PRÉSIDENCE DE M. Roger Karoutchi

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

Article unique (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à nommer les enfants nés sans vie
 

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Revitalisation des centres-villes : quelles stratégies, quels résultats ?

Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur le thème : « Revitalisation des centres-villes : quelles stratégies, quels résultats ? »

Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.

Je rappelle que l’auteur de la demande dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.

À l’issue du débat, le groupe auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.

Dans le débat, la parole est à M. Rémy Pointereau, pour le groupe auteur de la demande.

M. Rémy Pointereau, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la question qui nous réunit autour de ce débat est ô combien importante, et je l’étendrai du reste aux centres-bourgs. Il s’agit d’un véritable enjeu de société qui doit dépasser les clivages politiques. C’est pour cette raison que notre assemblée s’en est emparée dès le mois de mai 2017.

Le constat dressé par le rapport que j’ai rendu conjointement avec notre ancien collègue Martial Bourquin était sans appel : « nos cœurs de ville et de bourg se meurent » !

De nombreuses villes comptent plus de 20 % de vacance commerciale, jusqu’à 30 % dans des villes comme Calais. Au total, nous avions recensé près de 700 villes et plusieurs centaines de bourgs pôles de centralité en grande difficulté.

Ce constat alarmant avait débouché sur un Pacte national pour la redynamisation des centres-villes et centres-bourgs issu d’une proposition de loi. Nous avions voulu prendre le problème à la racine, à la différence du programme gouvernemental Action cœur de ville, qui était concentré sur le volet financier.

Monsieur le secrétaire d’État, il n’y a pas, et il n’y aura pas, de solution à l’échelle de l’enjeu qui ne soit pas structurelle et/ou systémique.

Douze des trente dispositions issues de notre initiative sont désormais en vigueur, car elles ont été inscrites dans la loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite ÉLAN. Je suis particulièrement attaché à leur suivi, et c’est essentiellement dans cet esprit que s’inscrira mon intervention.

S’agissant de la gouvernance des commissions départementales d’aménagement commercial (CDAC), nous avions, par un amendement devenu article 163 de la loi ÉLAN, modifié leur composition afin qu’elles permettent aux représentants du tissu économique et commercial, à savoir les membres des chambres de commerce et d’industrie (CCI), des chambres de métiers et de l’artisanat (CMA) et des chambres d’agriculture, d’y siéger. Pouvez-vous, monsieur le secrétaire d’État, nous confirmer que la composition de l’ensemble des CDAC a bien été mise à jour en ce sens ?

Sur le système de régulation des implantations commerciales, nous avions rénové en profondeur le mécanisme, en faisant en sorte que l’autorisation d’implantation soit conditionnée à l’absence d’impact négatif sur le tissu économique et commercial existant, notamment en centre-ville. Pour cela, le demandeur de l’implantation commerciale doit produire une analyse d’impact du projet réalisée par un organisme indépendant habilité par le préfet.

Êtes-vous en mesure de nous dresser un bilan de ces dispositions ? Vous êtes-vous assuré de leurs effets sur les centres-villes, en particulier les centres-bourgs ?

Sur ce même volet, nous avions aussi renforcé les pouvoirs du préfet, en lui permettant de s’assurer de la remise en état des surfaces commerciales abandonnées pour éviter la prolifération des friches.

De même, nous avons attribué au préfet le pouvoir de prononcer un moratoire sur les demandes d’autorisation d’exploitation commerciale, sur requête motivée d’un établissement public de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre ou de communes signataires d’une convention d’opération de revitalisation de territoire (ORT). Pouvez-vous nous faire un état des lieux de l’usage de cette compétence ?

Avec la levée des compensations financières liées aux restrictions sanitaires se posera la question de la survie de nombreux petits commerces qui sont majoritaires dans les centres-villes et centres-bourgs.

C’est une autre dimension qui vient s’ajouter au sujet qui nous occupe et qui rend plus que nécessaire l’encadrement des implantations commerciales dans les prochains mois, pour éviter que ces dernières ne viennent « tuer à petit feu » le commerce de centre-ville et que la crise sanitaire ne joue un effet accélérateur, car malgré tous nos efforts la dévitalisation continue…

Permettez-moi de me référer, pour illustrer mon propos, à la situation de la ville de Bourges qui malheureusement est loin d’être un cas isolé. On y constate un phénomène que je qualifie de « désertion commerciale en centre-ville » et qui marque bien la polarisation des implantations commerciales en dehors des cœurs de ville.

À Bourges, la FNAC joue en effet un véritable rôle de locomotive commerciale pour les commerces du centre. Or sa direction souhaite désormais déserter le cœur de ville pour rejoindre un centre commercial implanté en dehors. Ce changement de fusil d’épaule m’interpelle, car j’avais autrefois auditionné le directeur stratégique du groupe FNAC, lequel tenait à souligner le rôle sociétal de cette enseigne dans la redynamisation d’un cœur de ville.

C’est pourquoi j’estime qu’il est urgent que nous conduisions une réflexion afin de trouver un mécanisme de régulation pour ces grandes enseignes implantées dans un centre-ville qui décident du jour au lendemain de le quitter au profit de la périphérie, parfois à cause de loyers trop élevés, parfois à cause d’une fiscalité trop importante en cœur de ville, parfois à cause d’une absence de logique urbaine qui prive le centre-ville de parking.

D’autres pistes permettraient de bonifier ces cœurs de ville et de bourgs. Elles peuvent trouver appui sur les dispositifs d’accompagnement à la rénovation de logement.

Je pense bien évidemment aux dispositifs Pinel-Denormandie et Denormandie dans l’ancien qui permettent de bénéficier d’exonérations et de réductions d’impôts locaux pour la rénovation d’un bien d’habitation. Pourquoi ne pas étendre ces dispositifs à la rénovation de locaux commerciaux implantés en centre-ville, afin de les embellir et attirer davantage les consommateurs ?

Enfin, il n’est pas possible d’étudier la question de la revitalisation des centres-villes sans traiter du sujet du commerce non physique.

Nous savons tous que les grandes entreprises de commerce électronique bénéficient de conditions fiscales iniques par rapport aux entreprises de commerce physique.

La pandémie de la covid-19 est venue renforcer cette distorsion de concurrence, en troquant les activités physiques par des alternatives en ligne. Jusqu’à présent, nous avons mené de nombreux travaux pour tenter de rééquilibrer la concurrence entre ces deux formes de commerce. Nos réflexions ont souvent traité, avec plus ou moins de réussite, du volet fiscal : projet de taxe sur les livraisons, assujettissement des entrepôts à la taxe sur les surfaces commerciales (Tascom)…

Néanmoins, nous avons oublié au préalable de soumettre l’implantation des entrepôts de ces géants du e-commerce à l’avis des CDAC. Je rappelle que les membres de ces dernières sont des acteurs de terrain : ils sont les mieux placés pour juger des conséquences sur le commerce existant de l’arrivée d’un entrepôt qui sert non pas uniquement à l’entreposage, mais aussi à la vente par livraison. Ces entrepôts ne pourraient-ils pas être installés en priorité sur des friches en vue de leur réhabilitation ?

Voilà la série de questions et de réflexions dont il m’importait de vous faire part, monsieur le secrétaire d’État. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Joël Giraud, secrétaire dÉtat auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis très heureux de représenter le Gouvernement aujourd’hui pour évoquer avec vous la revitalisation des centres-villes et centres-bourgs, qui est au cœur de l’action que nous menons, avec Jacqueline Gourault, au ministère de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.

Le thème de ce débat recoupe largement les enjeux de ma mission en tant que secrétaire d’État à la ruralité. La géographie comme l’histoire doivent nous inciter à ne pas opposer la ruralité et la ville, mais – bien au contraire – à en penser les complémentarités. Le monde rural est en effet structuré par les villes et bourgs qui en constituent l’armature et irriguent les territoires environnants.

Les centralités ont traversé, vous l’avez souligné dans le rapport que vous avez élaboré en 2017, monsieur le sénateur Pointereau, de vraies difficultés durant les décennies qui viennent de s’écouler.

Le commerce, qui était au cœur de vos discussions, en est probablement le marqueur le plus visible et le plus emblématique. Je ne citerai pas trop de chiffres, car vous les connaissez et que nous pourrons en discuter ensemble durant le débat, mais permettez-moi de mettre en évidence plusieurs phénomènes.

Le commerce de détail a connu un recul net depuis le début des années 1990, avec une baisse de 3 % par an par exemple du nombre de boucheries et de 1,5 % pour les boulangeries ; la vacance commerciale en centre-ville est passée de 7 % à 12 % entre 2008 et 2019. Parallèlement, le nombre de surfaces commerciales en périphérie a augmenté, pour atteindre environ 1 800 zones aujourd’hui.

Ce phénomène est le résultat d’une multitude de facteurs, notamment du déplacement des habitants eux-mêmes des centres-villes vers la périphérie, de la démocratisation de la voiture et d’évolutions sociales profondes – baisse du temps consacré au parcours d’achat et paupérisation.

Il résulte également de l’existence d’importants déficits pour les opérations d’aménagement urbain des centres-villes : étant donné les coûts de rénovation des bâtiments, l’équilibre économique, qu’il s’agisse d’exploitation de logements ou de locaux commerciaux, n’est généralement pas assuré. Cela justifie pleinement l’intervention de la puissance publique et la structuration d’un écosystème reposant sur l’économie mixte.

La dévitalisation des centres-villes est un enjeu écologique, social et culturel, voire de civilisation – c’est un point très important.

C’est un enjeu écologique, car le développement des surfaces commerciales de périphérie conduit, comme l’étalement pavillonnaire, à l’artificialisation de surfaces agricoles ou naturelles. Alors que nous faisons de la lutte contre l’artificialisation des sols l’une des déclinaisons majeures de notre politique de préservation de la biodiversité, nous ne pouvons pas faire l’impasse d’une vraie réflexion sur la densification des centralités et leur revitalisation, notamment commerciale.

C’est un enjeu social, car les centres-villes et centres-bourgs constituent des lieux de rencontres où l’on peut efficacement lutter contre l’isolement, notamment celui qui touche nos personnes âgées.

C’est, enfin, un enjeu culturel, car la civilisation européenne s’est bâtie, depuis l’Antiquité jusqu’à l’époque fordiste, en passant par la Renaissance, sur le modèle de la ville. Nous ne devons pas y renoncer à l’heure où nos concitoyens nous demandent davantage de proximité et un renforcement du lien social.

Le Gouvernement a, je le crois, pris le problème à bras le corps.

Dès 2018, sur la base de constats qui recoupent ceux que vous faisiez, monsieur le sénateur, dans le cadre de votre proposition de loi, le programme Action cœur de ville a été lancé. Ciblant 222 villes moyennes, il se singularise par son caractère interministériel et transversal. Près de la moitié des 5 milliards d’euros prévus dans le cadre du programme ont déjà été engagés, et ce malgré la crise sanitaire, ce qui démontre toute la pertinence de cette initiative.

Ce programme d’actions s’adosse aux ORT, prévues dans la loi ÉLAN, qui offrent une large palette d’outils juridiques et fiscaux visant à favoriser la revitalisation des centres-villes : dispense d’autorisation commerciale et possibilité de suspension des projets situés dans les zones périphériques ; accès prioritaire aux aides de l’Agence nationale de l’habitat (ANAH) ; éligibilité au dispositif Denormandie dans l’ancien ; renforcement du droit de préemption urbain et pour les locaux artisanaux.

Conscient de l’importance de toutes les centralités, cette logique a été déclinée dans le programme Petites Villes de demain, que nous avons lancé le 1er octobre dernier, destiné aux villes de moins de 20 000 habitants fragilisées dans l’exercice de leur fonction de centralité. C’est un plan d’action qui vise à soutenir les élus dans la réalisation de leurs projets. Pleinement intégrée à l’agenda rural, cette démarche se décline rapidement dans les territoires. J’en veux pour preuve la signature de plus de 500 conventions d’adhésion sur quelque 1 600 villes sélectionnées – elles l’ont été sans aucun plancher en termes de nombre d’habitants.

Cette ferme volonté de soutenir les centralités ne s’est pas arrêtée à la mise en œuvre de programmes incitatifs. Comme je l’avais évoqué en 2018, le Gouvernement a décidé en septembre 2020 d’un moratoire sur les surfaces commerciales de périphérie, en deux temps.

Il a tout d’abord enjoint aux préfets de saisir la Commission nationale de l’aménagement commercial (CNAC), lorsqu’un projet ayant reçu un avis positif de la CDAC entraîne une artificialisation des sols.

Il a ensuite posé, à l’article 52 du projet de loi Climat et résilience, un principe d’interdiction des nouvelles surfaces commerciales ayant pour effet d’artificialiser les sols.

À la faveur de la relance, le Gouvernement a de nouveau manifesté sa volonté d’œuvrer résolument en faveur de l’attractivité des centres-villes. C’est aussi une manière de lutter concrètement contre l’artificialisation des sols.

Comme le montre un rapport récent, il nous faudrait 500 millions d’euros par an, pendant de nombreuses années, pour résorber l’intégralité des verrues urbaines.

C’est pourquoi nous avons créé le fonds Friches, doté initialement de 300 millions d’euros, et récemment abondé à hauteur de 350 millions conformément à l’annonce faite par le Premier ministre le 17 mai dernier.

Le fonds de restructuration des locaux d’activité, en lien avec le programme « 100 foncières » de la Banque des territoires, va permettre de réhabiliter quelque 6 000 commerces sur l’ensemble du territoire, en finançant le déficit des opérations.

Ces politiques très concrètes prennent tout leur sens dans le cadre de la politique de « réarmement des territoires » menée par le Gouvernement, et sur laquelle je souhaite insister.

Avec la délocalisation de services d’administration centrale dans des villes moyennes, la mise en place des maisons France Services, l’engagement de créer 2 500 postes dans les services déconcentrés ou encore la lutte contre la désertification médicale, nous réorientons des ressources, mais aussi des femmes et des hommes vers les territoires. Ce mouvement est indispensable à la revitalisation des centres-villes.

Cette dynamique de renforcement de l’attractivité des centralités sera poursuivie dans le projet de loi 4D, notamment via deux dispositions : d’une part, la possibilité de conclure plusieurs opérations de revitalisation de territoire (ORT) sur le territoire d’un même EPCI, ce qui facilitera l’accès au dispositif pour les petites communes ; d’autre part, le renforcement du droit de préemption des biens sans maître – le délai pour la mise en œuvre de ce droit devrait passer de 30 ans à 10 ans. Ces mesures figuraient déjà dans une proposition de loi votée par le Sénat il y a peu.

Je voudrais également remercier très sincèrement les services et le cabinet du ministère de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, mais aussi les services de l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), en particulier le préfet Rollon Mouchel-Blaisot et Juliette Auricoste, qui se sont mobilisés pour préparer ce débat et qui m’accompagnent dans l’hémicycle aujourd’hui. Ils œuvrent au quotidien pour traduire sur le terrain les politiques publiques et les valeurs qui les sous-tendent.

Mesdames, messieurs les sénateurs, nous partageons une même volonté de défendre nos centres-bourgs et centres-villes, et cette volonté n’est absolument pas motivée par une quelconque méfiance à l’encontre d’évolutions en cours. Tout au contraire, la promotion des centres-villes et des centres-bourgs est l’une des voies qu’il nous faut emprunter pour atteindre nos objectifs environnementaux et d’équité entre les territoires.

Je développerai bien évidemment de nouveaux points au fur et à mesure des réponses que j’apporterai à vos questions, mesdames, messieurs les sénateurs. Cela me permettra aussi de répondre plus précisément aux questions que vous m’avez déjà posées, monsieur le sénateur Pointereau.

Je précise simplement, pour conclure, que cinq communes ont déjà fait usage de la fameuse possibilité offerte par les conventions ORT s’agissant des surfaces commerciales de périphérie : Blois, Saint-Dié, Montargis, Moulins et Limoges.

Débat interactif

M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.

Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question, avec une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.

Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.

Dans le débat interactif, la parole est à M. Jean-Pierre Moga.

M. Jean-Pierre Moga. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ce débat me tient particulièrement à cœur pour deux raisons.

J’ai tout d’abord été rapporteur de la proposition de loi de Martial Bourquin et Rémy Pointereau portant Pacte national de revitalisation des centres-villes et centres-bourgs, un texte de qualité qui avait réuni plus de 230 sénateurs autour d’une boîte à outils de 31 articles constituant une bouffée d’oxygène pour nos élus locaux et nos petites villes.

Ensuite, l’enjeu de la revitalisation me semble majeur. Les conséquences des ruptures d’égalité entre territoires sont dévastatrices, avec un sentiment de déclassement, voire parfois d’abandon, qui fracture notre socle républicain. Mais elles sont aussi l’occasion d’espoirs renouvelés et d’initiatives innovantes qui permettent aux élus locaux de faire de leur territoire de véritables laboratoires de l’action publique.

Dès lors, monsieur le secrétaire d’État, plus encore que les financements, la question de l’ingénierie est essentielle : quelles orientations prendra la réforme du Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema), prévue par ordonnance dans le projet de loi 4D afin de renforcer son rôle d’expertise et d’assistance ?

Alors que les articles 21 et 26 de la proposition de loi sénatoriale portaient respectivement sur l’implantation d’activités commerciales et la lutte contre l’artificialisation des terres, dans quelle mesure les articles 47 à 52 du projet de loi Climat et résilience, dont l’examen débute lundi prochain dans notre assemblée, apportent-ils des réponses concrètes, et non de nouvelles menaces pour la revitalisation de nos territoires ruraux ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Joël Giraud, secrétaire dÉtat auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité. Monsieur le sénateur Moga, je vous remercie de votre question, qui permet, si j’ose dire, de prendre le débat par le bon bout, à savoir le besoin de développer des projets de revitalisation globaux et cohérents. En effet – vous l’avez dit, et j’ai souvent évoqué ce sujet devant votre assemblée –, le premier besoin porte sur l’ingénierie.

C’est d’ailleurs ce qui a présidé à la création de l’Agence nationale de la cohésion des territoires, dans la ligne de l’une des dispositions de votre proposition de loi portant Pacte national de revitalisation des centres-villes et centres-bourgs. Les questions d’ingénierie irriguent l’ensemble des programmes de l’ANCT. Je citerai notamment le programme Petites Villes de demain (PVD), qui permet d’ores et déjà à une centaine de territoires de bénéficier de l’appui d’un chef de projet – ils seront 600 d’ici à la fin de l’année.

Le projet de loi 4D, que je porterai ici même avec Jacqueline Gourault au début du mois de juillet, renforcera encore cette ingénierie, en facilitant l’accès des collectivités à l’expertise du Cerema. Cette disposition me semble extrêmement importante. Les collectivités pourront faire appel au Cerema en in house, sans mise en concurrence, ce qui permettra d’accélérer les projets, mais aussi de passer des marchés sur mesure en fonction des besoins des collectivités. À ce stade, une ordonnance est prévue, car cette évolution nécessite de réaliser un véritable travail d’orfèvre, notamment en termes de gouvernance. Il s’agit simplement de renforcer la sécurité juridique du dispositif, et donc, en bout de chaîne, celle des marchés passés par les collectivités locales. Le recours à une ordonnance permettra au Conseil d’État d’examiner le texte et de le sécuriser.

Le projet de loi Climat et résilience vient poser une pierre supplémentaire sur l’édifice de revitalisation des centres-villes. Il consacre l’objectif de diviser par deux la consommation d’espace dans les dix prochaines années et veille à ce que cet objectif soit décliné dans chaque territoire. La philosophie de ce texte consiste à allier développement économique et transition écologique. Les articles sur le commerce illustrent cette complémentarité. Le projet de loi vise ainsi à interdire toute création de commerces en périphérie, dès lors qu’elle aurait pour conséquence une artificialisation des sols, ce qui permettra de conforter le commerce de centre-ville.

M. le président. Gardez-en un peu pour la réponse suivante, monsieur le secrétaire d’État !

M. Joël Giraud, secrétaire dÉtat. Je conclus, monsieur le président !

Il sera toutefois encore possible d’artificialiser dans certaines conditions, si les besoins du territoire le justifient.

M. le président. La parole est à Mme Martine Filleul.

Mme Martine Filleul. Monsieur le secrétaire d’État, 60 % des villes ont connu une fermeture de 70 % à 90 % de leurs commerces pendant la crise sanitaire. Malheureusement, avec les faillites annoncées, la crise économique fait craindre une nouvelle vague de formation de friches en ville, qu’elles soient commerciales ou industrielles.

On sait l’impact négatif de ces friches sur l’économie d’une commune : non seulement elles enlaidissent le paysage, mais elles stigmatisent aussi les territoires, en freinant les nouvelles implantations et en engendrant souvent une baisse de fréquentation des centres-villes, ce qui provoque la fermeture d’autres commerces.

Si, face aux très nombreuses sollicitations, l’augmentation du fonds Friches, annoncé par votre gouvernement, est à saluer, se pose aussi la question du maintien de ces aides au-delà de la période de relance. En effet, sans subventions publiques, la plupart des projets de réhabilitation seraient tués dans l’œuf. Votre gouvernement compte-t-il pérenniser ces fonds ?

Les procédures de réponse aux appels d’offres s’avèrent complexes pour les petites collectivités qui ne bénéficient pas des ressources humaines et techniques suffisantes.

De même, l’empilement des procédures et autorisations constitue un frein important à la réalisation des opérations, notamment pour l’exercice des droits de préemption et d’expropriation par les collectivités. Ces procédures nécessitent une ingénierie juridique pérenne et beaucoup d’entre elles n’en disposent pas.

Quelles réponses le Gouvernement apporte-t-il à ces problématiques pour rendre efficace le recours aux aides, permettre aux collectivités de mettre en œuvre des projets de réhabilitation et lutter contre les friches en ville ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Joël Giraud, secrétaire dÉtat auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité. Madame la sénatrice Filleul, comme vous le soulignez, le Gouvernement a mis en place de nombreux leviers complémentaires pour lutter contre les friches, à commencer par le programme Action cœur de ville, qui vise à lutter contre la vacance commerciale et à renforcer l’attractivité des centres-villes grâce à une intervention intégrée sur le commerce, l’habitat, les espaces publics et les activités économiques.

La lutte contre les friches, c’est bien entendu la vocation du fonds Friches, dont le Premier ministre a récemment annoncé le doublement, avec 650 millions d’euros mobilisés. C’est aussi la vocation du fonds pour la revitalisation des cellules commerciales, doté de 60 millions d’euros, qui vise à rénover ces commerces et à faciliter l’installation de repreneurs. La Banque des territoires a également mobilisé 800 millions d’euros pour constituer des foncières commerciales qui doivent permettre de gérer ces commerces dans la durée et de développer une véritable politique d’animation et de diversité commerciale dans les centres-villes.

Mais la réussite de ces outils et leur mobilisation effective au profit de toutes les communes, y compris les plus petites, repose en effet sur un appui fort en ingénierie. Je partage pleinement ce point de vue. Toutes les communes ne bénéficient pas de l’expertise et des moyens nécessaires pour porter les projets, et c’est la raison d’être de l’ANCT.

Les retours d’expérience du programme Action cœur de ville démontrent qu’il faut déployer des moyens d’ingénierie dans la durée, et pas seulement au coup par coup. Nous avons donc prévu des chefs de projet pour accompagner dans la durée les communes qui ont intégré le programme Petites Villes de demain. Cent communes sont d’ores et déjà accompagnées ; elles seront six cents d’ici à la fin de l’année. L’État finance fortement le recours à ces chefs de projet, à hauteur de 75 %, avec un plafond à 45 000 euros. En complément, la Banque des territoires et l’ANCT mettent plus ponctuellement à disposition des moyens d’ingénierie sur des sujets pointus. La multiplication des procédures à suivre pour porter un projet et assurer sa sécurité juridique nécessite régulièrement un appui juridique que nous pouvons mettre à disposition, au cas par cas, en fonction des besoins formulés dans les territoires.

Permettez-moi enfin de citer la rénovation thermique des bâtiments des collectivités, pour laquelle le plan de relance prévoit un milliard d’euros. Ma priorité était de faire en sorte qu’un maximum de petites communes puisse en bénéficier.

M. le président. La parole est à Mme Martine Filleul, pour la réplique.