Mme la présidente. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.

M. Thani Mohamed Soilihi. Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, les statistiques glaçantes sur les violences conjugales viennent nous rappeler l’importance de ce fléau dans notre pays. Chaque année, en France, 220 000 femmes subissent des violences au sein de leur couple. En 2019, ce sont 150 d’entre elles qui ont perdu la vie ; elles étaient 121 en 2018 et 109 l’année d’avant.

Dans une étude datant de 2017, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) rapporte que les violences intrafamiliales sont plus fréquentes et plus graves en outre-mer qu’en métropole. L’insularité et la faible superficie de certains territoires peuvent en effet entraver la libération de la parole, et rendre inopérant l’éloignement du conjoint violent ou le choix d’un lieu anonyme pour être accueillie et écoutée sans crainte. Bien sûr, je n’oublie pas que ce phénomène touche aussi les hommes, dans une moindre mesure.

Fort heureusement, nous avons assisté ces derniers mois à une prise de conscience collective de l’urgence à agir contre ces faits, qui ont trop souvent été relativisés. En septembre 2019, le Gouvernement a lancé un Grenelle des violences conjugales dont la restitution des travaux, deux mois plus tard, a donné lieu à des annonces fortes.

Pour tenir compte de la situation spécifique dans les outre-mer, un budget de 800 000 euros leur a été attribué.

Le 28 décembre 2019, certains dispositifs annoncés, tels que la généralisation du bracelet anti-rapprochement, l’amélioration du traitement des requêtes en vue de la délivrance d’une ordonnance de protection, ou encore la suppression de l’autorité parentale, trouvaient une traduction législative lors du vote à l’unanimité de la loi Pradié.

La présente proposition de loi, poursuivant ce travail, était également adoptée à l’unanimité à l’Assemblée nationale le 29 janvier dernier. Au Sénat, la crise sanitaire nous a malheureusement contraints de reporter son examen, prévu initialement début avril.

Pourtant, face aux circonstances inédites liées au confinement, les violences familiales ont été exacerbées et les signalements de violences conjugales ont également augmenté d’au moins 30 %, jusqu’à 36 % durant cette période.

La situation étant exceptionnelle, des mesures exceptionnelles ont été mises en place par le Gouvernement pour porter secours aux victimes, mais également pour prévenir les violences : numéro d’écoute, plateforme, point d’accompagnement dans les centres commerciaux, signalement à la pharmacie, éviction du domicile du conjoint violent, etc.

Il nous revient aujourd’hui de poursuivre le travail législatif engagé par nos collègues députés. Il me semble important de souligner, à titre liminaire, que ce texte s’emploie à mieux définir dans notre droit ce que recouvre le terme de « violences », en inscrivant dans la loi la notion d’emprise psychologique, cette stratégie de contrôle qui détermine le passage à l’acte. On la retrouve à plusieurs reprises dans le texte.

Ainsi, le recours à la procédure de médiation en matière civile et pénale en cas d’emprise d’un conjoint sur l’autre, ou en cas d’allégation de violences, sera écarté. De même, tout médecin ou professionnel de santé qui le souhaite pourra directement alerter le procureur de la République, sans l’accord de la victime, s’il a l’intime conviction que celle-ci est en danger immédiat et qu’elle se trouve sous l’emprise de l’auteur des violences. Cette dérogation aux règles régissant le secret médical a pu inquiéter, mais elle a été élaborée en accord avec le Conseil national de l’ordre des médecins et n’est possible que dans des conditions très restrictives.

Le cybercontrôle, qui représente un moyen d’asseoir son emprise sur l’autre, est également pris en compte dans ce texte : le fait de géolocaliser une personne sans son consentement sera dorénavant sanctionné.

La proposition de loi permet en outre de trouver des solutions à certaines situations pouvant s’apparenter à des « violences juridiques », si j’ose dire ; je pense à l’obligation alimentaire, qui peut aujourd’hui contraindre l’ascendant ou le descendant d’une victime de crimes ou de délits commis par le créancier d’aliments. La commission des lois a considéré que l’automaticité retenue par les auteurs de ce texte présentait un risque d’inconstitutionnalité et a réécrit le dispositif.

De même, il semblait important de permettre aux juges de déclarer indignes de succéder les personnes condamnées à une peine criminelle pour avoir commis des violences ou un viol envers le défunt. La commission a ajouté, à la liste des cas d’indignité successorale, les actes de torture et de barbarie, ainsi que les agressions sexuelles ; elle a en outre prévu que cette indignité sera prononcée quelle que soit la nature de la condamnation prononcée. Sur ces deux exceptions d’indignité en matière d’obligation alimentaire et de succession en cas de condamnation pénale, nous vous proposerons, mes chers collègues, des amendements, qui obtiendront, nous l’espérons, l’approbation de la Haute Assemblée.

Ce texte contient également des dispositions relatives à la protection des mineurs. Je pense à la possibilité accordée au juge de suspendre le droit de visite et d’hébergement à l’égard de l’enfant mineur dans le cadre d’un contrôle judiciaire, en cas de violences conjugales, ou à la lutte contre l’exposition des mineurs à la pornographie, qui véhicule, on le sait, une image dégradée de la femme.

Enfin, la proposition de loi renforce la répression de ces violences en alourdissant les peines encourues dans les cas de harcèlement sur conjoint ayant conduit au suicide, de viol du secret des correspondances téléphoniques ou encore d’usurpation d’identité du conjoint. La commission des lois a créé une circonstance aggravante du délit d’envoi réitéré de messages malveillants au conjoint ; nous vous présenterons un amendement visant à aligner les peines encourues sur les peines graduelles qui répriment le délit de harcèlement moral du conjoint.

Cette proposition de loi contient des dispositions importantes, attendues par les victimes et par la société dans son ensemble. Vous l’aurez compris, le groupe La République En Marche soutient fortement son adoption. L’engagement de la procédure accélérée démontre une volonté politique de faire reculer ces violences. Les sujets évoqués ne s’écartent pas des annonces rendues publiques par le Gouvernement, à l’issue du Grenelle, et l’urgence de la situation de ces femmes commande que nous légiférions rapidement.

Évidemment, l’ensemble de ce nouvel arsenal juridique, dorénavant très complet, ne sera pleinement efficace que s’il s’accompagne d’une véritable évolution des mentalités. Nous partageons tous le même constat et nous avons les mêmes objectifs ; je ne doute pas que nous saurons trouver un point d’équilibre lors de la commission mixte paritaire relative à ce texte.

Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, quoi de commun entre Sylvia, Bas-Rhinoise de 40 ans, Carine, 48 ans, originaire de la Loire-Atlantique et Aminata, 31 ans, résidente de la Seine-Saint-Denis ? Peu de choses ; elles n’ont ni le même âge ni la même origine sociale ou géographique.

Pourtant, toutes trois ont perdu la vie, poignardées, en 2019. Sylvia est décédée après avoir demandé le divorce à son mari ; Carine a été assassinée par son ex-petit ami, qui n’avait toujours pas accepté leur rupture, intervenue pourtant deux ans auparavant ; Aminata, enfin, a été tuée par son conjoint et a succombé à ses blessures, sous les yeux de ses deux filles.

L’urgence aurait justifié qu’un projet de loi d’envergure aborde de front et globalement le sujet des violences perpétrées dans les foyers français. À cela, la secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes a préféré un « Grenelle contre les violences conjugales », dont l’intérêt et l’efficacité restent à démontrer…

Sur le fond, nous ne sommes pas opposés à cette proposition de loi, déposée à l’Assemblée nationale par le groupe LaREM avec des intentions pour la plupart louables. Nous saluons, par exemple, les dispositions prévues aux articles 3 et 11 A, susceptibles d’accroître la sécurité des mineurs. Il en va de même de la mesure autorisant, à l’article 9, l’officier de police judiciaire à saisir, lors d’une perquisition pour violences, les armes détenues par la personne soupçonnée. Enfin, nous ne pouvons que soutenir les dispositifs garantissant, aux articles 10 et 10 bis, le respect de la vie privée numérique des victimes. Ces éléments introduisent dans le XXIe siècle, la lutte contre les violences faites aux femmes, ces dernières étant désormais régulièrement victimes de cyberharcèlement et de maltraitance numérique.

Toutefois, ce texte n’est pas exempt de faiblesses ni de défauts. Nous nous opposerons ainsi à l’adoption de l’article 8, qui mettrait à mal le secret médical et dissuaderait, par voie de conséquence, les victimes de violences conjugales de se confier à leur médecin.

Cela dit, ce qui peut surtout être reproché à ce texte, finalement, n’est pas tant ce qu’il contient que ce qu’il omet. Nous y retrouvons les travers de la loi Pradié, promulguée en décembre 2019 : la seule réponse donnée aux violences intrafamiliales relève de la répression et le texte laisse de côté toute dimension éducative et préventive. C’est regrettable.

Qu’en est-il de la formation des policiers, des magistrats et du personnel de santé ? Ces professionnels sont les premiers à recueillir les témoignages des victimes, à constater leurs blessures, à entendre leur souffrance. Ils devraient être formés de toute urgence à recevoir ces victimes de manière professionnelle, sans être portés à minimiser ce qu’endurent ces personnes vivant sous l’emprise de leur compagnon ou conjoint.

Ensuite, qu’en est-il des moyens financiers qu’il conviendrait d’allouer à cette cause ? Selon le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, 1 milliard d’euros devraient être consacrés à cette mission ; dans le projet de loi de finances pour 2020, nous en étions loin, puisque seulement 557 millions d’euros y ont été débloqués en crédits de paiement. Indéniablement, ce manque de moyens limite, dans leurs actions, les associations d’aide aux victimes, associations déjà touchées par la baisse massive de leurs subventions.

Enfin, qu’en est-il de l’accompagnement psychologique ou, à tout le moins, de la thérapie comportementale à destination des conjoints violents ? Peut-on les guérir ? La question reste ouverte, surtout lorsqu’il s’agit, ce qui est généralement le cas, d’un comportement pervers de possession et de manipulation, qui piège la victime dans la boucle infernale de l’emprise. Accompagner les agresseurs, c’est aussi protéger les victimes.

Dans un esprit constructif, le groupe CRCE déposera plusieurs amendements afin de faire évoluer cette proposition de loi. Nous tâcherons de la doter d’un volet préventif, pour équilibrer sa dimension répressive.

Mes chers collègues, en dix ans, environ 1 400 femmes ont été tuées par leur compagnon ou leur ex-conjoint. Les femmes représentent 80 % des victimes d’homicides conjugaux ; c’est pour elles que nous légiférons aujourd’hui. Toute loi contre les violences conjugales est aussi un mémorial pour ces femmes assassinées et, plus encore, représente un espoir pour celles qui veulent échapper à pareille mort.

Malgré nos réserves, nous voterons pour ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur des travées du groupe SOCR.)

Mme la présidente. La parole est à M. Dany Wattebled.

M. Dany Wattebled. Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, dans son rapport de 2018, la délégation d’aide aux victimes a donné des chiffres d’homicides au sein du couple. Le bilan s’établit à 149 homicides, dont 121 femmes et 28 hommes ; à ces 149 victimes s’ajoutent 21 enfants tués dans le cadre de violences au sein du couple. Depuis lors, ces chiffres ont, bien entendu, baissé, mais ils demeurent trop importants et rappellent notre incapacité collective à protéger ces femmes, ces hommes et ces enfants, toutes ces victimes d’un conjoint, d’un ex-conjoint ou d’un parent violent, qui se transforme peu à peu en assassin.

C’est pourquoi, face à cette réalité insupportable, la République doit être à la hauteur. Aussi, je me félicite de ce que le Parlement ait déjà fait évoluer la législation depuis deux ans, puisque deux textes ont été votés dans le but de combattre plus efficacement les violences commises à l’encontre des femmes et des enfants.

Tout d’abord, a été adoptée la loi de 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, dite loi Schiappa. Elle ne vise pas spécifiquement les violences conjugales ou intrafamiliales, mais elle contient un ensemble de mesures destinées à lutter contre les violences faites aux femmes et à mieux protéger les mineurs. Elle a notamment institué une nouvelle infraction, l’outrage sexiste, permettant de mieux sanctionner le harcèlement de rue. Elle a également élargi la définition du harcèlement en ligne. En ce qui concerne la protection des mineurs, elle a précisé la définition du viol, afin que ce crime soit plus facile à caractériser lorsque la victime est mineure, et elle a également porté le délai de prescription à trente ans à compter de la majorité de la victime.

La loi plus récente du 29 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille, dite loi Pradié, porte plus spécifiquement sur les questions de violences commises au sein du couple ou au sein de la famille. Elle a donné une base légale à l’utilisation d’un nouvel outil de prévention des violences conjugales : le bracelet anti-rapprochement, dont le port peut être ordonné par le juge pénal. Ce bracelet électronique permet de prévenir la victime que son conjoint violent se rapproche et déclenche une alerte dans un centre de surveillance, afin que les forces de police ou de gendarmerie interviennent si le conjoint violent n’obtempère pas au premier avertissement.

Cette loi a également renforcé le régime juridique de l’ordonnance de protection, afin que celle-ci soit délivrée dans les délais les plus brefs par le juge aux affaires familiales et que le recours au bracelet anti-rapprochement puisse être proposé dans ce cadre, de manière à prévenir la répétition des violences.

La proposition de loi visant à protéger les victimes de violences conjugales, qui nous est soumise cet après-midi, est donc examinée après deux lois. Ce texte fait bien sûr suite au Grenelle contre les violences conjugales, qui s’est tenu à l’automne dernier. Elle transcrit dans le droit certaines de ses préconisations, en matière civile comme pénale.

Elle déborde toutefois du strict champ de la lutte contre les violences conjugales, pour inclure des mesures visant à protéger les mineurs ou à prévenir les violences au-delà du cadre des affaires intrafamiliales.

Ce texte contient une série de nouvelles dispositions. Je note avec satisfaction un certain nombre de mesures, comme la suspension du droit de visite, de la médiation pénale et de la médiation familiale. Je salue également les dispositions aggravant les peines relatives aux atteintes à la vie privée. Plus encore, je me félicite d’une mesure inédite, l’introduction dans le code civil de la notion d’emprise.

Désormais, nous disposons d’un arsenal juridique étoffé. Il paraît maintenant indispensable – notre rapporteur, Mme Marie Mercier, l’indiquait à juste titre – de le compléter, d’abord, par un travail de formation auprès des policiers, des gendarmes et des magistrats, ensuite, par l’allocation de moyens aux associations qui soutiennent les victimes, enfin, par l’organisation de campagnes de communication visant à favoriser la libération de la parole. En outre, il est primordial d’agir dans le domaine du logement, afin de faciliter l’éviction du conjoint violent du domicile conjugal.

Mesdames les ministres, mes chers collègues, trop longtemps, la société a tu la réalité des violences intrafamiliales. La persistance est une meurtrissure qui ne peut être ignorée et qui nous impose d’agir. Ce combat doit mobiliser la société civile et la puissance publique.

Approuvant pleinement la démarche suivie par la commission des lois, le groupe Les Indépendants votera en faveur du texte de la commission. (M. le président de la commission applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Vérien.

Mme Dominique Vérien. Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, 10 000, c’est le nombre d’appels qu’a reçu la plateforme 3919 durant le confinement, preuve, s’il en fallait une encore, du danger que courent les femmes dans notre société.

Nous étudions aujourd’hui – cela a été dit maintes fois – le troisième texte en moins de deux ans sur les violences faites aux femmes. C’est la preuve que le temps de lutter contre ce fléau est arrivé. C’est positif, parce que cela complète utilement l’arsenal juridique dont nous disposons déjà, mais cela ne doit pas masquer le fait que cet arsenal n’est pas toujours employé, du moins suffisamment, sur notre territoire. Il est donc temps de passer de la parole aux actes.

Pour autant, cette proposition de loi apporte des améliorations et elle est l’écho du Grenelle contre les violences conjugales.

Certes, certains des éléments de ce texte auraient pu être adoptés dès l’examen de la proposition de loi Pradié. Certes, ce texte ne reprend pas l’ensemble des recommandations du Grenelle et il faudra sans doute un quatrième texte.

Néanmoins, cette proposition de loi apporte des améliorations. On y retrouve, par exemple, la saisie des armes des conjoints violents, l’évolution du secret médical ou encore la suspension du droit de visite en cas de soupçon de violences. L’auteur du texte a également traité – c’est à saluer – des nouvelles formes de violences exercées via les nouvelles technologies. Ainsi y trouve-t-on la pénalisation du cyberharcèlement entre conjoints ou encore celle de la géolocalisation non consentie.

Puisque l’on parle d’informatique, je veux souligner l’évolution apportée par notre rapporteur, Marie Mercier, sur l’inscription au Fijais des individus condamnés pour consultation de contenus pornographiques. Nos travaux réalisés dans le cadre de la mission d’information sur la pédocriminalité dans les institutions avaient mis en évidence l’importance trop faible accordée à la consultation d’images pédopornographiques. Or cette consultation est souvent le symptôme d’un mal bien plus profond, car, ne l’oublions pas, l’enfant violé sur une image ou dans un film est un enfant véritablement violé. Je vous remercie donc de cette amélioration, madame la rapporteure.

Je salue également la rupture avec le dogme du lien familial sacré. Ce dogme a longtemps été le credo de juges aux affaires familiales : on ne sépare pas un enfant de ses parents. Comment peut-on penser qu’il soit nécessaire et même positif de garder un lien entre le bourreau et sa victime ? Je me réjouis de constater que l’obligation alimentaire et le droit de la succession puissent être écartés en cas de crimes ou de délits intrafamiliaux.

J’en viens à la notion d’emprise ; celle-ci est maintenant reconnue. L’emprise est une mare de mazout dans laquelle on se débat. On ne peut s’en sortir seul ; il faut l’intervention d’une personne extérieure pour vous extraire du magma dans lequel vous êtes englué, pour vous aider à nettoyer vos ailes et à reprendre, ensuite, votre envol. L’emprise est souvent, malheureusement, la clé de compréhension des situations de violences répétées, qui peuvent aller jusqu’au meurtre.

Enfin, autre apport de ce texte : la question du secret médical et la possibilité pour un médecin d’y déroger. Naturellement, cette dérogation est encadrée et la rapporteure apporte des nuances bienvenues dans la rédaction du texte. Pour autant, à titre personnel, je défendrai un amendement sur ce sujet, car la notion retenue de « danger immédiat » pour la vie d’une victime me semble malvenue. En matière de violences conjugales, lorsqu’une victime fait face à un danger immédiat pour sa vie, il est déjà trop tard et, dans cette circonstance, on se rend rarement chez son médecin de famille ; c’est aux urgences qu’on la retrouvera, dans le meilleur des cas… La notion de danger me semble donc plus indiquée.

Cette proposition apporte des améliorations, disais-je, mais j’émettrai tout de même un bémol ; qu’en est-il de la prévention, de la détection, du suivi, de l’évitement de la récidive ? Ces éléments sont indispensables si l’on veut éviter, plutôt que lutter contre, les violences conjugales. Il est vrai que des mesures ont été prises récemment en ce sens. Je pense, par exemple : au changement de paradigme en matière de logement, avec l’éloignement du conjoint violent et non plus de la victime et de ses enfants ; à la circulaire de Mme la garde des sceaux rappelant que les enfants témoins de violences conjugales sont aussi des victimes et doivent être, à ce titre, représentés ; ou encore au numéro d’appel mis en place par la Fnacav pour les hommes violents.

Je me permets de rappeler, à cette occasion, que, dans le cadre de notre rapport sur la pédocriminalité dans les institutions, Marie Mercier, Michel Meunier et moi-même appelions de nos vœux un tel numéro pour les pédophiles, afin d’éviter que ceux-ci ne deviennent pédocriminels. Il y a donc encore du travail, notamment sur la formation, en matière de violences conjugales et de protection des mineurs, des professionnels de santé et de l’éducation, de la police et de la gendarmerie. Une meilleure formation de ces acteurs permettrait de détecter, le plus en amont possible, ce poison. Une bonne formation des policiers et des gendarmes permettrait de mieux accueillir les victimes et de proscrire la main courante pour favoriser un dépôt de plainte systématique.

Je veux maintenant évoquer les moyens, car la bonne intention n’est pas suffisante. Prenons l’exemple des stages pour les hommes violents ; c’est une excellente idée sur le papier, mais, dans les faits, il y a tellement peu de places et de psychologues qu’il faut attendre plusieurs mois pour y participer, et ces stages ne durent que quelques heures, quelques jours au mieux. Pensez-vous qu’un homme qui ne communique que par la violence soit guéri en deux jours ? Ne croyez-vous pas que les six mois d’attente pour être traité sont six mois d’enfer pour le conjoint ? Je pourrais aussi parler du manque criant de psychologues dans les commissariats ou dans les gendarmeries, du manque d’infirmières scolaires ou encore de la baisse des aides aux associations.

Bref, il y a encore beaucoup de besoins à satisfaire, mais, bien sûr, ce n’est pas parce que le chemin est long qu’il ne faut pas le prendre. Vous l’aurez compris, le groupe Union Centriste votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées des groupes Les Républicains, RDSE et SOCR.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Laure Darcos.

Mme Laure Darcos. Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, le Sénat examine aujourd’hui la proposition de loi visant à protéger les victimes de violences conjugales.

Ce texte s’inscrit dans le prolongement du Grenelle contre les violences conjugales, ouvert par le Gouvernement le 3 septembre dernier. Il a vocation à être le complément de la loi du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille, qui était issue de la proposition de loi de notre collègue député Aurélien Pradié.

Cette loi de 2019 constitue, à n’en pas douter, une véritable avancée pour les victimes, avec la possibilité donnée au juge d’ordonner la pose du bracelet anti-rapprochement, le recours élargi au téléphone grave danger ou encore le renforcement du dispositif de l’ordonnance de protection, désormais délivrée plus rapidement et plus protectrice pour les victimes. Il est, par exemple, d’une importance capitale que le conjoint violent puisse être évincé du domicile conjugal dans les plus brefs délais. Cette loi a par ailleurs prévu diverses mesures afin de faciliter le relogement des victimes de violences et il faut s’en réjouir, car le logement constitue l’élément fondateur de toute reconstruction personnelle.

Alors, pourquoi ce nouveau texte est-il déposé au Parlement avant même que la loi de 2019 ait démontré la pleine mesure de sa capacité à juguler les violences conjugales et à servir durablement les victimes, sous réserve qu’elle soit assortie de financements suffisants pour soutenir les associations et les dispositifs judiciaires, comme le bracelet anti-rapprochement ? Permettez-moi d’y insister : la loi Pradié est un texte pragmatique, apportant des solutions juridiques précises. Ainsi, des dispositions concernant l’autorité parentale, figurant initialement dans le texte qui nous est soumis, il ne reste plus grand-chose, car la commission des lois de l’Assemblée nationale a dû se résoudre à constater que la législation en vigueur traitait cette question de manière adéquate.

Depuis 2014, la juridiction de jugement a en effet l’obligation de se prononcer sur le retrait total ou partiel de l’autorité parentale de l’auteur d’un crime ou d’un délit commis sur la personne de l’autre parent. Il s’agit là d’une mesure de protection de l’enfant, qui répond à la tragédie familiale qui affecte directement ce dernier.

Néanmoins, les décisions de retrait de l’autorité parentale prises sur le fondement d’infractions commises sur l’autre parent étaient jusqu’ici trop peu nombreuses, sans doute parce que prévalait une certaine idée, selon laquelle l’intérêt de l’enfant réside dans le maintien, coûte que coûte, de liens familiaux avec l’auteur des violences.

L’apport de la loi du 28 décembre 2019 est ici intéressant à plus d’un titre : celle-ci permet désormais aux juridictions civiles et pénales, qui ont la faculté de prononcer le retrait total ou partiel de l’autorité parentale, de prononcer alternativement le retrait de l’exercice de l’autorité parentale. Par ailleurs, elle a prévu une suspension de plein droit de l’exercice de l’autorité parentale pour six mois, afin de libérer l’enfant de la tutelle de l’auteur du crime, dans l’attente d’une décision pérenne de l’institution judiciaire.

Ces dispositions devraient rapidement faire la preuve de leur efficacité à préserver l’intégrité physique et morale des enfants, au regard d’une opinion publique tolérant de moins en moins les violences intrafamiliales et la persistance d’une certaine domination de la figure paternelle. Or ce sont justement les enfants, particulièrement vulnérables, qu’il nous faut sans relâche protéger des dérives des adultes.

Notre délégation aux droits des femmes, dont je salue la vigilance constante sur tous ces sujets, a mené de nombreuses auditions sur le thème des violences intrafamiliales. Tous nos interlocuteurs ont attesté les conséquences souvent dramatiques de ces violences sur la construction identitaire des enfants. Ceux-ci sont d’autant plus fragilisés que les faits de violences sont répétés, s’aggravent et s’inscrivent dans un rapport de force asymétrique. L’impact de ces faits est variable selon le degré d’exposition à la violence conjugale, mais aussi selon l’âge et le sexe de l’enfant.

Certains experts évoquent un syndrome de stress post-traumatique pouvant être accompagné d’effets négatifs affectant le développement de l’enfant ou ses conduites : fonctionnement cognitif et émotionnel perturbé, santé dégradée, problèmes d’échec scolaire, démonstrations d’agressivité et usage de la violence. À l’âge adulte, ces enfants exposés présentent un risque bien réel de reproduire les comportements violents dont ils ont été les témoins.

Toute politique publique doit donc rechercher les solutions permettant de favoriser la résilience. C’est pourquoi la proposition de loi visant à protéger les victimes de violences conjugales, que nous examinons aujourd’hui, me semble comporter une mesure importante au regard de cet objectif : la possibilité donnée au juge de suspendre le droit de visite et d’hébergement dont une personne placée sous contrôle judiciaire est titulaire.

Cette possibilité n’était pas prévue par la loi de 2019, le juge pouvant seulement prononcer à l’encontre de l’auteur des faits, dans le cadre du contrôle judiciaire, une interdiction de s’approcher de la victime et de paraître au domicile ou aux abords immédiats de celui-ci. L’exercice du droit de visite et d’hébergement est en effet un moment particulièrement redouté par les victimes de violences conjugales. Permettre au juge d’instruction et au juge des libertés et de la détention d’ordonner, à ce stade de la procédure pénale, la suspension du droit de visite et d’hébergement à l’égard des enfants est une mesure indispensable, complétant utilement le dispositif de protection des victimes. Je la soutiens donc totalement.

Permettez-moi toutefois de former, au terme de cette intervention, un vœu : il est temps, me semble-t-il, de mettre un terme à cette inflation législative et de laisser l’ensemble des acteurs, en particulier ceux de la chaîne pénale, se saisir des nouveaux outils mis à leur disposition, pour combattre le fléau des violences conjugales. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC et SOCR.)