M. Guillaume Gontard. Nous considérons bien au contraire que les entreprises doivent participer au changement de modèle environnemental. C’est même la manière de les rendre innovantes. Par ailleurs, une taxe carbone nationale n’est pas antinomique avec un quelconque dispositif européen.

À nos yeux, le principal défaut de la taxe carbone, telle qu’elle est actuellement mise en œuvre dans notre pays, est non pas qu’elle touche les entreprises, mais bien au contraire qu’elle comporte trop d’exonérations et, surtout, pénalise injustement les ménages.

Une limite importante tient également au fait que cette fiscalité n’est que très peu fléchée au profit de la transition écologique : elle vient en soutien aux politiques d’austérité, justifiant au passage la régression de la fiscalité sur le travail et sur le capital. C’est d’ailleurs ce qui a soulevé la colère des « gilets jaunes ».

Contrairement à ce qui est soutenu au travers de la proposition de résolution, nous pensons que l’existence de normes environnementales est justifiée et témoigne de la prise en compte d’un intérêt général devenu incontournable : la protection de la biodiversité et du vivant et la préservation des ressources, qui ne sont pas un puits sans fin.

Nous notons d’ailleurs que le groupe Les Républicains vote toujours toutes les mesures allant dans le sens d’une régression des normes environnementales, alors même que la situation actuelle nécessite de limiter très fortement les transports, de relocaliser et de diminuer les impacts sur la planète.

La dernière phrase de l’exposé des motifs en dit long : « La proposition de résolution, qu’il vous est demandé de voter, porte la volonté d’une vision ambitieuse de l’écologie, facteur de croissance et de développement, au service des intérêts environnementaux et économiques de l’Union européenne. » Le mythe de la croissance infini est tenace et témoigne de l’absence de compréhension des enjeux environnementaux d’une consommation économe des ressources et de sobriété !

Pour en revenir au fond de votre proposition, nous considérons pour notre part que, si l’idée d’une taxe carbone aux frontières est intéressante, elle est largement insuffisante pour rompre avec un modèle européen libéral.

Comment d’un côté instaurer une barrière écologique et de l’autre accélérer tous les politiques de libéralisation des services publics, alors qu’ils sont justement de formidables outils de lutte contre la pollution ?

Comment affirmer agir pour le développement du fret ferroviaire tout en libéralisant le rail ?

Comment promouvoir la production d’une énergie propre en privatisant les moyens de production ? C’est un contresens que de promouvoir d’un côté la protection de l’environnement et, de l’autre, de mener des politiques uniquement tournées vers le profit et la course aux dividendes, des politiques qui accélèrent le pillage des ressources et qui détruisent nos communs !

Il faut donc, pour accompagner un dispositif bienvenu de barrage écologique aux frontières, dénoncer tous les accords de libre-échange, instaurer à l’échelon européen un haut niveau de garantie pour les services publics et organiser une harmonisation fiscale et sociale pour lutter contre les dumpings environnementaux et sociaux qui s’opèrent au sein même de l’Union européenne.

Pour l’ensemble de ces raisons et, surtout, de ces contradictions, notre groupe s’abstiendra sur cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – M. Joël Labbé applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Decool.

M. Jean-Pierre Decool. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le mécanisme de barrière écologique aux frontières, dont il est question aujourd’hui, est soutenu depuis le début des années 2010 par la France et les gouvernements successifs. Il vient apporter des réponses concrètes à la réduction nécessaire et souhaitée des émissions de gaz à effet de serre

Je tiens à remercier le groupe Les Républicains et les sénateurs Jean-François Husson et Bruno Retailleau, qui nous offrent l’occasion d’approfondir ce sujet devenu fondamental.

M. Jean-Pierre Decool. Nous l’avons remarqué lors des élections européennes du mois de mai dernier, l’idée d’une taxe écologique aux frontières de l’Europe a été très largement partagée par le spectre politique en France. Comme les auteurs de la proposition de résolution le précisent, l’échelon européen semble le plus indiqué pour une efficacité réelle du mécanisme et une protection de nos engagements et de nos règles intérieures.

Le gouvernement actuel fait de ce mécanisme d’ajustement aux frontières un point essentiel de sa vision environnementale et économique européenne, ce que nous saluons, tout comme est essentielle l’importance de la réciprocité dans les accords commerciaux que l’Union européenne est amenée à conclure avec le reste du monde. Il s’agit d’un instrument parmi d’autres du respect de notre modèle, de nos règles et de nos valeurs.

L’Union européenne a consenti des efforts notables sur ce sujet, grâce à la nouvelle génération d’accords internationaux qui inclut un volet social et environnemental. Nous devons poursuivre notre engagement dans ce sens. Le refus de négocier des accords avec des alliés ne respectant pas nos principes doit être considéré comme une juste affirmation de notre identité collective et une volonté de préserver notre système.

L’Europe, qui aspire à la neutralité carbone à l’horizon 2050, est consciente de l’importance d’un mécanisme d’ajustement du carbone aux frontières. La nouvelle Commission européenne l’inscrit d’ailleurs dans la première partie de sa communication présentant son Pacte vert européen. Une proposition sera formulée sur le sujet au cours du dernier trimestre de l’année 2021 ; nous y serons très attentifs et souhaitons que le gouvernement français reste mobilisé sur cet enjeu.

La semaine dernière, le commissaire européen Thierry Breton, présentant les grandes lignes de son projet, a expliqué que le travail s’orientait « pour faire en sorte que nos concurrents paient le juste prix des normes en vigueur chez nous ». C’est important pour l’environnement comme pour notre compétitivité.

La proposition de résolution rappelle que les entreprises vertueuses européennes pourraient être pénalisées par rapport au reste des puissances mondiales. Ces phénomènes de concurrence déloyale et de distorsion ne sont pas acceptables. Les fuites de carbone, comme on les appelle, profitent de l’absence du mécanisme juste, clair et efficace que nous appelons de nos vœux.

De nombreuses questions se posent quant à la forme que pourrait prendre un tel mécanisme. La proposition de résolution évoque la taxation de produits importés fortement émetteurs ou de produits provenant de pays qui ne respectent pas les standards européens en matière environnementale. Ce sont des pistes intéressantes, qui pourraient garantir l’efficacité du dispositif.

Cependant, des limites et des obstacles devront être surmontés.

Tout d’abord, l’Europe doit s’accorder. La vision française de la taxe carbone aux frontières semble s’imposer peu à peu, mais nous devrons trouver des points de compromis. Nous avons noté récemment la complexité des échanges sur la neutralité carbone de l’Union européenne en 2050 et l’absence de participation de la Pologne à ce dispositif, pour le moment.

Les questions fiscales relèvent de la compétence nationale, et il faudra obtenir l’unanimité des États membres pour créer une taxe écologique à l’échelon européen. Certains de nos partenaires restent à convaincre.

Par ailleurs, comme le souligne très justement la proposition de résolution, la barrière écologique aux frontières devra respecter les règles de l’Organisation mondiale du commerce. Nous connaissons tous le principe de non-discrimination des produits similaires, d’où la nécessité d’établir le bon format, afin de s’assurer d’une dérogation efficace.

Enfin, la dernière interrogation que je souhaite porter à votre attention, mes chers collègues, porte sur la méthode de mesure de l’empreinte des produits et sur le montant du prix du carbone qui seront suffisamment efficaces pour permettre de créer une barrière performante et influente.

N’oublions pas que nous souhaitons non seulement nous protéger économiquement et sauvegarder notre environnement, mais également inciter d’autres parties du monde à respecter des engagements environnementaux forts, notamment ceux qui ont été pris lors de la COP21 à Paris.

Cette taxe pourrait ainsi créer parallèlement deux cercles vertueux : un premier, international, où entreraient le plus de pays possible, qui réduirait notre impact global sur l’environnement ; un second, européen, où la taxe permettrait de financer la transition écologique de notre ensemble.

De nombreux volets sont à soutenir en termes de recherche et d’innovation, de rénovations ou de financement vert, pour ne citer que ces points. Afin d’accomplir tous ces efforts, les moyens financiers se révéleront déterminants. C’est pourquoi il est primordial de redistribuer de manière pratique et utile les recettes d’un tel mécanisme.

Le gouvernement français doit continuer à défendre la taxe carbone et à persuader ses partenaires européens de construire un mécanisme performant. Le groupe Les Indépendants en est convaincu et votera donc cette proposition de résolution. Il y va de la protection de notre modèle et de notre compétitivité, mais aussi de l’influence mondiale que l’Europe ambitionne d’avoir sur les sujets économiques et environnementaux dans les décennies à venir.

Mes chers collègues, l’horizon 2050 commence aujourd’hui. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Valérie Létard. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Valérie Létard. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, voilà sept mois, la mission d’information sur l’avenir de la sidérurgie présentait son rapport final. Sa conclusion était claire : il est urgent de « donner des armes » aux producteurs français d’acier, face à une compétition mondiale féroce, à des concurrents proposant des prix toujours plus cassés et au défi immense de la transition environnementale.

La proposition de résolution qui nous est présentée aujourd’hui répond à l’appel lancé par ce rapport d’information. Elle vise justement à « donner une arme » concrète aux entreprises européennes, afin que l’ambition écologique, qui ne doit pas être remise en question, dépasse les frontières de notre marché intérieur.

Dans le cas de l’acier, ressource d’importance stratégique que nous avons étudiée de près, le déséquilibre est flagrant. L’industrie française consomme en majorité de l’acier importé, alors même que nous avons fermé 144 des 152 hauts-fourneaux français en cinquante ans. À l’inverse, la Chine produit aujourd’hui la moitié de l’acier mondial, en grande partie dans des fourneaux obsolètes et extrêmement polluants, mais elle ne connaît ni quota carbone ni taxation énergétique.

Le résultat est clair : l’acier plat chinois est en moyenne environ 20 % moins cher que l’acier européen, à qualité et techniques égales. Les importations d’acier par la France ont augmenté de 70 % en cinq ans.

Entendons-nous bien : nous risquons là de manquer notre objectif ! Au-delà de notre industrie, c’est la protection de l’environnement qui pâtit de ces déséquilibres. L’empreinte carbone de la France s’est détériorée malgré tous les efforts des acteurs économiques, malgré les immenses efforts financiers consentis. Je rappelle, par exemple, que la « compensation carbone » coûte, à elle seule, 280 millions d’euros par an à notre pays.

La transition énergétique et écologique de l’industrie européenne ne pourra se faire si les politiques publiques tuent les entreprises les plus vertueuses.

Je partage donc entièrement l’objectif de la proposition de résolution de Jean-François Husson et Bruno Retailleau : il faut restaurer des conditions de concurrence équitables, en compensant le déficit de compétitivité résultant des contraintes environnementales imposées à nos entreprises. Même si ces dernières sont nécessaires, nos entreprises doivent disposer des outils adaptés.

La bonne solution, c’est d’inciter nos partenaires commerciaux à adopter des modes de production plus vertueux, sous peine d’acquitter une taxe aux frontières de l’Europe. Il faudra travailler sur la nature de cette taxe et sur le calibrage des outils de mesure, mais je partage le point de vue de notre collègue Jean-Pierre Decool : il est tout à fait vrai que certaines questions doivent encore être réglées. Dans ces conditions, les mêmes règles du jeu vaudront pour tout le monde.

Ce principe d’action, cette réponse, ne peut évidemment être qu’européen, madame la secrétaire d’État. C’est pourquoi le gouvernement français doit s’engager à continuer de défendre auprès des institutions européennes la mise en place d’un mécanisme d’inclusion carbone aux frontières du marché intérieur.

Aujourd’hui, la réflexion mûrit, et la dynamique est bonne : la nouvelle Commission a repris cette proposition, émise de longue date par la France.

Nous demandons à l’exécutif de poursuivre ses efforts, afin de rallier tous les États membres. Il faut enfin entrer dans une dynamique vertueuse, constructive, concrète, grâce à laquelle les efforts des industriels en faveur de l’environnement seront réellement valorisés, plutôt que d’être vus comme des poids pour l’emploi et la prospérité de l’Europe.

En conclusion, madame la secrétaire d’État, il faut faire en sorte que le temps de l’Europe corresponde au temps réel de l’économie, afin que les entreprises vertueuses, celles qui ont fait justement l’effort de s’adapter aux nouveaux enjeux, ne meurent pas. L’Europe doit être au service de nos concitoyens et de l’économie de tous les États membres ; sinon, nous aurons tout perdu, et la crédibilité de l’Union européenne en pâtira. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains. – M. Jean-Pierre Decool applaudit également.)

M. Jean Bizet. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Jean Bizet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean Bizet. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens à mon tour à remercier notre collègue Jean-François Husson de nous permettre de débattre de la stratégie de l’Union européenne en matière de lutte contre les dérèglements climatiques, de ses conséquences économiques éventuelles et des mesures à adopter pour concilier développement durable, développement économique et inclusion sociale.

Aujourd’hui, au travers de cette proposition de résolution, Jean-François Husson lance un appel à la vigilance et à l’action : il s’agit de mettre en œuvre des mécanismes d’accompagnement adaptés à l’échelon européen.

C’est une nécessité, alors que le Conseil européen, suivant le Pacte vert pour l’Europe présenté par la Commission, ambitionne de faire de l’Europe un continent climatiquement neutre d’ici à 2050. L’Europe, qui souhaite être à la pointe de l’action contre les dérèglements climatiques, sera ainsi exemplaire dans la mise en œuvre de l’accord de Paris sur le climat.

Il ne faut toutefois pas se voiler la face : atteindre la neutralité carbone demandera d’intenses efforts. La Commission européenne le souligne d’ailleurs dans sa communication sur le Pacte vert, en affirmant qu’il faut « transformer l’économie de l’Union ».

Pour mener à bien cette transformation, la Commission entend utiliser de nombreux leviers, que ceux-ci soient budgétaires, fiscaux ou même taxonomiques, pour encourager les investissements orientés vers le développement durable. Sur ces différents points, je vous renvoie à la communication qu’a présentée notre collègue Jean-Yves Leconte à la commission des affaires européennes, en novembre dernier.

Certaines filières bénéficieront de cette transformation économique. Le développement des technologies bas carbone représente un potentiel considérable. Il y a là une occasion que l’Europe doit saisir en développant des filières à la fois innovantes, compétitives et pourvoyeuses d’emplois. En résumé, il nous faudra mener une réflexion fondée sur la transgression, l’innovation et la brevetabilité.

D’autres filières subiront des contraintes nouvelles, et il faudra les accompagner. Tel sera notamment l’objet du nouveau fonds de transition promis par la Commission. Je forme le vœu que cet accompagnement soit bien calibré, afin d’éviter que certains de nos concitoyens ne se sentent exclus de la marche de l’Europe.

L’Europe n’évolue pas dans une bulle, à l’abri des contraintes extérieures. L’émergence sur notre sol de processus industriels vertueux, qui nécessitera des investissements gigantesques, n’aura qu’une portée limitée pour lutter contre le changement climatique si les conditions de l’échange international n’évoluent pas et si nous ne sommes pas en mesure de lutter contre le dumping écologique.

Rappelons à cet égard que les États-Unis, la Chine, l’Inde, le Brésil ou encore la Russie n’ont pris aucun engagement similaire à ceux de l’Europe, et que rien n’indique qu’ils le feront dans un proche avenir. J’ajoute, sans vouloir être provocateur, que l’Europe ne produit que 9 % des émissions de gaz à effet de serre à l’échelon mondial. On peut être vertueux et être un initiateur, mais cet élément doit être pris en compte.

Je me félicite donc que la Commission européenne, dans sa communication sur le Pacte vert présenté en décembre dernier, affirme qu’elle entend « utiliser son influence, son expertise et ses ressources financières pour inciter les pays de son voisinage et ses partenaires à la rejoindre sur une trajectoire durable », mais aussi qu’elle souligne « la nécessité de préserver sa sécurité d’approvisionnement et de maintenir sa compétitivité, même lorsque les autres ne sont pas disposés à agir ».

Ne soyons pas naïfs, de l’autre côté de l’Atlantique, nos amis américains investissent différemment et brevettent. Lorsqu’ils maîtriseront suffisamment leurs brevets, ils les imposeront à l’Europe. Être vertueux, c’est bien ; être innovant, ce n’est pas mal non plus !

De manière très concrète, lors de sa venue à Paris la semaine dernière, au cours de laquelle il s’est entretenu avec le président Larcher, le commissaire européen au commerce Phil Hogan a indiqué qu’il entendait faire du respect de l’accord de Paris une clause essentielle des futurs accords commerciaux. C’est un point important, qui témoigne de la volonté de cette commission d’affirmer la puissance commerciale de l’Europe et d’utiliser les relations commerciales pour « faire la norme » à l’échelon mondial. Je le dis souvent : la norme fait le marché.

Cette proposition de résolution insiste par ailleurs évidemment sur les mesures à prendre tant que d’autres États ne joueront pas le jeu, tant qu’ils ne partageront pas notre ambition. Nous ne pouvons accepter ce que les experts appellent le risque de fuite de carbone, c’est-à-dire la possibilité que des productions soient transférées de l’Union vers des pays moins ambitieux.

J’aurais encore beaucoup à dire, mais je serais alors rappelé à l’ordre par le président de séance… (Sourires.)

Pour conclure, je ferai miens les propos de Valérie Létard sur les filières de l’acier et de l’aluminium.

Madame la secrétaire d’État, on voit bien que la Chine et l’Indonésie sont en train de nous prendre des parts de marché assez considérables et que, indépendamment de la problématique des fuites de carbone, il faut mettre en place des mesures compensatoires. L’Europe prend toujours des décisions de façon tardive ; pendant ce temps, les entreprises souffrent lamentablement… (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. André Gattolin applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.

M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de résolution de nos collègues du groupe Les Républicains est très générale, mais elle va dans le bon sens. On peut simplement regretter, comme cela a déjà été dit par certains de nos collègues, que ses auteurs ne font qu’affirmer un principe, sans entrer dans le détail de sa mise en œuvre.

Cette proposition de résolution est conforme aux orientations de la Commission européenne sur l’ajustement carbone aux frontières. L’occasion nous est donc donnée d’en discuter aujourd’hui.

Rappelons que l’Union européenne s’est fixé pour objectif de réduire d’au moins 40 % ses émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030, voire de 50 %, par rapport aux niveaux de 1990, et de parvenir à la neutralité carbone en 2050. Tous ces engagements ne seront toutefois qu’une tartufferie si, en parallèle, nos importations représentent l’équivalent de 50 % de nos émissions !

Il faut savoir que les importations françaises représentent aujourd’hui 60 % d’émissions de plus qu’en 1990. Tous les efforts que nous faisons pour réduire nos émissions de carbone peuvent donc être totalement réduits à néant par nos délocalisations.

Il faut agir différemment. C’est la raison pour laquelle, depuis 2005, l’Union européenne a mis en place un marché du carbone, le premier au monde, le but étant d’élever le prix de l’émission de la tonne de carbone, afin de limiter les activités. Mais de telles mesures pèsent, cela a été dit, sur la compétitivité de nos entreprises.

De ce point de vue, on doit saluer l’instauration d’un marché du carbone en Chine en 2017. Il appartient à l’Union européenne d’inciter ses principaux partenaires à mettre également en place de tels marchés qui, par convergence, nous permettrons de ne plus constater d’empreinte carbone supérieure à nos émissions, du fait des délocalisations.

Lorsque l’on réfléchit à l’instauration d’une barrière écologique, il faut se poser quelques questions : souhaitons-nous renverser les règles du commerce mondial ou voulons-nous un dispositif conforme aux règles de l’Organisation mondiale du commerce, quelles que soient les difficultés de cette organisation aujourd’hui ? Voulons-nous une taxe ou une compensation ? On comprend le mot « barrière », mais que recouvre-t-il concrètement dans le cas d’espèce ?

Si un mécanisme de compensation carbone devait être instauré, un peu comme celui qu’envisage la Commission européenne, comment traiterions-nous alors les grandes industries qui, aujourd’hui, bénéficient de quotas gratuits jusqu’en 2030 ? Devraient-elles aussi payer ? Si elles devaient ne pas payer, nous aurions un problème avec l’OMC ; si elles devaient payer, je crains que, en voulant les aider, nous ne les handicapions jusqu’en 2030.

Il faut aussi veiller aux rétorsions que nous pourrions subir dans un certain nombre de secteurs, en particulier dans les secteurs agricole et agroalimentaire.

Bien entendu, nous sommes tous d’accord ici sur le fait qu’il est absolument inacceptable de continuer à commercer, comme si de rien n’était, avec des pays qui ne respectent pas l’accord de Paris. Nous devons utiliser la force et la taille du marché européen pour inciter nos partenaires à le respecter.

Il faut aussi avoir à l’esprit que le protectionnisme n’est pas l’ami de l’écologie. Les circuits courts ne sont pas automatiquement synonymes d’absence d’émissions. Le transport maritime et le transport aérien émettent moins de CO2 que les data centers. Le commerce international n’est pas l’ennemi de l’écologie. Simplement, il faut mettre l’un et l’autre en adéquation.

Madame la secrétaire d’État, pourriez-vous nous dire si les dispositions envisagées par la Commission européenne sont en congruence avec les accords de libre-échange que l’Union européenne a signés et ratifiés jusqu’à présent, en particulier le CETA (accord économique et commercial global) ?

Par ailleurs, serons-nous exigeants de ce point de vue, dans le cadre de notre future relation avec le Royaume-Uni ? (Mme la secrétaire dÉtat opine.) Ces questions sont importantes, le risque étant que toute l’architecture des compétences de l’Union européenne ne tombe.

Voulons-nous ne viser que les grandes industries qui sont émettrices de carbone parce qu’elles sont consommatrices d’énergie – le papier, l’acier, le verre, la chimie, le ciment – ou souhaitons-nous évoluer vers une certification des émissions carbone qui toucherait l’ensemble des biens ? De ce point de vue, la Chine, qui a mis en place, je le rappelle, un marché carbone, peut être un partenaire de travail sur ce type de certification.

Il faut savoir que si l’on vise les grandes industries émettrices de carbone, le pays qui serait principalement visé serait la Chine, suivi du Moyen-Orient, des États-Unis et de la Russie.

M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.

M. Jean-Yves Leconte. Je commence à conclure ! (Sourires.)

M. le président. Il faut plutôt finir de conclure !

M. Jean-Yves Leconte. Il faut aussi faire en sorte que cette certification carbone incite l’ensemble de nos partenaires à émettre moins de gaz à effet de serre.

En conclusion, le groupe socialiste et républicain votera cette proposition de résolution, malgré les questions que nous nous posons sur ce sujet. (Plusieurs sénateurs du groupe Les Républicains manifestent leur impatience en martelant leur pupitre.) Mais comment sera utilisé le produit de cette nouvelle taxation ? (M. André Gattolin applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Jean-François Longeot. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Jean-François Longeot. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier le groupe Les Républicains de cette proposition de résolution, qui est cohérente avec l’actualité européenne récente et qui défend une certaine vision européenne, sur laquelle je reviendrai.

En effet, la nouvelle Commission européenne souhaite renouer avec un agenda positif, l’objectif étant de faire de l’Union européenne le premier continent neutre en carbone en 2050, grâce à la mise en œuvre de plusieurs politiques d’envergure, telles qu’un plan d’investissement massif dans la transition écologique ou encore la création d’une taxe carbone aux frontières.

Ce projet pourrait être vu comme le nouvel acte protectionniste d’une guerre commerciale, qui reléguerait la lutte contre le changement climatique derrière des intérêts nationaux. Il n’en est rien ! Au contraire, un tel outil permettrait enfin à l’Union européenne de se doter d’une stratégie d’ensemble et de concilier ambition écologique et efficacité économique.

Jusqu’alors, les gros émetteurs participaient à un marché européen des quotas de carbone, qui a rapidement perdu sa crédibilité et qui a envoyé des signaux économiques contradictoires. Les émetteurs diffus, quant à eux, étaient soumis à des taxes nationales sur le carbone, taxes non coordonnées, voire concurrentes.

Or une taxe aux frontières permettrait, d’une part, de prévenir les fuites de carbone, qui rendent les dispositifs nationaux inefficaces, et, d’autre part, de protéger les entreprises européennes contre tout risque de concurrence déloyale de la part d’acteurs non soumis aux mêmes contraintes.

Si l’Europe veut être pionnière dans la transition écologique, elle devra poursuivre une politique climatique ambitieuse consistant à restaurer la crédibilité du marché du carbone en interne, et mettre en place la taxe carbone aux frontières, afin de compenser l’impact du prix du carbone sur la compétitivité des entreprises européennes.

La transition écologique ne doit pas opposer écologie et compétitivité ; elle ne doit pas non plus opposer écologie et justice sociale. À cet égard, l’objectif des taxes nationales reste bien de verdir la fiscalité, et non de l’alourdir. De même, une fiscalité carbone aux frontières aurait des effets redistributifs plus importants qu’une taxe carbone domestique, en ce qu’elle porte sur des biens substituables, contrairement aux produits énergétiques.

En parallèle, les objectifs du New Green Deal imposent de soutenir les investissements dits « verts ». À cet égard, je suis convaincu de la nécessité de faciliter de tels investissements, en permettant aux États membres de les extraire du pacte de stabilité et de croissance, comme l’a suggéré récemment le nouveau commissaire à l’économie, Paolo Gentiloni. C’est une position que je partage pleinement, pour l’avoir suggérée dans une proposition de résolution déposée au Sénat le 10 septembre dernier.

Je le disais en introduction, la taxation du carbone aux frontières de l’Europe n’est pas une manière pour l’Europe de défier ses partenaires commerciaux. Alors qu’un prix du carbone n’a pas pu être inscrit dans l’accord de Paris, la mise en place de cette taxation au sein de l’Union européenne assurerait au continent une crédibilité sur la scène internationale et une influence sur ses partenaires.

Elle traduirait également un pouvoir d’initiative retrouvé, qui permettra à l’Europe, j’en suis sûr, d’orienter les grandes transformations que connaît notre monde et de montrer, à rebours du constat amer de Paul Valéry, qu’elle est capable d’avoir « la politique de sa pensée ». (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)