MM. Fabien Gay et Didier Marie. Quand ?

M. Franck Riester, ministre délégué. En ce qui concerne l’état d’avancement du processus de ratification dans les États membres, regardons où en sont nos partenaires : à l’heure actuelle, quinze États ont ratifié le CETA et douze ne l’ont pas encore fait, dont la France, puisque le processus n’est pas arrivé à son terme.

M. Rachid Temal. C’est pour quand ?

M. Franck Riester, ministre délégué. Nous ne sommes donc pas en retard. Certains États membres, comme l’Allemagne, n’ont pas même encore saisi leur parlement.

M. Rachid Temal. Et alors ?

M. Franck Riester, ministre délégué. Vous voyez donc, monsieur le sénateur Gay, qu’il n’y a pas du tout de déni démocratique,…

M. Fabien Gay. Ça fait un an que nous attendons !

M. Franck Riester, ministre délégué. … mais un respect scrupuleux du cadre de ratification des accords commerciaux entre l’Union et les pays tiers.

M. Laurent Duplomb. Ça, c’est de la blague !

M. Franck Riester, ministre délégué. Donc, je vous en prie, pas de leçons de démocratie. Le temps de légiférer viendra, et le Sénat débattra.

Comme vous l’avez également souligné, l’accord est appliqué partiellement et à titre provisoire depuis septembre 2017. Cette application provisoire ne remet pas en cause les compétences du Parlement ni la légitimité démocratique de cet accord, et ce pour trois raisons : d’abord, l’application à titre provisoire ne concerne que les dispositions qui relèvent de la compétence exclusive de l’Union ; ensuite, le Conseil constitutionnel a confirmé que l’application provisoire est conforme à notre Constitution dans sa décision du 31 juillet 2017 ; enfin, l’application provisoire n’a été autorisée par le Conseil de l’Union qu’à la suite de l’approbation de l’accord par le Parlement européen, le 15 février 2017. Ce régime d’application provisoire est donc prévu par le droit international.

M. Franck Riester, ministre délégué. L’application provisoire du CETA nous permet également de suivre très précisément les effets économiques, sanitaires, environnementaux et climatiques de l’accord, conformément au plan d’action mis en place par le Gouvernement dès 2017 et dont nous rendons compte au Parlement de manière régulière. Là encore, une nouvelle fois, je suis à la disposition du Sénat.

Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, comme l’a très bien démontré M. Cadic voilà quelques instants, nous avons besoin de libre-échange. Nous avons besoin d’accords et d’échanges commerciaux pour notre économie.

M. Laurent Duplomb. Mais pas de naïveté, surtout quand ça tue notre économie !

M. Franck Riester, ministre délégué. Dans un moment comme celui que nous traversons, alors que nous devons relancer notre économie, nous allons avoir plus que jamais besoin d’échanger, d’exporter nos productions fabriquées en France. Il est donc très important de regarder la réalité économique de cet accord.

Mme Éliane Assassi. Pourrait-on seulement en débattre ?

M. Franck Riester, ministre délégué. M. Cadic a cité quelques chiffres, je vais vous en donner d’autres, car le premier bilan de cet accord avec le Canada est très positif. (M. Laurent Duplomb en doute.)

Je sais que, parfois, les faits vous dérangent, que la réalité économique vous dérange, mais cet accord s’est bien révélé positif depuis sa mise en œuvre.

Mme Éliane Assassi et M. Fabien Gay. Pourra-t-on en débattre ?

M. Franck Riester, ministre délégué. Sur le plan économique, entre 2016 et 2019, nos échanges de biens avec le Canada ont augmenté de près de 1 milliard d’euros, avec une hausse de 24 % de nos exportations et une balance commerciale positive pour la France d’un montant record de 650 millions d’euros en 2019. En 2018, notre excédent commercial de biens était de 341 millions d’euros ; en 2017, avant la mise en œuvre de cet accord, nous étions à l’équilibre.

On le sait très bien, mécaniquement, lorsqu’il y a moins de tarifs douaniers et moins de quotas, il y a plus d’exportations,…

M. Laurent Duplomb. Et avec aucun contrôle, il y a plus d’importations !

M. Franck Riester, ministre délégué. … d’autant que nous avons de bons produits agricoles et industriels. Prenons l’exemple des produits agricoles, soit notre premier poste d’exportation : grâce au CETA, ce secteur bénéficie d’importantes baisses de droits de douane canadiens et certaines de nos indications géographiques sont protégées.

Et que constate-t-on ? Que nos exportations dans ce secteur ont continué de progresser, même pendant la crise sanitaire. Les Canadiens achètent bien plus nos vins et nos fromages qu’avant le CETA : 18 % de hausse pour les vins et 77 % pour le fromage – élu de Coulommiers et ancien maire de cette ville, les exportations de fromages me tiennent particulièrement à cœur.

M. Fabien Gay. Tout ça, c’est très bien, mais quand va-t-on en débattre ?

M. Franck Riester, ministre délégué. Le CETA contribue à les valoriser et à mieux les protéger, notamment quand ils relèvent d’une appellation protégée. Grâce à cet accord, quarante-deux IGP françaises sont protégées au Canada.

Ainsi, en 2020, malgré les restrictions liées à la crise sanitaire, le vin demeure le premier produit exporté au Canada, à hauteur de 391 millions d’euros, au même niveau qu’en 2019.

Je soulignais l’importance de la baisse des tarifs douaniers pour faciliter le commerce :…

M. Laurent Duplomb. Ce n’est pas ça le problème, ce sont les contrôles !

M. Franck Riester, ministre délégué. … les surtaxes américaines de 25 % sur les vins et spiritueux français, dans le cadre du contentieux Boeing-Airbus, se sont traduites par des centaines de millions d’euros de pertes pour nos exportateurs. Soyons conscients de l’importance de ces accords commerciaux.

Nous le savons aussi, le CETA suscite des questions légitimes et des préoccupations qui méritent d’être regardées de près.

Les enjeux sanitaires sont toujours au cœur des préoccupations du Gouvernement et de son action. Je tiens donc à rappeler que seuls les produits qui respectent les normes sanitaires européennes à l’importation peuvent être exportés vers l’Union européenne et entrer sur le marché intérieur et, donc, en France. (Exclamations sur les travées des groupes CRCE et SER.)

Le CETA, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, à l’instar de tous les accords commerciaux, ne remet aucunement en cause ce principe ni le niveau élevé de nos normes. Cela est vrai des farines animales comme des OGM.

M. Fabien Gay. Il n’y a aucun contrôle !

M. Franck Riester, ministre délégué. Il ne faut pas confondre accords commerciaux et normes européennes à l’entrée du marché européen.

M. Laurent Duplomb. On ne dit pas qu’il ne faut pas conclure d’accords, mais qu’il faut mettre en place des contrôles !

M. Franck Riester, ministre délégué. Nous sommes d’ailleurs très attentifs et vigilants quant à la qualité du système de contrôle canadien.

M. Laurent Duplomb. C’est faux !

M. Franck Riester, ministre délégué. Avec Julien Denormandie, nous avons interpellé la Commission européenne lorsqu’elle a publié un rapport pointant des marges de progression dans le système canadien de traçabilité de la viande bovine pour lui demander de travailler avec Ottawa à rehausser le niveau d’exigence canadien. Je suis également intervenu en personne auprès de mon homologue canadienne pour souligner l’importance de cette question.

Jusqu’à présent, aucun défaut de conformité majeure sur la qualité des produits canadiens n’a été constaté. (Exclamations sur les travées des groupes CRCE, SER et Les Républicains.)

M. Fabien Gay. Évidemment, il n’y a pas de contrôle !

M. Franck Riester, ministre délégué. J’ajoute que notre action en matière de respect des normes sanitaires européennes ne se limite pas au CETA. Nous avons demandé à la Commission européenne d’y porter une attention particulière dans le cadre de la révision de la politique commerciale de l’Union. Vous pouvez compter sur ma pleine mobilisation pour continuer à défendre cette position à Bruxelles.

Par ailleurs, et d’une façon générale, je vous rappelle que la France soutient à Bruxelles la mise en place de clauses miroirs dont vous savez pertinemment qu’elles permettent d’appliquer aux produits importés les mêmes normes de production que dans l’Union européenne, lorsque cela est pertinent et scientifiquement justifié, pour atteindre nos objectifs sanitaires et environnementaux. C’est ce que nous faisons depuis longtemps en interdisant, par exemple, l’importation de produits issus d’animaux nourris aux hormones depuis 1996 ou encore en imposant à nos partenaires de respecter les règles européennes en matière d’abattage de bovins.

M. Laurent Duplomb. Ça, pour interdire, on est bon !

M. Franck Riester, ministre délégué. En janvier 2022 au plus tard, monsieur Duplomb, nous n’accepterons plus les importations dans l’Union européenne de produits issus d’animaux élevés avec des antibiotiques comme facteur de croissance pour lutter contre le phénomène mondial d’antibiorésistance.

M. Laurent Duplomb. Comment allez-vous le vérifier ?

M. Franck Riester, ministre délégué. Monsieur le sénateur, vous devriez vous en réjouir.

M. Henri Cabanel. Et le glyphosate ?

M. Franck Riester, ministre délégué. Je voudrais également revenir sur certaines filières agricoles sensibles pour lesquelles nous faisons un suivi régulier approfondi, à savoir les viandes de bœuf, de porc et de volaille, ainsi que l’éthanol et le sucre. À l’heure actuelle, les quantités exportées depuis le Canada vers l’Union et la France sont très faibles : 104 tonnes pour la viande de bœuf en France en 2019, dont seulement 45 tonnes ont profité des réductions tarifaires du CETA. C’est une goutte d’eau par rapport à la production française de 1,45 million de tonnes.

M. Christian Bilhac. Parlons-en !

M. Franck Riester, ministre délégué. Le CETA n’a donc pas eu, à ce jour, l’effet déstabilisateur que certains lui prédisaient,…

M. Rachid Temal. À ce jour…

M. Franck Riester, ministre délégué. … parce qu’il ne s’oppose en rien à ce que nous appliquions nos règles d’entrée sur les marchés européens et français, qui précisent que cette viande doit avoir été nourrie sans hormones.

Nous restons malgré tout vigilants : un quatrième rapport du comité ad hoc de suivi est en cours de préparation et comprendra les chiffres de 2020. Il sera bien évidemment communiqué au Parlement.

Sur le plan environnemental et climatique, l’étude d’impact réalisée par le Cepii en 2019 souligne clairement que l’impact du CETA sur les émissions de CO2 sera extrêmement limité, tant au niveau français qu’à l’échelle mondiale.

À l’inverse, le CETA a permis d’initier des coopérations nouvelles avec nos partenaires canadiens. Nous partageons des combats communs dans le cadre du partenariat bilatéral de 2018 sur la lutte contre le changement climatique. Nous travaillons notamment sur les échanges de technologies vertes, sur la réduction des émissions du transport maritime ou encore sur la finance verte.

J’entends des préoccupations concernant la protection du droit à réguler. Je vais être très clair : notre droit à réguler ne sera pas remis en cause par le CETA. Une coopération réglementaire existe dans le cadre de cet accord, mais elle est de nature volontaire. Aucune décision modifiant le cadre réglementaire de l’Union ne peut y être adoptée : il s’agit d’une prérogative souveraine du législateur européen. Cette coopération ne peut donc en aucun cas conduire à des normes moins strictes en matière sanitaire, sociale ou environnementale. Elle doit au contraire permettre d’améliorer leur mise en application.

Par ailleurs, comme vous le savez, la France accorde une grande importance à la transparence des réunions du comité mixte et des sous-comités sectoriels du CETA. Ainsi, les agendas et comptes rendus des réunions sont publiés sur le site de la direction générale du commerce. En outre, la Commission consulte régulièrement les États membres, mais aussi la société civile, sur les sujets traités dans ces enceintes.

Enfin, le mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États du CETA, qui a été évoqué voilà quelques instants, n’a plus rien à voir avec l’ancien dispositif d’arbitrage privé Investor-State Dispute Settlement (ISDS), qui a suscité de nombreuses critiques légitimes. Ce mécanisme a été réformé pour devenir une quasi-juridiction : l’Investment Court System (ICS). Il sera ainsi fait appel à des juges permanents, au sein d’un tribunal de première instance et d’un organe d’appel inédit, qui devront se plier à des règles éthiques strictes.

M. Fabien Gay. Voilà qui change tout…

M. Franck Riester, ministre délégué. On m’a interpellé sur ce sujet, monsieur le sénateur, j’y réponds.

Ce nouveau système garantit explicitement le droit à réguler des États. Le CETA reflète sur ce terrain les réformes ambitieuses portées par la France, qui s’inscrivent également dans le soutien apporté à la création sur le long terme d’une cour multilatéral d’investissements.

M. Laurent Duplomb. Alors, tout est parfait…

M. Franck Riester, ministre délégué. De plus, conformément aux engagements pris par le Gouvernement devant le Parlement et à la demande de la France, l’Union européenne et le Canada ont agréé, en janvier dernier, des textes complémentaires pour garantir le droit à réguler des États, notamment dans le domaine climatique. Ce veto climatique s’appliquera à l’ensemble de nos politiques publiques en matière non seulement climatique, mais aussi sanitaire, sociale ou culturelle, par exemple.

Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, comme vous le savez, notre approche en matière de politique commerciale n’est pas dogmatique, mais fondée sur des faits. Les chiffres et indicateurs montrent aujourd’hui que le CETA bénéficie à nos entreprises, à nos agriculteurs, et qu’il n’a aucun impact négatif sur le plan sanitaire ou environnemental. (M. Fabien Gay sesclaffe.)

Je souhaite également rappeler que le Gouvernement a été proactif dès les premiers jours de l’entrée en vigueur provisoire de l’accord avec la mise en place du plan d’action CETA, qui visait trois objectifs : assurer une application exemplaire de l’accord ; accélérer son action contre le changement climatique ; renforcer l’ambition environnementale, sanitaire, sociale de la politique commerciale européenne.

Dans ce cadre, comme le Président de la République l’a rappelé, nous avons beaucoup travaillé ensemble – Gouvernement et Parlement – pour améliorer le suivi de cet accord et en évaluer mieux les effets.

Ce plan d’action contient également de nombreuses propositions que la France porte au niveau européen et dont plusieurs sont aujourd’hui reprises par la Commission. Une proposition sera faite par la Commission européenne pour la mise en place d’un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières afin de lutter contre les fuites de carbone.

Le poste de procureur commercial européen en charge de la bonne application des règles en matière de commerce international et du respect des engagements pris par nos partenaires a été créé l’été dernier – il s’agit du français Denis Redonnet.

Dans son Pacte vert pour l’Europe, la Commission a repris la demande portée par la France de faire de l’accord de Paris une clause essentielle des futurs accords commerciaux. Nous devons bien évidemment aller encore plus loin. C’est le sens du travail que nous avons réalisé avec les Pays-Bas depuis un an, ce qui a contribué à faire bouger les lignes, et de notre contribution à la revue de la politique commerciale en cours.

Nous poursuivrons notre action pour une meilleure prise en compte du développement durable dans la politique européenne dans la perspective de notre présidence du Conseil de l’Union au premier semestre de 2022.

À cet égard, je souhaite rappeler notre mobilisation et l’action de la France concernant le projet d’accord de l’Union avec le Mercosur, que certains d’entre vous ont évoqué et que nous ne pouvons, je le répète, soutenir en l’état. Nous aurons besoin de nouvelles garanties tangibles, vérifiables et applicables au regard de l’accord et de ses conséquences sur l’environnement et le climat. À défaut, nous ne pourrons soutenir cet accord. Nous l’avons très clairement dit à nos partenaires européens.

Vous voyez que nous ne sommes pas dogmatiques en matière d’accords de libre-échange.

Pour conclure, et pour en revenir au CETA et à l’objet de cette proposition de résolution, j’indique que le projet de loi autorisant la ratification de l’accord poursuivra bien évidemment son chemin parlementaire au Sénat.

M. Franck Riester, ministre délégué. Mais ne nous précipitons pas par principe. (Rires et applaudissements ironiques sur les travées des groupes CRCE, SER et Les Républicains.)

Comme l’a indiqué le Président de la République devant la Convention citoyenne pour le climat en juin dernier, nous continuons d’évaluer l’accord, notamment au regard de son impact sur le plan climatique.

M. Rachid Temal. Jusqu’à quand ?

M. Franck Riester, ministre délégué. À cet égard, l’année 2021 sera particulièrement cruciale avec la tenue, en fin d’année, de la COP26. Nous attendons une ambition climatique accrue de tous les États parties à l’accord de Paris pour amplifier nos efforts de lutte contre le dérèglement climatique. (Mme Colette Mélot et M. Richard Yung applaudissent.)

M. Laurent Duplomb. Et la date ?

M. le président. La discussion générale est close.

Nous allons procéder au vote sur la proposition de résolution.

proposition de résolution invitant le gouvernement à envisager la poursuite de la procédure de ratification du ceta

Le Sénat,

Vu l’article 34-1 de la Constitution,

Considérant que l’accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne affecte de manière notable la politique économique, environnementale, agricole ou encore sociale de notre pays, altérant ainsi durablement le périmètre de la souveraineté nationale garantie par l’article 3 de la Constitution ;

Invite le Gouvernement à envisager la poursuite de la procédure de ratification du projet de loi n° 694 (2018-2019) autorisant la ratification de l’accord économique et commercial global entre l’Union européenne et ses États membres, d’une part, et le Canada, d’autre part, et de l’accord de partenariat stratégique entre l’Union européenne et ses États membres, d’une part, et le Canada, d’autre part, transmis au Sénat le 23 juillet 2019.

Vote sur l’ensemble

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, invitant le Gouvernement à envisager la poursuite de la procédure de ratification du CETA
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

M. le président. Mes chers collègues, je rappelle que la conférence des présidents a décidé que les interventions des orateurs valaient explication de vote.

Je mets aux voix la proposition de résolution.

J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 115 :

Nombre de votants 344
Nombre de suffrages exprimés 309
Pour l’adoption 309

Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER, UC et Les Républicains. – M. Henri Cabanel applaudit également.)

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures quarante-cinq, est reprise à dix-sept heures cinquante.)

M. le président. La séance est reprise.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, invitant le Gouvernement à envisager la poursuite de la procédure de ratification du CETA
 

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Dossier législatif : proposition de loi visant à garantir effectivement le droit à l'eau par la mise en place de la gratuité sur les premiers volumes d'eau potable et l'accès pour tous à l'eau pour les besoins nécessaires à la vie et à la dignité
Discussion générale (suite)

Droit à l’eau

Discussion et retrait d’une proposition de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, la discussion de la proposition de loi visant à garantir effectivement le droit à l’eau par la mise en place de la gratuité sur les premiers volumes d’eau potable et l’accès pour tous à l’eau pour les besoins nécessaires à la vie et à la dignité, présentée par Mme Marie-Claude Varaillas, M. Gérard Lahellec et plusieurs de leurs collègues (proposition n° 375, résultat des travaux de la commission n° 504, rapport n° 503).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme Marie-Claude Varaillas, auteure de la proposition de loi.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à garantir effectivement le droit à l'eau par la mise en place de la gratuité sur les premiers volumes d'eau potable et l'accès pour tous à l'eau pour les besoins nécessaires à la vie et à la dignité
Article 1er (début)

Mme Marie-Claude Varaillas, auteure de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, en 2006, la loi sur l’eau et les milieux aquatiques, la LEMA, affirmait à son article 1er l’existence d’un droit à l’eau, en indiquant que « l’usage de l’eau appartient à tous et chaque personne physique, pour son alimentation et son hygiène, a le droit d’accéder à l’eau potable dans des conditions économiquement acceptables par tous ».

En 2010, l’ONU a adopté une résolution prévoyant que « le droit à une eau potable, salubre et propre est un droit fondamental essentiel au plein exercice du droit à la vie ».

En 2015, les États membres des Nations unies ont adopté les objectifs 2030 de développement durable, qui placent le droit humain d’accès à l’eau potable, à l’assainissement et à l’hygiène au cœur des dix-sept objectifs de développement durable.

En décembre 2020, l’Union européenne a publié une directive qui vise « à améliorer l’accès aux eaux destinées à la consommation humaine » et qui prévoit l’obligation pour les États membres de mettre en œuvre le principe de l’accès à l’eau potable pour tous.

Le droit à l’eau est donc clairement défini et reconnu en droit positif. Pourtant, aujourd’hui, ce droit demeure largement fictif, puisque aucun instrument légal ne permet de garantir concrètement son exercice et que l’accès de tous à ce service de première nécessité reste empreint de grandes inégalités tarifaires, qualitatives et spatiales. Les faits sont têtus : selon la Fondation Abbé-Pierre, l’eau reste inabordable pour 1,2 million de personnes branchées au réseau de distribution ; plus de 140 000 personnes environ ne sont pas raccordées à un réseau de distribution d’eau.

Face à cette situation, les associations sont très engagées pour aller au-delà des déclarations d’intention. Il existe par ailleurs un certain nombre d’initiatives parlementaires qui ont été examinées par l’Assemblée nationale et le Sénat. Malheureusement, le Sénat, à l’époque, avait totalement vidé de sa substance cette initiative. Nous remettons donc aujourd’hui l’ouvrage sur le métier.

Certes, et certains de mes collègues nous l’ont rappelé en commission, il existe déjà des outils pour aider les plus fragiles à payer leur facture d’eau. La loi Brottes a ainsi permis une expérimentation de tarification sociale, qui s’applique jusqu’au 15 avril 2021 – c’est aujourd’hui ! –, et l’article 15 de la loi Engagement et proximité de l’automne dernier a pérennisé dans la loi cette boîte à outils : chèque eau, allocation eau, tarification sociale et gratuité. Pour autant, le caractère optionnel de ce dispositif, en réalité assez peu utilisé par les collectivités, ne permet pas de garantir effectivement le droit à l’eau.

Si nous considérons qu’il s’agit d’un droit universel, l’État doit adopter les mécanismes législatifs adéquats. Pour cette raison, nous proposons la mise en œuvre d’un dispositif universel d’accès applicable en tout point du territoire et pour chacun, qu’il soit raccordé ou non, permettant l’égalité de tous nos concitoyens devant la loi et dans leurs droits.

Pour cela, nous demandons la mise en place d’une gratuité dont le niveau est à définir. Je vous le rappelle, nous nous gardons bien de définir le niveau de gratuité, en indiquant seulement ce qui est nécessaire à la dignité humaine. Ainsi, nous estimons que nous pourrions établir cette gratuité pour tous à cinq litres par personne et par jour, ce qui représenterait un coût largement acceptable pour le service public local, quel qu’en soit le mode de gestion. Ces cinq litres correspondent à une nécessité vitale. Le coût de cette mesure serait lissé entre les usagers selon un principe de solidarité.

Pour le dire clairement, le budget des collectivités n’est pas impacté, car leur participation au budget de l’eau est clairement limitée, ne pouvant aller au-delà de 2 % de l’ensemble des redevances. Leurs moyens ne sont nullement affectés par cette proposition de loi. Il s’agit donc d’un principe de solidarité au sein même des usagers.

Par ailleurs, pour répondre à la nécessité de permettre l’accès à l’eau de toutes les personnes qui n’ont ni compteur ni accès, nous souhaitons la mise en place d’une obligation, à la charge des collectivités locales, de permettre l’accès à la ressource pour les plus démunis par des fontaines, sanitaires et douches publics. La plupart d’entre elles le prévoient, et la charge financière ainsi créée doit être compensée, comme le permet notre proposition de loi, par une augmentation de la dotation globale de fonctionnement.

Les collectivités peuvent également solliciter la DETR (dotation d’équipement des territoires ruraux) ou la DSIL (dotation de soutien à l’investissement local). On rappellera dans ce cadre que les préfets, pour l’engagement de ces crédits, ont reçu la directive, à la suite d’une circulaire ministérielle de 2020, de prioriser la mise aux normes des équipements sanitaires ou des travaux sur les réseaux d’assainissement. Notons également qu’un certain nombre de collectivités s’engagent déjà dans cette voie sans attendre la loi, puisqu’il s’agit bien d’une question de respect de la dignité humaine.

Je me permets de faire quatre remarques pour préciser l’opportunité politique d’adopter ce texte.

Premièrement, la révision de la directive Eau de l’Union européenne nous pousse à définir des modalités d’accès pour les populations qui n’ont pas d’accès physique à l’eau. Si ce n’est fait aujourd’hui, il faudra, à l’avenir, en tenir compte.

Ainsi, l’article 16 de cette directive comprend des mesures fortes telles que l’évaluation de la proportion de la population n’ayant pas accès à l’eau potable et l’encouragement à installer des fontaines gratuites dans les villes et les lieux publics, à favoriser la fourniture d’eau du robinet dans les restaurants, les cantines et les services de restauration. Il engage également les États à prendre toutes mesures nécessaires pour assurer l’accès à l’eau potable pour les groupes vulnérables et marginalisés. Je vous le rappelle, le droit européen s’impose. Faute de transposition, la France sera condamnée. Comment le pays des droits de l’homme peut-il assumer d’être en retard sur un tel sujet ?

Deuxièmement, la crise sanitaire que nous traversons nous oblige à repenser la question de l’accès à l’eau et à l’assainissement, pour des questions de santé et de salubrité. Les gestes barrières nécessitent l’accès à l’eau. Le « quoi qu’il en coûte » doit, dans ce domaine aussi, prévaloir. Le Gouvernement a ainsi pris, le 27 mars 2020, des dispositions pour que les préfets et les collectivités locales assument leurs responsabilités en la matière et veillent notamment à ce que soit garanti l’accès à l’eau, à des sanitaires, à des douches et à des laveries. Cela doit perdurer. La sixième puissance mondiale doit pouvoir financer les équipements nécessaires à la dignité de nos concitoyens.

L’argument d’un risque de gaspillage de la ressource n’est pas justifié, alors que la consommation moyenne constatée est de cent quarante litres par jour et par personne. Comme le préconisent les associations pour la défense du droit à l’eau, il pourrait s’agir de la mise à disposition de cinq litres gratuits pour tout le monde et de quarante litres par jour pour les personnes non raccordées.

Prévoir un décret pris en Conseil d’État, après avis du Comité national de l’eau, pour définir le niveau de gratuité laisse une marge de définition assez large. C’est un choix affirmé de notre part d’avoir prévu une telle souplesse, afin de permettre une mise en place progressive des mécanismes de gratuité.

Plus globalement, je veux répondre à l’argument récurrent selon lequel cette proposition de loi porterait atteinte à la libre administration des collectivités. En effet, il n’en est rien. La compétence « eau et assainissement » n’est pas retirée aux collectivités ; la liberté de l’organiser selon leur choix non plus. La gratuité que nous proposons est donc un socle qui n’empêche nullement les collectivités en question de compléter ce dispositif par l’un des outils de l’article 15 de loi Engagement et proximité.

Par ailleurs, pour contrer l’idée selon laquelle ce texte serait contraire au principe de libre administration des collectivités, nous précisons que cette idée s’appuie uniquement sur le fait que de nouvelles contraintes seraient posées. En cela, elle ne caractérise pas une atteinte à la libre administration. En effet, le Conseil constitutionnel a déjà jugé, notamment pour ce qui concerne la loi SRU, qui impose aux collectivités la construction de logements sociaux, qu’une telle contrainte était acceptable. Ainsi, les conditions d’intervention du législateur ont été précisées dans la décision du 7 décembre 2000. Il a été indiqué que les obligations et les charges auxquelles la loi assujettit les collectivités territoriales ou leurs groupements doivent répondre à « des exigences constitutionnelles » ou concourir à « des fins d’intérêt général ». Nous pouvons tous le comprendre, la fin d’intérêt général de garantir à tous l’accès à l’eau justifie dans des proportions raisonnables l’intervention du législateur.

Sur le fond, nous voulons opposer le modèle de la gratuité et, donc, de la solidarité à celui de la marchandisation, non pas de manière dogmatique, mais en instaurant une part de gratuité, quitte à l’élargir par la suite.

Sans aller jusqu’à faire du droit à l’eau un droit opposable à l’image du droit au logement opposable, le DALO, il convient de définir un cadre légal pour donner corps et contenu à ce droit défini comme un droit fondamental par l’ONU. Il convient donc pour partie de s’extraire de la notion d’« aide aux ménages », dont la dimension caritative est trop réductrice, pour s’orienter vers celle d’un droit directement applicable à l’ensemble de nos concitoyens et, donc, universel.

C’est dans ce cadre que la notion et l’outil de la gratuité sont des leviers puissants, à la fois d’égalité sociale et territoriale, ainsi que d’universalité. En effet, cela place le débat non pas sur le terrain de l’accompagnement social de personnes en difficulté, mais bien sur celui de l’affirmation d’un droit de portée générale et universelle, conformément à l’esprit de la LEMA et des engagements internationaux de la France. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – M. Hervé Gillé applaudit également.)