M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons cet après-midi un quatrième projet de loi de finances rectificative. Il faut remonter aux années 2010 et 2011, en pleine crise des dettes souveraines, pour retrouver un rythme aussi soutenu de correction budgétaire.

Nous ne sommes pourtant pas dans la même situation qu’il y a dix ans : des leçons ont été tirées de cette période. Alors que son inaction avait amplifié les effets de la crise précédente, la Banque centrale européenne a décidé d’agir dès mars 2020 par la mise en place d’un plan exceptionnel d’achats d’actifs afin de soutenir les États membres.

Aujourd’hui, nous sommes confrontés à une crise sanitaire dont nous ne connaissons pas l’issue et qui, sans surprise, débouche sur une crise économique et sociale de grande ampleur.

Compte tenu du deuxième confinement décidé par le Gouvernement, notre pays pourrait connaître une récession de 11 % cette année, une chute inédite depuis 1944. Du fait de la baisse des recettes fiscales et des mesures indispensables de soutien public, le déficit atteindrait 11,3 % du PIB, et la dette publique serait portée à près de 120 % du PIB.

Ce dernier PLFR n’est évidemment pas un simple collectif de fin de gestion : il a pour objet de porter les crédits nécessaires pour faire face à l’urgence économique et sociale, et ajoute à ce titre près de 21 milliards d’euros – dont la moitié pour le fonds de solidarité pour les entreprises – aux 65 milliards d’euros déjà ouverts. Des crédits complémentaires sont prévus pour des exonérations de cotisations sociales, le financement de l’activité partielle, ainsi que des avances remboursables pour les autorités organisatrices de la mobilité.

Pour répondre à cette urgence et débloquer les crédits rapidement, l’Assemblée nationale a d’ailleurs examiné ce texte dans des conditions très contraintes, siégeant jusqu’au petit matin mercredi dernier, ce qui nous permet d’en débattre aujourd’hui ; je tiens à en remercier nos collègues députés.

Le Sénat a adopté chacun des trois premiers collectifs budgétaires ; il adoptera sans doute le quatrième. Cependant, la crise ne s’arrêtera pas au 31 décembre de cette année. Non seulement des mesures restrictives pourraient se prolonger – nous ne le souhaitons pas – mais, plus grave, nous commençons à peine à percevoir les répercussions concrètes de la crise, avec son cortège de fermetures d’entreprise et de licenciements qui se traduisent par une forte montée de la précarité.

Les réponses à apporter ne sauraient être que ponctuelles, sous la forme d’aides temporaires ou exceptionnelles, ou encore d’avances remboursables, alors que la crise sera sans doute durable.

L’idée d’un rebond permettant de retrouver rapidement la situation d’avant-crise n’est pas tout à fait réaliste. Des secteurs entiers sont sinistrés et de très nombreuses familles sont dans des situations très difficiles.

Lorsque le plan de relance nous a été présenté au début du mois de septembre pour être intégré au projet de loi de finances, le Gouvernement espérait un redémarrage de l’économie après une activité estivale tout à fait encourageante. Cette dynamique s’est heurtée de plein fouet à la deuxième vague de l’épidémie et au deuxième confinement, qui, pour être moins strict que le premier, se répercute sur le commerce, mais aussi – il faut le dire – sur le moral de l’ensemble des ménages et des acteurs économiques. Nul ne sait dans quelles conditions l’activité pourra reprendre l’an prochain.

Monsieur le ministre, l’examen de ce collectif budgétaire précède de quelques jours l’examen du PLF 2021. Je souhaite que vous nous indiquiez comment vous entendez prendre en compte ces nouvelles données, notamment macroéconomiques. Le projet de budget qui nous est soumis ne doit-il pas faire l’objet, à l’ouverture de nos débats ce jeudi, d’une réactualisation dans toutes ses composantes – équilibre général, recettes, dépenses, notamment d’urgence ? Évitons de nous retrouver dès le début de l’année prochaine pour un premier PLFR 2021 !

Enfin, au-delà du soutien aux entreprises et à l’emploi, quelles mesures structurelles le Gouvernement entend-il prendre pour soutenir, sur le long terme, nos concitoyens les plus fragiles, plus particulièrement la jeunesse, qui, vous le savez, voit son avenir compromis par cette crise soudaine et brutale ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées des groupes RDPI et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier.

M. Stéphane Ravier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en cette quatrième modification de notre budget 2020, je souhaite soulever deux interrogations majeures.

Tout d’abord, pourquoi sommes-nous confrontés à une telle calamité économique ? Les difficultés de notre pays, qui étaient déjà grandes avant la crise sanitaire, ont été amplifiées par votre gestion hasardeuse et, même, ruineuse de la crise de la covid-19.

Votre décision de fermeture de nos commerces de proximité, des cafés, hôtels et restaurants, du monde du sport et de la culture est autant d’huile versée sur le feu d’une crise économique qui se développe chaque jour un peu plus.

Tous ces commerçants en phase avec la réalité du terrain étaient pourtant les premiers à appliquer un protocole sanitaire strict et à faire des propositions pour le renforcer. Comme à votre habitude, vous ne les avez pas écoutés.

L’exécutif a décidé seul de ce qui est essentiel ou non essentiel, ce qui se traduit, sur le terrain, par des situations d’une stupidité sans nom et par des drames économiques annonçant pour demain de véritables drames humains.

Les élus locaux et les corps intermédiaires – syndicats, chambres de métiers et de l’artisanat, chambres de commerce et d’industrie – avaient pourtant formulé des propositions alliant protection sanitaire et protection économique, l’une ne pouvant aller sans l’autre. Plutôt que la concertation, vous avez préféré l’incarcération.

Pour une continuité de l’activité dans tous les secteurs économiques, on aurait dû penser un protocole sanitaire composé d’une base minimale stricte puis complété par des adaptations en fonction des territoires et des secteurs d’activité. Mais, pour cela, il aurait fallu que le Gouvernement ne soit pas réfractaire au changement et qu’il daigne traverser la rue pour écouter les maires, les commerçants, les indépendants – ceux qui, jusqu’alors, avaient encore un boulot. Votre fainéantise va nous coûter un pognon de dingue !

Fin septembre, lors de l’instauration du couvre-feu dans les Bouches-du-Rhône, nous avons essayé de vous alerter par tous les moyens sur le fait que vos mesures étaient administrativement trop compliquées, bêtement unilatérales et globalistes. Nous aurions parlé à un sourd qu’il nous aurait mieux entendus…

La deuxième inquiétude majeure porte sur les conséquences de vos choix. Qui va payer la faramineuse facture de votre impréparation et de votre incompétence appelées « confinement » ?

Notre endettement est colossal, monsieur le ministre. L’exécutif creuse à la pelleteuse un trou financier pour combler le précédent : c’est le sapeur Camember en habit de président ! C’est de plus inefficace, car cela reste largement insuffisant : les aides promises aux commerçants au mois de juin sont perçues aujourd’hui seulement ; elles ne permettent même pas de payer les loyers.

Cerise sur le gâteau, cet endettement massif menace la zone euro d’effondrement. Avec un PIB à –11 % en 2020 et une prévision de –10 % en 2021, ce n’est pas la croissance qui allégera la dette ; ce n’est pas non plus la fiscalité, qui est déjà confiscatoire. Aider les entreprises en difficulté, c’est bien, mais, pour libérer l’économie, libérez les commerçants, monsieur le ministre, tous les commerçants !

Alors que la Banque de France et l’Insee annoncent la destruction de 800 000 emplois en 2020 et un taux de chômage de près de 11 % en 2021, ne faites pas le « mariole », comme on le dit chez moi, ne parlez pas de relance. Contentez-vous plutôt de mettre en place une politique de grand sauvetage de l’économie française, si vous ne voulez pas que les Français subissent, en plus du grand remplacement, le grand effondrement !

M. le président. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Vanina Paoli-Gagin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui le quatrième – et dernier, nous l’espérons – projet de loi de finances rectificative pour 2020. Quelques jours avant le coup d’envoi du marathon budgétaire, ce quatrième PLFR fait un peu figure d’échauffement, mais il conclut surtout un exercice budgétaire sans précédent.

Avant de vous livrer quelques observations sur le caractère proprement extraordinaire de cette situation, je souhaite d’abord revenir sur son caractère très ordinaire.

En effet, ce PLFR remplit aussi la mission ordinaire d’un collectif budgétaire de fin de gestion. Comme lors des années précédentes, le Gouvernement n’a pris aucun décret d’avance et ne propose aucune réforme fiscale. Je tiens à le saluer, car ce n’est pas parce que les temps sont durs que nous devons nous arranger avec la discipline budgétaire, bien au contraire.

Cette rigueur renforce la lisibilité et la transparence du travail du Parlement. Alors que notre société est rongée par la défiance et le complotisme, souligner cette rigueur n’est pas pécher par excès de zèle, et pour cause : dans le contexte de crise que nous connaissons, tous nos efforts doivent viser à créer de la confiance, qui est le carburant de l’économie.

La situation des finances publiques que ce PLFR entérine est catastrophique. En moins d’un an, notre taux d’endettement aura bondi de vingt points. La dépense publique représente désormais près des deux tiers de la richesse nationale, et nous connaissons une récession à deux chiffres : cela a de quoi donner le vertige.

Dans ce contexte, nous ne pouvons maintenir la confiance qu’à deux conditions : d’une part, en préservant le tissu économique afin de ménager notre capacité de rebond ; d’autre part, en nous préparant à réduire la dette sur le long terme.

Ce quatrième PLFR nous paraît répondre à cette double exigence. Prenant acte du reconfinement actuellement en vigueur – reconfinement que la dégradation de la situation sanitaire a rendu nécessaire –, il prévoit d’amplifier en conséquence les dispositifs déjà en place pour accompagner les entreprises affectées par ces mesures. Il en est ainsi de l’abondement de près de 11 milliards d’euros du fonds de solidarité, des 3 milliards d’euros d’exonérations de cotisations supplémentaires ainsi que des 3 milliards d’euros de rallonge pour financer le chômage partiel. En tout, ce sont donc près de 20 milliards d’euros que nous injectons de nouveau dans l’économie afin d’éviter que le virus ne tue aussi nos entreprises

Je ne relancerai pas aujourd’hui les polémiques sur l’ouverture des commerces. Nous savons tous, ici, la colère des commerçants et nous la comprenons. Pour rester cohérentes avec ces mesures sanitaires lourdes, monsieur le ministre, les mesures économiques doivent être à la hauteur des restrictions imposées et de leur impact – nous y reviendrons lors de l’examen du projet de loi de finances.

Les commerçants, plus généralement l’ensemble des entrepreneurs, voudraient avoir davantage de visibilité. C’est malheureusement impossible, car les mesures sanitaires ne peuvent être actualisées et adaptées que sur des périodes courtes de deux à trois semaines, en déphasage total avec la réalité et la logique des cycles commerciaux, des cycles d’investissement et des cycles de recrutement.

Pardonnez-moi de vous le dire, monsieur le ministre, le plan de relance de 100 milliards d’euros qui doit projeter de nouveau la France dans le temps long, qui doit donner de la visibilité, manque encore de consistance pour les acteurs de terrain. Ils lui préfèrent, pour l’heure, les mesures d’urgence en euros sonnants et trébuchants : un tiens vaut toujours mieux que deux tu l’auras !

Aussi, au-delà des discussions que nous aurons sur le bon calibrage de ces mesures, je crois que le message que nous envoyons est clair et cohérent avec les mesures prises depuis le début de la crise : la santé prime, « quoi qu’il en coûte ». C’est pourquoi le groupe Les Indépendants approuve ce PLFR, qui compensera en partie les dégâts du reconfinement.

À mes yeux, son principal intérêt réside dans ce qu’il nous permet de préparer la reprise et, donc, de bâtir la confiance dans l’économie. Sans entreprise, pas de reprise ; sans reprise, pas de croissance ; sans croissance, pas de confiance.

Pour conclure, mes chers collègues, je souhaite m’attarder sur cette notion de confiance et sur celle de dette qui la menace dangereusement.

Certes, nous pouvons nous réjouir que la signature de la France continue d’inspirer la confiance. Le contexte international nous est encore favorable, de même que la politique de la Banque centrale européenne (BCE). Cependant, comme notre rapporteur général l’a souligné, nous devrons attendre plusieurs années avant d’espérer ramener notre taux d’endettement autour de 100 % du PIB. Or il y a quelques mois seulement, le Sénat s’alarmait à juste titre d’un taux aussi élevé.

Si nous voulons vraiment nous convaincre qu’il n’y a pas d’argent « magique », alors nous devons très rapidement changer de braquet et réduire drastiquement les dépenses publiques. Il y va de la soutenabilité de notre économie. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian. (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)

Mme Sophie Taillé-Polian. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, force est de constater que, face à cette crise, ce quatrième projet de loi de finances rectificative pour 2020 n’est malheureusement pas à la hauteur.

Pourtant, au premier abord, ce budget rectificatif semble bien se tenir en termes de montants déployés, que ce soit pour le fonds de solidarité, les prêts garantis, les exonérations de cotisations ou le chômage partiel. Au total, ce projet de loi apporte 20 milliards d’euros supplémentaires – de l’argent « magique », diront certains – pour soutenir l’économie.

Les mesures qui sont financées sont des mesures utiles et nécessaires pour atténuer la violence du choc économique que nous subissons. Cependant, cela est insuffisant et, dans plusieurs domaines, les manques sont criants.

Ce PLFR n’est pas à la hauteur pour la culture ni pour les petits commerces. Alors que les géants de la distribution, les hypermarchés et la vente en ligne sont les grands gagnants de la crise, vous ne leur demandez rien.

Ce projet de loi de finances rectificative n’est pas à la hauteur pour les quartiers populaires. Ce week-end, cent dix maires des villes de banlieue vous le disaient : « En dépit des alertes, les villes et quartiers populaires restent un angle mort du plan de relance : aucune mesure ambitieuse n’a été prise pour répondre à la détresse sociale et économique qui frappe nos communes. » Pourtant, les « premiers de corvée », ceux qui sont en première ligne dans cette crise et qui sont aussi les plus touchés par cette maladie, vivent, pour un grand nombre d’entre eux, dans ces villes et quartiers populaires.

Ce projet de loi de finances rectificative n’est pas à la hauteur non plus en matière de logement d’urgence ni de logement social. Il n’est pas à la hauteur pour aider les plus précaires et les publics vulnérables, qui basculent trop nombreux dans la pauvreté.

Sur les 20 milliards d’euros d’aides prévus, seul 1 milliard d’euros l’est pour les plus pauvres, soit 5 % des mesures d’urgence, presque rien pour les associations qui les accompagnent et pas assez pour les collectivités qui essaient de faire face mais qui sont dépassées. Selon les derniers chiffres du Secours catholique, 10 millions de personnes sont en passe de basculer dans la pauvreté.

Au-delà de ces manques, je perçois des arrière-pensées, que je qualifierais d’assez sombres et que je ne vois nulle part démenties. Pendant cette crise, vous organisez le transfert de la dette publique vers les comptes sociaux. Pourquoi l’assurance chômage finance-t-elle un tiers de la dépense exceptionnelle du chômage partiel, pourtant décidé par l’État ? Quelle réforme de l’assurance chômage devons-nous craindre ?

Par ailleurs, en quoi la réforme des retraites devrait-elle participer à payer la dette covid ? Vous nous promettiez qu’avec réforme cette personne n’y perdrait ; or M. Le Maire nous indique que c’est grâce à elle que nous allons réaliser des économies. Cela mérite explication.

Ce que nous craignons, c’est la politique des caisses vides. On connaît l’histoire : réduire massivement les impôts des riches et des entreprises – vous l’avez fait, et vous continuez –, avant de revenir un peu plus tard vers les Français pour dénoncer les déficits avec une fausse candeur et en profiter pour baisser les dépenses publiques, qui ont pourtant un rôle d’amortisseur social.

Enfin, vous n’êtes pas à la hauteur de la crise climatique ni de la soif de justice sociale, pourtant tellement forte dans notre pays. Les milliards que vous déversez ne sont soumis à aucune condition, ni sociale ni environnementale. Ils ne sont ciblés ni vers les énergies renouvelables, ni vers les infrastructures de transport, ni vers la réduction des gaz à effet de serre, ni vers le respect du droit du travail et de l’égalité femmes-hommes.

Il est certes essentiel de soutenir les entreprises, notamment les plus petites. Mais prenons l’exemple de l’entreprise Carrefour : elle a reçu 755 millions d’euros d’argent public grâce au crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), son chiffre d’affaires a progressé pendant la crise sur le dos des petits commerces et elle s’apprête à demander que l’État indemnise 78 000 de ses salariés au titre du chômage partiel, alors qu’elle a versé 183 millions d’euros de dividendes cette année.

M. Éric Bocquet. Absolument !

Mme Sophie Taillé-Polian. Ces aides sans conditions sont le symbole d’un système aveugle aux enjeux de notre temps. Conditionnez les aides à l’interdiction de verser des dividendes, à des actions vigoureuses pour sauver le climat ou pour réduire les écarts salariaux, par exemple. Que vous le vouliez ou non, la crise écologique et là ; la crise sociale aussi. Organisons la transition vers un autre modèle de développement, ou la bascule sera brutale.

Quand nous vous disons « transition énergétique », vous répondez : « soutien aux dépenses polluantes », « refus de la conditionnalité des aides ». Quand nous vous disons « justice sociale », vous répondez par des mesures trop faibles pour aider les plus précaires. Quand nous vous disons « démocratie », vous répondez par des décisions prises en conseil de défense dans la plus grande opacité.

Nous devons changer de direction. C’est pourquoi le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, composé d’élus EELV, Générations.s, d’élus de nos territoires, sera là pour proposer un autre chemin : celui de l’écologie comme projet, avec l’égalité comme boussole. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées des groupes CRCE et SER.)

M. le président. La parole est à M. Didier Rambaud.

M. Didier Rambaud. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, « L’avenir, tu n’as pas à le prévoir, mais à le permettre », écrivait Saint-Exupéry.

C’est la quatrième fois que nous nous réunissons cette année pour voter un nouveau budget rectificatif. Fidèles à cette maxime, c’est la quatrième fois que nous ajustons les prévisions de la loi de finances initiale et que nous renforçons le soutien de l’État à une économie fortement éprouvée.

S’il y a bien une chose que nous avons apprise au cours de ces longs mois de pandémie, c’est qu’il n’y a pas de bonne prévision en temps de crise – un simple coup d’œil à l’article liminaire suffit à nous en convaincre. Mais nous comprenons également que l’essentiel est ailleurs et qu’une bonne politique d’urgence est une politique qui soutient massivement l’économie et fait en sorte de préserver ce qui doit être préservé pour que, à l’issue de la crise, le pays soit prêt pour la reprise.

Les prévisions de ce PLFR 4 sont plus sombres que celles que le Gouvernement avait communiquées il y a quelques semaines, lors de la présentation du projet de loi de finances pour 2021, mais il faut reconnaître qu’elles sont meilleures que celles que nous avions anticipées lors de la discussion du PLFR 3.

La résilience de notre économie et de nos concitoyens nous a permis de connaître un rebond inédit de 18 % au troisième trimestre. Notre économie semble prête à repartir au moindre signe d’accalmie, mais, pour l’heure, reconnaissons que la crise sanitaire dicte encore le tempo de la reprise.

C’est pour cela que le Gouvernement nous a présenté un quatrième budget rectificatif, qui apporte un soutien inédit de 20 milliards d’euros à notre économie et à nos concitoyens ayant le plus souffert de la crise : 20 milliards d’euros ! Dans le tourbillon des chiffres qui s’amoncellent depuis le début de cette crise, on finirait presque par en oublier l’ampleur : 20 milliards d’euros de crédits nouveaux pour faire face à la seconde vague ; 20 milliards qui s’ajoutent aux 66 milliards d’euros déjà dépensés depuis le début de la crise.

Dans ce nouveau budget rectificatif, la mission « Plan d’urgence face à la crise sanitaire » est abondée à hauteur de 17 milliards d’euros, dont 10,9 milliards pour le fonds de solidarité, soit autant de moyens dans ce seul budget que l’ensemble des crédits ouverts depuis le début de la crise. C’est une réponse forte aux inquiétudes de nos entreprises, qui subissent de nouveau de plein fouet les restrictions sanitaires.

Ce renforcement inédit permet d’élargir le plafond d’aide à 10 000 euros et le plafond d’emplois à 50 employés pour les entreprises visées par une mesure de fermeture administrative.

Pour accompagner les plus fragiles, l’État finance également une nouvelle prime de précarité pour près de 1,1 milliard d’euros. Il finance en outre le renforcement de la prime d’apprentissage, de l’allocation aux adultes handicapés et des allocations d’invalidité à hauteur de 500 millions d’euros.

Si l’on nous avait dit en février dernier que le chômage partiel aurait ainsi protégé la moitié des salariés de France, personne ne l’aurait cru.

Si l’on nous avait dit que l’État consentirait un effort de 6 milliards d’euros par mois pour accompagner les entreprises en difficulté au seul titre du fonds de solidarité, personne ne l’aurait cru.

M. Didier Rambaud. Si l’on nous avait dit, enfin, que les aides aux plus précaires auraient bénéficié de plus de 1 milliard d’euros de crédits nouveaux pour la fin de l’année, personne ne l’aurait cru.

Bien entendu, il y aura des débats ; c’est l’honneur de notre assemblée, car c’est ainsi que nous pouvons ajuster les dispositifs présentés par le Gouvernement et que nous, parlementaires, adaptons la loi aux réalités de nos territoires. Mais je crois que personne, ici, ne remettra en question l’ambition de ce PLFR 4 ni l’ampleur des moyens déployés.

Il reste, bien sûr, des points à compléter.

Je m’inquiète, par exemple, pour l’avenir des entreprises de loisirs indoor, qui sont particulièrement touchées et qui ont, depuis le début de la crise, payé le plus lourd tribut à notre politique de prévention. Certes, le Gouvernement a ouvert une enveloppe de 300 millions d’euros destinée à aider le secteur de la culture et du sport, enveloppe dont ces entreprises pourront sans doute bénéficier. Certes, elles seront éligibles au dispositif de droit commun, à commencer par le fonds de solidarité, mais nous attendons encore des précisions quant au soutien que le Gouvernement compte leur apporter.

Aujourd’hui plus encore qu’au début de cette crise, nous constatons les effets à long terme de la pandémie sur nos proches, dans nos territoires et dans la société tout entière. Notre responsabilité politique doit être à la hauteur de cet enjeu. Je crois que nous l’avons tous compris, car c’est au pied du mur qu’on reconnaît le maçon. Une nouvelle fois, laissons de côté nos dissensions, nos oppositions politiciennes, et soyons unis pour faire face à l’urgence ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.

M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la période durant laquelle nous examinons ce quatrième PLFR de l’année est de nouveau préoccupante, sur le plan tant sanitaire qu’économique.

Alors qu’après le premier confinement l’activité économique avait enregistré une chute inédite depuis la Seconde Guerre mondiale, elle a connu un fort rebond pendant l’été. Toutefois, c’est aussi à ce moment-là que les contaminations ont commencé à reprendre, avec la liberté retrouvée, mais avec une vigilance que l’on sait désormais insuffisante, car trop rapidement relâchée.

Nous nous trouvons donc, une nouvelle fois, en ce mois de novembre, dans une zone de récession et de fortes turbulences. À ce rythme, il devient parfois difficile de suivre l’évolution des prévisions macroéconomiques, tant elles sont devenues changeantes et fragiles. Celles qui figurent dans le PLF pour 2021 sont déjà en partie caduques. Depuis le printemps dernier, l’Insee a même dû augmenter la fréquence de ses publications pour rendre compte plus fidèlement de l’évolution de la conjoncture.

Le premier PLFR, qui a instauré les différents dispositifs de soutien d’urgence, a été voté conforme au Sénat, dès la fin du mois de mars 2020. Un mois plus tard, en avril dernier, le deuxième PLFR a très fortement accru le champ des dispositions et augmenté le déficit public dans des proportions inédites, alors que l’on prenait conscience de l’ampleur du choc entraîné par les mesures sanitaires.

Enfin, le troisième PLFR, qui a été examiné et adopté en juillet dernier, faisait déjà figure de « pré-PLF », avec plus de mille amendements déposés dans cette assemblée.

Ce quatrième projet de budget rectificatif ne modifie pas sensiblement le montant du déficit de 2020, déjà abyssal, il est vrai. Il prévoit des mesures budgétaires complémentaires, ainsi que des ajustements. Les prévisions sont plus pessimistes que dans le PLF 2021, alors qu’on aurait pu espérer une fin d’année moins défavorable. La récession atteindrait ainsi 11 % du PIB, et le déficit public 11,3 %, soit 223 milliards d’euros !

Parmi les principales mesures de ce PLFR, figure le relèvement important des crédits alloués au fonds de solidarité aux petites et moyennes entreprises. Avec près de 11 milliards d’euros supplémentaires, son montant fait plus que doubler, pour atteindre les 20 milliards d’euros en tout. Bien qu’indispensable, on ne sait pas si cette rallonge sera suffisante.

Le soutien à l’activité partielle reste le principal dispositif du plan d’urgence, dont il représente désormais quasiment la moitié des crédits, avec 34 milliards d’euros.

Par ailleurs, le plan d’urgence comporte des mesures qui relèvent des finances sociales, qu’il s’agisse de nouvelles exonérations de cotisations ou de provisions pour face faire à la hausse des dépenses d’assurance maladie et d’assurance chômage.

Il convient de noter que l’article 9 rehausse de plus de 1 000 ETP le plafond d’effectifs des opérateurs de l’État, en particulier ceux de Pôle emploi. En effet, le service public de l’emploi est déjà et risque d’être de plus en plus sollicité dans les semaines et les mois qui viennent, en raison de la hausse inéluctable du chômage.

La « bonne nouvelle » de ce PLFR, c’est que la vingtaine de milliards d’euros de nouvelles dépenses qui sont engagées pour financer le plan d’urgence sera compensée par des recettes supplémentaires, notamment les rentrées fiscales enregistrées pendant l’été. On peut donc dire que la dernière « tranche » des mesures de soutien ne devrait pas être financée par la dette : il est vrai qu’en comparaison des déficits des deuxième et troisième lois de finances rectificatives, respectivement à 70 milliards et à 50 milliards d’euros, cela reste une consolation modeste.

Gardons la mesure des ordres de grandeur en jeu : à la fin de l’année 2018, les dispositions liées à la crise des gilets jaunes n’avaient coûté « qu’une dizaine » de milliards d’euros. Cette année, pour faire face à la crise sanitaire, on parle de près de 130 milliards d’euros de déficit supplémentaire ! Depuis qu’au printemps dernier la Commission européenne a suspendu les règles du Pacte de stabilité, nous sommes bien dans un contexte exceptionnel.

De nombreuses questions demeurent, en particulier sur notre capacité à surmonter collectivement cette crise sanitaire et économique, à moyen et long termes. Même si un rebond économique devrait avoir lieu en 2021, l’expérience de cette deuxième vague démontre que, tant qu’une solution durable – vaccin ou autre – n’aura pas été trouvée contre l’épidémie, nous ne serons pas à l’abri de nouvelles recrudescences des contaminations et de nouvelles restrictions pour y faire face.

En conclusion, après ces quelques remarques, et compte tenu des nombreux amendements qui ont été déposés sur ce texte, j’indique que les membres du groupe RDSE détermineront leur vote à l’issue des débats.