Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Jean Verzelen.

M. Pierre-Jean Verzelen. Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, les précédents orateurs l’ont rappelé : les difficultés que rencontrent les jeunes pour accéder au monde du travail préoccupent chacune et chacun d’entre nous, d’autant plus qu’elles se sont encore accentuées ces derniers mois.

Les chiffres interpellent : 24 % des jeunes ont subi une interruption de formation depuis le début de la crise sanitaire ; 21 % ont connu l’annulation d’un stage en entreprise, le développement du télétravail ayant empêché d’accueillir et d’encadrer des jeunes lors de leur première expérience professionnelle ; et 18 % ont connu un licenciement ou le non-renouvellement d’un contrat.

Nous, élus, le constatons au quotidien au fil de nos échanges et dans nos permanences : beaucoup d’étudiants et de lycéens galèrent pour trouver un stage, une alternance ou une formation qualifiante.

Nous sommes évidemment sensibles aux objectifs de cette proposition de loi pour un meilleur accès des jeunes dans la fonction publique et les entreprises. Ce texte s’appuie sur des études récentes démontrant que les blocages de l’ascenseur social se situent au niveau de l’enseignement et du recrutement. Ce travail rejoint d’ailleurs les préoccupations du Sénat, qui mène actuellement trois missions d’information sur des thématiques similaires.

Toutefois, les mesures proposées se heurtent à un certain nombre d’obstacles.

Tout d’abord, je constate des difficultés d’ordre juridique. Les nominations par priorité de certaines catégories de personnes sont contraires au principe d’égalité : le Conseil constitutionnel en a jugé ainsi dans sa décision du 16 mars 2006.

Ensuite, certaines dispositions manquent de clarté ou sont imprécises : je pense à « l’expérience professionnelle dans un quartier prioritaire » comme critère de différenciation ou encore au « lieu d’origine » comme nouveau critère de discrimination en droit du travail.

Enfin, l’obligation nouvelle pour les entreprises de justifier les motifs de non-embauche auprès de tout candidat refusé pourrait engendrer beaucoup des contentieux devant les prud’hommes.

M. Pierre-Jean Verzelen. Pour ces raisons, les élus du groupe Les Indépendants – République et Territoires ne voteront pas cette proposition de loi. Néanmoins, nous participerons au travail évoqué par M. Sueur.

Ce texte vise à élargir et à favoriser l’accès au monde du travail des jeunes des quartiers prioritaires de la politique de la ville et, de manière plus originale, des jeunes des zones de revitalisation rurale.

Nous en avons connus, des textes, des propositions, des actions en faveur des jeunes des quartiers prioritaires : cet effort est nécessaire. Il existe de véritables difficultés et il faut y répondre.

Ces difficultés, ces souffrances sont également réelles dans la ruralité : elles sont de nature différente, mais elles existent, même si l’on en parle beaucoup moins. Cette partie de la jeunesse est moins incarnée, moins représentée et moins défendue, tant et si bien que toute une partie de notre territoire et de nos jeunes ont l’impression – passez-moi l’expression – de ne pas faire partie du film.

Même si les résultats scolaires sont globalement bons dans les territoires ruraux, il faut continuer à mettre le paquet sur l’enseignement en maternelle et en primaire. Il faut encore et toujours développer l’accès à la culture. Il faut surtout défendre une ambition nationale pour aménager le territoire, améliorer les axes de communication et donc la mobilité.

La France, la jeunesse, l’accès au monde du travail ne peuvent pas se résumer à Paris et à quelques métropoles. C’est aussi cela, l’enjeu soulevé par cette proposition de loi !

Mme la présidente. La parole est à M. Guy Benarroche.

M. Guy Benarroche. Mesdames les ministres, quel panégyrique de l’action gouvernementale ! Je vous ai bien entendues : le pragmatisme doit dépasser le politique. Sur cette base, vous posez des briques les unes après les autres. Mais sans réelle architecture politique globale, on ne peut pas construire une maison habitable ou un pays égalitaire !

Alors que la crise sanitaire de l’année dernière et le « quoi qu’il en coûte » qu’elle a inspiré bouleversent notre pays et son économie dans des proportions considérables, il est bon de garder en tête que les jeunes ont payé un lourd tribut.

Ne détournons pas les yeux des files d’attente devant les centres de distribution alimentaire, n’occultons pas les difficultés de santé mentale dont notre jeunesse souffre et va souffrir durablement.

C’est dans ce contexte que le présent texte nous est soumis : une incertitude grandissante des jeunes sur leur avenir au sein d’une société dont les contours flous et changeants ne laissent pas augurer d’un accueil digne de ce nom, d’une intégration et d’un épanouissement ; une inquiétude tenace sur leur présent ou leur avenir immédiat, liée notamment aux crises écologiques, sanitaires et sociales.

Aussi, cette proposition de loi, que je salue, a pour ambition de créer les conditions d’un meilleur accès des jeunes à la vie active et surtout de lever les obstacles souvent discriminatoires auxquels ils font face à l’entrée sur le marché du travail.

Le Gouvernement s’apprête à déposer des ordonnances visant à réformer la fonction publique, l’objectif étant de renforcer la confiance en l’État, de casser des schémas déterminés et d’organiser une plus grande mobilité des métiers : raison de plus pour soutenir le présent texte !

Cette proposition de loi ne prétend pas répondre à la totalité des enjeux : je regrette à la fois les réserves exprimées à son sujet et la position de la commission des lois.

La notion de quotas, je le sais, laisse souvent perplexes les décideurs de notre pays. En l’occurrence, elle a été partiellement corrigée dans le texte par voie d’amendement. Les critiques les plus farouches persistent à voir dans cette discrimination positive une injustice face à d’autres critères et un moyen d’écarter des personnes méritantes, mais ils occultent la réalité : il s’agit de faciliter l’accès aux postes à responsabilité de personnes ayant un autre regard et de nouvelles compétences.

L’exemple de la parité entre les femmes et les hommes, parité que nous peinons à appliquer plus largement dans les entreprises, dans les conseils d’administration, dans cet hémicycle même, mériterait pourtant d’être suivi.

Le désir de voir des femmes et des hommes de terrain accéder aux responsabilités dans la fonction publique s’exprime de plus en plus fortement. L’article 1er de cette proposition de loi, qui prévoit de réserver un certain nombre de postes à des personnes ayant déjà exercé des fonctions dans des quartiers prioritaires de la ville, semble donc très pertinent.

La recherche de talents doit s’étendre au-delà de Paris – l’administration n’est pas telle qu’on la caricature, ne voyant rien au-delà de Paris. Ainsi, l’article 2 modifie les conditions d’attribution des bourses, afin que les bacheliers des zones de revitalisation rurale puissent accéder à la catégorie d’élèves boursiers.

Quant à l’article 3, il prévoit d’agir sur ce qui, de l’aveu même de la commission, constitue un « enjeu identifié », à savoir la composition des jurys.

Les trois derniers articles portent sur l’appréhension du secteur privé à recruter des jeunes.

Je sais que notre commission doute fortement de l’intérêt d’inscrire un nouveau critère de discrimination : elle y voit une stigmatisation des employeurs, qui seraient « a priori discriminants », alors que ce n’est pas le cas. Je pense au contraire qu’une telle mesure permettrait d’envoyer un message fort sur la différence entre a priori et discrimination.

Je sais aussi que notre commission, à l’image de la majorité sénatoriale, voit dans la création d’un indicateur d’égalité des chances une nouvelle charge pour les entreprises. Mais pourquoi le refuser ? Un tel indicateur serait un outil de mesure de la performance comme un autre. Il permettrait d’informer l’entreprise sur les biais inconscients qui jouent lorsqu’elle recrute.

Cette proposition de loi va donc dans le bon sens. Elle vise à favoriser un large recrutement de tous les jeunes en permettant une valorisation des expériences dans la diversité de nos territoires et en sanctionnant les discriminations envers les personnes issues de certains d’entre eux. Aussi, les membres du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires voteront ce texte ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. Teva Rohfritsch.

M. Teva Rohfritsch. Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons ce matin, déposée par notre collègue Hélène Conway-Mouret, a le mérite de concentrer nos débats sur un sujet qui nous préoccupe tous : la jeunesse et son avenir.

La crise sanitaire que nous traversons n’a pas épargné nos jeunes. De Tahiti à l’Alsace, toute une série de ruptures scolaires, économiques, affectives et psychologiques ont été constatées. Ce virus a frappé nos vies et la société sans discernement.

Les propositions réunies dans le texte soumis à notre sagacité font pleinement écho aux objectifs politiques de notre groupe : offrir une chance à tous nos jeunes.

Au titre Ier de cette proposition de loi, notre collègue propose de faciliter l’accès à la fonction publique, notamment pour les jeunes des quartiers prioritaires de la politique de la ville et des zones de revitalisation rurale, grâce à la mise en place de quotas et à la création d’une Autorité pour l’égalité des chances dans la fonction publique.

Indubitablement, nous faisons nôtres les objectifs des dispositions précitées ; mais les articles 1er à 4 posent diverses difficultés. Soit ils sont déjà satisfaits par l’arsenal juridique existant ; soit ils ne pourraient être constitutionnellement justifiés ; soit leur application poserait de réelles difficultés opérationnelles.

À titre d’exemple, l’article 1er prévoit de réserver une proportion minimale de nominations aux postes de délégués du préfet dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville à des personnes ayant déjà une expérience dans un tel quartier. Non seulement cette question relève du pouvoir réglementaire, mais, pour occuper de tels emplois, une expérience professionnelle dans ces quartiers est déjà exigée : elle est nécessaire pour une connaissance fine du terrain.

La création d’une nouvelle autorité pour l’égalité des chances dans la fonction publique est une idée intéressante. Néanmoins, les études et rapports qu’il est proposé de confier à cette instance sont, pour partie, déjà menés par le service statistique ministériel de la fonction publique, lequel présente les garanties d’indépendance souhaitées : cette proposition mériterait donc d’être approfondie.

Par ailleurs, des engagements forts ont été pris et des réformes sont en cours afin que notre fonction publique redevienne un élément fondateur de notre ascenseur social républicain, un lieu de sens et de service de l’intérêt général pour tous, que ce soit dans les villes, les campagnes, les quartiers prioritaires ou encore les outre-mer.

Je pense notamment à l’agenda en faveur de l’égalité des chances impulsé par Emmanuel Macron et mis en œuvre par sept ministres, rythmé par la réforme de la haute fonction publique.

Je pense également au lancement des Talents du service public, évoqués plus précisément par Mme Amélie de Montchalin. À titre d’exemple, l’île de la Réunion compte trois classes prépas Talents du service public, réunies sur deux sites : Saint-Denis et Le Tampon. Au total, soixante-dix jeunes sont ainsi formés pour accéder à la fonction publique.

Je pense aussi au lancement de la plateforme anti-discriminations, aux mesures annoncées lors du Comité interministériel à la ville de janvier dernier pour les quartiers prioritaires de la politique de la ville, avec plus de 3,3 milliards d’euros dédiés, ainsi qu’à la récente création du label Cités de la jeunesse par Mme Nadia Hai.

Ce texte propose également l’introduction d’un nouveau critère de discrimination lié au lieu d’origine. Il s’ajouterait à l’arsenal législatif déjà fondé sur vingt-cinq critères de discrimination. Commençons par garantir la pleine application des lois en vigueur : telle nous semble être la priorité.

L’obligation de motiver la non-embauche d’un candidat pourrait, cela a été dit, entraîner des contentieux prud’homaux. De surcroît, cette nouvelle disposition pourrait paradoxalement constituer un frein supplémentaire à l’embauche.

Mes chers collègues, vous l’aurez compris : les objectifs de cette proposition de loi sont aussi les nôtres. Nous saluons le travail de notre rapporteur et nous remercions notre collègue Hélène Conway-Mouret, mais les mesures que je viens d’évoquer, quand elles ne sont pas déjà satisfaites, poseraient de réelles difficultés d’application. Pour ces raisons, les élus du groupe RDPI voteront contre cette proposition de loi.

Mme la présidente. La parole est à Mme Maryse Carrère.

Mme Maryse Carrère. Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, réfléchir à un meilleur accès de nos jeunes à la fonction publique et à l’emploi, c’est avant tout penser les failles de notre méritocratie républicaine. C’est faire le constat de son échec. C’est se dire que, malgré les nombreux dispositifs qu’elle met en place, la France reste, parmi les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), celui où l’origine sociale conditionne le plus l’avenir des enfants.

C’est constater que la mobilité sociale est à l’arrêt et que l’ascension sociale est devenue une anomalie. C’est également battre en brèche l’idée d’une égalité parfaite entre citoyens, grâce à laquelle la réussite est dictée non plus par notre origine, mais par nos efforts, ambition héritée de la Révolution française.

Pour autant, mettre fin aux politiques d’égalité des chances serait une erreur ; cesser d’y réfléchir aussi. À cet égard, je tiens à remercier l’auteure de cette proposition de loi.

C’est d’autant plus vrai que les crises, comme celle que nous vivons, frappent toujours davantage les plus démunis et aggravent les inégalités, notamment chez les jeunes.

J’en viens au présent texte. S’il soulève de bonnes questions, les réponses qu’il apporte ne permettront pas, malheureusement, de relever l’ensemble des défis auxquels nous faisons face.

Ainsi, l’article 1er prévoit de faciliter la nomination dans la haute fonction publique d’agents ayant travaillé dans les quartiers prioritaires. Ces dispositions permettraient-elles une réelle mise en valeur des jeunes des quartiers prioritaires ? Rien ne garantit que les agents qui pourraient être nommés à ces emplois soient issus de ces quartiers ou qu’ils auront une réelle appétence pour ces sujets.

L’article 2 porte sur le recrutement diversifié dans les concours et formations de la fonction publique. Je salue le fait que les zones de revitalisation rurale soient mises sur le même plan que les quartiers prioritaires. Longtemps, on a vu l’égalité des chances et l’ascenseur social sous le seul prisme des quartiers prioritaires et de la politique de la ville : je le regrette. L’erreur a été d’oublier de nombreux jeunes ruraux qui sont tout autant défavorisés.

Loin de moi l’idée d’opposer les uns aux autres, bien au contraire. À mon sens, il faut répondre de la même manière à ces problèmes, car ils sont identiques, que l’on habite dans une commune de 100 habitants dans les Hautes-Pyrénées ou dans un quartier relevant de la politique de la ville. C’est une question d’équité.

Néanmoins, le fait d’élargir l’accès à ces concours n’a de sens que si l’on transforme les pratiques en profondeur. Pour cela, il est indispensable de modifier le recrutement des membres des jurys. Cela permettra de mettre fin aux situations que l’on connaît actuellement et qui laissent peu de place aux profils différents au sein des jurys et donc parmi les candidats.

J’émets davantage de réserves sur les articles suivants, à commencer par l’article 4, qui prévoit la création d’une Autorité pour l’égalité des chances dans la fonction publique. Ce que je crains, c’est un énième comité Théodule sans véritable pouvoir, incapable d’assumer les missions qui lui seront confiées, faute de moyens financiers et humains.

Si je comprends la volonté de prendre en compte le lieu d’origine comme facteur discriminatoire, il me semble que les vingt-cinq critères de discrimination déjà retenus sont suffisants.

Enfin, l’article 6 oblige toute entreprise à motiver son choix à la suite d’un entretien d’embauche. Je crains qu’une telle mesure ne soit inefficiente : chaque employeur pourra invoquer le motif qui lui plaira pour justifier le refus d’une candidature.

Pour conclure, si nous approuvons l’objectif de cette proposition de loi, il nous paraît indispensable de lutter dès le plus jeune âge contre les inégalités afin de réparer l’ascenseur social et de renouveler la promesse républicaine.

Sur ce texte, le groupe du RDSE se partagera entre votes favorables et abstentions. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE et sur des travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Piednoir. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Stéphane Piednoir. Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, malgré les multiples aides déployées durant la crise sanitaire et économique que nous traversons, la période actuelle – chacun en conviendra – est difficile pour tous. La cessation d’activité dans bon nombre de secteurs a lourdement pesé sur les trésoreries ; la conjoncture a reporté ou condamné nombre d’initiatives entrepreneuriales ; et les recrutements ont le plus souvent été gelés dans l’attente d’une meilleure visibilité sur l’avenir économique.

Au milieu de ce tableau assez sombre, les jeunes subissent de plein fouet autant les conséquences de ce ralentissement économique que le bouleversement du marché du travail. Ainsi, 37 % des étudiants salariés ont perdu leur emploi.

Pour leur insertion professionnelle, les étudiants, quelle que soit leur origine sociale, sont confrontés à une sorte d’effet ciseaux. D’une part, le marché du travail est profondément et sans doute durablement contracté ; de l’autre, ces jeunes risquent de voir leur niveau de qualification interrogé, en raison des nouvelles modalités d’enseignement auxquelles ils ont été confrontés durant les deux dernières années universitaires.

Dès lors, que peut-on attendre des pouvoirs publics ? Quelles réponses apporter à ces jeunes qui font leur entrée sur le marché de l’emploi ?

Ce que veulent ces jeunes, c’est concrétiser leurs études par un emploi correspondant à leurs aspirations et à la formation qu’ils ont choisie. C’est donc à la source – si je puis dire – qu’il faut intervenir, en permettant aux entreprises de se relancer, à leurs sites de production de retrouver une croissance salvatrice. Bref, il faut leur donner les moyens d’avoir des perspectives et d’envisager sereinement de nouvelles embauches. Cette dynamique vertueuse profitera inévitablement aux jeunes.

Sans renier la solidarité nationale dans notre pays, qui n’a vraiment pas à rougir à cet égard, le même raisonnement doit prévaloir pour l’insertion des jeunes des quartiers prioritaires de la politique de la ville : ils ont davantage besoin d’une dynamique globale que d’une commisération dévalorisante à leur endroit.

État moi-même issu d’un milieu modeste, je suis reconnaissant à l’État d’avoir aidé ma famille, via l’attribution de bourses, à subvenir à mes besoins durant mes études. En complément, j’ai exercé de bonne grâce différents petits boulots durant mes années universitaires et la plupart de mes vacances. La réussite est parfois à ce prix : elle n’en a que plus de saveur. La motivation contribue à en atténuer les contraintes.

En revanche, j’aurais très mal vécu d’avoir une sorte de passe-droit, de bénéficier d’une politique de quotas, comme on dit aujourd’hui en langage autorisé, pour accéder aux cursus auxquels j’aspirais et, pis, pour obtenir le concours de la fonction publique que je visais avec volonté. Et que dire du regard que mes collègues auraient porté sur moi ? Des commentaires du style : « Il a eu le concours sur les places réservées à son profil » ? La société française n’est pas constituée de castes, et c’est heureux.

La méritocratie, c’est l’école de la détermination ; c’est le droit de se frotter à tous, quelles que soient son origine sociale et ses conditions matérielles de vie. Mais c’est aussi, pour tous, l’acceptation du risque d’échouer dans son entreprise personnelle.

Cette méritocratie ne signifie pas que tous les enfants de milieux modestes ont un droit privilégié de réussir, qu’ils ont le droit d’imposer leur candidature face à d’autres qui présenteraient de meilleurs atouts et compétences.

À mon sens, les choses se jouent bien avant. J’ai eu l’occasion de l’éprouver, cette fois en tant qu’enseignant, en convainquant un étudiant qu’il était tout à fait capable de réussir compte tenu de ses résultats et de ses aptitudes confirmés, même s’il était le premier de sa famille à accéder aux études supérieures.

Le frein est ici : au sein des familles qui acceptent une dévalorisation consubstantielle à leur catégorie socioprofessionnelle. C’est le rôle des enseignants et des conseillers principaux d’éducation de convaincre ces élèves qu’ils ont droit aux mêmes études, aux mêmes débouchés, aux mêmes métiers tant qu’ils apportent la preuve de leurs qualités.

Nul besoin de quotas pour cette politique : il suffit de faire confiance aux professionnels qui conseillent nos jeunes et leurs familles au quotidien. Un large consensus me semble possible sur ce point.

En résumé, si je comprends l’objectif de cette proposition de loi, je n’approuve pas du tout ses dispositifs. En conséquence, comme l’ensemble de mes collègues du groupe Les Républicains, je voterai contre ce texte ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Yves Bouloux. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Yves Bouloux. Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui la proposition de loi pour un meilleur accès des jeunes dans la fonction publique et les entreprises.

Séduisant, cet intitulé prête à confusion à double titre. D’une part, il ne s’agit pas d’améliorer l’accès de l’ensemble des jeunes à l’emploi,…

M. Yves Bouloux. … mais simplement d’en privilégier quelques-uns.

M. Yves Bouloux. D’autre part, certaines des dispositions proposées ne visent pas spécifiquement les jeunes. En réalité, on nous demande d’introduire dans la loi une nouvelle discrimination positive en fonction, cette fois, non pas du sexe, mais du lieu de résidence. Sont ciblés les quartiers de la politique de la ville et les zones de revitalisation rurale.

L’existence d’inégalités de traitement ne fait pas débat. D’ailleurs, dans les territoires ruraux, les élus œuvrent quotidiennement pour combattre cette perte de chance.

On nous suggère notamment de réserver une proportion minimale de nominations aux emplois de la haute fonction publique de l’État. Quel est l’objectif ? Favoriser l’implantation dans ces territoires ou l’accès à ces emplois des personnes qui y résident ? Ne vaudrait-il pas mieux garantir un niveau d’enseignement minimal dans tous les territoires ?

L’égalité des chances est un objectif louable, mais on ne saurait la garantir au détriment de la compétence ou au prix de nouvelles inégalités. Les concours d’accès à la fonction publique n’ont-ils pas précisément pour objet de garantir l’égalité des chances ? Quoi qu’il en soit, une telle disposition exige une révision constitutionnelle.

L’article 4 crée une nouvelle autorité administrative indépendante (AAI) chargée de rassembler, d’analyser et de diffuser les informations et données relatives à la promotion de l’égalité des chances dans la fonction publique. Encore une AAI ! La multiplication des agences et autres autorités indépendantes entraîne bien des lourdeurs et des coûts. On peut se passer de telles instances, d’autant plus quand leur rôle se limite à compiler des données qui ne seront probablement jamais exploitées.

Pour faciliter l’accès des jeunes à l’entreprise, on nous propose d’ajouter le lieu d’origine à la liste des discriminations interdites ou encore d’obliger à mentionner le motif du refus d’embauche. Il s’agirait de nouvelles contraintes pour les entreprises, et pour quelle efficacité ? Favorisons l’implantation d’entreprises dans ces lieux oubliés : ainsi, l’embauche sera locale !

Vous l’aurez compris, si j’approuve l’objectif d’agir pour améliorer l’accès de ces jeunes au monde du travail, les moyens d’action méritent réflexion. Pour les raisons que je viens d’indiquer, les membres du groupe Les Républicains ne voteront pas ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre. (Protestations sur les travées du groupe SER.)

Mme Amélie de Montchalin, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à revenir brièvement sur un certain nombre de points.

Tout d’abord, mon ambition, comme celle des différents orateurs, est bien sûr de travailler dans un cadre strictement républicain : il s’agit de défendre le pacte républicain, en vertu duquel l’égalité des chances et surtout l’égalité des choix doivent être mises en œuvre concrètement. On ne saurait se contenter de clamer « République » : il faut déployer des outils concrets – je vais y revenir – pour que la promesse républicaine, socle de notre cohésion nationale, soit une réalité.

Nombre d’entre vous l’ont rappelé, la jeunesse a beaucoup souffert depuis dix-huit mois : nous en sommes pleinement conscients. Elle a souffert d’interruptions de formation ; elle a souffert de la raréfaction des stages. C’est pourquoi la fonction publique prend toute sa part dans le plan « 1 jeune, 1 solution ».

Je le répète : ce plan, c’est 43 000 offres de stages cette année et 49 000 autres en 2022 ; c’est 15 000 places d’apprentissage ; c’est une circulaire signée hier par le Premier ministre et par moi-même, relative à l’apprentissage et aux stages, qui s’applique à l’ensemble de la fonction publique de l’État ; c’est un travail partenarial rapproché avec la fonction publique territoriale.

En parallèle – certains orateurs l’ont souligné –, nous devons nous défaire de l’idée selon laquelle Paris serait un passage obligé. Nos territoires, nos universités et, plus largement, nos lieux de formation sont riches de leur diversité. Il n’est écrit nulle part dans le contrat républicain qu’il faudrait, comme au XIXe siècle, « monter à Paris ».

Si vous me permettez une référence littéraire, loin des Illusions perdues de Balzac, je préférerais voir venir le temps de la confiance retrouvée. Nous devons faire confiance aux professionnels de la formation et de l’enseignement supérieur dans l’ensemble du territoire.

Ces précisions étant apportées, je tiens à revenir sur deux points de mon intervention liminaire afin d’éviter toute ambiguïté.

Je peux vous le certifier : ni Nadia Hai ni moi n’éprouvons le moindre sentiment d’autosatisfaction.

Si nous vous avons présenté en détail un certain nombre de dispositifs, c’est parce que nous sommes extrêmement engagés et que nous savons qu’il n’existe pas de baguette magique, de solution toute faite, que les choses sont complexes et qu’il nous faut agir de manière large, en utilisant tous les leviers à notre disposition. Nous ne sommes absolument pas dans le fameux « circulez, il n’y a rien à voir ! » que certains ont pointé.

Si nous étions dans un tel état d’esprit, nous n’aurions pas pris le taureau par les cornes comme nous le faisons. Nous pensons qu’il faut privilégier l’action, beaucoup plus que les lois, les incantations, les signaux, les principes. La jeunesse de notre pays a trop souffert d’avoir été amenée à croire, sur ces questions essentielles de cohésion nationale et républicaine, que les grands principes et les grandes lois allaient tout faire.

Agir, c’est mettre en place du mentorat, du tutorat, des moyens de formation, c’est ouvrir des classes – concrètement, nous ouvrons 74 lieux où 1 700 jeunes vont pouvoir se former, à La Réunion et ailleurs – ; c’est sortir d’une logique de chiffres et de quotas pour créer des viviers.

Notre travail, madame Conway-Mouret, s’est fait en convergence, voire en concomitance, puisque l’habilitation que vous avez accordée au Gouvernement dans l’article 59 de la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique lui permet, précisément, de prendre des mesures. Celles-ci sont législatives quand cela s’impose, mais beaucoup d’entre elles n’ont rien à voir avec la loi, elles sont concrètes. Quand la loi est nécessaire, nous l’avons activée par ordonnance.

Pour conclure, je tiens à vous remercier, monsieur le sénateur Piednoir, de votre témoignage. Notre pays a besoin de tels témoignages pour montrer que ce chemin existe.

Je vous affirme également que nous ne créerons aucun passe-droit. En tant que ministre de la fonction publique, je m’engage à donner des outils concrets à des jeunes méritants pour les aider à préparer des concours exigeants et sélectifs, c’est-à-dire du tutorat, du mentorat, une bourse de 4 000 euros par an – il s’agit de leur éviter d’avoir à occuper des petits boulots au lieu de préparer les concours –, ainsi qu’un accès au logement étudiant.

À Angers, ville chère à votre cœur, nous prévoyons ainsi d’ouvrir en 2022 l’une de ces classes Prépas Talents pour que la jeunesse du Maine-et-Loire entre dans cette dynamique avec tout l’accompagnement nécessaire. Je sais pouvoir compter sur votre soutien à ce projet.