M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – M. Jean-Pierre Corbisez applaudit également.)

M. Ronan Dantec. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il y a deux mois, le vignoble français était frappé par le gel, entraînant la destruction de la majorité des bourgeons. Si ce coup de froid, assez fréquent au mois d’avril, a été aussi catastrophique, c’est parce qu’il avait fait particulièrement chaud au mois de mars et que les bourgeons étaient anormalement avancés. De plus, si le vignoble est aujourd’hui aussi fragilisé économiquement, notamment dans mon département de Loire-Atlantique, c’est aussi du fait de la sécheresse de l’été dernier, qui, durant les trois semaines précédant les vendanges, avait déjà durement affecté et desséché les grains.

Cet exemple concret, parmi tant d’autres, témoigne de l’impact réel du réchauffement climatique. Il n’y a plus débat sur le fait, établi par consensus scientifique, de la responsabilité humaine dans cette situation.

Nous avons ainsi enregistré une augmentation des températures de 1,1 degré depuis les temps préindustriels, et cette hausse s’accélère dans un monde qui n’a jamais autant brûlé de charbon ou de pétrole et, donc, émis autant de CO2 et autres gaz à effet de serre. Une augmentation de 1,1 degré, cela suffit pour menacer l’avenir de toute l’activité viticole française, au point de voir de grandes maisons de champagne acheter des terres en Écosse ; mais c’est aussi, à l’échelle mondiale, une sécheresse terrible en Californie et des températures record enregistrées au Mexique ou en Iran.

Dira-t-on jamais assez – Al Gore l’explique très bien dans ses conférences – que, parmi les soubassements de la crise syrienne, il y a ces sécheresses à répétition qui ont chassé les paysans de leurs terres et contribué à la déstabilisation du pays ? La crise climatique entre toujours en résonance avec d’autres crises et tensions – on le voit aussi, par exemple, avec Boko Haram autour du lac Tchad. Et nous ne sommes qu’à 1,1 degré…

L’horizon de la neutralité carbone en 2050 ne peut suffire. Tout se jouera dans les prochaines années. Si nous ne réduisons pas rapidement nos émissions mondiales de l’ordre de 50 % d’ici à 2030, alors nous vivrons, au XXIe siècle, avec des températures en hausse de 3 ou 4 degrés, ce qui apparaît totalement incompatible avec l’autonomie alimentaire mondiale et le maintien de centaines de millions d’habitants de cette planète sur leurs territoires ancestraux.

Ce n’est pas être catastrophiste, mais lucide, que de rappeler que, sans une réponse résolue et rapide de la communauté mondiale, notre monde sera demain, du fait du réchauffement climatique, en situation d’affrontements multiples, pour ne pas dire généralisés. Face à ce risque connu et admis – le G7 l’a encore réaffirmé ce week-end –, il faut une réponse mondiale. Celle-ci est coordonnée, aujourd’hui, dans le complexe et fragile accord de Paris, qui fut un vrai succès de la diplomatie française.

L’accord de Paris repose sur un principe simple : chacun doit faire sa part et, surtout, à la suite de l’échec de la négociation de Copenhague en 2019 – j’y étais –, chacun s’engage à atteindre l’objectif qu’il s’est volontairement fixé. Les États se réunissent tous les cinq ans pour vérifier qu’ils ont atteint l’objectif précédent et proposer des engagements plus ambitieux. Ainsi, par cycle de cinq ans, nous avançons vers l’objectif que s’est fixé le monde à Paris en 2015 : stabiliser l’augmentation sous les 2 degrés, au plus près de 1,5 degré.

Nous sommes donc réunis au Sénat pour répondre à cette question, finalement très simple : la France s’organise-t-elle pour décliner et crédibiliser le nouvel objectif européen d’une baisse de 55 %, qui sera présenté à la COP de Glasgow et qu’elle a soutenu dans les sommets européens ? C’est là que le bât blesse, car la réponse est non.

Les différentes estimations qui ont été faites sur ce projet de loi, notamment par le Haut Conseil pour le climat ou par le Boston Consulting Group, montrent que les mesures que vous proposez, madame la ministre, ne nous permettront d’atteindre qu’une réduction de 30 % à 35 % des émissions de gaz à effet de serre en 2030, bien loin de l’objectif européen. Nous avons donc quinze jours pour changer en profondeur ce projet de loi et montrer au monde que la France est aujourd’hui un pays moteur de l’accord de Paris.

Le groupe écologiste a tracé la voie avec sa vraie loi Climat, qui montre que la France peut réussir à réduire de 55 % ses émissions d’ici à 2030 par des mesures finalement assez simples : obligation de rénovation thermique, sortie accélérée de la mobilité thermique fossile, réduction drastique de l’utilisation d’engrais azotés et augmentation de nos puits de carbone, en lien avec la reconquête de la biodiversité. Surtout, nous défendons une vision de cet effort collectif qui en fasse aussi un outil de solidarité et de redistribution. C’est la clé de la nécessaire adhésion collective à cette transition.

Nos deux semaines de débat seront donc l’occasion de discuter de ces mesures ambitieuses, mais en rien inaccessibles. Pour cette vraie loi Climat, nous nous sommes évidemment inspirés de la Convention citoyenne pour le climat, ces 150 citoyens tirés au sort que le Gouvernement avait mandatés pour définir des mesures, en trouvant des consensus ou des points d’équilibre au sein de la société française, permettant d’atteindre – c’était l’objectif de l’époque – une baisse de 40 % en 2030.

Ce processus démocratique novateur, précisément conçu pour créer des consensus et s’assurer de l’adhésion de la société, avait suscité beaucoup d’intérêt et aussi – nous venons de nouveau de l’entendre – quelques craintes au Sénat. Malheureusement, promesse n’a pas été tenue. Il s’agit – disons le mot – d’une forme de parjure par rapport à l’engagement du Président de la République de reprendre « sans filtre » les propositions de ce travail inédit. Il en résulte un affaiblissement dangereux de la parole politique et le sentiment que la France renâcle devant l’effort à accomplir pour assumer sa part de la responsabilité mondiale.

Nous avons donc quinze jours, je le redis, pour montrer notre sens des responsabilités, pour montrer aux grands émetteurs mondiaux – la Chine, les États-Unis, l’Inde – que la France fait sa part et que nous sommes, de ce fait, en droit de réclamer, notamment dans le cadre d’échanges économiques mondiaux régulés, qu’ils assument aussi leur part de l’effort. C’est tout l’enjeu de ce texte. Le groupe écologiste sera donc totalement mobilisé pour que sorte du Sénat un projet de loi enfin à la hauteur de l’enjeu, qui est tout simplement l’avenir même de l’humanité. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées du groupe SER. – M. Jean-Pierre Corbisez et Mme Marie-Claude Varaillas applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Frédéric Marchand.

M. Frédéric Marchand. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de loi dont nous commençons l’examen aujourd’hui nous adresse un double défi : d’une part, conjuguer démocratie participative et démocratie représentative et, d’autre part, accélérer la transition écologique.

J’ai encore, comme beaucoup d’entre nous, présents à l’esprit les propos tenus par le Président de la République, Emmanuel Macron, en 2017 : « Le changement climatique est l’un des plus grands défis de notre temps. […] Si nous ne faisons rien, nos enfants connaîtront un monde fait de migrations, de guerres, de pénuries […]. » Peu importe où nous vivons, nous partageons la même responsabilité.

Beaucoup de chemin a été parcouru depuis cette date grâce à la politique volontariste de la France. Le dernier rapport de l’institut I4CE témoigne de ce chemin, de cette volonté.

Relever le défi de la transition écologique engage notre responsabilité, celle d’additionner les volontés sur tous nos territoires, sans exclure ni diviser. Le mouvement des « gilets jaunes » nous a d’ailleurs rappelé à quel point l’acceptation de la transition par la population était cruciale et n’allait pas de soi.

Permettez-moi à ce stade de saluer l’extraordinaire travail mené par les rapporteurs, à marche forcée, certes, mais dans un climat d’exigence, d’ouverture et d’écoute.

Non, cette loi n’est pas une loi des petits pas, comme certains la caricaturent ! Les faits sont têtus : cette loi est une contribution engagée et engageante au respect de l’accord de Paris de 2015, à l’agenda 2030 des ODD et au pacte Vert pour l’Europe.

Quand ce sont 200 milliards d’euros de commandes publiques par an qui sont engagés pour la transition écologique, ce n’est pas un petit pas !

Quand est planifiée la rénovation de plus de quatre millions de logements qui sont des passoires thermiques, ce n’est pas un petit pas !

Quand est décidée la réduction par deux du rythme d’artificialisation des sols pour l’ensemble du pays, ce n’est pas un petit pas !

Quand le verdissement de l’ensemble des flottes de véhicules de l’État, des collectivités, des entreprises est accéléré, ce n’est pas un petit pas !

Quand est adoptée la fin des lignes aériennes au profit du train dans le pays qui est le leader mondial de l’aéronautique, ce n’est pas un petit pas !

Quand, enfin, est généralisée l’obligation d’intégrer 50 % de produits durables, dont des produits bio, dans la composition des 300 millions de repas servis chaque année par la restauration collective privée, ce n’est pas un petit pas !

Ce sont des pas de géant pour une transformation écologique profonde de notre société.

Le travail mené par les rapporteurs a bien évidemment fait bouger les lignes du texte. Il nous appartiendra, dans le cadre de notre débat, de porter propositions et arguments visant à corriger certains points contraires à l’ambition initiale du texte et à en rehausser d’autres. Je pense plus particulièrement aux titres Ier, III et V, sur des sujets comme l’information du consommateur, les prolongements de la loi AGEC, le transport ferroviaire et le sujet des mobilités douces, ou bien encore les sujets relatifs à l’alimentation durable, véritable enjeu des années à venir, tout comme l’est celui du logement, notamment l’épineuse question de la rénovation du bâti ancien.

Mes chers collègues, la transformation écologique passera avant tout par un changement des comportements. Assumons collectivement le fait de privilégier l’information des consommateurs et les incitations, plutôt que les interdictions arbitraires, souvent teintées d’anticapitalisme primaire.

Méfions-nous de ces nouveaux idéologues qui appellent au grand dérangement, comme d’autres, avant eux, à de grands bonds en avant : ils mènent à l’autoritarisme et à la misère collective. Ce n’est pas notre conception de l’écologie, ce n’est pas ma conception de l’écologie. L’écologie partagée est celle qui tend vers l’idéal mais qui comprend le réel.

Il y a bien un chemin entre ceux pour qui aucune mesure ne sera jamais satisfaisante et ceux qui considèrent qu’il ne faudrait jamais rien changer. Entre une écologie de l’injonction permanente, devenue une véritable rente politique, et un immobilisme coupable face à l’impératif climatique, cette voie centrale de bon sens, pour une écologie de terrain et du quotidien, est celle qui est tracée par la majorité : une écologie qui investit massivement dans le progrès technique et l’innovation, une écologie des solutions concrètes, de l’incitation et de l’accompagnement, une écologie de l’éducation et de l’adhésion de la population. C’est tout le sens de la politique menée depuis 2017, du plan de relance vert de 100 milliards d’euros et de ce projet de loi Climat et résilience.

Ce texte nous aidera à tenir nos engagements climatiques ; il contribuera à amplifier la transformation écologique de la société et à orienter notre économie vers la décarbonation. Économie et écologie sont compatibles : nous ne cessons d’œuvrer à leur conjugaison.

Je ne doute pas que nos débats permettront d’aller plus loin, plus haut, plus fort pour une transition écologique au service de toutes et tous.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Corbisez.

M. Jean-Pierre Corbisez. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous y sommes ! Nous nous apprêtons à débattre d’une loi annoncée comme l’une des réformes phares du quinquennat. Au moins, sur ce sujet, le Président de la République aura tenu son engagement d’inscrire ce texte à l’ordre du jour de la Haute Assemblée. S’agit-il d’une grande loi, comme cela nous a été présenté ? Rien n’est moins sûr, mais le groupe du RDSE, comme d’autres, sera là pour le faire grandir.

Le texte initial comportait six titres et 69 articles. Le nombre d’articles a été multiplié par trois après le passage du texte à l’Assemblée nationale et en commission. Cela reflète l’ampleur du chantier qui nous sépare de nos objectifs en matière de climat.

Une réelle ambition est affichée par le Gouvernement et courageusement portée par vous, madame la ministre, mais la quantité fera-t-elle la qualité ? Notre ambition pour ce texte n’est visiblement pas la même que celle affichée par le Gouvernement. Nous aurions collectivement souhaité aller beaucoup plus loin. Malheureusement, le poids des lobbies est encore très présent, trop sans doute. Certains souhaitaient d’ailleurs la suppression des moulins, mais nous avons su résister, en tout cas au sein de notre commission. Surtout, les modes de pensée n’ont pas encore opéré leur mutation.

Sur ce dernier point, nous devons réaliser un virage à 180 degrés et placer l’environnement et sa préservation au cœur de toutes nos actions. La révolution intellectuelle à opérer est du même ordre que celle concernant la mise en place du revenu universel.

Nous devons mettre l’intégralité des secteurs d’activité au service de l’environnement, notamment l’énergie, les transports et, plus généralement, l’économie et la finance ; nous devons en faire la priorité, et non l’inverse. Oui, il y a des impacts ! Oui, il y a des résistances ! Oui, il y a des enjeux économiques et sociaux ! Oui, il y a des adaptations complexes ! Mais c’est un mal nécessaire, une dette que nous détenons envers les générations futures.

Surtout, le rôle de l’État et le nôtre en tant que parlementaire sont de créer les conditions nécessaires à cette transition, avec des mesures incitatives, un calendrier progressif et réaliste, de la pédagogie, de l’écoute et de la concertation. En résumé, il faut créer une véritable feuille de route et avant tout de la clarté et de la visibilité pour les acteurs.

Bien que dense et multipolaire, ce projet de loi n’en relève pas moins, malgré tout, d’une forme de saupoudrage sans véritable ligne directrice. C’est l’une des raisons qui m’ont poussé, ainsi que d’autres collègues de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, à déposer un amendement de principe visant à engager résolument notre pays dans le respect des objectifs européens de réduction de nos émissions de gaz à effet de serre. Il s’agit d’un symbole fort, dans la perspective de la présidence française à venir, d’une France qui doit être le moteur de la transition écologique de l’Europe, comme elle l’a été pour de nombreuses autres politiques européennes, et comme s’y est engagé le Président de la République.

Nous savons que nous en sommes loin. Les lois adoptées jusqu’à aujourd’hui ne permettront pas d’atteindre les 40 % de réduction à l’horizon de 2030. Que dire, alors, du rehaussement de cette ambition à 55 % au niveau européen ?

Il est d’ailleurs frappant d’observer la profusion d’amendements que nous avons reçus les uns et les autres visant à compléter, à infléchir ou à renforcer les dispositions adoptées au travers des lois ÉLAN, Égalim, AGEC ou encore Biodiversité. Il s’agit donc bien d’une loi de correction qui reprend le sens d’amendements déposés au Parlement dans le passé par certains d’entre nous.

Pour le reste, s’il est évidemment impossible d’entrer dans le détail de chacun des articles, tant ces derniers sont nombreux et disparates, j’évoquerai tout de même quelques points d’accroche. Je commencerai par un sujet qui me tient particulièrement à cœur, en tant qu’élu issu du bassin minier du Pas-de-Calais.

L’exploitation minière a durement touché et touche encore de nombreuses communes, qu’il s’agisse de la fragilisation et de la pollution des sols, de la remontée des eaux, de la gestion des friches industrielles ou encore des conséquences sociales et sanitaires pesant sur leurs habitants. N’ayons pas peur des mots : c’est encore un véritable traumatisme.

Le prix payé par les régions minières justifie amplement que la réforme du code minier annoncée et promise donne lieu à un véritable débat parlementaire, un débat dans lequel le Sénat pourra pleinement défendre les intérêts des collectivités concernées. Aussi, je réitérerai ma proposition, formulée en commission, de supprimer l’article 21 habilitant le Gouvernement à légiférer sur ce sujet par ordonnances, même si, par le passé – il ne faut pas l’oublier – le Parlement a pleinement participé à inscrire « en dur » une partie des habilitations.

Sur un sujet proche, je souhaite que soit apportée une attention particulière à la présentation, lors de nos débats en séance, des articles émanant de la proposition de loi de nos collègues Gisèle Jourda et Maryse Carrère visant à refonder la politique de gestion et de protection des sites et sols pollués en France. Ces dispositions fondamentales ont fait l’objet d’un travail et d’une concertation approfondis dans le cadre de la commission d’enquête qui a rendu son rapport en septembre dernier.

Par ailleurs, on peut regretter que le texte fasse l’impasse sur certains secteurs, pourtant sensibles pour l’environnement, comme le numérique ou le transport ferroviaire. À quand l’hydrogène dans le transport ferroviaire ?

Il en va de même de la question des aspects sociaux de la transition écologique, principalement au regard de notre principe républicain d’égalité : les bienfaits de la transition écologique doivent pouvoir être accessibles à tous.

À titre personnel, je souhaite aussi exprimer mon interrogation quant à l’application parfois très stricte de l’article 45 de la Constitution. S’il est légitime de souhaiter ne pas polluer le débat par l’examen de cavaliers, cette lecture de l’article 45 a conduit à l’irrecevabilité de certains amendements pourtant en cohérence avec l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre que poursuit le texte. Nous les déposerons de nouveau lors l’examen du projet de loi 3DS. Ces amendements visaient, conformément au principe que j’énonçais en introduction de mon propos, à accompagner au mieux les acteurs affectés par des évolutions législatives, certes justifiée par nos ambitions environnementales, mais parfois difficilement applicables, voire intenables pour les secteurs concernés.

Nos commissions se sont malgré tout efforcées d’enrichir le texte, au travers de dispositions relatives à la lutte contre l’écoblanchiment, au verdissement de la commande publique ou au parc de poids lourds, à la protection des écosystèmes ou encore à la lutte contre la déforestation. Le groupe du RDSE n’a pas été en reste, puisqu’il a déposé pas moins de 145 amendements. J’en profite d’ailleurs pour saluer le travail effectué par notre chargée de mission.

Madame la ministre, les enjeux sont considérables, et ce projet de loi ne suffira pas à y répondre, c’est entendu. Mais les choses évoluent et continueront à évoluer, et on se doit de souligner les initiatives vertueuses prises par de nombreuses collectivités, filières industrielles ou entreprises. Les projets autour des circuits courts, de l’économie circulaire ou encore de la conception 100 % d’origine naturelle des produits ménagers ou cosmétiques fleurissent. Nous pouvons donc être résolument optimistes.

En tant que parlementaires, si nous devons être des vigies, nous devons aussi être des précurseurs et donner un élan, une direction. Les deux semaines de débat qui s’ouvrent devant nous seront déterminantes. Gageons que nous aurons tous à cœur, avec vous, madame la ministre, d’améliorer encore ce texte pour engager notre pays sur la voie nécessaire et urgente de la transition écologique. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE et au banc des commissions, ainsi que sur des travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Varaillas. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)

Mme Marie-Claude Varaillas. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, alors que la création de la Convention citoyenne avait suscité une certaine forme d’enthousiasme, le projet de loi qui nous est soumis, après de multiples renoncements, brise les promesses et ne crée pas les conditions pour répondre à la feuille de route initiale, celle de baisser les émissions de 40 % à l’horizon de 2030, et ce dans un esprit de justice sociale.

Je commencerai cette intervention par quelques remarques de forme.

Vous le savez, le groupe CRCE est particulièrement attentif au renforcement de l’irruption démocratique. Dans ce cadre, la Convention citoyenne représente un outil utile, malheureusement dévoyé et instrumentalisé par le pouvoir en place au travers de manœuvres dilatoires et électoralistes.

Par ailleurs, la procédure parlementaire qui en découle nous semble soulever un certain nombre d’interrogations. En effet, cette « innovation » démocratique ne peut se traduire par une forme de musellement du Parlement, cantonné au rôle de simple chambre d’enregistrement de mesures définies ailleurs, soit qu’elles fassent l’objet d’un veto ou d’une réécriture présidentielle, soit qu’elles soient « reprises sans filtre ». Il est d’ailleurs regrettable de constater que ce projet de loi prévoit une multitude d’habilitations à légiférer par voie d’ordonnances. Cela confirme, une fois de plus, une forme de dessaisissement du Parlement.

Je dirai un mot sur les conditions d’examen de ce texte par nos commissions : leurs travaux ont malheureusement dû être menés au pas de charge, ce que nous avons regretté.

La création de la Convention citoyenne n’épuise donc pas les besoins de renouvellement des pratiques démocratiques, de rééquilibrage des pouvoirs ni d’exigence de démocratisation du dialogue social, tant s’en faut.

Sur le fond, ce projet de loi marque un recul par rapport aux propositions des 150 citoyens et génère – il faut le dire – frustration et déception. Aucune des propositions du projet de loi Climat et résilience n’a d’ailleurs obtenu la moyenne auprès des conventionnels, qui lui ont attribué la note très sévère de 3 sur 10.

Les associations sont également critiques sur ce projet de loi, tout comme le CESE, le Haut Conseil pour le climat ou encore le CNTE.

Tous déplorent que les nombreuses mesures du projet de loi restent « souvent limitées, souvent différées, souvent soumises à des conditions telles qu’on doute de les voir mises en œuvre à terme rapproché ». Ils regrettent l’absence de changement de logiciel et le manque de moyens. Ils dénoncent, enfin, des « délais manifestement incompatibles avec le rythme attendu de l’action contre le changement climatique et le rattrapage du retard pris par la France dans l’atteinte de ses budgets carbone ».

Au fond, on a le sentiment d’une liste à la Prévert de « mesurettes », parfois dénuées de cohérence entre elles, déjà traitées dans les différents projets de loi soumis à notre assemblée, parfois même il y a très peu de temps.

Pour être plus précis, nous regrettons notamment que le projet de loi fasse l’impasse sur des propositions importantes. Je tiens toutefois à souligner les apports faits en commission par le Sénat ; nous y reviendrons dans le débat.

Nous continuons ainsi de regretter que ce projet de loi ne prévoie toujours pas l’obligation de rénovation globale de l’ensemble des logements, qu’il n’interdise pas les passoires thermiques en prévoyant les sanctions adéquates, mais seulement leur mise en location.

Si le texte pose un principe général d’interdiction de création de nouveaux centres commerciaux, de trop nombreuses dérogations restent possibles, puisque ce principe ne concerne que 20 % des projets.

L’objectif de fin de vente des véhicules thermiques les plus émetteurs est fixé, non pas à 2025, mais à 2030. Il ne concernera que 1 % à 3 % des véhicules neufs vendus.

L’interdiction des vols intérieurs si une alternative ferroviaire existe ne concernera, elle, que trois lignes.

La suppression des niches fiscales favorables aux énergies fossiles n’est qu’un vague objectif, alors même que l’on déplore que 70 % du plan de relance ait un impact négatif sur le climat.

Rien n’est prévu pour concrétiser les annonces d’Emmanuel Macron concernant les petites lignes, le fret ferroviaire et les trains de nuit, puisque le ferroviaire reste le grand absent, et ce malgré les efforts de la commission, que je tiens à souligner.

Notons enfin un point de grande inquiétude relatif à la refonte du code minier, prévue par voie d’une simple habilitation.

Plus grave encore, aucune remise en cause des accords de libre-échange n’est prévue. Il s’agissait pourtant d’une demande de la Convention citoyenne.

Aucune de ces mesures ne remettra en cause l’ordre existant. Avec ce projet de loi, le climat attendra, puisque nous resterons loin des objectifs affichés, alors même que cette ambition a été relevée par la Commission européenne à 55 % de baisse des émissions – le Conseil d’État a d’ailleurs récemment enjoint l’État de respecter ses engagements.

Il aurait fallu pour cela plus d’ambition : créer de nouvelles ressources pour financer la transition écologique, prévoir des moyens budgétaires renforcés. Or, de cela, il n’est jamais question.

Nous regrettons également que les outils de puissance publique que sont la SNCF ou EDF ne soient aucunement utilisés comme des leviers de la transition. Nous pensons pourtant que la maîtrise publique des soutiens industriels dans les secteurs fortement émetteurs de gaz à effet de serre est un gage de progression important pour la transition écologique, qui constitue par ailleurs, vous le savez, un formidable gisement d’emplois dans un contexte de fort chômage.

Plus fondamentalement, alors que la Convention citoyenne est censée être une réponse au grand débat national et, donc, au mouvement des « gilets jaunes », ce texte ne contient aucune mesure sociale et n’articule pas enjeux sociaux et environnementaux, performances écologiques et services publics. Pourtant, nos concitoyens les plus fragiles sont bien les plus touchés par les enjeux écologiques, victimes de la malbouffe et de l’insalubrité des logements. Notre pays compte 10 millions de pauvres et 12 millions de personnes souffrent de précarité énergétique.

Les urgences sociale et climatique doivent se traiter dans un même mouvement. Une partie de la réponse passe par l’exigence d’une meilleure répartition des richesses, mais le texte, tout comme la majorité sénatoriale, est silencieux sur ces enjeux : rien sur le rétablissement de l’ISF ; rien non plus sur le CICE, dont les « gilets jaunes » souhaitaient l’abrogation. La taxe sur les dividendes a fait l’objet d’un veto présidentiel, tout comme la conditionnalité des aides publiques, soutenues par les conventionnels.

Pourtant, une politique climatique ambitieuse nécessite de remettre en cause les droits acquis des investisseurs, les intérêts de court terme des industriels, les logiques financières et commerciales, pour y remettre de l’intérêt commun et protéger nos biens publics. Comment passer sous silence l’étude d’Oxfam, qui indique qu’avec leur modèle actuel les entreprises du CAC 40 nous amènent vers une trajectoire à plus de 3,5 degrés d’ici à 2100 ?

Dans l’esprit des initiateurs de la tribune « Plus jamais ça » pour la construction d’un monde post-covid, nous appelons donc à « reconstruire un futur, écologique, féministe et social, en rupture avec les politiques menées jusque-là et le désordre néolibéral ». C’est ce que le groupe CRCE tentera de proposer au travers de ses amendements. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées des groupes SER et GEST.)