M. le président. La discussion générale est close.

Nous allons procéder au vote sur la proposition de résolution.

proposition de résolution demandant au gouvernement de porter au niveau de l’union européenne un projet de barrière écologique aux frontières

Le Sénat,

Vu l’article 34-1 de la Constitution,

Vu les articles 1er à 6 de loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution,

Vu le chapitre XVI du Règlement du Sénat,

Vu l’Accord de Paris sur le climat,

Vu les objectifs de l’Union européenne définis successivement dans le paquet énergie-climat et le cadre d’action en matière de climat et d’énergie d’ici à 2030,

Vu la directive 2009/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2009 modifiant la directive 2003/87/CE afin d’améliorer et d’étendre le système communautaire d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre, notamment son considérant 25,

Vu la communication « Une planète pour tous » de novembre 2018, le « Nouveau programme stratégique 2019-2024 » adopté par le Conseil européen en juin 2019 et le document « Une union plus ambitieuse : mon programme pour l’Europe » présenté par Mme Von der Leyen le 16 juillet 2019,

Considérant la nécessité de conduire des politiques européennes et nationales visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre ;

Considérant que la transition écologique ne peut être acceptée que si elle implique une réciprocité dans les efforts consentis en son nom ;

Considérant que la taxation du carbone n’est un instrument efficace et juste de lutte contre ces émissions que si elle est équitablement répartie entre émetteurs et lorsque les recettes de cette fiscalité servent à financer la transition écologique ;

Considérant que les politiques nationales de taxation du carbone apparaissent à la fois distorsives en l’absence de coordination fiscale entre États membres de l’Union européenne et inefficaces sans prise en compte des émissions de gaz à effet de serre importées ;

Considérant la nécessité de doter l’Union européenne d’une politique commerciale et environnementale qui protège ses acteurs économiques dans la mondialisation tout en favorisant la réduction des gaz à effet de serre ;

Déplorant la perte de compétitivité d’un nombre croissant de secteurs économiques au sein de l’Union européenne du fait de normes et taxes environnementales élevées échappant à toute réciprocité commerciale ;

Constatant que seule une action plus résolue au niveau de l’Union européenne pourra permettre de concilier exigence environnementale et pragmatisme économique dans les systèmes de taxation du carbone ;

Estimant que cette action aurait intérêt à prendre la forme d’une taxation des produits importés fortement émetteurs, ou, à défaut, une taxation des produits provenant de pays ne respectant pas les standards européens en matière environnementale ;

Estimant qu’une telle barrière écologique aux frontières servirait un double intérêt : économique, en dotant l’Union européenne d’une nouvelle ressource propre permettant de financer la transition écologique des États membres et environnementale en contraignant les partenaires commerciaux de l’Union à mener des politiques écologiques plus ambitieuses et en réduisant la part du carbone importé ;

Demande au Gouvernement de porter au niveau de l’Union européenne un projet de barrière écologique aux frontières pour retrouver une vraie réciprocité normative dans nos échanges commerciaux et inciter nos partenaires à une plus grande exigence environnementale.

Vote sur l’ensemble

M. le président. Mes chers collègues, je rappelle que la conférence des présidents a décidé que les interventions des orateurs valaient explications de vote.

Je mets aux voix la proposition de résolution.

(La proposition de résolution est adoptée.) – (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC, Les Indépendants et LaREM.)

M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures cinquante, est reprise à seize heures cinquante-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, demandant au Gouvernement de porter au niveau de l'Union européenne un projet de barrière écologique aux frontières
 

6

 
Dossier législatif : proposition de loi modifiant la loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous afin de préserver l'activité des entreprises alimentaires françaises
Discussion générale (suite)

Activité des entreprises alimentaires françaises

Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission

M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande de la commission des affaires économiques, la discussion de la proposition de loi modifiant la loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous afin de préserver l’activité des entreprises alimentaires françaises, présentée par M. Daniel Gremillet et plusieurs de ses collègues (proposition n° 138, texte de la commission n° 215, rapport n° 214).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Daniel Gremillet, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi modifiant la loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous afin de préserver l'activité des entreprises alimentaires françaises
Article 1er

M. Daniel Gremillet, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je veux tout d’abord remercier Michel Raison, rapporteur de ce texte, du travail qu’il a accompli, lequel s’est inscrit dans la continuité de celui de la commission des affaires économiques du Sénat, qui s’est dotée, le lendemain de la promulgation de la loi Égalim, la loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, d’un groupe de suivi inédit chargé de mesurer les effets généraux de cette loi sur les acteurs concernés.

Cette démarche innovante revient finalement à l’essence même du rôle du Parlement : adopter des lois et en évaluer les effets pour, au besoin, proposer les correctifs nécessaires.

En octobre dernier, le groupe de suivi a produit un rapport d’information dressant un premier bilan de la loi Égalim, un an après l’adoption de cette dernière. Ce travail important, réalisé après des auditions effectuées auprès des administrations, des organismes professionnels, mais aussi – ce point est important – des acteurs de terrain, a permis de dégager des premières tendances inquiétantes.

Bien sûr, il est trop tôt pour tirer des enseignements définitifs sur les effets de cette loi ; ainsi, le titre Ier organise une expérimentation de deux ans qui est en cours. Au terme de ce délai, nous y verrons plus clair et nous ne manquerons pas d’en tirer les conséquences.

Toutefois, les auditions du groupe de suivi ont déjà mis en lumière trois problèmes majeurs posés dès à présent par la loi. Sur le terrain, nous avons constaté auprès d’entreprises qui sont en difficulté du fait même de l’application de la loi des effets pervers majeurs. Faut-il attendre que la situation empire ? Si les failles sont d’ores et déjà identifiées, il est de notre responsabilité d’agir. C’est en tout cas la position du groupe de suivi qui a déposé, dans la foulée, une proposition de loi comprenant trois mesures d’urgence.

Le texte qui est soumis à notre examen aujourd’hui a été signé, à ce stade, par cent quarante-six sénatrices et sénateurs de la quasi-totalité des groupes politiques. Cette capacité des élus à se rassembler autour de ce texte, quels que soient les clivages, est une démonstration de l’intérêt stratégique des sujets évoqués. Monsieur le ministre, c’est de la politique au sens noble du terme, et je souhaite remercier l’ensemble des sénatrices et sénateurs qui se sont associés à cette démarche. Le Sénat joue son rôle de contrôle de l’action du Gouvernement et est une force de proposition pour améliorer l’efficacité des politiques publiques – c’est essentiel !

La première mesure proposée dans le texte concerne l’encadrement des promotions en volume. Nous sommes dans le cas d’une disposition rigide qui ne prend pas en compte les réalités très différentes selon les entreprises, les filières, les secteurs.

Et cela pose des difficultés, notamment pour les fabricants de produits achetés par le consommateur de manière impulsive ou pour les producteurs de denrées saisonnières. Pour les entreprises concernées, le soutien promotionnel est essentiel. Quand un consommateur ne programme pas son achat à l’avance – c’est le cas pour des produits comme la viande de lapin ou le saumon fumé –, il revient à l’industriel de le convaincre, dans les linéaires, d’acquérir son produit : il le fait par le biais d’une promotion. C’est pourquoi certains produits sont dépendants de cette démarche. Ce n’est pas une manière de tromper le consommateur. La raison est simple : faute d’un soutien promotionnel, ces produits ne sont pas vus par le consommateur. Or ce qui n’est pas vu n’est pas vendu !

Le mécanisme est le même pour les produits saisonniers : ceux-ci ont besoin d’un soutien particulier, notamment en dehors des périodes de pic de consommation, comme les fêtes – tel est le cas du foie gras, du champagne, des chocolats, entre autres.

L’encadrement des promotions limite le volume des ventes. Les résultats sont clairs : les chiffres d’affaires des entreprises concernées se sont effondrés depuis un an. Ils parlent d’eux-mêmes : recul de 25 % des volumes de foie gras vendus en une année ; baisse de 20 % des ventes de champagne dans la grande distribution. Les représentants de certaines entreprises auditionnées par le groupe de suivi ont fait état d’un recul de près de 50 % de l’activité !

Monsieur le ministre, combien d’entreprises peuvent résister deux ans à un tel choc ? Et qui paiera in fine ? Ce sont bien les producteurs : le volume des commandes baisse, nous l’avons constaté sur le terrain, ce qui a évidemment des conséquences sur les revenus et sur l’emploi.

C’est un effet de bord majeur qui aboutit à un paradoxe : la loi Égalim pénalise et handicape le revenu des producteurs en cause. Nous sommes donc aux antipodes des effets recherchés ! Et ce qui est le plus paradoxal, c’est que la loi déstabilise les filières qui rémunéraient le mieux les producteurs, des filières qui avaient instauré une indexation des prix avec l’amont agricole. Monsieur le ministre, la semaine dernière, nous avons rencontré les représentants de deux filières, dont l’organisation est aujourd’hui remise en cause, alors qu’elles étaient exemplaires, puisqu’elles rebasaient les prix tous les trimestres en fonction des coûts réels de production, ce qui correspond exactement à l’esprit de la loi Égalim.

J’ajoute que cet encadrement représente un biais anticoncurrentiel majeur pour les PME – ce sont ces entreprises qui sont fragilisées aujourd’hui –, parce qu’il limite leur seule possibilité d’exister face aux budgets publicitaires des plus grandes marques. Cette mesure, couplée à la hausse du seuil de revente à perte, a abouti à ce que la croissance de la présence des PME dans nos rayons a été considérablement ralentie depuis la mise en œuvre de la loi, alors même que celle-ci était censée favoriser les entreprises de nos territoires. C’est problématique ! Cette loi ne peut tout de même pas se résumer à fragiliser, voire à faire disparaître, les PME, les artisans et les autres entreprises implantées localement.

La proposition de loi entend remédier à ce problème, en prévoyant de sortir les produits au caractère saisonnier marqué de l’encadrement des promotions en volume. Surtout, j’insiste sur ce point, la mesure ne remet nullement en cause l’esprit de l’expérimentation. Monsieur le ministre, nous ne remettons pas en question l’encadrement des promotions en valeur à 34 % du prix du produit.

De plus, la dérogation ne concernerait que les produits les plus saisonniers, ceux qui sont aujourd’hui exposés et dont les filières sont fragilisées, voire en danger. Ce n’est pas ce type de disposition de bon sens qui est de nature à relancer la guerre des prix dans les grandes surfaces ni à remettre en cause l’expérimentation en cours. En revanche, elle permettrait de sauver des entreprises en grande difficulté. Attendre deux ans serait criminel pour nos entreprises alimentaires. Toutes les personnes que nous avons auditionnées s’accordent sur le fait qu’il y a un problème. Il aurait d’ailleurs été intéressant, monsieur le ministre, que vous assistiez à la réunion que nous avons organisée la semaine dernière en Vendée avec une vingtaine de professionnels représentant plusieurs filières, allant du foie gras au lapin, en passant par les fruits de mer, le muscadet ou le jambon. Tous sont aux abois du seul fait de la loi. Il y a un vrai caractère d’urgence.

Si le seul contre-argument est celui de ne pas vouloir fausser statistiquement l’expérimentation, permettez-moi, monsieur le ministre, d’en appeler à votre pragmatisme. Des centaines, voire des milliers d’emplois sont en jeu !

La proposition de loi comporte une deuxième mesure, qui est expérimentale. Cela fait plusieurs années que nous débattons du manque d’efficacité de la renégociation des contrats entre un fournisseur et son distributeur en cours d’année en cas de choc conjoncturel sur le cours d’une matière première. La clause de renégociation ne fonctionne pas, car, une fois activée, tous les points du contrat peuvent être renégociés, ce qui avantage considérablement le distributeur.

Il est proposé dans le texte d’expérimenter la mise en place, dans les contrats, d’une clause de révision automatique des prix, déterminée par les parties, qui s’activerait en cas de variation importante du cours de la matière première principale et fortement présente dans un produit alimentaire. Ce serait par exemple le cas du cours du porc pour la charcuterie ou de celui du blé dur pour les pâtes alimentaires. L’expérimentation ne porterait que sur quelques produits choisis selon leur exposition à la volatilité des cours.

Enfin, il est remarqué dans la proposition de loi que l’ordonnance sur la réforme du droit coopératif publiée par le Gouvernement ne respecte pas le champ de l’habilitation donnée par les parlementaires. C’était le seul point d’accord constaté en commission mixte paritaire entre les deux chambres : plutôt que de signer un chèque en blanc au Gouvernement, les deux chambres ont restreint strictement le champ de l’habilitation. Constatant sans doute que cette habilitation l’empêchait désormais de faire ce que bon lui semblait, le Gouvernement a eu recours à une autre ordonnance pour passer en force…

Sans même parler du fond de la mesure qui mériterait un débat sur le modèle coopératif, débat dont le Parlement a été privé lors de l’examen de la loi Égalim, il a semblé aux membres du groupe de suivi que le Parlement devait se montrer intransigeant sur le respect des champs d’habilitation qu’il déterminait lorsqu’il confiait au Gouvernement le droit de prendre une ordonnance. C’est pourquoi la proposition de loi ratifie l’ordonnance sur le modèle coopératif corrigée de la partie qui a excédé le champ de l’habilitation. Cette mesure répond avant tout à une logique institutionnelle de défense des droits du Parlement. Si le Gouvernement tient à cette disposition, qu’il la présente dans un projet de loi pour que le Parlement ait enfin le droit de débattre sereinement de nos coopératives agricoles !

Pour conclure, vous l’aurez compris, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi n’a pas l’ambition de résoudre l’ensemble des défis posés à notre agriculture. Elle n’a pas non plus la prétention de revoir l’intégralité de la loi Égalim. Elle entend simplement en corriger les premières failles, car ces dernières posent déjà de graves difficultés dans nos territoires. C’est notre rôle constitutionnel d’évaluer la loi, et le groupe de suivi a voulu mettre ce rôle en avant.

Nous sommes donc loin d’une remise en cause politicienne de la loi Égalim adoptée il y a moins d’un an. Au contraire, malgré nos doutes, il me semble que cette proposition de loi entend préserver toutes ses chances d’améliorer le revenu de nos agriculteurs.

Enfin, je tiens à remercier Michel Raison et Anne-Catherine Loisier qui étaient rapporteurs du projet de loi Égalim, ainsi que la présidente de la commission des affaires économiques et l’ensemble des membres du groupe de suivi.

Un dernier mot : le présent texte a été adopté à l’unanimité par la commission ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi quau banc des commissions. – MM. Franck Menonville et Franck Montaugé applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Michel Raison, rapporteur de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, lors de l’examen du projet de loi Égalim, le Sénat avait pris une position claire : malgré son scepticisme sur l’efficacité de la loi, il ferait tout pour qu’elle permette au mieux d’améliorer le revenu agricole. C’est dans cette perspective que nous avions proposé la création immédiate d’un groupe de suivi des effets de la loi pour pouvoir au mieux accompagner son déploiement.

Nous avons toujours fait part de nos inquiétudes sur un texte qui nous semblait déséquilibré et qui était loin d’être la loi agricole attendue dans nos campagnes. Comment aurait-il pu l’être, alors qu’il n’agissait que sur les relations contractuelles entre l’agriculteur et ses acheteurs, ce qui représente moins d’un cinquième des recettes de l’agriculteur ? Dans le même temps, la France ne mène pas forcément les combats essentiels sur le budget de la politique agricole commune (PAC) ou sur les exportations alimentaires…

À la lecture de la loi finalement adoptée, nous avions une certitude : elle représenterait une hausse de charges pour les agriculteurs. En échange, le mécanisme du ruissellement contenu dans le texte était loin d’assurer une revalorisation certaine des revenus des agriculteurs en l’absence d’instrument le garantissant. J’ai indiqué à plusieurs reprises que, pour faire ruisseler de l’aval vers l’amont, il fallait une bonne pompe de relevage ! (Sourires.) Tout reposait sur un mot : la confiance entre les acteurs ou, en d’autres termes, la « morale ».

Les premiers résultats des négociations commerciales sur les contrats annuels de 2019 ne nous ont pas démentis : la déflation est toujours présente. Hormis quelques emblématiques contrats laitiers, rien n’a changé !

L’argument selon lequel ces éléments ne sont pas représentatifs, car les textes d’application de la loi n’étaient pas tous en vigueur, est insuffisant. De son côté, la grande distribution a bien récupéré les fruits de la hausse du seuil de revente à perte (SRP), mais plutôt que de les redistribuer par une revalorisation des prix accordée à ses fournisseurs, elle a adapté, comme à chaque fois, son modèle à cette nouvelle donne pour limiter l’augmentation des prix pour le consommateur.

La hausse du SRP aura servi, cette année, à déplacer la guerre des prix. Elle n’est pas terminée sur les produits des grandes marques et s’est intensifiée sur les produits sous marques de distributeurs (MDD) et dans les rayons non alimentaires. C’est seulement à titre résiduel que le SRP a permis de revaloriser quelques contrats laitiers emblématiques.

Cette réalité risque, hélas, de se reproduire en 2020, en dépit de la publication des textes d’application. L’esprit des États généraux de l’alimentation semble assez loin.

Les résultats des négociations commerciales de cette année seront un indicateur important. Disons-le franchement en reprenant vos propres termes, monsieur le ministre : « Si les prix ne remontent pas dans les trois prochains mois, je considérerai que les États généraux de l’alimentation sont un échec ».

Mais d’autres éléments doivent être surveillés : par exemple, nous n’avons aucune information statistique fiable sur les résultats des négociations relatives aux produits MDD. Dès lors, comment mesurer finement les effets de la loi ?

À moyen terme, le groupe de suivi poursuivra ses travaux, mais le rapport d’information que nous avons rendu le 30 octobre dernier a démontré que la loi posait des problèmes à court terme. La présente proposition de loi entend, modestement, en limiter les effets les plus néfastes, en comportant trois mesures d’urgence.

Tout d’abord, la loi Égalim ne réduit en rien l’exposition des industriels de l’agroalimentaire à la volatilité des prix des matières premières sur les marchés mondiaux. Ils sont le plus souvent pris en étau entre une hausse des prix des denrées agricoles payés aux agriculteurs qui suivent les cours mondiaux et un prix de vente au distributeur très difficilement renégociable. La clause de renégociation des prix ne fonctionne pas bien et la loi Égalim n’est pas allée assez loin sur ce point. Les difficiles renégociations qui ont eu lieu en 2019 malgré la flambée du cours du porc, par exemple, l’ont démontré. C’est la compétitivité de nos entreprises qui est en jeu.

L’expérimentation d’une clause de révision des prix uniquement sur les produits les plus exposés est une idée intéressante et mérite d’être menée. Cela fait des années que nous en parlons et j’avais déposé un amendement en ce sens lors de l’examen du projet de loi Égalim. Pourquoi ne pas essayer une telle expérimentation sur quelques produits comme la charcuterie ou les pâtes alimentaires ? C’est le pari que fait l’article 2 de cette proposition de loi.

Un autre problème posé par la loi est l’assimilation d’une relation entre un associé coopérateur et sa coopérative à une relation entre un fournisseur et son client.

Daniel Gremillet en a parlé, les coopératives ne sont pas régies par les mêmes règles que les entreprises privées. Il faut toujours garder à l’esprit cet élément, car les coopératives appartiennent aux agriculteurs ; elles sont le prolongement de leur exploitation et sont, en cela, des acteurs essentiels du monde agricole. Je rappelle aussi qu’une coopérative est une sorte de service public : comme le facteur qui doit distribuer le courrier partout, la coopérative doit ramasser les produits des exploitants partout. Et ce n’est pas parce qu’une coopérative aurait été, un jour ou l’autre, très mal gérée qu’il faut remettre en cause cette organisation et ce statut – si nous avions un mauvais gouvernement, ce qui n’est pas le cas (Sourires sur plusieurs travées.), nous ne devrions pas nécessairement changer la Constitution…

À trop assimiler les coopératives à des entreprises commerciales, on prend le risque de troubler gravement un équilibre qui est important pour nos territoires agricoles. Cela ne veut pas dire que les coopératives doivent être exonérées de toute obligation et que la loi Égalim ne leur est pas applicable. L’ordonnance fait actuellement l’objet d’un contentieux, le juge administratif rendra son verdict, mais en tant que rapporteur du projet de loi Égalim au Sénat, je veux réaffirmer que, dans l’esprit des parlementaires, le champ de l’habilitation ne comportait pas cette mesure. Le rapporteur de l’Assemblée nationale partage ce point de vue.

J’en viens, enfin, à la troisième difficulté qui est liée à la rigidité de l’encadrement des promotions en volume pour les produits saisonniers et festifs.

Daniel Gremillet a cité les chiffres inquiétants de l’évolution des ventes de certains produits. Permettez-moi d’évoquer des cas concrets qui nous ont été présentés lors de nos auditions.

Des producteurs de lapin, un produit très saisonnier – peut-être pas particulièrement festif, mais tout dépend de la sauce qui l’accompagne… (Sourires.) –, nous ont fait état d’une tendance au déréférencement de leurs produits dans les catalogues au cours des périodes de creux des ventes, souvent l’été, afin de respecter les plafonds de promotion fixés dans la loi. Comment un éleveur peut-il faire face à un trou de commandes dans l’année, alors que le cycle de production de ces mammifères est de six semaines et naturellement non compressible ?

Autre exemple : une entreprise qui fabrique des produits d’accompagnement pour l’apéritif, qui n’est référencée que durant la haute saison et qui réalise presque l’intégralité de ses ventes sous promotion a perdu 12 % de son chiffre d’affaires en 2019 avec l’encadrement des promotions.

Je peux citer encore un cas : une PME dont le marché est dominé par des géants et qui n’a pas le budget pour faire de la publicité à la télévision à une heure de grande écoute. Son seul moyen d’exister reposait sur la promotion dans les magasins – c’est un système de vente comme un autre. Cet outil étant contraint, elle a vu son chiffre d’affaires reculer de 30 % sur les six premiers mois de l’année. Et je pourrais multiplier les exemples.

Monsieur le ministre, pour les produits au caractère saisonnier marqué et reposant sur des achats impulsifs, la promotion fait partie du modèle de vente des entreprises. Leur retirer ce moyen d’exister en linéaire revient à les condamner.

L’expérimentation prévue par la loi Égalim n’est pas là pour supprimer des emplois dans des entreprises, pour tuer l’esprit du commerce ou pour affaiblir les paysans de ces filières. Nous avons rencontré des dizaines de chefs d’entreprise : leur désarroi est total.

Certes, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) semble vouloir accorder des dérogations, mais la sécurité juridique est insuffisante, puisque cette possibilité n’est nullement prévue par l’ordonnance. Le seul moyen de sortir ces entreprises de l’ornière, c’est de modifier l’ordonnance dès aujourd’hui pour ôter de l’encadrement des promotions en volume, et non en valeur, les produits au caractère saisonnier marqué. C’est ce que propose le texte qui nous est soumis.

Aux trois difficultés que je viens d’évoquer, la proposition de loi apporte trois solutions adaptées, équilibrées et pragmatiques qui constituent finalement des ajustements à la marge. Son adoption ne résoudra pas tous les problèmes posés par la loi Égalim, mais elle réduira certains effets de bord et sauvera, à très court terme, des emplois. En ce sens, elle renforcera les chances de réussite de cette loi, ce que nous souhaitons tous. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi quau banc des commissions. – MM. Henri Cabanel et Franck Menonville applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Didier Guillaume, ministre de lagriculture et de lalimentation. Monsieur le président, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, la loi Égalim a été promulguée il y a un peu plus d’un an ; ses décrets d’application ont été pris au printemps dernier et, lors de la dernière réunion du comité de suivi des relations commerciales, il a été convenu qu’il fallait considérer la période des négociations commerciales qui va de décembre 2019 à février 2020 comme la première à laquelle s’applique réellement cette loi. En effet, les décrets d’application n’ayant pas été publiés, aucune règle, aucune contrainte, ne s’imposait l’année dernière à ces négociations, lesquelles se sont d’ailleurs passées comme les années précédentes…

J’ai eu l’occasion de le dire publiquement à plusieurs reprises – cela m’a parfois été reproché… –, le compte n’y est pas en ce qui concerne les effets de la loi Égalim, en particulier pour les producteurs.

Un certain nombre de garanties très claires ont été mises en place et l’objectif principal est d’inverser la construction des prix. Il est quand même incroyable qu’en France la seule profession qui ne fixe pas ses prix soit la profession agricole. Le lait est prélevé sur l’exploitation d’un éleveur sans qu’il en connaisse le prix de vente et, à la fin du mois, il reçoit un chèque… C’est la coopérative ou l’entreprise qui détermine le prix elle-même, sans aucune discussion. Autre exemple : il est quand même incroyable que le producteur de race à viande vende ses bêtes moins chères qu’elles ne lui coûtent à élever. Ce n’est pas acceptable !

C’est la raison pour laquelle le législateur a fait le choix de suivre les préconisations des États généraux de l’alimentation, durant lesquels l’unanimité des acteurs, à l’exception d’une grande surface, a proposé de mettre en place des outils pour que les agriculteurs ne vendent plus à perte, ce qui signifie qu’il faut inverser la construction des prix, en demandant aux filières de fixer des prix de référence auxquels les produits agricoles devaient être achetés. Une autre demande très forte qui est ressortie des États généraux était d’arrêter les promotions qui font croire au consommateur que les denrées alimentaires peuvent être gratuites : les opérations commerciales du genre « une côte de porc achetée, une offerte » ou « un magret de canard acheté, le second à un euro » ne sont pas acceptables ! Ce type d’opération ne constitue aucunement de l’information ou de l’éducation du consommateur, mais correspond plutôt à du libéralisme à tout crin : l’important n’est plus ce que le produit coûte, mais ce qu’il vaut sur le marché.

C’est pourquoi la loi Égalim, qui est issue des États généraux de l’alimentation, et les ordonnances qui en découlent ont établi comme principe la limitation des promotions, tant en volume qu’en valeur. Cette décision a été prise par l’ensemble de la profession agricole et des acteurs économiques et politiques. Lors du dernier comité de suivi des négociations commerciales, tous les syndicats agricoles nous ont demandé de ne pas revenir sur ce principe et d’appliquer ce texte.

Nous savons qu’il y a un problème pour ce qu’on appelle les produits festifs ou achetés de manière impulsive, que ce soit le foie gras à Noël ou les autres produits de cette catégorie – je ne vais pas faire de publicité, ils sont tous bons.

La loi Égalim prévoit deux ans d’expérimentation et le Gouvernement estime qu’il n’est pas judicieux d’en modifier d’ores et déjà les termes, même si je me suis engagé à accorder aux produits festifs une dérogation pendant les fêtes. Si nous modifions la loi, nous ne saurons pas si elle est efficace ! C’est la raison pour laquelle le Gouvernement est défavorable à cette proposition de loi. Nous souhaitons faire confiance quelques mois encore au monde agricole et aux acteurs économiques.

Je vous le disais, le compte n’y est pas et il est vrai que jusqu’alors les négociations commerciales n’ont pas fonctionné correctement. Est-ce que ce sera mieux cette année ? Je n’en sais rien. Les premières informations qui nous remontent ne sont pas excessivement positives, mais il reste deux mois.

En tout cas, nous souhaitons aller beaucoup plus loin sur les négociations commerciales relatives aux produits sous marques de distributeurs, parce que les volumes sont nettement plus importants.

Il est urgent que les agriculteurs réussissent à obtenir des prix corrects pour leurs produits. Or ce n’est pas encore le cas. Aussi, Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances, et moi-même réunissons tous les trois mois le comité de suivi des négociations commerciales. Notre attention porte à la fois sur les marques et sur les MDD.

Je ne crois pas que le mot « ruissellement » ait été utilisé par le Gouvernement lors des débats sur la loi Égalim. En ce qui me concerne, je n’ai jamais pensé que l’augmentation du SRP du Coca-Cola ou du Nutella apporterait des revenus supplémentaires aux agriculteurs. C’est un problème non pas de ruissellement, mais d’inversion de la conception et de la construction des prix. Si les agriculteurs restent dépendants des acheteurs, nous ne nous en sortirons jamais !

La loi Égalim contient quatre-vingt-dix-huit articles et un certain nombre de mesures se mettent en place dans le cadre d’une expérimentation, dont le seuil de revente à perte – ce sujet n’a pas été évoqué, mais il est important – et l’encadrement des promotions. Sur ces points, le Gouvernement doit remettre au Parlement un rapport d’évaluation au plus tard le 1er octobre 2020. C’est pourquoi il nous paraît préférable, plutôt que de modifier la loi dès maintenant et par petits bouts, d’attendre l’automne prochain. À la suite du bilan que nous ferons, nous saurons précisément s’il faut revoir la loi et penser différemment la construction des prix agricoles.

Pour autant, je veux saluer le travail mené par le groupe de suivi du Sénat. Vos travaux et auditions, mesdames, messieurs les sénateurs, permettent d’éclairer la réflexion du Gouvernement et d’y voir plus clair sur ces sujets délicats. Le contenu de la proposition de loi, dont les trois articles ont été présentés, est clair.

Tout d’abord, vous proposez de revenir sur l’encadrement des promotions, non pas en valeur, mais en volume, en ce qui concerne les denrées saisonnières et les produits festifs.

Je veux simplement vous mettre en garde : à force de toujours vouloir des prix plus bas, le consommateur finit par s’habituer à de tels prix. Si le lapin, pour reprendre votre exemple, est exclusivement vendu en promotion, plus aucun consommateur ne voudra en acheter le jour où l’éleveur le vendra au prix de revient.