M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Julien Bargeton, rapporteur de la commission de la culture, de léducation et de la communication. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, d’un côté, « polyvalence », « responsabilité », « sens du relationnel », « tâches administratives », « disponibilité », et, de l’autre, « surcharge de travail », « stress » et « fatigue » : telle est la dichotomie qui caractérise, en réalité, le rôle des directrices et directeurs d’école.

Ces mots, ils les ont eux-mêmes utilisés pour définir l’exercice de leurs fonctions, lors de la consultation organisée par le ministère de l’éducation nationale en décembre 2019.

Les 45 000 directrices et directeurs d’école de notre pays sont un maillon essentiel du bon fonctionnement des écoles. Ils sont des figures identifiées et connues, mais pas assez reconnues ; nous devons y remédier aujourd’hui. Ils sont des interlocuteurs privilégiés des familles, des élus locaux et de la hiérarchique académique.

Il convient de leur rendre ici hommage, ainsi qu’à leur travail, et cela d’abord et avant tout dans le cadre de la crise sanitaire sans précédent que nous vivons. Cela a été rappelé, ils ont joué dans ces circonstances un rôle essentiel, et ils continuent de le faire.

Il y a un an, au moment du premier confinement, c’est naturellement vers les directeurs d’école que les parents se sont tournés pour obtenir des informations, connaître les démarches à suivre, savoir comment les cours allaient être assurés. Ces directeurs se sont fait le relais des informations transmises par la hiérarchie académique, ils ont fait remonter les demandes, ils sont partis à la recherche des familles dont l’école n’avait plus de nouvelles, ils ont épaulé leurs collègues pour mettre en place une continuité pédagogique.

Puis est venu le temps du déconfinement. Ils ont, là encore, joué un rôle essentiel, en lien étroit avec les maires, pour rassurer ou répondre à l’impatience des familles.

Ces tâches se sont ajoutées à leurs missions habituelles, comme la préparation administrative du passage au collège des élèves de CM2, les démarches à faire pour la prochaine rentrée, mais aussi leur propre charge d’enseignement. N’oublions pas que 94 % des directeurs d’école cumulent charge de classe et direction d’école ; seuls 6 % d’entre eux sont entièrement déchargés.

La poursuite de la pandémie, avec l’évolution des protocoles sanitaires, la gestion des suspicions de covid et des cas de covid avérés continuent de souligner l’ampleur de leurs responsabilités.

Cette crise met en lumière le changement des missions des directeurs d’école du fait de l’évolution de la société, de la modification des relations entre les parents et l’école, ou encore du développement de l’école inclusive, dont nous nous réjouissons. Mais, si les responsabilités ont augmenté, les textes juridiques, eux, n’ont pas évolué. Le statu quo juridique, administratif et humain est devenu intenable.

La commission de la culture, au travers du rapport très juste de nos collègues Max Brisson et Françoise Laborde, avait identifié les cinq besoins des directeurs d’école : un cadre juridique adapté, un besoin de temps, un besoin de formation, une redéfinition des tâches, une aide administrative ou matérielle.

Le présent texte, proposé par notre collègue députée Cécile Rilhac, qui assiste à notre débat depuis les tribunes et que je salue, apporte, me semble-t-il, les premières réponses à ces besoins.

Nous vivons un moment de convergence : un rapport du Sénat dénonçant un statu quo intenable ; une proposition de loi de nos collègues députés ; les premières annonces gouvernementales importantes à l’été 2020, que M. le ministre a rappelées : la prime, les mesures pour lutter contre la solitude, les jours de décharge supplémentaires pour les directeurs d’école de moins de quatre classes. Les astres sont alignés ! Le moment est donc venu pour mettre en cohérence la situation juridique des directeurs d’école.

Cette proposition de loi permet plusieurs avancées.

Elle renforce la base juridique des actions des directeurs d’école. Elle permet, pour la première fois, la reconnaissance dans la loi du principe de la décharge. Elle prévoit la possibilité de délégations de compétences de l’inspecteur de l’éducation nationale au directeur d’école. Elle vise également à préciser les modalités de nomination, d’avancement et de formation des directeurs d’école, précisions qui étaient attendues.

Les modifications apportées par la commission à cette proposition de loi sont nombreuses, mais j’aimerais insister sur trois grands changements.

Tout d’abord, nous avons débattu du rôle de directeur d’école, mais avons maintenu dans le texte l’équilibre fondamental qui existe aujourd’hui sur ce point. Ainsi, nous ne consacrons ni l’absence ni l’existence d’une autorité hiérarchique.

Néanmoins, qu’en est-il de l’autorité fonctionnelle ? Nous avons décidé de mettre à profit la semaine entre l’examen du texte en commission et son passage en séance pour continuer à travailler sur ce sujet. Et la commission a décidé d’apporter un avis favorable à des amendements de nos collègues Max Brisson et Sonia de La Provôté.

Après l’autorité fonctionnelle, le deuxième sujet qui nous a occupés est celui du délai laissé aux directeurs d’école pour développer des projets.

Le texte prévoyait un délai d’un an, que la commission a souhaité étendre à deux, afin de donner un temps plus long au dialogue entre le directeur d’école et l’inspection d’académie et ainsi permettre de mieux évaluer la façon dont les projets ont été menés et examiner d’éventuels changements. Je le redis, une durée de deux ans nous paraît plus pertinente pour l’évaluation de ces missions.

Le troisième grand sujet – il y en a eu d’autres, mais je n’aborde que quelques thèmes –, ce sont les problèmes de nomination des directeurs d’école. Un débat a eu lieu, et nous estimons tous qu’un directeur d’école doit être formé pour assurer ses fonctions et que cette formation doit intervenir avant la prise de poste. J’insiste sur le fait qu’un consensus s’est dégagé sur ce point.

En revanche, une discussion s’est engagée en commission – nous débattrons encore de ce sujet ce soir – sur la possibilité d’instaurer une obligation. Fixer un cadre trop rigide pourrait, me semble-t-il, méconnaître une réalité : de nombreux directeurs font fonction et des postes sont vacants. Une procédure trop stricte et rigide de nomination risquerait de conduire à des écoles sans directeur.

Voilà trois des sujets que nous avons abordés parmi d’autres, qui émailleront nos débats.

Pour faire une synthèse, je relève que la proposition de loi permet de consolider la base juridique de l’action des directeurs d’école, qu’elle prévoit des mesures pour favoriser l’exercice de leurs missions sans remettre en cause l’équilibre tel qu’il existe aujourd’hui – il est important d’insister sur ce point – et qu’elle apporte des réponses aux besoins exprimés par les directeurs et directrices d’école eux-mêmes, qui avaient été notamment rappelés dans le rapport de Max Brisson et Françoise Laborde.

Tels sont les objectifs de cette proposition de loi que le Sénat peut adopter aujourd’hui. J’espère que nous aurons un débat riche sur le fond. (M. François Patriat applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme Monique de Marco.

Mme Monique de Marco. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi créant la fonction de directrice et directeur d’école a été déposée à l’Assemblée nationale en mai 2020 dans un contexte très particulier.

Le 29 septembre 2019, Christine Renon s’est suicidée dans son école de Pantin. Les courriers qu’elle avait adressés à ses collègues, ainsi qu’à l’éducation nationale, ont fait ressortir le malaise grandissant des directrices et directeurs d’école.

Le constat est simple. Les directrices et directeurs dénoncent un manque de reconnaissance, une charge de travail trop lourde, avec trop peu de décharges de classe et quasiment aucune aide administrative, ainsi qu’un manque de revalorisation salariale.

En 2018, selon le rapport d’information de la commission de la culture du Sénat présenté par Max Brisson et Françoise Laborde, près de 60 % d’entre eux déclaraient être en situation de burn-out. La fonction de directrice et directeur d’école attire de moins en moins les enseignants, car elle relève davantage d’un sacerdoce que d’une promotion valorisante. D’ailleurs, selon les syndicats, près de 4 000 postes de directeur seraient vacants, ce qui représente 9 % des écoles.

Face à cette situation, peu de choses ont été faites, monsieur le ministre, à part le dépôt de cette proposition de loi par la députée de votre majorité Cécile Rilhac.

Vous avez ensuite lancé, en décembre 2019, une grande consultation des directrices et directeurs d’école, qui ont été très nombreux à répondre. Les résultats sont parlants : quelque 75 % d’entre eux consacrent une grande partie de leur temps aux tâches administratives, et 62 % disent que ces tâches sont les plus pénibles.

Vous avez concédé une augmentation de 600 postes destinés aux décharges de direction, ainsi qu’une prime de 450 euros brut par an, dont vous avez annoncé qu’elle serait pérennisée. C’est malheureusement bien loin d’être suffisant ! Et que représentent 600 postes, alors que la France compte plus de 44 000 écoles publiques et qu’une majorité de leurs directeurs disent manquer de temps ?

Le contexte s’est aggravé en 2020 avec la période inédite de la crise sanitaire, qui a placé les équipes enseignantes dans un environnement dégradé. Celles-ci ont été, et sont toujours, particulièrement exposées. Elles font face à l’isolement et à une charge de responsabilité accrue. Je tiens aujourd’hui à les féliciter, à leur rendre hommage et à souligner leur professionnalisme à toute épreuve et leur engagement sans faille.

Quelles sont les demandes ?

Les directrices et directeurs d’école veulent une aide administrative pérenne, assurée par des permanents et non par des jeunes en service civique, qui changent tous les ans et ont besoin d’être formés à chaque rentrée. Ils réclament également une augmentation significative du temps de décharge, sans mission supplémentaire, et non plus seulement en fonction du nombre de classes.

Dans l’état actuel des choses, cette proposition de loi ne répond pas aux attentes de la profession. Certes, pour le moment, la création d’un emploi fonctionnel a été retirée du texte à l’Assemblée nationale, ce qui est une bonne chose. Mais cette proposition va revenir.

Nous tenons à saluer la volonté de reconnaître et d’augmenter les possibilités de décharge, mais il faudrait clarifier les choses.

Le risque de créer une hiérarchie entre le directeur et les enseignants est toujours présent. Les syndicats et la majorité des enseignants que nous avons interrogés s’accordent pourtant sur ce point : il faut conserver le fonctionnement collégial des écoles. De plus, différentes mesures laissent craindre une augmentation de la charge de travail des directrices et directeurs, notamment la création d’une mission de formation, ce qui va à contresens de leurs demandes.

Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires ne votera donc pas cette proposition de loi en l’état.

M. le président. La parole est à Mme Guylène Pantel.

Mme Guylène Pantel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, « surcharge de travail administratif », « manque de reconnaissance », « solitude » : les directeurs et directrices d’école expriment bien souvent par ces mots les difficultés qu’ils rencontrent dans l’exercice de leur métier.

Dans un rapport d’information de grande qualité, notre collègue Max Brisson et notre chère Françoise Laborde ont présenté de nombreux témoignages illustrant cette réalité, qui n’est pas sans conséquence sur les vocations. Chaque année, ce sont en effet près de 4 000 postes de directeur qui restent vacants.

Le rôle de directeur d’école est pourtant essentiel au fonctionnement de l’école au regard des nombreuses missions qu’il occupe. Je ne vais pas les énumérer, car cela a été fait. Je rappellerai seulement que ces missions se sont progressivement renforcées au gré des défis auxquels notre société est confrontée. La pandémie actuelle en fait partie.

Plus que jamais, ce grand défi sanitaire a mis en lumière la mobilisation extraordinaire des directions scolaires.

En 2020, le Gouvernement a accéléré l’agenda social, avec la nécessité impérieuse de soutenir cette catégorie. Le texte qui nous est proposé va dans ce sens. On y retrouve de nombreuses propositions du rapport du Sénat que j’ai évoqué au début de mon propos.

Oui, il est nécessaire de reconnaître, à l’article 2, que le directeur dispose d’un emploi de direction et que doivent être attachées à ce rôle des gratifications à la hauteur de son investissement et de la grande disponibilité qu’impliquent ses missions croissantes. En effet, presque tous les directeurs et directrices dépassent leur temps de travail hebdomadaire.

Au-delà de leur statut, les directeurs réclament aussi davantage de moyens humains pour faire fonctionner l’école. La mise en place d’une assistance administrative et matérielle, prévue par l’article 2 bis, est une bonne chose.

Toutefois, il faut faire attention à ne pas trop solliciter les collectivités locales. Ce ne sont pas nos communes et nos départements qui alourdissent les charges incombant aux directeurs.

L’État doit en particulier assumer les nouvelles responsabilités qu’il impose aux directeurs au travers de ses politiques nationales. Je pense aux plans de sécurité renforcés depuis les attentats de 2015, mais aussi au développement de l’école inclusive. Bien entendu, on ne peut que souscrire au développement de ces politiques fondamentales, mais les moyens doivent suivre sur le terrain.

L’article 1er, qui octroie une délégation de compétences de l’autorité académique aux directeurs, est également une avancée, que mon groupe partage. Le directeur a besoin d’une respiration pour prendre des initiatives sans devoir toujours se justifier. Cependant, j’observe que, à ce niveau du texte, se pose la question de l’autorité fonctionnelle.

Au vu des amendements déposés, ce point va faire débat. Est-il utile, comme l’ont fait les députés en première lecture, de préciser que le directeur n’exerce pas d’autorité hiérarchique sur les enseignants de son école ?

La commission a supprimé cette mention. Il faut en effet trouver un équilibre qui ne remette pas en question la place de chacun dans l’école. L’indépendance des professeurs et leur liberté pédagogique sont consubstantielles à notre système éducatif. Dans le même temps, le directeur doit avoir les moyens de son rôle, car il s’est progressivement transformé en un véritable chef d’établissement.

Mes chers collègues, le groupe du RDSE aborde ce texte avec bienveillance, mais il faudra sans doute faire encore plus, car l’école de Jules Ferry a bien changé.

Sur certains territoires, elle est devenue le réceptacle de nombreuses fractures sociales que les directeurs et directrices tentent de colmater avec leur énergie, leur temps et leur humanité. Ceux-ci méritent à ce titre notre admiration et, surtout, tout notre soutien pour leur large contribution au pacte républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Céline Brulin.

Mme Céline Brulin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le mal-être des directeurs et des directrices d’école est connu, tout comme l’est leur surcharge de travail, particulièrement en ces temps d’épidémie.

Or je crains que le texte dont nous débattons aujourd’hui n’apporte peu de réponses à ce problème et que même, au contraire, il ne ravive un mécontentement exprimé à plusieurs reprises quant à la nature des réponses à prévoir.

Vous avez annoncé, monsieur le ministre, quelques avancées bienvenues : je pense aux décharges, par exemple, en regrettant que ces dernières ne concernent qu’une minorité des directeurs et directrices d’école, qui se voient confier en parallèle de nouvelles missions. Les postes qui sont créés pour compenser cette mesure sont très insuffisants, alors que l’on manque déjà tellement de remplaçants.

La pérennisation de la prime exceptionnelle de 450 euros est une bonne nouvelle, même si elle est encore loin de permettre de rattraper les écarts de rémunération avec les autres pays de l’OCDE.

Depuis des années, les tâches administratives des directeurs et directrices d’école augmentent sans qu’une aide efficace leur soit apportée, et ce n’est évidemment pas les jeunes en service civique qui pourront y répondre. Ce problème se pose avec plus de force encore en ces temps de crise sanitaire, où la mise en œuvre de protocoles, les injonctions parfois contradictoires et les délais contraints pèsent jusqu’à l’épuisement.

Les directeurs et les directrices sont au croisement des exigences des parents, des enseignants, des autorités académiques et parfois des communes ; et le soutien hiérarchique leur manque quelquefois cruellement. Souhaitons que le « référent direction d’école » créé dans chaque direction des services départementaux de l’éducation nationale par l’article 3 apporte une réponse à cette difficulté.

J’en viens à ce qui sera sûrement un point de discussion majeur de la proposition de loi : la place qu’occupent les directeurs et les directrices d’école maternelle et élémentaire dans l’organisation scolaire. Il y a un an, une directrice d’école déclarait à notre commission : « Pour être efficaces, nous avons besoin de continuer à être enseignants. Notre voix sera plus forte si nous vivons les mêmes problèmes que nos collègues. »

Il faut entendre cette volonté, tenir compte de la consultation que vous avez lancée, monsieur le ministre, et dont la conclusion est la même.

En effet, la crainte est grande d’aller vers des directeurs uniquement gestionnaires, comme le deviennent parfois les principaux de collèges et les proviseurs de lycées, ou encore les directeurs hospitaliers. La crise sanitaire met en lumière, je le crois, combien l’organisation hospitalière est de plus en plus déconnectée de sa mission première, avec une organisation dans laquelle les considérations de gestion et d’administration développent de la technocratie et conduisent à l’immobilisme.

Cette nouvelle offensive pour modifier le statut des directeurs d’école intervient en même temps que des pressions fortes pour regrouper les écoles de proximité dans de super-établissements. Comment ne pas faire le lien ?

Pendant la crise, c’est le collectif qui a permis que les écoles tiennent, m’ont expliqué des directeurs et des directrices d’école. Ni l’autorité hiérarchique ni le concept quelque peu « fumeux » – vous m’excuserez, mes chers collègues, de ce qualificatif – d’« autorité fonctionnelle » ne permettront d’améliorer la situation de ces fonctionnaires, actuellement débordés, qui demandent du soutien, de l’assistance administrative, de la reconnaissance à tous points de vue, des outils modernes et efficaces, et non pas d’être soumis à davantage de responsabilités dans un contexte déjà difficile, ce qui risquerait au contraire d’accroître la crise de recrutement.

Dernier point, plusieurs aspects de ce texte sont inquiétants pour les communes. Celles-ci risquent d’être sollicitées plus encore pour assurer le fonctionnement et la mise à disposition de personnels et de moyens pour les écoles. Ce n’est pas juste sur le fond et, là encore, ce n’est vraiment pas le moment, alors qu’elles ont toutes dû déployer bien des moyens pour faire face à la crise sanitaire et assurer la mise en œuvre des protocoles.

Notre groupe ne soutiendra pas ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)

M. le président. La parole est à Mme Sonia de La Provôté. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi quau banc des commissions.)

Mme Sonia de La Provôté. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la crise sanitaire a renforcé de manière indéniable le rôle primordial des directeurs d’école. Ceux-ci ont en effet été les piliers, avec les enseignants, de la continuité pédagogique, mettant en place en urgence des outils numériques, organisant l’accueil des enfants du personnel soignant et maintenant le lien entre les enseignants, les parents, les élèves et les mairies. Ils ont accompagné la mise en œuvre des protocoles itératifs.

Et voilà que s’ajoutent les tests salivaires : la hiérarchie attend des directeurs qu’ils fassent tout pour que ces tests soient réalisés, ce qui va être – vous pouvez me croire, monsieur le ministre – très compliqué !

Au-delà de cette crise, les directrices et directeurs sont bien un maillon essentiel du bon fonctionnement des écoles, dans leur dimension sociale et sociétale : ils sont les interlocuteurs de la hiérarchie académique, des élus locaux et des services municipaux, et des familles. Ils sont aussi membres à part entière de l’équipe éducative, a fortiori quand ils enseignent encore.

Ces constats sont un hommage qui est rendu à ces directrices et directeurs ; mais, en creux, ils mettent aussi en lumière toutes les missions qui leur incombent : ils sont, pour utiliser une expression certes prosaïque, de véritables « couteaux suisses » de l’école de la République sur le terrain.

En effet, l’évolution de la société et de l’école a conduit à un renforcement de leurs responsabilités, à une complexification de leurs tâches et à une augmentation du temps qu’ils doivent consacrer à celles-ci. Or, le cadre législatif de leur action n’a pas connu de modifications majeures depuis 2005.

Dans leur rapport remis en juin dernier, nos collègues Max Brisson et Françoise Laborde avaient fait plusieurs constats.

Tout d’abord, ils avaient rappelé que la fonction de directeur attire moins. Entre 4 000 et 5 000 postes de directeurs seraient vacants chaque année, soit 9 % des écoles, et 13 % des directeurs d’école indiquaient ne pas avoir demandé à exercer cette fonction, ce phénomène touchant les écoles rurales comme les plus grosses structures urbaines.

Ensuite, ils avaient relevé que la profession était marquée par un profond malaise. En 2018, plus de la moitié des directeurs d’école considérait que leurs conditions de travail s’étaient dégradées ces dernières années. Ces dégradations mènent parfois à des drames humains, que l’on a tous tristement en mémoire.

Le statu quo étant devenu intenable, il était vital que l’emploi de directrice ou de directeur soit traité de manière autonome.

Le texte qui nous réunit aujourd’hui s’inscrit dans une volonté commune du législateur et de l’exécutif : celle d’améliorer la situation et la reconnaissance des directeurs d’école. Le travail effectué par le rapporteur, Julien Bargeton, a vraiment permis d’aller en ce sens.

Le premier point du texte que je souhaite aborder est celui de l’autorité du directeur sur les enseignants. Le directeur est un « pair parmi ses pairs », comme le veut la formule consacrée. La question de l’autorité hiérarchique doit être évacuée : nombreux sont ceux qui préfèrent une autorité fonctionnelle, car elle évite, entre autres, l’écueil des évaluations des collègues. Nous avons donc souhaité déposer un amendement en ce sens.

L’autorité fonctionnelle pour les directeurs favorise le bon fonctionnement de l’école et permet la réalisation des missions qui leur sont confiées ; c’est une délégation de compétence de l’autorité administrative.

En dehors de ce rôle, il n’y a pas d’autorité hiérarchique nécessaire : l’autorité est donc confiée dans les limites du cadre de leur mission.

C’est la reconnaissance aussi que l’emploi de directeur d’école est un sujet à part entière dans l’organisation de l’éducation nationale : les directeurs sont devenus absolument indispensables.

Le second point essentiel est celui de la décharge. Si nous regrettons que le texte de l’Assemblée aille moins loin que la proposition de loi initiale, le texte inscrit pour la première fois « en dur » le principe de la décharge : nous ne pouvons que nous en féliciter.

Un amendement de Max Brisson tend à préciser ce système de décharge en prévoyant qu’un bilan en soit fait chaque année en conseil départemental de l’éducation nationale, ou CDEN. Nous avons souhaité le compléter, afin que ce bilan mentionne les motifs pour lesquels les décharges ont été utilisées. En effet, le texte de l’Assemblée nationale ne prévoit que des raisons structurelles pour déterminer la décharge, à savoir le nombre de classes et les spécificités de l’école.

Ces motifs sont trop théoriques et trop rigides. Il existe en pratique des situations imprévisibles, conjoncturelles, qui échappent à l’arithmétique pure et nécessitent l’utilisation d’heures de décharge : prises en charge de handicaps complexes, conflits internes par exemple. Le temps qui leur est consacré peut déborder largement le cadre de la décharge initialement prévue.

Un autre point important est celui de la formation. L’article 2 de la proposition de loi pourra être complété lors de notre débat par l’inscription de la nécessité d’une formation initiale sur le rôle, les responsabilités et les missions du directeur d’école, ainsi que par une formation continue adaptée une fois en fonction. En effet, les auditions ont montré que le besoin est réel, notamment en matière de gestion de crise, d’animation et de pilotage.

Enfin, le financement de l’accompagnement administratif et matériel à l’exercice de direction pose question. L’État ne doit pas laisser la charge financière peser uniquement sur les communes et leurs groupements.

Nous avons donc souhaité déposer un amendement visant à ce que l’État prenne à sa charge ce financement. Toutes les communes n’ont pas les moyens d’assurer aux directeurs d’école un appui technique et humain en matière administrative. C’est réellement au ministère d’assurer ce rôle : il s’agit à la fois d’une question d’équité et d’une mission de l’éducation nationale.

Ce texte est un premier pas vers la reconnaissance du rôle des directeurs et directrices d’école. Ceux-ci sont des piliers qui font fonctionner nos écoles, et leurs missions sont extrêmement variées, souvent complexes et très lourdes.

Mes collègues du groupe Union Centriste et moi-même estimons que certains points sont à clarifier ou à améliorer, ce que notre débat permettra de faire. Néanmoins, nous saluons l’esprit de ce texte, qui était attendu et qui est donc bienvenu. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – MM. Jean-Pierre Decool et Max Brisson applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre Monier. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Marie-Pierre Monier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis pour examiner la proposition de loi créant la fonction de directrice ou de directeur d’école.

Je me réjouis que nous ayons ainsi l’occasion d’évoquer la situation de ces femmes et de ces hommes qui sont des rouages indispensables de nos écoles du premier degré, encore mis à l’épreuve par la gestion récente de la crise sanitaire.

La disparition tragique en 2019 de Christine Renon, directrice d’école à Pantin, avait jeté une lumière crue sur une réalité trop longtemps ignorée : accumulation des tâches administratives jusqu’à l’épuisement, carences matérielles, turnover incessant des remplaçants, accompagnement insuffisant de l’académie. Autant de points sur lesquels l’éducation nationale peut et doit s’améliorer, particulièrement dans ses pratiques quotidiennes.

Alors que nous étions mobilisés lundi autour de la journée du 8 mars, je souhaite rappeler que 71 % des postes de direction d’école sont occupés par des femmes, majoritaires comme dans bien d’autres champs de l’éducation nationale. Il est plus que temps de reconnaître à leur juste valeur leur travail et leur engagement.

Si nous nous rejoignons toutes et tous sur la nécessité de mieux reconnaître et valoriser les directeurs et directrices d’école dans l’exercice de leurs missions, nous différons en revanche sur la meilleure façon d’y parvenir.

Les directeurs et directrices d’école n’ont de cesse de dire qu’ils manquent avant tout de temps de décharge, d’aide administrative et de formation. Nous estimons, au sein du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, que c’est par de tels leviers que nous pourrons répondre à leurs attentes, et non par l’affirmation d’une position d’autorité, dont ils ne sont pas demandeurs, sur leurs collègues.

L’école du premier degré s’inscrit en effet dans une vision collective incarnée par le conseil des maîtres, dont fait partie le directeur ou la directrice d’école. Son appartenance au corps enseignant est un atout, car elle constitue un gage de sa bonne compréhension des ressorts du métier.

Les amendements que nous avons déposés sur l’article 1er de cette proposition de loi qui vise à délimiter le rôle du directeur d’école tendent à réaffirmer cette vision, en énonçant explicitement que le directeur d’école n’exerce pas d’autorité hiérarchique sur les enseignants de son école et en délimitant la portée de la délégation de compétences par l’inspecteur d’académie.

Les directeurs ne souhaitent pas non plus que leur soient dévolues de nouvelles missions ne relevant pas du cadre actuel de leur fonction. C’est pourquoi nous avons déposé un amendement de retrait de la mention des « missions de formation » évoquées à l’article 2.

Nous avons souhaité préciser dans ce même article 2, qui traite de la fonction des directeurs d’école, le rôle du directeur en matière de projet pédagogique.

Nous aurions aimé profiter de l’examen de cette proposition de loi pour faire avancer concrètement les conditions matérielles d’exercice de la fonction de directeur, notamment sur la question des décharges. Nous sommes malheureusement freinés dans cette ambition par l’article 40 de la Constitution. Il est cependant essentiel d’affirmer l’importance de ces temps de décharge et la nécessité de garantir qu’ils sont bien ouverts et effectifs pour l’ensemble des directeurs.

L’aide administrative est une autre question charnière pour les directeurs d’école. Nous regrettons, à ce titre, la formulation ambiguë de l’article 2 bis, qui comporte le risque d’entraîner un désengagement de l’État en la matière.

Nous saluons en revanche la création d’un « référent direction d’école » dans chaque direction des services départementaux de l’éducation nationale introduite par l’article 3. Nous espérons que ce nouvel interlocuteur sera en mesure de jouer un rôle d’appui auprès des directeurs qui font état d’une certaine solitude dans l’exercice de leurs missions.

Nous ne saurions trop insister sur la nécessité de circonscrire le cadre de ces missions et de ne pas alourdir la charge de travail des directeurs par de nouvelles prérogatives.

À cet égard, la possibilité, prévue à l’article 4, pour les directeurs et directrices d’être chargés de l’organisation du temps périscolaire nous paraît ouvrir une brèche dangereuse, alors que cette organisation revient aujourd’hui aux collectivités qui les financent.

Le texte suspend certes cette possibilité au consentement du directeur, mais il est facile d’imaginer un scénario où il se retrouverait contraint d’endosser cette responsabilité, sans même évoquer les difficultés matérielles et juridiques soulevées par une telle évolution. Les collectivités, qui financent ce temps périscolaire, sont aguerries à cette organisation qui relève d’abord d’une question de gestion de personnels. C’est la raison pour laquelle nous défendrons la suppression de cet article.

Nous ferons par ailleurs preuve de prudence quant à la possibilité, introduite par l’Assemblée nationale, pour le directeur d’école de recourir à un scrutin par voie électronique lors des élections des représentants des parents d’élèves. Si cette modalité d’organisation apparaît souhaitable, nous devons en effet nous poser la question de l’accès de l’ensemble des parents à un tel scrutin, d’autant que la crise sanitaire nous a démontré à quel point la fracture numérique demeure vivace.

J’aimerais en conclusion saluer l’avancée positive que constitue l’article 6 : celui-ci prévoit que l’élaboration du plan particulier de mise en sûreté, le PPMS, relève du ressort de l’autorité académique et des personnels compétents en matière de sécurité, ce qui permettra de soulager les directeurs de cette tâche très chronophage.

Vous l’aurez compris, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain salue quelques petites avancées introduites par ce texte ; en revanche, il reste très dubitatif sur sa capacité à répondre dans son ensemble aux nombreuses attentes. Nous craignons de surcroît que la rédaction du texte ne franchisse la ligne de crête quant au rôle et aux missions du directeur à l’égard de ses pairs enseignants et de l’inspecteur d’académie.

L’école est un creuset républicain, un vecteur d’émancipation pour l’ensemble de notre société. Soutenons les directeurs et directrices, qui en sont le cœur battant, et offrons-leur des moyens à la hauteur de cette ambition ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)