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Élection d’une juge suppléante à la Cour de justice de la République

M. le président. Voici le résultat du scrutin pour l’élection d’un juge suppléant à la Cour de justice de la République :

Nombre de votants : 131

Nombre de suffrages exprimés : 127

Bulletins blancs : 3

Bulletins nuls : 1

Mme Marie-Arlette Carlotti a obtenu 127 voix.

Mme Marie-Arlette Carlotti ayant obtenu la majorité absolue des suffrages exprimés, elle est proclamée juge suppléante à la Cour de justice de la République. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Je la félicite. C’est pour elle un jour particulier, marqué non seulement par cette belle élection, mais aussi par son anniversaire. (Exclamations de surprise.) Mes chers collègues, en votre nom à tous, je lui souhaite donc un joyeux anniversaire ! (Applaudissements.)

Mme Marie-Arlette Carlotti, juge suppléante à la Cour de justice de la République, va être appelée à prêter, devant le Sénat, le serment prévu par l’article 2 de la loi organique du 23 novembre 1993 sur la Cour de justice de la République.

Je vais donner lecture de la formule du serment, telle qu’elle figure dans la loi organique.

Je prie Mme Marie-Arlette Carlotti, juge suppléante, de bien vouloir se lever et de répondre, en levant la main droite, par les mots : « Je le jure. », après la lecture de la formule du serment.

Voici la formule du serment : « Je jure et promets de bien et fidèlement remplir mes fonctions, de garder le secret des délibérations et des votes, et de me conduire en tout comme un digne et loyal magistrat. »

(Mme Marie-Arlette Carlotti, juge suppléante, se lève et dit, en levant la main droite : « Je le jure. »)

M. le président. Acte est donné par le Sénat du serment qui vient d’être prêté devant lui. (Applaudissements.)

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Discussion générale (interruption de la discussion)
Dossier législatif : proposition de loi visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l'inceste
Discussion générale (suite)

Protection des jeunes mineurs des crimes sexuels

Suite de la discussion et adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

M. le président. Nous reprenons la discussion de la proposition de loi visant à protéger les jeunes mineurs des crimes sexuels.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Dominique Vérien. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l'inceste
Article 1er

Mme Dominique Vérien. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, 13 ans, est-ce assez ? Est-ce trop peu pour protéger les enfants ?

De quoi parlons-nous aujourd’hui ? De la création d’un crime qui consiste, pour un majeur, à avoir une relation sexuelle avec un mineur.

Le seul fait que la relation sexuelle soit constatée et que le majeur connaisse l’âge de l’enfant suffit à établir le crime et à envoyer l’adulte passer ses vingt prochaines années derrière les barreaux.

La création de ce crime revient donc à formaliser une véritable interdiction pour un majeur d’avoir une relation sexuelle avec un mineur de 13 ans. Non seulement c’est compréhensible, mais c’est souhaitable. Imaginer un adulte, c’est-à-dire une personne de plus de 18 ans, avec un enfant de moins de 13 ans – dans la très grande majorité des cas impubère – est choquant.

De la même façon, est-il choquant de voir deux jeunes, dont l’un serait juste au-dessous de ses 15 ans et l’autre juste au-dessus de ses 18 ans ? Ils sont consentants, me répondrez-vous. Reste que la proposition de loi que nous nous apprêtons à voter se contrefiche du consentement, et c’est bien pour cela que nous la votons.

Il faut cesser de s’interroger quant au consentement du mineur : avec ce nouveau crime, le mineur de 13 ans est victime sans avoir à le prouver, et c’est bien. Il est victime de l’adulte et c’est à l’adulte de savoir que l’on ne touche pas à un enfant.

Peut-on tenir ce raisonnement avec un mineur de 15 ans ?

Bien entendu, il faut également protéger les mineurs âgés de 13 à 15 ans de relations non consenties. L’amendement de notre rapporteur vise précisément à aider le juge à conclure qu’un manque de maturité peut équivaloir à la contrainte et à la surprise. Ces dispositions permettent de répondre à la nécessité de protection accrue des plus jeunes, sans pour autant juger de la pertinence d’une relation entre deux jeunes dont l’un serait majeur.

La différence d’âge conduit à considérer qu’il n’y a pas d’histoire d’amour entre un jeune de terminale et un jeune qui entre tout juste au collège ; entre deux élèves, l’un de seconde, l’autre de terminale, c’est parfois plus discutable. Voilà pourquoi Annick Billon propose l’âge de 13 ans.

Néanmoins, les avocates que nous avons auditionnées sont formelles : les auteurs disent et diront toujours qu’ils ne connaissaient pas l’âge de leur victime. Ah bon ? Pourtant, 87 % d’entre eux appartiennent au cercle rapproché de l’enfant : parents, beaux-parents, oncles, entraîneurs sportifs… Je vous invite à regarder l’avalanche de témoignages provoquée, sur Twitter, par le hashtag #MeTooInceste, auquel on a déjà fait référence. Presque tous les agresseurs connaissent leur victime, donc, évidemment, son âge !

Regardons ce fléau tel qu’il est : un agresseur choisit sa victime, l’entraîne dans sa nasse et la bâillonne à vie par le mal qu’il lui a fait. Et il connaît son âge ! Et il ne peut prétendre le contraire ! La seule chose qu’il prétend d’ailleurs, en général, c’est que l’enfant était consentant. Il n’aura plus à le faire.

Non, l’enfant n’est jamais consentant, quand bien même il dit « oui » ; et que l’on ne vienne pas nous parler d’enfants séducteurs. Oui, l’enfant veut plaire, oui, l’enfant veut séduire, mais ce qu’il demande, c’est de l’amour, de l’affection, pas une relation sexuelle, pas un viol.

C’est à l’adulte de savoir maîtriser ses pulsions, car lui sait. Si cette proposition de loi est adoptée, il saura que c’est vingt ans de prison.

La question de l’imprescriptibilité a également été posée.

Une victime de viol se sent elle-même coupable, quand elle ne souffre pas d’amnésie traumatique. C’est terrible. Dans ces conditions, l’âge de 48 ans, à savoir trente ans après la majorité, peut bel et bien être insuffisant.

Le problème n’est pas celui de la preuve, contrairement à ce que l’on nous répète. En effet, en cas d’inceste ou de viol dans le cercle de confiance de l’enfant, l’auteur lui-même reconnaît souvent les faits, pour peu que la victime parle. Peut-être reconnaît-il d’autant mieux les faits que ceux-ci sont prescrits : il faudrait se pencher sur ce point.

En tout état de cause, la France dispose, ce qui n’est pas le cas de tous les pays, d’une hiérarchie de la prescription.

Rendre le viol sur mineur imprescriptible, pourquoi pas ? Dès lors cependant, on sera en mesure d’exiger l’imprescriptibilité de tout crime, comme les meurtres, et ce sont les notions tout entières de hiérarchie des crimes et de droit à l’oubli qui devront être revisitées. Je le répète, pourquoi pas ? À mes yeux toutefois, ce débat n’a pas suffisamment progressé à ce jour pour que l’on puisse prendre une telle décision.

Enfin, il y a la question de l’inceste.

Un inceste est un inceste, quel que soit l’âge auquel il est commis. Là encore, un travail plus approfondi est nécessaire et je sais que vous le menez, monsieur le secrétaire d’État. L’aggravation de l’atteinte sexuelle en cas de relation incestueuse est une première étape.

En résumé, nous n’avons pas fini notre travail de protection des mineurs, mais, dans un premier temps, créons un interdit : créons ce seuil. C’est peut-être un petit pas, mais c’est un pas certain. Faisons-le !

Monsieur le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, inscrivez ce texte à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale.

Mme Dominique Vérien. Il n’est plus temps de réfléchir : voilà deux ans que l’on en parle et, aujourd’hui, nous avons déjà bien répondu à toutes les questions qui se posent. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE, SER et CRCE. – Mme Laure Darcos applaudit également.)

Merci encore à Annick Billon d’avoir déposé cette proposition de loi. Évidemment, les élus du groupe Union Centriste la voteront ! (Mêmes mouvements.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, avant tout, je tiens à dire merci aux signataires de cette proposition de loi, dont je relève le caractère transpartisan. Merci aux associations de leur mobilisation. Merci au groupe Union Centriste d’avoir inscrit ce texte sur son ordre du jour réservé, dont le temps limité nous impose d’ailleurs – je m’applique cette règle à moi-même – une grande sobriété de propos. (Sourires.)

Je ne sais si je peux ajouter le Gouvernement à cette liste de remerciements : j’ai entendu à la fois son ouverture d’esprit à l’égard de ce texte et son souhait de continuer à réfléchir, ce qui n’est jamais très bon signe pour le travail parlementaire. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. le secrétaire dÉtat manifeste son désaccord.)

Toutefois, les députés socialistes l’ont déjà annoncé : si le texte voté aujourd’hui est conforme à nos attentes et si le Gouvernement ne se montre pas très allant, ils l’inscriront sur leur propre temps parlementaire à l’Assemblée nationale pour qu’il puisse prospérer. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE, UC et RDSE. – Mme Valérie Boyer applaudit également.)

Le but essentiel de ce texte est sans doute de fixer – enfin ! – un seuil d’âge. À ce sujet, permettez-moi cette petite taquinerie. Il y a deux ans, les membres du groupe socialiste et républicain ont eux-mêmes proposé un seuil d’âge : ils ont essuyé un refus. Ce seuil était de 13 ans… Depuis, les esprits ont évolué : c’est une bonne chose.

Le seuil d’âge est un point délicat. Au sein de notre propre groupe, les avis divergent. La question n’est pas anodine, mais la création d’un seuil d’âge représente un tournant. C’est pourquoi il faut dire merci.

Au-delà, ce seuil d’âge permet d’évacuer la question du consentement.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. On ne tergiversera plus pour savoir si la victime a dit oui ou non, si elle savait, si l’auteur des faits connaissait son âge, etc. Désormais, l’âge du consentement est une donnée actée et, pour les mineurs de 13 ans, la notion de consentement s’en trouve écartée.

Pour notre part, nous proposons trois pistes d’amélioration. Certaines ont été retenues par la commission des lois, et j’en suis heureuse, mais ce n’est pas suffisant.

Premièrement, nous voulons agir en direction des victimes. Nous avons déposé un amendement que nous défendrons de nouveau dans quelques instants et pour lequel nous demanderons un scrutin public. Il vise à fixer à 18 ans l’âge du non-consentement dans le cas du crime d’inceste. Avec ce texte, on avance en instituant un seuil d’âge de 13 ans, même si certains souhaiteraient 15 ans : il n’est pas acceptable de ne pas avancer, en parallèle, au sujet de l’inceste. Pour le Sénat, ce serait une véritable occasion manquée.

Deuxièmement, nous voulons agir en direction des auteurs. Nous avons beaucoup parlé des questions de la prescription et de l’imprescriptibilité : nous y reviendrons peut-être, si nous en avons le temps. En la matière, une mesure serait assez utile. Elle a d’ailleurs déjà été votée par le Sénat en 2018 avant de disparaître du texte par le miracle de la commission mixte paritaire : c’est l’interruption de la prescription en cas de multiplicité de victimes.

Il s’agit d’un point essentiel. En effet, c’est souvent en cas de victimes multiples que les personnes agressées sont crues et que leur agresseur est confondu. De plus, nous l’avons vu dans l’affaire Flavie Flament et dans d’autres : du fait de la prescription, les victimes connaissent des sorts qui leur semblent, avec raison, inéquitables. L’interruption de la prescription en cas de victimes multiples permettra le maintien des poursuites contre les auteurs en série, qui, en la matière, sont une grande majorité.

Troisièmement, nous voulons agir en direction des témoins potentiels. Aujourd’hui, notre droit définit le délit de non-dénonciation de violences, maltraitances ou atteintes sexuelles sur enfants. Le problème, c’est que ce délit est un délit et que sa prescription est particulière. Nous proposons que le délai de prescription commence à courir à la majorité de la victime et soit prolongé de dix ans.

Madame la rapporteure, j’ai bien noté que vous souhaitez aller encore plus loin : vous proposez de prolonger ce délai de dix ans en cas de délit non dénoncé et de vingt ans en cas de crime. C’est une très bonne chose et nous vous rejoindrons probablement sur ce point. Il faut faire peser sur les témoins potentiels le poids de la responsabilité, y compris pénale.

Ces mesures ne suffiront sans doute pas à éradiquer le phénomène, mais seuls des efforts convergents en ce sens permettront de mieux protéger les enfants.

Mes chers collègues, vous l’avez compris : les élus du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain sont favorables à ce texte. Certes, nous le trouvons incomplet, parfois imprécis, et des discussions se poursuivent entre nous au sujet de l’âge. Reste que, dans ce domaine, c’est le Parlement qui avance ; c’est le Parlement qui, parfois, tord un peu le bras du Gouvernement. Nous l’avons d’ailleurs vu au sujet des violences faites aux femmes : la proposition de loi du député Les Républicains Aurélien Pradié a fini par aboutir grâce au Sénat.

Continuons dans cette voie transpartisane. J’adjure le Sénat de voter les améliorations que nous proposons : ne ratons pas le train de l’histoire. Il est plus que temps de sanctionner de manière efficace les auteurs de crimes sexuels sur les enfants mineurs ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)

M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier.

M. Stéphane Ravier. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’affaire Duhamel est écœurante, révoltante. Elle aura le mérite de mettre en lumière la responsabilité de tous ces soixante-huitards… (Exclamations sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)

M. Stéphane Ravier. … qui ont imposé l’interdiction d’interdire, y compris les rapports sexuels entre majeurs et mineurs.

Cette révolution ne s’est pas contentée de la pensée : elle est passée aux actes et nous conduit aujourd’hui, finalement, à devoir légiférer pour tenter d’empêcher ou de sanctionner l’ignominie.

Quant au silence, jusqu’au déni, de tous ceux qui savent ou qui cautionnent, il reste tout autant condamnable.

Il est urgent d’encourager la libération de la parole pour soulager la souffrance des victimes, d’être ferme avec les coupables en les punissant sévèrement et de demander des comptes aux complices passifs.

Les enfants, les familles ne peuvent appréhender l’avenir que dans la confiance, l’équilibre et la sérénité. Il faut donc que la justice de notre pays assure une application des peines claire et ferme et garantisse une transparence totale sur ces actes abjects, tout en ayant pour objectif ultime de protéger ces mineurs des prédateurs sexuels.

Fixer la barre de l’interdiction absolue de tout acte sexuel entre un majeur et un mineur de 13 ans ne doit pas priver les mineurs de 15 ans de la protection qui leur est garantie encore aujourd’hui.

Si je soutiens ce texte, nous ne devons pas abandonner l’impérieuse nécessité de protéger les mineurs âgés de 13 à 15 ans. Il ne saurait y avoir une quelconque forme de dépénalisation pour des actes sexuels commis sur des enfants issus de cette tranche d’âge.

Il y a une autre tolérance, sournoise, envers des agissements qu’il nous faut définitivement bannir, envers des individus qui n’ont aucune victime directe avérée, mais qui signent des tribunes dans la presse pour tenter de décriminaliser les rapports sexuels avec des mineurs ou tiennent des propos qui banalisent la pédophilie.

Ces apprentis sorciers doivent rendre des comptes. Le discours nauséabond qu’ils véhiculent doit être sévèrement condamné. On interdit de répandre des messages appelant à la haine et à la violence sous toutes ses formes : il faut être tout aussi implacable envers ceux qui banalisent en public des comportements graves et des crimes sexuels pédophiles.

On ne saurait admettre plus longtemps que l’on puisse se vanter, à la télévision, de prendre du plaisir quand des enfants jouent avec votre braguette. Ces sinistres individus devraient être non plus invités sur des plateaux, mais envoyés derrière les barreaux !

Les collectivités territoriales et l’éducation nationale doivent encourager les associations dont les messages vont dans le sens de la prévention.

Il est également urgent d’établir dans notre droit une imprescriptibilité pour les crimes sexuels commis sur des mineurs, quel que soit leur âge.

Cette imprescriptibilité est justifiée par l’extrême difficulté à parler, donc à aborder publiquement de tels actes, y compris lorsque la victime a atteint l’âge adulte. Un enfant abusé, un enfant violé, c’est un crime contre l’innocence ; c’est une blessure jamais cicatrisée ; c’est toute une vie jalonnée de souffrances.

Mes chers collègues, sachons protéger totalement, avec une loi claire et une justice impitoyable, ce que nous avons de plus précieux : nos enfants. Les adultes de demain vous en seront reconnaissants !

M. le président. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin.

Mme Vanina Paoli-Gagin. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, parce qu’elles touchent à l’intime et qu’elles ont de graves conséquences psychologiques, les infractions sexuelles hantent durablement, voire éternellement, la vie des victimes. Lorsque ces dernières sont des enfants, personnes vulnérables, les effets n’en sont que plus dévastateurs et c’est notre société tout entière qui s’en trouve fragilisée.

Il est donc impératif de mieux protéger les mineurs contre ces atteintes : c’est l’objectif de la proposition de loi de notre collègue, que, je crois, nous approuvons tous.

Les évolutions récentes sont positives. En 2018, la loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes a complété notre droit. Malgré cela et au-delà même des difficultés probatoires propres à ce type d’infractions, la protection des enfants demeure fragile et insuffisante.

La répression des agressions sexuelles, dont le viol fait partie, est centrée sur la notion d’absence de consentement de la victime. Vous me l’accorderez, ce fondement paradoxal convient mal à de jeunes individus dont le discernement est nécessairement en construction.

La répression des atteintes sexuelles sur mineur de 15 ans a quant à elle pour objet de poser un interdit social en défendant aux majeurs toute relation sexuelle avec les moins de 15 ans. Il s’agit toutefois là d’un simple délit et les peines associées ne sont pas assez lourdes.

Aussi, Annick Billon propose de criminaliser toute relation sexuelle impliquant pénétration, même sans violence, entre un mineur de 13 ans et un majeur.

Cette nouvelle infraction se situe, sous l’angle de la qualification pénale, aux frontières du viol et de l’atteinte sexuelle sur mineur. C’est une avancée, mais je pense qu’il est important de renforcer significativement l’interdit social pesant sur ce type de relations.

Nous devons protéger nos enfants, pour eux-mêmes d’abord, car ces atteintes ont des effets destructeurs qui s’inscrivent dans la durée et infectent insidieusement tout le corps social.

Nous devons aussi protéger nos enfants pour les adultes qu’ils seront, pour les familles qu’ils fonderont et pour la société que nous voulons demain. De nombreux agresseurs ont eux-mêmes été victimes d’abus et ce cycle doit être brisé.

À ce titre, les membres du groupe Les Indépendants soutiennent le renforcement des sanctions. En toute circonstance, les adultes doivent protéger les enfants ; ceux qui leur portent atteinte doivent être lourdement sanctionnés et ceux qui ont connaissance d’abus doivent en alerter les autorités, sous peine de sanctions alourdies.

À ce titre, j’insiste sur l’importance de ces signalements lorsqu’il s’agit d’enfants. Beaucoup ne diront pas les abus qu’ils subissent. Même si ces enfants en ressentent souvent le traumatisme, ils peuvent ne pas les concevoir comme des abus : parce qu’ils sont le fait de personnes ayant autorité sur eux, parce qu’ils ne sont souvent pas à même, tout simplement, de les nommer, parce qu’ils se sentent trop souvent coupables de ce qui leur arrive, mais aussi parce qu’ils ne savent pas toujours s’ils doivent ou peuvent en parler. Il est de notre devoir de désamorcer cette bombe à retardement et à fragmentation.

Mes chers collègues, dans ces affaires, l’omerta, c’est aussi le camp du mal. Elle doit cesser et je vous proposerai deux amendements à cette fin : il s’agit, d’une part, de fixer le délai de prescription du délit de non-dénonciation à vingt ans à compter de la majorité de la victime, d’autre part, de renforcer significativement les peines encourues.

En aggravant les sanctions des auteurs d’infractions sexuelles sur mineur et en brisant la loi du silence, je suis convaincue que nous contribuerons à mieux protéger nos enfants.

Monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, c’est notre responsabilité de tracer, ici et maintenant, une ligne claire entre la barbarie et la civilisation.

Nous devons le faire, à la fois au nom des grands principes et des grands sentiments !

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, 165 000 : c’est le nombre estimé de mineures et de mineurs qui, chaque année en France, subissent des violences sexuelles. Ce sont 130 000 filles et 35 000 garçons que le droit n’aura pas su protéger.

Les difficultés en la matière sont de plusieurs ordres.

Tout d’abord, ces violences demeurent trop peu dénoncées. Si l’on s’en tient aux chiffres officiels du ministère de l’intérieur, on recense en 2019 à peine plus de 7 000 plaintes.

Peu d’agressions font l’objet de plaintes, parce que nombre d’entre elles se produisent malheureusement dans le cadre de la famille. Nous ne pouvons ignorer toutefois qu’il existe des difficultés d’ordre juridique : si le dépôt de ces plaintes est en nette augmentation depuis quelques années, le droit, complexe en ce domaine, empêche trop souvent les procédures d’aboutir une condamnation.

La loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, adoptée au mois d’août 2018, a apporté deux améliorations significatives. Elle a permis l’allongement du délai de prescription pour les crimes sexuels commis sur mineur et a précisé la définition du viol commis sur une victime de moins de 15 ans. Cette loi restait néanmoins inachevée, faute d’avoir créé un seuil d’âge précis au-dessous duquel toute personne adulte qui a eu un rapport sexuel avec une personne mineure tomberait sous le coup d’une condamnation.

La proposition de loi dont nous débattons, cosignée par plus de cent sénatrices et sénateurs de tous bords politiques, entend mettre un terme à cette situation juridique, empêchant de considérer systématiquement de tels actes comme des viols. Elle pose ainsi une limite législative claire : l’interdiction absolue de tout acte sexuel entre une personne majeure et une personne mineure de 13 ans.

En outre, l’ajout, à la suite des travaux de la commission des lois, de l’article 1er bis, qui prévoit des protections supplémentaires pour la tranche d’âge de 13 à 15 ans, mérite d’être salué. Toutefois, certains d’entre nous auraient préféré que cette proposition de loi retienne le seuil de 15 ans.

À l’aune du hashtag #MeTooInceste, à l’aune également de la récente étude menée par l’association Face à l’inceste, estimant que près de 6,7 millions de Françaises et de Français ont été victimes d’inceste, la politique des petits pas en matière de crimes sexuels sur mineur n’est plus envisageable.

Par ailleurs, nous souhaitons d’autres améliorations, tout particulièrement la reconnaissance des actes bucco-génitaux comme crimes sexuels : les élus du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires ont déposé un amendement en ce sens.

De même, à l’avenir, il serait opportun de bénéficier de données officielles plus précises et plus régulières quant aux violences sexuelles commises sur personnes mineures.

Pour autant, cette proposition de loi est nécessaire et nous en saluons l’initiative. C’est la raison pour laquelle les membres du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires la voteront.

Monsieur le garde des sceaux, avec ce texte, le Sénat a accompli un excellent travail. Pourtant, chaque fois que l’exécutif peut passer par-dessus la tête des parlementaires, il le fait.

Mme Esther Benbassa. Tel a été le cas en 2018 avec le projet de loi de Mme Schiappa, venu après la proposition de loi du Sénat. Allez-vous en faire de même sur cette question, en engageant une nouvelle consultation en dehors du Parlement pour préparer encore un nouveau texte ? (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à Mme Jacky Deromedi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Jacky Deromedi. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous nous réunissons de nouveau aujourd’hui avec la ferme intention de renforcer la protection de nos enfants, comme nous l’avons fait au mois de juin dernier lors de l’examen de la proposition de loi visant à protéger les victimes de violences conjugales. Aujourd’hui, l’objectif est d’autant plus complexe qu’il est précis, puisqu’il s’agit d’améliorer la lutte contre les violences sexuelles commises sur de très jeunes mineurs.

Chère Annick Billon, l’ambition première de votre proposition de loi est, telle que nous la comprenons, de réprimer les faits de viol perpétrés sur des mineurs de 13 ans.

Le groupe Les Républicains du Sénat ne peut que partager l’analyse selon laquelle le viol sur mineur, notamment sur de très jeunes victimes, reste particulièrement difficile à caractériser, à poursuivre et à condamner. Si la définition du viol, complexe à appréhender et trop restrictive selon certains, sera sans aucun doute au cœur de nos débats de ce jour, la première des questions qui s’impose aujourd’hui à nous semble la suivante : la loi en vigueur fixe-t-elle un interdit sociétal suffisamment clair, intelligible et dénué d’équivoque ?

Pour un certain nombre de professionnels, qu’ils exercent dans les milieux de la santé, de l’éducation ou encore de la justice, nos dispositions en matière pénale suffisent à réprimer l’ensemble des violences sexuelles commises sur de jeunes mineurs.

Pourtant, si l’on en croit la forte émotion suscitée dans le débat public ces derniers jours par la parution du livre La Familia grande de Camille Kouchner, la réponse à cette question semble moins évidente.

Or, comme le remarquait Portalis dans son discours préliminaire sur le projet de code civil, « il est des temps où l’on est condamné à l’ignorance parce qu’on manque de livres ; il en est d’autres où il est difficile de s’instruire parce qu’on en a trop ».

Qu’il s’agisse de la détermination d’un seuil d’âge – 13 ou 15 ans – ou de l’institution d’une infraction autonome plutôt que d’une présomption, les avis diffèrent souvent d’un citoyen à un autre et, de la même façon, d’un législateur à un autre. Notre groupe ne fait pas exception en la matière.

Cependant, la position élaborée par la commission des lois nous semble à la fois prudente et pertinente.

En particulier, l’introduction dans le texte de la notion de « maturité sexuelle » est intéressante, en ce qu’elle permettrait au magistrat, « pénétré de l’esprit général des lois, à en diriger l’application », pour citer de nouveau Portalis, selon qui « les lois positives ne sauraient jamais entièrement remplacer l’usage de la raison naturelle dans les affaires de la vie ».

Aussi, nous saluons la proposition de notre rapporteur d’accroître la protection des mineurs âgés de 13 à 15 ans en précisant que la contrainte ou la surprise peut résulter de ce que la victime mineure était âgée de moins de 15 ans et ne disposait pas de la maturité sexuelle suffisante.

Pour conclure, je tiens à remercier notre rapporteur, Marie Mercier, de la qualité et de l’humanité de son travail sur un sujet aussi sensible que délicat.

Pour l’ensemble des raisons évoquées, je ne doute pas que les membres du groupe Les Républicains voteront cette proposition de loi, telle qu’elle a été amendée par la commission des lois. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)