et le chantier est immense, car nous partons de loin.

Des solutions plus fortes pourraient être trouvées, je suis d’accord avec vous. Si la Constitution de 1958 établit une distinction plus stricte entre la loi et le règlement, c’est aussi pour préserver le caractère simple, lisible et surtout général de la loi. Nous devons retrouver collectivement cet esprit et cette inspiration initiale. Il faut être conscient que voter des lois plus générales, c’est aussi donner plus de latitude aux juges pour régler au quotidien les litiges. Cela a toujours été l’office de la jurisprudence. C’est aussi ainsi que cela se passe dans de nombreux pays qui sont de grands États de droit.

Je suis, pour ma part, grandement convaincu de la nécessité de nous guérir d’une forme d’addiction nationale à la loi et au normatif, ce qui faciliterait au passage le travail du ministre des relations avec le Parlement. (Sourires.) Néanmoins, je suis un peu dubitatif sur notre capacité à trouver des remèdes à la hauteur de ce mal bien français, mais nous y travaillons. C’est en tout cas ce à quoi s’attache chacune des institutions pour ne pas aggraver cette inflation législative.

M. le président. La parole est à M. Michel Canevet.

M. Michel Canevet. Je remplace Vincent Delahaye, qui ne pouvait être parmi nous.

« Sans liberté, il n’y a rien dans le monde. Sans liberté, il n’y a pas de société politique, il n’y a que le néant. » Ainsi s’exprimait Chateaubriand, lui qui avait tout connu des horreurs de la terreur révolutionnaire, de l’autoritarisme impérial et de la réaction de Charles X. Il nous rappelait que sans liberté les citoyens ne sont plus que des individus isolés, face à un État porté par nature à réduire la liberté au nom de l’efficacité.

Certes, la France de 2019 n’est plus celle de 1848. La France est évidemment un État de droit, donnant vie à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen qu’elle est si fière d’avoir rédigée. Néanmoins, depuis quelques décennies, notre législation tend davantage à multiplier les interdits, à accroître la répression et à banaliser les exceptions plutôt qu’à proclamer et à protéger de nouvelles libertés. Nous réduisons largement les libertés des individus dans la société en contrepartie d’une sécurité qui n’est pas toujours bien vécue.

Que la violence et la haine soient blâmables ne fait aucun doute. Que le terrorisme soit le fléau de l’époque pour lequel aucune pitié n’est permise, assurément. Mais cela ne doit pas se faire au mépris de nos libertés que détestent tant ceux que nous combattons.

Force est néanmoins de constater que le recul des libertés se fait par petites touches. Pour ne citer que deux exemples, est-il pertinent de demander au juge de définir dans l’urgence ce qu’est une « fausse information » et ce qui ne l’est pas ? Est-il opportun de réinstaurer une sorte de délit d’opinion comme le préconise la proposition de loi Avia relative à la répression des discours de haine sur internet ? Cette proposition de loi fera des gestionnaires de réseaux sociaux des censeurs arbitraires, sans légitimité démocratique.

La liberté a un prix : celui d’être blessé, révolté et atteint par les opinions contraires. Monsieur le ministre, comme l’écrit François Sureau, si la gauche a abandonné la liberté comme projet et la droite comme tradition, qu’en est-il du Gouvernement ?

Vincent Delahaye propose que l’on abandonne l’examen de la proposition de loi Avia.

M. Jérôme Bascher. Il a raison !

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur, vous m’interrogez en particulier sur la proposition de loi Avia. Ce texte est important, car il tend à mettre les grands fournisseurs d’accès et les GAFA face à leurs responsabilités. La cyberhaine est un fait, vous n’en avez pas disconvenu. Les infractions ainsi commises doivent être sanctionnées, qu’elles soient commises dans la réalité ou dans un espace virtuel. Des équilibres doivent être trouvés. Mme Avia et l’Assemblée nationale s’y sont employées. Je suis certain que le Sénat examinera avec minutie ce texte, comme il le fait toujours, en veillant au plus près au respect des équilibres.

Les enjeux sont, il est vrai, importants. Il ne faudrait pas en arriver à instaurer des mécanismes qui restreindraient les libertés d’expression, mais il importe aussi de sanctionner ce qui relève d’un délit. On ne doit pas impunément pouvoir appeler dans l’espace virtuel à la haine raciste, à l’antisémitisme, à l’homophobie ni proférer des menaces sur internet ou sur les réseaux. Je suis certain que c’est aussi ce que vous souhaitez.

La proposition de loi Avia a été examinée par le Conseil d’État – c’est un élément de nos institutions –, comme c’est possible depuis la révision constitutionnelle de 2008. Le Conseil d’État a fixé le cadre de référence de la Constitution et de la Cour européenne des droits de l’homme. Je sais que l’Assemblée nationale s’est conformée à cette exigence. La Haute Assemblée, je n’en doute pas, examinera tout cela avec attention, et je fais confiance au débat qui aura lieu ici.

M. le président. La parole est à M. Serge Babary.

M. Serge Babary. L’État, selon Max Weber, se caractérise par le monopole de la violence légitime. Guy Carcassonne l’affirmait : « L’emploi de la force publique ne peut se faire que dans le respect du droit, et c’est le fait que l’État se plie à cette exigence qui définit justement ce qu’on appelle l’État de droit ».

Cette idée figure à l’article XII de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « cette force est donc instituée pour l’avantage de tous, et non pour l’utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée. » C’est l’État de droit comme rempart à l’arbitraire, à l’État de police qui ne connaît pas d’autre limite à sa volonté ou à son action que celle de ses forces.

Après l’attaque de la préfecture de police, le Président de la République a affirmé que les institutions seules ne suffiront pas à venir à bout de l’islamisme souterrain. Il a appelé « à bâtir une société de la vigilance », exigeant de chaque citoyen qu’il apporte son concours à la force publique. Ces déclarations ont probablement justifié le présent débat. Si elles interrogent, elles sont surtout révélatrices d’une impuissance de l’État à faire respecter le droit, à faire cesser les atteintes et les provocations contre la République.

Cette crise de l’État de droit ressort, tout d’abord, de son incapacité à garantir la sécurité sans entraver la liberté. La sécurité n’est pas une liberté, mais c’est l’une des conditions de l’exercice de nos libertés. Pendant la crise des « gilets jaunes », la réponse de l’État a été de dire : n’allez pas manifester, car vous ne serez plus en sécurité. Comment en est-on arrivé là ?

Un an et demi après l’évacuation de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, les ex-zadistes sont toujours présents et les tensions demeurent.

Cette crise existe aussi au plus haut de l’État, lorsque l’exécutif critique une mission d’information qui témoigne pourtant de l’indépendance d’une assemblée parlementaire dans l’exercice de son devoir de contrôle, ou encore lorsque la présence d’un juge d’instruction pourrait dépendre des résultats électoraux.

Je conclurais par une citation du général de Gaulle : « Plus le trouble est grand, plus il faut gouverner ! » Monsieur le ministre, quelles mesures concrètes allez-vous prendre pour que l’État de droit ne recule plus en France ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur, vous avez cité avec raison Max Weber, car il a formulé de la manière la plus limpide qui soit les conditions dans lesquelles l’État peut recourir dans certains cas – et dans certains cas seulement – à la force.

L’État de droit doit être protégé contre tous les actes qui entendent y porter atteinte. Je suis d’accord avec vous : pour que l’État de droit existe, il est nécessaire que l’État dispose des moyens juridiques, matériels et humains lui permettant de l’exercer. C’est d’ailleurs de ces moyens dont nous discuterons de nouveau lors du débat budgétaire pour 2020. Nous avons besoin de moyens pour faire respecter les lois.

Vous avez raison de le souligner, la République n’est plus la République sans ce respect des lois. Le Gouvernement n’a de cesse d’assurer ce respect.

En revanche, je suis moins d’accord avec vous quand vous parlez de la séparation des pouvoirs. Lorsqu’un ministre de la justice appelle à respecter la séparation des pouvoirs et l’indépendance de la justice au moment de la création d’une commission d’enquête, il s’agit tout simplement de la stricte application de l’ordonnance du 17 novembre 1958. Cela ne porte pas atteinte à la souveraineté parlementaire ?

Vous nous sollicitez pour que nous proposions des mesures concrètes. Elles sont prises chaque jour lorsque les forces de l’ordre font face à des manifestants violents ou luttent contre le terrorisme. Elles sont prises aussi quand nous donnons plus de moyens à la justice. Elles sont enfin prises quand nous soutenons des initiatives parlementaires, comme celle de la proposition de loi d’initiative sénatoriale sur la liberté de manifester, qui a été reprise par le Gouvernement et votée à l’Assemblée nationale.

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.

M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le ministre, sentez-vous libre de répondre à ma question précédente… (Sourires sur les travées du groupe SOCR.)

Dans un État de droit, toute réduction d’une liberté ou toute contrainte imposée doit être soumise au contrôle du juge et doit se limiter à ce qui est strictement nécessaire et proportionné. Ces principes sont réaffirmés à l’article 66 de la Constitution et constituent le fondement de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Ils sont également rappelés dans la convention européenne des droits de l’homme.

En 2015, compte tenu d’une situation dramatique, nous avons dû nous résoudre à déclarer l’état d’urgence et à donner à l’administration des compétences auparavant dévolues au seul juge du siège.

En 2017, le gouvernement auquel vous appartenez, monsieur le ministre, a décidé que ces mesures exceptionnelles devaient entrer dans le droit commun, confortant ainsi, en particulier, le rôle du parquet, du procureur, en cas de mesures administratives prises à titre préventif.

En 2018, la conjugaison de votre doctrine et de l’évolution de la doctrine du maintien de l’ordre face à la crise des « gilets jaunes », marquée par votre volonté d’appliquer aux manifestants des dispositions inspirées de la lutte antiterroriste en donnant aux préfets des pouvoirs de prévention et d’interdiction de manifester vis-à-vis de personnes non condamnées par un juge, a conduit à limiter largement la liberté de manifester des Français.

Dans ce contexte, compte tenu des nouvelles prérogatives aujourd’hui confiées aux procureurs, quand aurons-nous un parquet réellement indépendant ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur, je tâcherai dans quelques instants de répondre à la question à laquelle j’ai imparfaitement répondu… Reconnaissez que je ne suis pas garde des sceaux : je m’efforce humblement de suppléer ma collègue, et, si des précisions vous manquent, je vous propose que nous vous fournissions un complément de réponse écrit.

S’agissant d’abord de la doctrine d’emploi des forces, je rappelle que le maintien de l’ordre et l’usage juste et proportionné de la force publique sont seuls légitimes dans une démocratie, afin de de rétablir la paix publique lorsque des troubles sont causés et à l’égard de ceux qui ne respectent pas le cadre légal de la manifestation publique. La doctrine de maintien de l’ordre établie par le Gouvernement s’inscrit dans le cadre de ces principes, que vous avez aussi rappelés.

L’emploi des moyens des forces de l’ordre en cas de trouble est gradué en fonction de l’importance de celui-ci. C’est cet équilibre entre le respect du droit de manifester et la garantie de la sûreté qui fonde l’État de droit en démocratie.

Le dialogue est toujours privilégié, et les forces de l’ordre sont réorganisées dans leurs modes d’intervention pour cibler les fauteurs de troubles, en particulier pour empêcher les Black Blocs de se constituer en noyau, et permettre aux manifestants de poursuivre leur marche.

Ainsi, la doctrine du maintien de l’ordre n’a pas d’autre objectif que de garantir le déroulement normal des manifestations. Nous ne devons pas laisser la liberté de manifester, qui est à la racine de la démocratie, être entravée par des individus qui n’ont d’autre mode d’expression que la violence.

J’en viens aux visioconférences. Le Conseil constitutionnel a jugé que le recours à ce dispositif contribuait à la bonne administration de la justice et au bon usage des deniers publics. Par ailleurs, dans certains cas, qu’il s’agisse de prolonger une garde à vue ou une détention, la visioconférence suppose l’accord de la personne concernée.

En ce qui concerne les étrangers placés en rétention sur proposition de l’autorité administrative, il importe que les prolongations respectent le cadre légal : ces mesures, comme vous l’avez souligné, monsieur le sénateur, sont soumises à l’État de droit. Les prolongations sont faites dans ce cadre et évaluées. Par ailleurs, des voies de recours existent, qui garantissent aussi l’État de droit.

Enfin, je répète que les procureurs ne peuvent plus recevoir d’instructions individuelles depuis 2013 ; en outre, ils ne sont pas nommés si le Conseil supérieur de la magistrature émet un avis non conforme aux propositions de la garde des sceaux.

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour la réplique.

M. Jean-Yves Leconte. Merci, monsieur le ministre, pour ces quelques précisions sur les vidéoaudiences. Il importe, pour respecter et faire respecter la justice, que celle-ci soit rendue dans des locaux adéquats – pas dans les commissariats.

S’agissant de l’indépendance du parquet, le Sénat et l’Assemblée nationale ont voté une réforme constitutionnelle. Il convient maintenant, sans attendre le prochain épisode de la série « révision constitutionnelle », que le Congrès adopte définitivement cette réforme pour un Conseil supérieur de la magistrature plus indépendant, rendue indispensable par l’accroissement continu des compétences des procureurs.

M. le président. La parole est à M. Jean-François Longeot.

M. Jean-François Longeot. L’été dernier, plus d’une quinzaine de permanences parlementaires ont été vandalisées et, parfois, visées par des inscriptions injurieuses.

L’été dernier aussi, au lendemain du décès du maire de Signes dans l’exercice de ses fonctions, la commission des lois du Sénat a lancé une consultation des élus pour prendre la mesure des incivilités et violences dont ils sont victimes. Parmi les élus ayant participé à cette consultation, 92 % affirment avoir été victimes d’incivilités, d’injures, de menaces ou d’agressions civiques. Or ils ne sont que 37 % à avoir saisi la justice, et 21 % seulement des plaintes ont abouti à la condamnation pénale des fautifs.

Enfin, le Sénat constate également une augmentation des agressions contre les sapeurs-pompiers, aujourd’hui au nombre de soixante-quatorze par mois en moyenne. Cette augmentation a atteint plus de 23 % entre 2016 et 2017.

Si l’État de droit s’impose à l’État pour la protection des libertés individuelles et des droits de l’homme, il s’impose également aux individus, qui ne peuvent en faire un totem. Car l’État de droit n’est pas une orientation politique ou idéologique, mais consiste en l’application des règles de droit.

L’État de droit doit assumer la liberté, mais aussi combattre l’incivisme et refuser l’immobilisme ; il doit assurer la sécurité de nos concitoyens tout en prévenant l’arbitraire.

Le thème même de ce débat, suggérant un éventuel recul et, a contrario, la possibilité d’avancées, montre que l’État de droit n’est jamais définitivement acquis. De fait, la défiance généralisée, synonyme de manichéisme croissant, ne saurait justifier qu’on se soustraie aux règles de droit pour répondre aux fractures sociales et territoriales qu’elle dénonce. Ce serait apporter de mauvaises réponses à de bonnes questions et affaiblir encore plus le fonctionnement apaisé de notre démocratie.

Monsieur le ministre, comment peut-on rappeler que l’État de droit n’est pas une formule incantatoire, mais reste un objectif à fixer et une ambition à marteler sans cesse face aux attaques dont j’ai parlé ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur, vous m’interrogez en particulier sur les violences contre les élus, locaux ou nationaux.

La préoccupation et la vigilance du Gouvernement sont maximales face à la recrudescence constatée du nombre d’agressions contre des élus locaux, des parlementaires ou leur permanence. Ainsi, la garde des sceaux prépare une circulaire, qui sera diffusée dans les prochains jours à l’ensemble des procureurs généraux et des procureurs de la République, afin de rappeler que les infractions commises contre les élus, qu’ils soient dépositaires de l’autorité publique, comme les maires, ou chargés d’une mission de service public, comme les parlementaires, sont aggravées du fait de leur qualité ; que la réponse pénale, si elle doit être adaptée aux faits et à la personnalité des auteurs, doit être systématique, après défèrement des mis en cause dans les cas les plus graves ; et que les élus victimes doivent être systématiquement tenus informés des suites données à leur plainte.

Plus largement, le dialogue entre les élus, les forces de police et les parquets, déjà permanent, doit être une priorité, car, au-delà du meilleur traitement de la délinquance qu’il permet, il doit aider à comprendre les préoccupations et les alertes et, ainsi, à mieux prévenir les atteintes aux élus, négation même de la démocratie.

Outre les élus, vous avez cité le cas des pompiers ; d’autres autorités, comme les magistrats ou les journalistes, sont également concernées, sans oublier les personnels d’accueil de certains établissements. Nous devons être particulièrement vigilants pour tous et, à chaque fois, trouver une réponse adaptée aux faits graves qui sont commis.

M. le président. La parole est à M. Christophe Priou.

M. Christophe Priou. Je serai factuel, en prenant l’exemple le plus visible, le plus spectaculaire, du recul permanent de ces dernières années : l’échec du projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes.

Cet échec, c’est l’abandon de l’État de droit en zone rurale sur des milliers d’hectares, la démission des pouvoirs publics face à la violence de groupuscules, des voies publiques confisquées au détriment de la circulation : bref, une zone où la République s’est effacée pendant plusieurs années. (M. Serge Babary opine.)

En 2016, les manifestations violentes à Nantes ne furent ni interdites ni autorisées : étonnante jurisprudence que ce « ni-ni » en plein état d’urgence… Sans oublier un référendum dont on n’a pas tenu compte.

En mai 2017, de l’aveu même du Premier ministre, l’ensemble des autorités administratives et juridictionnelles s’étaient prononcées dans le sens d’un feu vert au projet. C’est pourtant le même Édouard Philippe qui, le 17 janvier 2018, annonça l’abandon définitif du projet, faisant fi de plus de 170 décisions de justice favorables.

Sous la présidence d’Emmanuel Macron, une mission de médiation partisane a été nommée. L’impartialité des trois médiateurs a été remise en cause sur le fondement d’éléments indiscutables. Ainsi, ils ont largement minoré les prévisions de trafic. C’est comme si, lors de l’élaboration d’un plan local d’urbanisme, on nommait commissaire enquêteur un propriétaire foncier pour ouvrir les droits à construire : aucun maire ne pourrait l’admettre, ni l’État d’ailleurs avec son contrôle de légalité.

Pour couronner le tout, un représentant de l’État, le préfet de région, est allé trinquer avec les zadistes à l’annonce de l’abandon du projet…

Chaque fois que le politique manque de courage, c’est l’État qui s’affaiblit. Et l’État qui faiblit, c’est le recul du droit !

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur, je ne reviendrai pas sur le fond du dossier de Notre-Dame-des-Landes. Vous m’interrogez sur l’adéquation entre l’État de droit et ce que cette affaire pourrait, selon vous, signifier.

Au fond, dans le processus que vous avez décrit, l’État de droit a reculé chaque fois que l’État a refusé de prendre une décision et de la faire appliquer dans les périodes qui ont précédé l’entrée en fonction de ce gouvernement – sous des gouvernements que, du reste, vous ne souteniez pas forcément.

La vérité, c’est que, pendant cinq, six, sept ans avant la décision prise par le Premier ministre en 2018, on a laissé s’installer, avec la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, une situation intenable. C’est là que l’État de droit a reculé : tout en continuant à œuvrer pour le projet, on ne se donnait pas les moyens de le faire aboutir et on laissait s’installer une zone de non-droit.

La décision du Premier ministre, qui n’était pas simple, a permis de clarifier, enfin, la position de l’État : à force de dire à la fois « on fait » et « on laisse faire », on ne laisse rien faire… D’une part, nous renoncions au projet tel qu’il était conçu, en prévoyant des mesures d’accompagnement – je sais, monsieur le sénateur, que vous êtes vigilant à cet égard – ; d’autre part, il fallait que la ZAD soit évacuée. C’est une reconquête territoriale qu’il a fallu opérer sur ce territoire, devenu, comme vous l’avez bien expliqué, une zone de non-droit.

Je vous signale que des zones de même nature étaient en train de se constituer et que le Gouvernement a agi pour éviter que ne se reforme, notamment à Bure, ce qui s’était développé à Notre-Dame-des-Landes.

Ainsi, nous nous sommes efforcés, d’une part, d’assurer l’État de droit en faisant cesser une occupation illégale et, d’autre part, pour les projets à venir, de tirer les conséquences de l’expérience de Notre-Dame-des-Landes, douloureuse pour ce territoire, afin d’éviter que des situations de même nature ne bloquent des projets ou ne donnent naissance à des zones de non-droit dans la République française. C’est dans cet esprit que nous avons œuvré à Notre-Dame-des-Landes, à Bure et ailleurs.

M. le président. La parole est à M. Christophe Priou, pour la réplique.

M. Christophe Priou. Il faut rappeler aussi, monsieur le ministre, la promesse non tenue du candidat devenu Président de la République de respecter le résultat du référendum…

Sans oublier les décisions annoncées hier par le Gouvernement : la prolongation de 400 mètres de la partie sud de la piste de l’aéroport actuel en direction de l’une des plus grandes zones humides de France et le sacrifice d’habitants de la banlieue nantaise, notamment ceux de Saint-Aignan-de-Grand-Lieu, qui subiront les nuisances actuelles et futures. Au bout du compte, le coût du projet pourrait atteindre le prix d’un aéroport neuf !

Ce compromis, aujourd’hui, tutoie l’abandon et le renoncement : c’est bien la conséquence du recul de l’État de droit !

M. le président. La parole est à Mme Sylvie Robert.

Mme Sylvie Robert. La liberté de la presse, une pierre angulaire de notre État de droit, est d’autant plus nécessaire que jamais notre société n’a été aussi informée par les chaînes d’information, internet, les réseaux sociaux et même les médias traditionnels. D’ailleurs, ceux qui souhaitent nuire à la démocratie commencent souvent par s’en prendre à la presse.

Voici ce que disait un de nos illustres prédécesseurs, Victor Hugo : « La liberté de la presse à côté du suffrage universel, c’est la pensée de tous éclairant le gouvernement de tous. Attenter à l’une c’est attenter à l’autre. »

Le dernier rapport de Reporters sans frontières fait état, pour la seule année 2018, de la mort de 80 journalistes, dont 49 assassinés en raison de leur profession. En dix ans, ce sont 702 journalistes qui ont trouvé la mort dans ces conditions. Par ailleurs, 348 journalistes sont en détention et 60 gardés en otage. Voilà l’état de la presse dans le monde !

Nous vivons dans un pays qui garantit la liberté la presse en la rattachant à notre Constitution, et c’est une chance. Pourtant, chez nous aussi, des menaces existent.

Elles sont, d’abord, d’ordre financier : la situation économique de la presse se dégrade, laissant apparaître des concentrations inédites, avec des risques pour l’indépendance des titres, et des achats d’éditeur sans respect des rédactions, malgré nos lois. De plus en plus de journaux et de chaînes peinent à produire de l’information par manque de moyens. Actuellement, nous nous débattons face aux Gafam pour que la presse bénéficie de la valeur qu’elle crée.

Les menaces sont aussi d’ordre international, avec la divulgation par certains États ou personnes affiliées d’infox qui influencent l’issue d’élections ou de référendums et, plus généralement, s’attaquent au débat démocratique.

Elles sont, enfin, d’ordre sociétal, car une parole violente s’exerce contre les journalistes, ouvrant la voie à des attaques physiques contre ceux qui se rendent sur le terrain.

Mis bout à bout, ces périls nuisent à la liberté de la presse dans notre pays ; par la violence ou les risques de contentieux, ils créent une forme d’autocensure chez les journalistes.

À la lumière de constat, monsieur le ministre, quelles actions le Gouvernement compte-t-il entreprendre pour protéger la liberté de la presse, dans un moment où nous en avons tant besoin ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Madame la sénatrice, je commencerai par la dimension économique de votre question. Même si elle n’est peut-être pas l’aspect le plus important de la liberté de la presse, il est nécessaire que les journalistes et les éditeurs puissent travailler dans un cadre qui leur permette de vivre de leurs publications.

David Assouline, au Sénat, et Patrick Mignola, à l’Assemblée nationale, quoique d’horizons politiques différents et siégeant dans deux assemblées de sensibilités politiques différentes, ont uni leurs efforts sur la question des droits voisins. Nous avons été les premiers à proposer la transposition de la directive européenne, votée à l’Assemblée nationale et au Sénat. Je rends hommage au travail qui a été accompli afin que les journalistes soient rémunérés pour leur travail, y compris quand leurs articles sont publiés sur les plateformes.

Il se trouve que la société Google a décidé de ne pas respecter la directive européenne. C’est dans le cadre européen qu’il faut mener le bras de fer, et je suis sûr que nous y arriverons.

On voit bien que c’était une première étape. Les géants du numérique, nous le voyons bien, s’efforcent de ne pas payer le travail des journalistes. Dans ce domaine, nous ne pourrons avancer que si l’Europe sait faire valoir sa puissance vis-à-vis des Gafam.

Le travail réalisé sur la loi dite Bichet pour moderniser la distribution de la presse vise aussi à assurer à celle-ci une rémunération juste, afin qu’elle vive mieux de son travail.

Si la France, comme vous l’avez souligné, garantit mieux la liberté de la presse, nous devons permettre aux journalistes de travailler dans des conditions satisfaisantes, en particulier lors des manifestations.

Ils doivent aussi pouvoir exprimer leurs opinions et avis. À cet égard, je me souviens que, au moment de la crise dite des « gilets jaunes », certains manifestants, certes peu nombreux, ont empêché la publication ou la distribution d’un journal de l’ouest de la France, parce qu’ils n’étaient pas d’accord avec l’éditorial d’un journaliste : c’est une entrave à la liberté de pensée et à la liberté d’opinion. Nous avons agi pour que chacun puisse exercer cette liberté comme il l’entend.

Nous avons besoin, comme contre-pouvoirs, de journalistes qui expriment leurs opinions. Soyez assurée, madame la sénatrice, que le Gouvernement est particulièrement vigilant à ce sujet !

M. le président. La parole est à Mme Sylvie Robert, pour la réplique.

Mme Sylvie Robert. La loi sur le secret des affaires, celle sur la manipulation de l’information, la proposition de loi que nous examinerons bientôt relative à la haine sur internet témoignent d’une forme de judiciarisation de l’information hors du cadre protecteur de la loi de 1881. Cet enjeu nécessite un engagement de tous, singulièrement du Gouvernement.

M. le président. La parole est à M. François Bonhomme.

M. François Bonhomme. Un État de droit digne de ce nom, c’est un État qui assure la primauté du droit, l’égalité devant la loi, la responsabilité au regard de la loi, l’équité dans l’application de celle-ci, la séparation des pouvoirs, la participation à la prise de décision, la sécurité juridique, le refus de l’arbitraire et la transparence des procédures. En d’autres termes, peut se prévaloir de ce nom un État dans lequel le droit s’impose à tous. Or de nombreuses situations nous portent à croire que notre État de droit s’est étiolé et que certains mouvements minoritaires, souvent radicaux, pèsent davantage dans notre démocratie que la majorité silencieuse.

Si notre État de droit est aujourd’hui menacé, c’est en raison de la fragilisation de l’un des piliers sur lesquels il se fonde : l’autorité de l’État. L’exemple de la retenue d’eau de Sivens est évocateur.

Alors que l’ensemble des acteurs agricoles et publics s’étaient accordés sur un projet, celui-ci a été abandonné en décembre 2015, en catimini. Ce projet de retenue d’eau devait permettre la constitution d’une réserve d’environ 1,5 million de mètres cubes d’eau, utilisable pour l’irrigation des terres agricoles. Sa réalisation était indispensable pour développer des cultures porteuses de valeur ajoutée comme le maraîchage et les semences, pour favoriser l’autonomie fourragère et encourager l’installation.

Le 9 octobre dernier, l’instance de coconstruction, selon les termes devenus habituels, chargée de trouver une alternative à la retenue d’eau de Sivens a décidé de lancer un complément d’étude sur les besoins en eau dans la vallée du Tescou. Si l’on peut se féliciter que le principe de la création d’une retenue ait été à nouveau entériné, je forme le vœu que d’autres groupes minoritaires ne viennent pas reporter l’échéance d’un chantier attendu par l’ensemble des acteurs agricoles.

Monsieur le ministre, le Gouvernement peut-il s’engager à faire respecter, cette fois, l’État de droit, en veillant à ne pas reproduire les erreurs du passé et en allant au bout du projet ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur, comme vous l’avez rappelé, la démocratie, c’est la loi de la majorité, dans le respect des minorités, qu’il faut toujours garder à l’esprit, et dans le dialogue.

À Sivens, la situation était très complexe – vous le savez beaucoup mieux que moi –, avec un abcès de fixation et des affrontements entre les forces de l’ordre et des zadistes très violents qui ont conduit, malheureusement, à la mort d’un manifestant, Rémi Fraisse, en 2014.

Une telle situation pose la question de notre capacité à mener globalement des projets d’intérêt général d’envergure. Ce n’est pas simple, surtout quand l’abcès de fixation existe déjà, ce qui était le cas à Sivens.

De même qu’il a tiré pour Bure les leçons de Notre-Dame-des-Landes, le Gouvernement a pris ses responsabilités pour éviter que ne se forment des abcès de fixation comme celui de Sivens.

Le besoin en eau, avéré, sera grandissant dans les années à venir. Comme vous l’avez rappelé, monsieur le sénateur, le président du conseil départemental et l’ensemble des élus se mobilisent pour trouver une solution alternative.

Comme le ministre de l’agriculture et le Premier ministre lui-même l’ont souligné, le Gouvernement entend que les retenues collinaires et barrages nécessaires à certains territoires pour continuer à développer une activité agricole soient réalisés dans des conditions à la fois acceptables par les populations et respectueuses de l’État de droit.

M. le président. La parole est à M. François Bonhomme, pour la réplique.

M. François Bonhomme. Monsieur le ministre, je prends acte de votre réponse, qui d’ailleurs ne me surprend pas.

Au-delà des principes généraux du droit du rappel de la nécessité d’une concertation et d’une coconstruction, il faut maintenant passer à l’action.

Dans le Sud-Ouest, nous avons un problème considérable – non pas depuis hier, mais depuis des années. Aucun projet n’a abouti en Tarn-et-Garonne ! Si l’on ajoutait tous ceux qui sont mort-nés par anticipation de la faiblesse de l’État, croyez-moi, la facture serait lourde.

Nous allons au-devant de gros problèmes de ressource en eau. Il y aura des coupures d’eau, dont nos concitoyens ne mesurent pas aujourd’hui encore les conséquences, si rien n’est fait, et urgemment !

M. le président. La parole est à M. Jérôme Bascher.

M. Jérôme Bascher. Monsieur le ministre, ma question porte sur le recul de l’ordre public.

Sur ce sujet, je pourrais parler du recul de l’État de droit dans les banlieues, du recul de l’ordre public dans certains lieux de culte, déjà assez longuement évoqué, ou du recul de l’ordre public dans l’affaire de l’aéroport de Nantes ou à Sivens ou Bure – M. le ministre a déjà largement répondu sur ce point, ce dont je le remercie, car il n’est pas toujours facile de répondre au pied levé. Mais c’est une dimension plus moderne et plus lancinante du recul de l’ordre public que je souhaite souligner : je veux parler de la désobéissance civile.

De plus en plus, des groupes d’action pas toujours identifiés, des collectifs, qui ne veulent pas forcément du bien à la République ni à la loi, donnent des mots d’ordre de désobéissance civile consistant, en vérité, à empêcher les autres d’exercer leurs libertés. Sans doute, ces actions sont souvent pacifiques ; mais, parfois, quelques individus, peut-être intellectuellement mieux armés, incitent les uns ou les autres à un peu plus de violence ou sont le ferment d’une violence par complicité. (M. Jean-Claude Requier opine.)

M. François Bonhomme. Extinction Rebellion !

M. Jérôme Bascher. C’est ainsi que, la semaine dernière, on a vu une place de Paris occupée et la circulation empêchée pour les Parisiens – lesquels n’ont pas besoin de cela, car, hélas, la mairie de Paris se charge habituellement d’eux… Le comble, c’est que ce groupe a laissé ses ordures sur place, alors qu’il prétend sauver la planète !

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur, la désobéissance civile est un mouvement assez ancien, né aux États-Unis au XIXe siècle des écrits d’Henry Thoreau, théoricien de cette forme d’action utilisée ensuite par Gandhi. Mais on est parfois un peu loin de Gandhi…

De fait, à côté des grandes références intellectuelles ou politiques, on voit se développer depuis plusieurs années des mouvements qui s’inspirent de ce concept, même si, parfois, ils s’en éloignent. On y trouve des opposants à des projets publics, des collectifs anticapitalistes, des groupes qui entendent alerter contre tel ou tel danger, comme le réchauffement climatique.

Ce phénomène est multiforme, et ces mouvements s’estiment légitimes, parce qu’ils défendraient des idéaux plus élevés que l’intérêt général recherché par les élus. Cette critique de la démocratie représentative conduit trop souvent à ignorer la loi, voire à la combattre, au nom d’une conscience individuelle qui surplomberait la délibération démocratique. Le Gouvernement ne peut évidemment souscrire à une telle conception.

Il faut être attentif à ces mouvements, porteurs de questions parfois essentielles, mais aussi considérer les modes d’action, qui consistent souvent à prendre en otage des projets publics, à occuper des sites et à restreindre la liberté de circulation ou simplement d’activité d’un certain nombre de nos concitoyens, comme à Paris récemment. Cela n’est pas acceptable, lorsque ces groupes débordent du droit légitime et constitutionnel de manifester.

Je continue de penser que, en démocratie, tout engagement, associatif, politique collectif ou personnel, est utile ; mais le respect de la démocratie représentative et de l’État de droit est un cadre indépassable.

Sans doute serons-nous appelés à légiférer en la matière. Je sais que le Sénat a travaillé sur le délit d’entrave. Nous devrons trouver l’équilibre qui garantisse les libertés constitutionnelles et permette à chacun d’exercer sa profession ou à des projets publics de voir le jour dans le cadre légal.

M. le président. La parole est à M. Jérôme Bascher, pour la réplique.

M. Jérôme Bascher. Je vous remercie, monsieur le ministre, pour votre réponse. Avec certains appels à la désobéissance civile, on est parfois plus dans le bandit que dans le Gandhi…

Il est vrai que le Sénat, sur l’initiative de Jean-Noël Cardoux et avec le soutien du Gouvernement, a voté le délit d’entrave. Je crois beaucoup à la liberté d’expression et aux causes nobles que défendent parfois ceux qui appellent à la désobéissance civile – j’ai parlé de bandits, mais ce ne sont pas de vrais bandits… –, mais il faudra que ce texte soit adopté aussi par l’Assemblée nationale, afin que l’État de droit progresse.

Conclusion du débat

M. le président. Pour clore le débat, la parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie, pour le groupe auteur de la demande.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie, pour le groupe socialiste et républicain. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons ce soir un débat dans le cadre de notre semaine de contrôle. Pourtant, peut-être à la surprise du ministre, qui a bien voulu suppléer la garde des sceaux, il s’est passé quelque chose.

Le groupe socialiste a souhaité que nous débattions sur le thème : « Y a-t-il un recul de l’État de droit en France ? » Le contrôle de l’exécutif par le Parlement est nécessaire, et nous avons tendance à considérer que le Gouvernement nous écoute peu. L’incidence de ce type de débats est faible, mais nous avons un rôle d’alerte. Ce soir, je crois que nous l’avons joué. J’espère, monsieur le ministre, que vous en serez le porte-parole auprès de Mme la garde des sceaux.

Tous ici, nous sommes fidèles à des valeurs et attachés à l’esprit des institutions ; tous, sur l’ensemble des travées, nous ne nous accommodons pas d’être de simples spectateurs d’un recul de l’État de droit. Au-delà du groupe socialiste, vous avez entendu, monsieur le ministre, toutes les inquiétudes qui se sont exprimées.

Au regard du glissement dont nous sommes les témoins et des empiétements répétés de votre majorité sur les libertés fondamentales, la question que nous avons posée semble se poser avec acuité : pouvons-nous considérer que, face à l’un des principaux défis de notre temps, le terrorisme, notre démocratie peut rester forte sans se renier elle-même ? Sur ces travées, visiblement, la réponse va au-delà de la gauche.

Monsieur le ministre, permettez-moi de vous remettre un livre, écrit par un de vos camarades de combat – puisqu’il a écrit les statuts du parti En Marche. (Loratrice brandit louvrage en question.) L’auteur conteste cet accommodement avec le « surveiller plus » et le « châtier davantage », après le terme de la peine s’il le faut, pourquoi pas avant même que le crime ne soit commis et en se passant parfois des droits de la défense.

La surveillance peut s’étendre graduellement, explique François Sureau, comme d’ailleurs Mireille Delmas-Marty, autre autorité. Transiger avec les libertés publiques dans une quête inaccessible de la sécurité absolue, c’est déjà renoncer à l’État de droit !

Seulement, nous avons un ministre de l’intérieur qui ne pense pas la même chose. Selon lui, « rien ne menace la liberté si ça permet de lutter efficacement contre le terrorisme ». Or l’expérience prouve qu’un régime ne peut rester démocratique que si la liberté est soigneusement garantie, y compris en limitant l’État. Vous en avez eu de nombreuses illustrations ce soir.

Sophie Taillé-Polian a rappelé la décision de faire entrer le droit d’urgence dans le droit commun.

Mme Benbassa a souligné que l’on en était venu à soupçonner chaque manifestant d’être un fauteur de troubles en puissance.

M. Leconte a insisté sur la marginalisation du rôle du pouvoir judiciaire et le renforcement du pouvoir administratif.

M. Babary a rappelé que le Président de la République avait appelé à une société de vigilance, qui implique le soupçon de tous par tous.

M. Delahaye a souligné que, pour lutter prétendument contre les contenus haineux sur internet, on permet désormais aux opérateurs du numérique de pratiquer la censure. N’est-ce pas là un recul de l’État de droit, tout comme le fait de permettre au juge des référés de supprimer des informations ?

Comme l’a pointé Sylvie Robert, la convocation de journalistes par la DGSI constitue un recul de la liberté de la presse. N’est-ce pas un autre recul de l’État de droit ?

Nous avons aussi évoqué la sécurité publique, l’usage et la doctrine d’emploi des forces de l’ordre, la création d’une brigade de répression des actions violentes motorisée – qui rappelle une brigade des voltigeurs.

Le fait de mettre des semaines à rendre compte des conditions de la mort de Steve, l’homme tombé dans la Loire le soir de la Fête de la musique, de ne toujours pas nous donner les conclusions de l’IGPN sur les très nombreuses violences policières qui ont été constatées au moment des manifestations des « gilets jaunes » ou de mesurer l’efficacité en matière d’encadrement des manifestations par le nombre de mutilations, ne sont-ils pas autant de reculs de l’État de droit ?

Enfin, le fait de discréditer – vous n’avez finalement pu y résister, alors que vous êtes le ministre chargé des relations avec le Parlement – toute tentative de contrôle, qu’il s’agisse du contrôle parlementaire – le président Requier l’a évoqué –, comme au moment de la commission d’enquête dite Benalla, ou du contrôle citoyen, au travers de la proposition de loi référendaire sur la privatisation d’ADP, dont on ne peut pas dire que l’État manifeste un enthousiasme excessif alors que c’est son obligation de l’organiser, constituent d’autres reculs de l’État de droit.

Au-delà de la gauche, nous avons voulu vous alerter sur le fait que les digues cèdent les unes après les autres face à la montée des extrémismes politiques dans notre pays. Ce que nous cédons, ce que vous cédez aujourd’hui par facilité, ou parfois peut-être par ignorance, c’est l’esprit même de nos institutions : la séparation des pouvoirs, le contrôle des gouvernants par les citoyens et leurs représentants et l’indépendance de la justice vis-à-vis du pouvoir politique.

Cette alerte, que le groupe socialiste voulait vous adresser, a résonné bien au-delà de ses travées, même si je note que le groupe La République En Marche n’a pas estimé devoir vous interroger sur ce sujet – j’aurais pu également lui offrir l’ouvrage susvisé, mais je le ferai à une autre occasion. Quoi qu’il en soit, nous espérons que vous l’aurez entendue. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)

M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « Assistons-nous au recul de l’État de droit en France ? »

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures cinq.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt heures trente-cinq, est reprise à vingt-deux heures cinq, sous la présidence de M. Jean-Marc Gabouty.)

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Marc Gabouty

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

5

Mise au point au sujet d’un vote

M. le président. La parole est à Mme Agnès Canayer, pour une mise au point au sujet d’un vote.

Mme Agnès Canayer. Lors du scrutin n° 19, ma collègue Annie Delmont-Koropoulis souhaitait ne pas prendre part au vote.

M. le président. Acte vous est donné de cette mise au point, ma chère collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.

6

Politique sportive

Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur la politique sportive.

Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.

Je rappelle que l’auteur de la demande dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.

À l’issue du débat, le groupe auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.

Dans le débat, la parole est à M. Michel Savin, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Michel Savin, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, « plus vite, plus haut, plus fort » : telle est la devise bien connue proposée par le baron Pierre de Coubertin à la création du Comité international olympique en 1894.

Alors que la France accueillera le monde dans quatre ans et demi à l’occasion des jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024, il est urgent que notre pays s’engage enfin dans une politique sportive véritablement volontariste.

Si l’ensemble des acteurs est mobilisé pour que cet événement planétaire soit une réussite en termes de préparation, de mobilisation, d’accueil et de déroulement des épreuves, l’organisation de ces Jeux est aussi l’opportunité de replacer le sport au centre de nos politiques publiques. Il n’y aurait rien de pire que d’organiser les Jeux en oubliant de replacer le sport au cœur du quotidien des Français. Il est en effet nécessaire que les Français dans leur ensemble puissent bénéficier du formidable appel d’air créé par les Jeux et, en cela, leur héritage devra être une véritable réussite.

Pour débuter, je voudrais vous dire, madame la ministre, que la nouvelle Agence nationale du sport créée en ce sens nous paraît être une bonne initiative. Donner à l’ensemble des acteurs du sport – fédérations, État, collectivités et monde économique –, les moyens de débattre, de définir et de programmer des projets sportifs territoriaux en lien avec les clubs et les collectivités est une avancée indéniable.

Pour assurer cette réussite, il nous faut répondre à une seule et unique interrogation : quelle politique sportive voulons-nous pour la France ? C’est l’objet de nos débats d’aujourd’hui.

Il nous a semblé extrêmement important, au sein du groupe Les Républicains du Sénat, de soulever cette question afin que nous puissions débattre des enjeux à venir et des propositions que nous défendons. C’est là un choix audacieux de la part de la majorité sénatoriale. Nous parlons malheureusement trop peu de sport dans notre pays ; c’est une politique publique trop souvent reléguée au second plan. Or, bien que les actes concrets peinent souvent à émerger en faveur du sport, nous assistons régulièrement à des déclarations d’amour et de soutien au sport français. On peut légitimement attendre la transformation de ces paroles en actes, et c’est malheureusement trop peu souvent le cas.

Avant toute chose, toute politique publique nécessite un budget. Je ne m’attarderai pas sur les questions budgétaires, qui seront débattues dans le détail dans les prochaines semaines au Parlement. Toutefois, je tiens à rappeler quelques faits.

Aujourd’hui, le budget du sport représente moins de 0,3 % du budget de l’État. Les faits sont ce qu’ils sont, et les chiffres sont les chiffres. Depuis le début de ce quinquennat, le budget du programme 219 « Sport » est en baisse : il était de 517,4 millions d’euros en 2017 ; il est prévu à 458,4 millions d’euros pour 2020. C’est un très mauvais signe envoyé au monde sportif, déjà inquiet dans cette période de forte instabilité, et alors même que l’accueil des Jeux et le déroulement de très nombreuses compétitions internationales en France devraient l’amplifier largement.

La politique sportive comporte trois dimensions essentielles : le sport pour tous, le sport de haut niveau et le sport professionnel.

Je ne m’attarderai pas sur le sport professionnel. Une loi a été votée à l’unanimité, je le rappelle, en février 2017, pour lui redonner de la compétitivité. Les premiers effets se font sentir, mais il reste encore du chemin à parcourir pour que le sport français ne soit pas pénalisé au niveau international : la formation, la gestion des infrastructures, l’accompagnement de la reconversion, la lutte contre le piratage des compétitions sportives, l’attractivité, notamment sur les questions fiscales, la préservation de l’éthique sur les paris sportifs et le dopage sont autant de chantiers qu’il faudra poursuivre dans les prochaines années.

La question taboue de la loi Évin se trouve également sur la table, avec l’hypocrisie actuelle de la législation sur la vente d’alcool de deuxième catégorie, qui est interdite ou tolérée par dérogation pour le grand public, mais largement présente dans les loges, et interdite pour les compétitions françaises mais présente de toutes parts dans les compétitions internationales.

La politique sportive est aussi une politique de soutien au haut niveau, qui permet à la France de soutenir les athlètes qui nous représentent et qui nous font rêver. Dans la perspective de Paris 2024, c’est un élément clé de la politique sportive française.

Votre prédécesseure avait annoncé l’objectif de quatre-vingts médailles. Où en sommes-nous aujourd’hui ? En la matière également, de nombreuses questions se posent.

Le modèle français a prouvé son efficacité dans un contexte international toujours plus compétitif, mais ce n’est certainement pas suffisant. Ainsi un système de bourses et de primes a-t-il été annoncé pour soutenir les sportifs, qui, pour la plupart, ne bénéficient que de très peu de moyens. Où en sommes-nous aujourd’hui ?

Où en sommes-nous également du soutien aux jeunes sportifs dès le plus jeune âge ? Nous avions travaillé sur l’accompagnement de ces jeunes sportifs de haut niveau ou en accession pour leur donner les moyens de leur ambition dans le cadre de la loi École. Il est regrettable que, dans notre pays, les aménagements d’étude pour les sportifs soient si peu soutenus.

M. Alain Dufaut. Absolument !

M. Michel Savin. S’agissant de l’accompagnement des sportifs de haut niveau, le dispositif du pacte de performance a fait ses preuves. Il mérite d’être amplifié et déployé à très grande échelle.

Quelques difficultés fiscales subsistent : le Sénat les avait levées lors des débats budgétaires il y a un an ; nous le referons cette année, en espérant que vous nous soutiendrez.

De multiples questions éthiques se posent également sur le développement et le soutien du sport féminin et du handisport, encore aujourd’hui trop marginalisés.

Concernant le soutien au retour au plus haut niveau des jeunes sportives qui font le choix de faire une pause pour avoir un enfant, la lutte contre les abus sexuels et sur bien d’autres sujets, nous faisons des propositions, madame la ministre. J’espère que les futurs débats législatifs permettront d’obtenir des améliorations.

Le rôle des CTS est aussi un élément clé. Je profite de ce débat pour rappeler le rôle moteur du Sénat pour sortir de la crise traversée au printemps à ce sujet. Il y a quelques jours, dans le Dauphiné libéré, vous avez déclaré vouloir « prendre le temps de la réflexion, de la concertation et de la discussion avec les CTS et les fédérations ». Je me félicite de cette évolution, alors que vos propos envers notre proposition, défendue par toutes les tendances politiques de cet hémicycle, étaient beaucoup plus durs en juin dernier.

Enfin, le système sportif français est basé sur une solidarité forte entre le sport professionnel, le sport de haut niveau et le sport pour tous. Des dispositifs fiscaux tels que la taxe Buffet et des taxes sur les paris sportifs ont été créés pour cela. Mais aujourd’hui plafonnés, ils ne permettent plus de faire bénéficier le sport de l’incroyable augmentation de la valeur économique du sport, et c’est regrettable.

Les récents échanges qui se sont tenus au Parlement ne sont guère encourageants. Je tiens à apporter mon soutien aux députés de la majorité comme de l’opposition qui avaient estimé nécessaire d’augmenter de 15 millions d’euros le budget affecté à l’Agence nationale du sport. Je regrette la réponse du Gouvernement, qui a jugé opportun de demander une seconde délibération, annulant cette hausse en plein milieu de la nuit. Quel mépris pour le Parlement, mais également pour le milieu sportif !

La politique sportive doit être un ensemble cohérent et ambitieux pour tous les publics et pour tous les territoires. Elle doit permettre d’accompagner nos concitoyens tout au long de la vie, de l’école à l’Ehpad, en passant par l’université, l’entreprise et l’hôpital. Il serait nécessaire que la France se dote d’une politique cohérente, suivie et ambitieuse pour le sport tout au long de la vie.

Alors que la sédentarité est une problématique en profonde expansion et que les jeunes générations souffrent de pathologies dues à un manque d’activité,…

M. Michel Savin. … il est plus que jamais urgent de donner les moyens à chacun d’avoir une pratique sportive.

M. Michel Savin. Madame la ministre, en matière de politique sportive, le Sénat est à vos côtés. Nous le prouvons depuis plusieurs années, même si nous regrettons de ne pas voir nos positions soutenues par le Gouvernement et la majorité présidentielle, alors qu’elles sont souvent soutenues par le milieu sportif. Nous devons accélérer pour faire de la France une nation sportive. Pour paraphraser le Président de la République, je dirai qu’il est temps de passer des paroles aux actes ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Roxana Maracineanu, ministre des sports. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai plaisir à me présenter devant vous pour débattre des politiques publiques sportives que mène le Gouvernement. Les quelques contacts que nous avons noués pendant l’année écoulée et les propos que vous venez de tenir, cher Michel Savin, montrent que vous êtes à nos côtés sur ce sujet, ce dont je me félicite.

Je suis d’autant plus ravie d’être là que cela va me permettre de faire le point, presque un an jour pour jour après mon arrivée au Gouvernement, et de tracer des perspectives.

Si j’ai ce plaisir, c’est aussi que j’ai fait du dialogue le fil rouge de ma méthode : dialogue avec le mouvement sportif, les collectivités territoriales, le monde économique et social comme les agents du ministère. Je tâche également de nouer, voire de renouer ce dialogue très régulièrement avec vous comme avec les députés depuis un an maintenant. C’est essentiel à notre vitalité collective.

L’année dernière, on me disait que le sport allait mal ; j’entendais parler du démantèlement du ministère des sports. On me disait que le budget du ministère pour 2020 serait en baisse ; il a été en hausse. On me disait que l’Agence nationale du sport ne verrait jamais le jour ; elle existe, et elle fonctionne dans une collaboration renforcée avec les fédérations comme avec les collectivités locales dont vous êtes les représentants. Nous avons pu en débattre ensemble il y a quelques mois.

Le budget exécuté en 2018 a permis de constater une dépense publique en faveur du sport inédite depuis dix ans. Cela montre l’engagement du Président de la République derrière le sport français. Il se traduit par la pleine mobilisation de l’État pour Paris 2024. C’est cette mobilisation qui permet une augmentation du budget du ministère des sports de 9,8 % cette année.

Je sais que Paris 2024 est aussi un argument pour dire qu’il en faudrait encore plus, mais ces 9,8 % d’augmentation montrent que le sport français a convaincu. S’il a convaincu – ce qui, vous le savez, n’est jamais gagné d’avance –, c’est qu’ensemble, avec le mouvement sportif comme avec les collectivités, avec vous, parlementaires, avec les agents du ministère, nous avons démontré que nous étions en mouvement.

Cet engagement réitéré du Gouvernement est le fruit d’une conviction : le sport est un bien commun.

Le sport, c’est l’épanouissement personnel et le plaisir. Cette notion de plaisir est centrale, il ne faut jamais l’oublier ni la minimiser.

Mais le sport a un rôle qui va bien au-delà. Il a un rôle majeur dans l’éducation de nos enfants : il apprend l’effort, la règle, la discipline, la ténacité, le dépassement de soi ; il apprend à jouer collectif, à faire confiance à l’autre, à l’équipe ; il apprend la solidarité, et, je le crois, il est une marche vers la citoyenneté.

Le sport est aussi un élément clé du lien social. Il forme, il insère, il réinsère, il crée de la valeur, de l’emploi, participe au rayonnement de notre pays.

C’est en ce sens que je tâche de mener mon action : porter des politiques publiques pour le sport, mais également par le sport. Pour ne citer que quelques exemples : c’est le sens du travail en commun que je mène avec le ministère de l’éducation nationale pour développer le sport à l’école – et que vous soutenez, monsieur Savin – au sein d’un nouveau parcours sportif ; c’est le sens des mesures prises en faveur du sport santé, du plan Aisance aquatique et de lutte contre les noyades ou du plan Savoir rouler à vélo. Je pourrais citer également le soutien accru que nous avons apporté cette année avec l’Agence nationale du sport aux acteurs sociaux sportifs, le projet en cours de réflexion autour de la notion de « licence sociale » ou les actions menées en faveur du développement du sport féminin.

Le sport, c’est bon pour soi, c’est bon pour la santé, c’est bon pour l’éducation, c’est bon pour le lien social, pour le vivre ensemble, c’est bon pour le travail et l’emploi, c’est bon pour notre économie, pour nos entreprises et pour le tourisme.

Je tiens à partager avec vous une certitude : le sport français ne se réduit pas à l’état des crédits de son ministère. Le combat, c’est donc aussi de défendre la place du sport dans tous les ministères. Vous avez parlé, monsieur Savin, de l’appel d’air que provoquent les jeux Olympiques. Notre objectif est de faire respirer le sport partout dans la société. C’est le sens du travail que je mène avec mes collègues du Gouvernement Jean-Michel Blanquer, Gabriel Attal, Agnès Buzyn ou encore Christophe Castaner.

Permettez-moi de donner trois exemples concrets de mesures nouvelles prises cette année avec un budget à la clé.

Le premier est un programme de recherche appliquée dédié à la haute performance, pour plus de 20 millions d’euros sur cinq ans, avec Frédérique Vidal. Cela représente 4 millions d’euros par an, que l’on peut comparer aux 500 000 euros que le ministère des sports dédiait avant à l’Insep pour la recherche au service de la haute performance.

Le deuxième exemple est le volet « action sportive à vocation d’inclusion sociale et territoriale » inscrit désormais dans les contrats de ville grâce au soutien de Julien Denormandie.

Le troisième exemple est le plan d’investissement d’avenir de 55 millions d’euros pour le développement des éco-générateurs et les innovations dans le sport.

Ces sommes ne sont pas incluses dans le budget du ministère des sports, mais elles ont été mobilisées pour notre écosystème.

L’engagement du Gouvernement se traduit également dans le soutien plein et entier à Paris 2024 ; un soutien qui permet à ce projet magnifique pour le sport français d’être livré dans les temps et dans les budgets prévus.

Dès l’année qui vient, nous disposerons d’un héritage solide et concret de Paris 2024 : des équipements sportifs nouveaux ou rénovés, financés en complément de ceux qui figurent au budget de l’Agence. Paris 2024 consolide la place du sport, fédère et mobilise l’équipe du sport français.

Cette équipe rassemble le mouvement sportif et associatif, qui en est la cheville ouvrière. Elle réunit l’énergie de millions de sportifs amateurs qui s’entraînent des heures et des heures sans retour assuré de médaille, sans garantie d’une rémunération future de leur club ou d’un sponsor. Elle réunit aussi l’énergie des bénévoles, la passion des formateurs, des encadrants, de milliers de sportifs de haut niveau qui font rayonner l’image de notre pays.

Je pense aussi à tous les élus et à toutes les collectivités territoriales, qui, chaque jour, s’investissent pour son développement.

Je pense enfin au monde économique et aux organisations représentatives d’employeurs et de salariés, qui, comme nous, portent les couleurs du sport français et la volonté de le développer.

Cette équipe de France du sport, j’ai voulu – c’était d’ailleurs le mot d’ordre de nos vœux communs cette année avec le CNOSF : mieux faire ensemble – mieux la réunir au sein de l’Agence nationale du sport. Cette agence offre un espace de collaboration assez unique. Je dirai que c’est une forme innovante de décentralisation. Elle nous permet de nous rassembler pour porter une vision de notre passion commune.

Pour ne citer que quelques chiffres, ce sont près de 250 dossiers de subvention d’équipements déposés par les collectivités territoriales qui auront été soutenus en 2019, pour un montant de 54 millions d’euros. Ce sont aussi près de 90 millions d’euros qui seront consacrés au sport de haut niveau. Avec ce budget, nous déployons progressivement une nouvelle vision du soutien à nos athlètes et à leurs accompagnants ; de nouvelles aides plus importantes, plus justes, mieux ciblées ; de nouveaux services – je pense notamment au « sport data hub », qui vise à rassembler et à mettre à disposition de nos sportifs de haut niveau toutes les données existantes afin de se comparer aux autres athlètes de la planète en dehors des temps de confrontation directe. Cela va les aider à optimiser leurs performances. Nous sommes sur la route de Tokyo, mais ce nouveau système nous permettra aussi d’emprunter dans de meilleures conditions le chemin vers Pékin 2022, puis celui de Paris 2024.

En conclusion, je souhaite faire état de l’avancée de nos travaux autour d’une future loi Sport, qui a vocation à accompagner la transformation du modèle sportif français. Ce texte, qui devrait voir le jour au premier semestre de 2020, visera à développer la pratique sportive, à simplifier et à fluidifier les rapports entre les associations sportives et les pouvoirs publics. Il permettra de rendre la France plus attractive et dynamique dans le secteur de l’économie du sport et d’accroître l’éthique et la régulation du sport. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM, ainsi que sur des travées du groupe UC. – Mme Mireille Jouve applaudit également.)

Débat interactif

M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.

Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question, suivie d’une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.

Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.

Dans le débat interactif, la parole est à M. Jean-Jacques Lozach.

M. Jean-Jacques Lozach. Dans son étude annuelle 2019 intitulée Le sport : quelle politique publique ?, le Conseil d’État plaide pour la préservation de la place de l’État dans la définition de la politique du sport, son organisation et sa régulation.

En effet, en deux ans, la donne a été profondément modifiée : mise en place d’une Agence nationale du sport, dans laquelle l’État est un parmi quatre, faiblesse récurrente du budget ministériel, refus systématique de déplafonnement des taxes affectées hier au CNDS et, aujourd’hui, à l’ANS, transfert envisagé des conseillers techniques sportifs vers les fédérations, restructuration des services extérieurs de l’État dans le cadre du programme Action publique 2022, fusion des inspections générales… Tout cela intervient de plus dans un contexte exigeant de préparation des JO 2024 de Paris.

Ces différents éléments conduisent de nombreux observateurs ou acteurs à prophétiser la disparition à terme du ministère et, donc, d’un service public des sports en France – certains disent qu’elle interviendra après 2024.

Ces inquiétudes vous paraissent-elles justifiées ? L’État doit-il désormais se concevoir et s’assumer comme un simple partenaire financier, et non comme un stratège impulsant une dynamique pour le sport de haut niveau et le développement des pratiques ?

Le projet de loi Sport et société envisagé pour le printemps 2020 – ce que vous venez de rappeler, madame la ministre –, tranchera-t-il entre les options institutionnelles et administratives envisageables ? Laissera-t-il à l’État un rôle central compatible avec une plus grande responsabilisation du mouvement sportif, la reconnaissance du rôle des collectivités et l’implication souhaitée du monde économique ?

Les lois de décentralisation ont conduit à transférer des compétences aux collectivités locales, devenues les premiers financeurs du sport en France. Avec la loi du 1er août 2019, le Parlement a souhaité renforcer la déclinaison territoriale de la gouvernance partagée du sport. Pouvez-vous nous préciser le stade de développement et le mode de fonctionnement des conférences régionales du sport et des conférences territoriales des financeurs croisant projets sportifs fédéraux et projets sportifs territoriaux ?

Enfin, de quelles ressources ces instances collégiales de concertation et de décision disposeront-elles ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Roxana Maracineanu, ministre des sports. Monsieur le sénateur, l’étude annuelle du Conseil d’État a effectivement porté sur le sport : c’est une grande première dont je me réjouis.

Cette étude a souligné la force de notre système sportif français, qui réside dans le lien fort et historique entre l’État et les fédérations instauré dans les années soixante. L’État a délégué aux fédérations l’organisation des compétitions et a choisi d’avoir la main sur le sport de performance, via notamment les fonctionnaires placés auprès des fédérations. L’État a aussi structuré l’accès au haut niveau grâce à des établissements d’État comme l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance, l’Insep. C’est ce dispositif qui a permis le développement de la pratique sportive, mais aussi celui du sport pour tous.

L’expertise d’État au sein des fédérations a également facilité l’accueil de grands événements sportifs dans nos territoires. C’est une vitrine importante pour donner envie à nos jeunes. Cette expertise s’est aussi progressivement orientée vers le développement des pratiques, pour élargir le vivier du haut niveau et répondre aux priorités définies par feu le Centre national pour le développement du sport, le CNDS, sur des thématiques de politique publique comme la préservation de la santé de nos concitoyens, la vie en cohésion et la mixité dans les territoires d’accueil des différentes vagues d’immigration.

L’étude du Conseil d’État rappelle aussi l’acte 1 de la décentralisation et l’apport de la loi NOTRe, qui a permis aux collectivités territoriales de s’investir et d’investir davantage dans le sport.

Aujourd’hui, les pratiques sportives de nos concitoyens évoluent, les modes de vie professionnelle et personnelle changeant, les familles s’agrandissant et se séparant.

On observe une tendance très prononcée des grandes entreprises à recourir au sport et à ses valeurs comme outil de management. Par ailleurs, de plus en plus d’entreprises du secteur sportif cherchent à développer le goût du sport chez leurs clients actuels ou futurs.

C’est pourquoi le Conseil d’État salue notre action en faveur d’une gouvernance partagée du sport. Je peux dire qu’il s’agit d’un embryon de l’acte 2 de la décentralisation, qui contribue à mettre en œuvre la dynamique collective voulue par le Président de la République pour le sport en France, à cinq ans de la tenue des jeux Olympiques dans notre pays.

Cette gouvernance nouvelle permettra de mieux partager la responsabilité de l’obligation de réussite en matière de sport de haut niveau et de développement des pratiques. Le pari est gagné aujourd’hui en ce qui concerne les collectivités territoriales, parmi lesquelles l’Agence nationale du sport fait l’unanimité. La prochaine étape consistera à mettre en œuvre sa déclinaison territoriale, à laquelle vous avez accordé une grande importance au travers de la loi que vous avez adoptée. Ma priorité pour toute l’année à venir sera de travailler sur cette déclinaison territoriale.

Restent les fédérations, avec lesquelles nous devons inventer un nouveau mode de relation, en prenant en compte leur diversité, leur stade de développement et leur taux de dépendance à l’égard de l’État, les entreprises étant, elles, convaincues.

Notre objectif est de répondre aux attentes des citoyens qui pratiquent ou ne pratiquent pas encore. Par cette démarche de gouvernance partagée, nous voulons inciter et accompagner toutes les parties prenantes.

La création de l’Agence nationale du sport sous la forme d’un groupement d’intérêt public, le 24 avril dernier, inscrite ensuite dans la loi, amendée par vos soins, vise à répondre à cet enjeu de mieux faire ensemble.

M. le président. Madame la ministre, vous vous êtes exprimée pendant près de trois minutes ; je vous rappelle que la règle des deux minutes de temps de parole s’applique également à vous.

La parole est à Mme Mireille Jouve.

Mme Mireille Jouve. Depuis 2011, deux types d’arrêtés de restriction ou d’interdiction de déplacement de supporters peuvent être mis en œuvre.

D’une part, le préfet peut interdire l’accès à un stade ou à ses abords aux supporters visiteurs. D’autre part, le ministre de l’intérieur a la possibilité d’interdire les déplacements de supporters sur le territoire de la commune, ou même du département, accueillant la rencontre sportive.

Depuis cette date, la prise de tels arrêtés a connu un développement pour le moins significatif. Si seulement quatre matches ont été concernés lors de la saison 2011-2012 de Ligue 1 de football, ce sont 102 rencontres qui l’ont été la saison dernière.

Nous sommes conscients de l’ampleur des troubles à l’ordre public qu’ont déjà pu occasionner des déplacements de supporters par le passé. Nous avons également à l’esprit la sursollicitation qui caractérise la mobilisation et le déploiement de nos forces de l’ordre depuis maintenant plusieurs années. L’encadrement d’un déplacement de supporters requiert des moyens humains qui peuvent faire défaut ailleurs, tout particulièrement dans le contexte sécuritaire que nous connaissons, mais nous souhaitons voir cette situation connaître enfin une évolution favorable, afin que l’accueil des supporters visiteurs dans nos enceintes sportives de haut niveau redevienne la norme.

En 2017, j’avais déjà interpellé le ministre de l’intérieur sur le caractère souvent très tardif de la publication de ces arrêtés, qui ne manque pas de pénaliser financièrement les personnes visées, alors que celles-ci ont préalablement engagé des dépenses pour s’associer à un déplacement de supporters.

Madame la ministre, M. le secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur a annoncé hier une évolution des pratiques, afin de rétablir le caractère exceptionnel de ces restrictions ou de ces interdictions de déplacement de supporters. Pouvez-vous nous exposer les évolutions attendues ?

M. Alain Dufaut. Allez l’OM !

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Roxana Maracineanu, ministre des sports. Madame la sénatrice, au mois de septembre, j’ai évoqué avec Laurent Nunez, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur, la situation difficile dans laquelle nous étions, en particulier depuis le début de la saison, les interdictions de déplacement devenant la norme aujourd’hui.

Nous avons tous deux bien conscience des enjeux de sécurité et de mobilisation des forces de l’ordre qui sous-tendent ce sujet complexe. Néanmoins, nous sommes convenus qu’il fallait une meilleure justification et une meilleure explication des décisions, ainsi qu’une meilleure anticipation, par les préfets et par les clubs eux-mêmes, des difficultés liées à la tenue des matches et une meilleure reconnaissance du rôle des référents « supporters » des clubs par les préfets et au sein même des clubs. Enfin, il nous faut améliorer la coordination entre le ministère de l’intérieur et le ministère des sports sur cette question.

Notre objectif est de mieux équilibrer l’approche de ce sujet pour que les supporters puissent continuer à encourager leur équipe et vivre leur passion du sport. Il faut que le supporter soit considéré comme un acteur majeur du sport et du spectacle sportif.

Hier s’est tenue une réunion plénière de l’instance nationale du supportérisme, en présence de représentants de la Ligue et de la Fédération française de football, ainsi que de deux parlementaires, Mme Buffet et M. Houlié, qui travaillent aujourd’hui dans le cadre d’une mission parlementaire sur le supportérisme.

Nous avons pu annoncer l’élaboration prochaine d’une circulaire à destination des préfets, qui reprend toutes les préconisations que nous avons décidées ensemble. L’objectif est de mettre en place, bien en amont de la tenue des matches sensibles ou à risques, un tour de table avec les deux clubs, les directeurs de la sécurité et les deux référents « supporters », afin d’évaluer en toute transparence la possibilité et les modalités du déplacement des supporters.

La première condition de la réussite de l’application de cette circulaire, c’est l’établissement par les clubs d’une relation de confiance avec les préfectures. Il faut aussi que l’État assure une meilleure coordination à l’échelon national et l’association du ministère des sports à la décision.

À l’évidence, il ne faut plus banaliser les interdictions strictes de déplacement et privilégier plutôt les déplacements encadrés, dès lors que les conditions de sécurité le permettront.

M. le président. La parole est à Mme Mireille Jouve, pour la réplique.

Mme Mireille Jouve. Je vous remercie de ces précisions qui me conviennent, madame la ministre.

M. le président. La parole est à M. Didier Rambaud.

M. Didier Rambaud. Madame la ministre, chaque année est marquée par son lot de drames liés aux noyades. Près de 1 960 noyades, dont 597 suivies d’un décès, ont été recensées pour le seul été 2018.

Le caractère récurrent de ces drames inquiète et interpelle. Le Premier ministre s’en est ému : il a souhaité que les ministères de l’éducation nationale et des sports se saisissent de ce dossier et apportent des solutions concrètes. Si des personnes de tous âges sont concernées, il est particulièrement regrettable que les jeunes enfants soient trop souvent exposés dans les piscines familiales.

Madame la ministre, vous pilotez un plan d’action pour favoriser l’aisance aquatique des plus jeunes, en vue de réduire le nombre des décès par noyade. Votre priorité est de développer les apprentissages précoces et concentrés, dès l’âge de 4 ans.

Ma première question portera sur l’expérimentation de cette modalité d’apprentissage à l’échelon du territoire. Quelles avancées ont été réalisées à ce jour ou sont en passe de l’être ? Si l’apprentissage de la nage est essentiel et inscrit dans les enseignements, il est nécessaire d’inventer une compétence du « savoir flotter » à destination des publics les plus jeunes.

Il convient d’établir une cohérence et une complémentarité entre les différentes stratégies d’intervention des acteurs institutionnels, telles que le « Savoir nager » de l’éducation nationale et le « J’apprends à nager » du ministère des sports, ainsi qu’avec le rôle de la famille, véritable premier acteur éducatif. Comment comptez-vous faire adhérer à ce projet le vaste ensemble d’acteurs concernés par le sujet ?

Les récents rapports de Santé publique France indiquent que d’autres publics sont victimes de noyades. Je pense notamment aux seniors en bord de mer. Je pense aussi aux jeunes, en âge d’être lycéens ou étudiants, qui se noient dans les plans d’eau ou les cours d’eau. Avez-vous également un plan d’action pour répondre à cette problématique ? Comment coordonnez-vous ces actions ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Roxana Maracineanu, ministre des sports. Monsieur le sénateur Rambaud, vous l’avez souligné, les jeunes enfants sont les premières victimes des noyades.

Notre plan Aisance aquatique vise à réduire le nombre, trop important, de décès par noyade. Nous agissons via les messages de sensibilisation, la démarche pédagogique et d’accompagnement auprès de ces jeunes publics. La petite enfance est, de manière générale, encore trop peu concernée par ces politiques publiques.

Aujourd’hui, des tutoriels réalisés par le ministère des sports sont mis à la disposition des parents, afin de démocratiser et de rendre accessible l’accompagnement de son enfant dans la découverte du milieu aquatique.

Nous incitons aussi à la construction, à la rénovation et à l’acquisition d’équipements aquatiques adaptés à l’accueil d’un public qui est clairement nouveau pour les municipalités, les associations et même les maîtres-nageurs.

Nous envisageons en outre la refonte et le réenchantement du métier de surveillant de baignade et de maître-nageur sauveteur.

Un plan de déploiement de l’apprentissage précoce de la sécurité dans l’eau vient d’être lancé. Il vise l’aisance aquatique des enfants à partir de 4 ans : les compétences acquises vont leur permettre de savoir flotter, être mobiles, se mettre sur le dos pour se reposer ou appeler à l’aide, le cas échéant, regagner le bord et parvenir à s’extraire de la piscine. Cet enseignement est conçu pour être dispensé par groupe au cours d’une classe bleue, dans le cadre de l’école ou dans un cadre associatif, de telle sorte que, au bout d’une ou deux semaines par an, les enfants à partir de 3 ans acquièrent cette aisance aquatique.

Les jeunes enfants sont ma priorité, mais je n’oublie pas que les adolescents ou les seniors sont également concernés par le risque de noyade. À partir de l’année prochaine, nous orienterons une partie de nos dispositifs vers ces publics, notamment les plus de 60 ans, qui sont aussi touchés que les enfants de moins de 6 ans.

M. le président. La parole est à Mme Céline Brulin.

Mme Céline Brulin. Madame la ministre, sans attendre la remise du rapport Cucherat-Resplandy-Bernard, personnalités que vous avez missionnées pour réfléchir au devenir des conseillers techniques sportifs, les CTS, je voudrais rappeler que l’inquiétude des membres du groupe CRCE reste forte devant le projet de détachement de ces conseillers auprès des fédérations. Nous souhaitons vivement que vous entendiez le message du mouvement sportif, relayé d’ailleurs par le Sénat, sur l’ensemble de ses travées, au cours de ces derniers mois.

Ces détachements d’office constitueraient en effet une remise en cause inacceptable du rôle de l’État dans la définition de la politique sportive et l’accompagnement vers le haut niveau. Ils renforceraient les inégalités entre fédérations, puisque seules celles qui sont en mesure de prendre en charge financièrement les CTS pourraient bénéficier de leur apport. On imagine aisément les graves problèmes que cela poserait pour certaines disciplines, notamment dans le cadre de fédérations omnisports. Enfin, nous doutons de la pertinence de ce véritable big-bang, à l’approche d’importantes échéances sportives internationales.

Une partie de ces critiques est partagée par le Conseil d’État, qui, dans son rapport du 16 octobre, évoque la possibilité de passer par l’ANS pour l’affectation et la rémunération des CTS au sein des fédérations qui ne pourraient en assumer le coût.

Toutefois, cette suggestion ne nous semble pas de nature à régler efficacement la problématique des inégalités entre fédérations, d’autant qu’elle s’inscrit dans un contexte où la Cour des comptes exige de définir de nouveaux critères d’affectation, qui s’appuieraient notamment sur le nombre de licenciés, au risque de favoriser les disciplines les plus médiatisées, et donc les plus pratiquées, au détriment des autres, qui ont précisément besoin d’un soutien fort de l’État.

La question du détachement des CTS recoupe celle de la mise en place d’un véritable ministère des sports et d’une véritable politique publique du sport.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Roxana Maracineanu, ministre des sports. Madame la sénatrice, à cinq ans de la tenue des jeux Olympiques en France, il est de notre responsabilité collective, comme je l’ai dit tout à l’heure, d’être à la hauteur d’un héritage de performances et de pratiques qui est la vraie richesse du sport français.

Aujourd’hui, nous devons faire mieux en analysant avec sincérité et transparence nos forces et nos faiblesses. C’est dans ce cadre que s’inscrit mon action et, plus particulièrement, la transformation du modèle sportif français avec la création de l’Agence nationale du sport.

Au travers d’une gouvernance partagée, je veux développer et renforcer le rôle des fédérations. Ces dernières auront une responsabilité accrue et des moyens dédiés plus importants. J’entends aussi repositionner les fédérations à l’égard des clubs, des associations et, surtout, des pratiquants.

L’idée directrice de la réforme est de remettre le club sportif au cœur du projet. Nous devons aussi capter la moitié des Français qui ne pratiquent aucune activité physique. Le sport doit rester un jeu, un défi, un plaisir. C’est dans ce contexte que la question de la relation des cadres d’État avec les fédérations et de son impact sur les politiques publiques doit être abordée sans tabou.

Pour conduire ces travaux, j’ai tenu un dialogue ouvert, qui respecte et favorise l’expression et l’écoute de chacun, afin que toutes et tous puissent partager librement leur vision, faire valoir leur expertise et leurs revendications et, surtout – j’insiste sur ce point –, être forces de proposition, car nous ne détenons pas toutes les solutions pour tout le monde. Nous avons besoin de solutions innovantes, une gouvernance partagée étant elle-même une solution innovante de dialogue avec notre écosystème.

À l’occasion de mon intervention devant l’Assemblée nationale le 21 mai dernier, j’ai proposé que la réforme du positionnement des conseillers techniques sportifs prenne une autre forme que celle qui était évoquée à mon arrivée à la tête du ministère, en septembre 2018. C’est pourquoi j’ai confié une mission à MM. Alain Resplandy-Bernard et Yann Cucherat, lui-même CTS : leur rôle consiste à animer une concertation qui portera sur les métiers, la nature des missions, les évolutions de carrière, le positionnement et l’efficience des moyens humains de l’État au service du sport. J’attends la remise de ce rapport pour vous en dire plus à ce sujet.

M. le président. La parole est à M. Dany Wattebled.

M. Dany Wattebled. La politique sportive de la France se trouve aujourd’hui à un moment charnière, dans la perspective des jeux Olympiques de 2024, bien sûr, mais également de l’institution de l’Agence nationale du sport, approuvée par le Sénat cet été : un événement incontournable pour toutes les fédérations, d’une part, et une réorganisation majeure pour tous les acteurs du sport, d’autre part. Se pose une question essentielle : celle des moyens mobilisés pour relever ces deux défis.

Alors que le projet de loi de finances pour 2020 sera prochainement examiné au Sénat, de nombreuses interrogations ont déjà été soulevées qui appellent des réponses claires du Gouvernement.

De prime abord, pourtant, il n’existe aucune raison de s’inquiéter, puisque les crédits auront été multipliés par deux en cinq ans. Mais, alors que les premières dépenses pour les infrastructures des jeux Olympiques seront engagées en 2020, les acteurs locaux se demandent si le prochain budget profitera à tous les territoires et à tous les sports. Sur le terrain, on redoute en effet un budget en trompe-l’œil.

Je ne reviendrai pas sur le cas des conseillers techniques sportifs, encore inquiets quant à l’avenir de leur statut, en dépit des gages que le Gouvernement a tenté de leur apporter.

Ma question, madame la ministre, porte sur le financement des fédérations sportives. Alors que certaines voient le nombre de leurs adhérents augmenter d’année en année, d’autres peinent à se développer. Or l’objectif annoncé de quarante médailles aux jeux Olympiques ne pourra être atteint qu’avec le concours de toutes les fédérations. Quels mécanismes de péréquation entre fédérations prévoyez-vous pour développer la pratique de tous les sports dans toute la France, tant au très haut niveau qu’au niveau amateur ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Roxana Maracineanu, ministre des sports. Monsieur le sénateur, sachez que nous avons changé de critères pour le financement des fédérations : jusqu’à maintenant, nous prenions en compte le nombre de licenciés ; désormais, avec l’Agence nationale du sport, ce sont les projets de développement des pratiques qui seront pris en considération, ainsi que la capacité des fédérations à décliner ces projets sur les territoires puisque, avec la nouvelle gouvernance, nous cherchons à mettre en cohérence fédérations et associations. Jusqu’à présent, les fédérations éprouvaient des difficultés à mesurer ce que leurs propres associations faisaient sur le terrain, parce que l’État finançait en partie les fédérations via le ministère des sports, d’un côté, et, de l’autre, les associations sur les territoires au travers du CNDS.

Aujourd’hui, le Centre national pour le développement du sport s’étant fondu dans l’Agence nationale du sport, nous avons pour objectif d’assurer une meilleure cohérence et de proposer aux fédérations une vraie politique de structuration et de développement, en leur offrant de s’engager dans des projets innovants et ambitieux, avec une vision claire de leurs propres déclinaisons territoriales.

Parallèlement, la nouvelle gouvernance du sport prévoit un accompagnement par les territoires, les collectivités et l’État de ces projets sportifs fédéraux, pour parvenir à les mettre en adéquation avec les projets sportifs de territoire. L’ANS est là pour y veiller.

S’agissant des cadres techniques sportifs, nous sommes parfaitement conscients du rôle et de l’importance de cette présence de l’État au sein des fédérations. Dans le cadre de la réforme que je conduis aujourd’hui avec les CTS et les fédérations, il est essentiel pour moi de prendre en compte le degré de maturité et de développement des fédérations, mais aussi leur taux de dépendance à l’État. Cela me paraît primordial pour pouvoir mener à bien cette réforme.

M. le président. La parole est à M. Dany Wattebled, pour la réplique.

M. Dany Wattebled. Je remercie Mme la ministre de ces éclaircissements. Le sport est un élément fort de notre cohésion sociale : plus on consacrera de moyens au sport, mieux on se portera. La pratique sportive devrait même être remboursée par la sécurité sociale, car le sport, c’est la santé ! (Sourires.)

M. le président. La parole est à M. Claude Kern.

M. Claude Kern. Notre modèle sportif, tout à fait original et singulier, permet, par un système de responsabilité partagée entre l’État, les collectivités territoriales et le mouvement associatif, de conjuguer le développement du sport pour tous, l’organisation du sport de haut niveau et tout un volet social allant de la prévention par le sport à la lutte contre le dopage, en passant par la protection des sportifs.

L’État a toujours occupé une place prééminente dans l’organisation, la régulation et le contrôle des activités sportives. Cependant, comme le souligne le dernier rapport du Conseil d’État, les collectivités territoriales sont devenues les premières contributrices au financement des pratiques et des équipements sportifs, sans que leur place soit véritablement reconnue au sein d’une gouvernance où la politique publique relève d’abord de l’État et les règles du jeu du mouvement sportif.

Aujourd’hui, alors que nous mettons en œuvre une nouvelle gouvernance du sport à travers la création de l’ANS, il faut se donner les moyens de réussir cet ambitieux virage, qui doit permettre de coordonner les politiques sportives de ses membres aux niveaux national et territorial, dans un esprit de concertation, de mobilisation et de proximité.

Cela ne pourra résulter que d’une organisation très décentralisée, au sein de laquelle les représentants des collectivités doivent se voir attribuer une place toute particulière. Ainsi, on devra lutter contre tout tropisme conduisant à faire de la gouvernance territoriale une simple déclinaison régionale de l’action de l’ANS.

À ce sujet, nous ne pouvons que déplorer la position timorée adoptée par l’Assemblée nationale, qui a repoussé notre proposition de faire présider les conférences régionales par une personnalité élue parmi les représentants des collectivités territoriales ou du mouvement sportif. Aujourd’hui, il faut à tout le moins prévoir que le secrétariat des conférences régionales du sport et celui des conférences des financeurs soient assurés par les collectivités territoriales par voie de convention, dans le cadre de la compétence partagée. Alors que les décrets d’application de la loi du 1er août 2019 doivent rapidement être pris, pouvez-vous nous donner votre position sur ce point, madame la ministre, sachant qu’une convention pourrait déterminer leur fonctionnement et les moyens qui y seraient consacrés ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Roxana Maracineanu, ministre des sports. Monsieur Kern, vous étiez le rapporteur du projet de loi portant création de l’Agence nationale du sport, dont nous avons entériné ensemble l’institution le 1er août dernier. Dans sa déclinaison territoriale, le rôle de l’ANS consistera à veiller à la cohérence entre les projets sportifs territoriaux et les projets sportifs des fédérations. Pour ce faire, nous allons instaurer des conférences régionales du sport, qui comprendront des représentants de l’État, des collectivités territoriales, du mouvement sportif, du monde économique et des usagers sur les territoires. Elles éliront un président en leur sein.

Chaque conférence régionale du sport établira un projet sportif de territoire qui tiendra compte des spécificités des territoires et restera cohérent avec les orientations nationales en matière de politique publique sportive. Elle instituera une ou plusieurs conférences des financeurs du sport, dont nous souhaitons la déclinaison jusqu’au niveau communal.

Le projet sportif territorial servira à conclure des contrats pluriannuels d’orientation venant préciser les actions, les ressources humaines et financières et les moyens matériels qui seront consacrés aux projets présentés par les associations ou les collectifs d’usagers. C’est ce que l’on appelle la logique du guichet unique du sport.

Nous travaillons actuellement en concertation étroite avec les différents acteurs à la rédaction de trois décrets. Ceux-ci permettront notamment d’appliquer la déclinaison territoriale de l’ANS, telle que vous l’avez votée le 1er août 2019. Les points d’accord concernent la répartition des postes : la présidence des conférences sera confiée à des élus locaux, le secrétariat général à différentes catégories d’acteurs. Il reste des points de désaccord avec les collectivités, notamment sur le quantum de voix accordé à chacun des acteurs au sein des conférences et sur la part d’autonomie laissée aux acteurs locaux pour identifier les besoins des territoires, mais je suis confiante sur le fait que nous parviendrons à mettre en place la déclinaison territoriale de l’ANS.

M. le président. La parole est à M. Stéphane Piednoir.

M. Stéphane Piednoir. Madame la ministre, j’en suis comme vous profondément convaincu, la pratique d’une activité physique et sportive participe à l’épanouissement de l’enfant et contribue ainsi à sa réussite scolaire.

Le sport à l’école a des effets bénéfiques, notamment en termes de santé publique, puisqu’il permet de lutter contre la sédentarité et l’obésité chez les jeunes. Je crois aussi en sa capacité à susciter des vocations ou, a minima, à inciter les jeunes à pratiquer une activité physique tout au long de leur vie.

Cependant, pour jouer pleinement ce rôle, le sport à l’école devrait faire l’objet d’une réelle stratégie, d’un suivi et, surtout, d’une coordination entre tous les acteurs concernés : professeurs d’éducation physique et sportive, bénévoles chargés du sport scolaire et fédérations sportives. Nous en sommes encore loin, si l’on en croit un récent rapport de la Cour des comptes, qui pointe des faiblesses de structuration opérationnelle, des carences dans l’évaluation de l’enseignement et le manque d’une stratégie globale qui serait partagée par tous.

Pour ne prendre que quelques exemples des lacunes existantes, les trois heures d’éducation physique et sportive par semaine ne sont pas correctement assurées dans l’ensemble des établissements et aucun contrôle n’est réalisé. Il n’existe par ailleurs aucune continuité éducative entre le premier et le second degré, aussi surprenant que cela puisse paraître.

De plus, aucune proposition du Sénat n’a été retenue dans le cadre du projet de loi pour une école de la confiance, que nous avons examiné récemment.

Madame la ministre, nous ne le répéterons jamais assez, les jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 sont un formidable levier pour susciter un engouement pour la pratique sportive en général. Ils doivent être l’occasion, pour notre pays, d’affirmer une ambition collective fondée sur une vision globale, partagée par tous les acteurs du parcours sportif des élèves. Quelles sont les actions engagées par votre ministère, en lien avec le ministère de l’éducation nationale, pour rendre plus efficiente l’organisation du sport à l’école ? (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et UC.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Roxana Maracineanu, ministre des sports. Monsieur le sénateur, sachez que je regrette, tout comme vous, mon arrivée tardive à la tête de ce ministère ! J’ai pu néanmoins amorcer une réelle collaboration avec Jean-Michel Blanquer, même si tous les projets que nous avons élaborés n’ont malheureusement pas pu être inscrits dans la loi pour une école de la confiance. Je vous invite à représenter les propositions que vous avez évoquées lors de l’examen du projet de loi sur le sport qui vous sera soumis au prochain trimestre.

Effectivement, le constat est dramatique : nos enfants ne sont pas en aussi bonne forme qu’il y a quarante ans, du fait de la sédentarité. Les maladies liées à l’inactivité frappent plus massivement et plus précocement. Il faut une réaction collective : mon ministère s’est entendu avec le ministère de l’éducation nationale pour mobiliser les acteurs associatifs et sportifs à cet effet.

Ma priorité, c’est l’école élémentaire, où tout se joue. La loi de M. Blanquer a instauré l’école obligatoire dès 3 ans. Nous devons installer durablement des rituels sportifs dans le quotidien de nos enfants. Je demande à chaque club de travailler en partenariat avec les équipes enseignantes des écoles. Lors de la journée nationale du sport scolaire, nous avons renouvelé une convention entre les ministères et quatorze fédérations sportives. L’objectif que nous comptons vraiment atteindre cette année est de faciliter et de développer les interventions des clubs et des associations dans le cadre du temps scolaire à l’école primaire. Nous suivons de près l’appel à projets « école le matin, sport l’après-midi ». J’ai également fait une offre de services pour participer au dédoublement des classes grâce à nos associations, en priorité dans les cités éducatives.

Enfin, nous allons élaborer, en partenariat avec le ministère de l’éducation nationale, un parcours éducatif et sportif de la maternelle à l’université, qui permettra de conserver et de valoriser toutes les qualifications acquises pendant sa scolarité dans un club ou à l’école, par exemple l’aisance aquatique, le « savoir rouler » à vélo ou toute action bénévole engagée dans une association par les jeunes enfants.

Toutes ces compétences doivent pouvoir être mieux valorisées dans le curriculum vitae des futures générations. Nous sommes persuadés qu’elles permettront une meilleure insertion professionnelle.

M. le président. La parole est à Mme Sylvie Robert.

Mme Sylvie Robert. Au cours des trente dernières années, la professionnalisation du sport de haut niveau s’est accompagnée d’un essor vertigineux de son écosystème, porté singulièrement par l’explosion des droits de retransmission des compétitions – l’exemple le plus éclairant à cet égard est bien évidemment celui du football.

En parallèle, le paysage audiovisuel s’est radicalement transformé. Le nombre de chaînes payantes nationales diffusant des programmes sportifs est ainsi passé de trois en 1995 à vingt-cinq en 2016. Aujourd’hui, ces dernières retransmettent plus de 95 % du volume horaire dédié au sport.

De son côté, France Télévisions fait face à un effet ciseaux particulièrement préoccupant, qui combine baisse des ressources publiques – 160 millions d’euros d’ici à 2022 – et forte inflation des droits audiovisuels relatifs aux événements sportifs. Il n’est donc guère surprenant que le budget alloué par le groupe au sport soit passé de 230 millions en 2016 à 192 millions en 2019. À terme, on pourrait légitimement craindre que certaines compétitions sportives telles que le tournoi de tennis de Roland-Garros ou le Tour de France, qui constituent pourtant l’identité sportive de France Télévisions, n’échappent au service public.

Malgré cette tendance, les chaînes du groupe ont effectué des efforts qui peuvent être salués, dans la mesure où, en 2018, elles ont retransmis des compétitions dans 132 disciplines et ont exposé beaucoup plus le sport féminin, notamment en direct.

Par conséquent, de ce bref panorama ressort un enjeu majeur en termes d’accès aux programmes sportifs, en particulier du fait de la fragmentation progressive de l’offre payante télévisuelle.

Madame la ministre, envisagez-vous d’élargir rapidement la liste des événements sportifs d’importance majeure, fixée par le décret du 22 décembre 2004, dans un triple objectif de meilleure exposition des compétitions féminines, de diversification des disciplines diffusées et, bien sûr, d’accessibilité croissante des sports les plus pratiqués et populaires ? Allez-vous autoriser la réintroduction exceptionnelle de la publicité après 20 heures lorsque les chaînes du service public retransmettent des événements sportifs ? (M. Michel Savin applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Roxana Maracineanu, ministre des sports. Je suis entièrement favorable à l’élargissement de cette liste, madame la sénatrice, car, effectivement, peu de compétitions féminines font partie des événements protégés. Nous avons donc lancé, avec Franck Riester, une consultation publique en vue de permettre l’accès gratuit à la retransmission de nos grandes manifestations sportives, de faire évoluer cette liste et d’y ajouter des compétitions féminines, mais aussi de donner la priorité aux matchs ou aux épreuves auxquels participent l’équipe de France ou des sportifs français.

Nous étudions actuellement les retours de cette consultation et, bien sûr, nous agirons dans ce sens. Nous avons peut-être trouvé une solution grâce à la création de la chaîne Sport en France, qui permettra de diffuser en clair beaucoup de compétitions sportives, notamment féminines, ou d’exposer des sports aujourd’hui confidentiels. La participation de l’Agence nationale du sport et du CNOSF, le Comité national olympique et sportif français, pourrait permettre d’assumer les coûts de production liés à ces manifestations, afin de pouvoir proposer gratuitement leur retransmission aux chaînes de grande diffusion publiques. Les apports des annonceurs publicitaires pourraient abonder un fonds de dotation au sport féminin que je viens de créer. Il s’agit de rassembler toutes les bonnes volontés – entreprises, annonceurs, chaînes de télévision – pour structurer la pratique par les femmes du sport pour tous, mais surtout du sport de haut niveau, et lui accorder plus d’importance.

Mon objectif est en effet de travailler plus et mieux pour le sport féminin, qui n’a jamais vraiment été considéré en France. La cause de nos sportives féminines confrontée à la maternité pendant leur carrière sportive, par exemple, n’a jamais été entendue ni même abordée. J’ai organisé une table ronde avec des sportives, voilà quelques semaines : elles ont pu, pour la première fois, évoquer cette thématique avec une instance sportive. Elles ne sont écoutées ni dans leur club, ni dans leur fédération, ni par leur entraîneur, ni par leur entourage.

M. le président. La parole est à Mme Françoise Gatel.

Mme Françoise Gatel. Les bénéfices de la pratique du sport pour la santé, de façon générale, et pour les personnes souffrant d’affections de longue durée, en particulier, sont aujourd’hui indiscutables. Une activité physique modérée permet ainsi d’éviter, par exemple, 30 % des maladies cardiovasculaires et 25 % des cancers du sein ou du côlon.

La loi de 2016 qui permet aux médecins de prescrire une activité physique à leurs patients est une avancée majeure. Force est de constater, toutefois, que l’absence de financement de cette mesure par la sécurité sociale est un réel obstacle au développement de sa mise en œuvre. En effet, outre que le coût financier peut représenter un obstacle pour le malade, cette prescription ne sera pas réellement considérée comme un acte de soin tant qu’elle ne sera pas remboursée.

Je me réjouis donc que, dans le PLFSS que nous examinerons bientôt, soit prévue la création d’un parcours de soins pris en charge par l’assurance maladie pour accompagner les patients après le cancer. En effet, comme le rappelait la Haute Autorité de santé en 2018, pour les personnes atteintes de cancer, « une activité physique régulière d’intensité au moins modérée est associée à des réductions de la mortalité toutes causes confondues ».

C’est une évolution importante que je salue. Toutefois, madame la ministre, l’enveloppe de 10 millions d’euros permettra de financer un bilan d’activité physique, mais aucune activité. Selon l’étude d’impact, 250 000 patients atteints de cancer seraient concernés chaque année : chacun d’entre eux pourrait donc bénéficier de 40 euros… Pourtant, ce type de mesure permettra à moyen terme de réaliser des économies au titre des dépenses d’assurance maladie.

Madame la ministre, de nombreuses initiatives sont déployées localement, grâce à la bonne volonté de communes, d’associations ou d’agences régionales de santé, mais elles sont considérablement fragilisées par le manque de stabilité et de visibilité financières. Pouvez-vous nous dire si cette enveloppe a vocation à être pérennisée ? Y aura-t-il une montée en charge pour porter son montant à la hauteur de l’enjeu ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Roxana Maracineanu, ministre des sports. Je suis tout à fait d’accord avec vous, madame la sénatrice. J’espère moi aussi que cette avancée inscrite dans le PLFSS est une première étape vers la mise en place d’une vraie stratégie sport-santé. Sachez en tout cas que nous travaillons main dans la main, avec Agnès Buzyn, à l’élaboration de cette stratégie et à sa mise en œuvre.

Effectivement, seul le bilan pourra aujourd’hui être remboursé, mais la démarche s’inscrit dans une dynamique territoriale qui engage déjà différents acteurs : les collectivités, les associations sportives, déjà mobilisées dans les territoires, et de nombreux centres de soins.

Cette enveloppe de 10 millions d’euros représente un moyen de valoriser ce qui se fait déjà aujourd’hui et de permettre un effet de levier pour ce qui concerne les engagements des acteurs privés du secteur, comme les mutuelles, avec lesquelles le ministère des sports signera prochainement une convention pour les encourager à aller encore plus loin que la mise en place de maisons sport-santé et à cofinancer avec nous un parcours d’activités physiques à visée principalement thérapeutique.

Nous avons pour objectif d’accompagner l’ouverture et la labellisation de 500 maisons sport-santé, qui auront pour vocation d’accueillir et d’orienter toutes les personnes souhaitant pratiquer une activité physique, pas seulement les personnes en rémission, mais aussi les personnes sédentaires. Nous souhaitons que ces maisons sport-santé soient un sas vers la pratique, où le citoyen pourra être accompagné avec un regard bienveillant vers davantage d’activité physique adaptée au quotidien. Le sport, ce n’est pas seulement la recherche de la performance ou le sport pour tous, c’est aussi l’activité physique adaptée à tous les publics. Il est aussi de notre devoir d’encourager le ministère de la santé à s’orienter davantage vers une telle politique de prévention.

M. le président. La parole est à Mme Florence Lassarade.

Mme Florence Lassarade. Avec 382 000 nouveaux cas recensés en 2018, 157 000 décès, 4 millions de personnes vivant avec un cancer ou ayant eu un cancer, le cancer pèse lourdement sur la société française.

De nombreuses études épidémiologiques mettent en évidence l’effet positif de l’activité physique en termes de prévention primaire et tertiaire du cancer du sein et de la récidive, ainsi que de mortalité liée au cancer. Ainsi, selon une étude de l’Inserm, l’activité physique « améliore la qualité de vie et réduit les effets secondaires liés au cancer et aux traitements ainsi que les récidives ». Plusieurs autres études scientifiques indiquent qu’une pratique régulière du sport diminue de 50 % le risque de récidive d’un cancer du sein. L’étude intitulée La vie cinq ans après un diagnostic de cancer, publiée en juin 2018 par l’Institut national du cancer, l’INCa, montre que la santé des personnes concernées est toujours affectée cinq ans après le diagnostic. Or, cette étude met aussi en évidence que 53 % d’entre elles ont réduit ou cessé leur activité physique.

L’idée est donc d’encourager les personnes à pratiquer une activité physique à leur niveau et d’adapter cette activité à leurs besoins. La période de l’après-cancer du sein est favorable aux modifications du mode de vie. La pratique du sport et d’une activité physique doit aussi être intégrée dans les protocoles de traitement, pour améliorer la vie après le cancer du sein.

Pourtant, si l’activité sportive est recommandée par de nombreux oncologues, elle n’est toujours pas prise en charge par les pouvoirs publics au titre du traitement de la maladie ou de la prévention de la récidive.

Madame la ministre, je souhaiterais savoir quelles sont les mesures mises en œuvre par le ministère des sports pour favoriser l’activité physique des malades, et plus particulièrement des malades du cancer du sein. Quelles sont les formations dispensées aux éducateurs sportifs qui s’occupent des malades ? Disposez-vous de données chiffrées sur ce point ? (M. Michel Savin applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Roxana Maracineanu, ministre des sports. J’irai encore plus loin que vous, madame la sénatrice.

Les instituts qui prennent en charge les malades du cancer me disent qu’aujourd’hui cette maladie touche des personnes de plus en plus jeunes. Des traitements de plus en plus forts sont disponibles, mais pour les administrer utilement il faut absolument que le corps du patient puisse les supporter. De ce point de vue aussi, l’activité physique devient vraiment indispensable.

Notre stratégie sport-santé vise aussi, en amont, la prévention : nous cherchons à faire pratiquer une activité physique et sportive à des personnes sédentaires, davantage susceptibles que les autres de contracter ces maladies. Les maisons sport-santé constituent à cet égard un outil. Leur création répond à un engagement du Président de la République, et nous allons, dans un premier temps, labelliser un maximum d’initiatives locales. Au travers de la mesure financière du PLFSS évoquée tout à l’heure par Mme Gatel, qui permettra le remboursement du bilan et un suivi de l’activité sportive, nous chercherons à mobiliser le plus d’acteurs possible. De nombreuses fédérations se sont déjà positionnées, en dispensant des formations aux éducateurs des associations qui pourront accueillir les personnes en rémission. Nous allons continuer à accompagner ces fédérations afin de créer des passerelles entre le monde de la santé et le monde du sport.

M. le président. La parole est à Mme Florence Lassarade, pour la réplique.

Mme Florence Lassarade. Je vous remercie de votre réponse, madame la ministre. En théorie, ces mesures d’accompagnement du malade vers l’activité sportive sont vertueuses. En pratique, mon expérience familiale récente m’amène à constater que l’on est très loin de proposer des activités physiques à tous les patients atteints de cancer. Bien sûr, le bilan proposé dans le cadre du parcours de soin est intéressant, mais sa portée est faible, presque dérisoire, au regard de l’enjeu. Il faut consentir un effort beaucoup plus important. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Sylvie Vermeillet applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Christian Manable.

M. Christian Manable. Le transfert des conseillers techniques et sportifs aux fédérations sportives est une très mauvaise nouvelle, pour ces agents, pour les fédérations, pour le sport de très haut niveau et pour tout le modèle sportif français.

Les conseillers techniques et sportifs occupent en effet une place unique dans l’organisation du sport français et représentent l’un des maillons essentiels de notre modèle sportif. Ils font vivre à la fois le sport de masse et le vivier du sport amateur, ils sont des relais indispensables des fédérations, dont ils constituent souvent une très grande part des salariés, et ils sont la cheville ouvrière du dispositif de détection des talents de demain.

C’est pourquoi, madame la ministre, nous continuons de dénoncer le transfert annoncé des 1 600 conseillers techniques et sportifs aux fédérations et aux collectivités locales.

Les fédérations, notamment les plus petites, ne pourront pas absorber ces nouvelles dépenses. Elles auront beaucoup de difficultés à conserver des cadres techniques, faute de moyens financiers. Elles devront faire face à une très forte hausse de leur masse salariale, puisque le nombre des salariés permanents est souvent très inférieur à celui des CTS détachés.

Quel est donc le modèle économique soutenable que vous proposez au sport français, madame la ministre ? Comment éviter, pour faire face à ces nouvelles dépenses, l’augmentation du prix de la licence sportive, qui risque de pénaliser durablement le sport amateur et accessible à tous ?

L’empressement de ce gouvernement à se séparer des CTS relève manifestement davantage d’un choix politique que d’une décision rationnelle. Comment ne pas voir que la disparition du cadre historique français est déjà engagée ? Le concours de recrutement de professeurs de sport n’a-t-il pas été suspendu, tout comme les mobilités ?

On est en droit de se demander si vous n’êtes pas en train de déstabiliser en catimini l’ensemble du modèle français du sport. Sous couvert de réformes techniques, c’est la démocratisation des pratiques sportives que vous mettez à mal !

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Roxana Maracineanu, ministre des sports. Si la réforme était mise en œuvre comme vous l’avez décrit, monsieur le sénateur, dans la précipitation, en considérant de manière uniforme toutes les fédérations, je serais d’accord avec vous pour dire que c’est une mauvaise nouvelle. La réforme annoncée voilà un an a peut-être été mal comprise ; ce n’est plus celle que nous menons aujourd’hui, car nous avons remis les choses sur la table. Nous allons adopter une approche par métier, associer les personnes concernées et les fédérations à la transformation du modèle et nous sommes parfaitement conscients que les fédérations ne sont pas toutes en mesure de prendre en charge les CTS.

Nous engagerons notamment une concertation sur le métier d’entraîneur, qui nous paraît ne pas avoir été assez considéré par le monde du sport jusqu’à présent. Nous allons réfléchir aux moyens de mieux accompagner les sportifs dans leur accession à la haute performance et leur parcours à haut niveau. C’est un élément important, puisque la moitié des CTS sont entraîneurs des équipes de France. Nous devons considérer leur métier et leur capacité à l’exercer, avant de considérer leur statut.

Il s’agit aujourd’hui pour nous de renouer un dialogue qui a été rompu, à juste titre, à cause de cette réforme. Nous n’imaginons pas mettre en péril le sport français à un an des jeux Olympiques. Ce que nous voulons avec cette nouvelle gouvernance du sport, c’est adapter les ressources humaines disponibles pour le sport français – entraîneurs, développeurs du sport, formateurs… – au nouveau modèle et partager les responsabilités entre tous les acteurs.

M. le président. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-Raymond Hugonet. L’explosion du phénomène du piratage de la retransmission des compétitions sportives est une triste réalité. La consommation de flux pirates revêt désormais un caractère industriel. En mai 2019, la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet publiait une étude sur la consommation illicite de programmes télévisés en direct : 17 % des internautes français regardent des retransmissions de programmes sportifs en direct sur des sites de streaming.

Les conséquences sont désastreuses pour le sport amateur, qui bénéficie, notamment via la taxe Buffet, d’une partie des recettes engendrées par le sport professionnel. Ce pillage, organisé en toute impunité, représente un détournement de plusieurs centaines de millions d’euros par an et affaiblit l’ensemble de l’écosystème sportif français.

En 2024, la France accueillera les jeux Olympiques et Paralympiques. La tenue de cet événement est une chance fantastique pour le rayonnement de nos sportifs et du secteur tout entier. C’est aussi une responsabilité : celle d’assurer la protection des droits sportifs.

À ce jour, il n’existe aucun moyen adapté pour fermer l’accès aux sites rapidement, voire en direct, comme cela se fait en Grande-Bretagne. Les procédures judiciaires prennent plusieurs mois. Or, un match de football ne dure qu’une heure et demie !

Dès lors, comment garantir la protection des droits et le bon déroulé de la retransmission des compétitions dans ce contexte ?

Dévoilé dans sa mouture transmise au Conseil d’État, le projet de loi sur l’audiovisuel comporte, en son article 30, un dispositif dédié à la lutte contre le piratage des compétitions sportives. Plusieurs acteurs s’interrogent déjà sur la possibilité qu’il soit pleinement opérationnel dans un délai extrêmement court. En effet, la rapidité d’intervention est clé. Les pirates ont très souvent un temps d’avance sur les parades, aussi bien techniques que juridiques, des ayants droit. Ils sont notamment en mesure de répliquer de façon extrêmement rapide des offres pirates, dès que certains sites font l’objet d’une identification par les diffuseurs et les ayants droit. Le juge, saisi par les ayants droit, ne sera pas en mesure, dans le cadre de la mise en œuvre de sa décision initiale de blocage, d’intervenir rapidement à l’encontre des sites dits « miroirs ».

Madame la ministre, quelle mesure pourriez-vous envisager pour renforcer le dispositif de l’article 30, afin de garantir une intervention rapide du juge à l’encontre de ces sites ? (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Roxana Maracineanu, ministre des sports. Sachez, monsieur le sénateur Hugonet, que le Gouvernement a une ambition forte sur le sujet du piratage de la retransmission des compétitions.

Nous avons travaillé, avec Franck Riester, sur une mesure introduite dans le projet de loi sur l’audiovisuel qui sera présenté en conseil des ministres d’ici à la fin de l’année. Elle permettra de combattre le piratage des compétitions sportives, qui représente un manque à gagner évalué à 500 millions d’euros par an pour l’univers de la télévision payante et à 100 millions d’euros pour les organisateurs d’événements sportifs, que nous finançons par ailleurs, et de prendre en compte les enjeux du sport.

Je sais le Sénat très attentif à cette question, sur laquelle il a d’ailleurs organisé une table ronde en janvier dernier.

Sur la méthode, le texte a fait l’objet d’un travail interministériel important, entre les ministères de la culture, de la justice et des sports. Il a été élaboré en toute transparence et en concertation avec les acteurs du sport, notamment l’Association pour la protection des programmes sportifs.

Aujourd’hui, il faut aller plus loin. Les fédérations sportives, les ligues professionnelles et les médias pourront désormais saisir le juge en amont d’une compétition sportive pour demander aux fournisseurs d’accès à internet le blocage instantané des sites qui retransmettraient la compétition sans en avoir acquis les droits. Le tout est d’avoir une réaction très rapide, donc très adaptée à la diffusion en direct des contenus sportifs. L’objectif est aussi de responsabiliser les fédérations internationales en matière d’arrêt de la diffusion illicite. Nous faisons ainsi un pas de plus vers une désacralisation du concept de neutralité absolue de la Toile et franchissons une étape décisive pour la préservation du modèle économique des compétitions sportives et des fédérations.

M. le président. La parole est à M. Olivier Paccaud. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Olivier Paccaud. Permettez-moi de vous parler de ruralité, madame la ministre. Nous connaissons tous le sigle EPS : éducation physique et sportive. En matière de sport, dans la ruralité, c’est-à-dire sur les trois quarts du territoire national, il a une autre signification : environnement parcimonieux et sous-doté… Là-bas, il y a le grand air, de l’espace, mais bien peu de structures. Ce n’est pas comme dans les villes : on y trouve rarement des piscines, des pistes d’athlétisme, des murs d’escalade.

Certes, les collectivités locales font des efforts pour réduire la fracture territoriale en termes d’équipements sportifs. À titre d’exemple, dans mon département de l’Oise, le conseil départemental, depuis maintenant plus de dix ans, construit des équipements sportifs de proximité, des ESP, plus communément appelés City stades, avant tout dans les petites communes : 150 terrains d’activité ont ainsi pu voir le jour.

Les communes et intercommunalités rurales font aussi de leur mieux pour offrir aux petits campagnards des activités sportives diverses et variées. Néanmoins, le fossé reste abyssal entre zones urbaines et zones rurales. Ainsi, à Beauvais, ville préfecture de l’Oise, les élèves peuvent aller à la piscine, découvrir le roller, le tir à l’arc, l’escrime, le cyclisme, l’athlétisme, le tennis… Les enseignants peuvent s’appuyer sur des intervenants extérieurs, des professionnels du sport. Tant mieux ! Quant à la campagne…

Quelle est la politique sportive de l’État pour la ruralité ? Le Gouvernement se gargarise souvent de sa politique de « discrimination positive », avec, par exemple, le dédoublement de classes en zones d’éducation prioritaires. Madame la ministre, que faites-vous donc dans le domaine sportif pour réduire les inégalités ?

Jadis, il y avait la réserve parlementaire, une bourse fort décriée par votre majorité, mais qui manque cruellement depuis sa suppression. Ces aides permettaient de compenser, pour les mairies et les associations, le plus souvent rurales, les investissements en matériel. Ne me parlez pas des crédits attribués par le fonds départemental de la vie associative, le FDVA… Les critères d’attribution sont flous et les besoins des territoires ruraux rarement pris en compte !

Madame la ministre, êtes-vous consciente de cette situation ? Comment comptez-vous compenser le manque de moyens et réparer cette injustice territoriale ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Roxana Maracineanu, ministre des sports. Je suis bien sûr consciente de cet enjeu. Au travers de toutes nos politiques sportives, nous incitons d’ailleurs les fédérations à s’impliquer dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville, les QPV, et les zones de revitalisation rurale, les ZRR.

Notre priorité est de parvenir à déployer dans les territoires ruraux les bonnes politiques mises en œuvre dans les grandes villes. L’action de l’État est guidée par l’application du principe de subsidiarité : il s’agit d’être là quand il le faut puis de se retirer dès lors que les acteurs locaux savent faire, pour se tourner vers les territoires encore dépourvus de politique sportive.

Aujourd’hui, l’Agence nationale du sport, le nouvel opérateur du ministère des sports et, bien sûr, des collectivités territoriales, développe une politique ambitieuse au profit des territoires, qui s’inscrit dans les mesures de l’Agenda rural annoncé le 20 septembre 2019 par le Gouvernement. Les mesures mises en place sont axées autour du soutien à l’emploi sportif. Il a été demandé aux délégués territoriaux de veiller à accompagner le recrutement des personnels prioritairement au sein des territoires dits carencés, les QPV et les ZRR.

M. Jean-François Husson. Il n’y a pas que cela !

Mme Roxana Maracineanu, ministre. Cette politique concerne aussi nos territoires ultramarins.

Le soutien aux équipements sportifs occupe également une place très importante au sein de la politique de l’Agence nationale du sport.

Enfin, la nouvelle gouvernance privilégiera l’action au plus près des territoires : c’est, en définitive, la meilleure des avancées. Région par région, département par département, chaque territoire pourra faire valoir son projet sportif et être accompagné dans sa mise en œuvre. La priorité du Gouvernement est de donner une forte place aux territoires dits carencés, ceux que l’on appelle les territoires oubliés de la République. (M. Jean Boyer sexclame.) Nous voulons remédier à leur situation actuelle !

M. le président. La parole est à Mme Nicole Duranton.

Mme Nicole Duranton. Madame la ministre, en novembre 2018, vous avez présenté au Premier ministre un projet pour développer la pratique du sport et mieux relever les défis à venir, notamment la préparation des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024.

Afin de mieux coordonner l’action des acteurs de la politique sportive française, à savoir l’État, les collectivités territoriales, le mouvement sportif et le monde économique, l’Agence nationale du sport a été créée.

Dans la continuité, deux déclinaisons territoriales de cette agence ont été prévues : les « parlements du sport », d’une part ; les « conférences des financeurs », d’autre part. Et c’est là qu’existe un flou…

En effet, parallèlement, certaines régions ont déjà élaboré, grâce aux conférences territoriales, des schémas régionaux de développement du sport, les SRDS, sur lesquels les futurs parlements du sport pourront s’appuyer. C’est le cas des régions Nouvelle-Aquitaine, Auvergne-Rhône-Alpes et Grand Est. La région Grand Est servira même de territoire d’expérimentation pour les parlements du sport. De son côté, le parlement du sport de Nouvelle-Aquitaine intègre la participation du public à ses travaux, et ses réunions sont co-animées par le conseil régional et la direction régionale et départementale de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale. La région Auvergne-Rhône-Alpes, quant à elle, s’est focalisée sur l’analyse de l’existant, en élaborant un document de 116 pages.

Le président de l’Agence nationale du sport et délégué interministériel aux jeux Olympiques et Paralympiques, Jean Castex, a pour mission de piloter l’avancée de chaque région. Or, aujourd’hui, force est de constater qu’il existe des différences, tant dans les modèles d’organisation et de pilotage que dans le degré d’avancement des travaux thématiques. Si les fédérations se réjouissent d’être sorties de la tutelle étatique, les collectivités, d’ores et déjà premiers financeurs nets de la politique sportive française, souhaitent savoir dans quelle direction va ce projet.

Madame la ministre, comment garantir à tous les territoires un niveau de développement sportif équivalent, en assurant une évolution cohérente et coordonnée des déclinaisons locales de l’Agence nationale du sport ? (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Roxana Maracineanu, ministre des sports. Madame la sénatrice, c’est précisément le défi qui nous attend cette année : ce projet n’a pas encore de direction bien précise, puisque cette direction, nous allons la construire ensemble. Vous l’avez dit, c’est l’objet même de l’Agence nationale du sport.

Le président de l’ANS, Jean Castex, son directeur général, Frédéric Sanaur, et moi-même allons nous rendre dans les territoires, en commençant par le Grand Est, à l’occasion de la conférence régionale expérimentale. Nous allons notamment étudier sa déclinaison infrarégionale. En effet, cette nouvelle gouvernance du sport doit pouvoir se décliner à l’échelle des communes en réunissant, comme à l’échelle nationale, toutes les associations, qu’elles soient sportives ou culturelles, l’éducation nationale, les entreprises, la mairie et les familles.

Aujourd’hui, nous sommes conscients que l’état d’avancement de cette organisation diffère selon les territoires. Tant mieux : par cette démarche, nous voulons précisément nous adapter aux spécificités locales. C’est la concertation qui a conduit à créer l’Agence nationale du sport : c’est cette même méthode qui guidera l’action de son président et de son directeur général, ainsi que celle du ministère des sports. Mais le rôle de l’État reste le même : élever le niveau d’un cran et permettre à tous les territoires de bénéficier de la même expertise.

M. le président. La parole est à M. Jacques Grosperrin.

M. Jacques Grosperrin. Madame la ministre, j’aurais pu vous poser une question au sujet des arts martiaux mixtes, les MMA, mais je ne le ferai point : sur ce sujet, vous avez su régler les problèmes pendants depuis plusieurs années ; je vous en remercie !

L’organisation du sport a été transformée en 1960 par le général de Gaulle : après les piteux résultats obtenus par la France aux jeux Olympiques, le chef de l’État a décidé de réorganiser le sport de haut niveau, en mettant en place des fédérations et des directeurs techniques nationaux, ou DTN, ainsi que des conseillers techniques sportifs, les CTS.

Depuis, le rôle des fédérations a évolué au-delà du haut niveau ; on leur a reconnu des missions d’intérêt général et de service public. Christian Manable l’a rappelé : les fédérations et leurs bénévoles maintiennent une activité dans les zones carencées, rurales comme urbaines, en luttant contre la désocialisation et la désertification.

Aujourd’hui, le budget que l’État consacre au sport apparaît en augmentation, mais le périmètre couvert a fortement évolué, compte tenu des variations de contenu et de l’impact grandissant de la préparation des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024. Les missions de service public assumées par les fédérations s’en trouvent affectées.

Les activités sportives alimentent deux taxes affectées, une troisième, sur les recettes de la Française des jeux, ayant été créée spécifiquement au bénéfice du sport. Je ne reviendrai pas sur la taxe Buffet : l’enjeu est d’en relever le plafond, sinon de la déplafonner, pour abonder les fonds territoriaux de l’Agence nationale du sport. La taxe sur les recettes de la Française des jeux pourrait aussi être rehaussée, voire déplafonnée, pour financer les équipements sportifs : le parc actuel est insuffisant, inadapté et vieillissant. La troisième taxe, sur les paris sportifs, dont le produit est de 111 millions d’euros, pourrait aussi être relevée pour financer les emplois sportifs associatifs, qui garantissent la pérennité des activités.

Au total, l’État accorde une délégation aux fédérations pour conduire des politiques publiques, mais prélève des revenus sur les activités qu’elles créent. On ne peut raisonnablement ponctionner le sport de la sorte ! En la matière, les fonds de l’État devraient être dédiés exclusivement au mouvement sportif et aux collectivités territoriales.

Dans le même temps, la licence est dévalorisée et attaquée. Dans la définition de vos objectifs, vous distinguez les pratiquants sportifs, sur lesquels lorgnent les entreprises marchandes, et les licenciés sportifs des fédérations. Or les ressources des fédérations reposent en grande partie sur les licences. En la matière, le ministère des sports présente les chiffres avec habileté, mais ces derniers ne reflètent pas la réalité, dans la mesure où l’on inclut, dans les recettes des diverses fédérations olympiques, celles des fédérations françaises de football et de tennis, y compris le montant de leurs droits audiovisuels. La lecture des chiffres s’en trouve biaisée.

En conclusion, le sport ne peut être considéré comme une dépense sèche : il s’agit en réalité d’un investissement rentable à moyen et à long terme, au bénéfice de la société. Vous avez déclaré il y a quelques instants, madame la ministre, avoir réfléchi à l’orientation à donner aux fédérations.

M. le président. Merci de conclure !

M. Jacques Grosperrin. Quelle est votre vision de leur rôle ? Il faut les aider à se structurer et les rassurer. (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. Vous avez battu le record du dépassement du temps de parole…

La parole est à Mme la ministre.

Mme Roxana Maracineanu, ministre des sports. Monsieur le sénateur, il y a beaucoup de questions dans votre question ! Ma réponse se limitera à l’aspect budgétaire. Merci de me permettre de l’évoquer, avant que le Sénat n’examine le projet de loi de finances. Dans quelques semaines, j’aurai le plaisir d’engager avec vous le débat budgétaire sur une base extrêmement solide : avec une hausse de 9,8 % de ses crédits, le ministère des sports disposera de 65 millions d’euros supplémentaires par rapport au budget de 2019.

Vous êtes, comme moi, passionné de sport, et vous défendez la pratique sportive, en particulier les MMA. L’année dernière déjà, la Haute Assemblée a démontré son intérêt pour le sport en votant l’augmentation de 15 millions d’euros des crédits que nous proposions. Je me réjouis du soutien du Premier ministre à notre projet de budget, qui non seulement conserve cette augmentation, mais prévoit aussi une nouvelle hausse, de 65 millions d’euros.

Le soutien du Premier ministre et du Gouvernement à nos politiques sportives ne s’arrête pas là. Je le répète, les crédits du sport ne se limitent pas à ceux de mon ministère. Le sport français et son ministère auront, en 2020, les moyens de leurs ambitions. Les médaillés olympiques et paralympiques de Tokyo, ainsi que leur encadrement, bénéficieront d’une augmentation. Le budget dédié à la lutte contre le dopage, qui m’importe beaucoup, croîtra de 7,5 % et, en complément, nous assurerons le financement du déménagement du laboratoire de l’Agence française de lutte contre le dopage, l’AFLD. En outre, nous financerons 500 places en formation au brevet professionnel d’éducateur sportif au sein des centres de ressources, d’expertise et de performance sportive, les Creps, dans le cadre de Parcoursup. Nous accorderons également à la pratique arbitrale un soutien de plus de 40 millions d’euros, par le biais d’exonérations de charges sociales ou fiscales.

Nous aurons l’occasion d’approfondir ces points à la fin du mois de novembre prochain, en examinant les crédits de la mission « Sport, jeunesse et vie associative ». Je vous remercie de m’avoir permis, dès à présent, d’annoncer la hausse des crédits alloués au ministère des sports, qui me procure une grande joie.

Conclusion du débat

M. le président. En conclusion de ce débat, la parole est à M. Alain Dufaut, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Alain Dufaut, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce débat sur la politique du sport, à quatre ans de la tenue des jeux Olympiques et Paralympiques dans notre pays, était particulièrement nécessaire. Je remercie notre collègue Michel Savin de l’avoir proposé.

Au sein de la Haute Assemblée, nous sommes nombreux à être très attachés au développement du sport en France et, quelles que soient nos opinions politiques, nous travaillons en commun dans le cadre de la commission de la culture, de l’éducation, de la communication et du sport du Sénat ou de groupes de travail et de réflexion, afin de toujours améliorer la pratique sportive en France.

Madame la ministre, dans le tout premier courrier que vous m’avez adressé, le 3 juillet dernier, au sujet des CTS et de l’évolution de leur statut, vous écriviez : « À cinq ans des jeux Olympiques en France, […] nous devons aujourd’hui faire mieux en analysant, avec sincérité et transparence, nos forces et nos faiblesses, en interrogeant, avec ambition, nos modalités d’action et nos marges de progrès, tout en proposant, avec humilité, des adaptations du modèle sportif français. »

Ici au Sénat, nous avons les mêmes ambitions pour le sport français et nous sommes prêts à vous aider à concrétiser les adaptations nécessaires à l’émergence d’un modèle sportif français ambitieux. Ce fut d’ailleurs la mission de notre groupe de travail « sport et société : pour un développement du sport dans la société française au XXIe siècle ». Les quarante-quatre propositions formulées par celui-ci, regroupées selon cinq thématiques, sont à votre disposition.

Ce soir, beaucoup de choses ont déjà été dites par les différents intervenants. Aussi centrerai-je mon propos conclusif sur quelques problèmes qu’il me paraît fondamental de résoudre en vue de pouvoir développer le sport pour tous dans notre pays.

À nos yeux, il faut ouvrir la pratique sportive à tous. À cette fin, les moyens budgétaires dont vous disposez doivent être ciblés en priorité sur les publics suivants : les femmes, tout d’abord, pour lesquelles il faut accélérer la mise en œuvre de la parité à tous les niveaux sportifs, y compris dans les quartiers défavorisés, s’agissant en particulier des femmes les plus isolées socialement ; les habitants des zones rurales, qui, comme l’a dit Olivier Paccaud, subissent un déficit chronique d’équipements sportifs et doivent impérativement bénéficier d’aides à l’investissement dans ce domaine ; les 2,7 millions de personnes en situation de handicap, au-delà des seuls athlètes paralympiques ; enfin et surtout, les personnes âgées, qui ont un besoin évident de pratiquer des exercices et des sports, adaptés bien sûr à leur âge, en étant surveillés, pour le très grand âge, par des spécialistes de la gériatrie.

Non seulement l’activité physique prévient efficacement les maladies chroniques, mais elle permet de vieillir mieux, de vivre plus longtemps avec un maximum d’autonomie. Nous avons auditionné de nombreux spécialistes médicaux et des élus qui ont mené des expériences de pratique sportive à destination des personnes âgées. Tous leurs rapports concordent : cette activité physique est un investissement, et non un coût. Oui, les moyens financiers et humains consacrés à la pratique sportive de nos anciens sont largement compensés par les économies réalisées par la sécurité sociale : voilà ce qu’il faut expliquer aux idéologues de Bercy ! Le sport maintient en bonne santé, quel que soit l’âge des pratiquants. Avec les précautions et l’encadrement qui s’imposent, favoriser une pratique physique adaptée pour le troisième âge, y compris dans les Ehpad, est un enjeu majeur de santé publique.

L’inactivité physique est la première cause de mortalité évitable dans les pays développés, avant le tabagisme. À l’inverse, marcher quinze minutes tous les jours diminue de 15 % la mortalité précoce. Bref, madame la ministre, c’est du gagnant-gagnant !

Je vous le concède, le chantier est immense pour relever tous ces défis : le sport pour tous, le sport handicap, le sport du troisième âge, le sport professionnel, le sport à l’école, les jeux Olympiques de 2024, sans oublier la mise en place de l’Agence nationale du sport et la construction à Saclay du nouveau laboratoire de l’AFLD, qui doit impérativement être opérationnel pour les jeux Olympiques. Pour affronter ces défis, il faut non seulement une énergie et une volonté de tous les instants – vous les avez –, mais aussi des évolutions structurelles et, surtout, des moyens et des financements, que pour l’heure vous n’avez pas toujours en suffisance.

Soyez certaine que les sénateurs passionnés de sport seront toujours à vos côtés, dans cette maison, pour affirmer l’exigence, qui nous rassemble tous, de développer à court terme la pratique du sport et l’activité physique dans notre pays. Cette généralisation de la pratique sportive, y compris pour les plus anciens, doit devenir demain une cause nationale ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi que sur des travées des groupes RDSE et SOCR.)

M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur la politique sportive.

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt-trois heures quarante-trois, est reprise à vingt-trois heures quarante-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

7

Catastrophes climatiques : mieux prévenir, mieux reconstruire

Débat organisé à la demande d’une mission d’information

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande de la mission d’information sur la gestion des risques climatiques et l’évolution de nos régimes d’indemnisation, sur les conclusions du rapport : Catastrophes climatiques. Mieux prévenir, mieux reconstruire.

La parole est à M. le président de la mission d’information auteur de la demande. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et UC. – Mme Maryse Carrère applaudit également.)

M. Michel Vaspart, président de la mission dinformation sur la gestion des risques climatiques et lévolution de nos régimes dindemnisation. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, sur l’initiative du groupe socialiste et républicain, le Sénat s’est doté d’une mission d’information sur la prévention et l’indemnisation des risques climatiques, que j’ai eu l’honneur de présider et dont ma collègue Nicole Bonnefoy a été la rapporteure.

De janvier à juin derniers, la mission a entendu plus d’une trentaine de représentants d’organismes, des sinistrés, des élus locaux, des administrations, des experts ou encore des assureurs. Nous avons également procédé à une large consultation du public par internet et fait deux déplacements, en Charente et dans l’Aude.

Les attentes de nos territoires sont très fortes et l’on observe une grande détresse des victimes de catastrophes naturelles, laissées pour compte par le système actuel d’indemnisation – c’est notamment le cas pour les sécheresses.

Le constat général est clair : notre modèle français de prévention des risques climatiques n’a pas pris la mesure du changement climatique auquel notre pays doit faire face, et son fonctionnement est d’une grande opacité. Il existe donc un vrai décalage entre l’ampleur des défis climatiques et la pesanteur des décisions publiques.

Je pense tout d’abord aux difficultés pour conclure et mettre en œuvre des programmes d’actions de prévention des inondations et les plans de prévention des risques naturels, les PPRN, pour les collectivités locales.

Madame la ministre, je pense également aux atermoiements constatés à propos de la problématique du recul du trait de côte : le Gouvernement n’a toujours rien proposé aux élus du littoral, alors même que les parlementaires formulent des préconisations concrètes depuis de nombreuses années.

Je pense enfin aux prélèvements effectués sur le Fonds national de gestion des risques agricoles, le FNGRA, en 2015 ou sur le fonds Barnier en 2016 et en 2017. Ils reviennent à faire abonder le budget de l’État par les assurés, alors que ces fonds jouent un rôle indispensable pour renforcer la prévention des risques et protéger les populations. En plafonnant les ressources de ces mêmes fonds, on a envoyé un très mauvais signal, alors qu’il faut rehausser le niveau des politiques publiques pour faire face au changement climatique.

Notre mission d’information a donc proposé de corriger ces dysfonctionnements en adoptant, à l’unanimité, plus de cinquante propositions concrètes applicables rapidement, si le Gouvernement en a la volonté.

Si la prévention ne supprime pas complètement le risque, elle permet d’en limiter considérablement les conséquences humaines et matérielles. Il est indispensable d’accentuer les efforts de prévention. Nous sommes convaincus que nous devons changer d’approche face au risque, en passant du « lutter contre » au « vivre avec ».

L’information et la connaissance doivent être au cœur de ce changement et tous les outils doivent être mobilisés : les outils numériques, les réunions de terrain ou l’expérimentation d’un diagnostic « Catnat » lors de l’acquisition d’un bien immobilier, par exemple.

Bien entendu, nous ne relèverons ce défi qu’avec les collectivités territoriales. Or nombre d’élus sont démunis face à la survenance de catastrophes naturelles. La formation, la prise en compte des retours d’expérience, l’assistance des maires par les préfets sont des impératifs.

Tous les efforts de réduction de la vulnérabilité doivent être soutenus : efforts des collectivités territoriales et de l’État, efforts de nos concitoyens eux-mêmes pour réduire la vulnérabilité de leurs habitations. Or le fonds Barnier ne leur profite que partiellement. Il convient donc de rendre le fonds Barnier aux assurés et d’étudier la mise en place d’un crédit d’impôt spécifique afin de réduire le reste à charge pour les travaux de prévention des aléas climatiques.

Madame la ministre, comment expliquer à des milliers de victimes que l’état de catastrophe naturelle n’a pas été reconnu pour leur commune alors qu’il l’a été pour leurs voisins, touchés de la même manière et parfois à quelques mètres de distance seulement ?

M. Jacques Grosperrin. Bonne question !

M. Michel Vaspart, président de la mission dinformation. À quand une véritable transparence dans les procédures de définition des périmètres de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle ? Des représentants des élus locaux et territoriaux doivent impérativement siéger au sein de la commission déterminant ces périmètres.

Ces propositions ne doivent pas rester sans suite : nous veillerons à ce qu’elles soient suivies d’effet. Ce débat a pour objet d’alerter le Gouvernement sur les nombreux dysfonctionnements que la rapporteure et nos collègues orateurs vont maintenant exposer.

Vous avez pris connaissance du rapport, madame la ministre. Parmi nos recommandations figurent des mesures d’ordre réglementaire. Nous souhaitons, pour chacune d’elles, que vous nous disiez ce que le Gouvernement compte faire. Concernant les mesures d’ordre législatif, nous souhaitons savoir si le Gouvernement envisage un texte de loi.

Enfin, que compte faire le Gouvernement pour tous les sinistrés qui se retrouvent dans des situations humaines parfois insoutenables et n’ont pas été inclus dans les périmètres de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle ?

Nous attendons de votre part des réponses concrètes à ces interrogations. Ensuite, chacun devra prendre ses responsabilités ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi que sur des travées du groupe SOCR.)

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure de la mission d’information auteur de la demande.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure de la mission dinformation sur la gestion des risques climatiques et lévolution de nos régimes dindemnisation. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, comme vous le savez, notre pays est exposé à une grande diversité de risques climatiques. Ainsi, un Français sur quatre fait face à un risque d’inondation, tandis que la sécheresse concerne plus de 60 % des sols métropolitains, si bien que presque toutes les communes de France ont déjà été frappées par un tel phénomène.

Les inondations survenues la semaine dernière ont encore illustré de manière tragique la vulnérabilité de notre territoire. Or cette exposition aux catastrophes naturelles va s’amplifier dans les prochaines années à cause du dérèglement climatique : les pluies extrêmes augmenteront et les vagues de chaleur deviendront plus nombreuses et plus fortes, engendrant, tous les deux à trois ans, des sécheresses comparables à celle de 2003.

Devant l’accroissement prévisible du nombre de sinistrés, notre mission a examiné l’efficacité du régime d’indemnisation des catastrophes naturelles. Malgré des fondamentaux pertinents, force est de constater que le système actuel est incompréhensible et injuste pour de nombreux sinistrés.

Les remontées du terrain dont nous avons été destinataires conduisent à dresser un bilan sans appel : opacité de la procédure de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle, inintelligibilité des critères utilisés, manque d’explications quant aux décisions prises, délais d’instruction extrêmement longs… Les griefs des sinistrés à l’encontre du régime d’indemnisation sont légion et conduisent souvent à une remise en cause de la légitimité des décisions de non-reconnaissance.

Il n’est effectivement pas acceptable qu’après avoir tout perdu lors d’une catastrophe nos concitoyens n’aient d’autre choix que de s’engager, pendant plusieurs années, dans un véritable parcours du combattant pour tenter, souvent en vain, d’obtenir une aide des pouvoirs publics ou des assureurs.

Notre mission a également pu constater que tous les sinistrés n’étaient pas placés sur un pied d’égalité, dans la mesure où il existe des difficultés supplémentaires pour l’indemnisation des dommages liés à la sécheresse. Les particularités du phénomène de retrait-gonflement des argiles, notamment le décalage entre la sécheresse et l’apparition des fissures, rendent l’indemnisation plus complexe.

De plus, nous avons observé que les critères retenus pour apprécier l’intensité de ces épisodes ne tiennent compte ni de la réalité de terrain ni de la fréquence croissante de cet aléa. Ces critères sont également à l’origine d’inégalités de traitement difficilement justifiables entre des territoires voisins, ce qui alimente un vif sentiment d’injustice chez les sinistrés. J’ajoute que les techniques de réparation proposées par les experts des compagnies d’assurances ne sont pas toutes efficaces : certaines aggravent même la vulnérabilité des habitations !

Enfin, le monde agricole est particulièrement vulnérable face aux aléas climatiques : en témoignent les ravages subis lors des récents épisodes de grêle. Nous avons pu constater un véritable déficit de protection des agriculteurs, résultant notamment d’une mauvaise articulation entre la couverture assurantielle et le régime des calamités agricoles.

Dans ce contexte, nous appelons à une modernisation durable des systèmes d’indemnisation des dommages résultant des catastrophes naturelles. L’arsenal juridique français constitue un modèle unique de solidarité. Néanmoins, des évolutions sont indispensables pour garantir sa pérennité et son efficacité.

Dans un premier temps, il nous paraît indispensable de répondre aux faiblesses structurelles de nos dispositifs de solidarité en réformant le régime d’indemnisation des catastrophes naturelles, dans un souci d’équité, d’efficacité et de transparence. Je pense notamment à la méthodologie retenue pour qualifier un phénomène de catastrophe naturelle, aux dispositifs de franchise, qui pénalisent excessivement certains sinistrés, ou encore aux relations entre les assurés et les assureurs, qu’il convient de clarifier. Un effort global de pédagogie à destination des sinistrés est nécessaire, par une information claire et intelligible quant aux critères et aux seuils d’intervention du régime. Notre mission s’interroge également sur l’opportunité de créer, à moyen terme, un dispositif spécifique, plus adapté, pour traiter les sinistres provoqués par les sécheresses. (M. le président de la mission dinformation opine.)

Il serait également utile de mettre en place une clause d’appel, en cas de non-reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle, fondée sur une expertise indépendante de terrain, afin que les décisions prises soient plus en phase avec la réalité vécue par les sinistrés.

En outre, il est primordial de mieux protéger les agriculteurs en revoyant les conditions d’éligibilité au régime des calamités agricoles, qui aujourd’hui méconnaissent les conséquences du changement climatique et la diversification des cultures.

Madame la ministre, afin de donner une portée concrète à ces préconisations, nous déposerons prochainement une proposition de loi. Nous comptons sur votre soutien.

D’autres recommandations relèvent du domaine réglementaire : j’espère que vous pourrez, ce soir, nous indiquer clairement quelles suites le Gouvernement entend leur donner. En effet, il nous appartient à tous d’améliorer la protection et l’indemnisation de nos concitoyens face aux catastrophes climatiques. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Maryse Carrère.

Mme Maryse Carrère. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les inondations dans l’Aude, la tempête Xynthia, en 2010, ou encore l’ouragan Irma, en 2017, prouvent que la France, métropolitaine comme ultramarine, est particulièrement sujette aux catastrophes climatiques. Ce qui s’est passé dans l’Hérault dernièrement nous prouve une nouvelle fois que nous pouvons être frappés à tout moment.

Ces événements se caractérisent par leur violence et leur imprévisibilité. On m’opposera que certains sont prévisibles, mais l’on ne peut jamais présager de la force avec laquelle frappera tel ou tel événement climatique.

Les populations et les collectivités se trouvent souvent désemparées face à ces catastrophes. En première ligne figurent les maires, qui sont souvent juridiquement considérés comme les premiers responsables. Même si les maires ont un rôle majeur dans la prévention, ils ne peuvent pas tout. C’est là, à mon sens, le modeste message que notre mission d’information a voulu exprimer.

Lorsque j’étais maire, j’ai connu la détresse et l’impuissance que l’on éprouve devant une catastrophe. À ce moment-là, j’ai aussi ressenti le poids des responsabilités. Si l’élu doit être au cœur de la gestion de la catastrophe, il n’est pas responsable de tout et il ne peut pas tout résoudre.

Je salue l’équilibre et la bonne conduite des travaux que nous avons menés : nous les devons au président et à la rapporteure de la mission d’information, et je les en remercie vivement. Leur expertise de ces phénomènes, qu’ils connaissent dans leurs territoires respectifs, a été une importante plus-value.

Les auditions et les déplacements que nous avons effectués, notamment dans l’Aude, auront été déterminants pour notre approche. Ils auront été révélateurs de certains dysfonctionnements dont les élus sont encore victimes sur le terrain, mais aussi de phénomènes complexes dont nous avons encore du mal à évaluer les conséquences, notamment pour ce qui concerne la sécheresse.

Ne nous le cachons pas : la première des difficultés soulevées par nos élus est l’indemnisation. Parce qu’elle est trop opaque et prend aujourd’hui trop de temps, elle est devenue incompréhensible pour des communes souvent sous-dotées en ingénierie et en moyens financiers.

Pour prendre un exemple que je connais bien, mon département des Hautes-Pyrénées a été une nouvelle fois touché, en juin 2018, par une vague d’intempéries, occasionnant d’importantes crues et des dégâts matériels majeurs pour les collectivités locales. Pour faire face à ces dégâts, nombre d’élus ont demandé à bénéficier de la dotation de solidarité, mais, entre l’évaluation des dégâts, l’estimation du coût des travaux, la première décision sur les financements ou les arrêtés attributifs de subventions et le versement de cette dotation, il s’écoule généralement plus d’un an. Pour les collectivités les plus fragiles, ce délai est, hélas, beaucoup trop long et les travaux, eux, n’attendent pas. C’est à chaque catastrophe et dans toute la France que ce cercle vicieux se reproduit. Nous ne pouvons nous en satisfaire.

Je me félicite donc des cinquante-cinq recommandations que nous versons au débat, parmi lesquelles l’accélération du traitement des dossiers à l’échelon central, qui doit être une priorité.

Une meilleure appréhension des sinistres passera également par davantage de pédagogie, d’abord quand la demande de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle est acceptée et doit suivre son cours, mais plus encore lorsqu’elle est rejetée : il conviendrait alors d’expliquer le motif de la décision et prévoir une procédure d’appel, car ces refus, en plus d’engendrer des frustrations, privent les citoyens d’indemnisations différenciées.

Je disais à l’instant que les élus sont souvent considérés comme les premiers responsables ; à ce titre, ils doivent être mieux accompagnés.

La mise en place de cellules de soutien dans chaque département permettrait de développer une véritable solidarité entre élus, mais surtout de créer un vrai réseau d’experts de la gestion de la crise climatique. C’est selon moi un moyen pertinent de diffuser les bonnes pratiques.

Parmi les victimes collatérales de ces incidents figurent également bien souvent nos agriculteurs. Si le régime assurantiel classique et celui des calamités agricoles permettent généralement une couverture assez large des aléas, nous avons fait le choix de ne pas nous reposer sur ces acquis.

Les avancées passeront d’abord par un renforcement de la formation et de l’information des agriculteurs sur les risques climatiques et, surtout, sur le fonctionnement du régime d’assurance, mais aussi par la réduction des effets de seuil.

Il faut, à mon sens, faire évoluer notre paradigme en matière de prévention. Au-delà de la prévention, qui est le corollaire d’une politique d’atténuation des risques, il nous faut nous adapter.

S’adapter, c’est comprendre que le changement climatique affecte le niveau des eaux et perturbe les milieux aquatiques. C’est aussi savoir qu’il aura des conséquences pour notre agriculture, l’énergie ou encore le tourisme. Il faut donc inscrire l’action politique dans un temps long et dans des démarches transversales et globales. Par exemple, les programmes d’actions de prévention des inondations, les PAPI, sont d’excellents outils d’appréhension des phénomènes d’inondations. Mais, là encore, le poids des réglementations et le temps de préparation de ces outils jouent parfois en leur défaveur. Ayant piloté l’élaboration d’un PAPI à l’échelle de mon territoire, je puis témoigner qu’il aura fallu plus de deux ans pour le mettre en place et plus de quatre pour réaliser les travaux, le tout sans que nous soyons exonérés des contraintes de la loi sur l’eau. Autant dire que la mise en œuvre de ces outils s’apparente parfois à un parcours du combattant et est souvent rattrapée par les événements eux-mêmes.

Sur ces sujets, je vous invite à relire l’excellent rapport de mes collègues Jean-Yves Roux et Ronan Dantec sur l’adaptation de la France aux dérèglements climatiques d’ici à 2050. Il comporte de nombreuses préconisations également avancées par notre mission d’information, comme le développement d’une véritable culture du risque.

Premier outil de financement de la prévention, le fonds Barnier a vu sa vocation s’élargir avec le temps. Au départ conçu comme un outil de dédommagement permettant la réinstallation en dehors des zones sinistrées, il concourt aujourd’hui au financement des travaux de prévention des risques. La volonté de notre mission de faire de ce fonds le « bras armé d’une politique de prévention ambitieuse » n’aura de portée que si toutes les communes exposées s’inscrivent dans une logique d’élaboration des plans de prévention des risques naturels, car ce travail conditionne l’accès au fonds. Il faudra muscler celui-ci et le rendre plus efficient.

Nous avons tenté, la semaine dernière, de simplifier les conditions d’exercice des mandats locaux, au travers de l’examen du projet de loi relatif à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique : allons jusqu’au bout de la démarche en simplifiant également la procédure d’indemnisation des risques climatiques et en soutenant nos élus, qui sont souvent en première ligne.

En conclusion, les membres de mon groupe se réjouissent de ces nombreuses recommandations qui, je l’espère, seront prises en compte pour faire évoluer le régime d’indemnisation et de prévention des risques naturels. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et UC, ainsi que sur des travées des groupes Les Républicains et LaREM.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Buis.

M. Bernard Buis. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis pour débattre des conclusions du rapport intitulé Catastrophes climatiques. Mieux prévenir, mieux reconstruire, adopté à l’unanimité par les membres de la mission d’information sur la gestion des risques climatiques et l’évolution de nos régimes d’indemnisation, créée en janvier dernier.

Je tiens tout d’abord à remercier la rapporteure, Nicole Bonnefoy, pour la qualité de ses travaux, dont le seul objectif a été l’amélioration de la prévention des risques et de l’indemnisation des catastrophes climatiques pour les sinistrés.

Mes chers collègues, au mois de juillet dernier, lors de l’examen du projet de loi relatif à l’énergie et au climat, nous étions tous d’accord sur un point : l’urgence climatique n’est plus à démontrer.

En octobre 2018, le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat a publié un rapport qui alerte sur les conséquences du réchauffement : montée et acidification des océans, impact important sur la biodiversité et les écosystèmes, multiplication des épisodes extrêmes – tornades, pluies torrentielles… – ou des risques socio-économiques majeurs.

Au quotidien, pour nos concitoyens, ce sont des catastrophes ayant un impact direct sur leur vie, leur emploi, leurs ressources.

Au quotidien, pour nous parlementaires, ce sont de nombreuses sollicitations depuis des années, de la part de particuliers, d’entreprises ou d’exploitants agricoles qui nous alertent sur les difficultés qu’ils rencontrent en matière d’indemnisation des dommages résultant de catastrophes naturelles.

Plus les années passent, plus la multiplication des phénomènes climatiques extrêmes entraîne de lourdes conséquences. Je ne citerai que deux exemples, qui me semblent assez symptomatiques.

Le 5 février dernier, mon collègue Dominique Théophile, sénateur de la Guadeloupe, rendait au Premier ministre un rapport sur la prolifération des sargasses dans la Caraïbe. Nous le savons, cette prolifération est liée à l’élévation des températures, à l’augmentation des taux de gaz carbonique et aux conséquences des activités anthropiques. Les vagues successives de sargasses, de plus en plus massives depuis 2011, représentent un véritable désastre écologique, sanitaire et économique pour les pays de la Grande Caraïbe. Je salue, à ce titre, l’accompagnement de l’État, qui a créé en octobre 2018 un plan national d’intervention. Cet engagement a été renouvelé par le Premier ministre en Guadeloupe, il y a quelques jours, lors de la conférence internationale organisée par le Gouvernement français et le conseil régional de Guadeloupe sur le sujet. Il aura fallu néanmoins attendre plusieurs années pour que ce problème majeur pour la Guadeloupe soit pris en considération.

En juin dernier s’est abattue sur le nord de la Drôme, mon département, une tempête de grêle, de vent et de pluie d’une violence jamais connue jusqu’alors sur notre territoire. En l’espace de quelques minutes, un secteur allant du nord Drôme-Ardèche jusqu’à la Savoie, en passant par l’Isère, a été dévasté : vignes, abricotiers, noyers, serres, toitures, voitures, écoles, bâtiments publics, monuments historiques, rien n’a été épargné. Une personne a même perdu la vie en Haute-Savoie, et le bilan aurait pu être bien plus lourd.

Le Gouvernement avait alors répondu rapidement aux inquiétudes des agriculteurs : reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle pour une partie seulement des communes sinistrées, mise en œuvre du dispositif relatif aux calamités agricoles, exonération ou allégement de certaines charges à la suite des pertes d’exploitation, indemnisation du chômage des personnels agricoles. On note, malheureusement, que les procédures et méandres administratifs retardent souvent l’accompagnement et l’indemnisation et mettent en grande difficulté un secteur agricole déjà peu épargné.

De ces épisodes tragiques résulte un objectif, partagé avec les auteurs de ce rapport : agriculteurs, particuliers, entrepreneurs et maires doivent être accompagnés dans leurs démarches. Le constat et la photographie des dégâts occasionnés ne sont déjà pas chose aisée dans un temps d’urgence et de grande difficulté pour les sinistrés. Je tiens, à cet égard, à remercier de nouveau la rapporteure d’avoir mis en exergue, dans son rapport, la détresse et la souffrance des habitants confrontés à ces catastrophes.

Comme c’est souvent le cas pour ces sujets, l’actualité nous rattrape. Au-delà de l’empathie, de tels phénomènes méritent des réponses rapides, mais aussi simples, pour ne pas ajouter des lourdeurs administratives aux difficultés causées par l’épisode climatique.

Nous avons collectivement l’obligation de rendre nos régimes d’indemnisation justes, transparents, efficaces, de donner à nos élus locaux et aux particuliers les moyens de réduire leur vulnérabilité et de mieux protéger les agriculteurs contre les aléas climatiques.

M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard.

M. Guillaume Gontard. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens d’abord à saluer le travail de la mission d’information, et en particulier celui de Michel Vaspart et de Nicole Bonnefoy, qui n’ont pas ménagé leurs efforts, durant des mois, et ont accordé une large place aux propositions des autres membres de cette mission, dans un esprit constructif.

Le dérèglement climatique compte parmi les plus grands défis que l’humanité a eu et aura à affronter, et il mérite à ce titre que nous mobilisions nos forces vives pour tenter d’en limiter les effets et nous préparer à ses conséquences. Au travers de l’élaboration du récent rapport d’information sur l’adaptation de la France aux changements climatiques, le Sénat a rempli de nouveau pleinement son rôle de chambre haute, capable de s’extraire des urgences du temps présent pour anticiper les bouleversements auxquels nos sociétés devront faire face à l’avenir.

L’excellent rapport de la mission d’information s’inscrit dans cette démarche et apporte des solutions pour réformer notre système assurantiel, mis à mal par la multiplication des aléas climatiques, dont chacun constate la recrudescence et la violence accrue. On a désormais du mal à compter les maisons fissurées par le retrait-gonflement des argiles lié à la sécheresse, les villages dévastés par les inondations et les coulées de boue ou les exploitations agricoles ravagées par les orages violents. Les exemples se multiplient à un rythme qui devient difficilement soutenable pour la pérennité du régime d’indemnisation actuel, dont l’intervention à temps est pourtant indispensable si l’on veut éviter que nos concitoyens perdent les fruits d’une vie de travail. La multiplication des risques ne manquera pas de poser, à terme, la question du financement du régime d’indemnisation des catastrophes naturelles et des calamités agricoles, que le rapport commence à évoquer.

Ce rapport comporte plusieurs propositions pour développer le fonds Barnier, que le Gouvernement serait avisé de reprendre à son compte plutôt que de siphonner les ressources de ce fonds, projet de loi de finances après projet de loi de finances…

Le rapport préconise également de renforcer le régime d’indemnisation des calamités agricoles en améliorant les garanties pour les agriculteurs et en abaissant les seuils de déclenchement de l’indemnisation. Madame la ministre, nous vous interpellons sur l’indispensable proposition n° 25 du rapport : ouvrir l’indemnisation dès que l’un des deux critères, perte de rendement ou perte de produit brut, est rempli.

Aujourd’hui, la totalité des productions, et non pas uniquement celles affectées par la catastrophe naturelle, étant intégrées dans le calcul, certaines exploitations se voient exclues du bénéfice du régime alors qu’elles ont subi une perte de rendement très importante pour certaines cultures seulement. Il en résulte un paradoxe : ce sont les exploitations présentant une meilleure résilience face aux aléas tant climatiques que de marché, à savoir celles de polyculture, qui sont les plus pénalisées par le système. C’est aberrant ! Il faut absolument que le Gouvernement agisse pour corriger cela.

J’évoquerai également le risque de sécheresse, qui s’amplifie, et la gestion de la ressource en eau, sujet qui ne fera que gagner en importance et en gravité dans les années à venir. Épisode de sécheresse après épisode de sécheresse, on constate, à l’écoute des propos du ministre de l’agriculture, que le Gouvernement n’a aucune réponse réfléchie et pérenne à apporter à cette problématique, que ce soit sur le court terme ou sur le moyen terme. Il faut engager une vaste réflexion sur la gestion de la ressource en eau, mais aussi accompagner et soutenir des pratiques moins gourmandes en eau et plus respectueuses de la biodiversité.

Je voudrais aussi aller un peu plus loin que les préconisations du rapport en évoquant le risque de la grêle, aujourd’hui uniquement couvert par le régime assurantiel privé au travers de la garantie multirisque tempête, grêle, neige, ou TGN, et par des contrats « grêle » spécifiques pour les agriculteurs.

Le risque de grêle devient de plus en plus important, avec des orages redoublant d’intensité et dont les ravages vont même jusqu’à la perte de vies humaines, comme au mois de juin 2019 en Isère. La multiplication de ces orages de grêle entraîne un renchérissement du coût des assurances privées, jusqu’à des montants devenant prohibitifs pour certains de nos concitoyens, en particulier les agriculteurs, le plus exposés à ce risque, qui ne sont que 60 % à être en mesure de s’assurer. À titre d’exemple, pour un petit arboriculteur, le coût de l’assurance contre la grêle peut représenter jusqu’à la moitié de son bénéfice annuel…

Aussi nous faut-il réfléchir à la possibilité d’intégrer le risque grêle aux régimes « CatNat » et « calamités agricoles » quand les orages dépassent un certain seuil, comme c’est le cas pour le risque tempête, assuré par le privé mais dont l’indemnisation relève du régime « catastrophes naturelles » quand les épisodes venteux dépassent 145 kilomètres à l’heure. Pour mesurer ces seuils, des classements existent, comme le « grêlimètre » proposé par l’Association nationale d’étude et de lutte contre les fléaux atmosphériques, l’Anelfa. En tout état de cause, il conviendrait que Météo-France mette en œuvre un classement similaire, dont les usages seraient multiples.

Inscrire la grêle parmi les catastrophes naturelles et, surtout, parmi les calamités agricoles, nous paraît indispensable. Si le système assurantiel privé n’est pas en mesure de faire face, il faut lui donner la possibilité de s’adosser à la puissance publique. Il nous paraît légitime de faire jouer la solidarité nationale pour protéger davantage nos agriculteurs des aléas climatiques, notamment de la grêle.

Je conclurai mon propos en insistant sur la nécessité de prévenir les risques plutôt que de les subir. Le Gouvernement est trop souvent animé avant tout par la volonté de simplifier, ce qui aboutit à détruire des normes. Cette politique est dangereuse et nous expose à une multiplication d’incidents ou d’accidents, qu’ils aient une cause humaine ou naturelle. Ubu n’a jamais gouverné la France : aucune de nos normes, notamment en matière d’urbanisme, n’a été édictée pour compliquer inutilement la vie de nos concitoyens et de nos entreprises. Ces normes visent à prévenir les risques naturels, les aléas climatiques, les erreurs humaines.

Madame la ministre, le Sénat vous fournit un rapport clé en main. Il doit permettre au Gouvernement de s’attaquer aux urgences du présent et de prévenir l’avenir. Je vous invite vivement à vous en saisir. (Applaudissements au banc des commissions. – M. Jean-Michel Houllegatte applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Alain Fouché.

M. Alain Fouché. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dans le contexte actuel de remise en cause des critères de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle par les citoyens et les élus, il devenait urgent de dresser un état des lieux et de faire des propositions en vue de renforcer l’efficacité et l’acceptabilité des décisions étatiques.

Je me félicite que le Sénat soit force de proposition sur ce sujet, et je tiens à remercier la mission d’information, son président et notre collègue Nicole Bonnefoy pour le travail fourni, éclairant comme à l’habitude et d’une actualité sans pareille.

La problématique n’est pas récente, mais la prise de conscience des politiques et des citoyens l’est, à l’image de celle de notre jeunesse.

Les catastrophes climatiques se multiplient et s’intensifient dans nos territoires. Les températures moyennes ont fortement augmenté depuis trente ans. Les gouvernements prévoient leur augmentation de 1 degré d’ici à 2050. En réalité, elle sera plutôt 2 degrés à l’horizon 2030, ce qui est catastrophique pour la planète !

Les vagues de chaleur sont plus fréquentes, plus fortes qu’autrefois. Le régime des précipitations évolue, avec des effets sur les cultures et des phénomènes d’inondation. Les glaciers fondent, la neige est moins abondante. Voilà deux ou trois ans, avec quelques membres de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, j’ai eu l’occasion de constater de visu la situation dans l’océan Arctique. Ce qui se passe est très grave et la responsabilité en incombe avant tout aux humains.

La question du changement climatique doit être prise en compte dans l’action publique au sens large. Les catastrophes climatiques se faisant plus nombreuses et plus dévastatrices, il semble que notre seul mot d’ordre doive être l’adaptation.

La prévention, qui est mise en avant de manière très pertinente dans le rapport, devra passer par le développement et l’aménagement durables de nos territoires. Cela se fera aussi de manière différenciée. En effet, les zones rurales comme les zones urbaines devront apprendre à lutter contre différents phénomènes.

Il faut également renforcer l’information des élus locaux, des professionnels, mais aussi de chaque citoyen en matière de prévention et d’indemnisation.

Les questions du financement et de la rapidité d’action sont également de premier plan.

Nous soutenons les observations faites sur la nécessité d’adapter notre système d’indemnisation. L’efficacité et la transparence doivent être de mise. Il en est de même pour l’accompagnement des populations, des assurés et des élus locaux.

Nous préconisons également une meilleure protection du secteur agricole, cœur et base de l’alimentation française et européenne. À cet égard, un partage de bonnes pratiques entre territoires français et européens, ainsi qu’une solidarité accrue, sont nécessaires.

Il faut tenir compte de la fréquence et de la violence nouvelles des catastrophes climatiques. Nous n’en sommes qu’au début !

Les mécanismes existants, tels que le fonds Barnier ou le régime « CatNat », doivent être réformés et adaptés aux réalités actuelles. Il y va de notre futur.

Dans mon département de la Vienne, en 2017, près de la moitié des communes ont été déclarées en état de catastrophe naturelle en raison de la sécheresse. Plus de 3 600 dossiers de demande d’indemnisation ont été déposés. L’année 2019, comme partout, s’annonce malheureusement pire.

Grâce au travail du Gouvernement, les critères de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle ont bien été révisés pour 2018.

Les citoyens souhaitent qu’il soit tenu compte de l’importance des dégâts qu’ils constatent tous les jours. Il faut encore y travailler et faire preuve de pédagogie.

Nous partageons les conclusions du rapport quant à la nécessité, d’une part, de proposer un système d’indemnisation plus efficace – des efforts ont été faits à cet égard –, juste et transparent, et, d’autre part, de développer une véritable culture du risque.

Encore une fois, madame la ministre, ces difficultés ne sont pas récentes, et la tâche est difficile. Nous connaissons votre détermination et nous vous faisons confiance. (Applaudissements au banc des commissions. – M. Yves Bouloux applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Évelyne Perrot. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Yves Bouloux applaudit également.)

Mme Évelyne Perrot. Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, aléas climatiques, inondations, coulées de boue, inondations dues aux remontées des nappes phréatiques, mouvements de terrain, vents cycloniques, affaissements de terrain dus à des cavités souterraines, mouvements de terrain liés à la sécheresse et à la réhydratation des sols : voilà toutes les catastrophes naturelles que le village dont j’ai été maire durant vingt-cinq ans a connues ou pourrait connaître.

Territoire parmi tant d’autres, notre pays souffre plus que certains de ce changement climatique. Cette année, la canicule a été encore plus forte que l’an dernier. L’agriculture est un livre ouvert dont la lecture est simple : les prairies sont desséchées, les récoltes, pour certaines cultures, sont catastrophiques. Et je ne parle pas de nos forêts, grandes oubliées de l’État !

L’impact du changement climatique sur le nombre et l’intensité des catastrophes naturelles est perceptible et ne peut que s’aggraver. D’ici à 2050, le coût des sinistres liés aux catastrophes naturelles devrait augmenter de 50 %.

Nous devons accompagner les élus locaux, qui se sentent démunis face à des phénomènes nouveaux, en particulier les maires confrontés aux catastrophes naturelles. Une cellule de crise doit être mise en place aussitôt, pour que l’élu puisse obtenir dans l’heure des informations et des orientations à suivre.

Chaque mairie devrait réaliser une étude des sols déterminant la qualité des parcelles, afin d’éviter les constructions en zone à risques et de simplifier ainsi la politique de prévention et d’aménagement durable des territoires. Éduquons la population à une culture du risque. Il convient de changer d’approche, comme le souligne notre rapporteure, et passer du « lutter contre » au « vivre avec ».

Certains drames auraient pu être évités si nous avions pris en considération le comportement sensé et le savoir de nos ancêtres. La modernité, l’évolution du matériel agricole nous ont permis de travailler autrement. Mais comment prendre en compte la réalité du terrain ? Nous savons qu’une sécheresse suivie de fortes pluies entraîne des coulées de boue ou un savonnage des parcelles.

Sensibilisons la population aux risques, en instaurant des programmes différents d’actions de prévention. Le rapport préconise la création d’une journée nationale de la prévention et de la gestion des catastrophes naturelles, avec un temps réservé dans les établissements scolaires. Toutes les communes devraient avoir un plan communal de sauvegarde ; elles pourront ainsi envisager un maillage de leur territoire, élus et habitants bénévoles diffusant les consignes données par le maire.

Le rapport sur les risques climatiques a mis au jour les grandes difficultés de l’après-crise et préconise la mise en place d’un système d’indemnisation plus efficace. Une réforme est indispensable pour moderniser le régime « CatNat » dans la perspective du changement climatique.

J’ai pu constater, dans mon département, la survenue de mini-cyclones, avec des vents de plus de 150 kilomètres à l’heure touchant deux ou trois villages à quelques kilomètres du capteur de vitesse qui, lui, enregistrait des vents dits « normaux ». Pourtant, ce phénomène, à impact court et intense, est de plus en plus fréquent.

Une clause d’appel, en cas de non-reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle, devrait être mise en place.

Enfin, le rapport préconise d’accroître le soutien financier apporté par le fonds Barnier aux particuliers réalisant des travaux et de créer un volet spécifique à la sécheresse.

Ce rapport est donc un outil indispensable, à faire diffuser par les ministères, car le changement climatique nous lie tous, comme un alignement de dominos. Agissons, faisons de ce rapport un document d’urgence climatique afin que notre pays puisse prendre des décisions rapides, en cas de cataclysme, et ainsi venir en aide à sa population.

Je remercie Mme la rapporteure de son excellent travail, que je soutiens pleinement. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Gisèle Jourda et M. Yves Bouloux applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Yves Bouloux.

M. Yves Bouloux. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dans la continuité des débats qui se sont tenus au Sénat ces dernières semaines sur le projet de loi relatif à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique, il me paraît pertinent d’aborder le sujet crucial des risques naturels et climatiques en évoquant un volet central du rapport de la mission d’information : l’aménagement du territoire et l’accompagnement des élus locaux.

Peu importent les raisons, les moyens, les positions des gouvernements successifs, l’action publique s’inscrit dans un nouveau contexte, caractérisé par la multiplication et l’intensification des événements climatiques extrêmes : précipitations, risques accrus d’inondations, de vagues de chaleur, de sécheresse, de submersions marines ou d’érosion côtière… Ce contexte nous impose d’établir un nouveau paradigme pour l’action publique.

Lorsque l’on parle de l’impact du dérèglement climatique et des politiques de prévention et d’indemnisation des catastrophes naturelles, on parle nécessairement de nos territoires dans toute leur diversité. Il n’est, à ce titre, pas étonnant qu’une telle réflexion soit menée au Sénat.

Nous ne sommes pas égaux face aux aléas. La diversité des territoires se traduit par des inégalités, à la fois quant à l’impact du dérèglement climatique sur chaque commune, chaque département, chaque région, et quant aux moyens et au niveau de préparation de chaque territoire pour réagir face à une catastrophe naturelle.

Dans mon département, la Vienne, toutes les communes n’ont pas été touchées par une catastrophe naturelle, heureusement. Parmi celles qui l’ont été, toutes n’ont pas été affectées de la même façon. Je vais faire un peu de surenchère, cher collègue de la Vienne Alain Fouché : sur les 266 communes que compte le département, 144 ont fait l’objet, en 2018, d’un arrêté portant reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle au titre de la sécheresse ou des inondations et coulées de boue, ce qui peut paraître très important.

Devant ces menaces désormais banales, et néanmoins potentiellement graves, les élus locaux, et avant tout les maires, toujours en première ligne, doivent être soutenus et bénéficier des moyens nécessaires pour anticiper.

Dans le projet de loi relatif à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique, j’ai relevé une seule occurrence de l’expression « catastrophes naturelles », à l’article 18. Cet article prévoit d’ouvrir au département, par dérogation, la possibilité d’accorder des aides aux entreprises dont l’activité est significativement affectée en raison des dommages subis par son outil de production dans le cadre d’une catastrophe naturelle.

Si cette nouvelle compétence offerte aux départements pourrait être utile, nous avons fait le constat, dans notre rapport, que les risques climatiques ont été insuffisamment pris en compte dans les politiques d’aménagement du territoire. C’est la traduction du fait que l’État n’a pas su engager les moyens nécessaires, pour nos élus et nos concitoyens, afin d’agir en prévention et de réagir dans ces circonstances. En particulier, le plafonnement du Fonds de prévention des risques naturels majeurs pose un véritable problème.

Quels engagements le Gouvernement peut-il prendre en vue d’adopter les mesures nécessaires pour faire face à cette réalité ? Quels nouveaux moyens juridiques, techniques et financiers en faveur de nos élus et de nos territoires peut-il mobiliser ?

Dans le rapport, nous soulevons notamment la nécessité de revoir les normes de construction, de développer un aménagement prospectif tenant compte du changement climatique et du problème des sols argileux et de renforcer l’appui apporté aux élus locaux par les services préfectoraux.

Je souhaiterais insister sur trois axes d’action concrets, d’importance majeure.

Que prévoit le Gouvernement pour systématiser l’assistance et le conseil, par les services préfectoraux, aux maires de communes sinistrées ?

Que compte faire le Gouvernement pour mener à son terme la politique d’élaboration des plans de prévention des risques naturels, les PPRN, dans les territoires ? Envisage-t-il d’engager, comme nous le recommandons, une phase de révision des PPRN pour prendre en compte les retours d’expérience et véritablement instaurer ce qu’il est convenu d’appeler une « culture du risque » ?

Enfin, le Gouvernement compte-t-il lancer une campagne de sensibilisation et d’assistance par les préfectures à destination des maires concernés par l’obligation de se doter d’un plan communal de sauvegarde ?

Je vous remercie par avance de vos réponses, madame la ministre. Je remercie également le président et la rapporteure de la mission d’information pour le remarquable travail réalisé. (M. Alain Fouché applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Claude Bérit-Débat. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)

M. Claude Bérit-Débat. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, vous le savez, le changement climatique accroît la fréquence des catastrophes naturelles pénalisant notre agriculture. C’est pourquoi, devant la gravité de la situation, je souhaite consacrer la majeure partie de mon intervention à cette thématique.

Nous sommes nombreux, dans cet hémicycle, à avoir constaté les effets du réchauffement climatique sur nos territoires : sécheresse, intempéries, incendies… L’urgence de la situation n’est plus à démontrer.

Madame la ministre, un constat s’impose : nos politiques publiques ne sont plus adaptées à la gravité de la situation. Il est temps d’assurer une meilleure indemnisation des risques climatiques en agriculture, en mobilisant tous les outils à notre disposition.

Le groupe socialiste avait, dès 2015, pris ce problème à bras-le-corps, au travers d’une proposition de loi qui appréhendait la gestion des risques dans leur globalité. Nous proposions notamment de mettre en place un fonds de stabilisation des revenus agricoles et de mettre en œuvre des expérimentations visant à concevoir et à évaluer des mécanismes de gestion des risques économiques agricoles et de stabilisation des revenus.

L’excellent rapport produit par notre collègue Nicole Bonnefoy va dans ce sens et établit des propositions pertinentes pour permettre un meilleur accompagnement de nos agriculteurs face aux nouveaux risques auxquels ils sont confrontés.

Ainsi, je suis favorable au déplafonnement de la contribution additionnelle au Fonds national de gestion des risques en agriculture, le FNGRA, et à l’interdiction de tout prélèvement sur son fonds de roulement au profit du budget de l’État. Il est alimenté par les agriculteurs via la contribution additionnelle aux primes d’assurance : cet argent doit donc leur revenir !

Ce prélèvement est incompréhensible et injuste, car le fonds ne dispose pas, par ailleurs, des moyens nécessaires pour faire face à la survenance de crises d’ampleur malheureusement de plus en plus fréquentes. Le FNGRA se trouve ainsi totalement dépendant des soutiens ponctuels de l’État, alors même que 80 % de ses dépenses concernent l’indemnisation des calamités agricoles.

Il est également primordial de soutenir davantage les agriculteurs pour la souscription d’une couverture assurantielle par des aides financières accrues. En effet, en 2017, seulement 29,4 % de la superficie agricole hors prairies étaient couverts. Ce taux est insuffisant ! Je suis favorable à l’augmentation de 65 % à 70 % du taux de subvention publique à la prime d’assurance du contrat socle, comme l’autorise le règlement dit « Omnibus ».

Mes chers collègues, protéger notre agriculture face aux risques climatiques passe aussi par la révision des seuils de déclenchement du régime « CatNat » d’indemnisation des catastrophes naturelles. Les taux en vigueur sont trop élevés pour des exploitations agricoles dont la plupart sont déjà en grande difficulté financière. Il apparaît nécessaire d’abaisser le seuil de déclenchement à 20 % de perte de rendement, contre 30 % aujourd’hui, d’autant que cela est permis par le règlement Omnibus de 2017.

Madame la ministre, nous savons que le ministre de l’agriculture a lancé, le 31 juillet dernier, une consultation des organisations agricoles, des banques et des assurances sur « les voies d’amélioration ou de refondation des outils de gestion des risques en agriculture ». Elle a pris fin le 16 septembre et, hormis certaines indiscrétions de la presse spécialisée, nous ne savons pas dans quelle voie concrète pense s’engager le Gouvernement. Pouvez-vous nous en dire davantage ?

Je conclurai en évoquant les conséquences des épisodes de sécheresse qui touchent de plus en plus souvent nos territoires. Comme l’indique le rapport, il est urgent d’agir ! Le phénomène de retrait-gonflement des argiles concerne plus de 60 % des sols métropolitains, et mon département, la Dordogne, n’est pas épargné. Nous devons donc adapter le système d’indemnisation des dégâts liés à ces épisodes. En effet, les dommages, comme les fissures sur les habitations, apparaissent souvent a posteriori et représentent des dépenses très importantes pour nombre de ménages. Il faut mettre en place, comme le préconise le rapport, une clause d’appel, réaliser des études des sols de type G5 ou encore harmoniser les pratiques et référentiels en vigueur pour les experts des compagnies d’assurances et des assurés.

Madame la ministre, mes chers collègues, il est temps de prendre des mesures à la hauteur de l’urgence à laquelle nous sommes confrontés, comme le préconise le rapport de Michel Vaspart et de Nicole Bonnefoy. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et UC. – MM. Yves Bouloux et Bernard Buis applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Nadia Sollogoub. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Yves Bouloux applaudit également.)

Mme Nadia Sollogoub. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je commencerai par vous faire part des propos que souhaitait tenir M. Alain Cazabonne, qui devait intervenir ce soir mais a été empêché.

En tant que Girondin, il se sent particulièrement concerné par le sujet de ce rapport, et souhaitait évoquer le recul du trait de côte, notamment sur la façade atlantique, et l’immeuble du Signal, à Soulac-sur-Mer, devenu le symbole national de ce phénomène, la répétition des averses de grêle détruisant les vignobles, les violentes tempêtes dévastant la haute forêt landaise et la fragilisation du bassin d’Arcachon.

En tant que membre de la mission d’information, il tient à souligner que les cinquante-cinq propositions formulées par le groupe de travail illustrent bien la complexité des sujets et que certaines mesures pourraient trouver une traduction législative, que la mission d’information propose d’explorer d’autres pistes, qu’il faut accompagner les communes en simplifiant les procédures, aujourd’hui tellement complexes que certains se découragent, qu’il est nécessaire d’associer la population en amont, parce que les collectivités ne peuvent pas faire front seules en cas de crise grave, enfin qu’il faut bien sûr prévoir des financements.

Parlant maintenant pour mon propre compte et reprenant ma casquette d’élue de la Nièvre, non membre de la mission d’information, je tiens à insister sur le fait que les procédures sont imparfaites et que, outre leur lourdeur, il y a des « trous dans la raquette ».

J’en citerai quelques-unes, madame la ministre, en espérant que le rapport et ce débat permettront d’engager une démarche vertueuse et la recherche commune de solutions.

Ma commune a été lourdement inondée en 2016. Une route, emportée par les flots, s’est effondrée dans la rivière. Pour la réparation d’un talus et d’une route, on applique un coefficient de vétusté ! Si je comprends que, dans le cas d’un sinistre classique, on ne remplace pas un véhicule d’occasion par une voiture neuve, je voudrais que l’on m’explique comment j’aurais pu construire une vieille route ! En toute logique, sauf à aller chercher des cailloux dans la rivière jusqu’à Nantes, j’étais contrainte de refaire la route à neuf… Une telle aberration me reste quelque peu en travers de la gorge !

J’ai rencontré récemment le maire d’une commune nivernaise qui a subi une tornade ayant endommagé son cimetière. Le cimetière n’est pas un bien assurable par les communes : dès lors, que faire ? Que faire pour les biens non assurables et dégradés du fait de facteurs tels que la grêle, la foudre, le poids de la neige ou le vent, les dommages n’étant alors pas pris en charge au titre du régime « CatNat » ? Est-il prévu d’inscrire au nombre des catastrophes naturelles les tornades, qui n’y figurent pas aujourd’hui ? Les communes doivent-elles s’équiper d’anémomètres qui feront foi en cas d’événement catastrophique ? Sinon, sur quel fondement la preuve sera-t-elle établie ?

Voilà, madame la ministre, quelques questions que je souhaitais poser, sur la base de mon expérience personnelle.

Je tiens à saluer le rôle capital des associations, qui sont pour nous des « courroies de transmission » de premier ordre. Elles permettent de recenser et de centraliser les dossiers, d’éviter les oublis, de faire remonter les informations et, dans l’autre sens, de conseiller utilement les victimes de catastrophes naturelles. Il me semble même qu’elles permettent tout simplement de « tenir », lorsque les délais d’instruction deviennent absolument insupportables et que le désespoir s’installe.

Avec ma collègue Sylvie Vermeillet, nous saluons très chaleureusement Gérald Grosfilley, président de l’association Les oubliés de la canicule, présent ce soir dans nos tribunes avec une forte délégation issue de la France entière. Tous ont accompli un travail formidable et sont d’un courage exemplaire. Ils ont utilement contribué aux travaux de la mission d’information ; nous tenions à le souligner et à les remercier de leur présence.

Madame la ministre, vous aurez compris combien le dossier est sensible. Les faiblesses des dispositifs doivent être corrigées de façon tout à fait prioritaire. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe SOCR. – Mme Maryse Carrère et M. Yves Bouloux applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-François Husson.

M. Jean-François Husson. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, une nouvelle fois nous sommes réunis pour aborder des questions relatives à l’environnement, et une nouvelle fois l’actualité nous rappelle l’impérieux devoir d’agir qui est le nôtre.

L’été dernier, en plein épisode caniculaire, nous votions la loi relative à l’énergie et au climat. Ce soir, nous débattons de la prise en charge des risques climatiques, au moment où certains de nos concitoyens, dans le sud de la France, sont touchés par des inondations de grande ampleur.

Le rapport de notre collègue Nicole Bonnefoy, issu des travaux de la mission d’information présidée par Michel Vaspart, fera date. Je vous le dis, de nombreux acteurs de terrain m’ont témoigné leur grande satisfaction de voir enfin prises en compte et bien identifiées les trop nombreuses difficultés liées au fonctionnement du régime de reconnaissance et d’indemnisation des catastrophes naturelles.

Je note que ce rapport a été adopté à l’unanimité, signe d’une mobilisation, sur toutes les travées de notre assemblée, autour des enjeux et des préoccupations environnementaux. Comme l’a rappelé le président Vaspart, il doit être non pas un « rapport de plus », mais un rapport pour faire mieux. Madame la ministre, l’immobilisme et l’inaction seraient coupables, pour aujourd’hui comme pour demain.

J’évoquerai trois points qui me paraissent essentiels au regard de l’avenir d’un dispositif qui, d’un avis partagé, est un bon dispositif, mais doit être adapté pour le rester.

Premièrement, il est nécessaire d’adapter les procédures d’indemnisation des catastrophes naturelles aux nouvelles données environnementales. Cela a été rappelé, le dispositif a peu évolué depuis sa création en 1982. Il indemnise « l’intensité anormale d’un phénomène climatique ». Le critère d’anormalité semble aujourd’hui dépassé, compte tenu de phénomènes climatiques récurrents et de forte intensité, et doit donc être revu. Les phénomènes provoqués par le dérèglement climatique – inondations, sécheresse, vagues de chaleur ou de froid, érosion des traits de côte – sont répétitifs et bien souvent causes de dommages d’une grande ampleur.

Or le régime des catastrophes naturelles ne tient compte ni de l’ampleur des dommages ni de leur caractère récurrent. C’est pourquoi il me paraît nécessaire de repenser le dispositif, soit en l’élargissant, soit en créant une nouvelle catégorie de sinistres ouvrant droit à indemnisation, directement liés à l’impact du changement climatique.

Cette meilleure prise en compte des dommages imputables au changement climatique doit conduire à repenser l’ensemble de la philosophie du régime « CatNat », en musclant le dispositif préventif, en simplifiant les procédures d’indemnisation et en prévoyant un meilleur accompagnement après le sinistre.

Deuxièmement, je crois nécessaire de souligner l’importance de retravailler la question du régime d’indemnisation. Une très grande place est laissée au pouvoir réglementaire, qui définit les critères pris en compte pour évaluer l’intensité d’un événement naturel et le seuil au-delà duquel il peut être considéré comme anormal. Les victimes de dommages climatiques sont donc soumises à la variabilité des positions de ce pouvoir réglementaire, qui emporte des conséquences majeures en termes d’ouverture du droit à indemnisation et d’accès à celui-ci.

Il serait par ailleurs pertinent, compte tenu des bouleversements que provoquent les sinistres liés au réchauffement climatique, de repenser l’articulation des régimes indemnitaires entre ce qui doit relever de la solidarité nationale et ce qui doit continuer d’être pris en charge par le régime assurantiel.

Enfin, il faut, comme le rapport y invite, renforcer la prise en compte de la « culture du risque » au sein de nos politiques publiques. À titre d’exemple, le directeur de l’Office métropolitain de l’habitat du Grand Nancy m’a confié que, à la suite des études faites sur le terrain en vue de son audition par notre mission d’information en juin dernier, le Bureau de recherches géologiques et minières, le BRGM, avait produit une nouvelle cartographie des risques de mouvements de terrain. Une telle révision n’avait pas été réalisée depuis 1970, alors qu’elle a conduit immédiatement l’État à rehausser d’un niveau l’ensemble de la cartographie des risques pour le territoire de la métropole du Grand Nancy. Cela nous laisse pantois !

Pourquoi avoir tant tardé à procéder à cette révision ? Parce que, dans le cas d’espèce, les moyens sont trop faibles, les ingénieurs manquent, les budgets sont insuffisants. Développer la culture du risque, ce n’est pas jeter la pierre à la politique urbaine de telle ou telle collectivité ; c’est donner les moyens aux collectivités d’accéder à une information fiable et régulièrement actualisée, qui permette de prendre les meilleures décisions pour la protection des populations. Mais, pour cela, il faut que l’État mobilise les moyens nécessaires.

Madame la ministre, mes chers collègues, vous m’avez souvent entendu plaider à cette tribune pour davantage de transversalité dans nos politiques publiques et pour l’avènement d’une vision « grand angle » de l’écologie. Redéfinir le régime d’indemnisation des catastrophes naturelles, c’est prendre en considération le paramètre écologique dans nos politiques d’aménagement du territoire, dans nos règles d’urbanisme, dans nos régimes d’indemnisation des risques, c’est aussi favoriser l’évolution des esprits pour sortir de la politique de l’autruche.

Madame la ministre, ce rapport est un énième signe extrêmement positif de la mobilisation unanime du Sénat sur un sujet critique. Je souhaite que le Gouvernement en prenne toute la mesure et nous annonce, le plus tôt possible, qu’il est prêt à engager les évolutions préconisées au travers d’une réforme attendue par tous. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains, ainsi quau banc des commissions. – M. Alain Fouché applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Gisèle Jourda.

Mme Gisèle Jourda. Monsieur le président, madame la ministre, mes très chers collègues, je remercie le président et les membres de la mission d’information pour le sérieux et l’excellent état d’esprit qui ont régné pendant nos travaux. Je salue particulièrement la dynamique et l’efficacité insufflées par notre rapporteure, Nicole Bonnefoy.

Un an après les inondations meurtrières qui ont frappé mon département de l’Aude – quinze morts, 250 communes touchées sur 348, des millions d’euros de dégâts et, en surprime, pour les villages de la vallée de l’Orbiel, une pollution à l’arsenic provenant de l’ancien site minier de Salsigne –, le temps est aujourd’hui à la reconstruction, tant pour les communes et les collectivités que pour les particuliers. Bon nombre de dossiers d’indemnisation au titre des assurances ou du fonds Barnier ne sont pas encore réglés.

En ce mois anniversaire, j’évoquerai la sortie toute récente d’un rapport sur la gestion de la crise du 15 octobre 2018, rédigé par le Conseil général de l’environnement et du développement durable et par l’Inspection générale de l’administration. S’il ne constate pas de faillite générale, il met en évidence de multiples lacunes, évoquant « une gestion de crise globalement satisfaisante mais qui masque des faiblesses de préparation et d’organisation ».

J’aborderai trois points soulevés par ce rapport qui illustrent parfaitement la pertinence de certaines des recommandations faites par notre mission : la nécessaire actualisation des plans Orsec et des plans communaux de sauvegarde ; l’information des élus ; l’alerte.

Premièrement, les outils majeurs que sont le plan Orsec départemental consacré à l’organisation de la réponse de la sécurité civile et les plans communaux de sauvegarde ont, dans l’Aude, montré de nombreuses failles, selon le rapport du Conseil général de l’environnement et du développement durable : non-actualisation du plan Orsec départemental depuis 2011 et, s’agissant des dispositions spécifiques du plan Orsec relatives au risque inondation, absence de validation, au 16 octobre 2018, du projet datant de 2016.

Par ailleurs, 133 plans communaux de sauvegarde audois n’avaient pas fait l’objet d’une révision depuis 2013, alors que celle-ci est obligatoire dans un délai de cinq ans. Une de nos propositions appelle précisément au lancement d’une campagne de sensibilisation par les préfectures auprès des maires, qui auraient un délai de deux ans pour se conformer à cette obligation.

Deuxièmement, l’information des élus doit être professionnalisée. Le centre opérationnel départemental a fonctionné, mais il a été activé trop tardivement. Cela aurait eu pour effet de retarder la délivrance d’une information complète aux maires, sachant que même les chefs de service importants n’auraient pas été alertés. C’est là que nos mesures d’accompagnement des élus locaux prennent tout leur sens : systématiser l’assistance et le conseil aux maires des communes sinistrées par la mise en place d’une cellule de soutien est indispensable.

Troisièmement, concernant l’alerte, le dispositif d’avertissement est trop complexe et peu compréhensible par les élus et a fortiori par la population, qui peinent à distinguer les concepts de vigilance et d’alerte. J’en suis peinée, mais le rapport est accablant sur ce point. Il révèle une mauvaise interprétation par Météo-France du phénomène en cours, un déficit de contact avec la préfecture et surtout l’absence d’anticipation du passage de vigilance orange à vigilance rouge. Cela a entraîné des conséquences dramatiques, madame la ministre. Dans de tels cas, l’information doit circuler, comme nous le préconisons dans notre rapport, qui vise à faire émerger une véritable culture du risque chez nos concitoyens.

J’achèverai mon propos en soulignant que la multiplication des aléas climatiques nous fait obligation d’être vigilants sur le suivi de tous les dispositifs. Eu égard à la réactivation de la pollution de la vallée de l’Orbiel par les inondations du 15 octobre 2018, un suivi de la dépollution des sites industriels ou miniers s’impose, en matière de santé tant publique qu’environnementale. J’appelle à la création d’une commission d’enquête sur ce sujet. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR, LaREM et UC. – M. Alain Fouché applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Didier Mandelli. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Didier Mandelli. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la semaine dernière, le sud de la France connaissait une fois de plus des inondations désastreuses et meurtrières.

Qu’elles aient lieu sur le territoire métropolitain ou dans les outre-mer, nous ne pouvons et ne devons plus ignorer la réalité des catastrophes climatiques que doit affronter notre pays comme le reste du monde. Il suffit de considérer l’année 2018, la plus chaude jamais enregistrée en France, marquée, comme d’ailleurs l’année 2019, par une sécheresse importante et de nombreux feux de forêt, pour comprendre que nous ne sommes plus à l’abri de ces phénomènes. Se classant au quatrième rang des années les plus sinistrées depuis 1946, l’année 2018 aura coûté aux assureurs 1,8 milliard d’euros. Depuis trois ans, la sinistralité est d’ailleurs supérieure aux primes encaissées au titre du régime des catastrophes naturelles.

Le travail de la mission d’information, en particulier de sa rapporteure, Nicole Bonnefoy, et de son président, Michel Vaspart, met parfaitement en exergue, de façon très pragmatique, l’urgence climatique à laquelle nous faisons face et la nécessité d’agir rapidement via une série de mesures, dont je ne peux que saluer la pertinence.

La culture du risque, qui existe dans de nombreux pays confrontés depuis plusieurs années, voire quelques décennies, à des catastrophes climatiques de grande ampleur, doit être pleinement développée en France, comme le recommande la mission d’information.

Cette sensibilisation doit se faire bien entendu au niveau national, mais également au niveau local, en accompagnant les élus locaux et en les aidant à conseiller en amont nos concitoyens sur les mesures à prendre en cas d’événement climatique, par tous les moyens nécessaires. C’est ce que l’on appelle la résilience.

Je souhaiterais profiter de cette occasion pour revenir sur un outil essentiel évoqué dans le rapport de la mission d’information et dont je me préoccupe depuis plusieurs années : le fonds de prévention des risques naturels majeurs, dit fonds Barnier.

Créé par la loi du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l’environnement, ce fonds est le principal instrument financier de la politique de prévention des risques naturels. Les recettes proviennent des contrats d’assurance et représentent 200 millions d’euros par an.

Depuis sa création, le champ d’intervention du fonds Barnier n’a cessé de s’élargir, afin de répondre à l’augmentation de la fréquence et de l’intensité des phénomènes climatiques. Pourtant, année après année, l’État ne cesse de « piocher » dans les caisses de ce fonds pour alimenter son budget. Ainsi, ont été prélevés 55 millions d’euros en 2016 et 70 millions d’euros en 2017. Par la loi de finances pour 2018, le Gouvernement a également décidé de plafonner ce fonds à 137 millions d’euros, ce qui permet à l’État d’empocher chaque année près de 70 millions d’euros pour son budget général. L’an dernier, le projet de loi de finances pour 2019 est venu diminuer de 20 millions d’euros le montant des ressources pouvant être consacrées au financement des études et des travaux de prévention par les collectivités territoriales.

En toute logique, j’avais déposé, lors de l’examen de ces deux projets de budget, des amendements visant à supprimer ces plafonnements et à rendre au fonds Barnier ses moyens d’action. Malgré un large soutien de l’ensemble de mes collègues, sur toutes les travées, le Gouvernement n’en a pas tenu compte et continue de ponctionner les ressources du fonds.

Le fonds Barnier est pourtant un levier indispensable et sous-utilisé pour lutter contre les conséquences du réchauffement climatique. Il doit permettre à nos collectivités d’engager les études et de réaliser les travaux nécessaires afin d’anticiper les événements climatiques à venir et de se prémunir contre leur survenue.

En tant qu’élu de Vendée qui a vécu la tempête Xynthia, je pense tout particulièrement aux 975 communes littorales de France, qui doivent faire face aux phénomènes d’érosion et aux inondations. Dans les départements littoraux, pas moins de 700 000 hectares sont situés en zone basse.

L’heure est désormais venue de développer une politique réaliste et ambitieuse en matière de protection et de lutte contre les événements climatiques et leurs conséquences. Parallèlement, le travail de fond sur les causes de ces dérèglements doit être poursuivi et amplifié. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je remercie M. le président et Mme la rapporteure de la mission d’information, ainsi que l’ensemble des membres de celle-ci, d’avoir fait porter leurs travaux sur ce sujet important des risques climatiques.

Il est important, car ces risques affectent, sous des formes diverses, tous nos territoires. J’étais ce week-end en Guadeloupe, particulièrement exposée, notamment, aux cyclones, et la semaine dernière dans l’Hérault, frappé par des inondations très rapides. Mais ces risques affectent aussi nos côtes, sous l’effet de l’érosion marine, ou encore nos territoires plus continentaux, confrontés aux phénomènes de sécheresse et de pluies soudaines.

Il est aussi important en ce que ces risques peuvent engendrer de manière abrupte des situations de grande détresse chez nos concitoyens, nos agriculteurs, nos entreprises, mais aussi, plus globalement, nos collectivités et nos territoires, confrontés au constat d’avoir « tout perdu ».

Le rapport de la mission d’information l’illustre : ces risques et leurs impacts sont accrus sous l’effet du dérèglement climatique. Il nous faut donc renforcer nos démarches de prévention, mais aussi adapter nos dispositifs d’accompagnement et d’indemnisation. C’est le sens de l’action que mène avec détermination le Gouvernement.

C’est un fait, les risques climatiques – inondations, sécheresses, cyclones, feux de forêt, avalanches… – seront affectés par les évolutions du climat, et ce de multiples façons : évolution de leur localisation, fréquence accrue ou intensité plus importante.

Ce constat, aujourd’hui largement admis, nous oblige à l’action. Cela passera nécessairement par un rééquilibrage et un renforcement de nos efforts en faveur de la prévention, à laquelle nous consacrons aujourd’hui dix fois moins de moyens qu’à l’indemnisation.

Nous avons la chance de disposer, en France, d’outils de prévention des risques et de maîtrise de l’urbanisation qui ont fait leurs preuves depuis de nombreuses années. L’enjeu, pour l’avenir, est d’adapter ces outils ou d’en développer de nouveaux lorsque cela est nécessaire, afin de répondre aux risques nouveaux, plus fréquents et plus intenses, auxquels seront de plus en plus exposés nos territoires.

J’identifie trois priorités.

Premièrement, il convient de renforcer notre connaissance de ces risques climatiques nouveaux et nos capacités de prévision. L’acquisition d’un nouveau supercalculateur par Météo France, pour un coût total de 144 millions d’euros, et la modernisation du réseau des radars météo permettront de renforcer notre capacité à anticiper des épisodes plus violents et localisés.

Il nous faut aussi mieux connaître les risques nouveaux liés au dérèglement climatique. Je pense notamment aux risques en montagne : depuis cette année, nous avons engagé un travail spécifique avec les différents opérateurs de l’État pour mieux connaître l’évolution des risques glaciaires, qu’il s’agisse de chutes de blocs ou de vidanges brutales de poches d’eau, et, ainsi, définir avec les collectivités les mesures de surveillance qui s’avéreraient nécessaires.

Comme l’évoquait M. Husson, il nous faudra maintenir, dans les prochaines années, un haut niveau d’investissement en faveur de l’amélioration de la connaissance sur ces risques nouveaux. Je veillerai à ce que nos opérateurs publics – le Bureau de recherches géologiques et minières, ou BRGM, l’Institut national de l’environnement industriel et des risques, ou Ineris, le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement, ou Cerema, l’Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture, ou Irstea, enfin l’Office national des forêts, ou ONF – fassent figurer cet objectif parmi leurs priorités.

Bien entendu, ces connaissances doivent être partagées largement grâce aux outils numériques, en complément des dispositifs réglementaires existants, tels que l’information des acquéreurs ou des locataires.

Deuxièmement, au-delà du renforcement des connaissances, il nous faut également accompagner les collectivités dans leurs démarches de prévention et de réduction de la vulnérabilité, en particulier contre les inondations et les submersions.

Oui, monsieur Bouloux, l’élaboration des plans de prévention des risques naturels prévisibles, les PPRN, doit être une priorité des services de l’État. Elle l’est d’ailleurs déjà, notamment pour les zones les plus exposées. Au reste, la survenue de catastrophes entraîne une mise à jour systématique des plans, pour tenir compte du retour d’expérience. C’est ce qui s’est passé, par exemple, après les inondations dans l’Aude.

Vous savez également que l’élaboration de ces documents peut susciter des tensions locales. J’ai pu constater, s’agissant des plans de prévention, notamment face aux submersions marines, que l’on oubliait rapidement ce que l’on avait vécu au moment d’élaborer des documents interdisant, par exemple, de nouvelles urbanisations.

Les plans communaux de sauvegarde sont également des outils essentiels. Il faut rappeler les obligations qui pèsent notamment sur toutes les communes couvertes par un plan de prévention des risques, soit 12 000 communes en France, mais aussi accompagner les collectivités dans l’élaboration de ces plans communaux de sauvegarde. C’est notamment le rôle du service interministériel de défense et de protection civile des préfectures.

Dans ce domaine, il est intéressant de s’appuyer sur les intercommunalités et les associations d’élus. J’ai pu constater, dans l’Aude, le rôle tout particulier, du Syndicat mixte des milieux aquatiques et des rivières, le Smmar. De façon générale, les établissements publics territoriaux de bassin, les EPTB, peuvent aussi jouer un rôle d’appui aux communes pour l’élaboration des plans communaux de sauvegarde.

Les dispositifs d’alerte ont également été mentionnés. Nous devons certainement progresser sur ce sujet, comme nous avons pu le voir, à l’occasion de la survenue d’un risque industriel, lors de l’incendie de Lubrizol à Rouen.

Forte du retour d’expérience sur ces crises, je devrai, avec mon collègue ministre de l’intérieur, réfléchir à d’autres outils, en complément des sirènes, par exemple, dont les citoyens ne connaissent pas nécessairement la signification.

Il nous faut aussi conforter le dispositif des programmes d’actions de prévention des inondations, les PAPI, lequel permet de faire émerger, sur l’initiative des collectivités, dont je veux souligner l’engagement, de véritables projets de territoire cofinancés par le fonds Barnier.

Je tiens à souligner que, depuis sa création, ce dispositif a permis de mobiliser près de 2 milliards d’euros d’investissements, dont 800 millions d’euros apportés par le fonds Barnier.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite comme vous que l’élaboration et la mise en œuvre de ces programmes soient facilitées et accélérées. Une mission d’inspection me remettra, dans les prochains jours, ses propositions à ce sujet. Je les examinerai évidemment avec la plus grande attention.

Plusieurs d’entre vous, dont M. Mandelli, ont évoqué spécifiquement les ressources du fonds Barnier. C’est un outil précieux, qui permet, grâce à la contribution de l’ensemble des Français, de financer des actions de réduction de la vulnérabilité, notamment collective.

Les ressources de ce fonds sont effectivement plafonnées en loi de finances. Ses dépenses, autour de 200 millions d’euros par an, sont, depuis plusieurs années, supérieures à son abondement annuel, de 131 millions d’euros par an, mais il bénéficie d’une trésorerie qui lui permettra, en 2020, de continuer à financer l’ensemble des actions de prévention nécessaires. En revanche, soyons clairs, il nous faudra nous poser la question, dans le cadre de la loi de finances pour 2021, de la bonne adéquation entre les ressources et les dépenses de ce fonds.

Troisièmement, et surtout, il nous revient de créer les outils et dispositifs adaptés aux risques climatiques nouveaux.

C’est ce que nous avons déjà engagé dans le cadre de la loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite « loi Élan », via la refonte du dispositif de prévention du risque de retrait-gonflement des argiles. À une réglementation parcellaire et inhomogène sur le territoire, nous avons substitué une intégration systématique de ce risque pour les constructions neuves dans les zones exposées.

Comme plusieurs d’entre vous, je pense que cette évolution ne résoudra pas la situation de ceux qui se retrouvent parfois en grande détresse en raison des dégâts subis par les habitations existantes. Chaque année, la solidarité nationale consent un effort substantiel, en indemnisant pour près de 400 millions d’euros de dégâts liés spécifiquement à ce risque.

En revanche, je suis, en l’état, réservée sur la possibilité de mobiliser le fonds Barnier pour réduire de manière préventive la vulnérabilité des habitations construites de manière non résiliente. En effet, les moyens de ce fonds ont jusqu’à présent été priorisés sur les risques présentant des menaces graves pour les vies humaines. Par ailleurs, les travaux préventifs sont extrêmement coûteux, voire impossibles, puisqu’il faut intervenir sur le gros œuvre.

Adapter nos dispositifs au changement climatique, c’est aussi le sens de la réflexion que nous souhaitons engager avec le projet de loi sur les risques majeurs outre-mer ; celui-ci fera l’objet d’une concertation dans les territoires ultramarins, qui commencera d’ici à la fin de l’année 2019.

Au regard du retour d’expérience sur le cyclone Irma, ce projet de loi posera la question du renforcement des exigences en matière de construction paracyclonique, comme celui qui a été décidé, par exemple, pour le CHU en cours de construction à la Guadeloupe, dont j’ai pu visiter le chantier le week-end dernier.

Nous souhaitons également que ce projet de loi permette d’agir pour renforcer la culture du risque parmi les populations. C’est un point d’importance, plusieurs d’entre vous l’ont souligné. La mise en place de « journées japonaises », durant lesquelles chacun se mobilise face aux risques, mise en place expérimentée cette année en Guadeloupe, est l’une des pistes pour toucher des publics scolaires et des populations sans doute éloignées des messages de prévention actuels, qui sont très institutionnels.

Enfin, nous en faisons tous le constat, nos littoraux sont de plus en plus menacés, sous l’effet combiné de la hausse du niveau de la mer et de l’érosion du trait de côte.

Alors qu’elles sont souvent en première ligne, les collectivités se sentent parfois démunies. Ce risque très spécifique, puisqu’il ne présente pas le même caractère d’imprévisibilité, nécessite que nous développions des outils d’aménagement et de financements dédiés.

Le Premier ministre a confié une mission au député Stéphane Buchou sur le sujet. Celui-ci rendra ses préconisations dans les prochaines semaines. Au regard des enjeux très importants pour nos littoraux, je serai extrêmement attentive à ce que ce travail débouche sur les évolutions nécessaires, afin de fournir à nos territoires de véritables leviers d’action.

Mesdames, messieurs les sénateurs, comme vous pouvez le constater au travers de ces différents exemples, nous aurons besoin de vous, les parlementaires, mais aussi des élus locaux pour mettre en place ces outils nouveaux, afin d’atténuer l’impact du dérèglement climatique sur nos territoires et poursuivre l’investissement, à l’échelon national et dans nos territoires, en faveur d’une plus grande résilience.

Toutefois, s’adapter, c’est aussi être en mesure d’accompagner un territoire et ses habitants frappés par une catastrophe naturelle lorsque les démarches de prévention n’ont pas suffi.

À cet égard, votre rapport, monsieur le président, madame la rapporteure, met bien en évidence que, pour la majorité des parties prenantes, les grands principes de notre système d’indemnisation, fondés sur la solidarité nationale, doivent être préservés.

Je souscris également à l’idée que, face au défi climatique, des évolutions devront être apportées à ce dispositif.

Il nous faut, tout d’abord, regarder avec lucidité la question de la soutenabilité de ce régime, alors que nous anticipons une augmentation des dommages, due à la fois à des phénomènes plus fréquents et plus intenses, mais aussi à la hausse des populations dans les zones concernées et à celle de la valeur des biens exposés.

Ces deux dernières années, le coût total des catastrophes naturelles a atteint des niveaux particulièrement élevés : près de 3 milliards d’euros en 2017, en intégrant le cyclone Irma, et près de 2 milliards en 2018. D’ici à 2050, ces montants seront multipliés par deux.

Si l’on s’intéresse plus particulièrement au régime CatNat, le coût moyen de l’indemnisation des inondations depuis 1982 est de 554 millions d’euros par an et celui des sécheresses s’élève à 409 millions d’euros par an ; ils représentent respectivement 57 % et 34 % de la sinistralité cumulée depuis cette date.

Soyons clairs, seul un effort accru en matière de prévention permettra de limiter l’augmentation de ces coûts sans amoindrir la qualité de l’indemnisation de nos concitoyens. C’est aussi l’un des objectifs de la réforme de la prévention du risque retrait-gonflement des argiles prévu par la loi Élan, que j’évoquais tout à l’heure : à présent, c’est la garantie décennale du constructeur qui doit prendre en charge les dégâts si une habitation nouvelle n’a pas été construite en prenant en compte ce risque.

Par ailleurs, comme vous, je constate que nos concitoyens et les élus appellent de leurs vœux un dispositif d’indemnisation plus efficace, plus réactif et plus transparent.

D’ores et déjà, le ministère de l’intérieur, qui assure le secrétariat de la commission interministérielle chargée du processus de reconnaissance CatNat, a pris plusieurs initiatives en ce sens. L’application iCatNat, dont le déploiement s’achève, permet aux communes de déposer leur demande de manière dématérialisée, de suivre l’avancement des procédures et de bénéficier de délais de traitement accélérés.

Je veux souligner, par exemple, que l’arrêté portant reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle, à la suite des inondations intervenues dans l’Hérault et dans d’autres départements la semaine dernière, sera pris demain.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous êtes plusieurs à avoir évoqué la possibilité de mettre en place une clause d’appel sur les décisions de la commission interministérielle.

Aujourd’hui, grâce aux évolutions mises en œuvre, les décisions sont motivées et l’ensemble des expertises à l’appui de celles-ci est à la disposition des collectivités. Les communes peuvent d’ores et déjà solliciter, en cas de décision défavorable, le réexamen de leur demande par le ministre de l’intérieur.

Nous sommes ouverts à ce qu’un travail soit engagé avec les collectivités pour approfondir l’opportunité d’un mécanisme nouveau d’appel, qui devrait nécessairement être encadré pour réguler les demandes.

S’agissant particulièrement des dossiers sécheresse-réhydratation de sols, plusieurs d’entre vous ont souligné la lenteur des procédures de reconnaissance.

La méthodologie applicable jusqu’en mai dernier nécessitait l’analyse de données sur plusieurs mois, ce qui entraînait des délais d’instruction très longs. La réforme de cette méthodologie, qui a été détaillée par une circulaire de mai 2019, simplifie les critères pris en compte, ce qui facilitera la lisibilité des décisions prises et permettra un traitement des dossiers dans des délais beaucoup plus courts.

D’autres évolutions du dispositif d’indemnisation proposées par le rapport de votre mission, dans le sens d’une plus grande protection de nos concitoyens, me semblent intéressantes. Je pense, par exemple, à la fin de la modulation des franchises dans les zones comprenant un plan de prévention des risques en cours d’élaboration ou encore à la prise en compte des frais de relogement d’urgence.

Je veux également rappeler que trop de nos concitoyens non assurés, par choix ou par nécessité, ne bénéficient pas de cette garantie minimale. Il nous reste encore à faire progresser la couverture assurantielle, en particulier dans les territoires ultramarins. Le Gouvernement a diligenté une mission d’inspection sur ce sujet, dans les conclusions permettront d’alimenter la consultation à venir sur le projet de loi sur les risques majeurs outre-mer.

Je tiens également à répondre à vos interrogations sur l’évolution du régime de catastrophe naturelle. Les services du ministre de l’économie et des finances ont engagé des travaux pour faire suite aux demandes formulées par le Président de la République à Saint-Martin, en septembre 2018, en faveur d’un système plus incitatif et plus rapide. Des concertations ont commencé, notamment avec les professionnels.

Sur ce plan, votre rapport apporte une contribution importante. Il nous faudra identifier un vecteur législatif. Certaines mesures pourront intégrer le projet de loi sur les risques majeurs outre-mer. D’autres relèvent, en revanche, du champ réglementaire. Elles pourront donc être mises en œuvre rapidement et indépendamment de ce projet de loi.

Votre rapport évoque aussi la situation des agriculteurs, qui sont parmi les premiers exposés au réchauffement et au dérèglement climatiques.

Face à la multiplication des événements climatiques exceptionnels, il est indispensable de repenser collectivement, d’une part, les mesures de protection et d’indemnisation, mais également, plus largement, les pratiques agricoles elles-mêmes, dans une logique de prévention et d’adaptation.

C’est ainsi qu’une consultation élargie sur les voies d’amélioration des outils de gestion des risques en agriculture a été lancée, à l’été 2019, par mon collègue Didier Guillaume. L’objectif est d’identifier des voies d’amélioration des outils de gestion des risques en agriculture, notamment dans la perspective de la mise en œuvre de la prochaine PAC.

Sur la base des contributions des parties prenantes qu’il aura reçues, le ministre de l’agriculture et de l’alimentation présentera le 31 octobre, c’est-à-dire demain, une synthèse des retours et fixera le programme de travail pour les prochains mois. Ce dernier couvrira les sujets et les recommandations contenus dans votre rapport, ainsi que des thèmes tels que l’articulation entre les calamités agricoles et l’assurance récolte, les secteurs spécifiques de l’arboriculture et des prairies, pour lesquels la souscription d’assurance reste faible, ou encore les enjeux de formation à la culture de la gestion du risque.

La consultation et le débat doivent également être l’occasion d’évoquer le sujet spécifique des dégâts de la grêle sur les productions agricoles, que plusieurs d’entre vous ont évoqué. Vous le savez, le dispositif des calamités agricoles prend en compte uniquement les pertes de fonds, c’est-à-dire les arbres ou les ceps détruits par la grêle, et non les pertes de récolte à la suite d’un orage de grêle.

Ces dernières pertes sont couvertes par des contrats spécifiques, que seulement 60 % des agriculteurs ont souscrits aujourd’hui. Il est donc légitime que cet aléa soit intégré dans le cadre de la consultation en cours pilotée par mon collègue ministre de l’agriculture.

Au-delà des particuliers et des agriculteurs, les collectivités sont également en première ligne face à ces risques. Le fonds de solidarité permet de leur apporter une aide lorsque des biens non assurables, tels que les réseaux et voiries, sont endommagés.

Mme Carrère s’est fait l’écho des difficultés rencontrées par certaines communes au regard des délais de versement des indemnisations de ce fonds. Le Gouvernement en est tout à fait conscient, et l’ensemble des services s’attache à accélérer les procédures. C’est notamment ce qui a été fait après les dernières inondations dans l’Aude : les 41 millions d’euros octroyés aux collectivités au titre du fonds ont pu être attribués en moins de six mois, malgré un important travail d’évaluation des dégâts.

J’ai bien noté, par ailleurs, les propositions d’amélioration du dispositif de fonds de solidarité qui ont été formulées par Mme Sollogoub, et je me ferai le relais des préoccupations qui ont été exprimées auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, pour que ces suggestions puissent être examinées.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous l’avez constaté, le Gouvernement partage très largement le diagnostic posé par la mission d’information, dont je veux de nouveau souligner l’intérêt et la pertinence.

L’adaptation de nos territoires face à ces risques nouveaux par leur nature ou leur intensité ne se fera pas uniquement en renforçant nos démarches existantes : il nécessitera aussi que nous inventions, ensemble, de nouveaux leviers d’action.

Nous avons engagé de nombreux chantiers en ce sens pour les prochains mois : concertation sur le projet de loi sur les risques majeurs outre-mer, gestion du trait de côte, concertation sur l’évolution du régime d’indemnisation des calamités agricoles, évolution du régime des catastrophes naturelles…

À cet égard, votre contribution, grâce à ce rapport, et votre participation à ces futurs travaux nous seront extrêmement utiles. Je vous en remercie par avance. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, SOCR et UC. – M. Yves Bouloux applaudit également.)

M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur les conclusions du rapport d’information : Catastrophes climatiques. Mieux prévenir, mieux reconstruire.

8

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, mercredi 30 octobre 2019 :

À quinze heures :

Questions d’actualité au Gouvernement.

À seize heures trente et le soir :

Débat sur les conclusions du rapport de la mission d’information sur les enjeux de la filière sidérurgique dans la France du XXIe siècle : opportunité de croissance et de développement : « Donner des armes à l’acier français ; accompagner la mutation d’une filière stratégique » ;

Débat sur le thème : « Quel avenir pour l’enseignement agricole ? » ;

Proposition de résolution, en application de l’article 34-1 de la Constitution, pour le renforcement des sanctions adoptées par le Conseil européen contre des responsables des violations des droits humains au Venezuela et pour soutenir les États signataires de l’enquête auprès de la Cour pénale internationale (texte n° 639, 2018-2019).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée le mercredi 30 octobre 2019, à une heure vingt.)

Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,

ÉTIENNE BOULENGER

Chef de publication