Sommaire

Présidence de Mme Pascale Gruny

Secrétaires :

MM. Jacques Grosperrin, Loïc Hervé.

1. Procès-verbal

2. Candidature à une délégation sénatoriale

3. Communication relative à une commission mixte paritaire

4. Rappel au règlement

M. Jean Louis Masson

5. Restitution de biens culturels au Bénin et au Sénégal. – Rejet en nouvelle lecture d’un projet de loi

Discussion générale :

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication

M. Pierre Ouzoulias

Mme Claudine Lepage

M. Max Brisson

M. Jean-Pierre Decool

M. Thomas Dossus

M. Abdallah Hassani

M. Bernard Fialaire

Mme Annick Billon

Clôture de la discussion générale.

Question préalable

Motion n° 1 de la commission. – Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure ; Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture ; M. Thomas Dossus ; M. Max Brisson. – Adoption de la motion entraînant le rejet du projet de loi.

6. Débat à la suite de la réunion du Conseil européen des 10 et 11 décembre 2020

M. Clément Beaune, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé des affaires européennes

M. Pascal Allizard, vice-président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées

M. Jean-François Longeot, président de la commission de l’aménagement du territoire

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes

Mme Laurence Harribey

M. Jean Louis Masson

Mme Colette Mélot

M. Jacques Fernique

M. André Gattolin

Mme Véronique Guillotin

M. Pierre Laurent

M. Claude Kern

Mme Marta de Cidrac

M. Pierre Louault

M. Gérard Longuet

M. Laurent Duplomb

M. Clément Beaune, secrétaire d’État

Conclusion du débat

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes

Suspension et reprise de la séance

7. Questions orales

renouvellement des concessions hydroélectriques

Question n° 1372 de Mme Frédérique Espagnac. – M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports ; Mme Frédérique Espagnac.

extension du bail mobilité aux victimes de catastrophes naturelles

Question n° 1381 de Mme Patricia Demas. – M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports ; Mme Patricia Demas.

remplacement obligatoire des chaudières fioul et charbon

Question n° 1291 de M. Pascal Martin. – M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports ; M. Pascal Martin.

aménagement de la route nationale 149

Question n° 1377 de M. Bruno Belin. – M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports ; M. Bruno Belin.

lignes ferroviaires du cantal

Question n° 1365 de M. Stéphane Sautarel. – M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports ; M. Stéphane Sautarel.

avenir des petites lignes ferroviaires dans le massif central

Question n° 1386 de M. Bernard Delcros. – M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports ; M. Bernard Delcros.

charles-de-gaulle express

Question n° 1392 de M. Pierre Laurent. – M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports ; M. Pierre Laurent.

liaison ferroviaire beauvais-paris

Question n° 1130 de M. Édouard Courtial. – M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports ; M. Édouard Courtial.

protection et développement des abeilles

Question n° 1198 de Mme Dominique Estrosi Sassone. – M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports ; Mme Dominique Estrosi Sassone.

contradiction entre le droit de l’environnement, le droit agricole et le droit de l’urbanisme

Question n° 1384 de M. Philippe Bonnecarrère. – M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports ; M. Philippe Bonnecarrère.

importance vitale du secteur d’activité de l’alimentation

Question n° 1417 de M. Frédéric Marchand. – M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports ; M. Frédéric Marchand.

mutations des gardiens de la paix

Question n° 1277 de Mme Nadia Sollogoub. – Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté ; Mme Nadia Sollogoub.

signature authentique à distance pour les Français de l’étranger

Question n° 1390 de Mme Jacky Deromedi. – Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté ; Mme Jacky Deromedi.

déclarations de nationalité française relevant du ministère de la justice et souscrites à l’étranger

Question n° 1397 de M. Jean-Yves Leconte. – Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté.

situation des guides-conférenciers de france

Question n° 1306 de Mme Laurence Harribey. – Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture ; Mme Laurence Harribey.

droit à une rémunération équitable et impact sur les aides à la création

Question n° 1389 de Mme Sylvie Robert. – Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture ; Mme Sylvie Robert.

report de charges des entreprises

Question n° 1407 de Mme Florence Lassarade. – M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques ; Mme Florence Lassarade.

inquiétudes des salariés des usines madrange en haute-vienne pour leurs emplois

Question n° 1352 de Mme Isabelle Briquet. – M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques ; Mme Isabelle Briquet.

prises de participation étrangères dans le secteur de la santé

Question n° 1394 de M. Stéphane Demilly. – M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques.

opportunité du transfert de taxes fiscales perçues par la direction générale des douanes et des droits indirects

Question n° 1393 de M. Laurent Burgoa. – M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques.

révision des bases fiscales

Question n° 1355 de M. Jean Bacci. – M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques.

situation de la filière conchylicole normande

Question n° 1418 de M. Patrice Joly, en remplacement de M. Didier Marie. – M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques.

situation en palestine

Question n° 1382 de Mme Raymonde Poncet Monge. – M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques ; Mme Raymonde Poncet Monge.

nouvelle réorganisation des services académiques

Question n° 1150 de M. Patrice Joly. – Mme Sarah El Haïry, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de la jeunesse et de l’engagement.

projet de décret relatif à la prestation de compensation du handicap parentalité

Question n° 1401 de M. Philippe Mouiller. – Mme Sarah El Haïry, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de la jeunesse et de l’engagement ; M. Philippe Mouiller.

avenir du service de neurochirurgie de la clinique des franciscainEs de nîmes

Question n° 1370 de Mme Vivette Lopez. – Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie ; Mme Vivette Lopez.

expérimentation de la prestation d’accueil et de restauration scolaire en guyane

Question n° 1374 de Mme Marie-Laure Phinera-Horth. – Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie.

situation des infirmières libérales en zone rurale

Question n° 1251 de Mme Anne-Catherine Loisier. – Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie.

demande de classement en « hôpital isolé » de l’hôpital de saint-jean-de-maurienne

Question n° 1391 de Mme Martine Berthet. – Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie.

plan d’action pour renforcer la prise en charge de l’endométriose

Question n° 845 de Mme Véronique Guillotin. – Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie ; Mme Véronique Guillotin.

8. Ordre du jour

Nomination d’un membre d’une délégation sénatoriale

Présidence de Mme Pascale Gruny

vice-président

Secrétaires :

M. Jacques Grosperrin,

M. Loïc Hervé.

Mme le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

Mme le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Candidature à une délégation sénatoriale

Mme le président. J’informe le Sénat qu’une candidature pour siéger au sein de la délégation à la prospective a été publiée.

Cette candidature sera ratifiée si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.

3

Communication relative à une commission mixte paritaire

Mme le président. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion sur le projet de loi relatif au Parquet européen, à la justice environnementale et à la justice pénale spécialisée est parvenue à l’adoption d’un texte commun.

4

Rappel au règlement

Mme le président. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour un rappel au règlement.

M. Jean Louis Masson. Tous les sénateurs sont issus du suffrage universel et ont la même légitimité. La démocratie implique donc qu’au Sénat les non-inscrits, qui, certes, sont très minoritaires, ne soient pas l’objet d’un traitement discriminatoire. Or, à plusieurs reprises, nous avons été soit évincés, soit anormalement défavorisés. Je prendrai un exemple, celui de la répartition des questions au Gouvernement.

Lors de l’avant-dernière conférence des présidents, j’avais souligné que notre quota n’était pas proportionnel à notre effectif. Par un courrier adressé à notre président, j’avais ensuite explicité le calcul détaillé. En retour, j’ai malheureusement reçu une fin de non-recevoir.

Comme me l’a dit un responsable avec une certaine arrogance, « en politique, la raison du plus fort est toujours la meilleure ». C’est vrai, et nous ne pouvons pas nous opposer à cette répartition. Toutefois, nous pouvons au moins protester, et je tiens à le faire en séance publique, car cette différence de traitement est inacceptable.

En effet, les trois sénateurs non inscrits n’auront droit qu’à une question au Gouvernement toutes les huit semaines de séance. Chaque sénateur non inscrit ne pourra donc poser qu’une seule question toutes les vingt-quatre séances. Au contraire, les douze sénateurs du groupe écologiste auront droit de poser une question chaque semaine de séance, et chacun d’entre eux pourra donc poser une question toutes les douze séances, c’est-à-dire deux fois plus souvent.

Une telle différence est inacceptable. Nous avons la même légitimité démocratique que les autres sénateurs, et je ne vois pas pourquoi on nous considérerait comme des élus de second rang. En tant que délégué des non-inscrits, je tiens donc ici à protester contre le traitement discriminatoire dont nous sommes tous les trois victimes.

Mme le président. Acte vous est donné de votre rappel au règlement, mon cher collègue.

5

 
Dossier législatif : projet de loi relatif à la restitution de biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal
Discussion générale (suite)

Restitution de biens culturels au Bénin et au Sénégal

Rejet en nouvelle lecture d’un projet de loi

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi relatif à la restitution de biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal
Question préalable (début)

Mme le président. L’ordre du jour appelle la discussion en nouvelle lecture du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, relatif à la restitution de biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal (projet n° 196, résultat des travaux de la commission n° 205, rapport n° 204).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture. Madame le président, monsieur le président de la commission, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, après l’échec de la commission mixte paritaire il y a quelques jours, vous êtes amenés à examiner en nouvelle lecture le projet de loi relatif à la restitution de biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal.

Je veux redire devant vous aujourd’hui l’importance de ce texte ; c’est l’aboutissement d’un long travail, dont l’impulsion a été donnée par le Président de la République lors de son discours à Ouagadougou en novembre 2017. Il y avait alors exprimé sa volonté de pouvoir réunir les conditions nécessaires à des restitutions d’œuvres relevant du patrimoine africain, dans le cadre du renouvellement et de l’approfondissement du partenariat entre la France et les pays du continent africain.

Ce projet de restitution de vingt-six œuvres issues du trésor de Béhanzin à la République du Bénin et du sabre attribué à El Hadj Omar Tall et de son fourreau à la République du Sénégal s’inscrit dans le cadre d’une politique de coopération culturelle déjà bien engagée avec ces deux pays. Il prend également place dans un contexte général de réflexion sur le rôle et les missions des musées en Europe et dans le monde. Il tient compte du caractère exceptionnel des œuvres et des objets que nous souhaitons restituer aux deux pays qui en ont fait la demande.

Nous avons eu l’occasion d’en débattre longuement. Je ne m’attarderai donc pas en détail sur les caractéristiques ou la provenance de ces œuvres. Je veux, en revanche, revenir sur le sens, la portée et les conséquences du texte qui vous est soumis.

Votre assemblée le sait, le droit français propose plusieurs voies permettant de procéder à des restitutions. Dans le cas présent, le Gouvernement a décidé de procéder par la voie législative. C’est donc bien une décision du législateur, et non du juge, qui doit apporter une réponse à leurs demandes. Aussi, cette loi, si vous l’adoptez, n’aura pas pour effet de créer une jurisprudence, contrairement à la décision d’un juge.

Ce projet de loi ne vaut que pour le cas spécifique des objets qu’il énumère expressément. Il n’institue aucun « droit général à la restitution », en fonction de critères abstraits, qui seraient définis a priori. Il implique de déroger – ponctuellement – au principe d’inaliénabilité, auquel nous sommes tous attachés, mais ne le remet nullement en cause.

Je sais que le Sénat soutient la restitution des œuvres prévues par ce projet de loi. Il l’a exprimé à travers le soutien unanime aux articles 1er et 2 du projet de loi en première lecture. C’est donc avec regret que le Gouvernement a constaté l’échec de la commission mixte paritaire, essentiellement en raison du désaccord sur la création du conseil de restitution des œuvres.

Je reste persuadée de l’inutilité de cette instance, pour plusieurs raisons dont nous avons déjà discuté, mais que je rappelle brièvement.

D’une part, le travail scientifique existe déjà. Il est mené par les équipes de conservation des musées concernés et a permis d’orienter les choix faits par le Gouvernement. L’étude d’impact qui accompagne ce projet de loi en est l’illustration. Une telle instance ne ferait que doublonner les travaux des musées et des responsables de collections.

D’autre part, la création de ce conseil me semble en totale contradiction avec la volonté d’un dialogue direct, avec, d’un côté, les pays demandeurs et, de l’autre, le Parlement.

Vous l’avez tous exprimé sur ces mêmes travées il y a quelques semaines, chaque demande de restitution est unique, chaque objet a son histoire qu’il convient d’étudier et de faire étudier. Je reste en outre persuadée que la création d’une telle instance, alors que vous évoquez régulièrement le dessaisissement du Parlement de ses prérogatives, n’est pas la bonne solution. J’entends votre probable désaccord sur le texte sur cet unique point, et je le regrette.

Au-delà, je sais que le départ de l’ornement de dais de la reine Ranavalona III a suscité beaucoup d’interrogations. J’ai eu l’occasion de m’exprimer à plusieurs reprises : par écrit en réponse au courrier du président Laurent Lafon, lors de mon audition sur le projet de loi de finances, mais également lors d’une séance de questions au Gouvernement. Seule une convention de dépôt a été signée avec Madagascar. Il ne s’agit donc pas d’une restitution : comme vous le savez, celle-ci ne pourra intervenir qu’après l’adoption d’une loi permettant de déroger au principe d’inaliénabilité. Je reconnais que la concomitance de cette annonce au lendemain du débat est malheureuse, mais, comme je l’avais indiqué en commission, cette demande n’est pas récente, et il ne s’agit pas en l’espèce d’une restitution.

Mesdames, messieurs les sénateurs, la fonction première de la culture, à laquelle nous sommes tous viscéralement attachés, c’est d’exprimer et d’explorer ce que notre condition humaine a d’universel. Cette conviction est au fondement de notre ministère français de la culture. C’est au nom de celle-ci que la France n’accepte de restituer des œuvres à d’autres États que si ces États s’engagent à ce que celles-ci gardent leur vocation patrimoniale. Dans le cas du Bénin et du Sénégal, ces garanties ont été données. La France accompagne les initiatives de ces deux pays en faveur du patrimoine, bien au-delà des seules restitutions.

Ce projet de loi, qui permettra la restitution des vingt-six œuvres issues du trésor de Béhanzin à la République du Bénin et du sabre attribué à El Hadj Omar Tall et de son fourreau à la République du Sénégal, est un vrai acte d’amitié envers ces deux pays. C’est pour la France un honneur et une fierté de pouvoir jouer un rôle actif en la matière et de contribuer, au travers de ce texte, à ce que notre histoire commune continue sans cesse de nous nourrir les uns les autres. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme le président. La parole est à Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure de la commission de la culture, de léducation et de la communication. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, voilà un texte qui aurait dû nous rapprocher tant nos deux chambres ont montré au cours des débats qu’elles partageaient l’envie de faire vivre l’universalisme de l’art et les droits culturels, en permettant à des œuvres qui constituent le patrimoine de l’humanité de retrouver la terre de leurs origines.

Le Sénat a souscrit, en première lecture, à l’unanimité des suffrages exprimés, à la sortie de nos collections des biens revendiqués par le Bénin et le Sénégal, saisis par les armées coloniales françaises au XIXe siècle. Il a parfaitement conscience que le retour de ces pièces répond à un enjeu tout aussi éthique que diplomatique. Il est le point de départ d’un renouveau de nos relations avec l’Afrique. Il est l’occasion pour notre pays de se réapproprier, avec le Bénin et le Sénégal, certaines pages de notre histoire commune pour envisager une coopération culturelle renouvelée.

Tout en étant favorable à ces transferts de propriété, le Sénat avait procédé à quelques modifications sémantiques qui, sans porter atteinte au retour des biens concernés, permettaient de rendre les dispositions du projet de loi plus conformes à la réalité. Ces modifications n’étaient pas un caprice, pas plus qu’elles ne répondaient à un besoin de notre part d’imprimer notre marque sur le texte. Elles s’inscrivaient dans un devoir de vigilance, dans la mesure où ce texte constitue la première traduction législative du discours de Ouagadougou, mais également le premier texte législatif faisant sortir des collections des œuvres et objets d’art.

Nous savons qu’il existe déjà des demandes pendantes et que d’autres suivront. Les enjeux de ce texte dépassent donc très largement son objet, d’où les inquiétudes que nous avions presque tous exprimées concernant les conditions dans lesquelles le débat public en matière de restitutions avait pu se tenir – si tant est que l’on puisse parler de débat, dans la mesure où les décisions ont relevé du Président de la République et du Gouvernement, sans concertation préalable et avec une simple validation de notre part a posteriori, alors même que le Parlement est seul habilité à faire sortir des biens des collections nationales.

C’est ce qui avait amené la Haute Assemblée à introduire, sur mon initiative, un article additionnel, l’article 3, créant un conseil national non de restitution, madame la ministre, mais de réflexion sur la circulation et le retour de biens culturels extraeuropéens pour qu’émerge une nouvelle méthode dans le traitement des demandes de restitutions à venir. Nous sommes en effet convaincus que le débat autour des restitutions doit d’abord être abordé sous un angle scientifique, en le faisant reposer sur une contextualisation historique. C’est le seul moyen à nos yeux de faciliter la formation d’un consensus et de garantir une continuité à cette réflexion au gré des alternances politiques.

Hélas, les députés de la majorité ont rejeté la création de cette instance dédiée, suivant la position que vous aviez défendue au nom du Gouvernement en première lecture. Ils ont avancé à cet effet deux arguments.

Le premier, c’est qu’elle compromettrait l’objectif de simplification des procédures administratives et allongerait les délais de réponse des autorités françaises aux demandes de restitution présentées par des pays tiers. Vous comprendrez que nous ne trouvions pas cet argument convaincant, compte tenu des délais de la procédure parlementaire qui, en droit, doivent être respectés avant d’envisager le transfert, y compris physique, des biens dans les pays demandeurs.

Le second argument, c’est que la mission du conseil national serait redondante avec le travail conduit par l’administration et le personnel des musées au moment de l’examen des demandes. Pour avoir entendu le personnel de ces musées, nous considérons cet argument comme fallacieux, puisque les musées n’ont jamais été consultés sur ce qu’ils pensaient de ces éventuelles restitutions ; on leur a seulement demandé de faire la lumière sur la provenance des objets revendiqués. S’ils ont émis un avis sans y avoir été invités, celui-ci n’a, en tout état de cause, pas été pris en compte.

J’ajoute que le conseil national n’est pas incompatible avec un traitement au cas par cas des demandes. Même si sa formation est restreinte, impliquant qu’il n’aura pas toujours parmi ses membres les compétences nécessaires pour juger du cas d’espèce, nous proposions qu’il puisse entendre des spécialistes avant de rendre son avis, comme le font les commissions parlementaires. À cette occasion, il pourra tout à fait entendre le personnel des musées concernés par les demandes.

Le rapporteur de l’Assemblée nationale a tenté de nous rassurer sur la bonne prise en compte des intérêts culturels et scientifiques au moment de l’examen des demandes de restitution, en nous promettant la création prochaine d’une cellule interministérielle réunissant le ministère de la culture, le ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation et le ministère des affaires étrangères. J’ignore où en est la constitution de cette cellule, mais, quoi qu’il en soit, elle ne répond pas aux préoccupations exprimées par le Sénat. D’une part, elle continue de faire reposer la décision exclusivement sur le Gouvernement. D’autre part, elle ne présente aucune garantie de pérennité de la réflexion en matière de gestion éthique des collections au gré des fluctuations des majorités politiques, ce que le conseil national aurait permis. D’où l’échec de la commission mixte paritaire sur ce texte, malgré le soutien globalement apporté par les députés de l’opposition à notre approche.

La commission a été très déçue de découvrir que l’Assemblée nationale était revenue, en nouvelle lecture, non seulement sur l’article 3, qu’elle a supprimé, mais également sur la modification sémantique à laquelle nous avions procédé dans l’intitulé du projet de loi, rétablissant le terme de « restitution ». Vous vous souvenez que le Sénat lui avait préféré le terme de « retour » pour rendre compte de la légalité de la propriété française sur ce bien et pour ne pas véhiculer l’idée que ce texte s’inscrirait dans une démarche de repentance ou commettre l’erreur de juger des événements passés à l’aune des valeurs d’aujourd’hui. La commission de la culture y voit le signe que l’Assemblée nationale n’est pas disposée à parvenir à un compromis sur ce texte.

À cela s’ajoute l’épisode de la remise de l’élément décoratif en forme de couronne qui surplombait le dais de la dernière reine de Madagascar, Ranavalona III, aux autorités malgaches, sans information ni consultation préalable du Parlement, le 5 novembre dernier, soit le lendemain même du jour où nous adoptions ce projet de loi en première lecture.

Même si cette remise s’est faite dans le cadre d’un dépôt, elle s’inscrit clairement dans la perspective du retour définitif de ce bien à Madagascar, qui en a demandé la restitution en février dernier. C’est ce qu’indique clairement la convention de dépôt conclue par le ministère des armées français avec le ministère de la culture malgache. Elle stipule même l’engagement de la France à « initier dans les meilleurs délais les mesures préalables à la procédure législative pouvant permettre [son] transfert de propriété définitif ». Si cela ne s’appelle pas une « restitution »…

Si la date de cette remise constitue sans doute un fâcheux concours de circonstances, nous ne pouvons plus croire désormais au fait qu’il s’agisse d’un simple prêt. Reconnaissez, madame la ministre, vous qui avez été longtemps députée, que cela envoie un très mauvais signal à la représentation nationale sur la considération qu’a pour elle le pouvoir exécutif.

Passe pour le sabre, dont on pouvait penser que la remise, avant l’autorisation en bonne et due forme par le Parlement, pouvait s’expliquer par le fait qu’il était déjà sur place, prêté pour l’inauguration du musée des civilisations noires de Dakar avant que le Sénégal ne formule sa demande de restitution. Mais, avec « l’affaire de la couronne », il est de plus en plus clair que le Gouvernement est dans une volonté systématique de contourner l’aval préalable du Parlement à la sortie des biens des collections.

La commission juge cette méthode inacceptable. Elle relègue le Parlement au rôle de chambre d’enregistrement, au mépris de ses prérogatives propres en matière de sortie des biens des collections. Elle fait prévaloir systématiquement les enjeux diplomatiques sur l’intérêt culturel, scientifique et patrimonial des biens composant les collections publiques françaises.

La commission considère que les modalités de remise de cet objet renforcent encore plus la pertinence du conseil national de réflexion que le Sénat avait proposé en première lecture. Il s’agit d’un vrai garde-fou pour garantir un examen scientifique des demandes émanant des pays tiers et éclairer la décision des autorités politiques avant l’engagement de toute négociation diplomatique.

Nous sommes sans illusion sur la position de l’Assemblée nationale. Sa majorité ne perçoit manifestement pas le danger lié au fait que l’exécutif décide tout en la matière, aujourd’hui comme demain, quelle que soit la majorité en place. C’est la raison pour laquelle la commission estime qu’il n’y a pas lieu de débattre davantage de ce texte sur lequel nous ne parviendrons pas à nous mettre d’accord. Elle présentera donc dans quelques instants une motion tendant à opposer la question préalable.

Il n’empêche que la question des restitutions reste aiguë et que notre pays ne peut pas l’éluder, comme je le dis depuis dix ans. J’avais d’ailleurs proposé, dès la fin de l’année 2019, à la commission de la culture de dresser le bilan de l’action de notre pays sur ce sujet, sur lequel le Sénat a toujours joué un rôle moteur, ainsi qu’en témoignent les deux précédentes lois de restitution, celle dite de la « Vénus hottentote », qui émanait de notre ancien collègue centriste Nicolas About, et celle dite « des têtes maories », prise sur mon initiative.

Crise de la covid oblige, nos travaux ont pris du retard. La commission de la culture examinera demain matin le rapport rédigé par Max Brisson et Pierre Ouzoulias, présentant les conclusions de la mission d’information que j’ai l’honneur de présider. Vous verrez alors que nous avons une vision très claire des choses ainsi que plusieurs propositions concrètes à formuler pour faire avancer le débat de manière dynamique. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe SER. – M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)

Mme le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias.

M. Pierre Ouzoulias. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, « Tous ceux qui jusqu’ici ont remporté la victoire participent à ce cortège triomphal où les maîtres d’aujourd’hui marchent sur le corps des vaincus. À ce cortège triomphal, comme ce fut toujours l’usage, appartient aussi le butin. Ce qu’on définit comme biens culturels […]. Ils ne sont pas nés du seul effort des grands génies qui les créèrent, mais en même temps de l’anonyme corvée imposée aux contemporains de ces génies. Il n’est aucun document de culture qui ne soit aussi document de barbarie. Et la même barbarie qui les affecte, affecte tout aussi bien le processus de leur transmission de main en main. » Ainsi parlait Walter Benjamin dans sa septième thèse sur le concept d’histoire.

Cette violence présida souvent à l’accaparement par la France d’œuvres d’art en Europe, en Afrique ou ailleurs. Le Louvre est plein des fruits de ces butins. Il est même douteux que les achats de la France, au moins durant le XIXe siècle, furent toujours réalisés auprès de propriétaires parfaitement informés de la valeur des biens qu’ils cédaient. Ainsi, le comte de Marcellus rapporte dans ses mémoires que, en 1820, les primats grecs de l’île de Milo furent punis du fouet et d’une amende de 7 000 piastres quand le drogman de l’arsenal apprit que la statue de Vénus trouvée dans l’île, et aujourd’hui déposée au Louvre, avait été cédée à la France à si vil prix.

Longtemps, à la suite des révolutionnaires de 1789, la République considéra que ses musées n’étaient que les « derniers domiciles » pour des œuvres qui attendaient que la France les libérât en les offrant à la contemplation de l’humanité tout entière. Ainsi, Boissy d’Anglas justifiait le despotisme de la France lors de l’appropriation des chefs-d’œuvre du passé en considérant qu’il était comme une régénération au profit de toutes les connaissances humaines, pour tous les siècles à venir et pour tout l’univers.

À l’inverse, Quatremère de Quincy, nommé secrétaire perpétuel de l’Académie des Beaux-Arts par la Restauration, défendait une conception localisée et enracinée du patrimoine. Pour lui, déplacer les œuvres revenait à les démembrer, les mutiler et finalement à en réduire la valeur.

La conception républicaine du patrimoine était au contraire universaliste et donc tournée vers l’avenir. L’œuvre en passant du patrimoine privé à celui de la Nation était mobilisée dans un discours sur l’universalité du génie humain et l’émancipation par la pensée.

Ce projet, qui liait le futur au passé, a été progressivement remplacé par des références plus floues au devoir de mémoire, à l’utilité des commémorations et à l’importance des célébrations. Comme l’explique François Hartog, notre régime d’historicité s’est modifié et le passé tend à s’incruster dans le présent. La mémoire des choses du passé dans notre présent est préférée à l’histoire comme reconstruction et mise à distance des passés. L’effet immédiat du passé dans le présent tend à supplanter la mobilisation du passé dans un discours sur l’avenir.

Vous me permettrez de considérer les modalités des restitutions dont nous débattons et surtout du retour de l’ornement du dais malgache, sans aucune forme de procès, comme des symptômes de cet usage présentiste du passé. Je reste persuadé de la dimension universaliste des biens culturels. Je suis pourtant convaincu qu’elle ne peut plus être systématiquement opposée à toutes demandes de restitution ou d’échanges d’œuvres. Néanmoins, je pense qu’elles doivent être fondées sur un travail historique rigoureux et public et une collaboration fructueuse entre les institutions patrimoniales.

Au fait du prince il convient de substituer le patient travail de l’historien et, au transfert anonyme de propriété, la construction d’un passé commun comme base d’un futur partagé. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER, UC et Les Républicains.)

Mme le président. La parole est à Mme Claudine Lepage. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Claudine Lepage. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, il est très difficile, vous en conviendrez, de s’exprimer après Pierre Ouzoulias.

Nous examinons donc en nouvelle lecture et après l’échec de la commission mixte paritaire le projet de loi relatif au retour de biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal.

Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain se félicite tout d’abord de ce que les articles 1er et 2 du projet de loi, qui prévoient la restitution des vingt-six pièces du trésor de Béhanzin, provenant du pillage du palais d’Abomey en 1892, et du sabre d’El Hadj Omar Tall, aient été adoptés conformes. En effet, cette demande répond aux attentes de la société civile africaine, qui agit depuis de nombreuses années pour que reviennent sur son sol les biens culturels dont elle a été privée pendant la colonisation.

Nous sommes aussi convaincus que ces restitutions sont un signal important transmis à l’Afrique et notamment à sa jeunesse, qui souhaite pouvoir accéder à son histoire ; elles joueront un rôle majeur pour permettre à cette jeunesse de retisser le lien avec son histoire et renforcer son identité.

Nous aurions pu, mes chers collègues, décider d’en rester là, mais c’eut été une erreur, car nous sommes tous conscients qu’à l’avenir d’autres pays africains souhaiteront que leur soient restitués des biens culturels dont ils ont été dépossédés durant leur histoire.

Pour éclairer les pouvoirs publics, nourrir le débat et assurer une totale transparence sur le retour des biens culturels, nous avons donc voté en faveur d’un amendement proposé par notre collègue rapporteure Mme Morin-Desailly, visant à la création d’un conseil national de réflexion sur la circulation et le retour des biens culturels. Malheureusement, les députés de la majorité s’y sont opposés au cours de la commission mixte paritaire et lors de l’examen en nouvelle lecture. Nous le regrettons, car nous estimons que ce conseil est indispensable pour empêcher des dérives et éviter que la décision du retour de biens culturels soit prise en catimini, comme cela fut le cas lors du prêt à Madagascar de la couronne du dais de Ranavalona III, conservée depuis 1910 au musée de l’Armée. La décision du Gouvernement de remettre cette partie de couronne aux autorités malgaches sans en informer le Parlement, et ce alors même que nous examinions ce projet de loi en première lecture, démontre bien toute l’utilité que pourrait avoir ce conseil.

De plus, alors que nous pouvons compter dans notre pays sur la compétence scientifique de conservateurs, d’historiens et d’historiens de l’art, il serait plus que dommageable de nous priver de leur expertise et de leurs travaux, lesquels permettraient au retour des biens culturels de bénéficier d’un plus large consensus national. Pourquoi en effet nous priver de leur expertise, si ce n’est pour souhaiter que le retour des biens culturels se fasse à l’abri des regards, sans concertation ni consultation du Parlement ?

C’est donc pour qu’à l’avenir la restitution des biens culturels ait lieu dans la plus grande transparence et pour éviter qu’elle ne repose uniquement sur des enjeux diplomatiques et n’aboutisse à des décisions solitaires que le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain juge indispensable la création d’un conseil national de réflexion sur la circulation et le retour des biens culturels. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)

Mme le président. La parole est à M. Max Brisson. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Max Brisson. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, sur le sujet qui nous préoccupe cet après-midi, sur le fond comme sur la forme, nous ne sommes en rien d’accord avec la manière de faire du Gouvernement. Nous le marquerons de manière solennelle et ferme.

En première lecture, nous avions déjà dit nos craintes et nos réserves quant à ce projet de loi, tout en rappelant notre attachement à une meilleure circulation des œuvres dans leur pays d’origine. Cette ouverture et cette bonne volonté, nous les avons exprimées de manière unanime en votant les articles 1er et 2 de votre texte, madame la ministre, mais nous vous avions aussi appelée à établir une méthode, à aborder cette question avec recul, distance, en vous donnant le temps de la réflexion.

Face à cette ouverture, l’Assemblée nationale et le Gouvernement n’ont nullement cherché le compromis. Ils n’ont pas jugé bon de nous entendre sur la nécessité de nous doter d’un conseil national de réflexion, demande pourtant soutenue sur quasiment toutes les travées de la Haute Assemblée. Même l’abandon du mot « restitution », avec sa charge culpabilisante, a été rejeté avec une implacable volonté sémantique de rétablir le texte dans sa version originale, conforme à une certaine vision de l’histoire.

Pourtant, les craintes que nous avions exprimées en première lecture étaient justifiées. C’est avec un certain vertige que nous l’avons constaté, en particulier au travers de la désagréable découverte du renvoi en catimini de la couronne du dais de la reine Ranavalona III aux autorités malgaches, au moment même où se déroulait ici l’examen du projet de loi.

Mais à quelque chose malheur est bon. Désormais les choses sont claires. Votre méthode est sur la table.

Pour répondre aux problèmes diplomatiques du moment, sur ordre du chef de l’État, vous transférez un bien sous couvert de prêt – la communauté des musées est mise devant le fait accompli. Vous indiquez ensuite aux musées qu’il s’agit d’une demande de restitution sans pour autant solliciter leur point de vue patrimonial et scientifique ; vous engagez alors, par une convention, une procédure de dépôt sur le long terme de l’œuvre d’ores et déjà dans son pays d’origine, une procédure qui est dévoyée et instrumentalisée. Enfin, vous préparez un projet de loi pour demander le transfert de propriété.

Le Parlement est relégué en bout de chaîne. Comme dans les parlements de l’Ancien Régime, nous ne sommes plus qu’une chambre d’enregistrement. Souverain à l’Assemblée nationale, le Gouvernement tient un lit de justice pour contraindre la représentation nationale.

Vous vous affranchissez des principes multiséculaires forgés justement pour que le patrimoine de la Nation ne soit jamais soumis aux humeurs du prince de l’instant. Vous contournez le Parlement, pourtant seul légitime depuis la Révolution française à autoriser toute aliénation du patrimoine national. Cette méthode est d’autant plus dangereuse qu’elle dévoie de son sens la pratique encadrée et définie du dépôt d’œuvres d’art, utilisée dans le cadre d’un projet scientifique et culturel, et non pour des processus de restitution. Méthode dangereuse également, car elle porte atteinte au principe d’inaliénabilité des collections nationales. Elle fragilise ce principe et fait grandir le risque d’un tarissement des dons individuels, alors qu’ils assurent souvent plus de 50 % de l’enrichissement des collections de certains de nos musées nationaux.

Bien évidemment, je partage la nécessité de renforcer la circulation des œuvres et l’accessibilité du patrimoine sur sa terre d’origine. Justement parce que je crois en la pertinence de cette démarche, j’en appelle à une réflexion sérieuse et à un travail approfondi sur la méthode.

Très tôt, et je veux saluer le travail de Catherine Morin-Desailly, le Sénat a perçu cet enjeu. Mais les outils qu’il avait souhaité mettre en place, comme la Commission scientifique nationale des collections, n’ont pas été utilisés. La réflexion engagée n’a jamais été poursuivie.

Si le discours du Président de la République à Ouagadougou a relancé la réflexion, celle-ci a abouti malheureusement aux propositions radicales du rapport Sarr-Savoy, qui ont tendu et faussé le débat. Le fait du prince, avec les transferts anticipés du pseudo-sabre d’El Hadj Omar Tall au Sénégal et de la couronne du dais de la reine de Madagascar, a ainsi été légitimé par le rapport Sarr-Savoy au nom d’une approche moralisatrice excluant toute réflexion historique et muséale.

Au lendemain du transfert vers Madagascar, avec le sentiment d’avoir été trompé, je fais partie de ceux qui regrettent d’avoir voté l’article 2 de votre projet de loi. Je ne suis pas le seul. Cet article officialise et cautionne une méthode que je réprouve.

À l’opposé de ce que vous diligentez, face à des demandes en ébullition, parce qu’elles répondent aux exigences morales du moment, il est urgent de nous doter d’une doctrine partagée. Il y a là l’occasion pour la France de s’inscrire dans une véritable politique de circulation des biens qui nous obligerait à un inventaire renouvelé de nos collections, à une réflexion sur leur provenance, leur cheminement, à une analyse de la construction de leur valeur esthétique et artistique, à une recherche approfondie de leurs ayants droit.

De même, cela pourrait être l’occasion de nous interroger sur la conception de l’universalisme de nos musées confrontés à des approches qui peuvent être légitimes, mais qui n’en sont pas moins en rupture avec ce qui fonde notre vision de la culture et qui portent aussi en elles des germes qui peuvent nous inquiéter. N’est-il pas temps en effet de réaffirmer cet universalisme dans le cadre d’un dialogue des cultures où nous ne pouvons abdiquer nos valeurs ?

En réponse à une question complexe, le Sénat vous a conviée, en vain, à élaborer une méthode globale croisant les questions de morale, de légalité, de légitimité, de respect des donations et des droits des descendants. Cette méthode aurait apporté sur la durée une réponse aux pays demandeurs, en construisant avec eux les meilleures voies pour renforcer la circulation des biens et le dialogue des cultures. C’est à cette démarche exigeante, rigoureuse, qui demande du temps – beaucoup de temps ! –, de la formation et des moyens à laquelle nous vous invitions. Le Gouvernement a préféré répondre par une méthode où la simplification le dispute à la précipitation.

En réponse à nos craintes, à maintes reprises, vous nous avez assuré que le projet de loi dont nous débattions était un projet de loi d’exception – des assurances dont je ne saurais dire si elles étaient sincères ou feintes. Malheureusement pour vous, il n’aura pas fallu attendre la fin de l’examen du projet de loi pour que celles-ci soient démenties.

Nos alertes sont aujourd’hui confortées. L’enchaînement des événements démontre leur justesse. Le Gouvernement refuse toute réflexion sur le transfert d’œuvres d’art pour agir à sa guise. C’est une erreur !

Cette erreur est d’autant plus grave que, lors de nos auditions, nous avons été régulièrement sensibilisés à l’intérêt d’une politique de circulation des œuvres construite sur un intérêt partagé, tant pour le pays demandeur que pour la France, sur une politique raisonnée en droit et qui soit le fruit d’une véritable coopération internationale entre chercheurs français et étrangers, afin de recouvrer les collections dispersées et de procéder à des dépôts cohérents au lieu d’isoler des biens de leur collection. Sans cela, nous serons, mes chers collègues, toujours à la merci de revendications aux finalités politiques, leurs auteurs profitant de nos incertitudes pour faire régner le soupçon et la culpabilisation.

Le conseil national que nous vous proposions, madame la ministre, permettait justement de s’opposer à cela en plaçant les scientifiques au centre des débats en toute transparence à l’égard du public, afin de dépassionner le débat.

Retentissent en moi cet après-midi, au moment de conclure cette intervention, les propos d’un conservateur que nous avons auditionné : « J’ai le sentiment que, comme pour les hommes, l’existence des objets précède l’essence. » Et ce conservateur de nous expliquer qu’il faut prendre en compte non pas uniquement un droit du sang de l’objet, mais aussi un droit du sol de l’objet, droit qui est le fruit du cheminement et de la construction de la valeur artistique. C’est dans cette prise en compte complexe des origines et du cheminement des œuvres que se fonde l’ambition éthique du musée universel.

Oui, nous avons besoin de construire une réelle politique de circulation de nos œuvres, politique partagée par les deux parties à la condition qu’elle s’inscrive dans une démarche scientifique et qu’elle ne soit pas une réponse à la diplomatie du moment dans un contexte d’approche moralisatrice de l’histoire !

Pour l’ensemble de ces raisons, le groupe Les Républicains soutiendra la motion de la commission tendant à opposer la question préalable. Ce sera la marque de notre opposition ferme et résolue sur la forme et sur le fond. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)

Mme le président. La parole est à M. Jean-Pierre Decool.

M. Jean-Pierre Decool. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, les deux assemblées ont autorisé la sortie des vingt-sept biens culturels inscrits en annexe du présent projet de loi afin qu’ils soient restitués aux Républiques du Bénin et du Sénégal. Pourtant, la commission mixte paritaire a échoué, et nous le regrettons. Nous regrettons aussi la position du Gouvernement au sujet de l’article 3 introduit au Sénat. Nous voulions faire de cette loi de circonstance une loi nécessaire, capable de sécuriser les situations à venir dans une démarche transparente et démocratique.

L’enjeu de ce texte dépasse son objet. Il s’agit de la gestion du patrimoine culturel de la France. Le Sénat n’est pas une simple chambre d’enregistrement des décisions gouvernementales, je regrette d’avoir à le rappeler. Nous ne pouvons faire l’impasse d’un débat contradictoire lorsque sont en jeu des collections publiques régies par les principes d’imprescriptibilité et d’inaliénabilité.

Les demandes de restitution sont nombreuses et vont probablement se multiplier. À l’heure où nous examinions en première lecture ce projet de loi, une couronne royale conservée au musée de l’Armée à la suite du don d’un particulier était transférée à Madagascar. Encore une fois, la décision du pouvoir exécutif précède celle du Parlement, mis devant le fait accompli. Nous devons retrouver le chemin de nos institutions républicaines et veiller à mettre en place une procédure applicable à toutes les situations, à tous les Gouvernements.

C’est la raison pour laquelle la commission de la culture avait introduit en première lecture un nouvel article, prévoyant la création d’un conseil national de réflexion sur la circulation et le retour de biens culturels extraeuropéens. Il s’agit non seulement de soustraire le sort de notre patrimoine culturel aux aléas politiques, mais aussi de fonder les transferts de biens culturels sur une démarche scientifique et démocratique. Avant toute décision officielle du Gouvernement, cette instance et le Parlement devraient être consultés – le Sénat y est très attaché. L’actuelle Commission scientifique nationale des collections s’est déclarée incompétente pour expertiser les demandes de restitution, s’éloignant ainsi de l’esprit de la loi qui l’avait créée.

Je partage le point de vue de Mme la rapporteure sur les conclusions trop caricaturales du rapport de Felwine Sarr et Bénédicte Savoy, plaidant pour une restitution massive à leurs pays d’origine des œuvres africaines. Les collections extraoccidentales représentent une part importante de nos collections publiques. Nos musées ne sauraient se réduire à la seule représentation de la culture française. Les musées du monde entier sont les témoins du caractère universel de l’art, d’une richesse culturelle qui dépasse les frontières et les civilisations.

La sculpture africaine, pour reprendre les mots de Malraux, s’est lentement imposée au monde, mais de façon décisive. Nous sommes passés d’un référentiel d’imitation du réel à la recherche de l’expression libre, indifférente à la ressemblance. L’art africain, largement représenté dans nos collections, a bouleversé des pans entiers de l’art occidental, de Picasso à Matisse, de Braque à Derain… André Malraux en témoigne dans ses discours et ses écrits. Les masques Fang au Gabon, les portes Dogon au Mali, les poupées Ashanti au Ghana, de par leur puissance et leur retentissement, sont autant de manifestations du génie de l’Afrique, leur berceau. S’inscrivant dans le patrimoine culturel de l’humanité, ces œuvres ont une vocation universelle.

Madame la ministre, je connais votre grande implication pour favoriser l’accès à la culture. Pour autant, je soutiens la position de la commission de la culture et voterai la motion de rejet déposée. Je serai très attentif aux conclusions de la mission d’information présidée par Mme Catherine Morin-Desailly, et j’espère vivement que ce travail se traduira très prochainement par une proposition de loi à la hauteur des enjeux que représentent les restitutions d’œuvres pour les collections publiques françaises.

Mme le président. La parole est à M. Thomas Dossus. (M. Jacques Fernique applaudit.)

M. Thomas Dossus. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons pour la deuxième fois ce projet de loi visant à restituer au Bénin et au Sénégal plusieurs œuvres de leur patrimoine culturel appartenant aux collections publiques françaises. Ces biens ont été acquis lors d’une période de notre histoire qu’il nous faut regarder avec lucidité.

J’aurai l’occasion, lors de mon explication de vote sur la motion tendant à opposer la question préalable déposée par la commission, d’exposer notre vision sur ce qui s’est passé durant la navette parlementaire, mais je voudrais maintenant me concentrer sur le fond du sujet.

Rendre le trésor de Béhanzin et le sabre avec fourreau dit d’« Omar Tall » à leurs pays d’origine est un geste fort pour la coopération culturelle. Plus qu’un symbole, c’est un acte concret qui affirme que notre pays sait regarder son histoire en face, dans un esprit d’amitié. Cela doit être salué. Mais ces vingt-sept objets ne sont que la partie émergée de l’iceberg. D’autres pays ont fait des demandes officielles auprès de la France pour récupérer une partie de leur patrimoine. La Côte d’Ivoire, l’Éthiopie, le Tchad, le Mali, Madagascar : au total, ces cinq pays réclament le retour de 13 246 biens appartenant aux collections publiques françaises. Rien n’indique que le mouvement s’arrêtera, bien au contraire. Les restitutions que nous étudions aujourd’hui ne sont donc que le point de départ d’une coopération culturelle avec le continent africain, et nous devons nous en réjouir. Il y va de la réconciliation de la France avec un continent, son passé et sa jeunesse.

Le projet de loi que nous examinons aujourd’hui est donc une contribution, modeste certes, mais significative, à ce vaste mouvement de fond qui traverse notre paysage culturel : la fin d’une époque, d’une ère peu glorieuse de notre histoire, où l’homme africain n’avait pas voix au chapitre – même si, récemment, certains ont considéré qu’il n’était pas encore « assez entré dans l’histoire ». Rappelons-le, le trésor de Béhanzin et le sabre d’El Hadj Omar Tall sont des prises de guerre, des biens acquis dans la violence d’une époque coloniale qu’il nous faut aujourd’hui regarder avec lucidité. Les revendications du Bénin et du Sénégal sont ainsi légitimes, et c’est en se fondant sur cette légitimité que le Gouvernement nous propose ce projet de loi. Ainsi, aujourd’hui, les idées changent et les pratiques aussi : il faut s’en féliciter.

Ce mouvement de restitution n’est d’ailleurs pas circonscrit aux collections publiques, puisque, comme le souligne le rapport Sarr-Savoy sur la restitution du patrimoine africain, les collectionneurs privés s’engagent de manière discrète et efficace en restituant des centaines d’œuvres leur appartenant.

Ce mouvement de fond, encore une fois selon ce même rapport, nous porte vers ce que les deux historiens appellent une « nouvelle éthique relationnelle » : « Les objets, devenus des diasporas, sont les médiateurs d’une relation qui doit être réinventée. […] Il s’agit, bien évidemment, de réactiver une mémoire occultée et de restituer au patrimoine ses fonctions signifiantes, intégratives, dynamisantes et médiatrices dans les sociétés africaines contemporaines. Mais il s’agit également, en se réappropriant ces objets, d’en redevenir les gardiens pour la communauté humaine. »

Le voilà le véritable message, le véritable idéal : celui de la reconnaissance de la multiplicité de la création, de l’égalité dans la diversité des formes culturelles. Rendre à l’autre pour s’enrichir tous. Ce projet de loi apporte sa petite pierre à ce grand édifice. Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires y est largement favorable. (Applaudissements sur des travées du groupe RDPI. – M. Jacques Fernique applaudit également.)

Mme le président. La parole est à M. Abdallah Hassani.

M. Abdallah Hassani. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le Sénat et l’Assemblée nationale se sont accordés, à l’unanimité des suffrages exprimés, sur l’objectif premier du projet de loi examiné aujourd’hui en nouvelle lecture : les transferts de propriété au Bénin de vingt-six objets du palais de Béhanzin et au Sénégal du sabre avec son fourreau d’El Hadj Omar Tall, chef toucouleur.

Il s’agit non pas de repentance, mais d’une volonté d’apaiser les conflits de mémoire. Ces gestes participent en effet d’une nouvelle approche de nos relations avec les États africains, sur la base d’un partenariat plus équilibré qui respecte leur volonté de s’approprier pleinement leur histoire. Possibilité est ainsi donnée à leurs populations d’accéder, chez elles, à des œuvres de leur culture et de leur civilisation. D’une forte portée symbolique et parfois spirituelle, ces œuvres contribuent à un sentiment de fierté, de confiance en soi et d’espoir, nécessaire à l’édification d’une société prospère.

Toutefois, la commission mixte paritaire n’a pas été conclusive.

Pour une raison de sémantique d’abord. La majorité sénatoriale a préféré le mot « retour » au mot « restitution », qui sous-entendrait une mainmise illégitime. Restitution est un terme pourtant plus précis qui contribue à une exigence de vérité sereinement assumée.

Le désaccord des deux assemblées porte ensuite, et surtout, sur la création par le Sénat d’une instance supplémentaire : le conseil national de réflexion sur la circulation et le retour de biens culturels extraeuropéens. Voilà un ajout qui ouvre grand la voie à d’autres transferts. Il semblait pourtant convenu par tous qu’on resterait, avec ce projet de loi, dans le domaine de l’exception et que le caractère inaliénable de nos collections publiques demeurerait la règle. Les membres de ce conseil restreint nommés par les ministres de la culture et des affaires étrangères donneraient, ou non, leur quitus à de futures aliénabilités de biens culturels et émettraient, de façon plus générale, une ligne de conduite en la matière.

Les demandes béninoise et sénégalaise ont fait l’objet d’une démarche diplomatique, historique et scientifique, menée conjointement par les ministères des affaires étrangères et de la culture. C’est aux parlementaires, représentants du peuple, qu’il revient ensuite d’auditionner les experts, les professionnels de nos musées, les historiens, les ethnologues et toute personne susceptible de les éclairer, puis de se prononcer sur l’opportunité, ou non, du transfert de propriété d’œuvres d’art acquises par la France tout au long de son histoire. Garantir un traitement rationnel et contradictoire, n’est-ce pas l’essence du débat parlementaire ? Créer un tel conseil pourrait laisser penser que le Parlement dans son ensemble ne peut exercer sa tâche avec discernement. Il introduit en outre une dimension générale dans un texte qui ne devait à l’origine traiter que de la cessation d’appartenance aux collections publiques françaises de quelques objets déterminés.

Actant une divergence résolue de points de vue entre l’Assemblée nationale et le Sénat et l’impossibilité d’un rapprochement, la rapporteure a déposé, au nom de la commission de la culture, une motion tendant à opposer la question préalable. Le groupe RDPI regrette vivement qu’un consensus n’ait pas pu être trouvé. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme le président. La parole est à M. Bernard Fialaire.

M. Bernard Fialaire. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je regrette, comme vous tous, que la commission mixte paritaire n’ait pu aboutir à un accord sur le projet de loi relatif au retour de biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal. Je partage l’avis du Sénat, avec d’ailleurs nombre de députés, mais, hélas, pas la majorité des députés de la majorité !

Même si, par principe, le groupe du RDSE ne vote pas les motions tendant à opposer la question préalable, nous soutenons la démarche du Sénat. Nous ne nous laisserons jamais enfermer dans un simple rôle de chambre d’enregistrement d’une décision prise, même avec l’avis du Quai d’Orsay et le consentement de la Rue de Valois.

Nous ne voulons pas davantage être tenus pour responsables de possibles incidents diplomatiques par un avis non conforme à une décision prise, déjà annoncée et parfois exécutée. En effet, si une « restitution » revêt bien une dimension diplomatique, le « retour » d’un bien culturel relève avant tout d’une réflexion culturelle. C’est pourquoi l’avis d’un conseil national de réflexion sur la circulation et le retour de biens culturels est indispensable. Celui-ci doit recueillir des expertises en histoire, en histoire de l’art, en ethnologie, comme en droit du patrimoine culturel. Ce n’est qu’après ces consultations, plus approfondies que de simples échanges entre fonctionnaires des affaires étrangères et de la culture, que des décisions politiques éclairées pourront être prises et ne pas rester de simples intuitions.

La notion même d’inaliénabilité mérite d’être réinterrogée à l’occasion de ce projet de loi. Comme l’imprescriptibilité l’a été à la lecture du livre La Mémoire, lhistoire, loubli de Paul Ricœur, auquel avait contribué le Président de la République, Emmanuel Macron…

Le retour d’un bien culturel n’est pas la restitution d’un bien mal acquis. Ce sont les us et coutumes d’une époque qui nous en ont rendus propriétaires.

Leur retour est un don. Et le don peut être à l’inaliénabilité ce que le pardon est à l’imprescriptibilité. Il acte la légitimité de la propriété. Nous ne pouvons pas donner ce qui ne nous appartient pas. C’est la dimension culturelle d’un bien qui est inaliénable.

Le retour ne peut se concevoir que si les garanties de conservation et de mise en valeur sont apportées. Le retour oblige celui qui le reçoit. Il transforme le bien en vecteur de la culture du donateur.

Certains biens n’auraient jamais acquis leur valeur culturelle sans l’expertise de notre propre culture. C’est le parcours culturel de la France qui amène à ce point d’appréciation permettant de décider si un bien mérite de retourner sur son lieu d’origine ou si, au contraire, il doit rester l’expression d’une culture universelle exposée dans nos musées.

C’est un beau débat, digne, qui mérite mieux que le constat du fait accompli. Il nous faut une réflexion, une analyse, avant qu’un bien culturel ne soit proposé à un retour, sans négliger bien entendu la dimension diplomatique.

Le retour d’un bien culturel est un don qui enrichit autant celui qui donne que celui qui reçoit. C’est la richesse de la culture. Alors, seulement, l’avis du peuple français transmis par les représentants que nous sommes pourra être donné en toute connaissance de cause. C’est le rôle que défend notre assemblée dans ce débat pour la grandeur et le rayonnement de la France. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – MM. Jean-Pierre Decool et Pierre Ouzoulias applaudissent également.)

Mme le président. La parole est à Mme Annick Billon. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Max Brisson applaudit également.)

Mme Annick Billon. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, sans surprise, la commission mixte paritaire a échoué sur la question du conseil national de réflexion. Sans surprise, le groupe Union Centriste votera la motion de procédure présentée par notre collègue Catherine Morin-Desailly.

Une fois tout suspense évacué, qu’il n’y ait aucune ambiguïté quant à notre positionnement : nous ne nous opposons en rien au principe du retour de biens et d’objets culturels dans leurs pays d’origine. Au contraire, comme les autres groupes du Sénat, nous avons autorisé la sortie des collections publiques des vingt-sept biens concernés par le présent projet de loi. Mais, comme notre rapporteure, nous constatons un grave problème de méthode. En l’occurrence, nous avons été réduits à entériner des décisions diplomatiques prises par l’exécutif.

C’est la première fois qu’un retour est autorisé par une loi d’initiative gouvernementale, ce qui équivaut, sans cadre digne de ce nom, à traiter le Parlement comme une simple chambre d’enregistrement. Hasard du calendrier ou preuve supplémentaire d’un véritable mépris de la représentation nationale, au moment où nous discutions de ce texte au Sénat une couronne malgache était transférée en catimini. Dernier acte de cette tragédie dans laquelle le Parlement joue le rôle de figurant, il aura fallu attendre la commission mixte paritaire pour apprendre la création d’une cellule interministérielle dédiée à la question des restitutions.

Mais s’il ne s’agissait que du Parlement, l’affaire serait entendue, il en a l’habitude. Le problème, c’est qu’une telle dérive met en danger le patrimoine national. La méthode rend le principe d’inaliénabilité théorique et soumet les collections muséales au fait du prince.

Le risque est grand de voir les biens et objets culturels français ravalés au rang de goodies diplomatiques – pardon, chère Catherine Morin-Desailly –, de les voir filer au gré des déplacements présidentiels pour entretenir des relations amicales avec tel ou tel dirigeant ou pour signer tel ou tel contrat. Un risque que le Sénat a identifié de longue date : c’est bien pour cela que nous avions créé la Commission scientifique nationale des collections, que la loi ASAP vient de supprimer.

Nous voulions lui substituer un conseil national de réflexion sur la circulation et le retour de biens culturels extraeuropéens. En effet, le présent texte nous donnait l’occasion de dépasser le cadre ponctuel des restitutions au Bénin et au Sénégal. Il s’agissait bien d’anticiper, car les demandes vont se multiplier. La boîte de Pandore est ouverte. Anticiper en ne retombant pas dans les errements susdécrits d’une diplomatie présidentielle toute puissante, qui en viendrait à considérer que les collections sont à la disposition du chef de l’État. Il s’agit donc de créer un cadre scientifique.

On nous rétorque que ce cadre existe déjà, puisque, d’une part, les demandes sont étudiées par les ministères concernés et, d’autre part, il faut une loi pour chaque transfert. Aux tenants du premier argument, il faut rappeler les principes de la séparation des pouvoirs : l’avis scientifique des ministères reste l’avis scientifique de l’exécutif… Et l’argument de la loi ne tient plus dès lors que le Parlement est traité comme une chambre d’enregistrement. D’ailleurs, si la procédure actuelle est si satisfaisante, pourquoi créer une cellule interministérielle ad hoc ? N’est-ce pas déjà là l’aveu d’un malaise ?

Dernier argument et le moins recevable de tous, celui de la simplicité : passer par un conseil scientifique indépendant serait trop compliqué. Oui, c’est vrai, tout décider de manière unilatérale est toujours plus simple ! La démocratie, c’est compliqué !

Je tiens, pour finir, à saluer le travail de la rapporteure et de la commission sur ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains. – M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)

Mme le président. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.

Question préalable

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi relatif à la restitution de biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal
Question préalable (fin)

Mme le président. Je suis saisie, par Mme Morin-Desailly, au nom de la commission, d’une motion n° 1.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, relatif à la restitution de biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal (n° 196, 2020-2021).

Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 7, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à Mme la rapporteure, pour la motion.

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. J’ai déjà largement dévoilé, lors de la discussion générale, les raisons qui ont conduit notre commission de la culture, de l’éducation et de la communication à décider de soumettre à la Haute Assemblée le vote d’une motion tendant à opposer la question préalable à ce projet de loi. Au préalable, il me semble utile de rappeler, comme Claudine Lepage l’a fait, que cette motion ne constitue pas une remise en cause du retour au Bénin et au Sénégal des biens concernés par ce texte.

Le Sénat a approuvé les articles 1er et 2 à l’unanimité des suffrages exprimés en première lecture. L’Assemblée nationale les a ensuite adoptés en nouvelle lecture dans la rédaction issue de nos travaux, comprenant le remplacement du verbe « remettre » par le verbe « transférer ». Cette modification sémantique rend compte du fait que le sabre a déjà été remis officiellement au Sénégal lors d’une cérémonie tenue en novembre 2019 à Dakar. Nous avions estimé que ce terme présentait l’avantage de mieux matérialiser les effets induits par la sortie des biens des collections nationales, c’est-à-dire le transfert de la propriété de ces biens respectivement au Bénin et au Sénégal et, dans le cas des objets qui font partie du trésor d’Abomey, la nécessité de leur transfert physique sur le territoire béninois.

Quoi qu’il en soit, cela signifie que les deux premiers articles ont été adoptés conformes et qu’ils ne sont plus en discussion dans le cadre de la navette parlementaire. Le nœud du problème – je ne saurais trop y insister – est les profondes divergences de fond que nous avons avec l’Assemblée nationale sur la manière d’appréhender les modalités de restitution, c’est-à-dire la méthode. Les discussions que nous avons eues au moment de la commission mixte paritaire l’ont d’ailleurs montré.

Schématiquement, d’un côté, le Sénat fait valoir la nécessité d’une procédure pérenne, transparente et démocratique – Pierre Ouzoulias l’a rappelé –, permettant un débat contradictoire auquel la communauté scientifique pourrait et même devrait publiquement prendre part et prémunissant le Parlement du risque d’être mis devant le fait accompli. De l’autre, les députés de la majorité soulignent le caractère crucial de l’analyse diplomatique des demandes de restitution et la nécessité de ne pas briser le lien de confiance avec les pays demandeurs, légitimant la validation a posteriori, comme nous l’a dit le rapporteur de l’Assemblée nationale, des décisions de l’exécutif par le Parlement.

L’Assemblée nationale a confirmé, en nouvelle lecture, qu’elle privilégiait le travail diplomatique et la rapidité à la recherche du plus large consensus national en matière de restitutions. Notre commission de la culture regrette d’autant plus cette position qu’elle considère qu’il aurait été souhaitable d’aboutir à une solution recueillant l’assentiment des deux chambres, dans la mesure où il s’agit de biens qui appartiennent à la Nation et dont seule la représentation nationale peut autoriser l’aliénation.

Pour mémoire, comme nous l’avons répété, l’Assemblée nationale a supprimé, en nouvelle lecture, l’article 3 créant le conseil national de réflexion sur la circulation et le retour de biens culturels extraeuropéens, que nous avions introduit après moult débats dans cet hémicycle. Elle a également rétabli, dans l’intitulé du projet de loi, le terme de « restitution », que nous avions remplacé par celui de « retour ». Ce rétablissement, sur l’initiative du rapporteur de l’Assemblée nationale, nous a d’autant plus surpris que celui-ci n’avait pas formellement fait part de son opposition à cette modification en CMP, confirmant, selon ses propres termes, que ces restitutions ne sont ni un acte de repentance ni un acte de contrition.

À cela s’ajoute le fait que la remise aux autorités malgaches de l’objet décoratif en forme de couronne qui surplombait le dais de la reine Ranavalona III est très largement venue perturber nos discussions sur ce texte. Nous avons eu une incompréhension totale quant au calendrier des événements.

Il ne s’agit pas, comme j’en ai précédemment exposé les raisons lors de la discussion générale, d’un dépôt classique. Le discours de l’ambassadeur et le communiqué de presse publié par notre ambassade au moment de sa remise, comme le texte de la convention de dépôt, sont explicites sur le fait que ce dépôt répond à la demande formulée par Madagascar en février dernier, mais, surtout, s’inscrit dans la perspective du retour définitif de cet objet.

Madame la ministre, sans doute nous direz-vous que cet épisode n’a rien à voir avec l’objet du texte examiné aujourd’hui. C’est partiellement vrai, mais seulement partiellement, puisque c’est la troisième fois, en l’espace d’un an, que le Gouvernement passe par la voie du dépôt dans la perspective du retour définitif de biens culturels. Comme je l’ai rappelé, cela a été le cas, pour la première fois, pour le sabre dont le présent projet de loi organise le retour au Sénégal. L’autre cas – il est passé complètement inaperçu l’été dernier – concerne les vingt-quatre crânes algériens remis à l’Algérie et inhumés dès le surlendemain. Les services de votre ministère nous ont déjà indiqué qu’il sera nécessaire que le Parlement « régularise » leur situation en les faisant sortir des collections nationales à l’occasion d’un texte législatif. C’est l’auteure de la loi de restitution de têtes maories qui vous le dit : si cette restitution était parfaitement compréhensible, pourquoi ne pas lui avoir donné un caractère officiel ? La communauté nationale aurait pu s’approprier ce geste fort de reconnaissance et de réconciliation.

Le proverbe dit « jamais deux sans trois ». Voilà pourquoi nous ne pouvons pas croire que le recours au dépôt pour donner cet objet à Madagascar soit le fruit du hasard. Il s’agit d’un véritable dévoiement, comme l’a dit Max Brisson, de la procédure de dépôt d’œuvres d’art, destinée à permettre une sortie exclusivement temporaire du territoire douanier des trésors nationaux qui en font l’objet.

Le musée de l’Armée, saisi pour élaborer un dossier scientifique et historique de l’objet, n’a pas été consulté en amont de la décision de retour pour recueillir son avis sur celle-ci. Il a encore moins eu le temps de conserver une trace de l’objet, qui aurait pu servir à la recherche scientifique ou à expliquer, aux futurs visiteurs, la démarche de restitution dans les parcours muséographiques, compte tenu de la précipitation dans laquelle ce retour par dépôt a été organisé.

La commission de la culture considère que ce procédé démontre clairement la volonté du Gouvernement de contourner systématiquement l’aval préalable du Parlement à la sortie de biens culturels des collections. Or leur caractère national exige que ce soit le pouvoir législatif, en tant que représentant de la Nation, qui soit maître de la décision de les aliéner.

La commission de la culture déplore que, ce faisant, le Gouvernement fasse prévaloir systématiquement les enjeux diplomatiques sur l’intérêt culturel, scientifique et patrimonial des biens composant les collections publiques françaises. Ces remises en catimini satisfont peut-être les intérêts de notre diplomatie à court terme, mais elles sont loin d’apparaître comme une stratégie optimale à long terme, même d’un point de vue diplomatique. Elles restreignent en effet l’opportunité, pour la communauté scientifique, de développer des échanges avec leurs homologues étrangers. Je vous renvoie à ce qui a été fait aux collections kanakes du musée du quai Branly. Tout comme la remise des crânes algériens, ces remises en catimini privent la communauté nationale d’un geste fort en toute transparence.

Y avait-il vraiment tant péril en la demeure qu’il faille répondre en six mois à la demande de restitution ? Ne faut-il pas, au contraire, faire en sorte que ces restitutions puissent être véritablement bénéfiques pour les deux parties en permettant d’initier, dès la phase préalable, des coopérations scientifiques et culturelles ou des échanges ? C’est en tout cas de cette manière que cela s’était passé pour les têtes maories. Je crois sincèrement que l’une des grandes réussites de leur restitution tenait au fait que ce n’était pas une opération sèche.

La commission de la culture estime que le recours à cette méthode par le Gouvernement renforce la pertinence du conseil national dont le Sénat avait demandé la création. Il aurait garanti un examen historique et scientifique des demandes émanant des pays tiers et éclairé la décision des autorités politiques avant le démarrage des négociations diplomatiques. Ensuite, bien sûr, le choix revient au politique.

Dans la mesure où les députés ont fait connaître leur opposition à sa création, la commission de la culture considère qu’un nouvel examen détaillé du projet de loi ne permettrait pas de rapprocher les points de vue de l’Assemblée nationale et du Sénat. Pour toutes les raisons que je viens d’indiquer, la commission propose à la Haute Assemblée d’adopter la présente motion tendant à opposer la question préalable à ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe SER. – M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)

Mme le président. Personne ne demande la parole contre la motion ?…

Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Roselyne Bachelot, ministre. L’avis est défavorable.

Je me suis déjà longuement exprimée sur cette question au cours des différentes lectures ainsi qu’en répondant lors des séances de questions au Gouvernement. Je pense avoir suffisamment éclairé le Sénat sur la position du Gouvernement à ce sujet.

Mme le président. La parole est à M. Thomas Dossus, pour explication de vote.

M. Thomas Dossus. Après l’échec de la CMP, la rapporteure de la commission nous présente cette motion tendant à opposer la question préalable, afin d’acter les divergences qui séparent les visions des majorités de l’Assemblée nationale et du Sénat. À ces divergences s’ajoute le cynisme de la ministre qui, le 4 novembre dernier, voulait rassurer le Sénat sur la méthode gouvernementale tout en ayant déjà engagé, de façon unilatérale, la restitution de biens à Madagascar. Celle-ci ayant été annoncée le lendemain de nos discussions, le Parlement, une nouvelle fois, a été mis devant le fait accompli, devant assumer le fait du prince.

Il y a donc, d’un côté, la vision du Gouvernement privilégiant les accords purement diplomatiques pour les restitutions et, de l’autre, la vision de la majorité du Sénat, qui appelle à la constitution d’un conseil scientifique. Pour nous, aucune de ces deux visions n’est vraiment satisfaisante. En effet, pour assurer des restitutions dans les meilleures conditions et de manière durable, il faut une loi-cadre, un texte précisant les conditions et les modalités des restitutions pour permettre aux pays demandeurs d’obtenir rapidement une réponse et à la représentation nationale française de ne pas être saisie pour chaque œuvre sortie des collections nationales.

La majorité sénatoriale ne veut pas entendre parler de cette loi-cadre. Nous voyons, toutefois, une certaine dose d’hypocrisie à reprocher au Gouvernement son approche diplomatique et, en même temps, à se contenter d’être saisi par ce dernier, par le biais d’un projet de loi, chaque fois qu’il juge utile de rendre une œuvre à son pays d’origine. Ce n’est ni la vision ni la méthode que nous appelons de nos vœux.

Nous saluons l’initiative d’inscrire la création du conseil scientifique dans la loi, mais celui-ci ne peut et ne doit être qu’une première étape vers un dispositif plus large de changement de doctrine.

De plus, si nous votons cette motion, nous envoyons un message clair aux pays africains : le Sénat ne souhaite pas acter le retour du trésor de Béhanzin ni du sabre d’Omar Tall. Nous refusons que ces biens culturels soient l’otage de nos débats, un tel signal ternirait l’image internationale de notre assemblée et de notre politique culturelle en général.

Dès lors, et dans l’attente d’une loi loi-cadre, les écologistes souhaitent que le projet de restitution ait lieu. Certes, nous regrettons la disparition du conseil scientifique de la version que nous examinons aujourd’hui. Elle ne suffit pourtant pas à justifier le dépôt de cette motion. C’est pourquoi nous nous abstiendrons.

Mme le président. La parole est à M. Max Brisson, pour explication de vote.

M. Max Brisson. Je vois déjà arriver les procès sur notre prétendue opposition au retour des biens vers leurs pays d’origine. Je rappelle que nous avons voté les articles 1er et 2. La discussion ne porte plus sur eux ; elle porte sur la méthode, qui est le dévoiement de la convention de dépôt. Cette procédure est utilisée pour faire une restitution camouflée et, en fait, pour conforter le fait du prince, c’est-à-dire l’utilisation de nos collections exclusivement pour des questions liées à la diplomatie.

Nous pensons qu’il est urgent que notre pays se dote d’une doctrine – loi-cadre ou pas –, d’une méthode, d’une réflexion et que les scientifiques soient au centre de cette réflexion. C’est la raison de la création du conseil national de réflexion.

Nous ne voulons pas que le politique, comme il le fait depuis le début, dise son fait. Nous voulons que les scientifiques éclairent la représentation nationale, qui, depuis la Révolution française, détient la souveraineté absolue sur les collections nationales. Le patrimoine national ne se divise pas, ne se partage pas, et la représentation nationale en est le garant.

M. Pierre Ouzoulias. Très bien !

M. Max Brisson. Il s’agit donc que les scientifiques éclairent notre position et notre décision. Il faut les remettre au centre, alors que la méthode actuelle du Gouvernement les écarte.

Voilà ce qui nous sépare de la position du Gouvernement. C’est la raison pour laquelle je vous encourage, mes chers collègues, à voter cette motion. Cette dernière ne dit pas que nous sommes opposés à des restitutions ni que nous sommes opposés au dialogue des cultures. Elle prouve que nous voulons, dans ce dialogue des cultures, une collaboration et une coopération entre les scientifiques du pays d’accueil et les scientifiques français, que les collections soient regroupées et que l’on ait une vraie analyse des dépôts et de leur cheminement.

La valeur artistique de ces objets est construite par l’histoire, par la vie de ces objets et leur cheminement. C’est cela qu’il faut mettre en valeur. Mes chers collègues, votez cette motion ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)

Mme le président. La parole est à M. Bernard Fialaire, pour explication de vote.

M. Bernard Fialaire. Le groupe du RDSE partage toutes les réflexions et toutes les analyses de la commission. En revanche, par principe, il ne vote pas les motions tendant à opposer la question préalable, pour montrer tout son attachement au débat.

Mme le président. Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer la question préalable.

Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.

Je rappelle également que l’avis du Gouvernement est défavorable.

(La motion est adoptée.)

Mme le président. En conséquence, le projet de loi est rejeté.

Question préalable (début)
Dossier législatif : projet de loi relatif à la restitution de biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal
 

6

Débat à la suite de la réunion du Conseil européen des 10 et 11 décembre 2020

Mme le président. L’ordre du jour appelle le débat à la suite de la réunion du Conseil européen des 10 et 11 décembre 2020.

Dans le débat, la parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Clément Beaune, secrétaire dÉtat auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargé des affaires européennes. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des affaires européennes, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis très heureux d’être devant vous aujourd’hui pour vous présenter les principaux résultats du dernier Conseil européen, qui s’est tenu les 10 et 11 décembre dernier. Vous le savez, son ordre du jour était particulièrement chargé, à la hauteur des enjeux et des crises auxquels nous sommes confrontés collectivement.

Plusieurs questions nécessitaient des prises de décisions urgentes et importantes. À ce titre, nous pouvons nous réjouir d’un grand nombre d’avancées notables.

Trois points de ce sommet sont particulièrement marquants : les décisions prises au sujet de la Turquie, l’ambition climatique ainsi que le plan de relance et le paquet budgétaire européen, qui nécessitaient un déblocage, ce que nous avons obtenu. J’ajoute un élément important en parallèle à ce Conseil : la conclusion, jeudi après-midi, des discussions entre le Parlement européen, le Conseil et la Commission européenne sur le retrait des contenus terroristes en ligne. Il s’agit d’un sujet d’autant plus important qu’aujourd’hui même la Commission européenne présentera le nouveau texte législatif pour la régulation du monde numérique.

En premier lieu, ce Conseil européen a conclu un accord sur la conditionnalité financière, préalable à l’adoption du cadre financier pour les années 2021 à 2027 et du plan de relance. Ce paquet financier est absolument massif et inédit : plus de 1 800 milliards d’euros sur les sept prochaines années, dont 750 milliards d’euros de relance sur les trois prochaines années, en complément des moyens budgétaires ordinaires.

Le Conseil européen a donc permis, après plusieurs semaines de discussions intensives au cours desquelles la présidence allemande et la France se sont étroitement impliquées, d’obtenir un accord définitif sur ce paquet budgétaire. Permettez-moi d’être précis sur ce point, qui a pu donner lieu à un certain nombre d’interprétations, voire de malentendus.

Les conclusions du Conseil européen ont introduit des éléments de clarification sur ce qu’est et sur ce que n’est pas le mécanisme législatif lié au respect de l’État de droit. Est notamment mentionné le fait qu’un recours devant la Cour de justice de l’Union européenne est possible, formulation qui ne crée pas de droit mais l’explicite. Sans doute – il appartient à chacun des gouvernements concernés d’en décider –, la Pologne et la Hongrie utiliseront cette possibilité de saisine de la Cour de justice.

La Commission européenne a pris l’engagement politique de ne pas activer complètement le mécanisme de conditionnalité liée à l’État de droit tant qu’une procédure juridique devant la Cour de justice sera en cours. Quel délai cette procédure représente-t-elle ? C’est à elle, et à elle seule, de le déterminer. Nous pouvons toutefois imaginer, compte tenu des précédents, que le délai se situera autour d’un an. Cela n’empêchera pas la Commission européenne de commencer, si cela est avéré et nécessaire, un travail de recueil d’informations et d’investigation sur de possibles manquements à l’État de droit, dans le cadre de ce mécanisme.

Point très important à rappeler devant le Parlement – le Parlement européen le soulignera également – : le texte législatif lié à ce mécanisme relatif à l’État de droit n’est aucunement remis en cause, amoindri ou rediscuté par les conclusions de ce Conseil européen. Ce dispositif couvre certains aspects de possibles manquements à l’État de droit, par exemple en matière de corruption ou d’indépendance de la justice. Il constitue, je crois, une avancée majeure, en ce qu’il fait un lien, pour la première fois, entre la solidarité budgétaire légitime et le respect, absolument indispensable et incontournable, de nos valeurs politiques fondamentales. C’était précisément l’objet du débat et du blocage de ces dernières semaines.

Au total, cet accord permet à ce paquet budgétaire inédit d’être débloqué. Comme je l’avais indiqué dans nos précédents débats, nous n’avons renoncé ni à l’ambition de la relance et à l’ambition budgétaire européenne ni à celle que nous portons collectivement au respect strict de l’État de droit. Le règlement sur le cadre financier pluriannuel, le budget pour l’année 2021 ainsi que le plan de relance spécifiquement peuvent désormais avancer et être adoptés.

Comme vous le savez, il reste une étape démocratique fondamentale, pour chacun des États membres et des parlements concernés, à savoir l’adoption de la décision sur les ressources propres. Elle sera portée devant l’Assemblée nationale et le Sénat sans doute dans les premières semaines de l’année 2021, votre autorisation étant un préalable nécessaire à la ratification de cet acte juridique qui permettra de financer le budget européen et la dette relative au plan de relance.

Je voulais vous rendre compte avant toute chose de cette avancée majeure, puisque nous en avions longuement discuté à l’occasion de précédents échanges ces dernières semaines.

En deuxième lieu, les chefs d’État ou de gouvernement ont pris plusieurs engagements, soutenus par la France, pour renforcer leur coordination face à la crise sanitaire et à la pandémie de la covid-19.

Ils ont tout d’abord marqué leur satisfaction quant à la conclusion de contrats d’achats collectifs de doses de vaccins par la Commission européenne. Six contrats ont été conclus, pour un montant total de plus de 1,5 milliard de doses, financé par le budget européen. Aujourd’hui même a été annoncé, par les autorités européennes, l’avancement du calendrier pour la validation sanitaire, sans doute avant Noël, du premier de ces vaccins. Je crois que cette coordination en matière vaccinale est une avancée européenne concrète, majeure et tangible. Elle a d’ailleurs été saluée et encouragée au cours de ce sommet.

Cette coordination en matière sanitaire, encore imparfaite, disons-le, doit se poursuivre, notamment en ce qui concerne les phases devant s’ouvrir les prochaines semaines – nous l’espérons – pour la levée progressive des restrictions.

Nous devons mieux coordonner nos efforts européens en matière de déplacement et de reconnaissance mutuelle des tests. Je pense, notamment, aux nouvelles formes de tests, les tests rapides, dits antigéniques, sur lesquels il n’y a pas encore de protocole européen agréé. Cela permettrait d’avoir les mêmes démarches, les mêmes méthodes et donc les mêmes critères d’ouverture ou de déplacement à travers l’Union européenne.

À cet égard, le Conseil européen a appelé la Commission à proposer une recommandation – c’est le terme juridiquement consacré – établissant un cadre commun, notamment pour la reconnaissance mutuelle de ces nouveaux tests.

À ce sujet également, je crois que nous avons tiré des premières leçons des difficultés, parfois des échecs, que nous avons connus au niveau européen, faute de compétences et de précédent face à la première phase de la pandémie.

Comme le retracent les conclusions du Conseil européen, voit progressivement le jour une union de la santé à travers le vaccin et des étapes concrètes de coordination, même si elles restent à parfaire. La Commission européenne a d’ailleurs appelé à mettre en place, à l’avenir, une agence de santé commune, qui facilitera et soutiendra les efforts de recherche, tout en nous aidant à mieux nous préparer face aux futurs risques sanitaires. Aujourd’hui même, le Parlement européen a adopté, définitivement, des règlements permettant de créer un programme sanitaire au sein du prochain budget européen.

En troisième lieu, des ambitions fortes, soutenues activement par la France, ont été actées – essentiellement au cours de la nuit du 10 au 11 décembre – pour lutter contre le changement climatique. À la veille du cinquième anniversaire de l’accord de Paris, l’Union européenne devait se montrer exemplaire ; elle l’a été.

Conformément aux attentes de notre pays et à plusieurs échanges que nous avions eus dans cet hémicycle, a été adopté l’objectif d’une réduction des émissions de gaz à effet de serre dans l’Union européenne d’au moins 55 % d’ici à 2030 par rapport aux niveaux de 1990. Cela permettra de procéder au dépôt de la nouvelle contribution collective de l’Union européenne aux Nations unies, en vue de la prochaine COP organisée par l’Italie et le Royaume-Uni.

Plusieurs principes ont été définis dans ce cadre. Les conclusions du Conseil européen indiquent que l’Union européenne respectera les principes de coût-efficacité, d’équité et de solidarité dans la mise en place de cette transition vers une ambition climatique renforcée.

Pour accompagner cette transition, nous devrons mobiliser nos moyens financiers, renforcer le mandat de la Banque européenne d’investissement, comme nous avons commencé de le faire, et mobiliser, bien sûr, à la fois le plan de relance et le nouveau cadre financier pluriannuel. Plus de 30 % du plan de relance européen de 750 milliards d’euros sera consacré – c’est singulièrement le cas du plan de relance français – à la transition climatique et à la lutte contre le changement climatique.

Il a également été prévu, dans les conclusions du Conseil européen, de renforcer le système d’échanges de quotas d’émissions de l’Union européenne, notre outil de marché carbone, le système ETS.

Plus important encore – et certainement plus innovant – a été confirmée l’ambition commune de mettre en place à nos frontières, avant l’année 2023 et via des propositions législatives qui viendront au début de l’année 2021, un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières. Comme vous le savez, sans celui-ci, la transition écologique ne peut être ni juste ni efficace. Nous avons besoin de ce mécanisme à nos frontières pour faire en sorte que notre exemplarité climatique soit partagée par d’autres acteurs internationaux. La France veillera à ce que cette proposition législative intervienne dans les meilleurs délais.

En quatrième lieu, ce Conseil européen a confirmé l’engagement des États membres à faire usage de tous les moyens disponibles pour renforcer la sécurité de l’Union face à la menace terroriste. Vous le savez, c’est un objectif que le Président de la République a réaffirmé avec plus de force encore après les tragiques attaques que notre pays comme d’autres pays européens tels que l’Autriche ont affronté ces dernières semaines.

Le Conseil européen a fixé des objectifs qui devront être précisés, mais que la France soutient très largement : la lutte contre la diffusion de contenus à caractère terroriste, sur la base du règlement, désormais agréé, et d’une nouvelle ambition portée par les propositions de la Commission européenne qui seront présentées dans l’après-midi ; la responsabilité des plateformes en ligne, dans le même esprit ; la lutte contre l’influence étrangère exercée sur les organisations civiles et religieuses nationales, au moyen de financements parfois non transparents ; la nécessité de faire avancer nos travaux concernant la conservation des données, essentielle à l’activité de nos services de renseignement en particulier ; la pleine exploitation et l’accélération de la mise en place des nouveaux mécanismes d’information européens déterminants pour le fonctionnement de l’espace Schengen ; le renforcement du contrôle de nos frontières extérieures et, ainsi, du bon fonctionnement de l’espace Schengen.

Sur ce dernier point, la France continuera d’insister sur la nécessité d’une réforme, afin de pouvoir répondre avec plus de réactivité, de force et de cohérence aux défis et à la menace terroriste.

Je l’évoque brièvement, car les négociations se poursuivent – nous aurons peut-être l’occasion d’y revenir – : ce Conseil européen a été l’occasion pour la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, de faire le point sur les discussions en cours avec le Royaume-Uni, puisque l’échéance du Brexit effectif est imminente : le 1er janvier prochain, soit dans un tout petit peu plus de deux semaines.

Le fait que le Conseil européen n’ait pas discuté de manière approfondie de la question de la relation future avec le Royaume-Uni ni des négociations en cours n’est pas une façon de minimiser l’enjeu. Loin de là, cela témoigne de notre unité et de notre fermeté collective. Aucun État membre n’a rouvert le débat ni remis en question la confiance dans notre mandat et dans notre négociateur, lequel poursuit ses efforts à l’heure où nous parlons pour aboutir à un accord respectant, bien entendu, nos priorités, nos intérêts et nos lignes rouges.

Vous connaissez, mesdames, messieurs les sénateurs, la priorité que nous accordons à la pêche et à la nécessité absolue de conditions de concurrence équitables pour acter un accord sur la relation future avec le Royaume-Uni.

Au cours du dîner du 10 décembre, comme il est de coutume, puis dans la matinée de vendredi, les chefs d’État et de gouvernement ont abordé différents points de politique étrangère.

Ils ont d’abord évoqué la relation avec la Turquie et la situation spécifique en Méditerranée orientale. À l’égard de la Turquie, la France a agi comme fer de lance et tenu un discours de fermeté, qui porte ses fruits – je veux y insister. En effet, nous avons adopté à l’unanimité de nouvelles sanctions en raison des actions « unilatérales » et « provocatrices » – je reprends les termes des conclusions du Conseil européen – menées et poursuivies par la Turquie en Méditerranée orientale. Nous avions indiqué au mois d’octobre dernier que nous laissions à la Turquie le choix entre retrouver le chemin du dialogue et poursuivre ses actions provocatrices. Elle a manifestement opté pour cette seconde voie. Il était nécessaire que nous réagissions. C’était un test de fermeté, d’unité et de crédibilité pour l’Union européenne.

En outre, une clause de rendez-vous a été fixée en mars prochain, soit dans moins de trois mois, en vue d’examiner le rapport demandé au Haut Représentant de l’Union européenne, M. Josep Borrell, afin d’envisager d’autres mesures – d’autres sanctions, le cas échéant –, au-delà des actions menées en Méditerranée orientale. L’unité a été difficile à construire et à tenir. La fermeté l’a parfois été plus encore. Néanmoins, sous l’action de la France et, je le crois, grâce à un large consensus politique, nous avons réussi à entraîner l’Europe vers cette position de fermeté, indispensable face au comportement de la Turquie.

Le Conseil européen s’est également penché rapidement sur la relation transatlantique. Le président du Conseil européen, Charles Michel, a évoqué la nécessité d’identifier des thèmes pour une alliance ambitieuse avec les États-Unis. Nous partageons avec cet allié et ami des valeurs fondamentales. Nous souhaitons nouer avec lui encore davantage de partenariats. Nous devrons sans doute réinventer la relation existante avec la nouvelle administration américaine.

L’attention du Conseil européen s’est également portée, en matière de politique extérieure, sur le voisinage sud, répondant en cela à une demande forte de la France. Vingt-cinq ans après le lancement du processus de Barcelone, il est essentiel de relancer ce partenariat stratégique. Un nouveau programme pour la Méditerranée sera élaboré autour de priorités communes, dans des domaines désormais bien identifiés, tels que l’environnement, l’éducation, la culture ou la préservation des ressources naturelles.

Plusieurs autres sujets de relations extérieures ont été évoqués par le Conseil européen : la Libye, la centrale nucléaire biélorusse d’Ostrovets et le régime mondial de sanctions de l’Union européenne en matière de droits de l’homme, qui constitue une nouveauté importante et qui avait été acté par les ministres des affaires étrangères préalablement, en début de semaine dernière.

Enfin, un sommet de la zone euro s’est tenu vendredi matin, en présence de la présidente de la Banque centrale européenne, Christine Lagarde. Il était important de préserver l’élan né des réformes importantes agréées par nos ministres des finances voilà quelques semaines à peine : la réforme du Mécanisme européen de stabilité (MES), qui est un mécanisme supplémentaire d’assistance financière en cas de crise, et une étape vers une véritable union bancaire et une union des marchés de capitaux, avec la mise en place d’un filet de sécurité qui permet de renforcer, via le MES, le soutien à nos banques et, in fine, aux épargnants en cas de difficultés financières au sein de notre zone monétaire commune.

Vous le voyez, mesdames, messieurs les sénateurs, le Conseil, la réunion du Conseil européen a été longue, et son ordre du jour chargé. Quelques heures encore avant sa tenue, certains parlaient encore de « test », de « risque de délitement » ou de « désunion ». Cependant, en cette période difficile, et au moins sur les trois points que j’ai mis en exergue – le rapport à la Turquie, la question budgétaire et celle de l’État de droit, qui lui est adossée, l’ambition climatique –, l’Europe a montré sa force et son unité. Je crois que le rôle de la France y a été central. Nous devrons continuer à l’exercer dans le cadre des réformes que j’ai évoquées, notamment sur la sécurité ou l’État de droit, lors des prochaines semaines. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Pierre Louault et Mme Colette Mélot applaudissent également.)

Mme le président. La parole est à M. le vice-président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des formes armées.

M. Pascal Allizard, vice-président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, de report en report, nous abordons une phase extrêmement critique du Brexit. Certes, un accord, conclu le 8 décembre dernier, scelle le retour du Royaume-Uni au respect de la parole donnée : les dispositions controversées de son projet de loi sur le marché intérieur, qui contrevenaient à l’accord de retrait de 2019, seront retirées. Mais nous ne devons pas faiblir sur les principes que les 27 États membres, derrière Michel Barnier, se sont fixés dans la négociation : une concurrence équitable, un accès durable aux eaux britanniques pour la pêche et une gouvernance robuste.

Hélas ! Pour des considérations de politique interne au Royaume-Uni, les possibilités d’arriver à un accord avant le 1er janvier 2021 paraissent toujours ténues, même si, comme je le souhaite, l’Union européenne veut donner jusqu’au bout sa chance à la négociation.

Qu’adviendra-t-il alors à nos frontières, à nos entreprises ? Quel est notre degré de préparation ? On nous annonce une cohue indescriptible à Calais. D’ailleurs, les camions s’y pressent déjà, car les entreprises britanniques font des stocks de précaution… Mes chers collègues, le Brexit n’est pas qu’une affaire britannique : la France est en première ligne.

Par ailleurs, quid des mesures d’urgence annoncées par la Commission européenne en cas de no deal ? Je rappelle que celles-ci concernent le transport routier, le transport aérien et la pêche, sous réserve de « réciprocité » de la part du Royaume-Uni. Mais seront-elles suffisantes pour nos entreprises ? Au reste, le Royaume-Uni ne semble pas prêt à la « réciprocité » qui laisserait nos pêcheurs accéder à ses eaux : la mobilisation de la Royal Navy est un signal très inquiétant, du reste dénoncé par notre collègue Tobias Ellwood, président de la commission de la défense de la Chambre des communes.

À propos de la relation de défense franco-britannique, nous avons fêté les dix ans du traité de Lancaster House, qui est le cadre de notre coopération. Celle-ci a connu une récente avancée avec le programme de « guerre des mines », conduit par Thales. D’autres grands industriels, comme MBDA, développent des programmes avec la France et le Royaume-Uni.

Des craintes existent quant au Brexit, qui pourrait rajouter des lourdeurs et des coûts. Les Britanniques veulent une plus grande liberté d’action, mais ils n’en sont pas moins enclins à rechercher des coopérations. Je crois que le Royaume-Uni voudra rester étroitement associé à la défense de l’Europe si l’on sait l’y inviter, sans faire preuve de naïveté ni oublier les échecs du passé.

Il faut avoir en tête que l’armée britannique est, avec l’armée française, celle qui compte en Europe. Le Sénat jouera tout son rôle pour conforter, sur le plan parlementaire, cette coopération.

J’en viens à la conquête par l’Europe de son autonomie stratégique.

Sur ce plan, le dernier Conseil européen n’a pas envoyé de signaux très favorables.

Je ne reviendrai pas sur les agissements turcs en Méditerranée ni sur son action déstabilisatrice. Son rôle au Caucase est également inquiétant pour la sécurité régionale.

Monsieur le secrétaire d’État, vous l’avez abordé : il semble qu’une prise de conscience émerge au sein de l’Union européenne et de l’Alliance atlantique, même si elle peut sembler un peu tardive.

La position de la Turquie et les annonces préalables à ce Conseil – nous en avions parlé à l’occasion de la précédente réunion – étaient en fait une manœuvre pour diviser les Européens avant que ne soit évoqué le sujet des sanctions. Le résultat nous paraît ambigu. Une vigoureuse condamnation verbale, c’est bien, mais, pour l’heure, on constate une simple extension de la « liste noire », sans remise en cause de l’union douanière avec la Turquie ni embargo sur les ventes d’armes, sur lesquelles l’Union européenne entend « se coordonner avec les États-Unis » – cela n’a pas empêché l’achat de S-400 à la Russie… –, et, bien sûr, un rapport.

La Turquie fait ainsi de la politique d’opportunité et s’affirme comme acteur régional face aux divisions de l’Union européenne, de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) et de l’OTAN. En outre, elle sait l’Europe liée par l’accord migratoire et toujours incapable de s’affirmer comme puissance.

Certes, la démarche dite de la « boussole stratégique », lancée par l’Union européenne en juin dernier est porteuse d’espoir. Fondée sur une analyse commune des menaces, elle devrait conduire à faire partager plus largement les convictions françaises quant à la nécessité de l’autonomie stratégique. Ce travail doit aboutir au premier semestre 2022, à savoir pour la présidence française de l’Union.

Monsieur le secrétaire d’État, veillons à ce que cette démarche soit elle-même autonome et à ce qu’elle ne se résume pas à une reprise du concept stratégique de l’OTAN. Aussi, il faudra intensifier le dialogue avec les pays d’Europe centrale, et pour les sensibiliser aux problématiques du flanc sud de l’Europe, et pour leur expliquer que l’attention que celle-ci doit y porter ne se fera jamais au détriment du flanc est ni de l’OTAN.

Tels sont les questions et les messages que la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat souhaitait vous transmettre. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Claude Kern applaudit également.)

Mme le président. La parole est à M. le président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Jean-François Longeot, président de la commission de laménagement du territoire et du développement durable. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, comme je le disais en octobre dernier, plus personne ne se satisfait d’un objectif de 40 % de réduction des émissions pour 2030. Dès lors, le dernier Conseil européen, qui se déroulait de manière hautement symbolique cinq ans après la signature de l’accord de Paris, était, encore, l’un de ces fameux Conseils de la dernière chance : cinq ans après, nous savons déjà que l’ambition d’alors ne suffit plus.

À cet égard, force est de constater que l’Europe, en rehaussant, d’ici à 2030, son ambition de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 40 % à au moins 55 % par rapport aux niveaux de 1990, est encore une fois au rendez-vous.

Je dis « encore une fois », car l’Europe s’est depuis longtemps posée comme leader de la lutte contre le changement climatique.

En effet, il y a cinq ans, l’Europe a été au rendez-vous de la COP21 et de l’accord de Paris, signé par 195 pays, en étant à l’initiative du traité climatique le plus complet et le plus ambitieux jamais conclu.

Elle l’a également été depuis lors, en s’affirmant comme la gardienne de cet accord, notamment à la suite du désengagement américain de juin 2017.

En 2019, l’Europe est de nouveau au rendez-vous, en se fixant l’ambition de devenir le premier continent à parvenir à la neutralité carbone en 2050, étape cruciale pour limiter le réchauffement climatique planétaire à 1,5 degré.

Dès lors, les discussions ont porté sur le niveau de baisse des émissions de gaz à effet de serre devant être visées d’ici à 2030 et sur l’impératif de rehausser le précédent objectif. À ce titre, l’Europe est assurément au rendez-vous.

Alors que, depuis bientôt un an, la crise sanitaire se double d’une crise économique sans précédent, nombreux sont ceux qui ont appelé à revoir à la baisse notre ambition commune face à la crise environnementale. Je salue ici le fait qu’un tel renoncement, que nos concitoyens ne nous auraient jamais pardonné, n’ait pas eu lieu.

Mieux, nous considérons la « multicrise » comme l’occasion d’accélérer la transition durable déjà engagée et de moderniser nos économies, via des plans de relance verts.

C’était d’ailleurs l’objectif des discussions budgétaires européennes : les orientations, elles aussi approuvées lors de ce Conseil européen, flèchent vers des dépenses climatiques 30 % des 1 800 milliards d’euros mis sur la table.

Les discussions intergouvernementales ont d’ailleurs suggéré de renforcer le marché européen du carbone et de mettre en place un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières pour éviter les fuites de carbone.

En janvier dernier, le Sénat défendait déjà cette proposition, en adoptant une proposition de résolution de nos collègues Jean-François Husson et Bruno Retailleau.

M. Jean-François Longeot, président de la commission de laménagement du territoire. Ainsi, mes chers collègues, l’Europe a encore donné un signal fort dans le cadre de la lutte contre le dérèglement climatique. Elle a réaffirmé notre ambition commune le week-end dernier, lors du sommet organisé pour l’anniversaire de l’accord de Paris, en étant le premier émetteur mondial à présenter un objectif révisé à la hausse. Elle le réaffirmera d’autant plus fort lors de la COP26 à venir et de la prochaine COP15 sur la biodiversité.

Dans ses conclusions, le Conseil européen a réitéré que l’engagement international était crucial pour réussir à relever ce défi climatique. En effet, si l’Europe est la bonne échelle pour répondre à un défi par définition collectif, je salue la diplomatie climatique européenne. Force est également de constater que nous nous sentions bien seuls ces dernières années !

Mais ce leadership européen a payé, la Chine ayant annoncé, en septembre dernier, pour la première fois, l’objectif de neutralité carbone d’ici à 2060, quand le Japon, en octobre dernier, l’évoquait d’ici à 2050. En sus de ces annonces, le retour américain dans l’accord de Paris nous donne collectivement envie de redoubler d’efforts, alors que de nombreux rapports se sont alarmés de l’insuffisance des engagements en matière de réduction des émissions pour la période 2020-2030 pour atteindre les objectifs de l’accord de Paris.

Nous suivrons donc avec attention la prochaine étape, à savoir la présentation par la Commission européenne, en juin 2021, du plan d’action pour mettre en œuvre l’objectif de réduction de 55 %.

Alors que la France a joué un rôle actif dans ces réussites européennes, notre commission de l’aménagement du territoire et du développement durable souhaite que nous soyons nous-mêmes au rendez-vous lors de la future loi climat, en nous inscrivant dans le cadre des orientations européennes et en amendant ce texte dans un seul but : rester au rendez-vous du défi climatique. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme le président. La parole est à M. le rapporteur général de la commission des finances. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, cela ne vous étonnera pas, la commission des finances s’est particulièrement intéressée aux conclusions du Conseil européen de la semaine dernière portant sur l’adoption du prochain cadre financier pluriannuel, permettant ainsi la mise en œuvre du plan de relance européen.

En effet, au cours des dernières semaines, l’adoption du prochain cadre financier pluriannuel et celle de la décision relative aux ressources propres étaient suspendues aux vetos hongrois et polonais.

Concrètement, c’est la délicate question de la conditionnalité des fonds européens au respect de l’État de droit qui constituait la pomme de discorde des négociations depuis plusieurs mois. Cet obstacle a finalement été levé grâce à une déclaration du Conseil européen qui réaffirme le principe de souveraineté de chaque État membre et précise que le lien entre la violation de l’État de droit et l’atteinte que celle-ci constitue pour le budget de l’Union européenne devra être objectivement établi.

Alors que l’accord de juillet dernier laissait espérer une réponse budgétaire rapide de l’Union européenne pour faire face aux conséquences économiques de la crise sanitaire, il aura donc fallu près de six mois supplémentaires pour le concrétiser.

Au final, si l’issue de ces négociations relatives au cadre financier pluriannuel, qui se sont échelonnées sur plus de deux ans, constitue un premier motif de soulagement, elle n’épuise pas pour autant les interrogations sur la capacité du budget européen et du plan de relance à accompagner les États membres face à la crise actuelle.

Monsieur le secrétaire d’État, une fois le cadre financier pluriannuel 2021-2027 formellement adopté, celui-ci devra encore être décliné dans chaque État membre, au sein de programmes opérationnels, correspondant à chacune des politiques de l’Union européenne. Cette adoption tardive pourrait ainsi être de nature à ralentir le décaissement des crédits européens au bénéfice des territoires et des porteurs de projets locaux. Pouvez-vous nous préciser les mesures prises par les autorités de gestion françaises afin de garantir une mobilisation rapide des fonds européens dès le début de l’année prochaine ?

Par ailleurs, la mise en œuvre du plan de relance européen nécessite que la décision « ressources propres » soit ratifiée par l’ensemble des parlements nationaux. Le Sénat devrait examiner le projet de loi de ratification correspondant à la fin du mois de janvier prochain.

À quelle échéance pensez-vous que le processus de ratification pourra être mené à son terme, monsieur le secrétaire d’État ? Alors que le plan de relance européen doit financer 40 % du plan de relance français, faudra-t-il finalement attendre 2022 pour que la France en bénéficie, au-delà de l’enveloppe de 4 milliards d’euros de préfinancement ?

Par ailleurs, un sommet de la zone euro en configuration ouverte s’est tenu lors du dernier Conseil européen. À cette occasion, les États membres ont salué l’accord trouvé par l’Eurogroupe, à la fin du mois de novembre dernier, sur l’approfondissement de l’union bancaire. Plus particulièrement, ils se sont félicités de l’introduction anticipée du filet de sécurité du Fonds de résolution unique par le Mécanisme européen de stabilité.

En outre, s’agissant de l’approfondissement du marché des capitaux, la déclaration des États membres publiée à l’issue du sommet de la zone euro rappelle que l’Union européenne doit jouer un rôle majeur dans le domaine de la finance verte. À cet égard, il serait intéressant, monsieur le secrétaire d’État, que vous nous indiquiez les pistes que la France défendra pour faire avancer ce sujet au niveau européen dans les prochains mois.

Enfin, alors que le sujet des négociations du Brexit n’était pas formellement à l’ordre du jour du Conseil européen, il s’y est encore une fois imposé. Certes, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, appelle à poursuivre les négociations dans un ultime effort, mais il est plus que jamais permis de douter de la possibilité d’un accord d’ici à la fin de cette année. Notre commission reste particulièrement attentive à la conduite de ces négociations, au regard des enjeux budgétaires et financiers considérables qui sont en jeu dans notre relation future avec le Royaume-Uni.

Monsieur le secrétaire d’État, je ne vous ferai pas l’affront de vous demander si vous pensez réellement qu’un accord reste possible, car les rebondissements du Brexit au cours des dernières années nous ont appris à nous méfier des certitudes. Néanmoins, pourrez-vous nous indiquer dans quelle mesure l’absence d’accord serait préjudiciable pour les prévisions de croissance économique de la France en 2021, alors même que notre économie est déjà fragilisée par la crise actuelle ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Véronique Guillotin applaudit également.)

Mme le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’ordre du jour de la dernière réunion du Conseil européen était particulièrement lourd, à la fois chargé en nombre de points traités et dense en enjeux – mes collègues en ont déjà évoqué d’importants.

Aussi, dans ce propos liminaire, je me limiterai à évoquer trois sujets : la pandémie, la sécurité et les questions budgétaires.

Concernant la pandémie, la bonne nouvelle est que nous en sommes aujourd’hui à discuter de stratégie vaccinale. La moins bonne est que Sanofi annonce avoir pris du retard. Son vaccin, élaboré avec GSK, ne sortira qu’à la fin de l’année 2021. On peut regretter le retard de livraison qui en découlera pour l’Union européenne, qui en avait réservé 300 millions de doses. On peut aussi s’interroger : pourquoi, dans cette course aux vaccins, trouve-t-on en tête les biotechs américaines et chinoises ? Pour ma part, j’y vois une incitation à encourager l’Europe de la recherche, notamment à presser le pas pour mettre enfin en place le brevet unitaire européen, dont la naissance est compromise par la défection britannique et le retard pris par l’Allemagne dans la ratification de l’accord relatif à une juridiction unifiée du brevet.

Monsieur le secrétaire d’État, quelles sont les perspectives en la matière ?

À la suite des attentats terroristes, la sécurité s’est également imposée comme un sujet prioritaire au Conseil européen. Nous pouvons, comme ce dernier, nous féliciter de l’accord conclu récemment sur le règlement relatif aux contenus terroristes en ligne : il permettra d’adresser une injonction de suppression de ces contenus, quel que soit le lieu d’établissement principal du fournisseur de service d’hébergement, avec un retrait dans l’heure, valable dans tous les États membres.

Nous attendons maintenant les propositions que la Commission européenne prépare pour obliger les plateformes en ligne à prendre leurs responsabilités et pour renforcer le mandat d’Europol. Mais nous devons aller plus loin. D’abord, nous devons doter l’Union européenne d’une législation en matière de conservation des données qui permette de lutter efficacement contre les formes graves de criminalité. Ensuite, nous devons accélérer l’interopérabilité entre les bases de données et les systèmes d’information européens. Enfin, nous devons nous organiser pour que toute personne franchissant les frontières extérieures de l’Union soit contrôlée.

Le troisième enjeu, et non le moindre, est l’accord intervenu au Conseil européen sur le cadre financier pluriannuel et le plan de relance.

Nous saluons cette avancée décisive, car les États membres ont urgemment besoin de cette expression concrète de solidarité européenne pour rebondir après la pandémie. Le Gouvernement nous assure qu’elle a été obtenue sans sacrifier l’État de droit. Je veux le croire, mais la déclaration qui a permis de lever le veto polonais et hongrois, après maintes discussions, ne manque pas d’interroger.

D’abord, sa portée juridique est incertaine.

Ensuite, elle indique expressément que la simple constatation de l’existence d’une violation de l’État de droit ne suffit pas à déclencher le mécanisme : il faut pour cela que cette violation porte directement préjudice aux intérêts financiers de l’Union. Cette condition limite considérablement la possibilité d’activer le mécanisme. N’en sommes-nous pas réduits à l’impuissance à laquelle nous condamnait déjà l’exigence d’unanimité du Conseil pour constater l’existence d’une violation grave et persistante par un État membre des valeurs fondamentales de l’Union, requise à l’article 7 du traité ?

Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous rassurer ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. André Gattolin, Jean-Yves Leconte, Pierre Louault et Mme Colette Mélot applaudissent également.)

Mme le président. La parole est à Mme Laurence Harribey.

Mme Laurence Harribey. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, clarifications, conclusion d’accords essentiels pour l’avenir de l’Union européenne : ce Conseil européen aura marqué la fin d’une séquence difficile, ayant duré près de deux ans, notamment pour le cadre financier pluriannuel. Il laisse aussi nombre de questions ouvertes, ainsi que l’ont montré les orateurs précédents.

Comme d’habitude, certains voient le verre à moitié plein et d’autres à moitié vide. Je pense qu’il faut plutôt voir l’Europe dans sa réalité : elle progresse souvent plus dans la gestion de crises que dans les incantations des grands soirs.

Pour notre part, attachés à une destinée européenne qui fasse de l’État de droit, de la démocratie et de la construction d’une Europe sociale ses moteurs, nous aimerions vous faire part, monsieur le secrétaire d’État, de quatre points qui nous interpellent sur l’avenir de l’Europe ainsi que sur la capacité de la France à peser, à peu de temps de la prochaine présidence française.

La première interrogation porte sur ce fameux compromis relatif à la conditionnalité de l’accès des fonds européens au respect de l’État de droit et sur les garanties qui ont été données à la Pologne et à la Hongrie. Ce compromis ouvre la voie à une Europe sur mesure pour qui sait jouer des faiblesses de l’Union.

Certes, la menace d’une coopération renforcée pour mettre en œuvre le cœur même de la solidarité européenne, à savoir son budget, est écartée, mais l’accord passé avec la Pologne et la Hongrie ne conforte pas vraiment l’État de droit : la suspension du mécanisme de conditionnalité pourrait donner le sentiment d’une possible impunité, quand bien même les sanctions seraient rétroactives. Il y a là une vraie question, que certains ont soulignée.

Ce compromis interroge aussi sur le respect du cadre juridique européen, puisqu’il autorise la Commission européenne à suspendre l’application du mécanisme en dehors de tout contrôle du Conseil et du Parlement européens. Cela pose un vrai problème démocratique.

On peut également s’interroger sur le principe de restitution rétroactive des financements versés au titre tant de la cohésion que du plan de relance européen.

Autant de questions qui mériteraient une réflexion sur les conséquences de compromis de ce type, montés sur un échafaudage juridique qui pourrait être fragile à terme… Alors que nous sommes dans la dernière ligne droite des négociations avec le Royaume-Uni, on ne peut s’empêcher de s’inquiéter de la tentation de compromis acrobatiques, qui, s’ils permettent de revendiquer un succès, recèlent, dans leur mise en œuvre, des impasses, des pièges ou même un détricotage des acquis communautaires.

Notre deuxième questionnement porte sur le plan de relance et sur le séquençage du déblocage des fonds européens.

Quid de la conditionnalité des prêts contractés dans le cadre du plan de relance à des réformes structurelles, principe que la France a combattu à juste raison, mais que les Pays-Bas ont réussi à faire acter ?

Sur ce point, nous suivons la position du Gouvernement, car le principe de conditionnalité nous semble anachronique au regard de la nécessité d’aider les États victimes d’une crise exogène. Et si le pacte de stabilité a été suspendu, les contraintes du semestre européen perdurent.

Quid aussi de l’articulation – et je rejoins ici les propos du rapporteur général de la commission des finances – entre enveloppes nationales et régionales ? Il semble qu’il y ait un vrai problème de coordination, en particulier en France, entre plan national de relance et enveloppe React-UE destinée aux régions. Pour nous, il est primordial d’associer les régions à la conception et à la mise en œuvre des plans de relance. Or on assiste plutôt à deux dynamiques parallèles et même à un risque de mise en concurrence des appels à projets, ce qui pourrait mettre la France globalement en difficulté en termes de consommation des crédits européens.

Notre troisième point concerne l’articulation entre transition écologique et plan de relance. L’accord intervenu sur la baisse de 55 % est la marque d’une volonté forte, mais le plus dur reste à faire : répartir cet objectif par pays – puisqu’il s’agit d’un objectif commun et non individualisé –, faire émerger de nouvelles ressources propres fléchées – si le principe est acquis, la réalisation semble un peu lointaine – et résoudre certaines contradictions, comme le rôle de la BCE dont 68 % des rachats d’obligations auraient bénéficié à des entreprises liées aux énergies fossiles – d’où un nécessaire recentrage de l’action de la banque centrale pour éviter toute contradiction entre son action et le plan de relance.

J’aimerais enfin évoquer la question du traité sur la Charte de l’énergie (TCE), qui vient contrevenir aux objectifs climatiques de l’Union européenne. Des négociations sont engagées pour faire évoluer le traité, mais la Commission semble très timide. Le Parlement européen l’a d’ailleurs alertée à plusieurs reprises.

Enfin, la quatrième interrogation que nous voudrions partager concerne la gestion européenne de la crise sanitaire.

L’Europe s’est distinguée par des stratégies nationales en ordre dispersé, ce qui peut s’entendre puisque la santé n’est qu’une compétence d’appui. Toutefois, l’Union aurait tort de ne pas être proactive au regard des enjeux de cette crise, et ce même au-delà du plan de relance, qui constitue déjà une sérieuse reconnaissance de la solidarité européenne.

Deux pistes méritent d’être soulignées.

La première concerne l’accès équitable et abordable aux vaccins pour tous, notamment à travers le mécanisme Covid-19 Vaccine Global Access (Covax). Mais le Conseil considère que c’est la vaccination qui est un bien public mondial et non le vaccin lui-même, ce qui n’ouvre pas la voie à une cession de la propriété intellectuelle. On voit que les enjeux économiques prédominent, alors même que les commandes publiques européennes et nationales auront largement contribué à l’obtention de ces vaccins.

La seconde piste, abordée au point n° 10 des conclusions, concerne la maîtrise des données relatives à la santé en Europe. Comme l’a souligné le président de la commission des affaires européennes du Sénat, notre commission a récemment rendu un avis politique sur cette question, car la pandémie a mis en lumière, de manière crue, la dépendance de l’Europe aux grands acteurs américains du numérique. En France, l’hébergement de la base nationale des données de santé, confiée à Microsoft au prétexte du déficit d’offre européenne, en est une traduction. Mais cela montre aussi à quel point le défi numérique conditionne la souveraineté économique et doit être au cœur des nouvelles politiques européennes.

Les avancées dessinées dans le « pack digital » que la Commission vient de présenter devront faire l’objet d’une très grande vigilance.

En conclusion, je voudrais revenir au début de mon propos et à ce que je soulignais en ce qui concerne l’État de droit : la crise pandémique, le Brexit, la crise de nos démocraties nationales ou encore la question de la Turquie, qui a aussi marqué ce Conseil européen, obligent à repenser la nature et les modes opératoires des politiques européennes.

À l’aube d’une proche présidence française de l’Union européenne, si nous voulons garder le cap d’une Europe citoyenne, porteuse d’un modèle de société articulant État de droit et développement économique, social et solidaire, il est incontournable de trouver de nouveaux modes de coopération entre parlementaires et gouvernements.

Pour notre part, nous serons particulièrement vigilants sur la convention sur le futur de l’Union européenne, sur laquelle nous n’avons encore que peu d’éléments, notamment sur la manière dont les parlements nationaux seront associés. (M. André Gattolin applaudit.)

Mme le président. La parole est à M. Jean Louis Masson.

M. Jean Louis Masson. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le dernier Conseil européen s’est soldé par un échec global et pas seulement sur le Brexit. Trois exemples prouvent que cela résulte de choix très discutables.

En ce qui concerne le Brexit, ayant été hostile à l’entrée du Royaume-Uni dans l’Union européenne, je me réjouis que Boris Johnson en fasse sortir son pays. Toutefois, afin que les négociations se passent bien, chacun devrait faire un effort. Malheureusement, l’Union européenne s’arc-boute sans accepter de réelles concessions. Quand on veut s’entendre, chacun doit y mettre du sien.

Pour éviter de créer un précédent, certains en Europe souhaitent que le Brexit se passe mal. Ainsi, vouloir imposer une frontière douanière entre l’Irlande du Nord et l’Angleterre, c’est aussi aberrant que si l’Allemagne exigeait des postes de douane entre l’Alsace-Lorraine et le reste de la France.

Mon deuxième exemple, que je déplore, concerne le chantage financier exercé par l’Union européenne à l’encontre de la Hongrie et de la Pologne. Les gouvernements de ces deux pays ont été élus en bonne et due forme par les Hongrois et par les Polonais. Je ne vois absolument pas de quel droit l’Union européenne cherche à s’immiscer dans leurs affaires internes en exigeant qu’ils se soumettent à un soi-disant État de droit.

La notion d’État de droit est artificielle et n’a aucune légitimité juridique (Rires ironiques sur plusieurs travées.)

M. Jean Louis Masson. … lui permettant de bafouer la volonté du peuple lorsqu’elle s’est démocratiquement exprimée lors des élections.

L’État de droit, c’est la volonté du peuple, c’est la démocratie ; ce n’est sûrement pas un prêche imposé par telle ou telle personne contre l’avis du peuple !

Enfin, l’Union européenne n’est absolument pas à la hauteur face à l’impérialisme de la Turquie. Ce pays multiplie les menaces, et même les agressions militaires, à l’encontre de ses voisins. Face à la Turquie, l’Union européenne réagit à peu près comme Daladier et Chamberlain face à Hitler en 1938.

M. Erdogan ne comprend que les rapports de force. Avec lui, c’est comme avec Hitler : il faut être très ferme. Il faut de lourdes sanctions économiques. En la matière, l’Union européenne a véritablement été en dessous de tout.

Mme le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Jean Louis Masson. Ces exemples confirment que l’Union européenne est devenue un boulet qui étouffe les États membres.

Mme le président. La parole est à Mme Colette Mélot.

Mme Colette Mélot. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’année 2020 a été éprouvante pour l’ensemble de la planète. Elle l’a été pour l’Union européenne à plusieurs niveaux et je me réjouis des nombreuses avancées actées jeudi et vendredi derniers, lors du Conseil européen.

À l’heure où l’Agence européenne du médicament doit donner son autorisation de mise sur le marché pour les vaccins contre la covid-19, je salue la conclusion de contrats d’achats anticipés par la Commission européenne, ainsi que les volontés toujours plus grandes de coordination. Il est important que les peuples européens puissent avoir accès aux vaccins en même temps et qu’ils soient bien informés.

La coordination doit s’intensifier non seulement dans le domaine des tests, mais aussi dans celui des certificats de vaccination. La santé au sein de l’Union européenne, ainsi que le partage d’expérience et d’information, doit être plus intégrée.

Je plaide pour une union de la santé dont nous devons définir ensemble les contours pour qu’elle soit efficace et parfaitement complémentaire avec les systèmes nationaux. Les conclusions du Conseil européen sur ces sujets vont dans le bon sens.

Un autre point positif de ces conclusions concerne l’accord obtenu sur l’objectif de réduction de 55 % des émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2030. C’est une étape importante vers la neutralité carbone de l’Union européenne pour 2050. Nous sommes conscients de l’effort que cela représente pour plusieurs pays membres très dépendants du charbon, raison pour laquelle un accord sur un objectif commun était si important.

En 1950, Robert Schuman nous proposait de créer la Communauté européenne du charbon et de l’acier, point de départ de la fabuleuse histoire de l’Union. Quel plus bel hommage que de faire de la sortie du charbon un nouvel objectif commun aux Européens ? C’est un beau clin d’œil de l’Histoire au nouveau chapitre que nous ouvrons.

Les États membres ont aussi décidé de renforcer les restrictions et sanctions envers la Turquie, en réponse à ses actions provocatrices. Missionner Josep Borrell pour faire un état des lieux de la relation entre la Turquie et l’Union européenne me semble être un bon début. Mais, dans ce cas de figure, je voudrais souligner que l’Europe doit être flexible et agile pour répondre efficacement et rapidement aux situations qui peuvent la déstabiliser. Nous devons protéger nos territoires, nos valeurs et nos citoyens. N’est-il pas temps de se doter d’une vision commune pour notre politique extérieure et les moyens à notre disposition ?

Enfin, il m’est impossible de ne pas évoquer la levée du veto de la Pologne et de la Hongrie à notre budget et à notre plan de relance européen. L’Union n’a pas cédé sur le respect de l’État de droit, et c’est heureux ! Les peuples européens ne nous auraient pas pardonné ce coup de canif dans nos valeurs.

J’aimerais noter que l’Union européenne a su faire preuve, encore une fois, de compromis et d’unité face à la crise. Il était également important de répondre aux appréhensions de certains États. En ce sens, la caution qu’apporte la Cour de justice et son rôle dans le mécanisme de l’État de droit sont satisfaisants. Aucun peuple ne sera laissé de côté dans la relance et dans les transitions des prochaines années : c’est bien là le principal.

L’Union européenne a maintenant besoin de regarder vers l’avenir. Une seule étape reste à franchir en cette année 2020, celle du Brexit. Tout le monde serait perdant en cas de no deal. Nous espérons toujours un accord qui respecte nos valeurs et nos intérêts. Mais ces discussions ne peuvent pas durer au-delà de 2020. L’Union européenne doit se concentrer sur son avenir et avancer.

Les conclusions du Conseil européen sont positives ; permettez-moi l’être à mon tour pour conclure.

Les Européens ont une histoire et des valeurs en partage. Ce rêve ardent dont parlait le président Valéry Giscard d’Estaing reste d’actualité. Nous devons reprendre le flambeau et perpétuer son désir d’Europe avec notre jeunesse, force immense, innovante et créative. Ce grand Européen était un défenseur du siège strasbourgeois du Parlement européen : marchons dans ses traces.

Valéry Giscard d’Estaing ne s’était pas trompé quand il nous a enseigné qu’il ne fallait pas seulement consulter les Européens, mais les associer. Je crois fortement en cette affirmation. C’est pour cela que la conférence sur l’avenir de l’Europe doit être le rendez-vous des Européens. Nos appuis sont solides, nous devons décider ensemble d’un cap.

Les dernières crises européennes nous ont montré que, parfois, nous ne regardons pas tous dans la même direction. C’est un fait ; tirons-en les enseignements nécessaires. L’Europe a toujours dansé au bord de l’abîme ; apprenons-lui à vivre plutôt qu’à survivre.

Le président Valéry Giscard d’Estaing et le chancelier Helmut Schmidt nous ont demandé de réussir à réaliser le rêve européen. Faisons de cette exigence notre avenir. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et UC.)

Mme le président. La parole est à M. Jacques Fernique.

M. Jacques Fernique. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, dans la phase actuelle si difficile, l’Union européenne tient ; elle ne déçoit pas.

Ce Conseil européen a répondu à nos attentes en parvenant à un accord sur ce paquet qui rassemble en un tout budget pluriannuel et plan de relance. On peut, à raison, juger que les montants ne sont pas à la hauteur, mais ce paquet budgétaire permettra des avancées significatives, particulièrement pour le climat et la biodiversité, auxquels il consacrera des quotités contraignantes qui pourront être des leviers forts de réorientation des politiques européennes.

Ce paquet nécessitera un emprunt qui engage – et c’est nouveau – à une solidarité durable et à la recherche de ressources propres, c’est-à-dire des impôts européens pour réduire les logiques paralysantes chroniques de l’Union.

Ce déblocage était donc essentiel. Il a certes pu réussir au prix de délais laissés aux dirigeants hongrois et polonais, jusqu’à ce que la Cour de justice ait donné son avis sur le mécanisme, mais en maintenant – et c’est l’essentiel – la possibilité de suspendre, à la majorité qualifiée, les subsides européens si leur bon usage était en danger au regard des règles de l’État de droit. Jusqu’ici, les infractions aux principes de l’État de droit relevaient de l’unanimité. Ce Conseil européen n’a donc formellement reculé ni sur la relance ni sur l’État de droit.

Ce Conseil a aussi été l’occasion de rehausser l’objectif climat de réduction des émissions de CO2 à l’horizon 2030 : c’est encore un progrès face aux inerties qui creusent les écarts entre la trajectoire visée pour atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050 et la réalité des évolutions constatées. Cinq ans après les accords de Paris, il est en effet important de se ressaisir, parce que nous n’y sommes pas !

En ce qui concerne les pays du G20, les Nations unies ont alerté la semaine dernière sur le fait que la trajectoire engagée nous mènerait vers 3,4 à 3,9 degrés supplémentaires. Ce rehaussement s’imposait donc.

Ces avancées du Conseil ne sont pas pour nous un aboutissement, la fin heureuse d’une passe délicate. Elles sont les bases de développements à venir qui n’auront rien d’évident, qui nécessiteront des efforts et des choix que nous espérons démocratiques, débattus et partagés largement au cours des délicates étapes qui sont encore devant nous.

Je voudrais dire ici les positions, les convictions majeures des écologistes européens pour ces étapes à venir.

Notre Sénat jouera son rôle lors d’une étape toute proche puisque, comme la quarantaine d’assemblées des Vingt-Sept, il pourra ratifier ou non le texte qui permettra de s’endetter pour financer le plan de relance.

On parlait du veto hongrois et polonais : il est surmonté. Reste à obtenir l’assentiment de toutes ces assemblées représentatives nationales, et parfois régionales : rien ne pourra être déboursé de la relance si elles n’y consentent pas en connaissance de cause. Les écologistes contribueront partout à faire en sorte que des majorités donnent ce feu vert.

Les écologistes pèseront également pour que les quotités contraignantes décidées – 30 % pour la lutte contre le changement climatique et, à terme, 10 % pour la reconquête de la biodiversité – se traduisent de façon efficace et efficiente en actions concrètes et en résultats mesurables. Il ne peut être question d’intentions vagues, d’affichages creux, de petits pas dont notre propre pays s’est hélas ! trop fait une spécialité. Les Nations unies le rappelaient voilà quelques jours : « Pour rester faisables et crédibles, les engagements de neutralité carbone doivent être traduits d’urgence en politiques et en actions fortes à court terme. »

Il sera donc nécessaire d’améliorer les méthodologies de mesure robustes des dépenses « climat » et « biodiversité », ce qui figure dans la feuille de route de la Commission. Il ne serait pas acceptable d’évaluer l’effort européen de la façon si peu fiable dont notre gouvernement évalue son soi-disant « budget vert ». L’enjeu est majeur : par exemple, comment une politique agricole commune, qui représente 40 % du budget européen, pourrait-elle s’exonérer de ces nouveaux impératifs « climat » et « biodiversité » ? Si des réorientations fortes des politiques européennes devaient en découler, il faudrait en trouver la volonté et le courage.

Les étapes à venir seront aussi celles de la mise en place des fameuses « ressources propres ». Si nos pays arrivent à instaurer ces nouveaux impôts européens avec des assiettes et des taux pertinents, c’est autant qu’ils n’auront pas à débourser eux-mêmes pour la relance et ce sont les politiques ordinaires de l’Union qui ne seront pas rabotées. Il s’agit de faire un peu contribuer ceux qui tirent le plus profit du marché européen. Il s’agit aussi, avec l’ajustement carbone aux frontières, d’activer des leviers pour faire changer la donne au-delà des frontières de l’Union.

Les écologistes tiennent à ce qu’on ne perde ni temps ni efficacité dans les modalités concrètes de mise en place de ce mécanisme carbone.

Mme le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Jacques Fernique. Ils tiennent aussi à ce que la future taxe sur les transactions financières ne soit pas renvoyée aux calendes grecques et amoindrie.

Nous sommes donc optimistes et résolument exigeants. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme le président. La parole est à M. André Gattolin. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. André Gattolin. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord dire que c’est un grand bonheur de pouvoir s’exprimer sur l’Europe dans cet hémicycle, à une heure qui, pour une fois, n’est pas indue, même si l’auditoire reste tristement clairsemé…

M. Gérard Longuet. C’est la qualité qui importe ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. André Gattolin. L’Union européenne est la source d’une part significative de la législation nationale que nous produisons, que nous transposons et que nous contrôlons annuellement. Mais trop souvent, dans pareil cas, quand la situation est d’importance, « nous regardons ailleurs », comme disait un ancien Président de la République.

Toutefois, ne gâchons pas notre plaisir. Et sans flagornerie aucune, c’est un bonheur de s’exprimer devant un membre du Gouvernement qui sait allier à la fois une très grande maîtrise technique de tous les dossiers européens, pourtant nombreux et très variés, avec un véritable sens politique qui lui permet d’éviter le fatal écueil du technicisme roboratif et déshumanisé qui pèse trop souvent sur ces sujets. (Exclamations amusées sur plusieurs travées.) Mais, une fois dit cela, on a déjà tout dit et presque rien…

Ce type de débat, formellement consacré au retour sur un Conseil européen qui s’est déroulé voilà déjà plusieurs jours et dont les conclusions ont été très largement divulguées par les instances européennes, et parfois même commentées dans la presse, pourtant peu soucieuse d’information européenne, n’a généralement qu’un intérêt limité.

Les orateurs qui m’ont précédé ont beaucoup parlé du Brexit, un sujet particulièrement crucial qui n’était pas à l’ordre du jour officiel de ce Conseil. Cela montre bien que les questions européennes débordent largement de la petite fenêtre « hémicyclaire » qui nous est ici accordée.

J’en profite, monsieur le secrétaire d’État, pour vous rappeler combien mes collègues et moi-même sommes viscéralement attachés à la place à accorder aux parlementaires à l’occasion des débats qui s’ouvriront prochainement sur l’avenir de l’Europe et lors de la préparation de la future présidence française du Conseil de l’Union européenne.

Je ne crois pas trahir la pensée de mes collègues en disant que nous n’avons guère été convaincus, la semaine dernière, par les réponses que nous ont apportées la secrétaire générale des affaires européennes et le secrétaire général de la présidence française du Conseil de l’Union européenne, lors de leur audition. Il faudrait être un peu plus précis…

Aussi, pour revenir au sujet qui nous réunit aujourd’hui et prendre un peu de champ, je voudrais parler de la présidence allemande qui s’achève et tenter d’en dresser un premier bilan.

Tout d’abord, fait exceptionnel, et qui a peu de chances de se reproduire dans le périmètre élargi de l’Union qui est le nôtre depuis deux décennies, c’est la première fois qu’un dirigeant européen, en l’occurrence Mme Angela Merkel, aura par deux fois assuré cette présidence tournante. Arrivée à la tête de l’Allemagne en novembre 2005, elle a déjà présidé le Conseil de l’Union européenne au premier semestre 2007. Seul Viktor Orban, s’il parvenait à se maintenir à la tête de la Hongrie jusqu’au second semestre 2024, peut espérer faire aussi bien…

Pour revenir à Mme Merkel, son exploit européen prouve à lui seul la stabilité et la centralité de l’Allemagne moderne au sein de l’Europe. Depuis la préparation de cette présidence, marquée, en mai dernier, par la proposition franco-allemande d’un plan de relance européen pour faire face aux conséquences de la crise sanitaire, jusqu’à l’adoption, la semaine passée, dudit plan de relance et du prochain cadre financier pluriannuel, en dépit des oppositions longtemps manifestées par la Hongrie et la Pologne, tout – ou presque – accrédite l’idée d’une grande présidence allemande et d’un succès personnel de la chancelière, son « ultime victoire » comme on a pu le lire dans la presse. Il ne manquerait plus qu’un accord de dernière minute concernant la sortie du Royaume-Uni pour parachever l’affaire.

Pour réussir sa présidence, l’Allemagne aura procédé à de nombreux compromis et accepté de renier de nombreux dogmes auxquels elle était pourtant très attachée : levée des restrictions sur le déficit budgétaire, niveau des aides d’État autorisées, libre champ de s’endetter laissé à l’Union européenne pour financer le Fonds de relance et accord sur la mutualisation de cette dette nouvelle.

Pays morcelé et économiquement dévasté au sortir de la Seconde Guerre mondiale, l’Allemagne fédérale – puis l’Allemagne réunifiée – a, plus qu’aucun autre État membre, fait sienne et intériorisé la double promesse fondatrice de la construction européenne de bâtir un espace de paix et de prospérité partagée.

Sa puissance commerciale et monétaire, ainsi que sa rigueur budgétaire, portée au rang de credo inamovible, sont à la base de sa prospérité et de son insolent succès économique.

Son souhait d’entretenir des relations pacifiées et non conflictuelles avec tous ses voisins, en particulier depuis la chute du Mur et l’adhésion de tous ces pays – à l’exception de la Suisse – à l’Union européenne fait que, depuis quinze ans, l’Allemagne vit en entente et en pleine harmonie avec l’ensemble des pays et des nations qui la jouxtent, pour la première fois depuis des siècles.

Mais cette harmonie semble avoir un prix. Et si le cadre financier pluriannuel et le plan de relance européen ont bel et bien été adoptés à l’unanimité, le mécanisme d’État de droit supposé accompagner ce dernier semble avoir été assorti de conditions de mise en œuvre qui le rendent peu opératoire, au moins jusqu’en 2023.

Il en va de même des fameuses sanctions ciblées, que M. le secrétaire d’État a évoquées, en cas de violations graves en matière de droits humains. Tous ces dispositifs inapplicables ne sont qu’un tigre de papier.

Aux États-Unis, 250 personnes ont été inscrites sur la liste Magnitski, 70 au Canada et 25 au Royaume-Uni, qui vient à peine d’adopter sa loi.

Mme le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. André Gattolin. J’espère que l’Europe ne se ridiculisera pas en ne portant aucun nom sur cette liste. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP. MM. Jean-Claude Requier et Jean-François Husson applaudissent également.)

Mme le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Jean-François Husson applaudit également.)

Mme Véronique Guillotin. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, tandis que la question du Brexit a encore besoin de quelques jours pour trouver une issue, l’Union européenne a enfin dénoué l’épisode du veto opposé par deux de ses membres au mécanisme de conditionnalité du versement des fonds européens. On peut naturellement se réjouir de cette avancée.

Le compromis trouvé avec la Pologne et la Hongrie va en effet permettre la mise en œuvre des moyens budgétaires dont les États membres ont rapidement besoin pour faire face à la crise.

Le Conseil européen a rappelé, dans ses conclusions, son attachement à l’État de droit. C’est important, car le respect des valeurs démocratiques est au cœur de la construction européenne.

Certes, on voit bien que nos amis polonais et hongrois ont obtenu un frein à travers des clarifications juridiques et procédurales, mais la « déclaration interprétative » ne remettait pas en cause le mécanisme « État de droit ». L’équilibre peut nous satisfaire ; il contente, en tout cas, nos deux partenaires de l’Est.

J’ajouterai, au-delà des questions juridiques qui ont conduit au déblocage de la situation, que Varsovie et Budapest ont sans doute réalisé ce qui aurait pu leur échapper : près de 4 % de leur produit intérieur brut, c’est-à-dire leur part au sein de l’instrument de relance.

À cet égard, monsieur le secrétaire d’État, je salue votre posture, qui a consisté à évoquer la possibilité d’un plan de relance à vingt-cinq, ce qui a sans doute contribué à mettre la pression.

Toutefois, il reste encore une étape : la décision relative aux ressources propres doit se concrétiser, comme l’a rappelé le Conseil. La Commission européenne doit très rapidement être en mesure de lever de l’argent sur les marchés financiers. Il y a urgence.

Nous le mesurons chaque jour sur nos territoires, la crise sanitaire s’éternise et les difficultés économiques s’accumulent pour les secteurs très impactés par le confinement, en particulier l’hôtellerie et la restauration.

En ce qui concerne la crise sanitaire, la situation épidémiologique est encore préoccupante en Europe. Au bout du compte, on peut observer que les stratégies de lutte contre le virus sont complexes. Pas un État membre n’a trouvé la solution idéale : hier, on applaudissait l’Allemagne pour sa politique de lutte contre la covid ; aujourd’hui, elle se retrouve dans une situation dégradée. Inversement, la France faisait figure de mauvaise élève avant l’été pour devenir, depuis quelques jours, un meilleur exemple.

Dans ces conditions, la politique de vaccination apparaît comme le principal espoir du retour à une vie normale. Aussi peut-on féliciter la Commission européenne d’avoir procédé à la conclusion de contrats d’achats anticipés de doses vaccinales.

Tous les regards sont actuellement tournés vers l’Agence européenne du médicament. Il semblerait que certains États membres fassent pression pour accélérer la validation des vaccins. Pouvez-vous nous dire où nous en sommes, monsieur le secrétaire d’État ?

Par ailleurs, le Conseil européen a rappelé dans ses conclusions l’idée d’une approche coordonnée en matière de certificats de vaccination. Les États membres lèveront sans doute leurs restrictions progressivement, avec parfois une condition de vaccination pour l’accès à leur territoire.

À ce moment-là, il faudra veiller à ce que les déplacements transfrontaliers puissent se faire de façon fluide et équitable. J’espère en tout cas que l’on évitera les situations de blocage comme celles qu’ont pu vivre les travailleurs transfrontaliers lors des premiers confinements.

Toujours sur le volet sanitaire, les dirigeants européens ont également souligné la nécessité de faire avancer les propositions concernant l’Europe de la santé.

Pour le moment, si le temps est à l’urgence, la crise sanitaire a révélé notre forte dépendance en matériels et produits médicaux. Je l’ai souligné la semaine dernière lors de l’examen de la proposition de loi portant création d’un pôle public du médicament, la France dépend à 80 % ou 85 % de principes actifs pour les médicaments qui sont produits en Asie.

C’est un problème réel, qui concerne tous les pays européens. Une vraie stratégie est à mettre en place pour créer une souveraineté européenne dans le domaine de la production de médicaments.

Enfin, mes chers collègues, j’aborderai en conclusion l’autre grand volet du dernier Conseil européen, à savoir la validation de l’objectif d’une réduction de 55 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030. C’est une décision forte à la veille de l’anniversaire des accords de Paris adoptés il y a cinq ans. Elle envoie un signal aux États-Unis et à la Chine, deux pays qui doivent aussi renforcer leurs ambitions.

Le RDSE partage naturellement cet objectif, pourvu que les choix faits pour l’écologie soient acceptables pour nos concitoyens, pour reprendre les termes employés hier par le Président de la République devant les membres de la Convention citoyenne pour le climat.

Il nous faut en effet trouver le juste équilibre entre la nécessité d’accélérer la transition écologique de notre système de production et celle d’éclaircir rapidement l’horizon économique de l’Union européenne, ce à quoi tentera de répondre le très attendu instrument de relance européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – MM. Claude Kern et Jean-François Husson applaudissent également.)

Mme le président. La parole est à M. Pierre Laurent.

M. Pierre Laurent. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, après une nouvelle réunion marathon, le Conseil européen s’est une nouvelle fois terminé par des « ouf » de soulagement poussés par les chefs d’État. En réalité, les Conseils européens ne font plus rêver personne. L’Union européenne vit dans la crise permanente. Après chaque réunion au sommet, on se dit que les problèmes ne sont pas derrière nous, mais devant nous. C’est encore le cas cette fois-ci.

Sur le climat, l’accord s’est finalement fait sur le rehaussement de l’objectif de réduction des émissions nettes de gaz à effet de serre, fixé à 55 % par rapport au niveau de 1990. C’est un progrès tardif qui ne nous met toujours pas dans les clous de l’accord de Paris. Surtout, où sont la programmation et les moyens de la transition annoncée ?

Vous dites que 30 % des 1 800 milliards du CFP, le cadre financier pluriannuel, et du plan de relance sont fléchés vers la lutte contre le changement climatique. Toutefois, outre que cela reste très insuffisant à l’échelle de toute l’Union, comment y croire quand toutes les tentatives que nous faisons ici pour conditionner clairement les aides du plan de relance sont systématiquement écartées par votre gouvernement, quand la Convention citoyenne pour le climat voit ses ambitions retoquées en matière de fret ferroviaire ou de rénovation de l’habitat, quand, à Bruxelles, au même moment, dans la plus grande opacité, est négocié le projet Hercule visant au démantèlement d’EDF, autrement dit d’un outil industriel et de service public essentiel si nous voulons organiser la planification énergétique de la transition écologique ?

Nous continuons de tout livrer au marché, en renonçant à tout pilotage public cohérent et à tout esprit de service public. Pouvons-nous croire un seul instant, monsieur le secrétaire d’État, que la loi du marché rendue toute puissante sera le garant de l’ambition d’une transition écologique, alors que c’est le marché et sa loi court-termiste du profit qui nous ont conduits au bord du précipice climatique ?

L’accord a également concerné le CFP et le plan de relance. Les vetos polonais et hongrois ont été levés, au terme d’un arrangement sur le respect de l’État de droit on ne peut plus confus. La « déclaration explicative » annexée à l’accord fait déjà l’objet d’interprétations contradictoires des gouvernements concernés. Il s’agit donc de nouveau d’une usine à gaz visant à sauver la face de tout le monde, mais n’ayant absolument rien réglé sur le fond.

Quelle honte d’entendre les gouvernements polonais et hongrois se réjouir que ni l’interdiction de l’avortement, ni les lois discriminatoires antimigrants, ni les lois anti-médias ne seront concernées ! À quoi servira réellement le règlement adopté, monsieur le secrétaire d’État ?

Sur la politique vaccinale anti-covid, beaucoup de questions demeurent également en suspens. C’est vrai, face à la pandémie, l’Union s’est pour une fois mieux coordonnée. Nous avons financé la recherche et sécurisé l’achat de vaccins, en produisant exceptionnellement ces vaccins dans un temps record en Europe même. Mais qui finançons-nous ? De grandes firmes américaines auxquelles s’allient en ordre dispersé et en vassaux des groupes européens, dont le Français Sanofi.

La question de la reconstruction de notre souveraineté sanitaire en matière de recherche et de production pharmaceutiques reste donc entière pour l’avenir. La pandémie appelle sur ce sujet un changement stratégique et une reprise en main publique. Notre proposition de loi visant à la création d’un pôle public du médicament, rejetée ici même la semaine dernière, est toujours sur la table, car la sécurité sanitaire nous appellera à y revenir au plus vite, si nous voulons sortir de la dépendance actuelle.

Enfin, monsieur le secrétaire d’État, le Brexit, dont on a déjà beaucoup parlé, risque malheureusement de signer dans quelques jours un échec retentissant pour l’Europe. Le no deal s’approche – nous espérons bien sûr qu’il sera, in fine, évité – et plonge la pêche française dans l’inconnu pour l’année qui s’annonce. Vous le savez, ce sujet est largement devant nous.

En vérité, monsieur le secrétaire d’État, l’Union européenne ne construit aucune solidarité durable et tout reste à refonder. C’est non pas d’une conférence sur l’avenir de l’Europe, élaborée une fois encore en comité restreint, que nous aurons besoin l’année prochaine, mais d’une refondation au grand jour, au terme d’un grand débat citoyen dans toute l’Union, dans le cadre duquel les traités ne seraient plus tabous. En effet, il devient de plus en plus évident que ces derniers devront être modifiés en profondeur. Les Français doivent être saisis de tous les enjeux, à commencer par le rôle de la Banque centrale européenne, laquelle vient d’annoncer qu’elle prolongeait sa politique de rachats d’actifs jusqu’en mars 2022, en la rehaussant à 1 850 milliards d’euros, ainsi que son mécanisme de soutien au crédit bancaire via une grille de taux négatifs jusqu’en juin 2022.

À quoi servira tout cet argent ? Voilà l’une des questions dont il nous faut débattre au plus vite. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)

Mme le président. La parole est à M. Claude Kern. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Claude Kern. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Conseil européen des 10 et 11 décembre dernier avait de nombreux points à l’ordre du jour. Mais je souhaite, dans un premier temps, revenir sur un sujet qui n’était pas à l’ordre du jour de ce Conseil, mais est pour le moins essentiel pour notre pays, à savoir le Brexit.

Dans un peu plus de quinze jours, le Royaume-Uni sortira de l’Union européenne. Jusqu’à ce jour, la perspective d’un no deal semble être la seule issue aux négociations en cours.

Même si ces dernières vont se poursuivre encore quelques jours, on ne peut ignorer que la tension monte pour ce qui concerne de nombreux secteurs. La présidente Ursula von der Leyen a elle-même estimé que la probabilité d’une absence d’accord entre l’Union européenne et le gouvernement britannique était plus élevée que celle d’un accord.

Trois principaux obstacles demeurent : la question de la pêche, celle de la concurrence équitable et celle de la gouvernance, sans parler des autres défis d’envergure. Nous ne pouvons pas mettre en danger l’intégrité du marché unique, nous devons préserver un accord ne dépossédant pas nos pêcheurs. L’Union européenne ne peut pas non plus céder sur la question des mécanismes de gouvernance en cas de litiges.

Monsieur le secrétaire d’État, la poursuite des négociations n’apaise pas les inquiétudes des populations frontalières. Elle plonge même Britanniques et Européens dans l’inconnu. Le déploiement de quatre navires de 80 mètres de long se tenant prêts à empêcher des chalutiers de l’Union européenne, dont les chalutiers français, de pénétrer dans les eaux britanniques, s’il n’y a pas de nouvel accord sur les droits de pêche, n’est pas rassurant.

Comment les secteurs du transport et de la pêche peuvent-ils anticiper les conséquences de ces négociations ? Je parle ici d’un point de vue pratique : des délais d’anticipation sont nécessaires. Vous l’avez dit vous-même, monsieur le secrétaire d’État, lors de votre venue au Sénat la semaine dernière.

Pouvez-vous nous en dire plus sur les avancées des négociations, plus précisément pour ce qui concerne le secteur de la pêche ? Pouvez-vous nous dire si la bande des 6 à 12 miles sera préservée ?

Je reviens maintenant à un sujet phare de ce Conseil européen, à savoir l’accord obtenu en matière de réduction de gaz à effet de serre.

L’Union européenne joue un rôle de premier plan dans l’action internationale menée pour lutter contre le changement climatique. Elle a contribué de façon décisive à la négociation de l’accord de Paris et elle continue à montrer la voie au niveau mondial.

Les États membres ont finalement décidé à l’unanimité de rehausser leur objectif de réduction de gaz à effet de serre, fixé à 55 % par rapport au niveau de 1990. Nous nous félicitons de cet accord, qui nous met sur la voie de la neutralité carbone, d’autant que cet accord est pris à une date symbolique, cinq ans après les accords de Paris.

Toutefois, voter des accords est une chose ; c’en est une autre de mettre en place des politiques nationales nous permettant d’atteindre nos objectifs.

Pouvez-vous nous donner quelques pistes sur les moyens que la France se donnera pour atteindre les objectifs adoptés la semaine dernière ? La future loi climat sera-t-elle à la hauteur ?

Monsieur le secrétaire d’État, vous l’avez noté, je n’ai pas parlé de Strasbourg, pour ne pas être chauvin. Mais j’aurai très certainement l’occasion d’évoquer prochainement ce sujet avec vous. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme le président. La parole est à Mme Marta de Cidrac. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Marta de Cidrac. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le dernier Conseil européen a accouché d’une série d’accords importants entre les Vingt-Sept sur plusieurs sujets pourtant particulièrement épineux. J’entamerai toutefois mon propos en évoquant une négociation où, précisément, un accord se fait attendre depuis de longs mois. Il s’agit bien sûr du Brexit, évoqué par de nombreux collègues.

La dernière date butoir, pourtant présentée comme impérative par Ursula von der Leyen et Boris Johnson, a été une nouvelle fois ignorée et, dimanche, les négociateurs ont finalement décidé de ne rien décider. Avec cette énième prolongation se poursuit également l’incertitude dans laquelle sont plongés les acteurs économiques de notre pays, et notamment nos pêcheurs.

Monsieur le secrétaire d’État, vous nous avez donné votre sentiment sur la situation. Ce nouveau délai correspond-il réellement à une volonté des deux parties de parvenir à un accord qui serait à portée de main ou bien est-il plutôt le reflet de leur refus d’endosser la responsabilité de mettre un terme aux négociations ?

Lors du dernier débat préalable au Conseil européen, vous aviez déclaré, d’ailleurs avec raison, que l’on ne pouvait attendre le 31 décembre pour prendre une décision. Pensez-vous désormais que nous devions nous résigner à attendre cette date pour obtenir un tant soit peu de clarté sur la suite des événements ?

Surtout, si l’issue devait être un no deal, je m’interroge sur la capacité des Européens et des Britanniques à retisser rapidement les fils d’une relation solide et de long terme, qui sera pourtant essentielle aux uns comme aux autres. Dans un tel cas de figure, une reprise ultérieure des discussions, éventuellement sous un autre format ou avec d’autres objectifs, est-elle envisagée ?

Sur une note plus positive, je souhaiterais saluer le compromis intelligent trouvé par les chefs d’État et de gouvernement sur l’ensemble du paquet lié au cadre financier pluriannuel. En surmontant les blocages liés à la conditionnalité « État de droit », l’Europe a évité l’écueil familier de la paralysie, qu’aurait tristement souligné une action budgétaire réduite à des douzièmes provisoires.

La voie est donc ouverte à l’adoption du paquet par le Conseil et le Parlement européens. Dans ces conditions, pouvez-vous, monsieur le secrétaire d’État, nous indiquer le calendrier envisagé par le Gouvernement pour soumettre au Parlement français la décision sur les ressources propres, qui sera l’occasion d’un débat approfondi sur les implications, tant financières que politiques, des modalités du plan de relance européen ?

Autre accord d’envergure intervenu la semaine dernière, celui qui concerne le rehaussement de nos objectifs climatiques pour 2030. Sans préjuger bien sûr de l’issue de la procédure législative toujours en cours, tout porte à croire que la bataille des chiffres est désormais terminée et que l’Europe devrait bien, in fine, s’engager sur une réduction d’au moins 55 % de ses émissions d’ici à dix ans.

Après avoir répondu à la question du « combien », il faut désormais répondre à celle du « comment ». S’ouvre donc désormais une autre bataille, celle de la mise en œuvre. Le défi à relever est, ne le cachons pas, immense en termes non seulement économiques, sociaux, technologiques et industriels, mais aussi d’aménagement du territoire dans chacun des États membres.

Dans ses conclusions, le Conseil tient un langage particulièrement volontariste en matière de préservation de la compétitivité, de création d’emplois et de croissance, d’innovation et de neutralité technologiques, de finance verte et de solidarité, ce dont je me félicite.

Toutefois, le texte reste relativement avare de précisions quant au contenu du cadre facilitateur, c’est-à-dire de l’ensemble des mesures prévues pour aider les États membres, et en premier lieu les moins riches et les plus dépendants des énergies fossiles, à effectuer leur transition énergétique et à prendre leur part pour l’atteinte de ce nouvel objectif commun.

Quelques pistes ont bien été succinctement évoquées. Je salue en particulier le fait qu’ait été rappelée la nécessité d’établir un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières. J’ajoute par ailleurs que la mise en œuvre de cet instrument devrait être la plus rapide et la plus ambitieuse possible, pour assurer tant l’équité économique que l’efficacité écologique des efforts considérables que nous nous apprêtons à fournir.

Néanmoins, il est encore difficile d’appréhender clairement ce cadre facilitateur. Bien qu’il appartienne à la Commission de faire des propositions détaillées et aux colégislateurs d’en débattre, pouvez-vous, monsieur le secrétaire d’État, nous apporter quelques précisions en la matière ?

Enfin, le dernier accord acté lors du Conseil européen concerne la Turquie. Il est en demi-teinte. Certes, les chefs d’État et de gouvernement ont clairement durci le ton face à la politique néo-ottomane de M. Erdogan, mais ils n’ont toutefois pas changé radicalement d’approche, privilégiant une politique des « petits pas », comme en témoigne le fait que les mesures annoncées se limitent à l’allongement d’une liste de personnes sanctionnées en raison de leur lien avec les activités de forage illégales turques dans les eaux chypriotes.

Monsieur le secrétaire d’État, le Conseil de mars reviendra encore une fois sur la question et examinera les propositions du Haut Représentant. Nous espérons que ce sera l’occasion pour les Européens de prendre enfin leurs responsabilités face à l’expansionnisme décomplexé d’Ankara et de lui adresser un message fort. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme le président. La parole est à M. Pierre Louault. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Pierre Louault. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le Conseil européen des 10 et 11 décembre dernier avait un certain nombre de points à son ordre du jour. Nous devons le reconnaître, ce Conseil, qui a introduit des avancées dans la solidarité européenne, a été fructueux.

L’accord sur le budget permet de lever toutes les inquiétudes, qui étaient nombreuses, concernant, notamment, la politique agricole commune. Il témoigne d’une véritable solidarité financière, au travers du plan de relance, et d’une avancée de l’Europe en termes de solidarité économique et financière.

Pour ce qui concerne la crise sanitaire, l’achat de vaccins par l’Europe constitue également une avancée, certes tardive, mais réelle. Elle permettra sans doute de prendre conscience que l’Europe doit œuvrer dans ce domaine.

S’agissant du plan Climat, les objectifs retenus constituent aussi une avancée forte. Ils ont en effet été revus à la hausse. Ainsi 30 % du budget sera-t-il consacré à ce sujet.

Mon propos se concentrera plus particulièrement sur les accords entre les Vingt-Sept s’agissant des incidents concernant la Turquie.

Depuis l’été dernier, les incidents entre la Turquie, la France et, plus largement, les pays de l’Union européenne se sont multipliés. Je rappelle pour mémoire l’épisode de la frégate Courbet en juin dernier, les explorations turques dans la partie orientale de la Méditerranée, le soutien des autorités turques au gouvernement d’Union nationale de Fayez el-Sarraj en Libye, dernièrement, l’envoi de supplétifs syriens en appui des forces azéries dans le conflit du Haut-Karabagh et, point d’orgue à la fin du mois d’octobre, les insultes envers le Président de la République française et une incitation au boycott des produits français. Nous pouvons également citer les actions illégales contre la Grèce et Chypre.

L’époque est loin où l’Europe était prête à laisser entrer la Turquie dans la communauté européenne. Un peu plus de vingt ans après, plus personne n’est dupe. La France a plaidé en faveur de sanctions envers la Turquie et, après de longues discussions, les vingt-sept membres se sont mis d’accord pour imposer les premières sanctions ciblées à l’encontre des personnes et des entités responsables de forages illégaux en Méditerranée. Nous saluons cet accord rendu nécessaire. Nous pensons qu’il s’agit d’un premier pas vers l’unité des États pour se faire respecter face aux objectifs conquérants de plus en plus marqués d’Ankara.

Tous ces événements nous feraient presque oublier que la Turquie est un pays allié au sein de l’OTAN, à laquelle elle adhère depuis 1952. Comment concilier sanctions européennes et notre position d’allié, alors que la Turquie s’apprête à se fournir en armements auprès de la Russie ?

Grâce à l’accord sur le paquet financier, l’Europe pourra emprunter solidairement pour relancer son économie, sans passer outre le nouveau mécanisme conditionnant l’octroi de ses fonds au respect de l’État de droit. C’est un signal fort que nous saluons. Même si certains ont du mal à comprendre que l’État de droit est un constituant incontournable de l’Europe, chaque pays doit réaliser que son entrée dans l’Union l’oblige à respecter les règles de droit.

Nous nous réjouissons que le mécanisme de l’État de droit n’ait pas été sacrifié, préservant ainsi les valeurs communes sur lesquelles s’est construite l’Union européenne. C’est là une avancée forte. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme le président. La parole est à M. Gérard Longuet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Gérard Longuet. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je suis de conviction européenne et, en tant que libéral, je crois à l’économie de marché. Il y a cependant un secteur de l’économie qui m’intrigue et me déconcerte : c’est le marché unique de l’électricité dans l’Union européenne.

Soyons clairs, il est absurde de prétendre imposer un marché unique de l’électricité, alors que l’électricité est un bien singulier, qui possède au moins deux ou trois caractéristiques peu communes : il ne se stocke pas, ce qui ne permet pas de lisser les pointes ; il se transporte mal, ce qui ne permet pas de lisser les déséquilibres géographiques à l’intérieur du marché européen ; et, surtout, son offre est entièrement contrôlée par la volonté politique. On appelle cela pudiquement, en France, le mix énergétique.

Certains pays d’Europe – l’Allemagne et, accessoirement, la Belgique – ont fait le choix – après tout, pourquoi pas ? – d’abandonner le nucléaire. Mais ils n’acceptent pas les conséquences de ce déséquilibre artificiel provoqué par leur volonté politique et veulent priver les consommateurs français, qu’ils soient des particuliers ou des entreprises, de l’immense avantage pour notre pays d’avoir capitalisé 56 réacteurs nucléaires et d’être en avance dans ce domaine.

Pendant longtemps, le nucléaire français a été plus cher que l’économie fossile, et de nombreux détracteurs étrangers se gaussaient de la solution française, qui avait le mérite de l’indépendance, mais était coûteuse. Aujourd’hui, c’est exactement le contraire. Après que les générations antérieures ont payé, par leurs factures, cet investissement considérable, la Commission européenne veut absolument que le prix de l’électricité en France s’aligne sur la centrale thermique la plus médiocre d’Allemagne, au nom du principe du prix à l’équilibre, soit le coût marginal du plus mauvais acteur. Cette situation est inacceptable.

Au moment où la France et l’Allemagne se tournent vers l’hydrogène, qui n’est jamais qu’un vecteur d’énergie et non pas une source d’énergie, nous voyons se profiler sournoisement un message insidieux consistant à valoriser l’hydrogène vert, l’hydrogène renouvelable, et non pas l’hydrogène nucléaire, que la France peut produire par électrolyse. Ce dernier n’aurait pas droit de cité et serait nécessairement taxé.

Monsieur le secrétaire d’État, je souhaite connaître la position de la France. Comment conserver cet avantage pour les revenus des ménages et pour nos entreprises en termes de compétitivité ? Il nous permet d’avoir une électricité abondante, fiable et à un prix raisonnable, au moment où nous devons dégager des marges pour renouveler cet outil de production.

Tel est l’enjeu. Ce n’est pas une affaire facile, mais je suis absolument persuadé que vous nous proposerez des solutions qui ramèneront la Commission européenne à la raison.

La concurrence est faite pour sélectionner le meilleur outil de production, c’est-à-dire celui qui apporte la qualité au prix le plus compétitif. Manifestement, telle n’est pas la préoccupation de la Commission européenne, qui met l’électricité à la lignite au même prix que notre électricité décarbonée. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)

Mme le président. La parole est à M. Laurent Duplomb.

M. Laurent Duplomb. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le Conseil européen des 10 et 11 décembre dernier a permis la signature d’un accord fixant, pour 2030, un objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 55 % par rapport à 1990.

Je ne me prononcerai pas sur cet objectif. Je souhaite simplement alerter sur la nécessité d’un partage collectif de l’effort à fournir, aux niveaux européen et, surtout, mondial.

D’après les conclusions du Conseil, cette ambition écologique « stimulera une croissance économique durable, créera des emplois, sera bénéfique aux citoyens de l’Union européenne sur le plan de la santé et de l’environnement et contribuera à la compétitivité mondiale à long terme de l’Union européenne ».

Vous le savez, monsieur le secrétaire d’État, le diable se cache souvent dans les détails. Je me suis donc demandé comment mettre en musique ces objectifs. J’ai pensé que le plus simple serait de prendre l’exemple de la prochaine politique agricole commune. Rien de tel pour vérifier que les propos sont en adéquation avec les actes !

La feuille de route du Green Deal de la Commission européenne a été publiée voilà quelques mois. Permettez-moi de vous la résumer en quelques chiffres : réduction des engrais de 20 % et des antibiotiques vétérinaires et des pesticides de 50 %. Les objectifs sont louables, chacun peut y être favorable, le citoyen comme l’agriculteur, dans la mesure où cela représentera moins de charges et moins de risques pour ce dernier.

Mais ces chiffres sont-ils réalistes sans réduction massive de la production agricole ? Aucun producteur n’utilise ces produits de gaieté de cœur. S’ils le font, c’est qu’ils n’ont pas toujours le choix. Les réduire dans une telle proportion, sans rien prévoir pour trouver rapidement des alternatives crédibles, notamment en matière de biocontrôle, est une condamnation à mort.

Condamnation à mort que l’on retrouve finalement dans d’autres chiffres de ce même Green Deal, qui prévoit une réduction de 10 % de la surface productive pour la remettre en biodiversité. L’augmentation de la surface agricole en production bio, qui devrait passer de 7 % à 25 % en si peu de temps, se traduira également, on le sait, par une réduction de la production européenne.

On nous propose finalement une décroissance totale, que la Commission européenne n’assume pas, en évitant de fournir une étude d’impact de cette stratégie. Mais, si la Commission rechigne à publier les études d’impact correspondantes, les Américains, eux, le font. Leurs estimations tablent sur une réduction de 12 % de la production agricole de l’Union à l’horizon 2030.

Nous sommes loin de la création d’emploi et de la croissance économique durable. Nous sommes loin également de la santé et de l’environnement, car, en réduisant notre production, nous serons condamnés à importer davantage de biens alimentaires, qui seront produits sans respect des normes que nous fixons à nos agriculteurs et que nous ne pourrons pas contrôler.

Par ailleurs, la Commission accélère la signature de traités de libre-échange, aux termes desquels les agriculteurs européens sont toujours les grands perdants.

Notre souveraineté alimentaire est clairement en danger face à des concurrences déloyales extracommunautaires. Mais notre souveraineté alimentaire française est plus globalement en danger face aux concurrences intraeuropéennes.

C’est tout le problème dans ces objectifs européens : il y aura, comme toujours, de bons élèves et de mauvais élèves. La France se veut à la pointe de ce combat. Mais, en l’état, le dispositif retenu aboutira à ce que notre pays perde ses parts de marché au profit de nos concurrents polonais, allemands ou néerlandais. Rien n’empêchera ce mécanisme !

La nouvelle politique agricole commune prévoit, par exemple, d’augmenter considérablement les obligations environnementales par les « eco-schemes » et un deuxième pilier dédié aux mesures environnementales renforcé. Mais elle prévoit aussi une subsidiarité jamais égalée et permet à chaque pays de ne pas respecter ses obligations environnementales, tout en accordant davantage d’aides au revenu à leurs agriculteurs.

On le voit, derrière les grands objectifs et les grands discours, le diable se cache dans le détail. Nous devons fixer un cap clair – le Conseil vient de le faire –, mais aussi veiller à ce que ce cadre ne se transforme pas, en pratique, en un monstre décroissant qui saperait les fondements de l’Europe !

Mme le président. Il faut conclure !

M. Laurent Duplomb. La politique agricole commune en est la meilleure illustration : alors qu’elle est la plus vieille politique intégrée de l’Union européenne, la Commission a, je le crains, décidé sa désintégration.

Mme le président. Vous avez épuisé votre temps de parole, merci de conclure !

M. Laurent Duplomb. Comme le disait François de Sales en 1604 : « L’enfer est plein de bonnes volontés ou désirs. » Et encore, monsieur le secrétaire d’État : « C’est au nom du bien que les hommes se font beaucoup de mal. » (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme le président. Mon cher collègue, si chacun dépasse ainsi son temps de parole, il deviendra impossible de tenir la séance.

M. Gérard Longuet. Mais il a conclu son propos par une citation de François de Sales !

Mme le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Clément Beaune, secrétaire dÉtat. Madame la présidente, monsieur le président Rapin, mesdames, messieurs les sénateurs, j’essayerai de donner le maximum de réponses aux différentes questions et remarques qui ont été formulées sur des points importants, en lien direct ou indirect avec le Conseil européen de la semaine dernière.

Monsieur Allizard, les préparatifs français par rapport au Brexit sont très avancés. Il nous sera possible de les affiner jusqu’au dernier jour, jusqu’à la dernière heure. Je le dis sous le contrôle de Jean-François Rapin, j’ai accompagné récemment le Premier ministre et plusieurs membres du Gouvernement dans les Hauts-de-France. Nous avons vérifié, notamment à Boulogne, à Calais, mais je l’avais fait aussi ailleurs précédemment, dans nos gares, dans nos aéroports et dans nos ports, l’état d’avancement des préparatifs.

Je rappellerai quelques éléments, qui témoignent de l’ampleur de l’effort qui doit maintenant être traduit opérationnellement. Nous avons recruté plus de 700 douaniers et plus de 300 vétérinaires supplémentaires. C’est un point important, car nous devrons, quoi qu’il arrive, procéder aux contrôles sanitaires et phytosanitaires des productions britanniques qui entreront sur le territoire français et de l’Union européenne.

Nous avons recruté également près de 300 policiers aux frontières supplémentaires. Comme vous le savez, sur ce plan aussi, les choses changeront le 1er janvier puisqu’il faudra désormais vérifier la durée de séjour des ressortissants britanniques qui entreront dans l’espace Schengen par la France ou par les autres pays de l’Union.

C’est un dispositif très lourd en termes de préparation que nous avons engagé avec les collectivités locales et les autorités portuaires ces derniers mois. Je crois pouvoir dire aujourd’hui que nous sommes prêts. Mais, bien sûr, nous le vérifierons ensemble jusqu’à la dernière seconde, avant que nous ne passions à la nouvelle année.

Je tiens à insister devant votre assemblée sur un point : deal ou no deal, accord ou non-accord, des changements interviendront le 1er janvier, notamment en ce qui concerne les contrôles douaniers, les contrôles de passagers ou les contrôles sanitaires et phytosanitaires, lesquels seront effectués même en cas d’accord avec le Royaume-Uni.

Vous avez soulevé plusieurs questions sur l’avenir de la relation franco-britannique ou euro-britannique. C’est un sujet très important. Il est bien évident que dans les prochaines semaines et les prochains mois se poursuivra, dans un cadre que nous devrons adapter, ajuster et sans doute approfondir, une coopération en matière de sécurité militaire bilatérale et européenne avec le Royaume-Uni.

Un sommet bilatéral franco-britannique se tiendra sans doute au début de l’année 2021, en fonction des circonstances et du calendrier du Brexit. Il sera l’occasion de remettre sur les rails cette coopération absolument indispensable que, quoi qu’il arrive, le Brexit ne saurait remettre en cause.

Vous avez souligné, monsieur Allizard, comme plusieurs de vos collègues, que l’accord européen, dans sa partie concernant, la Turquie était parvenue à une forme d’équilibre. Vous avez relevé qu’il marquait des avancées, mais également qu’il comportait un certain nombre de faiblesses ou d’insuffisances. Je suis prêt à partager certaines de vos réserves : nous devrions, sans doute dans les prochaines semaines ou dans les prochains mois, aller plus loin.

Désormais, la posture et l’action européenne ont changé à l’égard de la Turquie. Au-delà du Président de la République et du Gouvernement, l’action de la France, celle que traduit notre mobilisation collective, a changé. Notre regard sur la Turquie a changé, notre comportement à l’égard de la Turquie a changé. Les sanctions individuelles dans le cadre du régime existant lié à la Méditerranée orientale sont une étape importante. Un point de rendez-vous supplémentaire au mois de mars prochain nous permettra éventuellement, sur la base d’un rapport du haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Josep Borrell et en fonction du comportement de la Turquie, d’adopter d’autres mesures, au-delà même du régime de sanctions contre les activités de forage en Méditerranée orientale.

Vous nous avez aussi alertés sur la nécessité de ne pas « copier-coller » le concept stratégique de l’OTAN, qui sera discuté dans les prochains mois. Telle n’est bien sûr pas notre intention. L’Union européenne, en parallèle et de manière autonome, discute d’un concept ou d’une orientation stratégique que l’on appelle, dans le jargon européen, la « boussole stratégique ». Ce projet aboutira, nous y travaillons, au moment de la présidence française de l’Union européenne en 2022. Nous aurons des liens avec l’OTAN, mais nous conduirons nos propres travaux et nous mènerons nos propres discussions.

Jean-François Longeot m’a questionné sur l’engagement climatique. Il a souligné que l’Europe était au rendez-vous, que le relèvement de nos ambitions à l’horizon de 2030 était un signal fort et qu’il était important que nos engagements ne soient pas remis en cause par la crise sanitaire. Je ne peux que partager cette reconnaissance de l’effort non seulement français, mais aussi européen.

Cette exemplarité européenne n’est pas une forme de naïveté ou d’isolement puisque nous entraînons, grâce à notre diplomatie climatique commune, un certain nombre d’autres grandes puissances, y compris la Chine, à engager ou à accélérer leur transition écologique.

La Chine, vous l’avez rappelé, a pris un engagement de neutralité carbone pour 2060. Peut-être pourrons-nous aller plus loin dans les prochains mois ? Quoi qu’il en soit, cette avancée est largement liée à l’effort européen que nous avons tenu, malgré les réticences ou les reculs américains des dernières années, dans les négociations climatiques internationales. Le fait que les Américains reviennent dans l’accord de Paris est une bonne nouvelle pour renforcer ce travail commun.

Je ferai, en réponse à Jean-François Husson, un certain nombre de rappels sur le plan de relance. Nous n’avons pas perdu six mois dans l’adoption finale de ce plan, depuis le Conseil de juillet : c’est la vie démocratique européenne et nationale normale !

Il y a eu certes des discussions entre les institutions européennes : ce n’est pas un scoop, car il est évident que la négociation d’un plan de relance n’est pas une mince affaire !

Ces discussions ont abouti à un accord des vingt-sept chefs d’État et de gouvernement le 21 juillet dernier. Malgré l’importance d’un Conseil européen, des mesures d’une telle ampleur ne peuvent s’y décréter sans discussions préalables. Le 16 novembre, le Parlement européen a adopté des actes législatifs. Nous avons alors travaillé, entre cette date et le 10 novembre, à désamorcer la menace de veto brandie par la Hongrie et la Pologne et nous sommes parvenus en moins d’un mois à lever ce blocage intempestif. Nous nous sommes donc montrés relativement efficaces et je ne crois pas que nous ayons perdu du temps !

Plusieurs d’entre vous m’ont interrogé sur la suite du calendrier. Il faut distinguer entre budget ordinaire et plan de relance. Concrètement, un budget pour 2021 s’inscrira dans le cadre financier pluriannuel 2021-2027, qui débutera bien le 1er janvier prochain. C’est vrai pour la politique agricole commune, mais c’est vrai aussi pour la politique de cohésion et pour les fonds que nous donnons aux régions européennes. Toutes ces aides sont très importantes et seront au rendez-vous.

À côté de cela, viendra s’ajouter le plan de relance, qui mettra davantage de temps à se déployer pour une indispensable raison d’ordre démocratique : il importe en effet de ratifier au niveau national les ressources propres chargées d’abonder le plan de relance, fondé sur une dette commune.

Votre assemblée aura également à se prononcer. Je ne peux, en l’état, vous communiquer de date exacte, mais j’espère que nous pourrons poursuivre et achever la discussion parlementaire avant le début du mois de février. Le vote par l’Assemblée nationale et le Sénat des fonds dédiés au financement du plan de relance sera sans aucun doute un moment démocratique important.

Par ailleurs, nous préparons en parallèle d’autres actions puisque nous avons déposé à Bruxelles un plan national de relance et de résilience, soit le plan de relance déjà connu de votre assemblée. Ce plan sera déposé entre la fin du mois de janvier et le début du mois de février. Les premiers fonds européens arriveront au cours du printemps. Nous ferons très certainement appel à un dispositif de préfinancement afin de pouvoir disposer dès le printemps prochain d’une partie des quelque 40 milliards d’euros prévus, sans avoir à attendre encore des semaines et des mois.

Comme vous pouvez le constater, nous n’avons donc pas perdu de temps, y compris en ce qui concerne la mise en œuvre des prochaines étapes du plan de relance !

Vous m’avez interrogé également sur l’impact économique d’un non-accord ou no deal. Le ministre de l’économie l’a encore précisé hier matin, il est estimé à 0,1 point de croissance pour 2021. C’est un impact certes modeste, mais il ne justifie pas une forme une légèreté ou de « romantisme » du non-accord : nous préférerions trouver un accord, non seulement pour notre situation macroéconomique, mais aussi pour certains secteurs particuliers, comme la pêche. Quoi qu’il en soit, nous n’accepterons pas un accord à des conditions dégradées.

Monsieur Rapin, vous avez évoqué la question sanitaire, notamment celle des vaccins. Je ne suis pas ministre de la santé et je ferai donc preuve d’une certaine prudence quant aux techniques sanitaires et vaccinales. Je crois néanmoins pouvoir affirmer que si un certain nombre de start-up sont en avance, c’est qu’elles font appel à des techniques innovantes : tant mieux pour la santé publique mondiale !

C’est cela qui, a priori, leur a permis d’avoir une longueur d’avance. Je rappelle que beaucoup de ces productions sont localisées en Europe, ce qui répond à la préoccupation industrielle évoquée par Pierre Laurent. Non seulement les vaccins mais parfois aussi la recherche – c’est le cas pour le laboratoire allemand BioNTech – ont été financés par le budget européen, notamment la phase de recherche fondamentale. Nous devons donc éprouver une fierté européenne à cet égard.

Vous avez évoqué les outils de protection industrielle. Ils ne seront pas remis en cause, même si des adaptations seront nécessaires en raison du Brexit. Je pense au brevet unitaire. Ces outils sont très importants pour faciliter notre politique d’innovation, notamment dans le domaine sanitaire.

Le mécanisme de conditionnalité relatif à l’État de droit, que vous avez également évoqué, monsieur Rapin, comme beaucoup d’autres intervenants, constitue une avancée majeure. Règle-t-il toutes les questions et couvre-t-il toutes les atteintes possibles à l’État de droit ? La réponse est « non ». Pour être précis, la question de la corruption et celle de l’indépendance de la justice sont principalement visées dans les conclusions du Conseil européen et dans le mécanisme voté.

Il s’agit néanmoins d’une étape très importante, d’autant que c’est la première fois que nous établissons un lien entre l’attribution des fonds européens et le respect d’un certain nombre de valeurs fondamentales. C’est un outil complémentaire de l’article 7, qui permet de mettre la pression politique sur un certain nombre d’États membres. Il est activé pour la Pologne et la Hongrie. C’est aussi un outil complémentaire de l’action de la Cour de justice de l’Union européenne, qui sanctionne d’ores et déjà un certain nombre de violations de l’État droit, notamment dans les deux pays précédemment cités.

Oui, c’est un outil supplémentaire ; non, ce n’est pas un outil qui fonctionnera à l’unanimité ! Jacques Fernique l’a rappelé, c’est un outil qui fonctionne à la majorité qualifiée, qu’il s’agisse de l’adoption du règlement ou du déclenchement de la procédure. Nous n’avons donc pas donné un droit de veto à la Hongrie et à la Pologne sur cet outil supplémentaire, à la différence de certains des outils existants, comme la procédure de l’article 7.

Nous n’avons pas non plus laissé les clés de cet outil à ces deux pays. Le Conseil européen a simplement admis qu’ils avaient le droit, aux termes du traité, de saisir la Cour de justice de l’Union européenne pour contester le règlement. Celle-ci se prononcera, mais j’ai confiance en la robustesse juridique du règlement négocié et approuvé par le Conseil et par le Parlement européen.

Pendant ce temps, la Commission ne suspend pas l’outil. Elle élaborera un certain nombre de lignes directrices afin de le préciser, mais elle peut tout à fait commencer à recueillir des informations et à mener des investigations si elle constatait des risques de violation de l’État de droit ou si elle en était alertée.

Je ne sais pas s’il faut parler de rétroactivité, mais les atteintes à l’État de droit pourront être sanctionnées sur la gestion de l’intégralité du budget dès le 1er janvier 2021, qu’il s’agisse de la gestion du plan de relance ou du budget européen. De toute façon, la Commission aurait eu besoin d’un peu de temps pour instruire les dossiers. Je ne crois donc pas, madame Harribey, que la procédure devant la Cour de justice de l’Union européenne nous fasse perdre du temps.

Vous avez également abordé React-EU. Cet instrument du plan de relance européen bénéficiera directement aux régions, comme les fonds de cohésion que nous connaissons aujourd’hui. Pour la France, cela représente 4 milliards d’euros. Ces fonds, liés au plan de relance, ne seront sans doute disponibles qu’à partir du printemps prochain. Ils viendront s’ajouter aux fonds régionaux prévus dans le budget ordinaire pour soutenir l’investissement dans les régions.

Sur la question climatique, madame Harribey, nous devons encore, il est vrai, répartir les objectifs par pays. Nous devons aussi attendre les propositions de la Commission sur le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, appelé parfois taxe carbone aux frontières. Je le reconnais, ça n’est pas gagné. J’espère que nous mènerons ce combat de la manière la plus large possible, au-delà des sensibilités politiques de chacun, car il est juste et de bon sens.

Il ne serait pas logique de faire un effort climatique, vous l’avez tous souligné, à l’instar de Laurent Duplomb, au travers de notre politique agricole et autres, si nous laissions à nos partenaires et parfois à nos rivaux commerciaux internationaux toute latitude de ne pas consentir les mêmes efforts.

Ce mécanisme, comme son nom l’indique, est un ajustement visant à faire en sorte que tous ceux qui veulent avoir accès au marché européen paient in fine le même prix pour leurs émissions de carbone.

La Commission fera une proposition législative au premier semestre de l’année 2021. Le Parlement a beaucoup poussé en ce sens, et c’est une bonne chose. Notre engagement politique, que nous devrons poursuivre avec vigilance, est de faire en sorte que la discussion législative entre le Conseil et le Parlement européens puisse aboutir à une mise en œuvre de cette taxe d’ici à la fin de l’année 2022 ou au début de l’année 2023.

Vous avez soulevé le point très sensible, et qui me tient à cœur, du Traité sur la charte de l’énergie. Vous avez raison, les discussions n’avancent pas de manière satisfaisante. Nous devons réviser ce traité, mais l’Union européenne ou les pays européens ne sont pas les seules parties prenantes. Avec plusieurs de mes collègues du Gouvernement, nous signons en ce moment même un courrier à l’attention de la Commission européenne pour mettre la pression et accélérer le processus. Si les discussions devaient s’enliser, il serait utile d’envisager une sortie de ce cadre, car, à l’évidence – plusieurs d’entre vous l’ont souligné dans le passé –, les dispositions actuelles de ce traité ne conviennent plus. Soit nous les modernisons rapidement, soit nous devrons prévoir une sortie conjointe du traité au niveau européen, ce qui soulève des questions juridiques, budgétaires et autres.

Vous avez évoqué la question du vaccin. La France, depuis le printemps dernier, défend son caractère de bien public. La présidente de la Commission européenne a annoncé aujourd’hui que nous nous mettions en état, par des soutiens financiers à diverses initiatives internationales en lien avec l’OMS, de faire des dons de doses aux pays qui en ont le plus besoin.

Au-delà du slogan, ce caractère de bien public mondial du vaccin doit être avéré et acté. Le Président de la République est favorable à ce que, sur chacun des contrats européens signés pour protéger notre propre population, une partie des doses soit réservée aux pays n’ayant pas les moyens d’accéder au vaccin.

Plusieurs d’entre vous ont évoqué la Conférence sur l’avenir de l’Europe. J’espère qu’elle pourra démarrer rapidement. Pour être tout à fait honnête, je ne pense plus que ce soit possible sous la présidence allemande de ce semestre. Elle pourra sans doute débuter au début de l’année, sous la présidence portugaise. Nous devons encore déterminer le nom de la personne qui la présidera. Le mandat est presque prêt. Bien évidemment, les parlements nationaux seront invités à contribuer au travail qui sera réalisé durant plusieurs mois.

Monsieur Laurent, vous avez déploré que le débat n’ait pas lieu au grand jour. Ce serait la première fois – faisons le pari ensemble – qu’une conférence, au-delà de la convention que nous avions connue dans le passé, qui constituait déjà un effort d’ouverture démocratique, serait ouverte à toutes les formations politiques, à toutes les assemblées parlementaires, à toutes les associations, à toutes les institutions et à tous les citoyens – car le Président de la République souhaite, comme il l’a évoqué hier soir, la participation de panels citoyens. Toutes les propositions sur le climat et sur bien d’autres sujets seront ensuite synthétisées et ramassées sous la présidence française de l’Union européenne, en lien avec les assemblées, pour dessiner une feuille de route pour les années à venir.

Je veux dire à M. Masson…

Mme Laurence Harribey. Il n’est plus là !

M. Clément Beaune, secrétaire dÉtat. … que je défends avec ardeur la solidarité européenne, y compris quand elle est difficile à expliquer. Nous parlons aujourd’hui de budget : dans le budget européen, la France contribue à la solidarité européenne à hauteur de plusieurs milliards d’euros par an – ne le cachons pas – afin d’aider d’autres pays, comme la Pologne, la Hongrie, etc. Il y va in fine de notre bénéfice commun. J’assume cette solidarité européenne, qui bénéficie à nos entreprises dans le cadre d’un marché unique européen : c’est notre force dans la mondialisation.

Je suis étonné que l’on soit prêt, quand on est attaché à la souveraineté, aux intérêts et – je l’espère – aux valeurs de notre pays, à transférer de l’argent sans aucune contrepartie et sans vérifier que des valeurs politiques fondamentales comme l’État de droit – il ne s’agit pas de broutilles ! – ne sont pas bafouées en toute impunité. Je n’ai pas cette conception de la souveraineté nationale et des intérêts de la France. Je regrette donc cette position.

Je crois avoir répondu à un certain nombre des préoccupations que vous avez exprimées, madame Mélot. Vous avez évoqué, comme Claude Kern, avec une pudeur qui vous honore, le maintien du siège du Parlement européen à Strasbourg. Au-delà du simple chauvinisme, c’est une question importante. Le Gouvernement défend nos intérêts. J’étais hier à Strasbourg où nous avons remporté une première bataille symbolique grâce à la présence du président du Parlement européen dans l’hémicycle, marquant ainsi que le Parlement siégeait bien à Strasbourg.

La France continue avec beaucoup d’élus, dont vous-mêmes, à défendre un retour rapide des sessions et la consolidation du statut de Strasbourg comme capitale européenne. Nous signerons à cet effet, entre l’État et les collectivités concernées, un nouveau contrat triennal dans les toutes premières semaines de l’année 2021.

Monsieur Fernique, j’ai rebondi, il me semble, sur votre remarque concernant l’État de droit. En ce qui concerne les ratifications nationales, je vous remercie de votre aide et je salue la mobilisation de votre famille politique écologiste. Il y aura, je l’ai dit, une ratification française. Elle est nécessaire, comme celle de tous les États membres. Sans donner de date définitive, je pense que nous pourrons acter tout cela au cours du premier trimestre de 2021.

Il est très peu probable que les pays qui exprimaient des réticences sur le plan de relance, y compris les « frugaux » et ceux dont les configurations parlementaires sont compliquées pour soutenir ces avancées européennes, s’opposent à cette ratification maintenant que l’accord est obtenu. Des vérifications ont été faites et parfois des mandats ont été donnés aux gouvernements en vue de la négociation.

Je pense avoir répondu aux aimables remarques formulées par le sénateur Gattolin. J’espère également que nous aurons rapidement un certain nombre de noms pour le Magnitsky Act à l’européenne.

En réponse à Mme Guillotin sur les vaccins, j’indique que l’Agence européenne des médicaments a annoncé aujourd’hui même qu’elle avançait au 21 décembre prochain la date à laquelle elle pourrait donner ses premières autorisations de mise sur le marché pour le vaccin Pfizer-BioNTech. Il s’agit de répondre aux préoccupations légitimes qui se sont exprimées sur les délais européens et d’aller plus vite, sous réserve, bien sûr, que l’Agence valide cette autorisation, car il s’agit d’une autorité indépendante et scientifique.

Les certificats de vaccination sont évoqués dans les conclusions du Conseil européen comme une piste à explorer. Mon avis personnel est qu’il faut faire très attention. Je partage donc votre préoccupation, notamment sur les travailleurs transfrontaliers. Tant qu’une immense partie de la population ne sera pas vaccinée, exiger une forme de passeport de cette nature reviendrait à créer, de fait, des barrières illégitimes, parfois très problématiques pour certaines activités du quotidien. Je rappelle que le travail transfrontalier concerne 350 000 de nos concitoyens en termes d’emplois directs, sans compter les emplois indirects et les familles.

Monsieur Laurent, je ne suis pas chargé du dossier Hercule, mais le temps du débat parlementaire sur ce projet viendra. Les fantasmes de négociations cachées ou en coulisses me paraissent tout à fait infondés.

S’agissant de la question de l’État de droit, je l’ai souligné, nous avons franchi une étape : saluons-la ensemble !

Faut-il continuer le combat sur l’État de droit, élargir les mécanismes à d’autres violations potentielles, renforcer le droit à l’avortement en Europe et les droits LGBT ? La réponse est « oui », comme je l’ai publiquement dit à de nombreuses reprises. Je continuerai ce combat et j’espère à cette occasion vous trouver aux côtés du Gouvernement. Quoi qu’il en soit, saluons aujourd’hui cette avancée, d’autant que le mécanisme adopté n’est pas bloqué par une exigence d’unanimité.

Faisons de la Conférence sur l’avenir de l’Europe un exercice démocratique ouvert : c’est possible et ça ne dépend que de nous.

Enfin, vous m’avez demandé avec ironie à quoi servait l’argent de la Banque centrale européenne. J’ai le souvenir de débats où votre famille politique, parfois à juste titre, reprochait à la Banque centrale européenne de ne pas soutenir l’emploi et la croissance, et d’être trop allemande ou trop « orthodoxe ». Aujourd’hui, elle investit massivement pour consolider la croissance en période de crise : soutenons cette action, car, sans elle, les taux d’intérêt de nos entreprises et de l’État ne seraient pas aussi faibles. Or c’est la faiblesse des taux qui nous permet de répondre à la crise, dans cette période d’urgence.

Monsieur Kern, j’ai répondu à la question strasbourgeoise. Vous avez aussi évoqué les aspects liés au Brexit. D’un mot, oui nous défendons l’accès de nos pêcheurs à la bande des 6 à 12 milles. Il s’agit évidemment d’un point très important, encore à cette heure, dans les discussions entre l’Union européenne et le Royaume-Uni. Quant à la présence de la Royal Navy dans les eaux de la Manche, c’est une provocation aberrante. Je ne veux pas croire que cela aille au-delà d’une manœuvre tactique, car je n’ose penser que nous soyons dans cette relation avec le Royaume-Uni. Réagissons donc avec calme.

Madame de Cidrac, vous avez abordé la question du calendrier sur les ressources propres. J’y ai répondu. Vous avez également évoqué les moyens mobilisés pour soutenir la transition écologique. Le fonds pour une transition juste est précisément inclus dans le cadre budgétaire pluriannuel. Il existe également d’autres instruments, comme le fonds de modernisation. C’est un des paramètres dont nous discuterons dans la suite des négociations pour la mise en œuvre de l’objectif de moins 55 % agréé au niveau européen.

J’ai répondu, de fait, monsieur Louault, à vos questions sur la Turquie. Je précise néanmoins qu’il existe également une convergence euro-américaine en vue de davantage de fermeté à l’égard de la Turquie, notamment en raison de l’achat de matériels de défense russes. Au moment du Conseil européen, les Américains ont décidé des sanctions pour ce motif.

Monsieur Longuet, vous avez raison en ce qui concerne le marché unique de l’électricité. Nous défendons le choix stratégique de souveraineté que représente le nucléaire pour la France. Il est certes parfois de plus en plus attaqué au niveau européen, mais il s’agit, dans le jargon européen, d’un principe de neutralité énergétique : chaque État membre doit avoir une marge de manœuvre, une fois les objectifs fixés, pour définir son mix énergétique.

Des pays ont renoncé au nucléaire, c’est leur choix et leur droit. Pour autant, ils ne doivent pas nous imposer un choix symétrique alors que nous avons opté avec justesse il y a quarante ans en faveur du nucléaire pour assurer notre souveraineté énergétique en même temps qu’un bouquet énergétique faiblement carboné.

Cet avantage est précieux, nous le défendons, y compris dans les négociations au sujet d’EDF et de nos mécanismes de fixation du prix de l’électricité. L’accès régulé à l’électricité nucléaire historique, l’Arenh, fait précisément partie de nos discussions avec la Commission européenne. Il importe que les coûts ne soient pas excessifs ni trop strictement définis dans le soutien que nous apportons à nos grands opérateurs énergétiques, comme le Président de la République a eu l’occasion de le rappeler au cours du Conseil européen et lors de son déplacement au Creusot.

Monsieur Duplomb, un dernier mot sur les questions agricoles, que vous avez soulevées. C’est un vaste débat qui dépasse ma compétence, mais, je vous le confirme, nous avons la préoccupation réelle d’éviter toute forme d’iniquité dans les efforts que nous faisons en Europe pour défendre notre ambition climatique. Les éco-régimes ou les eco-schemes, comme l’on dit parfois, que vous avez évoqués, représentent une avancée importante qu’a négociée Julien Denormandie dans la prochaine politique agricole commune. Ils sont rendus obligatoires, ce qui limitera les distorsions de concurrence.

Vous avez parlé d’un certain nombre de trous dans la raquette ou de possibilités de dérogations. Cela fait l’objet de discussions en ce moment entre le Parlement européen et le Conseil, et nous serons vigilants à la fois pour que le niveau des éco-régimes soit ambitieux et pour que leur caractère véritablement obligatoire ne soit pas remis en cause. J’en ai conscience, cela ne fait pas tout le chemin pour construire cette équité dans les pratiques agricoles et dans les obligations climatiques qui y sont liées, mais c’est aussi important.

De même, les objectifs écologiques fixés dans les plans de relance et les budgets nationaux irriguent la politique agricole de chaque pays, parce que, pour atteindre 30 % de dépenses pro-climat au niveau européen, il faut nécessairement mobiliser la PAC. D’ailleurs, je dois dire que la politique agricole commune est la première politique européenne intégrée, commune, qui contribue à la transition écologique. Il faut simplement qu’on l’organise de manière équitable en matière de concurrence interne.

Vous ne l’avez pas évoqué, mais je crois que c’est un point très important qui nous anime dans notre recherche d’équité : nous devons aussi faire en sorte que les accords commerciaux, qui sont parfois encore négociés ou discutés par l’Union européenne, ne ruinent pas les efforts de nos propres agriculteurs, de nos propres producteurs. C’est la raison pour laquelle nous avons cette position de fermeté, que vous connaissez, sur le rejet, en l’état du texte, du projet d’accord commercial que la Commission européenne avait négocié avec le Mercosur.

Voilà, à défaut d’avoir été synthétique, j’espère au moins avoir été complet dans mes réponses.

Conclusion du débat

Mme le président. Pour conclure le débat, la parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. Je prendrai moins de cinq minutes, après nos deux heures et demie de débat…

Je remercie M. le secrétaire d’État et tous nos collègues qui sont restés pour écouter les éléments de ce débat post Conseil. Je veux conclure sur quelques points.

Monsieur le secrétaire d’État, vous avez remarqué que, dans mon propos liminaire, j’ai été l’un des rares à ne pas parler du Brexit, mais je gardais le meilleur pour la fin !

Je pense pouvoir dire que nous sommes épuisés par ces longs débats, ces longues discussions qui n’aboutissent pas, a fortiori si nous sommes pleinement concernés par le sujet. Dimanche dernier, nous en étions au troisième rendez-vous dominical, qui devait se conclure sur un accord. Or nous sommes repartis dans des discussions qui vont durer encore quelques jours. Ou plutôt, nous ne savons pas bien, mais nous sommes sûrs d’une chose : dans quinze jours, les Britanniques quittent l’Union européenne !

Aujourd’hui, plusieurs questions se posent à nous. Comment allons-nous appréhender non pas ces quinze derniers jours, mais ceux qui vont venir après, qu’il y ait un deal ou pas ? Comment les parlements européens vont-ils se prononcer sur la suite et sur un accord potentiel ou un non-accord entre le Royaume-Uni et l’Europe ? Cette période de transition sera probablement aussi compliquée à aborder au niveau intraeuropéen.

Par ailleurs, nous nous demandons si nous serons prêts. Je suis allé à de nombreuses reprises sur les sites que vous avez évoqués, notamment dans les Hauts-de-France et en Normandie. Au stade de la répétition, on a l’impression que tout va bien, mais il faudra voir dès le 1er janvier. À cet égard, monsieur le secrétaire d’État, je vous donne un scoop : je proposerai à mes collègues membres du groupe Brexit une visite sur site, le 4 janvier, pour juger sur pièces et sur place quelle est la situation dans les tout premiers jours après cette première échéance. Cette visite importante nous permettra peut-être d’ajuster certains points pour la suite.

Ma deuxième réflexion porte sur le cadre financier pluriannuel. Je vous félicite d’être arrivé au bout de la négociation, mais la mise en place du CFP nous pose encore certains problèmes. J’entends par là que l’échéance, fixée à début février, pour le passage devant les parlements nous semble non pas irréaliste, mais presque folle, tous les parlements devant ratifier quelque chose qui va nous engager pour des années. Je pense qu’il faut aller plus loin dans le débat, parce que c’est un vrai tournant que prend l’Europe, avec un endettement pour trente ans, mais aussi une vision plus fédéraliste, disons-le, dans la façon de gérer l’Union.

Au-delà de la question des ressources propres, les parlements, et en particulier le parlement français, devront se prononcer sur le chemin que devra prendre la construction européenne. C’est donc aussi un débat sur l’avenir de l’Europe, et je pense qu’un tel débat, qui requiert une réflexion politique, technique, trouverait mieux sa place au Parlement, plutôt que d’être tranché directement par nos concitoyens.

Enfin, le troisième point, monsieur le secrétaire d’État, concerne le prochain Conseil en 2021, avec le report de l’échéance s’agissant des dispositions que nous devrons prendre par rapport à la Turquie. J’insiste auprès de vous pour que la France ait enfin une position ferme, peut-être plus forte que celle qui a transpiré des déclarations entendues. En tout cas, il est nécessaire d’utiliser l’Union européenne comme un outil de négociation et de gestion de nos relations avec les Turcs.

Voilà, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les quelques éléments que souhaitais apporter au débat, en espérant que le fog londonien ne nous aveugle pas plus longtemps. (Sourires. – Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme le président. Nous en avons terminé avec le débat à la suite du Conseil européen des 10 et 11 décembre 2020.

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures cinq, est reprise à dix-huit heures vingt.)

Mme le président. La séance est reprise.

7

Questions orales

Mme le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions orales.

renouvellement des concessions hydroélectriques

Mme le président. La parole est à Mme Frédérique Espagnac, auteure de la question n° 1372, adressée à Mme la ministre de la transition écologique.

Mme Frédérique Espagnac. La société hydroélectrique du midi (SHEM), troisième opérateur hydroélectrique français, dont la création remonte à 1929, sera soumise au renouvellement de ses concessions hydroélectriques sur les trois vallées pyrénéennes : vallée d’Ossau, vallée du Louron et vallée de la Têt.

Ces concessions sont exploitées dans le cadre de délégations conclues entre la SHEM et l’État. Elles sont arrivées à échéance en 2012 et sont prorogées depuis lors aux conditions antérieures. À elles seules, elles représentent 40 % de la puissance installée de la SHEM.

Aujourd’hui, la mise en concurrence de ces concessions risque de condamner cette société, et, à terme, l’ensemble de ses 320 salariés, qui vivent dans des territoires en revitalisation rurale pour la plupart.

L’atelier de maintenance de toutes les centrales hydroélectriques du groupe est basé à Laruns, dans les Pyrénées-Atlantiques, mon département, et emploie 50 personnes en plus du personnel spécifique opérant à la centrale hydraulique sur place.

Au total, ce sont 100 personnes qui sont employées de la SHEM dans ce village de montagne de 1 000 habitants. Les familles contribuent à faire vivre l’économie de la vallée.

Avec le départ de la société, c’est au minimum une perte de 50 emplois, puisque l’atelier, soit serait délocalisé sur un autre site hors de la commune et du département, soit disparaîtrait tout simplement.

La SHEM est particulièrement impliquée aux cotés des acteurs locaux dans la commune de Laruns : elle gère 67 millions de mètres cubes de lâchers agricoles, ou, pour des activités sportives comme le canyoning ou le kayak, des prélèvements pour l’eau potable, la montaison et la dévalaison des poissons. Cette entreprise s’est engagée dans une démarche de responsabilité sociale type RSE, devenant la première entreprise industrielle labellisée Lucie et ISO 26000.

Auprès des territoires, elle s’est investie dans la promotion d’un tourisme responsable – train d’altitude, information sur les énergies renouvelables via la visite guidée de ses infrastructures –, ainsi que sur les thématiques de l’emploi ou de la précarité des personnes.

Je souhaiterais donc savoir si le Gouvernement, qui explore actuellement le droit des concessions renouvelées sans mise en concurrence à une structure dédiée, le mettra en œuvre pour la concession spécifique de Laruns, afin de pérenniser l’activité de la SHEM et de préserver le tissu socioéconomique existant dans ce territoire de montagne.

Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports. Madame la sénatrice, vous interrogez Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique, qui, ne pouvant être présente, m’a chargé de vous répondre.

Tout d’abord, il convient de rappeler que la Commission européenne a engagé un contentieux à l’encontre de la France portant notamment sur l’absence de renouvellement par mise en concurrence des concessions hydroélectriques échues.

Cette situation nuit aux investissements dans le secteur et c’est une source d’incertitude pour les entreprises, les salariés et les collectivités.

Le Gouvernement travaille donc activement pour trouver une solution dans les meilleurs délais. Plusieurs scénarios, vous le savez, sont à l’étude, et aucune décision n’a été prise. Les échanges avec la Commission européenne se poursuivent encore et aucun accord n’a été trouvé à ce stade.

Le Gouvernement sera particulièrement attentif à ce que la solution retenue permette la pérennisation et le développement du parc hydraulique français. L’hydroélectricité est en effet cruciale non seulement pour notre transition énergétique, mais également pour la gestion de la ressource en eau. C’est donc une activité essentielle dans le contexte du changement climatique. Comme vous le rappelez, elle contribue également significativement à l’économie locale, au travers des redevances versées aux territoires et des emplois créés. Enfin, le Gouvernement accordera, bien entendu, une attention particulière au personnel des sociétés exploitantes.

Quelle que soit la solution retenue, in fine, pour la gestion des concessions hydroélectriques françaises, le Gouvernement reste très attentif, soyez-en certaine, madame la sénatrice, au potentiel énergétique, technique et humain de la SHEM et des concessions qu’elle exploite. Le ministère de la transition écologique est en contact régulier avec la SHEM et son actionnaire, Engie, sur le sujet.

Mme le président. La parole est à Mme Frédérique Espagnac, pour la réplique.

Mme Frédérique Espagnac. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse, que j’attendais néanmoins plus précise. Je vous ai parlé de Laruns et de l’atelier de la SHEM, qui représente 50 emplois en plus des 50 emplois de la centrale hydroélectrique que j’ai mentionnée.

Vous l’avez dit, nous sommes dans une situation compliquée au regard des règles européennes. Je l’entends bien, mais je pense qu’il y a aujourd’hui urgence à optimiser l’investissement dans le secteur hydraulique, tout en redistribuant les ressources financières vers les territoires. Des solutions sont en train d’être trouvées pour EDF, et la SHEM serait finalement la seule à être touchée.

extension du bail mobilité aux victimes de catastrophes naturelles

Mme le président. La parole est à Mme Patricia Demas, auteure de la question n° 1381, adressée à Mme la ministre de la transition écologique.

Mme Patricia Demas. Monsieur le ministre, ma question, qui s’adressait à la ministre de la transition écologique, porte sur une proposition que les professionnels de l’immobilier des Alpes-Maritimes ont bien voulu me soumettre à la suite de la tempête Alex, qui, vous le savez, a dévasté les vallées de ce département.

Cet épisode climatique a, le 2 octobre dernier, conduit à la destruction d’équipements publics essentiels à la vie des vallées, ainsi que de nombreux logements.

L’actuel cadre juridique des locations meublées à usage de résidence principale, qui impose une durée de bail d’un an avec tacite reconduction obligatoire au bénéfice du locataire, n’est pas de nature à inciter les bailleurs à louer à des personnes ayant subi de tels drames, leur solvabilité étant objectivement obérée.

En revanche, le bail mobilité est un bail meublé qui pourrait être adapté à leur situation, dans la mesure où il est suffisamment souple dans sa durée, librement fixée jusqu’à dix mois. Or son champ d’application, défini par la loi du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi du 23 décembre 1986, n’est pas, à ce jour, ouvert aux victimes de catastrophes naturelles.

Je souhaiterais savoir, monsieur le ministre, si son extension ne pourrait pas être envisagée pendant un certain délai, lorsque l’état de catastrophe naturelle aurait été reconnu sur le territoire d’une commune. Cela permettrait aux bailleurs et aux locataires de bénéficier du dispositif de garantie des loyers Visale, expression de la solidarité nationale, qui serait opportune dans ces conditions exceptionnelles.

Je vous remercie, monsieur le ministre, d’encourager, je l’espère, des propositions émanant de professionnels de l’immobilier en faveur des vallées sinistrées.

Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports. Madame la sénatrice, Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique, qui ne pouvait être présente, m’a chargé de vous répondre.

Créé par la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (ÉLAN), le bail mobilité est défini à l’article 25-12 de la loi du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs.

En effet, il tire sa spécificité du fait qu’il est dérogatoire aux règles de droit commun applicables à la location de logement meublé, ce qui favorise la mobilité et permet de satisfaire aux besoins temporaires de logement. Cela implique que son champ d’application soit encadré : il n’est accessible qu’aux personnes en mobilité professionnelle, en l’occurrence au locataire justifiant d’une formation professionnelle, en études supérieures, en contrat d’apprentissage, en stage, en engagement volontaire dans le cadre d’un service civique, en mutation professionnelle ou en mission temporaire.

En parallèle, le dispositif de garantie des loyers Visale est accessible à tout public éligible au bail mobilité, mais avec un champ plus large. Il s’adresse à l’ensemble des jeunes entre 18 ans et 30 ans ou aux salariés de plus de 30 ans dans une situation de nouvelle embauche ou de mutation. Il bénéficie également aux ménages logés par un organisme d’intermédiation locative.

Il convient de rappeler qu’il s’agit d’un dispositif pensé et mis en œuvre au bénéfice des salariés, financé par Action Logement dans le cadre de la convention quinquennale avec l’État sur l’utilisation de la participation des employeurs à l’effort de construction.

Les victimes de catastrophes naturelles ne sont pas éligibles au bail mobilité pour ce seul motif, et une modification législative serait nécessaire pour aller plus loin. Une adaptation du périmètre du dispositif Visale ne nécessite pas le même formalisme, et pourrait peut-être mieux répondre aux besoins locaux que vous identifiez.

L’État vient de relancer, voilà quelques jours, une négociation globale avec Action Logement, notamment pour adapter les dispositifs d’intervention du groupe afin d’accompagner le plan de relance. Dans ce cadre, la garantie Visale sera abordée. Je vous propose d’étudier si la prise en compte de la situation des victimes de catastrophes naturelles serait envisageable dans ce contexte.

Mme le président. La parole est à Mme Patricia Demas, pour la réplique.

Mme Patricia Demas. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse, qui est encourageante au regard de la situation que j’évoquais. Effectivement, le bail mobilité permet de bénéficier de cette souplesse pour nous adapter aux urgences que mon département a connues, et que je ne souhaite à aucun autre département. Cela étant, j’ai compris qu’il fallait envisager une modification législative. Nous veillerons attentivement à ce que cette évolution soit possible. Je note en parallèle la touche d’optimisme que vous avez apportée en évoquant la garantie Visale.

remplacement obligatoire des chaudières fioul et charbon

Mme le président. La parole est à M. Pascal Martin, auteur de la question n° 1291, adressée à Mme la ministre de la transition écologique.

M. Pascal Martin. Monsieur le ministre, ma question concerne la situation des distributeurs de produits énergétiques.

À compter du 1er janvier 2022, l’installation dans les bâtiments neufs ou le remplacement d’un matériel existant par des chaudières au fioul et à charbon seront interdits.

Alors que le Premier ministre a récemment défendu la nécessité « d’une écologie de proximité, de quartier et de terrain », cette décision d’interdiction ne sera pas sans conséquence sur la profession et sur les consommateurs eux-mêmes.

Tout d’abord, elle va fragiliser l’emploi des 15 000 salariés de la distribution des énergies hors réseau dans un contexte économique déjà difficile.

Ensuite, elle va s’attaquer à l’énergie de chauffage principale des territoires ruraux les plus éloignés des grandes métropoles. En effet, le fioul domestique est aujourd’hui la troisième énergie de chauffage en France. Les consommateurs de fioul vivent majoritairement dans les territoires ruraux, en maisons individuelles, qui, le plus souvent, ne sont pas accessibles au gaz de réseau.

En outre, elle ne prend pas en considération l’absence de solutions alternatives aux combustibles liquides. Le fioul est particulièrement utilisé dans des zones ou les températures hivernales sont basses, et le remplacement des chaudières à fioul par des pompes à chaleur géothermiques représente un coût financier élevé, de 18 000 à 20 000 euros.

Par ailleurs, elle ne va pas laisser le temps aux distributeurs de fioul de s’adapter aux changements d’énergie et va fragiliser la sécurité d’approvisionnement des autres énergies distribuées.

Enfin, cette décision semble ignorer le virage écologique que la filière fioul a amorcé depuis deux ans. En effet les distributeurs de fioul ont engagé avec les autres secteurs concernés, c’est-à-dire les chaudiéristes, les chauffagistes et la filière agricole, un processus de transition rapide vers le biofioul, un bioliquide de chauffage qui intègre une part d’ester méthylique d’acide gras de colza cultivé et transformé en France.

Ce biofioul est une énergie renouvelable, locale, qui répond aux enjeux de transition écologique, d’indépendance nationale et de justice sociale. Il est, par conséquent, indispensable de permettre aux consommateurs chauffés au fioul domestique de passer progressivement au biofioul de chauffage.

Je vous demande, monsieur le ministre, de bien vouloir me préciser votre position.

Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports. Monsieur le sénateur, Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique, n’ayant pu être présente aujourd’hui, elle m’a chargé de vous répondre.

La date pour la fin de l’installation de nouvelles chaudières au fioul et à charbon dans les bâtiments neufs est la mi-2021, et l’année 2022 pour les bâtiments existants. Il ne s’agit nullement d’imposer le remplacement d’équipements existants qui fonctionnent ni d’ailleurs d’empêcher leur entretien ou les réparations. En revanche, il s’agit de donner des signaux clairs pour engager nos concitoyens à opter pour des solutions de chauffage plus économes et moins émettrices de gaz à effet de serre.

Cette mesure, inspirée d’une proposition de la Convention citoyenne pour le climat (CCC), fera l’objet d’un décret, dont la préparation est en cours, en association avec les filières professionnelles. Je pense notamment aux fournisseurs de combustibles ou encore aux fabricants et installateurs d’équipements.

Depuis plusieurs années, la part du fioul domestique utilisé pour le chauffage par les ménages est en nette diminution : une baisse de 30 % est intervenue entre 2011 et 2018.

Plusieurs solutions de remplacement du fioul existent pour les particuliers, notamment les chaudières biomasse à granulés, les pompes à chaleur ou les cycles solaires combinés. De nombreuses aides ont été mises en place. Je pense notamment aux primes CEE, au Coup de pouce chauffage ou encore à MaPrimeRénov’. Près de 150 000 équipements au fioul ont ainsi été retirés en 2019 au profit des énergies renouvelables ou d’équipements au gaz très performants.

Le Gouvernement est conscient des évolutions auxquelles devront faire face les professionnels. L’incorporation de biocarburants ne peut cependant constituer une voie d’avenir que si elle permet une décarbonation totale à un horizon rapide.

Aujourd’hui, seul le fioul à 7 % de biofioul est autorisé. Une procédure pour un biofioul à 30 % est en cours d’examen.

Le Gouvernement est également attentif aux conditions de production des matières premières : la quantité de biocarburants produits sur des terres agricoles est limitée au niveau européen et le gisement français est déjà utilisé.

Enfin, l’incorporation de 30 % de biofioul permettrait de réduire seulement de 15 % les émissions de gaz à effet de serre, un taux largement inférieur aux solutions alternatives comme la pompe à chaleur.

Mme le président. La parole est à M. Pascal Martin, pour la réplique.

M. Pascal Martin. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse. Il importe de prendre en compte cette période transitoire pour les professionnels et les particuliers, qui ont tous la volonté de s’adapter aux nouvelles énergies. Les coûts sont élevés. J’ai entendu les préconisations du Gouvernement, mais j’insiste sur les attentes fortes, notamment en milieu rural, concernant ce mode de chauffage.

aménagement de la route nationale 149

Mme le président. La parole est à M. Bruno Belin, auteur de la question n° 1377, adressée à M. le ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports.

M. Bruno Belin. Madame la présidente, mes chers collègues, je vous remercie, monsieur le ministre, d’être présent en personne pour répondre à cette question qui concerne l’avenir de nos routes nationales transversales, en particulier l’une des plus anciennes d’entre elles, la route Nantes-Limoges qui traverse notamment le département des Deux-Sèvres. Entre Parthenay et Poitiers, son infrastructure date largement des années 1960 et des accidents y ont lieu régulièrement, comme récemment sur la commune de Cissé.

Je souhaite par cette question vous demander que des études soient enfin lancées sur cette RN 149. Il me semble que le contrat de plan État-région pourrait servir à réaliser des travaux à l’approche de Poitiers ; ils sont indispensables pour compléter la liaison entre la RD 347 et la RN 147.

Il est également nécessaire, hors contrat de plan cette fois, d’envisager très vite des travaux sur la RN 147 qui relie Poitiers et Limoges et que vous connaissez bien, monsieur le ministre. Vous le savez, les conseils départementaux de la Vienne et de la Haute-Vienne se sont prononcés en ce sens et le conseil départemental de la Vienne attend de pouvoir réaliser sous sa maîtrise d’ouvrage le contournement nord de Lhommaizé.

Monsieur le ministre, il y a vraiment urgence à réaliser des études, ainsi que des travaux sur l’ensemble de cette route nationale transversale. Que compte faire le Gouvernement ? (M. Yves Bouloux applaudit.)

Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports. Monsieur le sénateur Belin, je suis ravi de vous retrouver.

Je suis bien conscient de la nécessité d’améliorer de façon significative le niveau de service offert sur l’axe Bressuire-Poitiers. C’est la raison pour laquelle j’ai demandé aux services de l’État en Nouvelle-Aquitaine d’élaborer une étude d’itinéraire entre Poitiers et Bressuire afin de dégager les priorités pour les aménagements qui doivent être réalisés sur cet axe.

Plus précisément, cette étude d’itinéraire vise à traiter les enjeux de sécurité, de fiabilisation des temps de parcours pour les usagers et de réduction des nuisances pour les riverains. Elle identifiera les opérations susceptibles de composer un scénario d’aménagement pour la RN 149 afin d’apporter une réponse adaptée et réaliste aux besoins du territoire et aux attentes des acteurs locaux.

Il s’agira aussi de fixer les priorités de calendrier pour ces opérations afin de déterminer un programme d’aménagement financièrement soutenable pour l’État et les collectivités locales concernées.

Les premiers résultats de cette étude sont attendus pour le milieu de l’année 2021. Ils viendront éclairer les perspectives d’aménagement de l’itinéraire stratégique que constitue l’axe Nantes-Poitiers-Limoges, en cohérence avec les démarches en cours sur la section de la RN 147 entre Poitiers et Limoges.

Plus encore que des études, ce sont les actions concrètes qui comptent. C’est pourquoi, monsieur le sénateur, j’entends résolument accélérer l’aménagement de la RN 147 entre Poitiers et Limoges. J’ai mandaté Mme la préfète de région afin d’y travailler avec les acteurs du territoire et je compte sur un volontarisme des collectivités à la hauteur des ambitions de l’État sur cet itinéraire.

Mme le président. La parole est à M. Bruno Belin, pour la réplique.

M. Bruno Belin. Monsieur le ministre, je vous remercie de ces précisions.

Vous parlez d’une étude sur la RN 147, mais nous attendons depuis juillet 2019 qu’elle soit rendue … Il va donc falloir accélérer les choses !

Ensuite, comme vous le savez, le trafic augmente considérablement. Il y a donc urgence. Devant cette augmentation, la responsabilité de l’État est double ; elle porte à la fois sur la sécurité et sur l’aménagement du territoire.

Nous ne devons plus perdre de temps, que ce soit pour la RN 149, la RN 147 ou ce que nous appelons la complétude de cette dernière. Je compte sur vous, monsieur le ministre ! (M. Yves Bouloux applaudit.)

lignes ferroviaires du cantal

Mme le président. La parole est à M. Stéphane Sautarel, auteur de la question n° 1365, adressée à M. le ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports.

M. Stéphane Sautarel. Madame la présidente, monsieur le ministre, la contractualisation que l’État a consentie avec les régions a permis d’engager des plans de sauvegarde des petites lignes. Les futurs contrats de plan État-région devraient également permettre de répondre aux enjeux essentiels de desserte de nos territoires ruraux, en particulier dans le Cantal, dans un cadre respectueux de l’environnement.

Vous m’avez récemment indiqué, monsieur le ministre, que les crédits du plan de relance ont permis de programmer 2,1 millions d’euros de travaux de sauvegarde sur la ligne Aurillac-Brive. Si je m’en réjouis, c’est bien évidemment loin d’être suffisant pour régénérer cette ligne et assurer une circulation avec une vitesse décente.

En effet, les besoins sont estimés à plus de 50 millions d’euros pour éviter qu’Aurillac ne devienne un cul-de-sac ferroviaire, ce qui constituerait un véritable risque pour l’avenir du réseau ferré cantalien.

Outre la question des infrastructures, celle des services est essentielle.

Les temps de trajet vers Paris via Clermont ou Brive sont aujourd’hui dissuasifs – pratiquement sept heures ! S’il convient bien sûr en journée d’améliorer ces temps d’accès, une nouvelle opportunité s’est ouverte avec l’expérimentation des trains de nuit engagée à la suite du Grenelle de l’environnement et de la Convention citoyenne pour le climat. En effet, la suppression du train de nuit Aurillac-Paris a marqué un véritable recul du service public dans le Cantal.

De même, la ligne Neussargues-Béziers est aujourd’hui gravement fragilisée, alors qu’elle présente un intérêt tant pour le transport des voyageurs que pour le fret.

La réintroduction du train de nuit Aurillac-Paris permettrait aussi de connecter le Cévenol, en provenance de Nîmes, et l’Aubrac, en provenance de Béziers et Millau, à cette offre nouvelle dans des conditions de confort et de sécurité modernes.

Monsieur le ministre, je souhaite donc vous interroger sur deux sujets : d’une part, les investissements qui sont prévus dans le projet de loi de finances pour 2021 au sein de la mission « Écologie, développement et mobilité durables », dont j’ai eu l’honneur d’être rapporteur spécial, et qui sont indispensables à la régénération des lignes du Cantal ; d’autre part, le niveau de service, en particulier la réintroduction du train de nuit Aurillac-Paris et la sauvegarde de la ligne Neussargues-Béziers. Quelles réponses pouvez-vous nous apporter sur ces deux sujets ?

Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports. Monsieur le sénateur Sautarel, vous le savez, car nous en avons déjà débattu, le Gouvernement a engagé, après des décennies de sous-investissement sur le réseau ferroviaire, un plan de remise à niveau sans précédent, en commençant par le réseau structurant : avec 3 milliards d’euros d’investissement par an sur dix ans, l’effort de régénération est ainsi multiplié par deux par rapport à 2010.

Depuis mon arrivée au Gouvernement, cette ambition se double d’un plan de sauvetage pour les petites lignes ferroviaires : avec le concours des régions, plus de 6,5 milliards d’euros seront investis dans les dix ans à venir.

Ce plan répond à une forte attente de l’ensemble des territoires. Il a été signé le 20 février 2020 avec deux régions, Centre-Val de Loire et Grand Est. Les régions Provence-Alpes-Côte d’Azur, Pays de la Loire, Bourgogne-Franche-Comté et Normandie ont également délibéré en ce sens cet automne.

En Auvergne-Rhône-Alpes, en parallèle des discussions sur le schéma d’ensemble qui se poursuivent avec la région, je peux vous confirmer que la section auvergnate de la ligne Neussargues-Béziers figure dans l’accord sur la relance du ferroviaire en Auvergne signé entre le Premier ministre et le président de la région le 5 octobre 2020. Il intègre un financement de l’État et de la région de 130 millions d’euros sur la période 2020-2022 afin de maintenir l’ensemble des lignes concernées. Cette somme est en cours de distribution entre les différentes lignes concernées. Comme vous le soulignez, de premiers crédits ont été débloqués dès cette année pour des travaux d’urgence sur la ligne Aurillac-Brive.

S’agissant de la ligne de l’Aubrac, la desserte fret de Saint-Chély-d’Apcher est arrêtée depuis le 3 décembre. J’y reviendrai plus en détail à l’occasion de la réponse que j’apporterai à la question que M. Delcros me posera juste après celle-ci – les choses sont bien faites… (Sourires.)

Enfin, nos réflexions sur le secteur ferroviaire incluent naturellement une volonté de développer à nouveau les trains de nuit – vous en avez parlé. Les deux lignes encore en service feront l’objet d’une large rénovation et le plan de relance permettra de rouvrir deux nouvelles branches, vers Nice et Tarbes, d’ici à 2022 avec un investissement de 100 millions d’euros en voie de finalisation.

Par ailleurs, à la suite des débats que nous avons eus sur le projet de loi d’orientation des mobilités, un rapport sera remis au Parlement dans les prochaines semaines. Il vise à étudier les possibilités de desserte sur différents corridors et j’ai le plaisir de vous confirmer que Paris-Aurillac en fait partie.

Mme le président. La parole est à M. Stéphane Sautarel, pour la réplique.

M. Stéphane Sautarel. Je vous remercie, monsieur le ministre, pour ces informations. J’espère que les crédits se mettront en place et que les travaux auront effectivement lieu.

Je me permets d’insister sur l’expérimentation en faveur des trains de nuit. Deux lignes sont prévues à ce titre en 2021 ; cela me semble insuffisant au regard des espoirs qu’avait fait naître cette annonce.

Surtout, il faut accélérer les travaux et les investissements, en particulier sur le matériel roulant, si nous voulons vraiment assurer ces dessertes ferroviaires de nuit. Nous ne devons pas prendre de retard dans les trois prochaines années.

avenir des petites lignes ferroviaires dans le massif central

Mme le président. La parole est à M. Bernard Delcros, auteur de la question n° 1386, adressée à M. le ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports.

M. Bernard Delcros. Monsieur le ministre, je vais revenir sur les petites lignes ferroviaires du Cantal, preuve de l’importance du sujet…

Le département est desservi par plusieurs lignes qui relient la préfecture, Aurillac, à Brive, Clermont-Ferrand et Figeac. La ligne Aubrac quant à elle relie Clermont-Ferrand à Béziers via Neussargues et Saint-Chély-d’Apcher.

Plus généralement, le Massif central a la chance de disposer d’un important maillage de voies ferrées qui pourrait ouvrir de belles perspectives de mobilité tant pour les personnes que pour les marchandises, ce qui répondrait à des objectifs d’aménagement du territoire et de services à la population et aux entreprises, mais aussi de lutte contre le réchauffement climatique, des enjeux essentiels de notre temps.

Et pourtant, plusieurs lignes du Cantal sont aujourd’hui menacées de fermeture à court terme, faute d’entretien. Pis encore, depuis le 4 décembre, aucun train ne circule sur la ligne Aubrac entre Saint-Flour et Saint-Chély-d’Apcher pour raison de sécurité, ce qui prive l’Auvergne de toute connexion ferroviaire avec Millau, Béziers et la Méditerranée.

Alors que le 14 juillet dernier, le Président de la République a annoncé sa volonté de relancer les petites lignes et que le Gouvernement a prévu d’engager un programme ambitieux de 4,7 milliards d’euros en faveur de leur modernisation dans le cadre du plan de relance, pourriez-vous, monsieur le ministre, répondre à trois questions.

Premièrement, pouvez-vous m’assurer que l’ensemble des lignes du Cantal sera maintenu durablement ?

Deuxièmement, pouvez-vous me dire, si des crédits complémentaires aux 2,1 millions d’euros aujourd’hui prévus dans le plan de relance pour la ligne Aurillac-Brive seront engagés afin de sauver toutes les lignes du Cantal, sans exception ? Les besoins sont aujourd’hui estimés à environ 50 millions d’euros.

Troisièmement, pouvez-vous m’assurer que le tronçon entre Neussargues et Saint-Chély-d’Apcher sera rouvert à la circulation des marchandises et des voyageurs ? Et dans quel délai ?

Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports. Monsieur le sénateur Delcros, votre question s’inscrit dans la continuité de celle de M. Sautarel et rappelle l’engagement des parlementaires pour le ferroviaire qui est un mode de transport apprécié par les Français, parce qu’il est rapide, fiable, sûr et sobre pour la planète.

Comme je l’évoquais précédemment, le Gouvernement réinvestit massivement dans le ferroviaire. Notre priorité a été mise sur les transports du quotidien, dont font partie celles qu’on appelle improprement les « petites » lignes ferroviaires, pour lesquelles nous avons lancé un plan inédit visant à préserver leurs 9 000 kilomètres partout sur le territoire.

À ce titre, nous avons engagé des échanges nourris avec la région Auvergne-Rhône-Alpes.

De premiers engagements ont été pris, le 5 octobre dernier, pour l’Auvergne avec 130 millions d’euros débloqués en urgence à l’horizon 2022. Pas moins de neuf lignes vont bénéficier de ces crédits, financés à 50 % par l’État selon une programmation en cours d’affinage – je peux citer les lignes Montluçon-Vallon, Clermont-Thiers, Clermont-Volvic, Aurillac-Arvant, Montluçon-Gannat, Aurillac-Brive, Saint-Georges-Le Puy, ainsi que les sections auvergnates des lignes des Cévennes et de l’Aubrac.

Il s’agit d’une première étape, dans l’attente de la signature d’un protocole confirmant les engagements pour l’ensemble de la région et à un horizon de dix ans.

Par ailleurs, sur le long terme, les lignes interrégionales que sont la ligne des Cévennes, entre Nîmes et Clermont-Ferrand, et celle de l’Aubrac, entre Béziers et Clermont-Ferrand, feront l’objet d’un traitement spécifique avec les régions Auvergne-Rhône-Alpes et Occitanie au regard des besoins d’investissement qui sont élevés.

Enfin, je tiens à rappeler les investissements importants de l’État au profit de la desserte du Massif central, notamment sur la ligne Clermont-Ferrand-Paris. Au-delà des 350 millions d’euros destinés au renouvellement du matériel roulant et des 760 millions pour la régénération de l’infrastructure, qui ont déjà été annoncés, le Premier ministre a confirmé que l’État investira 87 millions d’euros supplémentaires afin de financer deux tiers des 130 millions nécessaires à la modernisation de la ligne. Clermont-Ferrand pourra alors être connecté à Paris en trois heures quinze. L’objectif est d’avoir à l’horizon 2025 un service de grande qualité avec de nouvelles rames, une infrastructure performante et une fréquence plus élevée. Je sais que les attentes sont grandes et nous serons au rendez-vous.

Mme le président. La parole est à M. Bernard Delcros, pour la réplique.

M. Bernard Delcros. Je vous remercie de ces réponses, monsieur le ministre. À travers les deux questions qui viennent de vous être posées, vous aurez compris qu’il existe une unanimité sur l’importance de l’enjeu ferroviaire dans le département du Cantal.

Je sais que l’engagement actuel est important, mais il n’est pas assez élevé pour assurer la pérennité des lignes de notre département.

Soyez assuré que mes collègues parlementaires et moi-même mènerons une veille attentive afin de vérifier que, au-delà des annonces, les crédits seront bien au rendez-vous pour sauver ces petites lignes du Cantal et plus généralement du Massif central qui, je le répète, sont importantes pour notre territoire.

charles-de-gaulle express

Mme le président. La parole est à M. Pierre Laurent, auteur de la question n° 1392, adressée à M. le ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports.

M. Pierre Laurent. Madame la présidente, monsieur le ministre, j’interpelle une nouvelle fois le Gouvernement sur le Charles-de-Gaulle Express. Cette liaison de trente-deux kilomètres pour un coût de 2 milliards d’euros doit relier la gare de l’Est au terminal 2 de l’aéroport de Roissy, moyennant un billet à 24 euros.

Ce projet n’a aucun intérêt pour les transports du quotidien. Sa mise en œuvre se ferait au détriment de la priorité qui doit être donnée à l’amélioration de ces transports qui sont aujourd’hui en grande souffrance. Il utiliserait en grande partie le réseau ferré existant, pendant les travaux et après, alors que celui-ci est déjà saturé, tant à la sortie de la gare de l’Est que sur le réseau nord.

Ce projet aura aussi un impact environnemental discutable. C’est sur ce point que le tribunal administratif de Montreuil, saisi par la ville de Mitry-Mory, a annulé l’autorisation environnementale du chantier contenue dans un arrêté signé en février 2019. Le tribunal a remis en question les deux grandes raisons d’être qui étaient avancées, à savoir une meilleure desserte vers l’aéroport de Roissy et les jeux Olympiques de 2024, alors que le chantier se terminera au mieux à la fin de 2025… Le tribunal a considéré que ce projet ne correspond pas un intérêt public majeur prioritaire.

Or, malgré ce jugement, la filiale gestionnaire d’infrastructure chargée du Charles-de-Gaulle Express s’entête à vouloir continuer les chantiers non concernés par le jugement, tandis qu’elle veut faire appel de celui-ci.

Est-ce que le Gouvernement, de son côté, va saisir l’occasion de ce jugement pour stopper ce projet inutile, nuisible, coûteux et contesté et enfin donner toute la priorité aux transports du quotidien en Île-de-France ?

Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports. Monsieur le sénateur Laurent, nous allons devoir effectivement acter un désaccord !

Vous l’avez rappelé, le projet Charles-de-Gaulle Express (CDG Express) consiste en une liaison ferroviaire directe en vingt minutes entre Paris et l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle. Il est conçu pour les besoins des passagers aériens, ainsi que pour ceux des très nombreux travailleurs de la plateforme aéroportuaire.

Le CDG Express est donc complémentaire, et non concurrent, des transports du quotidien, notamment du RER B.

Ainsi, ce n’est pas la mise en œuvre du Charles-de-Gaulle Express, mais plutôt son annulation, qui aurait des conséquences délétères sur les transports du quotidien. En effet, le projet finance par des recettes propres, ne pesant ni sur le contribuable ni sur les usagers franciliens, la réalisation d’opérations de renouvellement du réseau existant pour plus de 500 millions d’euros. Cela permettra d’améliorer l’ensemble des circulations sur cet axe.

De même, c’est l’annulation du CDG Express qui aurait un impact environnemental négatif. En effet, le projet s’inscrit dans une logique de report modal vers le fer et permettra l’économie de plus de 330 000 tonnes de CO2 sur cinquante ans. En outre, il utilise des voies existantes, minimisant ainsi l’impact de sa construction sur l’environnement.

Par ailleurs, je me dois de signaler que l’arrêt actuel des chantiers, s’il se prolonge, aura des conséquences opérationnelles sur les autres projets étroitement imbriqués avec le CDG Express – je pense notamment aux travaux de modernisation du réseau ferroviaire de l’axe nord menés notamment au profit du RER B. Ces conséquences sont en cours d’étude par SNCF Réseau, mais elles ne seront pas négligeables.

Enfin, je souhaite rappeler que l’effort de l’État pour les transports collectifs en Île-de-France est considérable. Au-delà du réseau du Grand Paris Express, qui représente plus de 40 milliards d’euros, le plan de relance ne prévoit pas moins de 670 millions d’euros d’ici à la fin de 2022 pour les transports collectifs franciliens. Ce montant s’ajoute aux 410 millions d’euros déjà prévus, ce qui constituera un investissement supplémentaire d’ici fin à la fin de 2022 de plus de 1 milliard d’euros.

Mme le président. La parole est à M. Pierre Laurent, pour la réplique.

M. Pierre Laurent. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse, mais elle ne me satisfait pas !

Vous dites que les deux projets sont complémentaires et non concurrents. En vérité, les choses sont beaucoup plus compliquées vu l’état de souffrance des transports du quotidien dans la région. Île-de-France Mobilités estime, en cas de réalisation du CDG Express, à 1,5 milliard d’euros le déficit de recettes lié à la perte de ponctualité sur le seul RER B.

En outre, comme vous avez lié les travaux de modernisation du RER B à ceux du CDG Express, ce sont les usagers du RER B qui sont pénalisés par l’arrêt actuel des travaux du CDG Express, alors même que les transports sont déjà en très grande souffrance.

Mme le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Pierre Laurent. On pourrait très bien utiliser les recettes dégagées pour le CDG Express afin d’améliorer les transports du quotidien. Il y a beaucoup plus de contradictions que ce que vous indiquez, monsieur le ministre !

liaison ferroviaire beauvais-paris

Mme le président. La parole est à M. Édouard Courtial, auteur de la question n° 1130, adressée à M. le ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports.

M. Édouard Courtial. Madame le président, monsieur le ministre, le désenclavement d’un territoire est l’une des conditions sine qua non de son avenir. C’est pourquoi je me suis engagé en faveur du canal Seine-Nord Europe et encore davantage en faveur du barreau ferroviaire Roissy-Picardie et du développement des lignes ferroviaires locales.

Fort de cette conviction, je plaide depuis trois ans pour un projet qui fait l’objet d’un consensus politique à tous les échelons, celui d’une liaison Beauvais-Paris en une heure. Je tiens ici à saluer la détermination de la présidente du pôle métropolitain de l’Oise, Caroline Cayeux, pour le voir aboutir, mais aussi l’engagement du président de la région Hauts-de-France, Xavier Bertrand, pour le soutenir.

Seule des trois agglomérations de l’Oise à rester éloignée des gares franciliennes, Beauvais, située à seulement 80 kilomètres et disposant d’un aéroport international, doit pouvoir bénéficier de plusieurs liaisons quotidiennes directes, deux le matin et deux le soir, avec Paris.

Il ne s’agit pas, bien entendu, de remettre en cause les arrêts intermédiaires qui sont également indispensables, mais de répondre à une attente forte, autant que de saisir une opportunité pour attirer des Franciliens ayant des envies d’ailleurs et bénéficiant du télétravail, mais devant se rendre plusieurs fois par semaine ou quotidiennement en Île-de-France.

Il ne s’agit pas non plus d’ignorer les difficultés techniques – elles sont nombreuses – de réalisation d’un tel projet, mais de mettre en cohérence les mobilités du quotidien et les exigences environnementales.

En effet, faute de trajets rapides et d’un service de qualité, la voiture restera malheureusement une référence pour ce type de déplacement. Nous pouvons le mesurer tous les jours avec la saturation des autoroutes franciliennes.

Dans sa dernière étude, la SNCF ne se dit pas opposée à ce projet sur le principe – et c’est heureux ! –, mais argue que les conditions nécessaires à sa mise en œuvre immédiate ne sont pas réunies à ce stade. Une réunion est encore prévue cette semaine pour faire avancer ce dossier.

Enfin, les investissements de modernisation du réseau et de son exploitation doivent être poursuivis et accélérés. Il est à espérer que, dans le cadre de l’ouverture à la concurrence de trois lignes, dont celles vers Beauvais et Compiègne, l’actuel exploitant sera en capacité d’adapter efficacement son offre et d’apporter des solutions nouvelles.

Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports. Monsieur le sénateur, la mobilité du quotidien est au cœur des priorités du ministère que je dirige et je porte une attention particulière aux enjeux d’amélioration de la liaison ferroviaire entre Beauvais et Paris, ainsi qu’à l’amélioration des infrastructures dans l’Oise.

Il convient de rappeler que la liaison ferroviaire entre Beauvais et Paris est assurée par des services TER organisés par la région Hauts-de-France qui est la seule autorité compétente pour définir le schéma des dessertes. L’État n’intervient pas dans ce processus, en application du principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales qui vous est cher, je le sais.

Le trajet des TER directs dure en moyenne une heure et quatorze minutes. Les trains qui ne desservent pas trois gares de la ligne, dont Persan Beaumont, affichent toutefois un temps de parcours d’une heure et dix minutes.

S’agissant de la possibilité technique de réduire le temps de trajet à moins d’une heure à la demande de la région, SNCF Voyageurs a actualisé l’étude menée en 2015 et a élargi l’analyse à l’ensemble des dessertes proposées entre les deux villes. Cette étude conclut que, à desserte constante, cela n’est pas possible en raison de deux éléments majeurs.

D’une part, le tunnel à voie unique situé entre les communes de Laboissière et Le Déluge impose certaines contraintes horaires de circulation pour y sécuriser le croisement des TER. Je peux vous signaler que l’infrastructure de la ligne a d’ores et déjà fait l’objet de nombreux travaux de modernisation, favorisant une meilleure robustesse d’exploitation. L’État a apporté sa contribution financière au traitement du nœud ferroviaire de Creil, point névralgique du trafic en Picardie, notamment vers Beauvais. Une première phase de travaux s’est ainsi achevée fin 2019. Les études pour une deuxième phase doivent être lancées début 2021.

D’autre part, le trafic sur la partie de la ligne située en région parisienne est particulièrement dense et les plans de transport TER et Transilien sont conçus en intégrant des marges minimales de robustesse qui, d’après la SNCF, ne peuvent pas être ultérieurement réduites.

Au-delà de la question complexe des temps de parcours pour une telle liaison, l’attente légitime des voyageurs est de disposer d’un service fiable. Nous pouvons et nous devons continuer d’œuvrer en ce sens ; c’est l’objet de l’action que mène le Gouvernement depuis 2017 : reprise d’une part substantielle de la dette de la SNCF – 35 milliards d’euros – ; doublement de l’investissement dans la régénération du réseau existant pour atteindre 3 milliards d’euros par an ; investissement supplémentaire de 5,5 milliards d’euros dans le cadre du plan de relance. Ces investissements qui contribuent à la qualité du service concernent aussi l’Oise.

Mme le président. La parole est à M. Édouard Courtial, pour la réplique.

M. Édouard Courtial. Merci, monsieur le ministre. Je note la volonté du Gouvernement. Or, là où il y a une volonté, il y a un chemin. Je souhaite donc que le Gouvernement dépasse les alibis techniques et juridiques pour prendre ce chemin !

protection et développement des abeilles

Mme le président. La parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone, auteur de la question n° 1198, adressée à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation.

Mme Dominique Estrosi Sassone. Monsieur le ministre, je regrette que le ministre de l’agriculture ne soit pas présent pour répondre à ma question, qui porte sur la protection et le développement des abeilles. Plus spécifiquement, je veux interroger le Gouvernement sur la lutte contre un parasite originaire d’Asie du Sud-Est qui colonise les ruches d’Europe, puis décime les colonies d’abeilles, Varroa Destructor.

En France, le miel est un produit essentiellement artisanal, qui découle d’un savoir-faire local, notamment dans la région Sud – Provence-Alpes-Côte d’Azur, première région productrice de miel avec 8 % de la production nationale.

Si la production de miel français est repartie à la hausse en 2020, Varroa Destructor reste la principale menace mortelle pour les colonies d’abeilles.

Face à ce parasite, les apiculteurs disposent de peu de moyens, alors que la surmortalité liée à ce parasite est constatée en Europe depuis les années 1980. Les apiculteurs attendent aujourd’hui un signe du Gouvernement, afin que les productions françaises puissent être pérennisées face à une concurrence mondiale importante.

Le Gouvernement entend-il appuyer un programme de recherche ambitieux, par exemple à l’échelle de l’Union européenne, alors que les études en matière d’abeilles se limitent essentiellement aux travaux d’expérimentation des associations régionales de développement de l’apiculture ?

Certains traitements existants permettent d’obtenir des résultats contre Varroa Destructor, mais les méthodes d’application ainsi que les périodicités d’utilisation ne sont pas encore harmonisées. Par exemple, dans les Alpes-Maritimes, les hivers sont doux : les abeilles et leurs parasites ne sont donc pas mis en hibernation par le froid. Le Gouvernement compte-t-il harmoniser les méthodes de lutte contre ce parasite ou, à tout le moins, les adapter localement ?

Enfin, pour sauvegarder l’apiculture, le Gouvernement compte-t-il faciliter l’installation de ruches sur l’ensemble du territoire ? Surtout, compte-t-il adopter une stratégie de long terme pour les abeilles ?

Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports. Madame la sénatrice Estrosi-Sassone, j’aurais pu vous entretenir de la ligne ferroviaire de Coni à Vintimille par Tende et Breil-sur-Roya, mais je m’en tiendrai à la réponse qu’a préparée à votre attention M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation, retenu aujourd’hui à Bruxelles par une réunion du Conseil de l’Union européenne.

Vous interrogez M. Denormandie sur la situation de la filière apicole française et, notamment, sur les moyens de lutter contre le parasite Varroa Destructor, acarien de l’abeille adulte, mais aussi de ses larves et de ses nymphes. Ce parasite provoque des pertes économiques importantes en apiculture ; il est l’une des causes de la diminution du nombre d’abeilles.

Comme M. Denormandie et Mme Pompili, ministre de la transition écologique, l’ont annoncé récemment, un plan Pollinisateurs sera présenté dans les toutes prochaines semaines. Il comportera plusieurs volets concourant à l’amélioration de l’état de santé des colonies d’abeilles domestiques, des autres pollinisateurs et de leur environnement, ainsi qu’au développement de la filière apicole. Les travaux sont en cours ; ce plan fera l’objet d’une concertation avec l’ensemble des acteurs concernés.

Je peux toutefois vous indiquer d’ores et déjà que, parmi ses grandes orientations, le plan abordera la question de la protection sanitaire des pollinisateurs et des mesures de lutte contre les agresseurs de la ruche.

Il est également prévu, dans ce cadre, de travailler avec la filière apicole, car son implication est indispensable pour élaborer et déployer des mesures de prévention, de surveillance et de lutte vis-à-vis de Varroa Destructor. Ces mesures pourront s’appuyer sur la mise en place de réseaux de surveillance, sur l’homologation de nouveaux médicaments vétérinaires, ou encore sur la recherche de nouveaux moyens de lutte. Tel est l’objet des travaux qui seront menés dans les semaines à venir.

La nécessaire mise à disposition de moyens de lutte efficace contre le frelon asiatique sera également évoquée.

Ce plan constituera donc bien un outil d’accompagnement de la filière apicole vers l’augmentation et l’amélioration de la production des produits de la ruche. La France doit en effet inverser la courbe descendante de sa production de miel.

Mme le président. La parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone, pour la réplique.

Mme Dominique Estrosi Sassone. J’entends votre réponse, monsieur le ministre. Je voudrais simplement rappeler qu’il est très important que le Gouvernement s’implique auprès des apiculteurs, non seulement pour les aider à continuer de développer la production de miel et à mieux lutter contre ces parasites, mais aussi pour faire en sorte de parvenir à des évolutions à l’échelle européenne. Nous attendons avec beaucoup d’impatience un décret qui devrait paraître dès le 1er janvier 2021 sur l’étiquetage du miel, autre façon de préserver la production locale de miel en dépit de la concurrence étrangère.

Mme le président. Il faudrait conclure, ma chère collègue.

Mme Dominique Estrosi Sassone. J’entends bien que le Gouvernement continue à suivre ces mesures.

contradiction entre le droit de l’environnement, le droit agricole et le droit de l’urbanisme

Mme le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère, auteur de la question n° 1384, transmise à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation.

M. Philippe Bonnecarrère. Monsieur le ministre, je souhaitais interroger les ministres chargés de l’environnement et, éventuellement, de l’agriculture, sur la compatibilité entre le droit de l’environnement, le droit agricole et le droit de l’urbanisme.

En effet, chacun sait que, dans le cadre des politiques énergétiques et environnementales, il est prévu de produire le plus d’énergie électrique possible à partir de sources dites « renouvelables ». L’agriculture est l’une des réponses possibles à ce défi, au travers de ce que l’on appelle « l’agrivoltaïsme ».

Je veux en prendre deux exemples. Premièrement, la réalisation d’ombrières peut permettre un plus long maintien des prairies en compensant les effets de la sécheresse. Il y a compatibilité entre la production d’énergie photovoltaïque et les activités céréalières. Deuxièmement, des panneaux solaires peuvent être implantés verticalement, de manière moins gourmande en surface, pour permettre la poursuite d’activités d’élevage.

J’en viens au cœur de ma question : je souhaiterais savoir comment, dans le droit de l’urbanisme, on pourrait faciliter l’implantation de centrales photovoltaïques. Les règles de construction qui s’appliquent, propres aux habitations, sont très inadaptées dans ce domaine.

Du point de vue de l’agriculture, on rencontre des difficultés : les terrains en question ne sont plus considérés comme des terrains agricoles et les chambres d’agriculture se montrent donc réticentes. Ces terres ne comptent plus pour le calcul de la surface agricole utile (SAU) ni, par conséquent, pour les taxes perçues par les chambres d’agriculture. Enfin, ces terres ne sont plus éligibles pour les aides de la politique agricole commune (PAC).

Il y a donc une contradiction entre nos différents dispositifs. Je souhaite savoir comment le Gouvernement pourrait améliorer la situation, tant sur le volet environnemental que sur le volet agricole.

Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports. Monsieur le sénateur Bonnecarrère, votre question est particulièrement importante à un moment où l’agrivoltaïsme suscite un réel engouement. Il nous interpelle et soulève des questions sur les frontières de nos dispositifs. D’un côté, il est vu comme une réelle occasion de développement pour nos territoires, en faveur de la production d’énergies renouvelables ; de l’autre, il peut être considéré comme un risque d’artificialisation des sols et de renvoi de l’activité agricole à une position secondaire.

La jurisprudence montre que le code de l’urbanisme n’interdit pas totalement d’implanter des centrales photovoltaïques au sol en zone agricole. Il existe toutefois des préconisations strictes, car la pose au sol de panneaux photovoltaïques est considérée comme une opération d’artificialisation. Des exemples malheureux ont également illustré ce risque et les limites à apporter au développement de certains projets.

Il est impératif que les projets de ce type n’engendrent pas une artificialisation des sols et ne s’inscrivent pas en concurrence avec l’activité agricole. Ils doivent au contraire permettre son développement et sa pérennisation.

À ce titre, le Gouvernement vous rejoint donc quant à la nécessité de mettre en place un cadre juridique clair, qui permette de se prémunir des effets indésirables d’un développement non maîtrisé tout en garantissant le développement des énergies renouvelables.

De nouveaux exemples et des prototypes tendent à démontrer que l’installation de panneaux peut tout à fait être conçue en garantissant une stricte compatibilité avec un niveau de production agricole constant et sans engendrer d’artificialisation ni de changement de destination des terres.

Dans certains cas, le fonctionnement des panneaux pourrait même optimiser le développement de la plante, voire le confort des animaux ; ils deviendraient ainsi un outil partenarial de l’économie agricole.

Pour toutes ces raisons, les travaux en question doivent être poursuivis.

Mme le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère, pour la réplique.

M. Philippe Bonnecarrère. J’apprécie, monsieur le ministre, votre déclaration de principe en faveur de ce type de production photovoltaïque, dit « agrivoltaïsme ». J’apprécie également que vous nous annonciez un cadre juridique, ce qui montre que vous êtes conscient des insuffisances actuelles. Le droit de l’urbanisme a en effet tendance, contre la réalité, à fonder ces raisonnements sur la notion d’« artificialisation ». La question est donc maintenant la suivante : quand ce nouveau cadre juridique sera-t-il élaboré ? Comment le sera-t-il, et sous quel délai ?

importance vitale du secteur d’activité de l’alimentation

Mme le président. La parole est à M. Frédéric Marchand, auteur de la question n° 1417, transmise à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation.

M. Frédéric Marchand. Monsieur le ministre, la crise sanitaire sans précédent que nous connaissons a mis en lumière, parmi les sujets que nous pensions, funeste erreur, acquis ad vitam aeternam, celui de notre alimentation.

Cette crise vient nous rappeler toute l’importance de ce que nous pouvons nommer la « sécurité alimentaire », le besoin de savoir que l’on pourra s’alimenter en qualité et en quantité suffisante.

Cette question, la plus ancienne du monde, est celle que pose Stéphane Linou dans son ouvrage Résilience alimentaire et sécurité nationale, qui a d’ailleurs servi de base à une proposition de résolution qui a été examinée par le Sénat, sur l’initiative de notre ancienne collègue Françoise Laborde, le 12 décembre 2019.

Ce texte invitait notamment le Gouvernement à engager une révision de la loi de programmation militaire pour réfléchir à l’intégration de la production et du foncier agricole nourricier au sein des « secteurs d’activité d’importance vitale » (SAIV) définis à l’article R. 1332-2 du code de la défense comme les secteurs qui ont trait à la production et à la distribution des biens ou de services indispensables, dès lors que ces activités sont difficilement substituables ou remplaçables : satisfaction des besoins essentiels pour la vie des populations, exercice de l’autorité de l’État, fonctionnement de l’économie, maintien du potentiel de défense, ou sécurité de la Nation.

Dans ce cas, nous serions peut-être en capacité de doter notre pays de véritables indicateurs au sujet des flux d’approvisionnement alimentaire sur notre territoire, ce qui permettrait une approche plus précise et préventive de la réalité alimentaire de notre pays. Il y a un an, M. Didier Guillaume, alors ministre de l’agriculture et de l’alimentation, répondait ceci à Mme Laborde : « La question du lien entre résilience alimentaire des territoires et sécurité nationale mérite d’être pleinement prise en compte, eu égard à l’actualité. Le Gouvernement est globalement d’accord avec l’esprit et les orientations de cette proposition de résolution. »

Alors, monsieur le ministre, allez-vous promouvoir le lien entre résilience alimentaire et sécurité nationale, à travers le continuum sécurité-défense, comme vous y invitait cette proposition de résolution ? Où en sommes-nous sur cette question ? Pouvez-vous nous préciser les intentions du Gouvernement sur un sujet dont chacun mesure bien, aujourd’hui, qu’il est essentiel ?

Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports. Monsieur le sénateur Marchand, je vous prie tout d’abord d’excuser l’absence de M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation, qui est cet après-midi à Bruxelles pour une réunion du Conseil de l’Union européenne.

Le Gouvernement tient à rappeler qu’il fait de la préservation de la santé de la population une priorité absolue. À ce titre, une attention renforcée doit être accordée à l’alimentation : Hippocrate enseignait déjà que l’alimentation est le premier médicament !

Malgré les difficultés rencontrées depuis le début de la crise de la covid-19, le secteur alimentaire a su s’adapter. Les Français ont pu disposer, tant en quantité qu’en qualité, d’une alimentation suffisante.

Cependant, comme vous l’avez souligné, ce secteur doit devenir encore plus résilient, afin de garantir la souveraineté alimentaire de la France.

L’article R. 1332-2 du code de la défense, que vous avez cité, définit les secteurs d’activité d’importance vitale. Il contient d’ores et déjà certaines dispositions pour assurer l’approvisionnement alimentaire en cas de crise. En effet, d’une part, l’alimentation figure depuis 2006 parmi les douze secteurs d’importance vitale ; le ministère de l’agriculture assure le suivi de ce dispositif. D’autre part, le périmètre du secteur d’importance vitale « alimentation » a été élargi en 2016.

Par conséquent, plusieurs opérateurs d’importance vitale définis dans le secteur de l’alimentation tiennent compte des multiples possibilités de substitution alimentaire. En cas de crise, ces opérateurs sont évidemment suivis et protégés.

Pour protéger le foncier agricole et conforter la souveraineté alimentaire de la France, des dispositions existent. Certaines d’entre elles, au sein du code rural, organisent en effet la transmission foncière dans notre pays. Aussi, en Europe comme en France, la réglementation sur le contrôle des investissements étrangers vient tout juste d’être renforcée et élargie à la production, à la transformation et à la distribution de produits agricoles.

Enfin, le Gouvernement tire tous les enseignements de la crise. Il apporte des réponses concrètes aux inquiétudes relatives à la souveraineté alimentaire française. Dans son volet agricole, le plan de relance consacre 1,2 milliard d’euros à l’agriculture et à l’alimentation. Ce budget inédit a, comme vous le savez, un but précis : permettre la reconquête de notre souveraineté alimentaire et ainsi assurer une alimentation de qualité à tous les Français.

Mme le président. La parole est à M. Frédéric Marchand, pour la réplique.

M. Frédéric Marchand. La reconquête de notre souveraineté alimentaire est bien évidemment une priorité, tout comme notre sécurité alimentaire. C’est pourquoi, me semble-t-il, il est nécessaire de continuer à travailler sur ce sujet. J’entends bien les objectifs définis et les mesures en vigueur, mais il faut encore travailler pour qu’une situation dramatique ne puisse pas se produire.

mutations des gardiens de la paix

Mme le président. La parole est à Mme Nadia Sollogoub, auteur de la question n° 1277, adressée à M. le ministre de l’intérieur.

Mme Nadia Sollogoub. Madame la ministre, je souhaite attirer votre attention sur les difficultés que rencontrent les gardiens de la paix dans l’obtention de mutations.

Deux concours permettent d’accéder au métier de gardien de la paix. Qu’ils passent l’un ou l’autre, les jeunes lauréats doivent rester au minimum une dizaine d’années dans leur première région d’affectation, en comptant les années d’école et de stage. En réalité, la mutation demandée ne sera souvent accordée que deux ou trois ans plus tard. De plus, l’aspiration à un grade supérieur prolongera cette durée de trois nouvelles années.

Pour ces jeunes gens, heureux de leur réussite au concours, l’échéance de ce contrat de huit ans doit sembler bien irréelle ; à vingt ans, ou guère plus, on n’a que très rarement organisé un projet de vie. Mais les années passent, les couples se forment, les familles se créent et les questions se posent. On souhaite s’installer, acheter une maison, faire des choix de vie. Or ils se trouvent alors pris au piège de ce contrat qui, d’un seul coup, prend toute sa dimension dans le temps. La problématique est valable dans les deux hypothèses, que ce soit pour venir en région parisienne ou, le plus souvent, pour retrouver sa région d’origine en province.

Le rapport de la commission d’enquête du Sénat sur l’état des forces de sécurité intérieure fait état d’un mal-être généralisé au travail. Il rapporte notamment de trop nombreux témoignages de gardiens de la paix qui cohabitent dans de minuscules logements parisiens, séparés de leurs conjoints et de leurs enfants.

Dans l’intérêt général, il serait souhaitable que les conditions d’évolution de carrière soient concordantes avec les projets de vie, ce qui permettrait à ces agents d’évoluer plus sereinement et plus efficacement dans leur profession.

Plus que jamais, la question se pose : est-il envisagé d’assouplir les conditions de mutation des gardiens de la paix, ou de modifier les durées de leurs contrats ?

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de lintérieur, chargée de la citoyenneté. Madame la sénatrice Sollogoub, permettez-moi de vous répondre au nom de M. le ministre de l’intérieur.

Comme vous l’avez souligné, les policiers assurent chaque jour avec dévouement, professionnalisme et courage la protection de l’ensemble des Françaises et des Français dans des situations souvent extrêmement difficiles.

Vous avez fort bien rappelé que les gardiens de la paix recrutés via le concours national sont affectés pour une durée minimale de cinq ans dans la région de leur première affectation. Ceux qui sont recrutés via le concours ouvert pour une affectation régionale en Île-de-France y sont affectés pour une durée minimale de huit ans.

Naturellement, cette situation est connue des candidats au moment où ils passent ces concours. Un engagement réciproque est alors pris. L’engagement géographique est d’ailleurs relatif, puisque les policiers ont tout à fait la possibilité de solliciter une mobilité au sein de leur zone de défense et de sécurité durant cette période. Ces zones recouvrent, comme vous le savez, plusieurs départements.

Il convient aussi de rappeler qu’en Île-de-France les policiers du corps d’encadrement et d’application bénéficient de primes tout au long de leur durée d’affectation et de divers dispositifs d’action sociale.

En effet, les services opérationnels ont besoin de visibilité et de stabilité dans l’affectation du personnel pour la bonne gestion des équipes, de ces femmes et de ces hommes. Ces règles permettent aussi une mixité féconde entre les nouveaux arrivants et les agents expérimentés qui ont une bonne connaissance de la réalité du terrain.

Vous avez raison : il existe aussi des blocages statutaires liés à l’avancement de grade. Cette exigence temporelle prend tout son sens pour les grades de brigadier-chef et de major, tant au niveau opérationnel qu’au niveau de l’engagement attendu d’un agent promu.

Au terme de ces délais, la mobilité interrégionale des gradés et des gardiens de la paix relève du mouvement annuel général de mutation dit « polyvalent ». Dans le cadre de ces campagnes de mobilité, l’administration a récemment instauré un dispositif permettant, au regard de la situation professionnelle et personnelle des fonctionnaires, d’établir un barème de points qui prend notamment en compte l’équilibre entre l’engagement professionnel des agents et leur vie familiale et personnelle. L’ancienneté dans le grade ou dans le service de l’agent formulant une demande de mutation est l’un des éléments pris en compte.

Pour conclure, madame la sénatrice, je voudrais vous assurer que des réflexions sont engagées dans le sens que vous évoquiez, pour parvenir à un meilleur équilibre, dans les territoires en tension, entre les primoaffectations et la possibilité de réaliser des mouvements de mutation sur ces zones, y compris dans les régions, sans porter atteinte aux besoins spécifiques de Paris et de sa région.

Mme le président. Il faudrait conclure, madame la ministre.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Le ministère de l’intérieur est particulièrement attentif à cette question.

Mme le président. La parole est à Mme Nadia Sollogoub, pour la réplique.

Mme Nadia Sollogoub. Je veux citer quelques mots de la lettre que j’ai reçue d’une jeune gardienne de la paix : « Je vous adresse ce présent courrier comme je lancerais une bouteille à la mer : un appel à l’aide émanant du cœur d’un couple travaillant au service de l’État depuis leur plus jeune âge. Vous qui ne pouvez ignorer l’actualité, vous avez forcément conscience que ce métier est difficile, puisque nous côtoyons au quotidien les divers maux de la société. Vous comprendrez ainsi qu’il est primordial pour un policier de pouvoir, en parallèle, avoir une échappatoire dans sa sphère privée. Forte de caractère et très impliquée dans mon travail, je ne peux vous cacher que je perds pied de jour en jour. La dépression me guette, bien que je fasse preuve de tous les efforts possibles pour tenir. Je suis à bout de forces ! Tout est lié à notre éloignement géographique, tous les problèmes que nous subissons découlent ainsi les uns des autres, un cercle vicieux dont nous ne parvenons pas à sortir. »

Je peux vous dire que, pour obtenir la mutation de cette gardienne de la paix, il a fallu mener bataille pendant des mois, voire des années ! Vraiment, on ne peut pas laisser ces agents dans cette situation ; il faut que ça change !

signature authentique à distance pour les français de l’étranger

Mme le président. La parole est à Mme Jacky Deromedi, auteur de la question n° 1390, adressée à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

Mme Jacky Deromedi. Madame la ministre, je souhaite attirer votre attention sur les difficultés que rencontrent nos compatriotes expatriés en matière d’actes notariés à distance.

En effet, la suppression des fonctions notariales des agents diplomatiques et consulaires a mis nos concitoyens en difficulté.

Un décret du 20 novembre dernier a pérennisé le régime des procurations notariées à distance. Il permettra de réaliser une partie des actes notariés à distance, en donnant procuration pour être représenté à une signature, en particulier en matière de transactions immobilières, qu’il s’agisse de vente, d’achat, ou de partage.

Mais nos compatriotes expatriés souhaitent que soit autorisée la signature authentique à distance. Lorsqu’ils se marient à l’étranger, il est important qu’ils aient la possibilité d’établir des contrats de mariage. Il en est de même en matière de successions ; celles-ci ne peuvent être définitivement réglées à distance.

Nos compatriotes sont confinés dans beaucoup de pays, ou ne peuvent se déplacer en raison de leurs contraintes sanitaires et professionnelles, ou tout simplement du coût que ces déplacements représentent.

Bien évidemment la situation sanitaire aggrave encore ces difficultés tout en augmentant ce besoin, en particulier lorsque l’un de leurs proches décède en France et qu’il faut régler la succession.

J’avais fait adopter deux fois une telle possibilité par le Sénat, sans opposition du Gouvernement, le 19 mai dernier au sein de la proposition de loi relative aux Français établis hors de France, de M. Bruno Retailleau, dont j’étais rapporteur, puis lors de la discussion de la loi du 14 novembre 2020 de prorogation de l’état d’urgence.

Le président du Conseil supérieur du notariat m’a informée que les trois quarts des offices de France disposent de dispositifs de visioconférence totalement sécurisés permettant d’effectuer ces opérations à distance. Bien entendu, une certaine prudence s’impose, puisqu’il s’agit d’un système nouveau, mais ne peut-on imaginer au moins une expérimentation en visioconférence ?

Une autre solution a été envisagée : il s’agit de conventions de coopération entre institutions notariales françaises et étrangères et de conventions sur la reconnaissance mutuelle des actes authentiques. Le Gouvernement entend-il les favoriser pour aider efficacement nos compatriotes expatriés ?

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de lintérieur, chargée de la citoyenneté. Madame la sénatrice Deromedi, permettez-moi de vous répondre au nom de M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, qui est retenu et m’a demandé de le représenter pour répondre à votre question.

Vous évoquez le sujet important des actes notariés à l’étranger. La volonté du Gouvernement en la matière est de garantir le bon fonctionnement, mais surtout la sécurité des échanges qui peuvent être requis.

Comme vous l’avez rappelé en détail, jusque tout récemment, les actes notariés devaient être signés avec la présence physique des parties à l’acte devant un notaire. Le décret du 20 novembre 2020 permet de désigner à distance un mandataire pour conclure un acte authentique notarié, ce qui poursuit l’adaptation du service public notarial à l’ère du numérique et permet de prendre divers engagements sous ces nouvelles formes adaptées aux échanges numériques.

Il est donc désormais possible de signer à distance une procuration, notamment à un clerc de l’étude, pour conclure toutes sortes d’opérations notariées sans avoir à se déplacer.

Dans le contexte de la crise sanitaire, ce décret permet la poursuite de l’activité notariale. La fermeture des frontières ne fait donc plus obstacle à l’établissement des actes notariés. Ce décret est aussi important pour les Français établis à l’étranger qui font face à la fermeture progressive des attributions notariales dans les ambassades et les consulats.

Le Gouvernement a fait le choix, dans un premier temps, de circonscrire ce dispositif pérenne aux seules procurations notariées, afin de garantir l’équilibre que j’évoquais, entre la sécurité des échanges et le bon fonctionnement du dispositif.

Si cette expérience s’avère satisfaisante lors de son évaluation, l’extension à d’autres actes notariés pourra être envisagée.

Mme le président. La parole est à Mme Jacky Deromedi, pour la réplique.

Mme Jacky Deromedi. Madame la ministre, je suis vraiment désolée, mais ce n’est vraiment pas ainsi qu’il convient d’agir. Une procuration ne permet pas de signer un contrat de mariage : il faut que les deux personnes soient présentes. Il en est de même pour un testament : il faut que le testateur soit présent devant un notaire. Ce service était mis à disposition de nos compatriotes par les postes diplomatiques il y a encore quelques années ; ce n’est plus le cas. Dès lors que le Conseil supérieur du notariat est prêt à s’engager dans une expérimentation, je ne vois pas pourquoi on leur refuse cette possibilité.

déclarations de nationalité française relevant du ministère de la justice et souscrites à l’étranger

Mme le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, auteur de la question n° 1397, adressée à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Jean-Yves Leconte. Madame la ministre, ma question porte sur les déclarations de nationalité française (DNF) relevant du ministère de la justice et souscrites à l’étranger. Je l’avais donc initialement adressée à M. le garde des sceaux. Posée le 8 août dernier en tant que question écrite, elle n’avait pas encore, à ce jour, obtenu de réponse.

S’agissant de ces catégories de déclaration, l’article 36 du décret du 30 décembre 2019 introduit une différence de traitement selon que le déclarant réside en France ou vit à l’étranger.

Avant ce décret, les résidents à l’étranger qui souscrivaient une DNF se voyaient délivrer par les postes consulaires un récépissé « après remise des pièces nécessaires à la preuve de leur recevabilité », tel que prévu par notre code civil. Cela assurait une parfaite égalité de traitement avec les souscriptions réalisées en France auprès du tribunal judiciaire.

Si, dans ce dernier cas, le récépissé est toujours remis le jour de la souscription, le nouveau décret ne permet plus sa remise par nos postes hors de France, l’autorité consulaire devant désormais se limiter à transmettre le dossier au ministère de la justice. Ce n’est qu’ensuite que le ministre de la justice délivre le récépissé, « dès qu’il a reçu la totalité des pièces nécessaires à la preuve de la recevabilité de la déclaration », et l’adresse au déclarant.

Cette nouvelle procédure différenciée pose plusieurs difficultés pour les déclarants résidant à l’étranger.

D’une part, ce récépissé revêt une importance particulière, sa date de délivrance constituant le point de départ du délai d’enregistrement des DNF. Ce délai d’enregistrement sera donc très allongé quand le déclarant réside hors de France, sachant que les délais d’acheminement via les services de la valise diplomatique peuvent prendre jusqu’à huit semaines, sans compter les délais induits par la charge de travail de certains de nos postes particulièrement sollicités en la matière.

D’autre part, la remise de documents exigés en originaux, comme les décisions de justice étrangères d’adoption simple, ou de recueils légaux, qui sont particulièrement importantes, ne sera plus établie le jour même par la délivrance du récépissé qui en listait les pièces communiquées. Si ce dossier se perdait entre son dépôt et sa réception par le ministère, le déclarant ne disposerait d’aucune preuve qu’il a bien remis ses originaux au poste.

Aussi, madame la ministre, je souhaite savoir si le garde des sceaux envisage de prendre une circulaire permettant de réduire ces différenciations de traitement et s’il est prévu que les pièces originales remises aux consulats fassent l’objet d’un enregistrement spécifique avant leur envoi à son ministère.

Le garde des sceaux a-t-il donné des instructions imposant la remise par les autorités consulaires d’un bordereau des pièces effectivement déposées, ou d’une attestation de dépôt ?

Le récépissé, qui sera in fine adressé par le ministère de la justice au déclarant, sera-t-il daté du jour du dépôt des pièces au poste, ou bien du jour où le ministère recevra le dossier ?

Mme le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Jean-Yves Leconte. Surtout, ce récépissé sera-t-il bien envoyé par le ministère de la justice au poste avec obligation pour ce dernier de convoquer l’intéressé pour la remise du récépissé en main propre ?

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de lintérieur, chargée de la citoyenneté. Monsieur le sénateur, je m’exprime au nom de M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, qui m’a demandé de le représenter pour vous répondre.

Par le décret du 30 décembre 2019, le Gouvernement a entendu prendre en considération la différence objective qui existe entre les déclarations de nationalité selon qu’elles sont souscrites en France ou à l’étranger : les premières relèvent de la seule compétence des directeurs des services de greffe judiciaires, alors que les secondes sont reçues par l’autorité diplomatique ou consulaire, mais instruites par le ministère de la justice.

En effet, lorsque la déclaration de nationalité est souscrite en France, c’est le directeur des services de greffe judiciaires qui étudie les pièces et sollicite des compléments s’il le juge nécessaire ; il prend et notifie la décision d’enregistrement ou de refus d’enregistrement. Il est donc logique que la délivrance du récépissé lui revienne.

Tel n’est pas le cas de la déclaration souscrite à l’étranger auprès de l’autorité diplomatique ou consulaire, qui n’a aucune compétence pour instruire cette souscription ou décider des suites à lui donner. Cette compétence incombe en effet exclusivement au ministère de la justice.

Si la liste des pièces à produire à l’appui de la déclaration était déjà fixée par le décret du 30 décembre 1993, le récépissé était délivré par l’autorité consulaire, sans que cette dernière soit à même d’apprécier la complétude du dossier, ce qui contraignait parfois le ministère de la justice à solliciter a posteriori les pièces complémentaires indispensables au traitement de la déclaration souscrite, avec tous les problèmes en cascade que cela engendre.

La charge de travail des postes consulaires, ajoutée au temps d’acheminement des envois diplomatiques, conduisait aussi souvent à entamer le délai de six mois légalement imparti pour instruire, décider et notifier la décision. C’est pour remédier à cette situation insatisfaisante que l’article 29 du décret du 30 décembre 1993 a été modifié par le décret du 30 décembre 2019.

Cette modification permet d’harmoniser la situation des personnes résidant à l’étranger et de celles résidant en France puisque, quel que soit le cas, la délivrance du récépissé, daté du jour du constat de la complétude du dossier, incombe désormais à l’autorité chargée de l’instruction et du pouvoir de décision.

Tout comme par le passé, les deux exemplaires de la déclaration accompagnés des originaux des pièces produites sont transmis au ministère de la justice par la valise diplomatique. L’autorité diplomatique ou consulaire conserve une copie des pièces envoyées. Elle remet ensuite en main propre au déclarant le récépissé que lui fait parvenir le ministère de la justice dès que ce dernier a été mis en possession de l’ensemble des pièces nécessaires à l’instruction de la déclaration.

Les garanties entourant la procédure apparaissent en conséquence suffisantes pour préserver les droits des déclarants résidant à l’étranger.

situation des guides-conférenciers de france

Mme le président. La parole est à Mme Laurence Harribey, auteure de la question n° 1306, transmise à Mme la ministre de la culture.

Mme Laurence Harribey. Ma question porte sur la situation difficile des guides-conférenciers, acteurs essentiels du tourisme, qui constitue un secteur fondamental de notre économie.

La crise sanitaire, vous le savez, révèle au grand jour leur précarité, du fait d’une activité par principe très saisonnière et dépendante des aléas de l’actualité – aujourd’hui c’est la pandémie, mais il y a déjà eu les attentats ou des crises sociales comme celle des gilets jaunes –, mais aussi en raison de leur statut et de l’accomplissement d’un travail qui est le plus souvent « à la mission ».

Dans une question écrite du mois de mai 2020, j’appelais déjà à un statut plus protecteur de cette profession. La réponse qui m’a été faite en juillet 2020 s’est limitée à rappeler que les réformes successives, notamment celles de 2011 et de 2016, assuraient un cadre d’exercice suffisamment protecteur. Pour autant, ces avancées n’empêchent pas une concurrence déloyale, avec le développement d’une forme d’uberisation de la profession via des plateformes peu soucieuses des conditions d’exercice du métier.

En outre, la réponse relevait qu’il y avait un risque juridique européen à trop réglementer, du fait du respect nécessaire de proportionnalité dans les règles nationales d’accès à des professions réglementées. Cependant, s’il était affirmé que 50 % des États membres ne réglementaient pas, il n’empêche que les 50 % restant réglementent, ce d’une manière très stricte, à l’image de l’Italie.

D’où deux questions : pourquoi ne pas revoir le statut des guides-conférenciers, qui se sentent des laissés-pour-compte ; et pourquoi, compte tenu de l’urgence, ne pas ouvrir à ces professionnels un dispositif tel que celui de l’année blanche, à l’imitation de ce qui a été fait pour les intermittents du spectacle ?

Mme le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture. Madame la sénatrice, s’il reste difficile d’estimer le nombre des guides-conférenciers, on considère que 7 000 personnes environ exercent cette profession aujourd’hui dans notre pays, réglementée par l’article L. 221-1 du code du tourisme. Vous soulignez à juste titre le rôle de premier plan que tiennent ces professionnels dans la transmission du patrimoine historique et culturel, à travers la conduite de visites guidées dans les musées et monuments historiques – je sais qu’ils sont nombreux dans votre département de Gironde.

Les difficultés qu’ils rencontrent sont réelles : ils ont été privés d’activité pendant la période de confinement et se trouvent encore dans une situation difficile du fait de l’effondrement de la fréquentation des lieux pour lesquels ils travaillent. Ces difficultés ont été rapidement prises en compte par le Gouvernement, dans le cadre d’un travail mené conjointement avec le ministère du travail, de l’emploi et de l’insertion et le ministère de l’économie, des finances et de la relance. Ces professionnels sont en effet pleinement éligibles aux dispositifs transversaux de soutien mis en place, à savoir le fonds de solidarité, la prise en charge majorée de l’activité partielle et les prêts garantis par l’État.

Au-delà de ces aides financières, nous réfléchissons bien évidemment à l’organisation de cette profession qui connaît de vraies disparités. Heureusement, il y a des gens qui ne sont pas ou peu concernés par les difficultés qui ont été prises en charge ; il y a aussi une part d’économie grise dans ces professions qui est tout à fait considérable.

Comme vous le souhaitez, une réflexion est bien engagée pour aller vers un statut plus protecteur. Un groupe de travail interministériel, qui réunit les trois principaux fédérations et syndicats professionnels représentatifs des guides-conférenciers, a été mis en place et se réunit régulièrement. Il nous permet notamment d’avancer sur la question de la sécurisation des cartes professionnelles, mais également sur la création d’un registre numérique pour éviter les falsifications.

Par ailleurs, afin de renforcer la connaissance sur cette profession et d’en évaluer les besoins, une étude monographique du secteur – dont la dernière date de plus de dix ans – a été lancée. Nous agissons donc pour le présent, en accompagnant pendant la crise cette profession qui regroupe des situations disparates, mais aussi pour l’avenir en réfléchissant, avec l’ensemble de ses représentants, sur une meilleure réglementation de l’exercice du métier.

Les guides-conférenciers sont appelés à jouer un rôle majeur dans la reprise des activités culturelles et du tourisme dans les semaines et les mois à venir. Soyez assurée de l’engagement du Gouvernement à leurs côtés.

Mme le président. La parole est à Mme Laurence Harribey, pour la réplique.

Mme Laurence Harribey. Je prends acte, madame la ministre, non seulement que vous réfléchissiez à tout cela, mais aussi qu’une concertation est en cours. Je souhaiterais aussi vous inviter à prendre en compte tout l’aspect illégal d’un certain nombre de plateformes, dénommées les free tours, de manière à aller vers une réglementation beaucoup plus stricte, à l’image de l’Italie et de la Grèce, pays dans lesquels la profession est bien plus protégée. (Mme la ministre opine.)

droit à une rémunération équitable et impact sur les aides à la création

Mme le président. La parole est à Mme Sylvie Robert, auteure de la question n° 1389, adressée à Mme la ministre de la culture.

Mme Sylvie Robert. Il est une évidence incontestable et connue de tous : le secteur culturel est gravement fragilisé par la crise sanitaire actuelle. En plus des turbulences extrêmes engendrées par la covid-19 et la fermeture administrative des lieux culturels, d’autres facteurs exogènes viennent mettre en danger le soutien économique apporté aux créateurs et aux artistes. C’est le cas de l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) du 8 septembre dernier.

En effet, la décision de la CJUE a des conséquences très lourdes en matière d’aides à la création. En posant le principe selon lequel les États membres ne peuvent « exclure les artistes interprètes ou exécutants qui sont ressortissants d’États tiers à l’espace économique européen (EEE) du droit à une rémunération équitable », elle oblige à ce que la diffusion de phonogrammes hors EEE, singulièrement américains, entraîne le versement de ce droit voisin aux artistes-interprètes et producteurs concernés.

Or tel n’était pas le cas jusqu’à présent en France, car dans une logique de réciprocité, les organismes de gestion collective (OGC) n’étaient pas tenus de reverser les sommes perçues au titre de la rémunération équitable, dès lors que les phonogrammes provenaient d’États n’ayant pas ratifié les traités internationaux protégeant ladite rémunération, dont en particulier la convention de Rome de 1961, à l’image des États-Unis.

Ainsi, ces droits voisins, considérés comme des « irrépartissables », étaient destinés à l’action artistique et culturelle des OGC. Plus précisément, ils prenaient la forme d’aides à la création pour un montant estimé entre 25 et 30 millions d’euros. Il s’ensuit que cet arrêt écorne brusquement le modèle de financement de la création artistique en France et, plus globalement, en Europe.

Par conséquent, envisagez-vous, madame la ministre, de consolider à court terme, à la suite de cet arrêt, les aides à la création ? Et, si oui, comment ? En outre, entendez-vous mener les actions nécessaires au niveau européen pour obtenir une application pleine et entière du principe de réciprocité avec les États tiers, tout particulièrement avec les États-Unis, s’agissant du droit à une rémunération équitable, ce afin de mieux protéger les artistes-interprètes, producteurs français et européens ?

Mme le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture. Je vous remercie, madame la sénatrice, de poser cette question, car elle concerne un sujet extrêmement important.

Par son arrêt du 8 septembre 2020, la CJUE a en effet décidé qu’il n’appartenait pas aux législateurs nationaux d’évaluer la répartition des droits voisins, au titre de la rémunération équitable vers les ressortissants d’État tiers. Un État membre ne peut limiter, de lui-même, sans que le droit de l’Union l’y autorise spécifiquement, le droit à rémunération équitable des ayants droit issus de pays tiers, qui n’appliquent pas ce droit sur leur territoire.

Cet arrêt – vous l’avez souligné – vient bouleverser la pratique française, puisque les droits à rémunération équitable collectés sur les phonogrammes issus d’États tiers ayant notifié des réserves aux conventions de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) étaient considérés comme des « irrépartissables juridiques ». Il en allait ainsi des collectes liées à la diffusion d’enregistrements américains, les États-Unis n’ayant pas signé la convention de Rome de 1961 pour la protection des artistes-interprètes ou exécutants.

L’arrêt de la CJUE remet en cause l’usage de ces sommes irrépartissables, qui apportent aujourd’hui une contribution essentielle à la production artistique française, mais aussi à la vitalité artistique de nos territoires. À cet égard, vous avez évoqué un montant, encore faudrait-il savoir s’il n’y a pas rétroactivité de l’arrêt de la CJUE… Le point n’est pas encore tranché. C’est très grave, car les OGC d’artistes et de producteurs ont l’obligation d’utiliser ces sommes à destination d’aides à la création et à la diffusion – je pense en particulier à nos festivals.

Cette remise en cause, dans le contexte économique très difficile de la pandémie de covid-19, est particulièrement inopportune. Je m’en suis saisie rapidement avec une action sur deux volets.

D’une part, l’article 35 de la loi du 3 décembre 2020, dite Ddadue, permet de sécuriser, pour le passé, le système français d’aides à la création et à la production musicales, sous réserve des actions contentieuses introduites avant la publication de ladite loi. Il valide en effet l’utilisation des sommes attribuées par le passé par les OGC, au titre de l’aide à la création. Ce faisant, il répond à un motif d’intérêt général manifeste, qu’est la promotion de la diversité culturelle et artistique.

D’autre part, j’ai sensibilisé très fortement nos partenaires sur le plan européen, en alertant le commissaire Thierry Breton, mais également les eurodéputés français mobilisés sur ces enjeux. Je souhaite qu’un texte législatif – lequel serait assez simple en réalité – puisse être rapidement présenté, pour permettre de conforter notre dispositif de rémunération équitable, ainsi qu’une application effective du principe de réciprocité.

Mme le président. La parole est à Mme Sylvie Robert, pour la réplique.

Mme Sylvie Robert. Je tiens à vous remercier, madame la ministre, de votre réponse. En effet, dans la période actuelle, cette décision est malencontreuse et pénalisera encore plus le monde de la culture. J’espère que la présidence portugaise, à partir du 1er janvier, permettra de faciliter les choses !

Vous l’avez dit, et je suis tout à fait d’accord avec vous, ce sont bien des motifs d’intérêt général qui doivent guider ces aides à la création. J’espère en tout cas que vous réussirez, et nous serons présents pour vous soutenir.

report de charges des entreprises

Mme le président. La parole est à Mme Florence Lassarade, auteure de la question n° 1407, adressée à M. le ministre de l’économie, des finances et de la relance.

Mme Florence Lassarade. Ma question porte sur les modalités de sortie du confinement pour les entreprises concernées par le report de charges.

En effet, à l’heure actuelle, certaines entreprises, de tous secteurs, bénéficient d’un report de charges auprès de l’Urssaf ou de la Mutualité sociale agricole (MSA). Or ces dettes fiscales cumulées depuis le début de la crise sanitaire sont évidemment importantes.

Compte tenu des pertes subies par les entreprises, elles ne pourront faire face à de telles charges, sans mettre en péril leur pérennité. Dans un contexte de crise inédit, je souhaiterais savoir, monsieur le secrétaire d’État, quelles sont les dispositions qui seront mises en œuvre en faveur des entreprises pour accompagner la sortie du confinement, et si l’effacement des dettes fiscales est à l’ordre du jour. Cet effacement constituerait un levier fort pour la relance économique.

Mme le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Cédric O, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Le Gouvernement est particulièrement sensible à la situation de tous et s’efforce d’apporter son soutien, tant aux entreprises qu’aux travailleurs indépendants.

Depuis le début de la crise liée à l’épidémie de covid-19, et afin de concrétiser les annonces du Président de la République, le Gouvernement a mis en place différentes mesures de soutien aux entreprises : indemnisation de l’activité partielle, fonds de solidarité, prêts garantis par l’État, reports d’échéances fiscales et de cotisations sociales, accélération des remboursements de crédit de TVA ou d’impôt sur les sociétés, etc.

À l’occasion du rebond de la crise en cette fin d’année, les services de l’État sont restés mobilisés pour apporter tout le soutien possible aux entreprises en difficulté. Concernant les échéances fiscales, les services des impôts des entreprises constituent aujourd’hui l’interlocuteur privilégié des entreprises en difficulté, lesquelles peuvent ainsi se voir accorder, au cas par cas, des délais de paiement sur les impôts directs, qu’il s’agisse de la taxe foncière, de la cotisation foncière des entreprises (CFE) ou de l’impôt sur les sociétés.

En étalant la charge financière selon un calendrier compatible avec leur situation financière, ces plans de règlement ont vocation à soutenir les entreprises particulièrement touchées par les conséquences économiques de la crise sanitaire.

Les services des impôts des entreprises sont également là pour aider les entreprises qui ont dû reporter des échéances fiscales au printemps dernier et qui n’ont pas encore pu les payer : des plans de règlement Spécifique covid-19 sont proposés afin d’accompagner au mieux les entreprises.

Ces plans de règlement visent à échelonner le paiement des impôts initialement dus entre le 1er mars et le 31 mai, sur une durée de douze, de vingt-quatre, voire de trente-six mois, en fonction du niveau d’endettement.

Les entreprises en difficulté doivent se signaler au plus tôt et déposer leur demande d’étalement de dette fiscale au plus tard le 31 décembre 2020, en complétant le formulaire disponible sur le site impots.gouv.fr.

Mme le président. La parole est à Mme Florence Lassarade, pour la réplique.

Mme Florence Lassarade. Je prends bien acte de l’aide apportée par l’État, qui a été considérable en ces moments difficiles. Cette période de rebond n’était pas prévue et il peut très bien y avoir une troisième vague. Ces entreprises sont bien sûr aidées dans l’étalement de leurs dettes fiscales…

Cependant, je vous posais la question plus précise des charges sociales : ce n’est pas tout à fait la même chose que la fiscalité. Cela participe à l’effondrement de ces petites entreprises. Un geste sur cet aspect de leur endettement serait le bienvenu. J’espère que vous y réfléchirez.

inquiétudes des salariés des usines madrange en haute-vienne pour leurs emplois

Mme le président. La parole est à Mme Isabelle Briquet, auteure de la question n° 1352, adressée à M. le ministre de l’économie, des finances et de la relance.

Mme Isabelle Briquet. Le 16 juillet dernier, l’Autorité de la concurrence a condamné pour des faits d’entente la société Cooperl Arc Atlantique à une amende de plus de 35 millions d’euros.

Compte tenu des incidences de cette décision sur le plan économique et financier, celle-ci a fait appel. Ce dernier n’étant pas suspensif, elle semblait vouloir solliciter un sursis à exécution de la décision. Sans ce sursis, la société risque de se retrouver face à de graves difficultés financières, voire d’être en cessation de paiements, et sera ainsi probablement contrainte d’engager un plan de restructuration avec d’éventuelles fermetures d’usines.

S’il ne me revient absolument pas de me prononcer sur le fond du dossier et de commenter la décision de l’Autorité de la concurrence, il faut bien reconnaître qu’une telle sanction fait peser un risque pour l’activité du groupe et l’emploi de ses salariés, tant au niveau national qu’au niveau local. Dans mon département de la Haute-Vienne, ce sont ainsi près de 500 salariés, sur les sites de Limoges et de Feytiat, qui sont inquiets pour la survie de leurs usines et de leurs emplois.

Constatant que le ministre de l’économie, des finances et de la relance a publié un communiqué de presse au sujet de la situation du groupe Cooperl Arc Atlantique le 21 octobre dernier, je sais que le Gouvernement est particulièrement vigilant à la situation.

Aussi, monsieur le secrétaire d’État, je souhaiterais savoir quelles mesures concrètes le Gouvernement entend mettre en œuvre dans les prochaines semaines, pour assurer la pérennité de l’outil industriel et la sauvegarde des emplois des salariés de la société Cooperl Arc Atlantique, et ainsi éviter toute casse sociale, qui serait dramatique dans le contexte économique et social si difficile que nous connaissons depuis la crise sanitaire.

Mme le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Cédric O, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Vous m’interrogez sur les inquiétudes des salariés des usines Madrange en Haute-Vienne pour leurs emplois. Ces usines sont la propriété de la coopérative bretonne Cooperl Arc Atlantique. Cette dernière a été sanctionnée par l’Autorité de la concurrence, dans une décision du 16 juillet 2020, à une amende de 35 millions d’euros, pour avoir pris part à un cartel dans le secteur du jambon et de la charcuterie.

L’Autorité indique dans sa décision que la société Cooperl se serait entendue, avec six autres entreprises, sur des hausses de prix des produits de charcuterie vendus à la grande distribution entre 2010 et 2012.

Dès l’été dernier, l’entreprise Cooperl a alerté le ministère de l’économie, des finances et de la relance sur le fait que cette amende pourrait mettre en péril son activité et engendrer une restructuration de celle-ci. Ma collègue Agnès Pannier-Runacher, qui a suivi ce dossier, et moi-même, en qualité de membres du Gouvernement, sommes tenus au respect de la décision de l’Autorité de la concurrence, qui est une autorité administrative indépendante.

Pour autant, ma collègue, sensible aux conséquences économiques que pourrait générer une telle amende, a mobilisé dès le mois d’août les services du ministère, qui sont entrés en contact avec l’entreprise Cooperl. Ces derniers lui ont indiqué, dès cet été, qu’elle pouvait solliciter un sursis à exécution du paiement auprès de la cour d’appel de Paris et que, en cas non-obtention de ce sursis, un échelonnement de l’amende pourrait être sollicité auprès de la Direction des créances spéciales du Trésor.

L’entreprise a déjà introduit un recours en annulation de la décision de l’Autorité de la concurrence auprès de la cour d’appel de Paris, et a également déposé une requête auprès du premier président afin d’obtenir le sursis à exécution de la décision.

Sans préjuger du jugement de la cour d’appel sur le sursis, un accord confidentiel a déjà été conclu entre l’entreprise Cooperl et la direction générale des finances publiques (DGFiP) afin de sécuriser les modalités de l’exécution de l’amende. Cet accord permettra son paiement dans des conditions de délai compatibles avec la capacité de remboursement du groupe, afin que cela ne représente pas un risque pour l’activité du groupe et l’emploi de ses salariés.

Grâce à cet accord, l’entreprise Cooperl a déclaré que son activité et les emplois de ses différents sites n’étaient pas menacés. Il en est donc ainsi pour les emplois des usines Madrange.

Mme le président. La parole est à Mme Isabelle Briquet, pour la réplique.

Mme Isabelle Briquet. Je vous remercie, monsieur le secrétaire d’État, de votre réponse. Il est vrai qu’en ces temps de crise sanitaire, beaucoup d’emplois, malheureusement, sont mis en jeu et les pertes s’accumulent chaque jour un peu plus. Il convient de s’assurer que, là où il n’y a pas de difficulté, on ne puisse pas en rajouter, afin de ne pas mettre à mal d’autres pans de notre industrie et les emplois qui y sont liés.

prises de participation étrangères dans le secteur de la santé

Mme le président. La parole est à M. Stéphane Demilly, auteur de la question n° 1394, adressée à M. le ministre de l’économie, des finances et de la relance.

M. Stéphane Demilly. Nous assistons, depuis quelque temps, à une prise de participation d’investisseurs étrangers dans certains secteurs stratégiques pour notre pays, notamment celui de la santé.

Des fonds étrangers ont en effet manifesté leur intérêt à racheter des parts dans des établissements privés, en particulier dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad).

En France, près de 7 400 Ehpad accueillent un peu plus de 650 000 personnes âgées dépendantes, et durant la crise de covid-19, plus de 10 400 de ces personnes y sont malheureusement décédées.

Alors que l’épidémie a mis en évidence le manque de moyens et de personnel de certains Ehpad, les intérêts privés continuent à s’attaquer à ce véritable business de la santé.

Si mes informations sont exactes – la presse s’en est d’ailleurs fait l’écho –, un important groupe d’Ehpad en France, dont l’actionnaire majoritaire est un fonds britannique, bénéficierait d’une structure domiciliée à Jersey pour optimiser ses avantages financiers. Pour le dire autrement, des profits importants réalisés chez nous, en France, par des établissements français s’envolent, ou s’envoleraient vers des pays à la fiscalité avantageuse.

Naturellement, baser une structure au Luxembourg ou à Jersey, alors que l’activité essentielle se réalise en France, n’est pas anodin. Ces sociétés écrans useraient, ou abuseraient de l’ingénierie financière pour échapper aux règles comptables en vigueur en France : c’est une opacité financière particulièrement choquante !

Pourtant, le droit français doit protéger nos établissements de santé, l’article R. 153-2 du code monétaire et financier disposant que « la protection de la santé » fait partie des secteurs d’activité dans lesquels les investissements étrangers doivent être soumis à autorisation préalable.

Ce mécanisme juridique doit être mis en œuvre de façon urgente !

La France doit aujourd’hui, plus que jamais, réaffirmer sa souveraineté sur les secteurs stratégiques de son économie et de sa santé. Cette prise de contrôle de nos structures nationales se fait au détriment d’investisseurs français eux-mêmes capables de porter ces projets : c’est un comble ! On ne peut pas, d’un côté, applaudir nos personnels soignants tous les soirs à la fenêtre, regretter les manques de moyens humains et financiers de nos établissements et y injecter des milliards d’euros pour combler ces lacunes et, de l’autre, fermer les yeux sur cette course indécente au profit dans le secteur juteux de la « santé business ».

Monsieur le secrétaire d’État, que compte faire le Gouvernement pour protéger les entreprises françaises de santé des prises de participation étrangères ?

Mme le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Cédric O, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Les relations financières entre la France et l’étranger sont libres. Toutefois, par exception, dans des secteurs limitativement énumérés touchant à la défense nationale ou susceptibles de mettre en jeu l’ordre public et des activités essentielles à la garantie des intérêts du pays, l’article R. 151-3 du code monétaire et financier soumet les investissements étrangers à une procédure d’autorisation préalable.

Un investissement étranger en France doit faire l’objet d’une autorisation dans le cadre de la procédure d’investissements étrangers en France (IEF), si trois conditions, tenant à la provenance de l’investissement, à la nature de l’opération envisagée et à la nature de l’activité de la société cible, sont remplies. Si l’une de ces conditions n’est pas satisfaite, l’investissement ne peut pas être soumis à autorisation.

Bruno Le Maire a annoncé, le 29 avril dernier, une adaptation de la procédure de contrôle IEF dans le contexte de la crise sanitaire et économique en cours, qui fragilise les entreprises françaises et en font ainsi la cible d’investisseurs étrangers.

Deux changements peuvent être soulignés. Premièrement, nous avons d’abord signé un arrêté incluant les biotechnologies dans la liste des technologies dites « critiques », faisant l’objet d’un contrôle spécifique. Deuxièmement, le ministre a annoncé l’abaissement temporaire du seuil de prise de participation dans des entreprises sensibles nécessitant une autorisation. Le seuil précédent de 25 % sera ainsi abaissé à 10 % pour les entreprises cotées, qui ont un actionnariat parfois dispersé et pour lesquelles une prise de participation, même minoritaire, peut être déstabilisatrice, lorsqu’elle est inamicale.

Je veux enfin citer le règlement européen établissant un cadre pour le filtrage des investissements directs étrangers au sein de l’Union européenne, qui est entré en application le 11 octobre 2020. La France qui, avec l’Allemagne et l’Italie, avait pris l’initiative de ce règlement, a anticipé ces évolutions en veillant, dès 2018, à la protection accrue de ces actifs stratégiques : en témoigne la refonte complète du dispositif IEF. Le règlement européen permet aujourd’hui aux États membres et à la Commission européenne d’échanger des informations et de partager leurs analyses des enjeux, et parfois des risques, que peuvent présenter certains projets d’investissement devant avoir lieu sur le territoire européen.

Ainsi, la France peut désormais communiquer des informations et émettre des avis sur un investissement étranger réalisé dans un autre État membre de l’Union européenne, et réciproquement.

opportunité du transfert de taxes fiscales perçues par la direction générale des douanes et des droits indirects

Mme le président. La parole est à M. Laurent Burgoa, auteur de la question n° 1393, adressée à M. le ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics.

M. Laurent Burgoa. Je m’interroge, monsieur le secrétaire d’État, sur l’opportunité du transfert, à l’horizon des années 2022-2024, des principales taxes fiscales perçues par la direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI), au profit de la direction générale des finances publiques (DGFiP).

Pour illustrer cette interrogation, je tiens à rappeler que la perception des différentes taxes par l’administration des douanes rapportait, au budget de l’État, plus de 34 milliards d’euros en 2019. C’est une somme peu négligeable par les temps qui courent !

Or il m’a été rappelé qu’en 2019, un transfert des boissons non alcooliques (BNA) avait déjà eu lieu au profit de la DGFiP, ayant eu pour conséquence une perte notable des recettes, soit environ 20 % des 500 millions d’euros attendus, somme, là aussi, non négligeable.

Sans doute allez-vous contester ces chiffres, mais je vous rappelle que la variation du recouvrement de ces taxes doit prendre en compte les changements de tarifs opérés à la moitié de l’année 2018 et 2019.

Qu’on ne s’y méprenne pas : il ne s’agit pas d’accabler la DGFiP ; elle n’a pas bénéficié d’effectifs supplémentaires ! Surtout, la méthode repose, non pas sur un contrôle physique réalisé en entreprise, ou à la circulation, comme le font les brigades des douanes, mais sur des contrôles documentaires a posteriori.

Aussi, à terme, c’est la disparition des bureaux de proximité qui est en question. En Occitanie, de petites structures de l’administration douanière ont déjà été fermées, alors qu’elles aussi effectuaient des contrôles dans les sociétés.

Nos services des douanes, s’ils manquent eux aussi de moyens, ont prouvé leur efficacité. Ils ont ainsi permis – rappelons-le ! – de protéger l’industrie française de distorsions de concurrence et demeurent des acteurs du respect des normes écologiques. En effet, nous pourrons voter ici toutes les lois que nous voulons, vous pourrez prendre tous les décrets que vous voudrez : s’il n’y a pas des femmes et des hommes pour veiller concrètement, sur le terrain, à leur bonne application, alors notre hémicycle ne sera plus que le vestige, certes bruyant, d’un État de droit.

Êtes-vous certain de cette stratégie, et en attendez-vous réellement des économies d’échelle ?

Mme le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Cédric O, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Monsieur le sénateur, votre question soulève plusieurs sujets importants, parfois indépendants, à savoir le maintien du rendement des taxes, d’une part, et la présence des services publics sur le territoire, d’autre part.

Le transfert échelonné de missions fiscales de la DGDDI vers la DGFiP fait partie d’une réforme globale qui vise à rationaliser le recouvrement de l’ensemble des prélèvements obligatoires, c’est-à-dire des impôts, mais aussi des cotisations sociales. Le Gouvernement a engagé, à ce titre, un travail important d’unification de leurs réseaux de collecte. Ce chantier consiste à organiser, d’ici à l’année 2024, le transfert des produits recouvrés par une multitude d’acteurs – 250 acteurs différents environ, qui constituent autant de guichets et de démarches – vers l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss) pour la sphère sociale, et vers le DGFiP pour la sphère fiscale.

En parallèle de cette rationalisation des réseaux de recouvrement, une refonte de l’offre numérique est attendue. La mise en œuvre, d’ici la fin de la mandature, d’un portail commun permettra de bénéficier d’une interface unique pour payer, échanger avec les administrations concernées et avoir une vision unifiée sur les comptes fiscal, douanier et social des entreprises.

Vous évoquez le cas particulier de la TICPE – taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques – : la date du transfert, fixée à 2024, donnera du temps pour la concertation avec les organisations professionnelles et la mise en place de dispositifs adéquats, sécurisants et rationalisés.

Pour donner un exemple concret de cette rationalisation, chaque transfert de taxe permet d’envisager de réutiliser, avec des évolutions limitées, des circuits, applications et processus de la DGFiP. Ceux-ci ont prouvé leur robustesse et leur bon fonctionnement, et ils sont déjà bien connus des entreprises.

Je n’oublie pas le besoin de contrôle que vous rappelez : les méthodes de contrôle fiscal de la DGFiP sont éprouvées et en amélioration continue dans l’usage des données. La DGFiP peut réaliser les mêmes contrôles que la douane effectue déjà très largement sur base documentaire.

Concernant enfin le sujet précis du transfert des taxes sur les boissons non alcooliques, les recettes sont stables et non en baisse. La comparaison des rendements entre les seconds semestres de 2018 et de 2019, les premiers comparables à la suite du changement de tarif au 1er juillet 2018, encore sous gestion de la DGDDI, démontre une stabilité des rendements. Nous pouvons nous en féliciter, alors même que les industriels modifient la composition de leurs boissons pour diminuer leur taxation unitaire, comme la taxe les y encourage par construction, avec des barèmes qui ont été augmentés.

révision des bases fiscales

Mme le président. La parole est à M. Jean Bacci, auteur de la question n° 1355, transmise à M. le ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics.

M. Jean Bacci. Monsieur le secrétaire d’État, je souhaite attirer l’attention du Gouvernement sur le problème des bases fiscales.

Depuis plusieurs années, certaines communes sont confrontées à des difficultés budgétaires graves qui entravent leur fonctionnement, nuisent à l’efficacité de leur action et détériorent la qualité de vie de leurs habitants.

Les bases fiscales ont été établies dans les années 1970 par les services de l’État sur le fondement de la valeur locative du bâti de chaque commune. Cependant, elles n’ont jamais été révisées depuis et sont donc, aujourd’hui encore, définies par la valeur de logements qui se sont dégradés, qui ont parfois été détruits ou qui ont simplement été mal évalués.

De plus, cette évaluation avait été réalisée sans cahier des charges et sans harmonisation avec les communes avoisinantes. Elle ne correspond plus forcément à la réalité. En cinquante ans, certaines communes se sont enrichies, d’autres se sont appauvries, et pourtant leurs bases fiscales restent inchangées.

Cette situation entraîne deux conséquences économiques graves pour les communes.

La première conséquence est directe : les communes qui disposent de bases fiscales fortes sont amenées à financer leur intercommunalité de manière anormalement élevée, en comparaison avec d’autres communes, dont les bases fiscales sont historiquement basses, mais qui présentent pourtant des particularités similaires. Il n’y a donc plus d’égalité fiscale entre les habitants d’une telle intercommunalité.

La seconde est indirecte. Les bases fiscales permettent de définir les taux communaux ; or des bases fiscales fortes conduisent les communes à appliquer des taux communaux bas, afin d’harmoniser leur politique fiscale avec celle des communes voisines. Le fait d’appliquer des taux communaux plus bas que la moyenne nationale les conduit à perdre leur dotation globale de fonctionnement (DGF).

Ainsi, beaucoup de communes rurales souffrent aujourd’hui. Pour nombre d’entre elles, la DGF a été fortement diminuée, voire supprimée. À cela s’ajoute la participation au fonds de péréquation des ressources intercommunales et communales (FPIC).

In fine, cette situation ne permet plus à ces communes de dégager la part d’autofinancement nécessaire aux investissements.

Dans le contexte actuel, où le Gouvernement consacre une part importante de son plan de relance à la dynamisation des territoires ruraux, il est crucial de réviser les bases fiscales afin de réduire ces inégalités.

Monsieur le secrétaire d’État, entendez-vous engager une révision des bases fiscales ? En attendant, pouvez-vous m’indiquer comment ces communes pourront participer au plan de relance, sachant que, par manque d’autofinancement, elles ne peuvent déjà bénéficier ni de la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR) ni de la dotation de soutien à l’investissement local (DSIL) ?

Mme le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Cédric O, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Monsieur le sénateur Jean Bacci, l’indicateur de potentiel fiscal s’appuie aujourd’hui notamment sur les bases d’imposition foncières de chaque commune, c’est-à-dire sur les valeurs locatives des propriétés bâties imposables sur le territoire de chaque commune. Depuis 2010, l’administration fiscale effectue des travaux importants afin d’actualiser et de moderniser ces bases fiscales et de répartir plus équitablement la charge.

La révision des valeurs locatives des locaux professionnels a été engagée par le Gouvernement en 2010. Les dispositions de l’article 34 de la loi du 29 décembre 2010 de finances rectificative pour 2010 ont permis d’engager ces travaux, qui ont désormais produit leurs premiers effets : après une campagne déclarative conduite en 2013, durant laquelle les propriétaires de locaux professionnels ont été sollicités pour décrire leurs biens, la révision des valeurs locatives des locaux professionnels est entrée en vigueur le 1er janvier 2017. Cette réforme a permis de moderniser l’assiette des impôts locaux pour les professionnels et d’établir la valeur locative de ces locaux au plus près de la réalité du marché locatif.

Afin de limiter les effets de cette réforme sur les contribuables et les collectivités territoriales dans l’attente d’une révision des valeurs locatives des autres catégories de locaux, un mécanisme de neutralisation a été mis en place. Celui-ci maintient à l’identique la proportion de ces locaux dans les bases d’imposition, pour chaque collectivité et pour chaque impôt.

La valeur locative des locaux d’habitation est encore aujourd’hui déterminée à la date de référence du 1er janvier 1970 et demeure éloignée du marché locatif actuel. C’est pourquoi l’article 146 de la loi de finances pour 2020 a fixé le calendrier et les modalités de la révision de la valeur locative des locaux d’habitation à partir d’une expérimentation menée en 2015 dans cinq départements.

Cette révision débutera par une phase déclarative permettant de refléter les situations actuelles et de prendre en compte au fur et à mesure les évolutions du marché locatif. Le travail d’élaboration des secteurs et des tarifs, propres aux commissions locales, sera effectué en 2025 et s’appliquera aux impositions établies à compter du 1er janvier 2026.

Enfin, je vous rappelle que les bases d’imposition foncières sont mises à jour chaque année, notamment en cas de constructions nouvelles, d’additions de construction ou de changement d’affectation des locaux. Ces évolutions du bâti doivent être déclarées par les propriétaires et font l’objet d’une surveillance par l’administration. La démolition de locaux existants ou la construction de nouveaux sont donc bien prises en compte dans les bases d’imposition notifiées aux collectivités chaque année, à partir desquelles celles-ci votent leurs taux d’imposition.

situation de la filière conchylicole normande

Mme le président. La parole est à M. Patrice Joly, en remplacement de M. Didier Marie, auteur de la question n° 1418, transmise à Mme la ministre de la mer.

M. Patrice Joly. Didier Marie ne pouvant pas être présent en raison de problèmes de santé, il m’a demandé de le remplacer et de vous poser sa question sur la situation de la filière conchylicole normande.

Comme beaucoup de secteurs, la filière d’élevage de coquillages est mise en difficulté par la crise sanitaire liée à la covid-19, ces difficultés étant amenées à perdurer, notamment en raison de la fermeture des restaurants.

En Normandie, les entreprises conchylicoles étaient déjà fragilisées par d’importantes mortalités ostréicoles et par les fermetures de zones de production liées à la présence de norovirus dans certains bassins, de décembre 2019 à février 2020.

Les effets de ces crises successives seront donc d’autant plus marqués pour le territoire normand que les possibilités de commercialisation sont en outre restreintes, faute de ventes estivales de dégustation et de ventes directes.

Depuis le début de la crise sanitaire, certains secteurs ont bénéficié de mesures de soutien bienvenues. Compte tenu de la situation particulière de la filière conchylicole, Didier Marie souhaiterait savoir, monsieur le secrétaire d’État, si le Gouvernement envisage de lui venir en aide par des mesures spécifiques d’appui, notamment en procédant à un abondement supplémentaire de la mesure 55 du Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (Feamp), ce fonds étant notamment destiné à l’aquaculture, en dégrevant les redevances domaniales ou encore en exonérant de charges sociales le secteur conchylicole, puisque, même en l’absence de recettes, le travail de production et de maintien du cheptel d’animaux vivants demeure.

Mme le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Cédric O, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Monsieur le sénateur, nous avons pleinement connaissance des difficultés que rencontrent les ostréiculteurs. Les professionnels ont fait part à la ministre de la mer, Annick Girardin, de leurs inquiétudes encore ce mois-ci lors d’un échange en visioconférence. Nous mesurons également l’enjeu que représentent les fêtes de Noël, période de ventes très sensible.

De plus, la filière conchylicole a été frappée par la crise du norovirus à la fin de 2019 et au début de 2020, qui a entraîné la fermeture de certaines zones de production.

Ainsi, Annick Girardin a décidé, comme pour les pêcheurs affectés par la crise de la covid-19, d’aider la filière conchylicole à passer ce mauvais cap.

Elle a tout d’abord demandé de réabonder les subventions prévues par l’article 55 du Feamp afin d’atténuer les effets de ces crises en compensant une partie de la baisse du chiffre d’affaires sur la période du 1er février au 31 décembre. Elle a également décidé de porter de 250 000 euros à 300 000 euros le plafond d’aide publique. C’est un véritable coup de pouce supplémentaire aux entreprises les plus touchées.

Ensuite, Annick Girardin et Julien Denormandie ont demandé à Olivier Dussopt que l’étude des demandes d’exonérations soit faite localement, avec toute l’attention et la bienveillance qu’impose la situation subie par vos filières. Comme vous le savez, les exonérations sont décidées à l’échelon local, par les directions départementales des finances publiques.

Par ailleurs, nous rappelons que la conchyliculture est pleinement intégrée au plan de relance du Gouvernement. Ainsi, 50 millions d’euros sont fléchés en soutien à la pêche et à l’aquaculture.

Enfin, la ministre de la mer a demandé à ses services de rester très attentifs aux évolutions du secteur en cette fin d’année. Elle refera un point sur la situation et sur la mise en œuvre des dispositifs de soutien. Je puis vous assurer qu’Annick Girardin reste bien évidemment à l’écoute des entreprises du secteur qui, nous l’espérons, traverseront cette période avec le minimum de heurts, grâce, notamment, aux soutiens mis en place par l’État.

situation en palestine

Mme le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, auteure de la question n° 1382, adressée à M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères.

Mme Raymonde Poncet Monge. Alors que la pandémie occupe les esprits, la situation des Palestiniens se dégrade de jour en jour. À Jérusalem-Est, transferts forcés, expropriations, destructions et privations des droits élémentaires se multiplient. Les projets de construction de colonies de peuplement s’accélèrent : 1 257 sont en cours.

Les Palestiniens sont privés de droits et harcelés par les autorités israéliennes sur le fondement de la loi du 8 mars 2018 par laquelle elles prétendent bannir de Jérusalem les Palestiniens pour « défaut d’allégeance ». Dans la vallée du Jourdain, le 3 novembre, les habitats d’un village bédouin de 74 personnes, dont 41 enfants, ont été détruits, ainsi que des infrastructures financées par la France et l’Union européenne.

Israël a détruit plus de 670 structures palestiniennes et privé de toit 869 Palestiniens. La destruction de propriétés dans des territoires occupés viole le droit international humanitaire tout comme le déplacement forcé de populations est un crime de guerre. Nous ne protégeons pas notre compatriote Salah Hamouri et sa famille, qui sont persécutés.

En Cisjordanie occupée, la colonisation progresse : plus de 413 000 colons y résident désormais, et cela continue.

Ne nous payons pas de mots, monsieur le secrétaire d’État : une annexion de fait est en cours !

Que compte enfin faire la France, au sein de l’Union européenne et de manière bilatérale, pour mettre fin à ce processus ininterrompu de violations du droit international ? Va-t-elle se contenter de formuler de nouveaux regrets et des condamnations ou va-t-elle enfin prendre des mesures à même de stopper cette politique israélienne du fait accompli ?

Mme le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Cédric O, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Madame la sénatrice, la France est attachée à la solution des deux États, sur le fondement du droit international et des paramètres agréés. Il n’y a pas d’autre solution en vue d’un règlement juste et durable du conflit israélo-palestinien.

Dans ce cadre, notre pays fait de la préservation de la présence palestinienne à Jérusalem-Est l’une de ses priorités. À cet égard, je tiens à rendre hommage ici à l’action des collectivités territoriales, qui jouent, par leurs actions de coopération, un rôle de pointe en soutien à la résilience de la population palestinienne, notamment à Jérusalem-Est.

La colonisation est contraire au droit international. Elle réduit la possibilité d’un État palestinien contigu et viable. Elle attise les tensions déjà vives sur le terrain et fragilise la confiance entre les parties, qui est nécessaire en vue d’une reprise du dialogue. La France appelle régulièrement les autorités israéliennes à s’abstenir de toute mesure en matière de colonisation.

Cette position se traduit par des mesures concrètes.

Premièrement, nous nous coordonnons avec nos principaux partenaires européens pour réagir de manière conjointe et cohérente à l’accélération de la politique de colonisation en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, à travers la construction de nouveaux logements dans les colonies et les démolitions d’infrastructures palestiniennes. La colonie de Givat Hamatos, que vous avez évoquée, constitue un motif particulier de préoccupation, car les constructions envisagées seraient particulièrement graves pour la solution des deux États.

Deuxièmement, nous veillons à l’introduction dans tous les accords bilatéraux avec Israël de clauses territoriales, afin de matérialiser la distinction juridique entre le territoire d’Israël et les territoires occupés.

Troisièmement, nous avons soutenu la mise en place d’un étiquetage différencié des produits des colonies.

Concernant les accords qui régissent les relations entre l’Union européenne et Israël, le ministre de l’Europe et des affaires étrangères a souligné en juin qu’une décision d’annexion ne pourrait rester sans conséquence. La suspension de l’annexion dans le cadre de l’accord de normalisation entre Israël et les Émirats arabes unis est, à cet égard, un pas dans la bonne direction : nous demandons que cette mesure devienne définitive.

La normalisation des relations entre États arabes et Israël est une chance pour la région. Elle doit s’accompagner d’une reprise du dialogue entre Israéliens et Palestiniens. C’est le sens des efforts entrepris par le ministre de l’Europe et des affaires étrangères avec ses homologues allemand, égyptien et jordanien.

Une nouvelle réunion sera organisée au Caire prochainement à la suite de celle qui a été organisée à Amman en septembre dernier. Les parties seront associées au processus.

Mme le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour la réplique.

Mme Raymonde Poncet Monge. Monsieur le secrétaire d’État, je suis tout de même un peu surprise de constater que les réponses n’ont pas beaucoup évolué depuis le débat organisé au Sénat en juin dernier. Les mêmes arguments nous sont répétés. En gros : si cela continue, nous agirons !

Depuis ce débat, la situation des Palestiniens de Jérusalem continue de s’aggraver de jour en jour. La planification méthodique de leur éviction se déroule sur fond d’impuissance de la France, dont la parole n’est pas respectée.

Monsieur le secrétaire d’État, le temps de l’action, des sanctions et du courage politique est venu. Une majorité de parlementaires vous le demande, en regard des propos qu’a tenus M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères lors du débat organisé au Sénat en juin.

nouvelle réorganisation des services académiques

Mme le président. La parole est à M. Patrice Joly, auteur de la question n° 1150, adressée à M. le ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports.

M. Patrice Joly. Ma question porte sur la nouvelle réorganisation des services académiques mise en œuvre depuis le 1er janvier 2020.

Désormais sous l’autorité de leurs ministres, les recteurs de région académique voient leurs fonctions renforcées. Ils sont ainsi les « garants, au niveau régional, de la cohérence des politiques publiques » et fixent les orientations stratégiques de ces politiques à l’échelon régional. Ils tiennent désormais dans leurs mains l’ensemble de l’enveloppe budgétaire stratégique régionale, réduisant les recteurs d’académie au simple rôle d’exécutant.

En effet, privés du stratégique budget opérationnel du programme 214, « Soutien de la politique de l’éducation nationale », regroupant principalement les crédits consacrés aux fonctions administratives, les recteurs d’académie se retrouvent désormais à gérer des crédits budgétaires courants. Leurs missions sont vidées de leur sens, de leur objet. Les recteurs sont privés de toute autonomie.

Il est à craindre qu’une nouvelle hiérarchie ne se dessine entre les territoires, au détriment des territoires ruraux, en raison de l’éloignement de ces zones des centres de décision.

En effet, le pouvoir décisionnaire est désormais concentré dans les métropoles des grandes régions académiques et exclusivement entre les mains du « super recteur » de la région académique.

Cette réorganisation s’inspire de la philosophie de la « massification » et de la « concentration », voire d’une forme de recentralisation. Or rien aujourd’hui ne permet de considérer qu’il s’agisse de la meilleure manière de répondre aux besoins du pays, notamment en matière d’organisation de l’éducation nationale et de réussite de tous nos élèves.

Bien au contraire, la crise sanitaire a révélé combien cette densification était facteur de fragilité. Elle interpelle en outre sur l’efficacité de l’intervention publique.

Pourriez-vous m’indiquer, madame la secrétaire d’État, comment éviter, dans ce nouveau schéma, que les territoires ruraux ne soient lésés et écartés par des centres décisionnaires éloignés des réalités du terrain ?

Je vous rappelle que, par rapport à la moyenne nationale, les enfants des territoires ruraux ont des difficultés à suivre des parcours scolaires dans la moyenne constatée dans notre pays, notamment à poursuivre des études supérieures. Un accompagnement fin est nécessaire pour lutter contre cette inégalité.

Aussi, pourriez-vous me dire si des moyens nouveaux seront donnés aux recteurs d’académie afin de leur permettre de disposer d’un minimum d’autonomie pour esquisser des stratégies localisées ?

Mme le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Sarah El Haïry, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de la jeunesse et de lengagement. Monsieur le sénateur Joly, vous nous alertez sur le risque que ferait peser sur nos territoires ruraux et sur nos enfants la réorganisation des services académiques. Le ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports prend en compte les particularités, les forces et les faiblesses de chaque territoire.

La nouvelle organisation des services académiques des ministères chargés de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur et de la recherche a notamment fait l’objet de trois décrets parus à la fin de l’année 2019.

Celui du 20 novembre 2019, que vous citez, prévoit l’attribution de compétences exclusives aux recteurs de région académique.

Il s’agit, pour ce qui concerne les politiques publiques d’éducation, de la définition du schéma prévisionnel des formations des établissements publics d’enseignement du second degré, du champ de la formation professionnelle et de l’apprentissage, de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, de l’information, de l’orientation et de la lutte contre le décrochage scolaire et de l’éducation au numérique.

Ces compétences sont complétées par des attributions nouvelles relatives à des fonctions support : je pense à la gestion des fonds européens, mais également à la participation aux contrats de plan État-région (CPER), à la politique des achats, à la politique immobilière de l’État, aux relations européennes, internationales et à la coopération.

Il convient toutefois de souligner que les nouvelles compétences des recteurs de région académique s’exercent sous réserve des attributions des préfets de région et sans préjudice de celles qui sont dévolues aux recteurs d’académie.

La réforme mise en œuvre permet en effet de répondre à une double préoccupation : assurer l’unité de la parole vis-à-vis des acteurs régionaux, qu’il s’agisse des autres services de l’État ou des collectivités régionales, et préserver la qualité de la gestion de proximité.

Attribuant au recteur de région des compétences propres, au-delà du rôle de coordination exercé à travers la fixation d’orientations générales, la réforme a ainsi maintenu à l’échelon académique les domaines de compétences suivants : gestion des ressources humaines, gestion et organisation des établissements scolaires, gestion des établissements privés d’enseignement et vie scolaire – bourses, calendrier scolaire, associations péri-éducatives.

Plus concrètement, monsieur le sénateur, le regard posé sur nos territoires ruraux et l’accompagnement de nos élèves est essentiel. Des travaux sont encore menés aujourd’hui au sein du ministère de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports pour accompagner plus étroitement les élèves afin qu’ils puissent se projeter, avoir de l’espoir et briser ce plafond de verre, ce qui n’est pas si simple. C’est en particulier la mission de mon secrétariat d’État.

projet de décret relatif à la prestation de compensation du handicap parentalité

Mme le président. La parole est à M. Philippe Mouiller, auteur de la question n° 1401, adressée à Mme la secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée des personnes handicapées.

M. Philippe Mouiller. Ma question s’adresse à Mme la secrétaire d’État chargée des personnes handicapées.

Lors de la dernière conférence nationale du handicap (CNH), le Président de la République a fait une annonce très forte et très attendue par et pour les milliers de parents en situation de handicap concernés et leurs associations représentatives.

Cependant, à ce jour, les associations et les comités de parents sont particulièrement inquiets quant aux modalités de mise en œuvre de la prestation de compensation du handicap (PCH) parentalité.

La forfaitisation de l’aide humaine ne correspond pas au principe d’individualisation de la prestation de compensation. Or chaque parent en situation de handicap a besoin d’une prestation adaptée, selon ses besoins et sa situation, afin de pouvoir exercer pleinement son rôle de parent.

En effet, les dispositions réglementaires en cours prévoient d’attribuer une aide humaine forfaitaire selon l’âge de l’enfant et non selon les besoins avérés de son parent en situation de handicap.

Par ailleurs, à l’argument que les forfaits permettraient aux maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) de répondre plus vite aux sollicitations, car elles ne connaissent pas les besoins en parentalité, les parents en situation de handicap répondent que les MDPH appliquent déjà la PCH, dans son principe, conformément au souhait du législateur en 2005, avec une approche individualisée.

En outre, elles connaissent déjà les familles, car la mesure est ouverte aux personnes déjà éligibles à la PCH. La mesure forfaitaire est au contraire une négation de leur rôle d’instruction, d’évaluation et d’attribution des droits.

Les parents sont très inquiets, car la forfaitisation de la PCH parentalité, qui était annoncée comme provisoire pour 2021, est potentiellement reconductible en 2022, sur le fondement des mêmes arguments.

Autre difficulté, l’enveloppe budgétaire annoncée par le Président de la République ne sera disponible dans les faits qu’en 2022, ce qui obligera les conseils départementaux, en 2021, à financer cette dépense supplémentaire sur leurs propres budgets, déjà très dégradés, le risque étant alors qu’ils n’appliquent cette mesure que s’ils l’acceptent et s’ils en ont les moyens.

Quelles réponses pouvez-vous apporter aux inquiétudes des parents et des conseils départementaux ?

Mme le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Sarah El Haïry, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de la jeunesse et de lengagement. Monsieur le sénateur Mouiller, je vous prie d’excuser l’absence de Mme la secrétaire d’État chargée des personnes handicapées, qui me charge de vous faire part de sa réponse.

L’élargissement de la PCH à la prise en charge des besoins liés à la parentalité répond en effet à une attente historique des familles.

Les associations, intégrées au groupe de travail préparatoire, ont adopté à une très large majorité un avis favorable, vous l’avez évoqué, lors de la réunion du Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH) du 20 novembre dernier.

L’objectif de déployer, comme nous nous y étions engagés lors de la CNH de février, les droits au bénéfice des 17 000 familles concernées dès le 1er janvier 2021 nous a conduits à mettre en œuvre la compensation sous forme de forfait, afin de faciliter l’appropriation par les familles et les acteurs de l’instruction.

L’aide humaine est libellée en nombre d’heures, le montant de la prise en charge s’élevant à 30 euros de l’heure. Cette forfaitisation offre une souplesse totale aux familles, qui pourront choisir librement les modalités d’accompagnement de leurs enfants qu’elles souhaitent financer.

Les parents toucheront ainsi 900 euros par mois les trois premières années de vie de l’enfant, soit une heure d’aide par jour, puis 450 euros de 3 ans à 7 ans.

Par ailleurs, les parents en situation de handicap bénéficieront d’un forfait d’aides techniques de 1 200 euros à la naissance, aux 3 ans et aux 6 ans de l’enfant, ce qui correspond à une entrée dans chaque cycle scolaire. Cette somme permettra aux parents de couvrir le surcoût du matériel pédiatrique adapté.

Notre objectif est d’accompagner au mieux les personnes en situation de handicap, d’où le travail sur les droits à vie et sur la réduction des délais d’instruction, dont cette mesure fait partie.

Il était important d’assurer la fluidité de la mise en œuvre de cette prestation, dès le 1er janvier, alors que les MDPH ont été particulièrement touchées par la crise sanitaire, les équipes ayant parfois elles-mêmes été affectées en nombre par la covid-19. L’année 2021 nous permettra de les soutenir et de continuer à travailler main dans la main sur ces chantiers.

La mise en œuvre de la mesure sera évaluée tout au long de l’année 2021 et donnera lieu à la remise d’un rapport au CNCPH en janvier 2022 afin de déterminer les modalités devant être affinées, notamment pour les personnes qui, ayant plusieurs types de handicaps, ont des besoins très particuliers.

Mme le président. La parole est à M. Philippe Mouiller, pour la réplique.

M. Philippe Mouiller. Merci, madame la secrétaire d’État, de votre réponse, qui est technique, précise, qui rappelle clairement le cadre, que je connaissais, étant moi-même membre du CNCPH.

En revanche, vous n’avez pas répondu clairement aux deux préoccupations des familles, la forfaitisation – même si elle est pratique, elle est source d’inquiétude – et le financement. En nous écoutant aujourd’hui, les départements n’auront absolument pas de réponse à leur question simple : qui va payer ?

avenir du service de neurochirurgie de la clinique des franciscaines de nîmes

Mme le président. La parole est à Mme Vivette Lopez, auteur de la question n° 1370, adressée à M. le ministre des solidarités et de la santé.

Mme Vivette Lopez. Madame la ministre, je souhaite aujourd’hui attirer votre attention sur l’offre de santé dans le Gard, particulièrement sur l’avenir de la clinique des Franciscaines.

L’établissement des Franciscaines fait partie du paysage du département, et particulièrement à Nîmes, depuis 1988. Pôle d’excellence, figurant régulièrement dans les classements de la presse nationale comme l’un des meilleurs centres en France, cet établissement a pris en charge des dizaines de milliers de patients. Il fédère actuellement tout un ensemble de services, dont la neurochirurgie intracrânienne, qui représente 2 000 malades par an. Il réalise plus de 250 chirurgies crâniennes quand le seuil annuel requis n’est que de 100 par an.

Or, aujourd’hui, l’avenir de la clinique est menacé par l’incertitude liée à la décision de l’agence régionale de santé (ARS) d’Occitanie de maintenir ou non l’agrément nécessaire à la pratique de cette activité.

Dans le cadre d’une procédure très particulière relevant d’un schéma d’organisation des soins, cette offre de soins pourrait en effet disparaître et n’être plus pratiquée qu’au centre hospitalier universitaire (CHU) de Nîmes, une disposition administrative imposant de réunir sur le site du CHU de Nîmes l’ensemble de l’activité de neurochirurgie intracrânienne.

Cette orientation n’est pas acceptable, car elle nie l’équilibre de la carte sanitaire du territoire et priverait, le cas échéant, les Gardois d’une prise en charge de qualité. Un seul plateau technique ne sera pas suffisant pour répondre au volume des demandes, en augmentation, et à l’évolution des techniques médicales.

Il semble en outre particulièrement étonnant de vouloir mettre à mal une coopération public-privé qui fonctionne parfaitement bien depuis douze ans. Alors que la communauté médicale de neurochirurgie et le conseil de l’Ordre soutiennent le maintien de deux sites, la clinique des Franciscaines semble faire les frais d’un certain dogmatisme administratif, dont la crise du covid a pourtant révélé les failles.

Ma question sera donc simple, madame la ministre : quelles mesures entendez-vous prendre pour garantir l’avenir du service intracrânien de la clinique des Franciscaines, suspendu aujourd’hui à une autorisation provisoire et exceptionnelle ?

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de lautonomie. Madame la sénatrice Vivette Lopez, votre question porte sur la diversité de l’offre de soins en neurochirurgie dans le département du Gard.

Dans votre département, l’autorisation d’exercice est détenue par le groupement de coopération sanitaire (GCS) Centre de neurochirurgie du Gard, composé de deux membres fondateurs : l’hôpital privé les Franciscaines et le CHU de Nîmes, depuis 2008.

Le dossier d’autorisation présenté par le GCS prévoyait de regrouper à partir du 1er janvier 2020 l’ensemble de l’activité de neurochirurgie privée et publique sur un site unique, sur lequel le bâtiment édifié spécifiquement pour ce regroupement a été livré en 2018, pour un coût total de 18 millions d’euros, dans une démarche qui nous apparaît concertée.

Par ailleurs, dans le cas d’une activité de haute technicité, la mutualisation contribue à garantir une offre de soins optimale.

Toutefois, au début de 2020, l’ARS d’Occitanie a été informée que l’activité exercée sur ces deux sites à titre dérogatoire n’avait pas été regroupée, contrairement aux engagements pris par le GCS. Ce dernier a fait valoir des difficultés, notamment en termes de gouvernance de la coopération, pour regrouper l’ensemble de l’activité sur un site unique. L’ARS a alors octroyé un délai supplémentaire au GCS, en raison des retards occasionnés par la gestion de la crise sanitaire.

Le 2 septembre 2020, le GCS a adressé une nouvelle demande de prorogation de la dérogation, remettant en cause l’opportunité du regroupement de l’activité dans le bâtiment construit spécialement pour le GCS.

L’absence de mise en conformité au 1er octobre 2020 a conduit l’ARS à mener une inspection pour évaluer les problématiques.

Néanmoins, pour des raisons de sécurité juridique et d’apaisement, notamment au regard du contexte sanitaire, l’agence régionale de santé a de nouveau prolongé la dérogation, permettant l’exercice sur ces deux sites jusqu’à l’issue de la procédure contradictoire.

L’ARS cherche donc bien à concilier les membres du GCS, en les recevant régulièrement et en octroyant ces dérogations dans l’attente d’une solution pérenne, leur permettant ainsi de tenir leur engagement d’exercice dans le bâtiment Neurosciences, construit à cet effet.

Le ministre des solidarités et de la santé s’assure que la procédure permettra à cette activité de débuter sereinement, en conformité avec l’autorité sollicitée par le GCS.

Mme le président. La parole est à Mme Vivette Lopez, pour la réplique.

Mme Vivette Lopez. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse, qui ne me satisfait cependant pas totalement.

Nous souhaiterions vraiment avoir votre soutien pour conserver la clinique des Franciscaines, qui est au top de la technologie. D’ailleurs, nombre de chirurgiens viennent de Bordeaux, de Marseille, de Paris et même d’Allemagne pour voir ce qui s’y fait.

Le CHU, c’est très bien, mais il s’agit, me semble-t-il, d’une grosse machine qui ne répond plus aux attentes actuelles de nos concitoyens.

expérimentation de la prestation d’accueil et de restauration scolaire en guyane

Mme le président. La parole est à Mme Marie-Laure Phinera-Horth, auteure de la question n° 1374, transmise à M. le ministre des solidarités et de la santé.

Mme Marie-Laure Phinera-Horth. Ma question porte sur l’expérimentation concernant la prestation accueil et restauration scolaire (PARS), menée depuis la rentrée 2020 dans deux collèges volontaires de Saint-Laurent-du-Maroni.

La Guyane est au second rang des territoires les plus marqués par la pauvreté, qui y touche une personne sur deux, et où nombre de gens vivent dans une très grande précarité.

Pourtant, en 2019, seuls 39 % des enfants guyanais scolarisés ont bénéficié de la PARS, contre, par exemple, plus de 70 % à La Réunion. Ce taux très bas de bénéficiaires s’explique en partie par la faible offre de restauration scolaire proposée, du fait de l’absence de structures de cantine dans de nombreux établissements, mais aussi par les difficultés pour les familles, majoritairement modestes, à assumer le coût, même modique, des repas lorsqu’une cantine existe.

Or certains élèves parcourent un long trajet, parfois en pirogue, pour se rendre à l’école et restent sans déjeuner, ce qui contribue évidemment à leurs difficultés d’apprentissage.

C’est devant ce constat dramatique que la caisse d’allocations familiales (CAF) de Guyane, avec le concours de la préfecture, du rectorat et de la collectivité territoriale de Guyane (CTG), a lancé dans deux collèges de l’ouest guyanais une expérimentation spécifique de paniers collations permettant de nourrir les 2 000 élèves sans contribution des parents.

Pour mémoire, la décision en avait été prise lors d’une réunion interministérielle. Malheureusement, l’apparition soudaine de la pandémie n’a pas permis la mise en œuvre de l’expérimentation avec toutes les conditions initialement prévues.

L’évaluation conduite sur la période de mise en œuvre illustre les apports très positifs de cette expérimentation, tant sur la scolarité des élèves que sur l’apaisement des tensions au sein des collèges.

C’est pourquoi je demande que puisse être poursuivie l’expérimentation, à l’aide cette fois de fonds PARS, en lieu et place d’un financement de la CAF de Guyane pour au moins trois mois, voire six mois. Cette période est nécessaire pour répondre aux conditions posées par la direction de la sécurité sociale, notamment le cofinancement de ce modèle PARS par le programme européen « Fruits et légumes à l’école ».

Eu égard aux enjeux de réussite scolaire, de santé des enfants, mais aussi de délinquance, fruit de l’absence d’assiduité aux cours, nous vous demandons de pouvoir par la suite généraliser ce modèle aux résultats éprouvés à toutes les communes et tous les établissements ne disposant pas de cantine scolaire.

Il ne peut pas y avoir d’obstacle que l’on ne puisse lever lorsqu’il s’agit de l’avenir de nos enfants et de l’égalité des chances dont ils doivent bénéficier. C’est l’honneur de la République.

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de lautonomie. Madame la sénatrice, comme vous l’indiquez, la contribution apportée par la CAF de Guyane a permis cet automne de prendre en charge sur son propre budget d’action sociale l’intégralité du coût des paniers distribués aux collégiens de Saint-Laurent-du-Maroni. Je m’en félicite. Ce soutien a permis de ne pas retarder le lancement de cette initiative, et ce malgré le contexte de crise sanitaire.

En revanche, la décision interministérielle prise en début d’année et à laquelle vous faites référence prévoyait la mise en place d’un financement partenarial, associant la prestation spécifique de restauration scolaire versée par les CAF d’outre-mer, au programme « Lait et fruits à l’école » de l’Union européenne, ainsi qu’aux moyens mobilisés dans le cadre de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté, tout en intégrant par ailleurs la participation financière des collectivités territoriales.

La pérennisation de cette expérimentation, son extension à d’autres territoires et son éventuelle généralisation nécessitent donc de rechercher des cofinancements.

La branche famille n’a évidemment pas vocation à prendre seule en charge l’intégralité du coût d’un service de restauration scolaire. Elle ne peut pas se substituer aux collectivités locales dans l’exercice de leurs responsabilités, la restauration scolaire dans les collèges constituant une compétence de la collectivité territoriale de Guyane, dont l’implication ne peut pas se limiter à la mobilisation des agents pour distribuer les repas.

L’existence d’un cofinancement conditionne également le versement de la PARS. Il s’agit en effet d’une prestation qui permet de contribuer à la prise en charge d’un service, mais qui ne permet pas, selon les dispositions législatives existantes, de financer la totalité du coût des repas et des collations proposées.

Dès lors, plusieurs possibilités peuvent être envisagées pour la poursuite de l’expérimentation en 2021 : soit le conseil d’administration de la CAF de Guyane décide de poursuivre le soutien apporté sur ses fonds locaux, soit, comme nous l’espérons, des fonds vont pouvoir être mobilisés dans le cadre du programme « Lait et fruits à l’école ».

L’important est bien d’assurer le cofinancement de cette initiative, car un financement au seul titre de la PARS n’est malheureusement pas possible.

situation des infirmières libérales en zone rurale

Mme le président. La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier, auteure de la question n° 1251, adressée à M. le ministre des solidarités et de la santé.

Mme Anne-Catherine Loisier. Je souhaite attirer l’attention du Gouvernement sur la situation des infirmières libérales en zone rurale et sur la réforme concernant les kilomètres facturés à la journée, c’est-à-dire l’avenant n° 6.

Les cabinets infirmiers demeurent parmi les rares professionnels de santé encore présents dans certaines zones rurales en désertification médicale. Malgré des conditions d’exercices dont nous savons qu’elles sont difficiles et fatigantes, ils tentent de pallier au quotidien le déficit grandissant de médecins. Ils font parfois plus de 300 kilomètres par jour, travaillent sept jours sur sept, toute l’année, afin de se rendre au chevet de malades âgés, isolés. Ils sont souvent les derniers professionnels de santé à se déplacer. Ils éprouvent des difficultés à trouver des remplaçants pour des journées qui, nous le savons, dépassent souvent les douze heures.

Ces tensions s’amplifient dernièrement, du fait du vieillissement de la population, de la politique de maintien à domicile, que nous soutenons, mais aussi d’un certain nombre d’aberrations administratives.

Ainsi, la commune de Saulieu, dans le massif du Morvan, est partiellement classée en zone de montagne. Les praticiens dont le siège social est situé dans la partie non classée interviennent chez des patients habitant au cœur du Morvan, en zone de montagne. Pourtant, leurs kilomètres sont facturés au tarif « plaine ». Cette approche purement administrative est injuste et inappropriée.

Madame la ministre, pensez-vous donc faire évoluer cette lecture restrictive pour faire en sorte que tout professionnel de santé installé sur une commune classée en zone de montagne, partiellement ou totalement, puisse être éligible aux dispositifs en vigueur ? Une adaptation du règlement des zones d’intervention qui viserait non pas à s’appuyer exclusivement sur la localisation du siège social du cabinet, mais à prendre en compte les zones effectives d’intervention pour définir l’éligibilité aux aides « montagne » serait une autre possibilité.

Dans le contexte post-covid qui nous attend, il serait également judicieux de faire évoluer les modalités de l’avenant n° 6 concernant la facturation des kilomètres. À ce jour, les infirmières sont indemnisées à hauteur de 300 kilomètres journaliers. Or nous savons qu’elles sont amenées à en effectuer beaucoup plus, notamment dans certaines zones de montagne.

De telles dispositions sont devenues essentielles et vitales pour maintenir des services de santé de proximité dans nos zones rurales. Comment comptez-vous soutenir les efforts des infirmières libérales en zones hyper-rurales ?

Aujourd’hui, l’avenant n° 6 n’est pas appliqué. Pensez-vous le réactiver à l’issue de la pandémie ?

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de lautonomie. Madame la sénatrice, votre question, dont je vous remercie, me permet de saluer ces professionnels qui œuvrent au quotidien pour assurer des soins au domicile de nos concitoyens. Ils font pour cela des kilomètres chaque jour pour prodiguer ces soins.

Vous attirez notre attention sur les nouvelles dispositions de l’avenant n° 6 à la convention nationale des infirmiers libéraux relatives à la prise en charge des indemnités kilométriques et sur ses conséquences pour celles et ceux qui exercent dans les zones rurales et de montagne.

Votre interrogation porte sur le dispositif de plafonnement journalier du montant facturé des indemnités kilométriques, décrit à l’article 17.4 de l’avenant n° 6. Pour cela, un abattement du tarif de remboursement de ces indemnités est déterminé au regard de la distance journalière facturée par l’infirmier.

Cette distance journalière est définie comme « le cumul des kilomètres facturables, après déduction des 1 et 2 kilomètres définis à l’article 13 des dispositions générales de la nomenclature générale des actes professionnels, du premier au dernier patient, du début à la fin du jour civil de réalisation des soins » – c’est très technique, je vous le concède !

Cette nouvelle disposition a pour objectif de limiter les difficultés qui existaient précédemment, ainsi que les indus générés à ce titre et de laisser la possibilité à de nombreux infirmiers libéraux de facturer « en étoile », selon la terminologie adéquate. Cette mesure résulte des négociations conventionnelles menées avec les organisations syndicales.

Toutefois, je rappelle que l’accès aux soins est l’un des objectifs prioritaires du plan Ma Santé 2022. C’est en ce sens que l’avenant n° 6 a été conclu le 29 mars 2019 entre l’Union nationale des caisses d’assurance maladie et deux des syndicats représentatifs de la profession : la Fédération nationale des infirmiers (FNI) et le Syndicat national des infirmières et infirmiers libéraux (SNIIL). Il vise à améliorer la prise en charge et l’accès aux soins des patients, notamment par le développement de la coordination pluriprofessionnelle, l’investissement dans la prévention et une meilleure connaissance des soins infirmiers.

Par ailleurs, les mesures démographiques visant à un meilleur maillage territorial ont été renforcées pour favoriser l’exercice des infirmiers dans les zones sous-dotées au moyen d’une aide forfaitaire à l’installation d’un montant de 27 500 euros, d’une aide forfaitaire à la première installation de 37 500 euros et d’un contrat d’aide au maintien de l’exercice d’un montant de 3 000 euros par an.

demande de classement en « hôpital isolé » de l’hôpital de saint-jean-de-maurienne

Mme le président. La parole est à Mme Martine Berthet, auteure de la question n° 1391, adressée à M. le ministre des solidarités et de la santé.

Mme Martine Berthet. Je souhaite attirer l’attention de M. le ministre des solidarités et de la santé sur le centre hospitalier de Saint-Jean-de-Maurienne, situé au cœur de la Maurienne, en Savoie.

Celui-ci assure tout au long de l’année une offre de soins de proximité à la population locale, certes de 40 000 habitants seulement, mais répartie dans une vallée longue de 100 kilomètres, bordée de part et d’autre de nombreux villages de montagne. Il permet en outre une prise en charge des vacanciers victimes d’accidents lors des saisons d’hiver et d’été, avec une traumatologie non programmée en très forte hausse, particulièrement lors des sports d’hiver. Par ailleurs, quatre établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) lui sont rattachés.

Depuis trois ans, la direction de l’établissement et les élus de la vallée demandent que ce centre spécialisé soit classé selon les critères de l’arrêté du 4 mars 2015 comme « activité de soins isolée géographiquement et réalisée par un établissement situé dans une zone de faible densité de population ». Cependant, comme il est situé à quarante-quatre minutes de l’hôpital d’Albertville, dans la vallée voisine, il ne peut pas bénéficier de ce classement. En effet, le seuil est fixé à quarante-cinq minutes de trajet entre deux hôpitaux. Mais ce temps de trajet a été calculé par GPS en conditions de circulation fluide, alors que – nous le savons bien –, en zone de montagne, le temps de trajet peut varier en fonction des conditions climatiques et, surtout, de la fréquentation touristique.

Du fait des besoins relativement faibles de la population hors saison, cet établissement connaît un équilibre économique assez fragile. Il a pourtant besoin de nouveaux investissements permettant une meilleure stérilisation des blocs, l’aménagement des cuisines et une rénovation du service de médecine. Ce classement, auquel est favorable l’ARS d’Auvergne-Rhône-Alpes, lui permettrait de bénéficier d’un financement complémentaire des activités de médecine, chirurgie, obstétrique et urgences, et de pouvoir tenir son rôle en termes de besoins sociétaux.

Je me permets de vous rappeler également le contexte actuel et à venir dans cette vallée pour laquelle plusieurs fonds sont mobilisés actuellement par l’État – Territoires d’industrie, chantier du tunnel Lyon-Turin… –, ainsi que l’existence dans cette vallée de plusieurs sites Seveso, plusieurs tunnels routiers et ferroviaires. Des difficultés concernant cet hôpital iraient à l’encontre de ces importants moyens mis en œuvre par ailleurs.

Aussi, je souhaiterais savoir si vous envisagez d’adapter ponctuellement les critères permettant de bénéficier du statut d’hôpital isolé, comme dans ce cas spécifique de zone de montagne pour le centre hospitalier de Saint-Jean-de-Maurienne.

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de lautonomie. Madame la sénatrice, le forfait « activités isolées » a été mis en place en 2015, à la suite du constat selon lequel une réponse aux difficultés financières d’établissements situés sur des territoires considérés comme isolés était apportée au cas par cas.

Ce dispositif national vise donc à objectiver la notion d’isolement géographique pour assurer un traitement homogène des situations en fonction des régions, selon des critères d’éligibilité multidimensionnels.

Sur la base de ces règles communes, le centre hospitalier de Saint-Jean-de-Maurienne ne remplit pas les conditions d’éligibilité, étant à proximité relative du centre hospitalier d’Albertville et du Médipôle de Savoie – je sens que ma réponse vous déçoit ! Le niveau d’activité de ces établissements est par ailleurs bien supérieur au seuil des 10 000 patients.

Si, par souci d’équité, il n’est pas possible d’accorder une dérogation spécifique pour le centre hospitalier de Saint-Jean-de-Maurienne, le Gouvernement s’est engagé dans une démarche globale pour soutenir les établissements pouvant être confrontés à des difficultés.

Le Gouvernement a pris des engagements forts pour la sortie du « tout-T2A », où toute facturation passait par une tarification à l’activité. L’idée est d’intégrer plus largement la réponse aux besoins de la population et les caractéristiques territoriales dans les modèles de financement en cours de construction. C’est notamment le cas de l’activité des urgences, par la réforme de leur financement.

Par ailleurs, le forfait « activités isolées » a été conçu comme un correctif trop systématique à des modèles de financements fondés sur la tarification à l’activité. Force est de constater, après plusieurs années, que cette disposition ne permet pas de résoudre le principal enjeu de ces établissements, à savoir l’attractivité pour les professionnels.

En outre, une réflexion est actuellement conduite sur une évolution du mode de financement de l’activité d’obstétrique, en lien avec la refonte de l’autorisation d’obstétrique. Les premières réflexions intègrent déjà le cas des maternités réalisant un faible niveau d’activité.

Un bilan du dispositif des « activités isolées » après cinq années d’application pourrait nourrir la réflexion tant dans l’appréciation qualitative de l’accompagnement que dans la pertinence et les limites de critères définis nationalement.

Enfin, et j’y suis particulièrement sensible, les patientes de l’établissement dont le domicile est situé à plus de quarante-cinq minutes pourront être amenées à bénéficier des prestations d’hébergement et de transport dans le cadre de la mesure « engagement maternité ». Les autorités sanitaires ont engagé des modalités opérationnelles pour cette mesure essentielle visant à faciliter l’accès aux soins obstétriques de ces établissements.

Soyez donc assurée, madame la sénatrice, que, si l’hôpital de Saint-Jean-de-Maurienne ne répond pas aux critères, le Gouvernement ne laissera pas les habitants à l’année ou de passage saisonnier sans solution.

plan d’action pour renforcer la prise en charge de l’endométriose

Mme le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin, auteure de la question n° 845, adressée à M. le ministre des solidarités et de la santé.

Mme Véronique Guillotin. Madame la ministre, je souhaite vous interroger, un an et demi après son lancement, sur le plan d’action pour renforcer la prise en charge de l’endométriose, mis en place le 8 mars 2019.

On estime en effet que cette maladie touche plus de 10 % des femmes en âge de procréer ; c’est donc un sujet loin d’être anodin. Or, malgré sa découverte, qui remonte à la fin du XIXe siècle, cette maladie demeure largement méconnue. La banalisation de la souffrance pendant les règles, vue comme naturelle par une partie de la population et des professionnels de santé, provoque un retard de diagnostic moyen évalué à sept années.

Une fois le diagnostic posé, les difficultés ne s’arrêtent pas là, puisque de nombreux obstacles se dressent encore sur le parcours de ces femmes.

D’une part, alors que 80 % des femmes atteintes de cette pathologie ressentent des limitations dans leurs tâches quotidiennes, l’endométriose ne figure pas sur la liste des affections de longue durée, maladies reconnues comme invalidantes, permettant l’exonération du ticket modérateur pour des patientes qui sont amenées à consulter régulièrement. Je sais que votre ministère n’y est pas favorable ; je le regrette. Pour autant, j’ai signé avec ma collègue Élisabeth Doineau un courrier appelant à cette reconnaissance institutionnelle de la maladie. J’aimerais savoir si, dans le cadre du plan d’action lancé en 2019, une réflexion est menée pour faciliter la prise en charge des patientes, à défaut de prise en charge à 100 %.

D’autre part, la recherche n’a pas permis pour l’instant de déterminer les mécanismes de cette maladie, d’en connaître les origines, limitant ainsi les possibilités à un simple traitement symptomatique, qu’il soit hormonal ou chirurgical.

Le plan d’action prévoyait un soutien à l’effort de recherche sur l’endométriose ; j’aimerais également connaître les avancées ou les perspectives en la matière.

Enfin, sujet hautement sensible, puisque 40 % de ces femmes ont des troubles de la fertilité, la conservation des ovocytes reste une pratique marginale dans le cadre de la prise en charge de la maladie. Les patientes ignorent souvent qu’elles peuvent y recourir, faute d’information adéquate, alors que cette pratique pourrait favoriser la préservation de leur fertilité. Je souhaite donc savoir si des actions spécifiques de communication et de formation du personnel médical sont entreprises depuis un an et demi.

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de lautonomie. Madame la sénatrice, l’amélioration de la prise en charge de l’endométriose mobilise pleinement le Gouvernement, qui est conscient de la complexité de cette pathologie et de ses lourdes conséquences dans le quotidien des femmes concernées.

C’est pourquoi Agnès Buzyn avait lancé au mois de mars 2019 un plan d’action visant une détection précoce de la pathologie, la cohérence des parcours de soins et l’amélioration de l’information sur le sujet.

Mieux prendre en charge, c’est accélérer la recherche et mieux informer sur cette pathologie trop longtemps restée taboue. Pour ce faire, nous nous appuyons sur tous les outils de santé publique et la mobilisation des associations et services sanitaires de terrain.

Nous souhaitons détecter précocement cette maladie pour pallier l’errance diagnostique des patientes, par la recherche des signes d’endométriose lors des consultations obligatoires des adolescentes et un renforcement de la formation des professionnels sur ce sujet.

En outre, il convient de mieux accompagner les femmes en intégrant la question sensible des problèmes de fertilité.

La Caisse nationale de l’assurance maladie (CNAM) et la Haute Autorité de santé ont été saisies en 2019 pour intégrer le parcours de ces femmes dans les travaux entrepris dans le cadre du chantier « Qualité et pertinence des soins ». Sur la base de leurs conclusions, la question relative à la mise en place d’une affection longue durée (ALD) pour les cas sévères pourra être soulevée.

Aux côtés des questions d’assistance médicale à la procréation, le sujet de la préservation de la fertilité sera pris en compte par les services du ministère, en relation avec l’Agence de la biomédecine, dans le cadre de la réforme en cours des autorisations d’activités de soins.

Des établissements de santé pluridisciplinaires experts de la prise en charge de l’endométriose sont identifiés et traitent déjà des enjeux d’infertilité et d’accès à l’assistance médicale à la procréation.

Par ailleurs, depuis la rentrée 2020, des formations spécifiques sur l’endométriose sont prévues en deuxième cycle d’études médicales. Nous travaillons aussi avec les conférences de doyens et collèges pour une formation opérationnelle en troisième cycle. Nous renforçons également la formation des sages-femmes et infirmiers, notamment scolaires.

Par ailleurs, en matière de formation continue, le développement professionnel continu sur la période 2020-2022 comporte des formations qui abordent l’endométriose.

Enfin, en matière de recherche, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) a produit une cartographie de la recherche française sur l’endométriose. La revue Médecine/sciences consacrera un numéro spécial à cette pathologie. Et des colloques seront organisés en lien avec les sociétés savantes et les associations de patientes pour sensibiliser davantage les professionnels.

Vous le voyez, madame la sénatrice, notre action porte ainsi sur tous les fronts pour améliorer la prise en charge de ce sujet si sensible pour de nombreuses femmes de notre pays, comme vous l’évoquiez.

Mme le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin, pour la réplique.

Mme Véronique Guillotin. Madame la ministre, je vous remercie de cette réponse complète, qui me satisfait en partie : j’ai entendu votre ouverture quant à une possibilité de prise en charge ALD pour les cas graves, ainsi que vos annonces sur les formations accrues pour les professionnels de santé.

Mme le président. Nous en avons terminé avec les réponses à des questions orales.

Mes chers collègues, comme c’était aujourd’hui la dernière séance que je présidais en 2020, je vous souhaite de belles fêtes de fin d’année, ainsi qu’à Mme la ministre et à l’ensemble des personnels du Sénat.

8

Ordre du jour

Mme le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, mercredi 16 décembre 2020 :

À quinze heures :

Questions d’actualité au Gouvernement.

À seize heures trente et, éventuellement, le soir

Sous réserve de leur dépôt, conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif au Parquet européen et à la justice pénale spécialisée (texte n° 219, 2020-2021) ;

Sous réserve de sa transmission, nouvelle lecture du projet de loi de finances pour 2021 (texte A.N. n° 3642) ;

Une convention internationale examinée selon la procédure d’examen simplifié :

Projet de loi autorisant l’approbation de l’accord sous forme d’échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et l’Organisation mondiale de la santé relatif à l’octroi du statut diplomatique aux fonctionnaires de l’Organisation mondiale de la santé de grade P5 et supérieur du bureau de l’OMS (texte de la commission n° 213, 2020-2021).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures cinquante-cinq.)

 

nomination dun membre dune délégation sénatoriale

Le groupe Les Républicains a présenté une candidature pour la délégation sénatoriale à la prospective.

Aucune opposition ne sétant manifestée dans le délai prévu par larticle 8 du règlement, cette candidature est ratifiée : M. Jean Sol est proclamé membre de la délégation sénatoriale à la prospective, en remplacement de M. Albéric de Montgolfier.

 

Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,

le Chef de publication

ÉTIENNE BOULENGER