M. le président. La parole est à M. Philippe Mouiller.

M. Philippe Mouiller. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, à la veille de la nouvelle lecture du projet de loi de financement de la sécurité sociale, il est utile de rappeler que l’ensemble des crédits de la mission « Santé » ne représentent qu’une partie infime des moyens de notre politique publique en matière de santé.

La dotation globale de cette mission s’élève, ainsi, à un peu plus d’un milliard d’euros en 2020, bien loin des 205 milliards de crédits consacrés aux dépenses de la seule branche de l’assurance maladie.

Comme l’ont parfaitement expliqué nos collègues rapporteurs, Corinne Imbert et Alain Joyandet, dont je salue les travaux, les crédits de cette mission sont concentrés dans le programme 183, « Protection maladie », principalement consacré au financement de l’AME, qui représente 82 % des crédits de la mission.

Par ailleurs, le financement des deux principaux opérateurs rattachés au programme 204, « Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins », que sont l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé et Santé publique France, est transféré à partir de 2020 à l’assurance maladie. Certes, la simplification des circuits de financement des agences sanitaires est nécessaire. Toutefois, la succession des transferts a entraîné une diminution de 70 % des crédits versés à ce programme depuis 2012.

Comme l’a fort justement souligné notre collègue Corinne Imbert, cette constante diminution des crédits dudit programme pose la question de la taille critique nécessaire au meilleur pilotage par l’État de la politique de santé publique. Plus largement, nous devons nous interroger sur le devenir de ce programme, et même sur celui de la mission « Santé ».

J’en viens au programme 183, qui provoque, chaque année, des débats passionnés au sein de notre assemblée. Ce sujet mérite que nous l’abordions de manière sereine. Des mesures sur l’AME ont été présentées le 6 novembre dernier, à l’issue du comité interministériel sur l’immigration. Ces annonces ont conduit le Gouvernement à déposer des amendements, lors de l’examen en séance publique par les députés, de la mission « Santé », le 7 novembre dernier.

Plusieurs mesures ont été adoptées visant à clarifier la condition de résidence et l’obligation de comparution physique devant les services. Pour les soins non vitaux, un délai d’ancienneté et un accord préalable ont été mis en place. Ces mesures ont conduit à une baisse de 15 millions d’euros de l’AME, ramenant son budget à 919 millions d’euros.

Tout le monde dans cet hémicycle reconnaît qu’un dispositif d’accès aux soins d’urgence pour les étrangers, y compris en situation irrégulière, est tout à fait nécessaire, pour des raisons humanitaires et des raisons sanitaires évidentes.

Toutefois, pour qu’un dispositif aussi indispensable puisse être défendu devant nos concitoyens, il faut qu’il soit mieux encadré. Quand le coût de l’AME augmente de 46 % entre 2011 et 2020, il est légitime de s’interroger sur les causes de cette évolution.

Le Gouvernement estime que le renforcement de la lutte contre la fraude à l’AME permettra de limiter l’inflation de cette dépense en 2020. Si nous considérons qu’une telle démarche va dans le bon sens, nous pensons que ces effets seront insuffisants. Pour toutes ces raisons, le groupe Les Républicains, dans sa grande majorité, soutiendra la position du rapporteur spécial, M. Joyandet. (MM. Jérôme Bascher et Antoine Lefèvre applaudissent.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Christelle Dubos, secrétaire dÉtat auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le président, monsieur le rapporteur spécial, madame la rapporteure pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, vous étudiez aujourd’hui le budget de la mission « Santé » de la loi de finances pour 2020.

Ce budget est marqué par une évolution importante de son périmètre, du fait du transfert à l’assurance maladie du financement de l’ANSM et de l’ANSP, d’où une baisse de 20 % des crédits de la mission. Ces crédits ne représentent toutefois qu’une petite partie des financements que les pouvoirs publics consacrent à la politique de santé. Ils sont, pour l’essentiel, discutés dans le cadre du PLFSS.

Le programme 204, « Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins », sera doté en 2020 d’un peu plus de 200 millions d’euros, dont un tiers sera consacré au financement de l’INCa et de l’Agence nationale de sécurité sanitaire, de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses). Cette dernière verra par ailleurs sa subvention augmenter de 8 millions d’euros, correspondant à la compensation de la suppression de la taxe sur le vapotage.

Comme la ministre vous l’avait annoncé l’année dernière, nous avons poursuivi notre réflexion sur un financement intégral par l’assurance maladie de l’ANSM et de l’ANSP, ce qui nous amène à transférer le financement de ces deux opérateurs dans le cadre du projet de loi de finances pour 2020.

L’activité de ces deux agences a en effet trait à des produits, les médicaments, ainsi qu’à une activité, la prévention, dont l’essentiel du financement dépend déjà de l’assurance maladie. Ce transfert renforce donc la cohérence des leviers d’action du ministère et n’altère en rien la possibilité pour l’État d’assumer ses responsabilités : la fonction de tutelle stratégique et de tutelle financière de ces deux agences reste inchangée.

Les crédits de prévention au sein du programme 204 s’élèvent à 53 millions d’euros, après transfert de l’ANSP. Ce montant ne représente toutefois, je le rappelle, qu’une part très modeste du financement de la prévention.

La création, cette année, d’un document de politique transversale permet ainsi de préciser que ces crédits représentent à peine plus de 1 % des presque 3 milliards d’euros qui seront consacrés en 2020 à la prévention sanitaire par le budget de l’État. Par ailleurs, la prévention dépasse très largement le champ de ce budget de l’État. Il faut en effet considérer l’ensemble des financements disponibles, quel qu’en soit le support, pour apprécier l’évolution des moyens consacrés à la prévention.

Pour ne parler que de la prévention institutionnelle, elle est passée de 5,79 milliards d’euros en 2008 à 6,24 milliards d’euros en 2018, soit une augmentation de 7,8 %. Ces montants sont retracés dans l’annexe 7 au PLFSS. Pour autant, cette évolution n’est pas homogène sur les dix dernières années ; elle augmente de 0,3 % en moyenne par an entre 2008 et 2016, et de 2,7 % en moyenne par an entre 2016 et 2018.

Cette tendance s’est accélérée en 2019, avec notamment l’élargissement des missions du fonds de lutte contre le tabac à la lutte contre les addictions, qui voit ainsi ses dépenses prévisionnelles s’élever à 119,7 millions d’euros en 2019, contre 100 millions en 2018 et 30 millions en 2017.

Toutes les décisions qui ont été prises vont ainsi dans le sens d’une augmentation des crédits consacrés à la prévention. Les résultats sont probants. Grâce aux mesures phares relatives à la lutte contre le tabagisme du plan Priorité prévention, nous comptons 1,6 million de fumeurs quotidiens en moins entre 2016 et 2018.

L’élargissement du document de politique transversale, pour le transformer en « jaune » budgétaire, me semble un apport intéressant des députés. Il faudra à l’avenir se poser la question de son articulation avec l’annexe 7 du PLFSS, pour éviter les doublons.

Le programme 204 inclut également les dépenses d’indemnisation des victimes de la Dépakine. La gestion de ce dispositif d’indemnisation est, comme vous le savez, assurée par l’Oniam. Ce dispositif a connu une montée en charge progressive du fait de la complexité des questions juridiques et médicales soulevées lors de l’examen des dossiers. Elle va faire l’objet d’ajustements structurels visant à accélérer le traitement des dossiers.

Le Gouvernement a déposé, lors de l’examen en première lecture à l’Assemblée nationale, un amendement visant à simplifier le dispositif. À cet effet, les deux instances qui le composent, le collège d’experts et le comité d’indemnisation, vont être fusionnées.

Par ailleurs, afin d’assurer une indemnisation plus facile des victimes, il est proposé de fixer dans la loi des dates à partir desquelles le lien entre le préjudice et le défaut d’information sera présumé : 1982 pour les malformations congénitales et 1984 pour les troubles du développement comportemental et cognitif. Les victimes pourraient ainsi être indemnisées plus aisément, sans voir leur dossier déclaré irrecevable.

Enfin, à propos des crédits du programme 204, je veux signaler l’augmentation des moyens de l’agence de santé de Wallis-et-Futuna, sur laquelle repose exclusivement le système de santé pour l’ensemble de la population de ces deux territoires, et sa gratuité, au titre de la solidarité nationale. Sa dotation sera majorée en 2020 de 7 millions d’euros, pour la porter à 42,5 millions d’euros, afin également de développer en priorité la santé publique et la prévention, et de renforcer l’offre de soins, notamment grâce au déploiement de la télémédecine.

Le deuxième programme de la mission, le programme 183, est consacré pour l’essentiel à l’AME. Le Gouvernement est attaché aux grands principes qui guident aujourd’hui notre politique d’accès aux soins et aux droits des personnes migrantes. Il n’est pas envisageable de les remettre en cause. Ce droit à la protection de la santé est un principe constitutionnel qui s’inscrit dans les engagements internationaux auxquels la France est partie.

Ces dispositifs sont indispensables, non seulement pour des raisons humanitaires et de santé publique, mais aussi pour des raisons de maîtrise budgétaire. Nous savons que la prise en charge tardive d’une maladie est systématiquement plus coûteuse qu’une prise en charge précoce par la médecine de ville. Cependant, nous savons aussi que la dépense d’AME est dynamique : son montant est non négligeable, même s’il ne représente que 0,5 % des dépenses d’assurance maladie.

La dépense d’AME alimente parfois une défiance, voire des fantasmes qu’il est difficile de déconstruire. Aussi, nous devons être responsables pour lutter contre les fraudes et les abus. C’est le sens des amendements adoptés, lors de l’examen à l’Assemblée nationale, sur l’initiative du Gouvernement.

S’interroger sur l’efficience du dispositif, et l’amender en conséquence, c’est en garantir la pérennité. Mais nous devons aussi nous adapter aux problématiques particulières des migrants. Nous avons le devoir de bien prendre en charge les soins de ces personnes particulièrement vulnérables. Pour cela, nous devons poursuivre les démarches pour « aller vers » ces populations et les faire accéder aux soins ou aux droits.

Dans le texte qui vous est aujourd’hui soumis, nous prévoyons ainsi de clarifier le droit applicable, en indiquant qu’il est nécessaire d’être depuis trois mois en situation irrégulière pour bénéficier de l’AME. Cela ne changera rien pour les personnes entrées en France de façon irrégulière, mais aura une incidence pour les détenteurs d’un visa de tourisme, car le délai de trois mois, qui leur est déjà applicable, commencera désormais à l’expiration de leur visa.

Nous prévoyons aussi de renforcer le contrôle de la résidence en France. Les demandes d’AME devront être déposées par les intéressés, en personne, dans une CPAM ou, par dérogation, par l’intermédiaire de l’hôpital ou d’une permanence d’accès aux soins de santé. L’objectif est d’éviter les demandes frauduleuses, transmises par courrier, de personnes qui ne se trouvent pas sur le territoire français.

De plus, nous prévoyons de mettre en place une procédure d’accord préalable, pour certains soins programmés et non urgents.

Nous prévoyons enfin d’introduire un délai de carence de trois mois pour l’accès à la PUMa des demandeurs d’asile.

Actuellement, les demandeurs d’asile bénéficient de règles dérogatoires, plus favorables que les dispositions appliquées aux autres assurés.

Les demandeurs d’asile auront accès aux soins urgents pendant ce délai de trois mois. Seront notamment concernés les soins hospitaliers vitaux, le traitement des maladies infectieuses et les soins délivrés aux femmes enceintes et aux nouveau-nés.

Mesdames, messieurs les sénateurs, tels sont les principaux axes de la mission « Santé » !

Santé
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2020
Article 78 duodecies (nouveau)

M. le président. Nous allons procéder à l’examen des crédits de la mission « Santé », figurant à l’état B.

ÉTAT B

(En euros)

Mission

Autorisations dengagement

Crédits de paiement

Santé

1 124 975 111

1 128 275 111

Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins

197 624 173

200 924 173

Dont titre 2

1 442 239

1 442 239

Protection maladie

927 350 938

927 350 938

M. le président. L’amendement n° II-36, présenté par M. Joyandet, au nom de la commission des finances, est ainsi libellé :

Modifier ainsi les crédits des programmes :

(En euros)

Programmes

Autorisations dengagement

Crédits de paiement

+

-

+

-

Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins

dont titre 2

 

 

 

 

Protection maladie

 

285 000 000

 

285 000 000

TOTAL

 

285 000 000

 

285 000 000

SOLDE

- 285 000 000

- 285 000 000

La parole est à M. le rapporteur spécial.

M. Alain Joyandet, rapporteur spécial. Monsieur le président, avec votre autorisation, j’évoquerai par la même occasion les amendements nos II-37 et II-38, qui forment un tout cohérent avec l’amendement n° II-36.

En effet, la proposition de la commission des finances ne se limite pas à une réduction de crédits : nous défendons une nouvelle politique pour l’AME. En ce sens, la réduction de crédits n’est que la conséquence de la mise en place d’un nouveau panier de soins et d’un ticket modérateur de 30 euros par bénéficiaire de l’AME. Ces explications nous permettront donc de gagner du temps dans la suite de la discussion.

Nos propositions ne présentent rien de nouveau par rapport à l’année dernière. En revanche, l’ambiance a un peu changé. Le Gouvernement ne nous renvoie plus tout à fait dans nos cordes : avec la majorité de l’Assemblée nationale, il a même accepté de discuter du problème de l’AME. Mme la secrétaire d’État vient de le rappeler, il a engagé une légère refonte de l’accès à cette aide et décidé une légère diminution des crédits. Or – on le sait très bien –, l’année dernière, les crédits inscrits n’ont pas suffi à couvrir l’ensemble de l’année. Ainsi, le Gouvernement fait un pas en avant.

Cela étant, sur les travées de la majorité sénatoriale, je constate que la proposition de la commission des finances suscite des avis assez contrastés : au cours de la discussion générale, j’ai pu percevoir un certain nombre de réserves, voire d’oppositions.

Avant d’aller plus loin, je souhaite donc entendre l’avis du Gouvernement sur le sujet, bien spécifique, de l’AME. Le Gouvernement accepterait-il d’aller un peu plus loin que les mesures adoptées par l’Assemblée nationale ? Après avoir pris connaissance de cette réponse, je me permettrai, en tant que rapporteur spécial, de donner la position définitive de la commission des finances.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christelle Dubos, secrétaire dÉtat. Monsieur le rapporteur spécial, restreindre l’AME aux seuls soins d’urgence et conditionner son bénéfice au paiement d’un droit de timbre ne seront jamais des mesures efficaces de maîtrise des dépenses.

Je l’ai déjà rappelé : lorsqu’elle est traitée tardivement, une maladie est systématiquement plus coûteuse que lorsqu’elle est prise en charge à temps par la médecine de ville.

De plus, contrairement à ce que vous affirmez, les mesures que vous présentez se traduiraient par une dégradation de la santé des personnes concernées, par un engorgement des services d’urgences et par une augmentation du coût total des soins dispensés. On en a eu la démonstration en 2011 : l’introduction éphémère d’un droit de timbre de 30 euros n’a dégagé aucune économie, bien au contraire !

Pour notre part, nous avons choisi une voie différente. Il est impératif de préserver ces dispositifs, qui sont nécessaires pour soigner les personnes concernées, sans coût excessif. Il est également de notre devoir de limiter au maximum les abus et les détournements possibles.

Les propositions du Gouvernement reposent sur cet équilibre. À l’inverse, les dispositions que vous défendez n’apporteraient, selon nous, aucune réponse satisfaisante ou efficace, qu’il s’agisse de la protection des personnes ou de la régulation de la dépense.

En conséquence, le Gouvernement émet un avis défavorable sur votre amendement.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur spécial.

M. Alain Joyandet, rapporteur spécial. Monsieur le président, je sollicite quelques minutes de suspension de séance.

M. Philippe Mouiller. Je m’apprêtais à en faire autant !

M. le président. Mes chers collègues, nous allons donc interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures vingt, est reprise à dix-sept heures trente.)

M. le président. La séance est reprise.

La parole est à M. le rapporteur spécial.

M. Alain Joyandet, rapporteur spécial. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, il est inutile de vous dire que les trois amendements de la commission des finances provoquent un certain embarras…

M. Yves Daudigny. En effet !

M. Julien Bargeton. Nous avions compris ! Mais nous sommes bienveillants… (Sourires sur les travées du groupe LaREM.)

M. Alain Joyandet, rapporteur spécial. En tant que rapporteur spécial, je vais maintenir ces trois amendements.

Je me permettrai simplement un commentaire personnel : si j’ai demandé une suspension de séance, c’est parce que, pour être rapporteur de la commission des finances, je n’en suis pas moins libre ! Étant chargé de ce dossier depuis plusieurs années, j’ai pu constater qu’un certain nombre de lignes bougent. Mais, pour l’instant, la commission des finances ne bougera pas.

M. Antoine Lefèvre. C’est un bon résumé !

M. le président. La parole est à M. Bernard Jomier, pour explication de vote.

M. Bernard Jomier. Monsieur le rapporteur spécial, pour notre part, nous avons toujours voulu engager le débat sur cette question, et nous avons toujours voulu le mener dans la sérénité, en le centrant sur ce qu’est l’AME, à savoir une mesure de santé, et en analysant cette mesure.

Non, la dépense d’AME n’a pas explosé ces dernières années…

M. Jérôme Bascher. Ah bon ? Un doublement, ce n’est pas une explosion ?

M. Bernard Jomier. On a remédié, à juste titre, à une sous-dotation chronique.

Je l’ai dit lors de la discussion générale : ce budget est sincère. Il est important de reconnaître sa sincérité. J’y insiste : les coûts de l’AME n’ont pas explosé, pas plus que le nombre de ses bénéficiaires, lequel est assez stable depuis 2016. J’ajoute que la dépense en santé par titulaire de l’AME est inférieure à la dépense moyenne d’un assuré social. Certes, cette dépense a progressé. Mais, d’après la direction de la sécurité sociale, cette augmentation est plus due à une accélération de la liquidation des factures hospitalières qu’à un phénomène de détournement.

Je salue le rapport remis sur ce sujet par l’IGAS et l’Inspection générale des finances. Ce document présente les choses clairement, telles qu’elles sont et, pour ma part, je le répéterai autant qu’il le faudra. Bien sûr, il faut lutter contre la fraude ! Mais lutter contre la fraude, ce n’est pas pénaliser des personnes qui, honnêtement, ont recours à un dispositif destiné à la protection de leur santé. Viser les fraudeurs, ce n’est pas cibler tout le monde !

Or le recours à l’AME reste rare : c’est bien la preuve qu’il n’y a pas de détournement massif. La moitié seulement des personnes éligibles font valoir ce droit. Quelques filières de fraude organisée existent, et il faut bien entendu les démanteler. Mais les personnes n’arrivent pas par contingents pour se faire soigner, pour profiter de ce système : ce n’est pas la réalité !

Nous avons toujours souhaité mener ce débat tranquillement. J’observe que cette volonté est de plus en plus largement partagée, et je m’en félicite. Enfin, je salue le fait que les crédits de l’AME soient grosso modo maintenus et validés par le Gouvernement !

M. le président. La parole est à M. Dominique Théophile, pour explication de vote.

M. Dominique Théophile. Comme la protection universelle, l’aide médicale de l’État répond à des objectifs humanitaires et de santé publique, en permettant la prise en charge de mesures de prévention et de lutte contre les maladies transmissibles.

Conformément aux engagements de maîtrise des dépenses publiques et de lutte contre les fraudes, nous souhaitons renforcer les contrôles. Ces derniers porteront sur les conditions d’éligibilité à l’AME, comme la durée du séjour et les ressources effectives des demandeurs. Ils pourront également avoir lieu a posteriori, en particulier pour les bénéficiaires qui ont le plus recours aux soins. Par ailleurs, le regroupement des demandes d’AME dans trois caisses primaires d’assurance maladie permettra un meilleur contrôle.

Toutefois, loin de suivre un raisonnement purement budgétaire, nous avons refusé de remettre en cause le panier de soins. Nous ne souhaitons pas non plus réintroduire la participation financière des personnes admises. En effet, dans leur rapport de 2010, l’IGAS et l’IGF préconisaient déjà de ne pas conditionner le droit à l’AME au paiement d’un droit d’accès, pour deux raisons principales.

La première raison, c’est le probable accroissement des dépenses, les personnes risquant de retarder leur demande d’AME et donc leurs soins. En résulterait un transfert de la médecine de ville vers l’hôpital. On aboutirait donc, mécaniquement, à une majoration nette des dépenses totales de l’AME.

La deuxième raison, c’est l’aggravation du risque sanitaire auquel nous exposeraient les retards de prise en charge, certaines maladies transmissibles étant surreprésentées au sein de la population concernée.

Cette participation financière a tout de même été introduite en 2011, sous la présidence de Nicolas Sarkozy ; et, dès 2011, le coût moyen d’un bénéficiaire de l’AME a mécaniquement augmenté. Comme le rapport des deux inspections le laissait pressentir, l’instauration du droit de timbre a entraîné, sinon des renoncements, du moins des reports de soins de la part de personnes dont l’état de santé était souvent dégradé. Il en est résulté un déport vers des soins hospitaliers plus coûteux, notamment du fait d’une prise en charge tardive.

Monsieur le rapporteur spécial, la mesure que vous proposez aujourd’hui a déjà été mise en place hier, et nous avons pu évaluer tous ses effets négatifs. Il s’agit, en somme, d’une fausse bonne idée.

Les élus du groupe La République En Marche voteront contre ces amendements, qui ne sont d’ailleurs pas soutenus par la commission des affaires sociales : ces mesures purement budgétaires sont contre-productives.

M. Julien Bargeton. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Doineau, pour explication de vote.

Mme Élisabeth Doineau. Sans paraphraser mes collègues, je tiens à dire que cette suppression de 285 millions d’euros serait contraire à ce qui se passe dans la réalité : plus les années passent, plus la sincérité de ce budget s’accroît. Il n’est pas souhaitable de revenir aux pratiques antérieures en le sous-dotant.

Il n’est pas judicieux de réduire les crédits de l’AME : il faudrait même faire tout le contraire ! C’est ce qu’ont souligné, à différents moments de l’histoire, et l’IGAS et l’IGF – d’autres rapports ont précédé celui qui vient d’être cité. C’est également ce qu’a dit le Défenseur des droits : baisser ces crédits, c’est mettre en cause la sincérité du budget ; c’est nier les besoins réels des migrants.

Avec l’AME, l’on dispose d’un moyen de préserver la santé des personnes qui viennent dans notre pays et surtout de prévenir, de manière pragmatique, divers problèmes de santé de nos concitoyens en contact avec ces personnes. On assiste aujourd’hui à une montée de la tuberculose dans notre pays : il s’agit typiquement d’une maladie qu’il convient de soigner le plus tôt possible !

Pour ces raisons, je m’opposerai moi aussi à l’amendement de la commission des finances.

M. le président. La parole est à M. Alain Milon, pour explication de vote.

M. Alain Milon. Avant de présider la commission des affaires sociales, j’ai été rapporteur de cette mission, et j’ai toujours été favorable à la mise en place d’une aide médicale de l’État, sachant que les soignants sont obligés de soigner : les soignants se font un devoir de soigner et ils soigneront toujours, quel que soit le patient qu’ils ont en face d’eux.

Madame la secrétaire d’État, le problème n’est pas l’AME. Le problème n’est pas le soin. Le problème, c’est la lutte contre l’immigration. Les actions que vous mettez en œuvre, notamment pour lutter contre la fraude, sont des mesures excellentes. Elles prouvent que le Gouvernement a pris conscience non pas de la nécessité de l’AME, mais du fait que l’AME posait un problème pour la population française. À l’évidence, nos concitoyens ne comprennent pas bien pourquoi la France dépense 1 milliard d’euros par an pour soigner des étrangers en situation irrégulière.

Il est donc nécessaire de dire, d’une part, que nous ne pouvons faire autrement que de soigner, et ce, la plupart du temps, de manière préventive ; et, d’autre part, que nous devons lutter contre la fraude tout en contrôlant l’immigration.

Je salue l’attitude courageuse d’Alain Joyandet, mais, sur le fond, je n’approuve pas cet amendement : voilà pourquoi, une fois n’est pas coutume, je m’abstiendrai.

M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.

Mme Laurence Cohen. Il s’agit effectivement d’un débat récurrent, et plusieurs orateurs l’ont dit avec raison : en l’occurrence, nous parlons de soins, et tout médecin doit soigner.

Madame la secrétaire d’État, d’une certaine manière, vous entrouvrez la fenêtre en disant : « Nous allons lutter contre la fraude. »

Les élus de notre groupe sont d’accord pour lutter contre la fraude. Mais je vous ai donné les chiffres : au titre de 2018, les cas de fraude avérée se sont élevés à 38, pour une somme de 500 000 euros, soit 0,06 % de l’ensemble. On est quand même loin des milliards d’euros dont on parle !

Selon M. le rapporteur spécial, le Gouvernement suit une évolution positive ; mais, à ses yeux, vous n’en ferez jamais assez. Il faudra toujours aller plus loin pour attaquer des dispositifs qui relèvent du droit aux soins.

Pour les raisons que j’ai détaillées au cours de la discussion générale, les dispositions proposées nous semblent dangereuses. Nous voterons contre l’amendement n° II-36.