M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. Guillaume Gontard. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, suivant la trajectoire de la loi de programmation militaire, le budget de la défense est en hausse de 4,6 % et atteint 39,2 milliards d’euros, soit une hausse de 21 % depuis 2017. Force est de constater que, dans la lignée de votre prédécesseur, vous défendez bien votre portefeuille, madame la ministre.

Je ne vous cache pas que, en cette période de disette budgétaire, les priorités d’action du Gouvernement, essentiellement tournées vers le régalien, ont de quoi susciter des interrogations. Le traitement de la crise n’est pas identique dans les différents ministères.

Contrairement à nos homologues allemands ou américains, les parlementaires que nous sommes sont impuissants à déterminer la stratégie de défense française, notamment en ce qui concerne les opérations extérieures. Notre rôle revient essentiellement à signer un chèque quand vous nous présentez la facture, sur laquelle nous n’avons pas notre mot à dire.

Nous pourrions néanmoins saluer cette hausse des crédits si votre action était davantage tournée vers les soldats et les personnels, notamment vers leurs conditions matérielles de vie. Or ce n’est pas tout à fait le cas : les deux tiers des montants ouverts en autorisations d’engagement sont dédiés à l’équipement des forces et un tiers seulement est consacré aux dépenses de personnel. Finalement, il reste moins de 1 milliard d’euros pour soutenir matériellement les femmes et les hommes qui servent la France. Nous sommes donc loin du budget « à hauteur d’homme » que vous aviez annoncé, madame la ministre. Un tel budget est pourtant nécessaire.

Les militaires ont besoin, outre les moyens techniques déployés en opérations, d’être accompagnés. Leurs missions sont pesantes et l’omerta est encore trop souvent la règle. Nous l’avons vu à Castres récemment : cela peut conduire à des drames.

Vous l’aurez compris, même si je salue l’augmentation des crédits alloués à l’action Contrôle général des armées, je pense qu’elle est encore insuffisante pour véritablement démocratiser des outils comme la plateforme Thémis. Au-delà de la dimension humaine, la cohésion au sein des armées est essentielle d’un point de vue stratégique.

Un budget « à hauteur d’homme » doit aussi permettre d’améliorer les conditions de vie matérielle des soldats. Or l’effort en ce sens dans ce budget est encore loin de répondre aux besoins. Ainsi, le programme Hébergement comprend 237 millions d’euros en autorisations d’engagement et le plan Famille 160 millions d’euros pour l’année 2021.

Il s’agit ici de rénover les logements des militaires, qui « ne correspondent plus au XXIe siècle », selon vos propres mots, madame la ministre. Nous partageons donc un même constat. Cependant, je pense que les logements du XXIe siècle méritent plus que le simple déploiement des réseaux wifi prévu dans ce budget. Je sais que la rusticité est une valeur chère à nos armées. Je sais aussi que les familles des militaires devraient pouvoir vivre dans les meilleures conditions. L’État doit montrer l’exemple et prévoir des travaux de rénovation de grande ampleur, par exemple pour mettre fin aux passoires thermiques.

En parlant de rénovation énergétique, nous saluons l’effort entrepris pour diminuer la consommation d’énergie de nos armées. J’ai cru relever que vous visiez l’éradication des chaudières au fioul et au charbon d’ici à 2031. Cette échéance me semble encore très lointaine, sachant que le Gouvernement a prévu, et c’est heureux, d’interdire les chaudières au fioul neuves en 2022 et d’éradiquer les chaudières au fioul d’ici à 2028.

Il serait souhaitable que la puissance publique ne soit pas à la traîne sur les objectifs qu’elle fixe aux particuliers et qu’au contraire elle montre l’exemple. Ce n’est tout de même pas comme si vous vous manquiez de moyens pour consacrer plus de 500 millions d’euros en six ans à l’amélioration des performances énergétique de nos armées !

Ces deux points, le mal-être et les conditions de vie de nos militaires, m’amènent à la question de la fidélisation. Le recrutement d’un militaire coûte 42 000 euros, je ne vous apprends rien. Fidéliser nos soldats est donc primordial pour des raisons budgétaires, mais aussi, vous en conviendrez, pour des raisons de professionnalisation et d’efficacité des armées. Pourtant, je le répète, le mal-être et les conditions de vie que nous offrons à nos militaires sont loin d’être « à hauteur d’homme ». Les problématiques de recrutement qui en résultent sont donc logiques.

Je conclurai par une remarque d’ordre plus général : la crise que connaît l’OTAN, avec le retrait américain et les provocations de la Turquie, remet sur la table le besoin d’une Europe de la défense. Cela justifierait le maintien et le développement de notre appareil militaire, notamment de la dissuasion nucléaire double, qui n’est pas dimensionnée pour le seul besoin national.

La France doit être leader dans le processus de désarmement nucléaire mondial ; elle doit faciliter le dialogue entre États nucléaires. A minima, elle doit respecter les dispositions du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, dont nous célébrons cette année le cinquantième anniversaire. En attendant, les puissances nucléaires modernisent leur arsenal et la perspective d’un monde sans armes nucléaires est bien lointaine.

Pour l’ensemble de ces raisons, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires s’abstiendra sur les crédits de la mission « Défense ».

M. le président. La parole est à M. Ludovic Haye.

M. Ludovic Haye. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord d’exprimer l’honneur qui m’est fait d’intervenir pour la première fois à cette tribune et d’exprimer devant vous la position du groupe RDPI sur la mission « Défense » du projet de loi de finances pour 2021.

Cette année encore, le projet de budget présenté par le Gouvernement pour la mission « Défense » est en hausse significative. Il s’élève à 39,2 milliards d’euros en crédits de paiement, soit une augmentation de 4,5 % correspondant à 1,7 milliard d’euros. Depuis la loi de finances initiale pour 2017, les crédits de la mission « Défense » ont ainsi augmenté de 22 %, soit 6,8 milliards d’euros.

Nous ne pouvons que nous réjouir du respect des engagements tenus, puisque le budget 2021 est conforme à la trajectoire établie par la loi relative à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 du 13 juillet 2018, et ce pour la troisième année consécutive, ce qui est relativement inédit dans l’histoire de ces lois de programmation.

Toutefois, si nous souhaitons extraire toute la quintessence de cette loi de programmation militaire, madame la ministre, il sera indispensable d’appliquer les différents budgets annoncés jusqu’à leur terme, sans quoi nos armées en perdront les principaux bénéfices.

Cet effort exceptionnel répond aux besoins de transformation et d’adaptation de nos armées à un monde sans cesse plus instable, marqué aussi bien par l’émergence de nouvelles menaces et de nouveaux espaces de conflictualité que par une course technologique effrénée.

L’effort consenti par la Nation en faveur des armées est d’autant plus remarquable qu’il s’inscrit dans un contexte budgétaire contraint en raison de la pandémie, avec les conséquences économiques et budgétaires que nous connaissons. Nous le savons tous, cet effort est nécessaire pour assurer la protection de nos compatriotes ; cela a été dit, notre souveraineté nationale en dépend.

Le budget 2021 permet de répondre au souhait d’avoir une politique de défense humaine, ambitieuse et innovante.

Humaine d’abord, car ce budget 2021 répond au besoin d’un modèle d’armée « à hauteur d’homme » complet, équilibré et soutenable dans la durée, qui affronte véritablement les défis de recrutement et de fidélisation de nos militaires, améliore les conditions d’hébergement et poursuit le renforcement des équipements d’accompagnement et de protection de nos soldats.

Ambitieuse ensuite, car, avec 21 milliards d’euros en autorisations d’engagement et 13,6 milliards d’euros en crédits de paiement, le programme 146, « Équipement des forces » bénéficie de l’essentiel de cette hausse et capte une bonne partie des nouveaux crédits. Ces crédits permettront de poursuivre la remontée en puissance capacitaire de nos armées.

Je signale notamment la livraison de nombreux aéronefs et matériels terrestres avec 157 blindés Griffon et 20 blindés Jaguar dans le cadre du programme Scorpion, ainsi que d’une nouvelle frégate multi-missions de défense aérienne. Dans le domaine prioritaire du spatial, un satellite CSO (Composante spatiale optique) et un système de satellites Ceres (Capacité d’écoute et de renseignement électromagnétiques spatiale) seront également livrés.

Innovante enfin, car une armée qui innove est une armée qui construit son autonomie stratégique.

Cet élan technologique, le ministère des armées a su le saisir à plusieurs titres.

À très court terme, en matière de lutte contre la covid-19, l’Agence de l’innovation de défense a investi dans des solutions innovantes pour faire face à ce coronavirus, comme le projet MakAir de développement d’un respirateur artificiel simplifié. Il prévoit le développement des armes hypersoniques et de technologies quantiques, un virage technologique qu’il convient de ne pas manquer.

En matière d’investissement R&D de long terme, il a intensifié le partenariat public-privé en travaillant plus intimement avec des pépites françaises leader de domaines technologiques de pointe. Cet axe, malgré la création du fonds d’investissement Definnov, reste perfectible.

En matière d’anticipation, enfin, il travaille dès à présent aux conflits du futur, à l’horizon 2030-2060. Tel est l’objet du projet ambitieux Red Team, en partenariat avec l’Agence de l’innovation de défense, ou à travers notre armée de l’air et de l’espace, avec le système de combat aérien du futur, le fameux SCAF dont le démonstrateur doit être impérativement lancé l’année prochaine.

Chers collègues, nous le voyons bien, que ce soit en opérations extérieures, afin d’assurer notre souveraineté, ou sur le territoire national, nos forces armées demeurent engagées à un rythme soutenu. Je salue ici leur infaillible et infatigable abnégation.

Plus que jamais, la France doit se doter d’une armée moderne et polyvalente pouvant répondre aux nombreux défis sécuritaires contemporains, mais aussi au retour potentiel des conflits à haute intensité. Ce budget, construit à partir de la réalité opérationnelle de notre engagement militaire, redonnera à nos armées les moyens d’assurer leur mission et de tracer un chemin vers notre Ambition 2030. Il démontre à nos forces armées qu’elles peuvent à leur tour compter sur nous.

Madame la ministre, notre groupe est fier de soutenir votre action volontaire et ambitieuse, qui met un terme aux coupes budgétaires et autres renoncements infligés à nos armées ces vingt dernières années.

La pandémie de la covid-19, mais aussi des catastrophes industrielles ou naturelles ont mis en exergue l’importance de disposer d’une capacité de réaction et de résilience à la hauteur. Ces différents événements se sont effectivement traduits, ces derniers mois, par une forte mobilisation des armées et notamment du service de santé des armées (SSA), au travers de l’opération Résilience. Ce budget marque une hausse de 27 % des crédits alloués au SSA, une reconnaissance à la hauteur de leur engagement. Je rends ici hommage aux femmes et aux hommes de ces services, sans oublier les nombreux autres services.

Enfin, il faut en être conscient, un budget de la défense irrigue bien au-delà du simple périmètre militaire et contribuera de façon déterminante à la relance économique de la France et à la relance de l’emploi. Les dépenses dédiées aux équipements sont directement injectées dans des entreprises stratégiques, notamment les petites et moyennes entreprises et les petites et moyennes industries, qui constituent l’essentiel du tissu industriel de la base industrielle et technologique de défense (BITD), composé d’environ 4 000 entreprises employant quelque 200 000 personnes. Au-delà du soutien de nos armées, ce budget est donc un plan de soutien massif à l’industrie de défense et aux emplois dans nos territoires, durement frappés par la crise.

Pour toutes ces raisons, le groupe RDPI votera avec fierté en faveur de la mission « Défense ». (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. M. le président de la commission des affaires étrangères applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. André Guiol.

M. André Guiol. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dans le contexte de conflictualité élevé que le monde connaît actuellement, le budget de la mission « Défense » invite à la plus grande vigilance quant au maintien de ses moyens.

La Revue stratégique de défense et de sécurité nationale de 2017 prenait acte du « retour des puissances » dans les relations internationales. C’est un fait, les ambitions militaires de la Chine, le réveil stratégique de la Russie et les visées conquérantes de la Turquie remettent en cause l’ordre multilatéral, alors même que notre pays est attaché à une régulation des relations internationales avant tout fondée sur le droit. Le ministre des affaires étrangères l’a rappelé ici même, la semaine dernière, à propos du Haut-Karabagh.

Je n’oublie pas, bien sûr, la lutte contre le terrorisme islamiste, qui impose l’adaptation de nos forces armées et de nos services de renseignement face à une menace protéiforme. À cet égard, je salue le courage de nos soldats et leurs derniers succès obtenus dans la bande sahélo-saharienne ; je pense notamment à l’élimination d’un important chef militaire malien appartenant à la branche sahélienne d’Al-Qaïda. Cette avancée s’ajoute à d’autres, qui répondent à mon sens à la question, parfois soulevée, d’un potentiel enlisement de la force Barkhane au Sahel. Comme le disait Winston Churchill, « le succès n’est pas final, l’échec n’est pas fatal : c’est le courage de continuer qui compte ».

Il s’agit pour moi non pas de vanter une posture « va-t-en-guerre », mais de rappeler combien le basculement de pays du continent africain dans le giron terroriste serait coûteux pour les démocraties occidentales, en premier lieu bien sûr pour les populations locales. Quelles guerres se gagnent à travers le prisme du temps court ? Peu, hélas…

Dans ces conditions difficiles, on ne peut que se réjouir de la poursuite, en 2021, d’une montée en charge des moyens budgétaires de la défense, conformément à la trajectoire tracée par la loi de programmation militaire 2019-2025, même si l’effort devrait être plus important à partir de 2023, comme l’ont fait justement remarquer les rapporteurs pour avis. En attendant, les crédits de paiement de la mission augmenteront de 1,7 milliard d’euros, il faut le souligner.

On peut comprendre que le plan de relance n’intéresse pas directement la défense et qu’il soit par conséquent relativement timide pour l’armée. Cependant, en marge de la mission, je m’inquiète de l’état de l’écosystème industriel qui lui est lié. L’industrie aéronautique est en souffrance, alors qu’elle est un fleuron de notre export et représente surtout des milliers d’emplois de PME qui irriguent nos territoires.

Dans le contexte de crise économique qui frappe notre pays, je me réjouis que le ministère ait privilégié une solution nationale pour la commande de 500 missiles air-sol pour les futurs hélicoptères d’attaque. En effet, la version franco-française, le MHT (missile haut de trame) de MBDA serait privilégiée, avec 600 emplois directs à la clé.

En raison de la baisse d’activité liée à la pandémie, nous avons été nombreux, en commission, à nous être inquiétés de la réalisation des objectifs visés par la loi de programmation militaire en matière d’équipement des forces. L’agrégat des crédits « Équipement des forces » augmente cependant de 6,7 % en 2021. C’est une bonne chose, mais les livraisons seront-elles tenues, par exemple au regard de la cible de 128 blindés Griffon qui ne sera pas atteinte cette année ?

Enfin, en tant que sénateur du Var, je pense aussi aux moyens de la marine nationale. Aussi, madame la ministre, je salue les efforts entrepris depuis trois ans en sa faveur. Le nouveau sous-marin Suffren et la réussite de son tir de missile de croisière illustrent la remontée en puissance de la marine et témoignent de l’effort budgétaire de plusieurs années. Il faut cependant éviter la multiplication des ruptures temporaires de capacité qu’on a pu connaître, dans un contexte de tensions politiques et criminelles croissantes en haute mer, lesquelles entraînent un haut niveau d’engagement opérationnel de nos forces navales.

En marge de cette nécessité de donner à notre marine les moyens de ses missions, je me réjouis de la poursuite du plan Famille. Il est fondamental de porter une attention soutenue à la vie quotidienne de nos marins, en retour de l’abnégation que suppose leur vie à bord.

Pour terminer, je profite de cette tribune pour saluer particulièrement le travail de tous les ingénieurs, techniciens et ouvriers de nos arsenaux, qu’ils soient de Brest, de Cherbourg, de Toulon, de Cuers-Pierrefeu et d’ailleurs. Ils exercent tous un travail difficile d’une grande technicité à bord de nos navires et de nos sous-marins, dans des milieux exigus et souvent dans un environnement inconfortable. Je salue les amis Sorbiers, qui se reconnaîtront ! (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et RDPI.)

M. le président. La parole est à M. Christian Cambon.

M. Christian Cambon. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je m’exprime au nom de mon groupe, Les Républicains, mais permettez-moi en préambule, en tant que président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, de remercier très chaleureusement les rapporteurs pour avis et les intervenants du travail exceptionnellement utile qu’ils ont réalisé sur ce budget de la défense.

Madame la ministre, en cette période de crise, la Nation demande toujours plus à ses soldats et ils sont au rendez-vous : le renforcement de l’opération Sentinelle après les attentats, les opérations Résilience pour la crise sanitaire, l’opération Amitié pour le Liban se sont mises en place, alors que nos opérations se poursuivaient dans la bande sahélo-saharienne et au Levant, à un rythme particulièrement élevé. En cet instant, avec vous tous, j’ai une pensée pour les 35 000 hommes et femmes de nos forces armées, déployés sur le territoire national comme à l’extérieur.

Cette année, je le rappelle, dix militaires français ont payé de leur vie leur engagement, et je tiens ici, en notre nom à tous, à leur rendre encore un ultime hommage. Ce sont ces soldats, ces marins, ces aviateurs, dont l’abnégation et le courage forcent l’admiration. Ils sont l’excellence de nos armées. Ce sont eux qui, si souvent, sont en première ligne, face à la dégradation du contexte stratégique.

Malheureusement en effet, les tendances identifiées par la Revue stratégique de défense et de sécurité nationale de 2017 ne cessent de se confirmer et même s’aggravent.

Le terrorisme djihadiste, tout d’abord, se maintient et se recompose, malgré les défaites de Daech, imposées en bonne partie par nos armes, sur le champ de bataille. Il continue de répandre son idéologie mortifère sur tous les continents, singulièrement en Europe. Notre pays a encore été cette année durement éprouvé.

On note ensuite retour des États puissances : l’actualité ne cesse de nous en donner des exemples et, à nos portes, la Méditerranée en est le théâtre. La Turquie n’hésite plus à user de la force militaire, la Russie se place en position centrale, tandis que l’Europe paraît plus qu’hésitante, préférant bien souvent les condamnations verbales, qu’il faut âprement négocier, aux démonstrations de puissance qui ne correspondent ni à sa culture ni à l’ambition d’un certain nombre de ses membres.

L’escalade récente de la violence dans le Haut-Karabagh nous montre dans quelles impasses nous conduit cette impuissance. L’élection d’un nouveau président des États-Unis changera-t-elle la donne ? Rien n’est moins sûr, car, nous le savons, les États-Unis réorienteront durablement leur effort militaire vers l’Indopacifique. Tous nos partenaires européens feraient bien de le comprendre et de continuer d’avancer dans le sens du renforcement de l’autonomie stratégique européenne.

Dans ce contexte, avec 39,2 milliards d’euros, la mission « Défense » de ce projet de loi de finances, le troisième depuis l’adoption de la loi de programmation militaire, est conforme à la trajectoire prévue. Peut-on néanmoins faire comme si rien ne s’était passé au cours de l’année 2020 ? Peut-on ainsi considérer que la LPM de 2018 constitue en elle-même un plan de relance suffisant pour répondre à la grave crise, non seulement sanitaire, mais aussi économique et géopolitique, que nous traversons actuellement ?

Oui, l’effort sur la condition du personnel se poursuit, avec l’amélioration très nette des conditions d’hébergement et la poursuite du plan Famille. Nous vous en devons personnellement la reconnaissance, madame la ministre, car c’est votre marque dans cette loi de programmation militaire, je tenais à le dire ici.

Oui, les nouveaux matériels arrivent : cette année a été notamment marquée par la livraison du nouveau sous-marin nucléaire d’attaque (SNA) Suffren après le succès de ses essais à la mer. Le premier tir de missile de croisière naval depuis ce SNA inaugure pour notre pays une nouvelle capacité stratégique, qui sera décisive pour nos armées. L’entretien programmé du matériel a bénéficié d’un effort important. Autant dire que c’était vraiment nécessaire, vu la détérioration de la disponibilité des équipements au cours de la précédente période de programmation.

Il restera à franchir les marches financières importantes à compter de 2022, cela a été souligné à plusieurs reprises, car la partie la plus importante de l’effort a été repoussée sur les dernières années de programmation. Pourrons-nous les franchir ? C’est l’espérance que nous formulons ici.

Par ailleurs, comme chaque année à la même période, la fin de gestion vient un peu tempérer notre satisfaction. Le surcoût des opérations extérieures et des missions intérieures en 2020 s’est révélé une fois de plus supérieur aux montants provisionnés. Le solde s’élève à 236 millions d’euros : il est financé par des redéploiements ou des annulations de crédits, dont 124 millions d’euros prélevés sur le programme « Équipement des forces » par la loi de finances rectificative. Ce n’est pas toujours le bon signe qui nous est envoyé.

Dans ce budget, une fois de plus, il semble que l’on ignore l’article 4 de la LPM, qui prévoit une solidarité interministérielle pour le financement de ce surcoût ; nous le déplorons. Des incertitudes subsistent par ailleurs concernant le dégel de 504 millions d’euros de réserve de précaution, ce qui est là aussi assez classique en cette période de l’année.

Venons-en aux autres sujets. Le ministère des armées, nous vous l’avons dit en commission, devra bénéficier du produit de la cession des 12 avions Rafale prélevés dans le budget de l’armée de l’air et de l’espace au profit de la Grèce. L’intérêt de cette vente n’échappe à personne, puisque c’est le premier pays européen membre de l’Union européenne et de l’OTAN qui s’approvisionne en Rafale en France. Cependant, des crédits supplémentaires seront nécessaires pour l’achat d’appareils neufs, que nous souhaitons voir se concrétiser le plus vite possible. Le respect des objectifs de la LPM dans le domaine de l’aviation de chasse en dépend fortement.

Vous avez pu entendre à travers les interventions de nos rapporteurs une inquiétude, parce que la crise économique est une bombe à retardement pour notre industrie de défense. Les carnets de commandes passés ont masqué la crise en 2020, mais les prochaines années risquent d’être dévastatrices. Les entreprises duales ont été immédiatement touchées par la violence du choc subi par le secteur aéronautique. Dans ce contexte, nous regrettons que la base industrielle et technologique de défense (BITD) ne bénéficie pas suffisamment du plan de relance. Le maintien des crédits de la LPM peut malgré tout rassurer, même si ce n’est pas toujours le sentiment de nos industriels.

L’aéronautique a bénéficié d’un plan de soutien, mais aucune mesure spécifique n’a été prise à l’intention des industries terrestres et navales. Nous tenons à vous faire part de leur inquiétude. Chacun connaît pourtant le potentiel de la BITD : ce sont 200 000 emplois de haute technologie, non délocalisables, des milliers de PME irriguant nos territoires. C’est un secteur capable de transformer rapidement la commande publique en croissance, en emplois et en recettes fiscales. Dès lors, pourquoi s’en priver, alors que l’économie connaît une récession exceptionnelle par son ampleur et que les besoins en matière de défense restent criants ?

L’actualisation de la loi de programmation militaire, prévue en 2021, apportera peut-être des réponses. Madame la ministre, je vous pose la même question que le rapporteur spécial : est-ce bien une loi qui est envisagée pour cette actualisation ? Faites en sorte que nous ne soyons pas mis devant le fait accompli, face à des arbitrages opaques sur lesquels les parlementaires n’auraient aucun droit de regard.

Vous savez le soutien que le Parlement vous a apporté pour la LPM (Mme la ministre acquiesce.), il en sera de même pour son actualisation. Il va de soi que seule une loi peut modifier, compléter ou actualiser une loi. L’actualisation de la LPM devra être un rendez-vous de transparence démocratique, car ses enjeux sont essentiels. Chaque euro comptera. De grands programmes doivent être sanctuarisés : le système de combat aérien du futur, le char du futur, le porte-avions de nouvelle génération. Des questions restent en suspens et nous devrons en débattre.

Au-delà de ces programmes phares, au-delà du renouvellement indispensable de notre dissuasion nucléaire, c’est bien notre modèle d’armée complet, gage de notre souveraineté, qui est en jeu. L’effort de défense représentait 1,82 % du PIB en 2019. Une récession de l’ordre de 10 % portera naturellement cet effort à 2 %, avant même l’échéance de 2025 fixée par la LPM.

Si l’économie décroît, les risques stratégiques ne connaissent, eux, aucune décroissance. C’est sur ces risques que doit être indexé l’effort de défense, et non sur un PIB qui s’effondre. L’indicateur de 2 % n’est de notre point de vue plus tout à fait adapté.

Nous comptons donc sur votre détermination, madame la ministre, et sur l’examen parlementaire du futur projet de loi d’actualisation, pour qu’au-delà de 2021 l’effort continue d’être, dans la durée, à la hauteur des enjeux : la force de nos armées et la paix en dépendent. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et RDPI.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Lagourgue. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)