M. le président. Je mets aux voix l’article 3.

(Larticle 3 nest pas adopté.)

Article 3
Dossier législatif : proposition de loi relative au statut des travailleurs des plateformes numériques
Article 4 (début)

Article additionnel après l’article 3

M. le président. L’amendement n° 2 rectifié, présenté par M. Jacquin, est ainsi libellé :

Après l’article 3

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

I. – Après le chapitre III du sous-titre II du titre III du livre III du code civil, il est inséré un chapitre ainsi rédigé :

« Chapitre …

« Devoir de vigilance

« Art. 1253. – Toute plateforme de mise en relation par voie électronique, au sens de l’article 242 bis du code général des impôts, ayant recours à des travailleurs indépendants pour l’exécution d’une opération, quelle qu’en soit la nature, est tenue d’une obligation de vigilance consistant à identifier les risques, à prévenir les atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes ainsi que l’environnement, consécutifs à l’exécution de cette opération, et à garantir une rémunération décente et juste au regard du temps pendant lequel le travailleur est à la disposition de la plateforme.

« Le donneur d’ordre ou le maître d’ouvrage qui, à titre de professionnel, contracte avec une plateforme ayant recours à des travailleurs indépendants dans les conditions posées à l’alinéa précédent, veille à ce que la plateforme respecte les obligations mentionnées à l’alinéa précédent. S’il est informé par écrit, par le travailleur, par un agent de contrôle mentionné à l’article L. 8271-1-2 du code du travail ou par une organisation syndicale, du fait que la plateforme ne respecte pas les obligations visées à l’alinéa premier, le donneur d’ordre ou le maître d’ouvrage lui enjoint aussitôt, par écrit, de faire cesser sans délai cette situation. À défaut de régularisation de la situation signalée ou de rupture sans délai du contrat conclu avec la plateforme, le maître d’ouvrage ou le donneur d’ordre est solidairement responsable du dommage mentionné à l’article 1254 du présent code.

« La plateforme publie chaque année sur son site internet un rapport précisant les modalités selon lesquelles est assuré, directement et le cas échéant par l’intermédiaire des algorithmes mis en œuvre, le respect des obligations mentionnées au premier alinéa, selon les modalités précisées par décret en Conseil d’État.

« Les mesures mises en œuvre au titre des alinéas précédents sont proportionnées aux moyens dont dispose l’entreprise mentionnée au premier alinéa, ou, le cas échéant, l’unité économique et sociale ou le groupe auquel elle appartient.

« Art. 1254. – Le manquement aux obligations définies à l’article 1253 oblige la plateforme à réparer le dommage que l’exécution de ces obligations aurait permis d’éviter.

« La juridiction peut ordonner la publication, la diffusion ou l’affichage de sa décision ou d’un extrait de celle-ci, selon les modalités qu’elle précise. Les frais sont supportés par la personne condamnée.

« La juridiction peut ordonner l’exécution de sa décision sous astreinte.

« L’action est introduite devant la juridiction compétente par toute personne justifiant d’un intérêt à agir à cette fin. »

II. – Le troisième alinéa du I de l’article L. 225-102-4 du code de commerce est complété par une phrase ainsi rédigée : « Sans préjudice des articles 1253 et 1254 du code civil, le plan détaille les mesures relatives aux opérations effectuées par les travailleurs indépendants. »

La parole est à M. Olivier Jacquin.

M. Olivier Jacquin. Cet amendement vise à instaurer un devoir de vigilance et à responsabiliser les donneurs d’ordre. Comme je l’ai dit au cours de la discussion générale, avec les réglementations complexes que nous connaissons, les contrats passés par un donneur d’ordre vertueux peuvent, même si celui-ci utilise des dispositifs légaux, aboutir à des situations indécentes en termes de revenus et de précarité.

Je précise que, travaillant sur ce concept nouveau pour le monde des plateformes numériques, j’ai adapté le dispositif pour qu’il puisse être examiné au cours du présent débat, mais il aurait vocation à être étendu à tous les secteurs économiques de notre pays. Je rappelle que le devoir de vigilance a été inventé par mon collègue député Dominique Potier lors de l’examen des lois de 2014 et de 2017 pour mettre fin à des chaînes internationales de sous-traitance qui ont suscité des désastres. L’idée est donc d’adapter ce principe à la situation économique française.

Pour les plateformes qui font débat dans les médias et qui font l’objet de la présente discussion, c’est-à-dire les plateformes de travail et non les plateformes de mise en relation, je ne suis pas sûr que le dispositif soit totalement opportun. En revanche, il serait intéressant dans le champ plus large de l’économie, lorsqu’on a légitimement recours au travail indépendant, parce que les modèles économiques le permettent.

Je précise aussi que ce dispositif n’est pas incantatoire : il a un fondement juridique qui le rendrait opposable. Examinez-le en détail, on ne pourra pas accuser un donneur d’ordre pour n’importe quel motif : juridiquement, le donneur d’ordre doit en effet être informé par écrit que sa chaîne de sous-traitance n’est pas vertueuse.

Le dispositif, appliqué au champ général de l’économie, me semble constituer un progrès intéressant par rapport, notamment, aux dégâts de l’autoentreprenariat. Madame Fournier, je salue le fait que vous l’ayez dénoncé dans votre rapport : ce statut crée des poches sans modèle économique et conduit à des situations inacceptables.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteure. Cet amendement tend à modifier le code civil pour imposer aux plateformes un devoir de vigilance consistant, d’une part, à identifier et prévenir les risques d’atteintes graves envers les droits et libertés des travailleurs, leur santé, leur sécurité et, d’autre part, à leur garantir une rémunération décente. Les utilisateurs de plateformes à titre professionnel seraient solidairement responsables de ce devoir de vigilance.

Cet amendement va dans le sens d’une meilleure protection des travailleurs des plateformes, mais n’est pas compatible avec ma position, dans la mesure où il a pour objet de maintenir les travailleurs concernés dans un statut d’indépendance qui ne peut être que trompeur. Au contraire, le groupe auquel j’appartiens souhaite étendre aux travailleurs concernés les protections du salariat, notamment une rémunération au moins égale au SMIC, alors qu’il n’est fait mention dans le dispositif de cet amendement que d’un salaire décent.

La commission émet un avis défavorable sur cet amendement. À titre personnel, j’y suis évidemment défavorable si bien que, une fois n’est pas coutume, je suis d’accord avec la commission. (Sourires.)

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Monsieur le sénateur, le Gouvernement est défavorable à votre amendement.

Vous souhaitez imposer aux plateformes et à leurs donneurs d’ordre un devoir de vigilance. Vous prévoyez que le manquement à un tel devoir serait sanctionné et que la plateforme devrait réparer les dommages occasionnés.

Je comprends l’esprit de cet amendement : ce dispositif s’inspire de la loi du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre, qui impose aux grandes entreprises et grands groupes d’établir et de mettre en œuvre un plan de vigilance destiné à identifier et à prévenir les risques d’atteintes graves aux droits humains, à la santé, à la sécurité des personnes et à l’environnement, notamment les chaînes de sous-traitance mondialisées qui ont provoqué des drames.

Nous poussons à l’échelon européen pour que le devoir de vigilance, qui intéresse certains de nos partenaires, puisse être pris en compte dans les directives européennes.

Toutefois, en l’espèce, le dispositif proposé ne s’articule autour d’aucun seuil, crée des contraintes qui seraient difficilement vérifiables. Aujourd’hui, il ne nous paraît pas suffisamment abouti pour permettre de respecter des dispositions légales qui seraient, dans certains cas, disproportionnées ou très difficilement applicables.

Par ailleurs, ainsi que je l’ai déjà indiqué plusieurs fois ce matin, je pense qu’il faut intégrer cette réflexion dans une réflexion globale sur les plateformes et l’inscrire dans le travail que nous devrons mener tous ensemble après la remise du rapport de M. Frouin. Encore une fois, ce dispositif n’est pas assez abouti pour être efficace.

J’en profite pour répondre à vos deux autres motifs d’interpellation.

Premier sujet, les plateformes peuvent-elles être des tremplins ? Je suis d’accord avec M. Savoldelli : c’est sur le terrain qu’on le voit et pas simplement dans les enquêtes d’opinion.

Nous travaillons beaucoup sur l’insertion des jeunes, notamment dans les quartiers prioritaires de la ville – je salue à cet égard mon collègue Julien Denormandie avec lequel je collabore beaucoup sur cette question.

Nous constatons que beaucoup de jeunes sont intéressés et recherchent un travail auprès des plateformes, parce qu’ils restent ainsi indépendants, libres et autonomes, ce qui ne les empêche pas, ce qui est légitime et fait l’objet de notre débat, de vouloir des protections, mais aussi parce qu’ils aspirent à un tremplin professionnel et qu’il existe encore trop de discriminations à l’embauche pour leur ouvrir une autre perspective.

Il faut être lucide sur ce point : les plateformes sont souvent la meilleure et la première voie d’accès à l’emploi. Le problème se pose quand c’est la seule et quand il n’y a pas de débouché ensuite.

D’un côté, il y a donc le sujet de la protection sociale des travailleurs des plateformes et, de l’autre, celui des possibilités d’évolution. Toute la philosophie de la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel repose sur l’idée qu’il faut permettre l’émancipation professionnelle par le travail et la formation tout au long de la vie. Il est important, y compris pour les travailleurs des plateformes, de pouvoir évoluer vers d’autres formes d’emploi, qui ne sont parfois envisagées que plus tard.

C’est pourquoi nous avons renforcé les droits à la formation dans le cadre de la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel et de la loi d’orientation des mobilités (LOM) : les plateformes doivent désormais payer et contribuer au compte personnel de formation de leurs travailleurs.

Second point, vous avez évoqué la question du contrôle des licences de transport. Ce contrôle relève du ministère des transports, qui s’y emploie. J’ajoute que l’on a aussi mené des opérations de contrôle dans le cadre de la lutte contre le travail illégal, inspection du travail, police, gendarmerie, Urssaf réunies. Comme pour tous les nouveaux modes de travail – c’est vrai aussi des anciens –, il faut de temps en temps aller contrôler et démanteler quelques opérations qui n’ont pas lieu d’être. Ne vous inquiétez pas, nous sommes aussi attentifs à cette question dans ce secteur.

M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.

M. Pascal Savoldelli. L’auteur de cet amendement a été extrêmement clair, le resituant dans sa chronologie et ses fonctionnalités. Olivier Jacquin a posé la question des relations entre la société mère, les filiales et les différents donneurs d’ordre, au regard du devoir de vigilance, et l’on peut avoir des avis très différents sur ce sujet. Mon cher collègue, mon groupe ne souhaite pas voter cet amendement, dont l’adoption dénaturerait notre proposition de loi. Vous le comprendrez parce que vous savez très bien qu’une plateforme n’est pas une société mère et que les travailleurs de ces plateformes numériques ne sont pas des sous-traitants. Nous pourrions sans doute valider unanimement ce point, le Gouvernement pouvant même nous rejoindre.

Comme vous l’avez dit, votre amendement traduit votre volonté de mettre en place des outils de protection, de faire en sorte que les chartes ne soient pas rédigées unilatéralement par lesdites plateformes. Néanmoins, il serait sage de le retirer, et je vous livre un argument plaidant en ce sens : nous, parlementaires, devons être attentifs à la question de la sécurité des travailleurs. C’est bien de cela qu’il s’agit, et non pas du devoir de vigilance : deux exemples récents l’attestent, avec la condamnation d’Amazon et de Renault, non pas pour avoir manqué à leur devoir de vigilance, mais par méconnaissance du statut protecteur – nous avons réussi à obtenir ce dernier – qui s’applique aux travailleurs de ces deux sociétés. Et il est bien qu’ils aient fait valoir leurs droits.

M. le président. La parole est à M. Olivier Jacquin, pour explication de vote.

M. Olivier Jacquin. Je ne maîtrise pas encore tous les arcanes juridiques de l’article 45 de la Constitution, mais, selon moi, il est miraculeux que mon amendement soit parvenu jusque-là ! (Sourires.) Je prie de m’excuser ceux dont c’est le travail, mais tout cela est compliqué, peu intelligible, et rassemble à une véritable loterie !

Cela étant, je vais écouter Pascal Savoldelli et retirer mon amendement. Effectivement, et je l’ai dit moi-même, il ne s’inscrit pas exactement dans le cadre de cette proposition de loi, mais je puis vous garantir que je poursuivrai ce travail en faveur de cette responsabilisation des donneurs d’ordre dans une société complexe.

Vous l’aurez compris, je voulais vous entendre à ce propos, notamment vous, madame la ministre. Je vous remercie des deux réponses complémentaires que vous m’avez apportées, mais vous ne m’avez pas donné de chiffres sur les contrôles effectifs. C’est pourquoi j’insisterai pour les obtenir.

Vous m’avez répondu, s’agissant du devoir de vigilance, que c’était compliqué. Le professeur de droit avec lequel je collabore sur ce sujet, Stéphane Vernac, qui a travaillé sur le devoir de vigilance de 2014 à 2017, m’a assuré que vous alliez me dire que c’était compliqué et difficile à mettre en œuvre !

Je suis optimiste, parce que mon collègue député a mis trois ans pour faire admettre que c’était faisable. Nous allons lancer des travaux, échanger, voir les chefs d’entreprise et d’autres personnes encore pour faire avancer cette idée.

Madame la ministre, puisque vous faites preuve d’un esprit constructif, puisque vous avez ouvert le champ de la mission Frouin, j’aimerais être entendu.

Pour mieux illustrer cette notion du devoir de vigilance, j’aimerais aussi que le migrant travaillant pour Frichti que citait Libération soit reçu. Et je l’accompagnerai volontiers. C’est possible si j’en juge par le fait que, voilà quelque temps, vous m’aviez fait le plaisir de recevoir un jeune qui croyait au modèle des plateformes collaboratives, avant d’être sacrément déçu.

Un dernier point sur le devoir de vigilance. Carrefour, par exemple, a annoncé pendant le confinement un partenariat avec Uber Eats pour la livraison de ses clients à domicile, ce service étant presque présenté comme un service public. De même, la SNCF développe sous marque blanche un système de réservation préalable de VTC, tandis que le Sénat – le Sénat ! – dispose depuis peu de son propre système de réservation via LeCab, l’une de ces plateformes que nous dénonçons. J’interrogerai d’ailleurs à ce sujet les questeurs, car se posent les questions de responsabilité et de conditions de travail.

Cela dit, je retire mon amendement.

M. le président. L’amendement n° 2 rectifié est retiré.

Article additionnel après l'article 3 - Amendement n° 2 rectifié
Dossier législatif : proposition de loi relative au statut des travailleurs des plateformes numériques
Article 4 (fin)

Article 4

L’article L. 7342-2 du code du travail est ainsi modifié :

1° À la première phrase du premier alinéa, après les deux occurrences du mot : « travail », sont insérés les mots : « et maladies professionnelles » ;

2° Le second alinéa est remplacé par deux alinéas ainsi rédigés :

« Le travailleur peut librement choisir d’adhérer au contrat collectif souscrit par la plateforme, la cotisation à ce contrat est prise en charge par la plateforme.

« Le remboursement des cotisations au titre du premier alinéa du présent article n’est pas soumis à l’absence d’un contrat collectif souscrit par la plateforme mentionnée au deuxième alinéa. »

M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que, si cet article n’était pas adopté, il n’y aurait plus lieu de voter sur l’ensemble de la proposition de loi dans la mesure où les quatre articles qui la composent auraient été rejetés. Il n’y aurait donc pas d’explications de vote sur l’ensemble.

Je mets aux voix l’article 4.

(Larticle 4 nest pas adopté.)

M. le président. Les articles de la proposition de loi ayant été successivement rejetés par le Sénat, je constate qu’un vote sur l’ensemble n’est pas nécessaire puisqu’il n’y a plus de texte.

En conséquence, la proposition de loi, modifiée, n’est pas adoptée.

Article 4 (début)
Dossier législatif : proposition de loi relative au statut des travailleurs des plateformes numériques
 

3

Mise au point au sujet d’un vote

M. le président. La parole est à Mme Guylène Pantel.

Mme Guylène Pantel. Lors du scrutin n° 108 portant sur l’amendement n° 58 rectifié bis tendant à insérer un article additionnel après l’article 1er septies A du projet de loi relatif à diverses dispositions liées à la crise sanitaire, à d’autres mesures urgentes ainsi qu’au retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne, ma collègue Mireille Jouve souhaitait voter pour.

M. le président. Acte est donné de votre mise au point, ma chère collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.

4

 
Dossier législatif : proposition de loi visant à garantir l'efficacité des aides personnelles au logement
Discussion générale (suite)

Efficacité des aides personnelles au logement

Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, de la proposition de loi visant à garantir l’efficacité des aides personnelles au logement, présentée par Mme Cécile Cukierman et plusieurs de ses collègues (proposition n° 372 rectifiée, texte de la commission n° 470, rapport n° 469).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme Cécile Cukierman, auteure de la proposition de loi.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à garantir l'efficacité des aides personnelles au logement
Article 1er

Mme Cécile Cukierman, auteure de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon groupe a fait le choix d’inscrire dans le cadre de sa niche parlementaire une proposition de loi déposée avant la crise du Covid-19, mais dont l’actualité nous semble encore plus prégnante en ces circonstances.

En effet, alors que notre pays traverse une grave pandémie, que la baisse d’activité liée au confinement va se traduire très directement par des difficultés accrues pour nos concitoyens, il nous a semblé utile d’assurer un soutien solide aux ménages concernant un poste de dépenses très lourd dans leur budget : les charges de loyer.

Malgré les dispositifs de chômage partiel mis en place, de nombreux allocataires des aides au logement affrontent une baisse, voire une suppression de leur revenu.

Le confinement a représenté une charge financière supplémentaire : hausse des dépenses alimentaires, utilisation plus importante d’eau et d’électricité, notamment.

Selon une note de l’Institut de recherches économiques et sociales (IRES), plus de 2,5 millions de ménages de locataires ou d’accédants à la propriété, soit un tiers des actifs, ont été touchés. C’est considérable.

Face à cette situation inédite, le Gouvernement a commencé à agir : report de la trêve hivernale à la fin de l’état d’urgence sanitaire, mise en place d’une aide aux ménages attributaires des minima sociaux, ainsi qu’une hausse de l’aide personnalisée au logement de 100 euros par enfant. Ces actions ponctuelles sont nécessaires, mais insuffisantes sur le long terme.

Nous soutenons ainsi les propositions formulées par les associations de création d’un fonds spécifique pour aider durablement les locataires.

Pour autant, et sur un temps plus long, il nous semble utile – c’est ce que nous souhaitons engager avec ce texte – de revenir sur toutes les décisions prises qui ont conduit à raboter les aides au logement.

L’adoption de cette proposition de loi dès le stade de son examen en commission – j’en remercie mes collègues, ainsi que Mme la rapporteur – envoie un signe clair du Sénat, un signal transpartisan, constructif et positif en faveur d’une priorité donnée à la préservation des aides au logement, qui sont un outil majeur d’égalité et de solidarité pour nos concitoyens.

Trop d’économies ont été réalisées sur ce poste de dépenses, pourtant vital pour nombre de familles.

Alors que la question du logement est aujourd’hui fondatrice et structurante, le Gouvernement a fait le choix depuis le début du quinquennat de la considérer uniquement comme un produit marchand, asséchant par là même tous les amortisseurs de crise que sont les aides à la personne et les aides à la pierre. Un choix très « ancien monde », si vous me permettez l’expression, monsieur le ministre, l’aboutissement d’une logique libérale appliquée à un bien essentiel.

L’habitat est une question politique majeure. Le confinement l’a démontré avec acuité : le logement est l’une des cellules de base indispensables à l’individu.

De sa qualité, de sa taille, de sa configuration dans son environnement, de sa proximité avec les services publics dépendront pour beaucoup la qualité de vie de ses occupants, leur capacité à faire société.

Le droit au logement est consubstantiel à la notion même de dignité humaine et il est reconnu comme un droit à valeur constitutionnelle, garanti par les textes fondamentaux de la République et considéré comme tel par la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

Nous ne pouvons donc accepter cette politique du rabot qui a frappé ces aides directes à la solvabilisation des ménages, aides qui bénéficient pourtant à 6,5 millions de personnes.

Le Président de la République a donné le ton dès les premiers mois de son mandat présidentiel, faisant le choix de la provocation sociale par une baisse systématique de 5 euros des aides personnelles au logement, ou APL, un choix déconnecté des réalités sociales de notre pays et qui a nourri la colère.

Cette mesure est apparue particulièrement injuste au moment même où était supprimé l’impôt sur la fortune : 32 millions d’euros économisés sur les Français les plus fragiles et 3,2 milliards d’euros redonnés à ceux qui possèdent déjà tout !

À ce titre, la crise que nous traversons a permis de revoir cette échelle de valeurs, afin de définir qui sont réellement les premiers de cordée dans notre pays.

Ce retour à l’intérêt commun doit nous conduire en cohérence aujourd’hui à effectuer d’autres choix budgétaires, notamment en faveur des employés et des ouvriers, qui représentent 70 % des bénéficiaires des APL : supprimer les niches fiscales inutiles et remettre l’argent là où il est utile pour soutenir le mouvement HLM, permettant ainsi de disposer de logements abordables et d’épauler nos concitoyens pour garantir le maintien dans le logement et l’accès à ce droit essentiel.

L’émoi suscité par cette mesure a conduit à la création du collectif Vive l’APL, rassemblant plus de 70 organisations de défense des locataires et mal-logés, d’étudiants, de syndicats et de bailleurs sociaux réclamant le retrait de celle-ci.

Depuis a également été créé le Collectif des associations unies regroupant de nombreuses associations œuvrant dans le secteur social, qui demande notamment de renoncer à toutes les économies réalisées depuis 2017 sur ces aides.

Pourtant, le Président de la République s’obstine encore à justifier la réduction de cette aide fondamentale pour nombre de familles, avec un mépris coutumier pour « les gens qui pensent que […] le summum de la lutte, c’est les 50 euros d’APL » et qui ont tant besoin « du pognon de dingue » des aides sociales. Il affirmait aussi ne plus vouloir qu’aucune personne ne soit demain à la rue. Une stratégie du « en même temps » qui ne convainc pas.

Cette défense des APL n’est pas une lubie ou un totem ; c’est la reconnaissance de leur utilité, de leur capacité à jouer les amortisseurs de crise. Il s’agit en effet de l’un des principaux instruments anti-pauvreté dans notre pays.

Ce gouvernement, plus que tous les autres, n’a eu de cesse de les attaquer. On note un désengagement de l’État de l’ordre de 7 milliards d’euros sur les aides au logement depuis le début du quinquennat.

L’ensemble des politiques publiques du logement ont été largement malmenées : extinction progressive des aides à la pierre financées par l’État, disparition de l’aide aux maires bâtisseurs, mise à mal du modèle social des bailleurs HLM, notamment par l’instauration de la réduction de loyer de solidarité, baisse des APL en 2017, absence de revalorisation en 2018, et, enfin, revalorisation en deçà de l’inflation pour 2019 et 2020.

Parallèlement, l’APL accession a été supprimée. Dans le cadre de la loi de finances pour 2020, le niveau de revalorisation des APL a également été limité à 0,3 %, en deçà de l’inflation et de l’indice de référence des loyers (IRL).

Selon la réforme engagée par la loi de finances pour 2019 et par la loi de financement de la sécurité sociale, les aides personnelles au logement doivent faire l’objet d’une réforme de leur mode de calcul liée à la contemporanéité de la prise en compte des ressources.

D’après les chiffres dont nous disposons, cette réforme pourrait entraîner une baisse du montant de ces aides pour 1,2 million d’allocataires, en particulier des jeunes actifs, sur un total de 6,5 millions de bénéficiaires. Et 600 000 allocataires verraient leur prestation purement et simplement supprimée.

Nous n’avons eu de cesse de vous alerter sur ces conséquences, et il aura donc fallu la crise du Covid-19 pour que vous en admettiez, sans le dire, la nocivité.

La crise sanitaire a conduit à repousser une fois de plus cette réforme, déjà reportée de juillet 2019 au 1er janvier 2020, puis au 1er avril 2020. Tirez-en pleinement les conséquences, et abandonnez-la définitivement, comme cela est demandé, monsieur le ministre.

Nous proposons donc par le biais du présent texte de changer le curseur et de remettre au cœur de la définition des aides au logement l’intérêt des allocataires.

D’autres mesures du domaine réglementaire doivent d’ailleurs être engagées par le Gouvernement, notamment concernant la réforme de la contemporanéité ou la suppression de la baisse de 5 euros, sur laquelle il faudrait revenir.

De manière précise, et parce qu’ici nous faisons la loi, nous demandons, par l’article 1er de cette proposition de loi, la suppression du délai de carence d’un mois pour le versement des aides personnelles au logement. À l’heure où la crise risque d’accroître le nombre de nouveaux allocataires, il convient en effet de ne pas ajouter, par l’instauration d’un mois de carence, des difficultés aux difficultés, risquant d’entraîner des familles dans la spirale des dettes locatives et in fine des expulsions locatives.

Par l’article 2, nous demandons la suppression de l’application d’un seuil de non-versement, aujourd’hui fixé à 10 euros. Nous avons conscience des réserves sur cet article et nous y reviendrons au cours du débat.

L’article 3 initialement proposé visait à créer une présomption de bonne foi lorsque la baisse des ressources est liée à la crise sanitaire pour le maintien des APL. Il a été supprimé en commission au motif qu’il était redondant avec le droit existant. Nous partageons cet avis et en prenons acte.

L’article 4 permet, quant à lui, de revenir sur la désindexation des APL opérée par l’article 200 du projet de loi de finances pour 2020. Comme en 2019, celles-ci ne sont revalorisées que de 0,3 % en 2020 quand l’inflation est estimée à 1 % – une économie évaluée à 200 millions d’euros.

L’article 5, enfin, constitue le gage financier.

Mes chers collègues, nous remercions la commission de nous avoir suivis en adoptant cette proposition de loi. Nous espérons maintenant que la séance sera l’occasion de mener ce beau débat sur les conditions d’un droit fondamental pour nos concitoyens, celui d’avoir un toit, et de ses modalités de mise en œuvre, qui passent par un soutien aux aides personnelles au logement.

Il faudra, parallèlement à ce rehaussement des APL, bâtir dans notre pays un plan de relance de l’offre de production sociale et de régulation des loyers privés. Il s’agit, en effet, du meilleur levier pour faire baisser le niveau de charge que représentent pour l’État ces aides.

La lutte contre le logement cher et le mal-logement doit ainsi devenir prioritaire par rapport aux économies de bout de chandelle réalisées sur le dos d’un trop grand nombre de nos concitoyens, et, parmi eux, de tous ceux qui ont été le plus souvent en première ligne lors de cette crise sanitaire. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SOCR. – M. Henri Cabanel applaudit également.)