5

 
Dossier législatif : proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, demandant au Gouvernement de porter au niveau de l'Union européenne un projet de barrière écologique aux frontières
Discussion générale (suite)

Barrière écologique aux frontières

Adoption d’une proposition de résolution

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, demandant au Gouvernement de porter au niveau de l'Union européenne un projet de barrière écologique aux frontières
Discussion générale (fin)

M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe Les Républicains, l’examen de la proposition de résolution demandant au Gouvernement de porter au niveau de l’Union européenne un projet de barrière écologique aux frontières, présentée, en application de l’article 34-1 de la Constitution, par MM. Jean-François Husson, Bruno Retailleau et plusieurs de leurs collègues, (proposition n° 165).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean-François Husson, auteur de la proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-François Husson, auteur de la proposition de résolution. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, au mois de mai prochain, nous célébrerons le soixante-dixième anniversaire de la « déclaration Schuman ». Ce Lorrain éminent avait vu juste en déclarant que l’Europe ne se ferait « pas d’un coup ni dans une construction d’ensemble », mais qu’elle prendrait la voie de « réalisations concrètes, créant d’abord une solidarité de fait ».

Force est de constater que ce souffle, aujourd’hui, manque à notre continent. L’Union européenne est en panne de projets fédérateurs, sa législation est vécue davantage comme une contrainte que comme une opportunité de développement économique et nos concitoyens peinent à se retrouver dans cet ensemble désormais très vaste.

L’Union européenne a d’abord été une réalisation économique, avant de devenir, avec le traité de Maastricht, un ensemble politique sur la voie de l’unification. Notre Union a, par sa taille, par sa force économique et commerciale, par la détermination d’une partie croissante de sa population aussi, tout intérêt à devenir, demain, une puissance écologique de premier plan.

Comment le pourrait-elle ? J’identifie, pour ma part, trois axes de travail.

Le premier de ces chantiers est d’ordre philosophique. Il s’agit de réconcilier l’écologie et la croissance économique.

Certains, depuis longtemps, ont souhaité faire de l’écologie sans la croissance et, parfois, contre cette dernière. Cela a donné les discours les plus rétrogrades, déclinistes et collapsologues. L’avenir de notre planète mérite pourtant d’être abordé avec sérieux et hauteur de vue, grâce à une action éclairée par la vérité scientifique.

Héritiers des Lumières, nous devons porter une adaptation de nos sociétés aux nouveaux défis grâce à la raison et au progrès, et non sombrer dans un déclinisme moribond, aux relents populistes.

Une écologie privée de croissance, soyons-en sûrs, ne bénéficierait qu’aux éternels donneurs de leçons pour qui la cause environnementale s’est toujours résumée en un « yakafokon » démagogique. Elle ne pourra en revanche que pénaliser ceux pour qui l’écologie a toujours été ressentie comme une contrainte, alors qu’elle aurait dû être source de chances nouvelles.

Pour autant, mes chers collègues, soyons lucides : une croissance sans écologie aurait des effets tout aussi néfastes. Les années de prospérité économique reposant sur une production carbonée et polluante sont à oublier, au risque pour les acteurs économiques qui décideraient de maintenir ce modèle de croissance d’être confrontés très prochainement à des pénuries évidentes de matières premières.

Le pragmatisme nous commande donc fil des modèles économiques permettant un développement soutenable dans le temps long.

Par ailleurs, les années de « croissance sale » sont à oublier parce qu’une partie toujours plus nombreuse de nos nations n’en veut plus. La revendication climatique a parfois ses excès, et toujours il faudra, dans ces débats complexes, l’appui de la science et de la raison. Pour autant, refuser de constater que les conditions de la croissance ont changé, c’est se condamner à la « cornerisation » politique autant qu’au suicide économique.

Ouvrons les yeux : quand la France aligne péniblement 100 millions d’euros pour son plan hydrogène, la Chine a déjà investi 11 milliards d’euros !

Bien plus qu’un créneau idéologique, je considère depuis longtemps l’écologie comme une occasion majeure de développement économique, de cohésion sociale et d’interaction territoriale.

Le deuxième défi à relever est donc celui de l’unité de notre continent, autour d’une ambition climatique forte.

Vous le savez, la France a consenti des efforts importants au nom de la transition écologique. Ces efforts ne seront acceptés que s’ils sont justes et équitablement partagés par tous. Mais si nous sommes les seuls à faire des efforts, nous perdrons le double combat de l’efficacité environnementale et de l’équité économique.

Les exemples sont nombreux, dans nos départements, d’entreprises pénalisées par cette absence de réciprocité normative entre États membres de notre Union européenne. Des entrepreneurs se battent pourtant pour accélérer la transition écologique de leurs productions.

Comment, dès lors, accepter que, à quelques centaines de kilomètres de là, un membre éminent de l’Union puisse remettre en service ses centrales à charbon ? Comment expliquer qu’un autre État puisse délibérément refuser de s’engager avec le reste de l’Europe sur la voie d’un continent en voie de verdissement ? Comment continuer à imposer une fiscalité carbone aussi élevée dans notre pays, alors que seuls cinq États membres s’en sont dotés ?

Je crois, mes chers collègues, que nous ne pouvons plus faire comme si notre pays évoluait en dehors d’une économie ouverte, au sein de laquelle les actions de l’État ont souvent le même effet qu’un éléphant au milieu d’un magasin de porcelaine.

L’Union européenne a donc tout à gagner à l’harmonisation des législations environnementales. Dans ce contexte, la France peut être, avec les pays de l’Europe du Nord, une force de transformation.

Ne nous y trompons pas : sans revitalisation des secteurs primaire et secondaire, nous ne parviendrons que difficilement à maintenir notre rang dans la mondialisation.

Or l’écologie, à condition d’être une ambition partagée par toutes les nations européennes, peut être demain, je le crois, une composante majeure des politiques économiques européennes. Si tous les États membres de l’Union avancent dans la même direction, nous pourrons alors sortir de la dépendance aux importations qui affaiblissent aujourd’hui l’économie de notre continent. C’est notamment vrai pour l’énergie.

Qu’attendons-nous pour bâtir une union de l’énergie où tous les pays mettraient en commun leurs avantages comparatifs, après analyse en cycle de vie – le nucléaire français, le renouvelable pour l’Allemagne ou la biomasse pour l’Europe du Nord –, pour aboutir à une vraie indépendance énergétique ?

Qu’attendons-nous pour donner à la politique commerciale européenne son pendant industriel, avec des investissements massifs dans la transition énergétique, pour une véritable valeur ajoutée à l’international et l’exportation de nouveaux brevets ?

Qu’attendons-nous, enfin, pour aligner les standards qualitatifs de l’agriculture européenne sur un mieux-disant environnemental, garantissant tout autant la sécurité sanitaire, la traçabilité et la qualité des produits, pour mettre fin aux importations, qui sont aberrantes sur le plan écologique et destructrices sur le plan économique ?

Vous le voyez, mes chers collègues, ce n’est donc que dans la conjugaison des forces et dans le juste partage des efforts, que notre Union européenne pourra apparaître, à la face du monde, comme une puissance économique et écologique unie et cohérente, capable de valoriser le travail de ses entreprises et de ses agriculteurs.

C’est aussi la condition pour que nos citoyens retrouvent foi dans le projet européen. En effet, si l’Europe tarde encore à agir pour le climat, elle aura beau être un géant économique, elle n’en restera pas moins un nain politique.

Pour que ce chantier que je nous propose ait du sens, il lui faut une clé de voûte, qui constitue le cœur de la proposition de résolution que nous débattons et qui représente la troisième piste de réflexion.

Pourquoi une barrière écologique aux frontières de l’Union européenne ? L’enjeu est double. Comme je l’ai indiqué, nous ne pouvons plus accepter que l’écologie soit vue comme une entrave au développement économique de nos entreprises. Or elle l’est encore largement aujourd’hui, à cause de la concurrence déloyale que nous fait subir un certain nombre de nos partenaires commerciaux, affranchis de toutes les règles environnementales que nous avons choisi d’adopter.

Les récents débats sur le CETA (accord économique et commercial global) l’ont montré : inutile d’avoir fait quarante ans de politiques environnementales pour ouvrir, sinon à tout va, du moins trop largement nos marchés à des produits issus de pratiques que nous condamnons !

Sans protection écologique à nos frontières, nous serons également condamnés à l’impuissance climatique.

Le bilan carbone des économies européennes est aujourd’hui dominé, non par les émissions de CO2 nationales, mais par l’ensemble des émissions liées aux importations. Nous pourrons donc continuellement durcir nos normes, alourdir nos fiscalités énergétiques, si rien n’est fait pour faire changer nos partenaires commerciaux, nous aurons perdu d’avance la bataille du climat.

Il convient ainsi de rétablir une justice économique et écologique dans nos échanges, par l’instauration d’une taxation des importations provenant de pays s’affranchissant de tout engagement climatique. C’est tout le sens de la proposition de résolution que nous présentons devant vous, avec une centaine de membres du groupe Les Républicains et son président, Bruno Retailleau.

Madame la secrétaire d’État, la balle est dans votre camp. Il est grand temps de sortir du greenwashing et des bonnes intentions, pour réaliser dès maintenant, alors même qu’un consensus sociétal existe, les évolutions nécessaires à l’échelon de l’Union européenne ; c’est en effet celui qui convient le mieux pour que les actions nationales ne se retrouvent pas prisonnières de l’attitude du passager clandestin adoptée par d’autres pays.

L’un de nos illustres prédécesseurs au Sénat, Victor Hugo, avait l’audace de déclarer : « Ce que Paris conseille, l’Europe le médite ; ce que Paris commence, l’Europe le continue. ». Entendez donc, madame la secrétaire d’État, la voix du Sénat, qui vous invite et vous presse d’agir pour réconcilier économie et écologie au service de la prospérité de l’Union européenne et de son rayonnement mondial. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

M. le président. La parole est à M. Joël Labbé.

M. Joël Labbé. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je commencerai cette intervention sur une notre positive, car il est réjouissant de voir les questions climatiques de plus en plus mises à l’agenda. Le discours selon lequel « l’écologie ça suffit », qui n’est pas si ancien, n’a plus droit au chapitre, et c’est une bonne chose. Il faut dire que les événements climatiques extrêmes en France comme dans le monde permettent difficilement d’ignorer l’urgence environnementale à laquelle nous faisons face.

Cependant, après les paroles, il faut des actes forts. Or, aujourd’hui, on peine encore à distinguer derrière les discours les actions concrètes qui permettraient d’affronter véritablement les enjeux se présentant à nous.

C’est pourquoi il nous semble nécessaire que le sujet de la « barrière écologique aux frontières » soit à l’ordre du jour. J’espère que cette idée, qui figure aujourd’hui dans tous les discours, pourra déboucher sur la mise en place de mécanismes à la fois efficaces et justes.

Ce sujet semble, dans son principe en tout cas, faire consensus dans notre pays : la taxation carbone aux frontières faisait partie du programme de la plupart des formations politiques françaises lors des élections européennes. De même, via le Green Deal, la présidente de la Commission européenne a annoncé envisager un ajustement carbone aux frontières si les écarts entre l’Union européenne et le reste du monde persistaient.

En effet, en plus de rétablir une certaine équité dans les échanges internationaux, une taxation bien pensée pourrait inciter les entreprises à adopter des technologies bas-carbone et à apporter les recettes nécessaires au financement d’une transition écologique à la fois efficace et juste.

Une récente étude de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), publiée le 9 janvier dernier, indique qu’une taxe carbone aux frontières bien conçue pourrait avoir des effets redistributifs, tout en permettant aux ménages de s’orienter efficacement vers des biens moins polluants.

Or on sait qu’il est nécessaire, pour des questions d’acceptabilité, mais aussi et surtout de justice sociale, que la transition écologique contribue à réduire les inégalités.

Cependant, cette question est très complexe, et, pour qu’elle soit abordée de manière constructive, il est nécessaire de répondre à certaines interrogations sur les modalités de mise en œuvre des dispositifs déployés à cette fin.

Tout d’abord, on peut se demander comment échapper aux accusations de protectionnisme déguisé. La proposition de résolution prévoit ainsi de taxer aux frontières les produits fortement émetteurs de gaz à effets de serre. Pour être légitime, il faudrait que cette taxe s’applique de manière identique sur les producteurs européens. Or cette solution ne semble pas proposée au travers du texte qui nous est soumis.

Aussi ce texte ne serait-il pas compatible avec les règles du commerce international et sa légitimité serait-elle difficile à défendre. L’ajustement carbone aux frontières ne doit pas constituer un simple outil de protectionnisme : il doit favoriser les produits les plus respectueux de l’environnement et inciter l’ensemble des acteurs à faire évoluer leurs pratiques, et pas uniquement les producteurs des pays tiers.

L’autre mesure proposée au travers de ce texte, à savoir une taxation des produits provenant de pays ne respectant pas les standards européens en matière environnementale, nous paraît plus juste et plus réalisable, mais la proposition de résolution ne semble l’envisager que secondairement.

Au-delà des questions de mise en œuvre, afin de contrer toute accusation de protectionnisme déguisé, il convient de s’interroger sur l’insuffisance des efforts nationaux.

Quelle pourrait être la légitimité de la France à exiger un renforcement de la taxe carbone en Europe, alors qu’elle fait partie des plus mauvais élèves européens en matière de recettes fiscales environnementales en pourcentage du produit total d’impôts et de cotisations ?

M. Stéphane Piednoir. Ça, c’est un indicateur !

M. Joël Labbé. Même l’Europe est loin d’être exemplaire concernant sa politique de réduction de gaz à effet de serre.

Comme le relevait le Réseau Action Climat à ce sujet, les émissions de l’industrie n’étant pas en baisse en Europe faute de réelles mesures, la proposition d’une taxe carbone aux frontières revient à faire payer notre inaction par le monde extérieur.

Pour mener à bien cette nécessaire transition écologique, nous nous devons de mener une action volontariste, à l’échelon tant national qu’intraeuropéen, pour amorcer un véritable changement de nos modes de productions et de consommation.

Pour nous, la nécessaire relocalisation de l’économie ne doit pas seulement passer par une taxe carbone. Ainsi, réserver les marchés publics à des entreprises européennes serait une autre piste pour amorcer une transition. (M. Stéphane Piednoir sexclame.)

De même, en agriculture, pour citer un secteur particulièrement touché par la compétition mondiale, afin d’éviter que nos paysans ne subissent la concurrence déloyale des pays n’ayant pas les mêmes normes que les nôtres, la relocalisation de l’alimentation – nous aurons l’occasion de revenir très souvent sur ce sujet cette année –, notamment dans la restauration collective, nous paraît une priorité.

Par ailleurs, les questions de la responsabilité différenciée des pays du monde dans le réchauffement climatique et de l’impact potentiel de cette taxe sur les pays émergents ne sont pas non plus abordées dans cette proposition de résolution. Or elles doivent être posées.

Enfin, les normes environnementales sont présentées ici essentiellement sous l’angle d’une perte de compétitivité. Ce texte n’appelle pas réellement à plus d’ambition nationale. Or, si dans certains secteurs précis le risque de « fuite de carbone » est réel, nous avons de nombreuses marges de manœuvre pour agir en France et dans l’Union européenne, nous semble-t-il, sans faire porter aux autres pays la responsabilité de notre manque de volontarisme.

Pour conclure, si le sujet est important et dans la mesure où la nécessité de mettre en place une taxation du carbone aux frontières est urgente, ce texte ne me semble pas porter une ambition suffisante aux échelons national et intraeuropéen. C’est la raison pour laquelle, à titre personnel, je m’abstiendrai. Cependant, les positions sont diverses au sein du groupe RDSE. (M. Yvon Collin applaudit.)

M. le président. La parole est à M. André Gattolin.

M. André Gattolin. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je salue tout d’abord l’initiative du groupe Les Républicains : cette proposition de résolution, dans ses grandes lignes, se fixe les mêmes objectifs que la France et son gouvernement et que l’Union européenne dans sa configuration actuelle.

En effet, ce texte envisage un objectif environnemental et climatique dont on sait qu’il est aujourd’hui majeur, stratégique et essentiel. Par ailleurs, il définit un périmètre d’action qui, à mon sens, est le périmètre pertinent dans ce domaine, à savoir le périmètre européen.

Tous ici, sinon la plupart d’entre nous, nous sommes favorables au commerce international, à condition bien sûr que celui-ci soit régulé.

Or les tensions commerciales, pour ne pas dire les prémices de guerre commerciale, que l’on a pu voir émerger ces derniers mois, mais surtout la paralysie de longue date de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) – paralysie renforcée par le fait que l’organe de règlement des différends entre les pays ne fonctionne plus vraiment, dans la mesure où les États-Unis, je le rappelle, n’ont toujours pas nommé leur juge –, font que l’on assiste à un délitement global de l’OMC, que l’on apprécie ou pas cette institution.

Cette situation a notamment conduit l’Union européenne dans une intense politique d’accords commerciaux et de libre-échange ces dernières années, en particulier depuis une décennie. Il faut le rappeler, la question du commerce international et du commerce extérieur est l’une des compétences propres et exclusives de l’Union européenne.

Cette démarche s’est traduite par certains succès commerciaux, comme les accords entre l’Union européenne et la Corée du Sud, qui ont permis de rétablir un équilibre dans nos échanges entre ces deux parties du monde, mais elle a aussi montré ses limites et parfois connu des échecs.

Ces limites s’expliquent par le fait que, bien souvent, nous nous sommes fondés sur une théorie très classique, pour ne pas dire néo-libérale, de libre-échange, et celle-ci est peu portée sur le principe de conditionnalité et sur les exigences relatives au commerce. Or on ne commerce pas de la même manière avec des pays qui s’inscrivent dans les logiques de l’État de droit et respectent un haut niveau de normes sanitaires et environnementales qu’avec les autres pays.

De la même manière, la logique de réciprocité – si je te donne quelque chose, que me donnes-tu en retour ? – a longtemps été absente. Ces derniers mois, nous l’avons vu, la question de la réciprocité a été de plus en plus posée, notamment entre l’Union européenne et la Chine, mais également entre les États-Unis et la Chine. Tout cela faisait défaut dans les accords conclus par l’Union européenne dans le passé.

Par ailleurs, on le voit bien, cette absence de réciprocité nous ramène à la question qui nous intéresse, celle de la lutte contre le changement climatique, par exemple au travers de l’absence d’une taxation carbone externe à ce que l’on appelle les fuites de carbone vers des pays aux industries fortement émettrices – c’est très bien rappelé dans l’exposé des motifs. Sans aller jusqu’à reprendre totalement à mon compte les propos de l’orateur précédent, il faut reconnaître que nous avons tendance à exporter notre pollution en délocalisant ce que nous faisons.

Les traités internationaux de libre-échange qui ont été conclus dans l’Union européenne avec des pays tiers présentent une autre faille, à savoir le faible suivi et la faible vérification de la mise en œuvre des mesures prévues ; nos collègues américains appellent cela l’accountability, un terme qui est très difficilement traduisible.

Après avoir dit du bien du groupe Les Républicains, je tiens maintenant à saluer Matthias Fekl, qui a été un grand secrétaire d’État chargé du commerce extérieur socialiste.

Devant cette même assemblée, voilà trois ou quatre ans, à un moment où nous débattions déjà des accords commerciaux européens, il critiquait la Commission européenne en ces termes : si plusieurs milliers de personnes travaillent à l’élaboration de nouveaux traités commerciaux – c’est devenu une véritable industrie au sein de l’Union européenne –, en revanche, seules cent à deux cents personnes sont chargées de leur suivi, de leur vérification et de leur application…

Ce constat est extrêmement important : il ne suffit pas de passer des accords et de fixer des conditions ; il faut aussi en vérifier l’effectivité et le suivi dans le temps.

Le Gouvernement partage la préoccupation qui est exprimée dans cette proposition de résolution et il agit dans ce sens. On l’a vu avec le CETA, la mise en place de la commission Schubert et la volonté d’assurer un suivi et d’améliorer la prise en compte des enjeux sanitaires et environnementaux ; on l’a vu également lors du rejet du projet d’accord commercial avec le Mercosur, avec un motif juste : le non-respect par le Brésil de ses engagements en matière de climat et de biodiversité.

Le Gouvernement agit également quand il veut inscrire la lutte contre la déforestation comme l’un des éléments essentiels dans les accords passés. C’est dans le cas des négociations actuelles entre l’Union européenne et l’Indonésie, mais aussi, plus récemment, cet été, dans les discussions du G7 de Biarritz sur l’Amazonie.

Heureusement, ces derniers temps, l’Union européenne a commencé à bouger. Elle va un peu plus loin dans la vérification.

En conclusion, si nous partageons les mêmes objectifs que les auteurs de cette proposition de résolution, en revanche, j’émettrai des critiques de forme et de fond.

Pourquoi s’agit-il d’une proposition de résolution et non d’une proposition de résolution européenne ? Cette dernière solution aurait eu un triple avantage.

Tout d’abord, elle aurait eu plus d’impact politique, puisque non seulement nous nous serions adressés au gouvernement français, mais nous aurions pu produire un avis politique en direction de la Commission européenne.

Ensuite, elle aurait permis à la commission des affaires européennes du Sénat, qui est compétente sur ce sujet, de se saisir de cette question.

Enfin, elle aurait évité certains écueils et certaines malfaçons de ce texte.

En effet, sur le fond, la production d’une nouvelle taxe à l’échelon européen, censée alimenter de nouvelles ressources propres pour l’Union européenne pour financer la transition écologique des États membres, est une très bonne idée, mais qui est quelque peu complexe à mettre en œuvre : il n’existe pas de taxes affectées dans le budget européen ; il faudrait les créer.

Or cela suppose une décision à l’unanimité du Conseil européen ! Quand on connaît les logiques de blocage qui peuvent exister, on sait que c’est dangereux.

En outre, l’idée même de barrières nous expose directement aux sanctions de l’OMC. C’est pourquoi la proposition formulée par la Commission européenne d’un mécanisme d’ajustement aux frontières ou celle, qui a été émise par le Gouvernement, d’un mécanisme d’inclusion carbone aux frontières permet de contourner cet obstacle et le risque d’accusation de protectionnisme.

Pour toutes ces raisons, mon groupe votera ce texte, pour encourager la prise en compte à la fois européenne et environnementale du groupe Les Républicains,…

M. Stéphane Piednoir. C’est généreux !

M. André Gattolin. … même s’il reste beaucoup à faire pour l’améliorer. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)

M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard.

M. Guillaume Gontard. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, avec la nouvelle année, il semblerait que le groupe Les Républicains entame sa transition écologique.

M. Stéphane Piednoir. Cela part mal… (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Guillaume Gontard. En effet, les auteurs du texte qui est soumis aujourd’hui au Sénat ne proposent rien de moins que la mise en œuvre d’une taxe carbone aux frontières de l’Union européenne, afin, je cite l’exposé des motifs, « d’inciter nos partenaires extraeuropéens à une plus grande exigence environnementale ».

Certes, la surprise n’est pas totale, puisque le candidat Bellamy aux élections européennes défendait la même proposition, comme beaucoup d’autres candidats à ces élections, du reste. Ce consensus se retrouve aujourd’hui dans l’action de la Commission européenne nouvellement nommée, puisque le Green Deal présenté prévoit justement une taxe carbone aux frontières, mon collègue Joël Labbé l’a rappelé.

Puisque cette disposition est déjà dans les tuyaux, quel est l’intérêt de soumettre une telle proposition de résolution ? On aurait pu imaginer une proposition de résolution européenne.

Par ailleurs, comment comprendre cette initiative, alors même, chers collègues du groupe Les Républicains, que votre groupe parlementaire au Parlement européen, le PPE, a voté tous les traités de libre-échange qui justement suppriment toutes les barrières aux frontières, qu’elles soient financières ou normatives, engageant une régression environnementale et sanitaire très dangereuse, faisant primer les marchés sur les droits humains.

Comment comprendre cette prise de conscience ? Il faut sans doute mieux lire la proposition de résolution pour bien saisir votre propos et comprendre que cette proposition d’action résolue à l’échelon européen se conjugue avec l’idée d’un retour en arrière dans les politiques nationales. En effet, vous jugez la taxe carbone nationale injuste et inefficace par nature, dans la mesure où elle pèse sur les entreprises.

Voilà votre véritable sujet : il s’agit bien, par cette résolution, d’écarter toute norme et toute fiscalité pour les entreprises nationales.

M. Jean-François Husson. C’est du grand délire !

M. Guillaume Gontard. Cette position est cohérente avec votre volonté exprimée lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2020 de ne pas revenir sur les exonérations de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) dont disposent certains secteurs, notamment la route.

Pour le groupe Les Républicains, compétitivité se conjugue ainsi toujours avec déréglementation, bien loin des préoccupations écologiques, sociales ou démocratiques.

L’intérêt de cette proposition de résolution réside donc non pas dans ce qu’elle contient, mais plutôt dans ce qu’elle ne dit pas : le refus de toute fiscalité pour les entreprises et de normes environnementales considérées, à tort, comme des handicaps à la compétitivité.

On a d’ailleurs rarement vu une proposition de résolution présenter aussi peu de liens avec son objet et sa conclusion.

Loin de vous intéresser à l’ambition écologique du continent, vous ne cherchez au fond qu’à retarder les efforts de la France. C’est sans doute d’ailleurs pour cela que vous n’avez pas déposé de proposition de résolution européenne.

Mes chers collègues, tout cela reste très « vieille époque » !