M. Jacques-Bernard Magner. L’article 21 a été supprimé par le Sénat lors de l’examen de ce texte en commission sur avis de la commission de la culture. Le présent amendement vise à le rétablir dans une rédaction proche de celle qui est issue des travaux de l’Assemblée nationale.

Le groupe socialiste est favorable à la mise en place d’une autorisation préalable à l’instruction en famille. Ce mode de scolarisation, certes marginal, connaît néanmoins une recrudescence depuis l’abaissement de l’âge de l’instruction obligatoire à 3 ans. Alors que quelque 35 000 enfants étaient instruits en famille en 2018, ils étaient 50 000 en 2020. La pente est donc significative.

Notre argument majeur – notre collègue Rietmann l’a également développé – est que l’instruction dans la famille ne favorise ni la socialisation de l’enfant ni l’apprentissage de la citoyenneté. Au contraire, elle défavorise grandement la mixité sociale. Seule la scolarisation est garante de ces apprentissages qui, loin d’être anecdotiques, sont fondamentaux.

Les contrôles de ce mode d’instruction, actuellement soumis à simple déclaration préalable, sont tout à fait aléatoires et plus ou moins mal effectués.

Le dispositif prévoyant non pas l’interdiction de l’instruction en famille, comme l’avait initialement envisagé le Président de la République, mais son statut dérogatoire au droit commun de la scolarisation nous convient. Nous estimons que la règle doit demeurer l’instruction au sein l’école de la République, dans l’intérêt premier de l’enfant.

Nous tenons beaucoup à la présentation d’un projet pédagogique par les familles qui conserveront le droit à l’instruction à domicile, au contrôle des capacités des parents et à l’obligation de dispenser l’enseignement majoritairement en langue française. Ce renforcement des conditions devrait permettre de mieux contrôler a posteriori les familles qui conserveraient ce statut dérogatoire.

Monsieur le ministre, par parallélisme des formes, je présenterai tout à l’heure un amendement visant à soumettre l’ouverture des écoles privées hors contrat à une autorisation préalable.

Mme le président. Les deux amendements suivants sont identiques.

L’amendement n° 619 rectifié ter est présenté par Mme Havet, MM. Mohamed Soilihi, Richard et Patriat, Mme Duranton, MM. Yung, Bargeton, Marchand, Iacovelli, Patient, Rambaud, Lévrier, Buis et Rohfritsch et Mme Schillinger.

L’amendement n° 640 est présenté par le Gouvernement.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Rétablir cet article dans la rédaction suivante :

I. – Le code de l’éducation est ainsi modifié :

1° Le premier alinéa de l’article L. 131-2 est ainsi rédigé :

« L’instruction obligatoire est donnée dans les établissements ou écoles publics ou privés. Elle peut également, par dérogation, être dispensée dans la famille par les parents, par l’un d’entre eux ou par toute personne de leur choix, sur autorisation délivrée dans les conditions fixées à l’article L. 131-5. » ;

2° L’article L. 131-5 est ainsi modifié :

a) Le premier alinéa est ainsi modifié :

– à la fin de la première phrase, les mots : « , ou bien déclarer au maire et à l’autorité de l’État compétente en matière d’éducation, qu’elles lui feront donner l’instruction dans la famille » sont remplacés par les mots : « ou bien, à condition d’y avoir été autorisées par l’autorité de l’État compétente en matière d’éducation, lui donner l’instruction en famille » ;

– la seconde phrase est supprimée ;

b) À la fin du deuxième alinéa, les mots : « ou de choix d’instruction » sont supprimés ;

c) Après le troisième alinéa, sont insérés douze alinéas ainsi rédigés :

« L’autorisation mentionnée au premier alinéa est accordée pour les motifs suivants, sans que puissent être invoquées d’autres raisons que l’intérêt supérieur de l’enfant :

« 1° L’état de santé de l’enfant ou son handicap ;

« 2° La pratique d’activités sportives ou artistiques intensives ;

« 3° L’itinérance de la famille en France ou l’éloignement géographique de tout établissement scolaire public ;

« 4° L’existence d’une situation propre à l’enfant motivant le projet éducatif, sous réserve que les personnes qui en sont responsables justifient de la capacité de la ou des personnes chargées d’instruire l’enfant à assurer l’instruction en famille dans le respect de l’intérêt supérieur de l’enfant. Dans ce cas, la demande d’autorisation comporte une présentation écrite du projet éducatif, l’engagement d’assurer cette instruction majoritairement en langue française ainsi que les pièces justifiant de la capacité à assurer l’instruction en famille.

« L’autorisation mentionnée au premier alinéa est accordée pour une durée qui ne peut excéder l’année scolaire. Elle peut être accordée pour une durée supérieure lorsqu’elle est justifiée par l’un des motifs prévus au 1°. Un décret en Conseil d’État précise les modalités de délivrance de cette autorisation.

« L’autorité de l’État compétente en matière d’éducation peut convoquer l’enfant, ses responsables et, le cas échéant, la ou les personnes chargées d’instruire l’enfant à un entretien afin d’apprécier la situation de l’enfant et de sa famille et de vérifier leur capacité à assurer l’instruction en famille.

« En application de l’article L. 231-1 du code des relations entre le public et l’administration, le silence gardé pendant deux mois par l’autorité de l’État compétente en matière d’éducation sur une demande formulée en application du premier alinéa du présent article vaut décision d’acceptation.

« Un recours contre une décision de refus d’autorisation demandée en application du présent article peut être formulé, par les personnes responsables d’un enfant soumis à l’obligation scolaire instruit dans la famille, auprès d’une cellule rectorale de recours administratif préalable obligatoire dont les modalités de fonctionnement sont fixées par décret.

« Le président du conseil départemental et le maire de la commune de résidence de l’enfant sont informés de la délivrance de l’autorisation. Lorsqu’un enfant recevant l’instruction dans la famille ou l’un des enfants du même foyer fait l’objet de l’information préoccupante prévue à l’article L. 226-3 du code de l’action sociale et des familles, le président du conseil départemental en informe l’autorité de l’État compétente en matière d’éducation, qui peut alors suspendre ou abroger l’autorisation qui a été délivrée aux personnes responsables de l’enfant. Dans cette hypothèse, ces dernières sont mises en demeure de l’inscrire dans un établissement d’enseignement scolaire, dans les conditions et selon les modalités prévues à l’article L. 131-5-1 du présent code.

« Lorsque, après concertation avec le directeur de l’établissement d’enseignement public ou privé dans lequel est inscrit un enfant, il est établi que l’intégrité physique ou morale de cet enfant est menacée, les personnes responsables de l’enfant peuvent lui donner l’instruction dans la famille après avoir sollicité l’autorisation mentionnée au premier alinéa du présent article, dans le délai restant à courir avant que cette autorisation ne leur soit accordée ou refusée.

« L’enfant instruit dans la famille est rattaché administrativement à une circonscription d’enseignement du premier degré ou à un établissement d’enseignement scolaire public désigné par l’autorité de l’État compétente en matière d’éducation. » ;

3° Après l’article L. 131-5, il est inséré un article L. 131-5-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 131-5-1. – I. – Lorsqu’elle constate qu’un enfant reçoit l’instruction dans la famille sans l’autorisation mentionnée à l’article L. 131-5, l’autorité de l’État compétente en matière d’éducation met en demeure les personnes responsables de l’enfant de l’inscrire, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la mise en demeure, dans un établissement d’enseignement scolaire public ou privé et de faire aussitôt connaître au maire, qui en informe l’autorité compétente de l’État en matière d’éducation, l’école ou l’établissement qu’elles auront choisi.

« II. – Lorsqu’elle est obtenue par fraude, l’autorisation mentionnée à l’article L. 131-5 est retirée sans délai, sans préjudice des sanctions pénales. Ce retrait est assorti d’une mise en demeure d’inscrire l’enfant dans un établissement d’enseignement scolaire public ou privé, dans les conditions et selon les modalités prévues au I du présent article. » ;

3° ter L’article L. 131-10 est ainsi modifié :

a) À la première phrase du premier alinéa, les mots : « d’établir quelles sont les raisons alléguées par les personnes responsables de l’enfant, et » sont remplacés par les mots : « de vérifier la réalité des motifs avancés par les personnes responsables de l’enfant pour obtenir l’autorisation mentionnée à l’article L. 131-5 » ;

bis) Après la même première phrase, est insérée une phrase ainsi rédigée : « Dans le cadre de cette enquête, une attestation de suivi médical est fournie par les personnes responsables de l’enfant. » ;

b) À la première phrase du troisième alinéa, les mots : « la déclaration » sont remplacés par les mots : « l’autorisation » ;

c) À la dernière phrase du quatrième alinéa, les mots : « de la déclaration annuelle qu’elles sont tenues d’effectuer » sont remplacés par les mots : « de l’autorisation qui leur est accordée » ;

d) Le cinquième alinéa est supprimé ;

4° Au premier alinéa de l’article L. 131-11, après la première occurrence du mot : « articles », est insérée la référence : « L. 131-5-1, » ;

5° À la première phrase de l’avant-dernier alinéa de l’article L. 311-1, les mots : « la déclaration annuelle » sont remplacés par les mots : « l’autorisation ».

II. – L’article L. 552-4 du code de la sécurité sociale est ainsi modifié :

1° À la fin du premier alinéa, les mots : « soit d’un certificat de l’autorité compétente de l’État attestant que l’enfant est instruit dans sa famille, soit d’un certificat médical attestant qu’il ne peut fréquenter régulièrement aucun établissement d’enseignement en raison de son état de santé » sont remplacés par les mots : « soit de l’autorisation délivrée par l’autorité compétente de l’État en application de l’article L. 131-5 du code de l’éducation » ;

2° Après la première phrase du deuxième alinéa, est insérée une phrase ainsi rédigée : « En l’absence de production effective de l’une de ces pièces, aucune prestation ne peut être versée. »

II bis. – Au deuxième alinéa de l’article 18 de la loi n° 2019-791 du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance, après le mot : « déclarer », sont insérés les mots : « , avant le début de l’année scolaire, » et les mots : « , dans les conditions prévues à l’article L. 131-5 dudit code, » sont supprimés.

III. – Le présent article entre en vigueur à la rentrée scolaire 2022.

Par dérogation, l’autorisation prévue par l’article L. 131-5 du code de l’éducation est accordée de plein droit, pour les années scolaires 2022-2023 et 2023-2024, aux enfants régulièrement instruits dans la famille au cours de l’année scolaire 2021-2022 et pour lesquels les résultats du contrôle organisé en application du troisième alinéa de l’article L. 131-10 du même code ont été jugés suffisants.

La parole est à Mme Nadège Havet, pour présenter l’amendement n° 619 rectifié ter.

Mme Nadège Havet. Les conséquences de l’épidémie et des mesures restrictives qu’elle rend encore nécessaires rappellent le rôle incontournable de la scolarisation, notamment pour l’intégration sociale et le bien-être de nos enfants. Par les valeurs qu’elle véhicule, l’école est aussi le socle de notre République laïque.

En deux ans, le nombre d’enfants instruits en famille a augmenté de plus de 50 %. Toutes les classes d’âge sont concernées. La tendance étant structurelle, il nous paraît aujourd’hui nécessaire de mieux encadrer l’instruction en famille, dans l’intérêt supérieur de l’enfant.

Que nous apprennent les rapports des contrôles pédagogiques ? Que le droit à l’instruction n’est pas toujours garanti de façon suffisante ; que l’instruction en famille est de plus en plus détournée ; et que cet éloignement peut donner lieu à des dérives sectaires, communautaires, ou alors à la mise en danger des enfants. Parmi les signalements transmis, certains relèvent des comportements très préoccupants.

C’est aussi un enjeu de santé publique : dépistage des troubles, vérification du respect des obligations vaccinales, éducation à l’alimentation et à la sexualité.

Si, en l’état actuel du droit, il appartient au maire de faire connaître au directeur académique des services de l’éducation nationale (Dasen) certains manquements, les contrôles a posteriori ne permettent pas, dans la pratique, de mettre fin à la situation des « enfants fantômes ».

L’article 21, dans la rédaction issue des travaux de l’Assemblée nationale, prévoyait de substituer au régime actuel un régime d’autorisation préalable de l’instruction en famille limitant son recours à quatre motifs. Cette disposition, dont nous regrettons la suppression en commission, complète en quelque sorte une autre mesure qui a été votée par le Parlement : il s’agit de l’instruction obligatoire à partir de l’âge de 3 ans.

Le présent amendement a donc pour objet de rétablir l’article 21 dans la rédaction adoptée par l’Assemblée nationale.

Mme le président. La parole est à M. le ministre, pour présenter l’amendement n° 640.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Nous avons déjà eu ce débat en commission. Je ne ferai pas de long discours, car chacun en connaît les termes.

Ce projet de loi n’a pas pour objet de faire le procès de l’instruction à domicile ou en famille. C’est même le contraire : comme beaucoup de libertés, celle-ci a besoin d’être précisée par la loi afin de disposer d’une assise plus solide.

Je ne referai l’histoire constitutionnelle ni de la liberté d’instruction en famille ni de la liberté d’enseignement. Néanmoins, comme vous le savez, lorsqu’en 1977 le juge constitutionnel a consacré la liberté d’enseignement, il s’est référé aux principes fondamentaux reconnus par les lois de la République en se fondant sur la loi de finances pour 1931, texte par définition postérieur à la fois à la loi de 1905 et aux lois des années 1880 sur l’école – ces dernières sont d’ailleurs les premières lois sur la laïcité, abordée à travers le prisme de l’école.

Les travaux législatifs des années 1880 montrent que l’instruction en famille n’est pas du tout partie prenante de la nouvelle logique éducative installée par les lois de la République. Au contraire, elle apparaît comme une sorte de survivance historique, notamment du préceptorat qui se pratiquait dans les familles les plus aisées. Cette histoire n’est évidemment que l’un des aspects de la question, mais elle est importante dès lors que des questions constitutionnelles, et même philosophiques, sont soulevées.

Depuis plusieurs mois, les choses ont parfois été un peu caricaturées. Nous n’avons jamais eu l’objectif d’en finir avec l’instruction en famille. Pour autant, des pays tels que l’Allemagne, la Suède ou l’Espagne, qui ne sont pas considérés comme antidémocratiques, ont interdit l’instruction en famille sans être censurés pour cela par la Cour européenne des droits de l’homme qui émet des signaux que je qualifierais de « cousins » de ceux qu’envoie notre Conseil constitutionnel.

Il reste que les questions relatives au statut de l’instruction en famille sont légitimes, et je ne doute pas que le Conseil constitutionnel produira prochainement une jurisprudence qui nous apportera le cadrage nécessaire.

Nous aurions pu adopter une position à l’allemande, à la suédoise ou à l’espagnole, si vous me permettez l’expression. Nous ne l’avons pas fait, car nous avons choisi le dialogue, non seulement avec le Conseil d’État, ce qui nous a conduits à apporter de premières évolutions au projet initial, mais aussi avec le monde des familles qui se sont beaucoup mobilisées.

Nous avons écouté et compris un certain nombre d’arguments, ce qui nous a conduits à augmenter le nombre d’exceptions initialement prévu. Ainsi, au-delà des seuls enfants qui ont besoin de l’enseignement en famille du fait de leurs problèmes de santé, d’autres catégories d’enfants pourront également en bénéficier. Cet élargissement des possibilités d’exception indique clairement que nous ne visions que l’instruction en famille dévoyée à des fins de ce que l’on nomme séparatisme.

Nous n’avons pas inventé ce séparatisme : il existe bel et bien, et il peut arriver qu’il prenne la figure de l’instruction en famille. Nous savons qu’il y a de la bonne et de la mauvaise instruction en famille, et nous serions en tort si nous ne faisions pas la distinction entre les deux. Seront en tort tous ceux qui ne font pas cette distinction en faisant semblant de ne pas voir les problèmes. Plus de la moitié des enfants qui fréquentent les structures que nous démantelons les fréquentent sous couvert de l’instruction en famille. Devrions-nous ne rien faire ?

Que pensent ceux qui tous les jours critiquent le Gouvernement en affirmant que nous n’en faisons pas assez contre le radicalisme islamiste et qui, sur ce sujet, deviennent comme aveugles aux problèmes réels qui se posent sur le terrain ? Faites des propositions, mais vous ne pouvez pas affirmer que l’instruction en famille ne pose aucun problème ! Oui, elle pose un problème : un problème de séparatisme, et pas seulement au titre du radicalisme islamiste, mais également au titre des sectes et de tout autre phénomène du même ordre.

Comme je l’ai indiqué lors de la discussion générale, ce texte ne défend pas seulement les valeurs de la République, mais les droits de l’enfant. En réalité, c’est la même chose : lorsqu’on défend les valeurs de la République, on défend les droits de l’enfant, et vice-versa.

Il est assez facile – j’en ai malheureusement été témoin – de faire de la démagogie en faisant comme si on ne voyait pas les problèmes. Je n’ignore pas ce que votre Haute Assemblée s’apprête à voter : chacun prendra ses responsabilités dans les débats futurs sur cette question, car il est un peu facile d’être contre le séparatisme tel qu’il se manifeste dans notre société dans des discours généraux, tout en manquant du courage politique nécessaire pour aller droit au but et remédier aux phénomènes que l’on observe. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. J’ai entendu ce que j’ai entendu ! Chacun prendra ses responsabilités : vous n’êtes pas obligé de vous sentir concernés par ce que je viens de dire ; vous le montrerez dans vos propos. Ce qui est très important, c’est que chacun, en conscience, examine le phénomène auquel nous assistons.

J’adhère aux propos de Mme Havet et de MM. Rietmann et Magner : oui, il se joue quelque chose d’essentiel dans l’école de la République, dans la classe, dans la cour de récréation et dans la sociabilité, parce que l’école ne transmet pas seulement des savoirs, mais aussi des valeurs.

Nous sommes très respectueux des familles qui ont choisi l’instruction en famille pour de bonnes raisons. Elles n’ont rien à craindre de la future loi, et il est dommage de dépenser de l’énergie contre un texte qui ne fera pas de tort à ceux qui n’ont aucune raison de le craindre.

En revanche, d’autres ont tout lieu de redouter ce texte : ceux qui développent des structures clandestines en utilisant l’instruction en famille ; les familles salafistes qui utilisent ce dispositif pour écarter leurs enfants, notamment leurs filles, de l’instruction publique.

L’intention du législateur ressort des propos que nous tenons. Notre intention est très claire et elle guidera l’action de l’éducation nationale une fois que ce texte sera adopté. Car l’enjeu n’est pas seulement de voter une loi, mais de disposer d’une administration organisée pour réussir le contrôle de l’instruction en famille. C’est là une faiblesse de notre système éducatif depuis un siècle et demi. Nous nous organiserons donc pour nous assurer que l’instruction en famille se passe bien.

Nous ne mettrons pas fin à l’instruction en famille. En revanche, nous allons la doter d’un cadre plus net qui permettra de renforcer la République et les droits de l’enfant. (M. Julien Bargeton applaudit.)

Mme le président. L’amendement n° 526 rectifié, présenté par Mmes Assassi et Cukierman, M. Bacchi, Mme Brulin, M. Ouzoulias et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :

Rétablir cet article dans la rédaction suivante :

Après l’article L. 131-9 du code de l’éducation, il est inséré un article L. 131-… ainsi rédigé :

« Art. L. 131-…. – Lorsqu’en cours d’année scolaire, des parents ou responsables légaux font savoir leur volonté de déscolariser leur enfant en vue d’assurer son instruction en famille, un entretien est organisé avec le directeur d’établissement et les services départementaux de l’Éducation nationale en charge des écoles. Une proposition d’inscription alternative dans une autre école dépendante du collège de secteur est proposée aux parents ou responsables légaux, sous réserve des limitations matérielles d’accueil après accord du maire. »

La parole est à Mme Céline Brulin.

Mme Céline Brulin. Comme beaucoup d’autres ici, je considère que la liberté n’est pas et ne doit pas être contradictoire avec le droit de l’enfant à une instruction de qualité, et c’est ce qui guidera nos propres choix.

Par cet amendement, nous souhaitons débattre de l’instruction en famille que l’on pourrait qualifier de subie ou de contrainte. En effet, dans certains cas, cette possibilité apparaît comme une sorte de dernier recours pour des parents désemparés face au mal-être de leur enfant ou parce que tous les moyens ne sont pas mis en œuvre dans l’école pour l’accueillir comme il se doit. Je pense par exemple aux enfants qui ne bénéficient pas de l’aide d’un accompagnant d’élèves en situation de handicap (AESH), ce qui peut dans bien des cas conduire les familles à opter pour l’instruction en famille.

Nous proposons d’instaurer un temps d’échange entre les parents et les services académiques et municipaux en cas de demande d’instruction en famille. Celui-ci permettrait notamment de proposer aux familles l’inscription de leur enfant dans une autre école, et ce faisant, un autre choix que le recours à l’instruction en famille.

Cela permettrait à notre sens également aux équipes municipales d’avoir une meilleure visibilité sur les effectifs dans les communes, ce qui est très important dans l’élaboration des mesures de carte scolaire puisque, bien souvent – vous le savez, monsieur le ministre – une ouverture ou une fermeture de classe peuvent se jouer à un élève près.

Enfin, nous estimons que cette possibilité d’inscription dans une nouvelle école permettrait de garantir à chaque enfant que l’éducation nationale lui offre les meilleures conditions d’apprentissage possible.

Mme le président. L’amendement n° 527 rectifié, présenté par Mmes Assassi et Cukierman, M. Bacchi, Mme Brulin, M. Ouzoulias et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :

Rétablir cet article dans la rédaction suivante :

À la deuxième phrase du troisième alinéa de l’article L. 131-10 du code de l’éducation, après les mots : « À cet effet, ce contrôle », sont insérés les mots : « , effectué par un inspecteur académique formé aux spécificités de l’instruction en famille, ».

La parole est à Mme Céline Brulin.

Mme Céline Brulin. Cet amendement tend à allouer des moyens supplémentaires aux inspecteurs de l’éducation nationale, afin qu’ils puissent disposer de tous les outils disponibles pour effectuer leur mission de contrôle de l’instruction en famille.

Les familles sont actuellement soumises à un contrôle annuel permettant de vérifier que l’instruction des enfants répond bien aux attentes concernant les savoirs dits fondamentaux, en lien avec les programmes.

Nous estimons qu’une formation adaptée aux enjeux de l’instruction en famille permettrait aux inspecteurs de mieux appréhender les situations diverses qui relèvent de l’instruction en famille. Ils sauront ainsi mieux déceler les éventuels manquements ou mieux répondre aux demandes des familles, toujours dans l’objectif d’offrir à chaque enfant une instruction de la plus grande qualité possible.

Mme le président. Quel est l’avis de la commission de la culture ?

M. Stéphane Piednoir, rapporteur pour avis. Les amendements nos 120 rectifié, 103 rectifié, 619 rectifié ter et 640 ont pour objet commun de rétablir le régime d’autorisation pour l’instruction en famille (IEF).

En effet, la modification du régime de déclaration en régime d’autorisation a fait couler beaucoup d’encre… et de salive ! De notre point de vue, l’encadrement du recours à l’IEF remet en cause le principe de la liberté d’enseignement, qui repose sur quatre piliers depuis plus de cent quarante ans, ceux de l’école publique, de l’école privée sous contrat, de l’école privée hors contrat et de l’instruction en famille.

Comme rapporteur pour avis, je m’interroge surtout sur le lien qui a été établi entre le séparatisme et l’instruction en famille. Le ministère n’a mené aucune étude sur les enfants qui bénéficient de ce type d’enseignement, et l’étude d’impact qui est associée au projet de loi se révèle particulièrement lacunaire sur le sujet. En outre, au cours des auditions, aucun document attestant ce lien ne m’a été présenté.

Lors de l’examen de textes plus anciens, la commission a accepté un encadrement du recours à l’instruction en famille. Monsieur le ministre, j’ai la naïveté de croire que nous pouvons encore vous convaincre que telle est la bonne démarche à suivre. En effet, cet encadrement permettra d’atteindre un équilibre entre la liberté d’enseignement et le droit à l’instruction de chaque enfant.

L’article 21, dans la rédaction issue des travaux de l’Assemblée nationale, ne répond pas à ce principe de proportionnalité. Il limite considérablement la possibilité de recourir à l’instruction en famille, alors même que les outils juridiques existants pour exercer un contrôle sur ce type d’enseignement ne sont pas pleinement utilisés. Par exemple, les nouvelles mesures introduites dans la loi pour une école de la confiance n’ont fait l’objet d’aucune évaluation.

Le lien entre le séparatisme et l’instruction en famille, qui sous-tend la genèse de cet article, a été établi à partir du constat empirique de la présence dans des écoles clandestines d’enfants déclarés en instruction en famille. Comme je l’ai dit dans la discussion générale, certains faits découverts en 2019 et 2020 ont donné lieu à un amalgame malhonnête qui a été diffusé assez largement auprès de l’opinion publique.

Sur le sujet des « écoles de fait », la commission soutient toutefois le Gouvernement. Elle a notamment maintenu la possibilité de la fermeture administrative de ces lieux.

Le régime d’autorisation, qui prévoit un délai de deux mois pour que l’administration puisse traiter la demande, semble également méconnaître le fait que les enfants instruits en famille le sont pendant moins d’un an pour 40 % à 50 % d’entre eux. En outre, toutes les demandes ne se font pas au moment de la rentrée scolaire.

Enfin, nous pouvons nous interroger sur la capacité des services déconcentrés de l’éducation nationale à traiter, chaque année, quelque 50 000 à 60 000 demandes d’autorisation. Les moyens ainsi mobilisés seraient utiles pour assurer le contrôle annuel effectif de l’ensemble des enfants instruits en famille. Pour répondre à certains de mes collègues, rien ne s’oppose à ce que nous ouvrions un débat sur le sujet.

Depuis 1882 et les lois Ferry, la société a bien évidemment connu des changements profonds, à commencer par la séparation des Églises et de l’État, votée vingt-trois ans plus tard. Je conçois donc qu’il faille apporter quelques compléments au régime existant. Tel est le sens des articles 21 bis et suivants que la commission de la culture a adoptés tout en préservant le régime déclaratif.

Monsieur le ministre, je me permets de vous citer lorsque vous avez précisé qu’« il n’[était] pas question d’en finir avec l’instruction en famille », car ce ne sont pas les mots du Président de la République. Dans le discours des Mureaux, la volonté était bien « d’en finir avec l’instruction en famille » !