M. Loïc Hervé. Très bien !

Mme le président. La parole est à Mme Monique Lubin. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Monique Lubin. Madame la ministre, l’examen du projet de loi relatif à la gestion de la crise sanitaire se déroule dans un agenda excessivement contraint, signe d’un manque d’anticipation de votre part, qui donne une impression de chaos, au moment où nous avons tous collectivement besoin d’un cap clair.

Nous sommes convaincus, au sein du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain du Sénat, que vous en viendrez nécessairement à la position qui est la nôtre ; pour nous, le seul chemin aujourd’hui envisageable pour prendre la main sur l’épidémie est celui d’une vaccination universelle. Nous faisons ce choix pour que chacun puisse être protégé et protège les siens, tout en jouissant de ses droits fondamentaux.

Plusieurs institutions du champ scientifique et médical se sont d’ores et déjà prononcées en faveur de l’obligation vaccinale généralisée. C’est notamment le cas de l’Académie nationale de médecine, qui a pris position dans un communiqué, le 19 juillet dernier, jour de présentation en conseil des ministres du présent projet de loi. Je vous rappelle d’ailleurs qu’elle s’était prononcée publiquement en faveur du port du masque dès avril 2020, quand le Gouvernement soutenait encore qu’il ne servait à rien en population générale.

Nous espérons que l’alignement du Gouvernement sur ces positions n’interviendra pas trop tard. En attendant, nous voilà contraints de travailler sur une politique qui menace d’être inopérante, incohérente et liberticide. Et c’est si flagrant que vous vous retrouvez dans la position de devoir procéder à ajustement sur ajustement, dans l’espoir de consolider un édifice de plus en plus bancal.

C’est tout particulièrement le cas pour les modalités relatives à l’instauration d’un passe sanitaire, qui aboutissent à la stigmatisation des professionnels intervenant dans le secteur de la santé. Vous créez une nouvelle obligation vaccinale, mais seulement pour certaines catégories professionnelles, avec un système de sanctions parfois très lourdes, qui pourrait s’avérer contre-productif. Et vous le faites en dehors de tout cadre de santé publique, puisqu’aucune obligation de cette sorte n’existe dans le code de la santé publique.

Mis bout à bout à bout, ces éléments pourraient bien devenir une usine à gaz.

La définition du périmètre de votre dispositif est particulièrement large ; les critères sont flous, à la limite d’un certain arbitraire. Sont visées par l’obligation que vous entendez mettre en place des catégories de personnes définies non seulement par leur profession, mais aussi par leur lieu d’exercice professionnel. Vous dressez une sorte d’inventaire à la Prévert, allant des aides à domicile aux sapeurs-pompiers, en passant par les élèves et les psychanalystes. En revanche, policiers et professeurs ne sont pas concernés par l’obligation vaccinale, alors même que ces derniers travaillent tout particulièrement au contact de publics au sein desquels la circulation du virus est forte et incontrôlée.

Signe du caractère hasardeux de votre démarche, vous prenez le risque de fracturer la société française en désignant des professionnels qui pourraient en plus faire l’objet d’un traitement différencié, évoluant au gré des rectifications que vous y apporterez.

Le Gouvernement a en effet introduit une nouvelle disposition annoncée la veille par la ministre du travail : la possibilité pour le salarié de convenir avec son employeur de prendre des réductions de temps de travail (RTT) ou des jours de congés pour éviter une suspension du contrat de travail. C’est dire si la mesure initiale était pertinente !

Vous vous donnez beaucoup de mal, et vous nous donnez beaucoup de mal, pour imposer sans le dire une vaccination généralisée. Dans cette pandémie qui n’en finit pas, le courage politique consisterait à dire à tous les Français qu’ils doivent obligatoirement se faire vacciner, quel que soit leur environnement professionnel.

Le courage politique serait d’affirmer que se faire vacciner pose un acte de solidarité, de fraternité même, en ce qu’il induit l’intérêt de l’autre au-delà de l’intérêt propre à chacun et en ce qu’il positionne l’individu non pas comme une pièce unique et autocentrée, mais comme un citoyen conscient du rôle qu’il doit jouer dans un moment crucial pour le groupe auquel il appartient.

Le courage politique serait d’assumer une décision de vaccination universelle obligatoire, qui permettrait d’assurer la concorde au sein de la société française.

Ce ne sont pas les libertés publiques que l’on doit combattre : la liberté de circulation et d’accès aux biens et aux services, l’égalité de traitement et la protection contre l’arbitraire ne sont pas la maladie ! Nous ne voulons pas d’un passe liberticide. Ce que nous souhaitons, c’est atteindre l’immunité collective – celle-ci est fixée à un taux de population vaccinée contre la covid-19 de 90 %, du fait des variants en circulation, tout particulièrement le variant delta.

Nous nous inscrivons également dans une démarche de santé publique claire, assise sur des connaissances médicales et scientifiques. Elle nous évitera le risque de « glissement vers des pratiques de surveillance sociale générale », pointé par la Défenseure des droits, et vers une extension du passe sanitaire à tous les gestes de la vie quotidienne, qui serait attentatoire aux libertés.

C’est d’une politique de santé publique dont nous avons besoin aujourd’hui. Nous attendons des mesures et des textes pertinents, de même que les moyens humains et budgétaires nécessaires pour lutter contre cette maladie et assurer la protection sociale de nos concitoyens. Cela implique que l’État s’inscrive dans une démarche de lutte contre les inégalités territoriales et sociales, pour assumer son devoir d’aller vers les publics les plus éloignés de la vaccination. Sans moyens supplémentaires, les mesures envisagées s’avéreront encore plus dures pour les publics précaires. Or nous savons que ce sont eux qui ont le moins accès aux vaccins.

Nous sommes confrontés à un problème de santé qui remet fondamentalement en cause l’équilibre de la société. Le pays est prêt à des efforts, fussent-ils coûteux – il l’a démontré depuis plus d’un an. Poursuivre l’objectif de vaccination obligatoire universelle sans l’assumer, c’est autre chose : c’est le pire des choix !

Vous avancez masqués avec l’outil pervers du passe sanitaire, imposant tout en la dissimulant, une obligation vaccinale généralisée. Le caractère trouble de votre démarche est perçu par la population ; il suscite un rejet qui met en péril non seulement l’efficacité de la politique de lutte contre la covid-19, mais aussi les assises de notre système politique tout entier.

Aujourd’hui, plus que jamais, nous avons besoin de solidarité et d’unité. Et cela passe nécessairement par la vaccination généralisée (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme le président. La parole est à M. Bruno Retailleau. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi quau banc des commissions. – M. Philippe Bonnecarrère applaudit également.)

M. Bruno Retailleau. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, il faut nous rendre à l’évidence : nous sommes confrontés à une quatrième vague, dont le pic n’a pas encore été atteint ; il surviendra sans doute dans quelques semaines.

Les chiffres qui ont été cités sont spectaculaires. Le cap des 20 000 cas a été franchi. Le variant delta, ultraminoritaire au mois de mai – il comptait pour moins de 1 % des contaminations – devient ultradominant ; d’ici quelques semaines, il sera probablement à l’origine de plus de 90 % des contaminations.

Certes, ce virus a pour le moment moins d’impact sur les hospitalisations. Considérez toutefois ce chiffre qui n’a pas encore été cité : en une semaine, les hospitalisations ont augmenté de 70 % en France. Bien qu’elle parte d’un niveau bas, cette évolution est préoccupante.

Le coronavirus est un virus retors, très retors. Sa stratégie de survie est incroyablement perfectionnée. Tout se passe comme s’il compensait, grâce à ses mutations, le rétrécissement de sa cible – de plus en plus de personnes sont vaccinées dans le monde – par une plus forte contagiosité. Lors de son audition par la commission des affaires sociales, il y a quelques jours, le professeur Delfraissy a indiqué que le variant delta avait une charge virale mille fois supérieure au premier variant – ce chiffre est stupéfiant !

Mes chers collègues, il faut se rendre à l’évidence : nous n’en avons pas terminé avec cette pandémie.

La stratégie de vaccination est essentielle, mais elle n’est pas unique. Les annonces du Président de la République, la semaine dernière, ont eu un effet à la fois positif et négatif. Si elles ont eu un effet en partie positif, c’est parce qu’elles ont suscité un formidable déclic chez nombre de nos compatriotes qui se trouvaient sans doute dans un entre-deux, parfois dans une position très attentiste.

Mais il y a eu également une poussée d’Archimède en sens inverse, un raidissement, une sorte de vent de colère – ne nous le cachons pas ! Nous avons tous vu les manifestations dans les rues.

Madame la ministre, l’exercice que vous nous demandez ce soir, à nous qui sommes votre opposition, est assez redoutable. Et pas seulement parce que les conditions du débat sont détestables, trop rapides ou trop précipitées pour faire un travail sérieux.

M. Loïc Hervé. Elles sont catastrophiques !

M. Bruno Retailleau. Malheureusement, je crains que nous ne finissions par nous y habituer… Dieu sait pourtant si le travail des deux commissions et de leurs rapporteurs a été approfondi.

L’exercice que vous demandez à votre opposition est redoutable car, en fin de compte, vous attendez d’elle qu’elle endosse des mesures un peu rugueuses, dont l’application sera complexe et dont les résultats, au moment où je vous parle, restent incertains. Si cet exercice est redoutable, c’est surtout parce que le Gouvernement ne nous facilite pas toujours la tâche, tout simplement.

J’ai parlé, il y a quelques instants, d’un vent de colère, en tout cas d’un raidissement. D’où vient-il ? Je pense qu’il a pour origine une perte de confiance. Croyez bien, madame la ministre, que je ne mésestime pas l’extrême difficulté de la tâche. Mais cette perte de confiance vient des volte-face et des tâtonnements qui ont trop souvent émaillé la gestion de cette crise : les masques jugés inutiles, le manque de gel et de tests dès le début de l’épidémie, le refus de fermer les frontières par idéologie, au prétexte que le virus n’avait pas de passeport, ou encore la mise en place du premier passe sanitaire, réduit aux hautes jauges et épargnant les actes de la vie quotidienne.

Ce raidissement provient également d’une communication de gestion de crise très chaotique, qui alterne des périodes d’euphorie triomphante et des périodes de catastrophisme quelque peu stressantes. On l’a encore vu récemment dans la communication du Gouvernement précédant la tenue des élections départementales et régionales…

Encore une fois, je ne mésestime pas la difficulté de la tâche. Mais tout cela donne le sentiment à beaucoup de nos concitoyens d’une forme d’improvisation et d’impréparation. Au moment où j’emploie ce terme, je me souviens des mots du Premier ministre qui, il y a quelques jours de cela, avertissait les Français de la venue de temps difficiles, leur demandant de s’y préparer.

Que les Français doivent se préparer, c’est une certitude ; chacun a sa propre responsabilité en matière de vaccination. Mais le Gouvernement, lui aussi, doit prendre ses responsabilités.

La vaccination est au cœur de notre stratégie. Celle-ci concerne tout d’abord les 3 ou 4 millions de personnes fragiles, notamment de plus de 70 ans. Environ 20 % des plus de 80 ans ne sont toujours pas vaccinés, ainsi que 10 % des plus de 70 ans et environ 30 % des personnes fragiles, celles qui présentent des vulnérabilités.

Pourquoi ne pas lancer une opération commando avec les médecins généralistes ? Il leur faut des doses ! Et le porte à porte téléphonique est indispensable. Seuls les médecins généralistes seront à même de rétablir la confiance !

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. Vous pensez que nous ne le savons pas ?

M. Bruno Retailleau. Madame la ministre, on ne parle que de ce que l’on connaît bien.

J’ai tout à l’heure échangé avec un professeur de médecine générale et deux maires de mon département. La Vendée, qui est l’un des départements champions de France de l’hôtellerie de plein air, avait été jusqu’à présent épargnée par la pandémie. Ce n’est plus le cas aujourd’hui : les contaminations sont en forte hausse.

À Noirmoutier, on nous annonce des doses en moins pour la semaine du 2 août ; 350 rendez-vous devront être décommandés. Dans les centres de vaccination de Saint-Gilles et de Saint-Hilaire, pas moins de 500 rendez-vous devront être annulés, seulement un peu moins aux Sables d’Olonne.

Ce n’est pas une critique, madame la ministre. Je veux simplement que vous nous expliquiez pourquoi il n’y a plus de doses. D’autant que la Vendée est un département touristique, où l’on va non seulement devoir administrer une deuxième injection aux personnes venant d’ailleurs, mais aussi fournir une première dose aux individus qui sortent enfin de l’attentisme.

Nous vous accompagnerons sur le passe sanitaire, madame la ministre. Mais, bon sang, il nous faut des doses !

Ensuite, nous savons désormais que le variant s’attaque aussi aux jeunes. Dès lors, pourquoi n’imposez-vous pas l’obligation d’installer dans chaque classe des écoles primaires, des collèges, des lycées et des universités, des capteurs de CO2 ? Aujourd’hui, il est scientifiquement établi que ce sont non pas les gouttelettes qui sont les vecteurs de contamination, mais les aérosols. Un capteur de CO2 ne coûte que quelques dizaines d’euros à l’unité : pourquoi ne pas anticiper ?

Il est évident que les mesures d’isolement sont nécessaires ; nous suivrons le Gouvernement sur ce point. Voilà des mois, depuis le premier confinement, que j’affirme être favorable à des mesures d’isolement un peu plus contraignantes ; je préférerais que l’on isole uniquement certains individus plutôt que l’on confine tout le monde.

Pourquoi la France contribue-t-elle si faiblement au séquençage international ? C’est parce que nous avons mis de côté le secteur privé – nous avons trop longtemps fait cette erreur. Dans ma propre région, seuls deux centres hospitaliers universitaires (CHU) étaient autorisés à procéder au séquençage. Il y a quelques jours encore, le secteur privé n’était toujours pas mis à contribution.

Sans séquençage, on avance dans le brouillard – et il y aura d’autres mutations. Il n’est pas normal que, par rapport au Danemark ou à d’autres « petits » pays, la France ait dans ce domaine une contribution médiocre.

Madame la ministre, d’ici quelques jours ou quelques semaines, vous aurez à signer un arrêté établissant le numerus clausus des médecins réanimateurs. L’an dernier, vous aviez porté le nombre de postes de 72 à 74. Or, en dix ans, le manque de réanimateurs a doublé. Cette année, ne vous contentez donc pas de porter le nombre de postes à 75 ou à 76. Franchissez un cap ! C’est essentiel pour préparer l’avenir. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)

En tant que parlementaires de l’opposition, il serait difficile de nous opposer systématiquement au Gouvernement sans jamais rien proposer. Pour ma part, je m’efforce de faire des propositions, de comprendre les remontées du terrain ; nous sommes tous, ici, de droite comme de gauche, des élus de terrain.

J’en viens maintenant au fond du texte. Je veux préciser notre état d’esprit et exposer les positions que nous défendrons aux côtés de nos deux rapporteurs.

Depuis le début de cette crise, nous sommes sur une ligne de crête difficile, pour les raisons que j’ai citées. Il y a un équilibre à trouver entre la responsabilité et l’exigence. La responsabilité, c’est faire en sorte de ne pas sombrer dans la démagogie et que nous puissions donner au Gouvernement les moyens d’agir et de gouverner pour protéger les Français.

C’est dans cet état d’esprit que, dès le 2 décembre dernier, j’ai présenté notre position aux présidents de groupe conviés au déjeuner qu’avait organisé à l’Élysée le président Macron. J’avais indiqué à ce dernier être favorable à l’obligation vaccinale pour les personnels soignants et les personnels en contact avec des personnes fragiles.

Nous allons accompagner le Gouvernement sur les mesures d’isolement, en les assortissant des précautions votées en commission que les rapporteurs vous ont exposées.

Quant à l’exigence, nous la devons à tous les Français, non pas seulement à ceux qui comprennent la nécessité de la vaccination, mais aussi à ceux qui peuvent avoir des réticences. Nous devons relayer leurs interrogations car, même si nous ne les comprenons pas toujours, elles peuvent être légitimes. En tout cas, nous devons leur répondre autrement que par des injures ou par des invectives.

Pour respecter cet équilibre, nous avions voté le passe sanitaire dans sa première formule. Mais c’est aussi au nom de cet équilibre que nous allons vous demander d’accepter les modifications que nous souhaitons apporter au travers des amendements votés en commission.

Évidemment, la pandémie revient. Quel choix avons-nous ? La première solution serait de recourir aux mesures qui ont déjà été mises en œuvre, les confinements, les mesures généralisées, les couvre-feux. C’est la pire de toutes les solutions, car ces mesures sont très attentatoires aux libertés et nocives pour la santé psychique des Français, notamment des plus jeunes. Nous connaissons le taux de suicides et le mal-être qu’ont exprimé les plus jeunes de nos compatriotes ; gardons cela à l’esprit.

Cela vaut aussi si l’on veut que l’économie redémarre. L’économie, ce n’est pas seulement des aspects matériels ; c’est aussi, lorsqu’elle ne fonctionne pas bien, des souffrances sociales.

La pire des solutions, c’est le confinement ! La moins mauvaise, c’est sans doute le passe sanitaire.

Mes chers collègues, je sais que certains d’entre vous soutiennent la vaccination obligatoire. Pour ma part, je n’y crois pas. Premièrement parce que nous n’avons pas les doses suffisantes. Deuxièmement parce que, quand on pose une obligation, on ne peut pas ignorer les sanctions et l’application qu’on en fait. Sinon, c’est la norme, c’est l’autorité qu’on affaiblit.

Enfin, je pense que nous sommes dans un pays si fracturé qu’une telle obligation nous ferait prendre de grands risques. Encore une fois, nous soutiendrons le Gouvernement sur le passe sanitaire, même si cela signifie que nous devrons l’accompagner sur un chemin étroit et difficile.

Nous avons néanmoins quelques conditions : ce passe doit lui aussi être équilibré, juste et proportionné. Comme je l’ai affirmé il y a quelques jours dans une formule un peu lapidaire : « Oui à un passe sanitaire, non à un passe arbitraire ! »

Pourquoi allons-nous vous accompagner dans cette décision difficile ? Parce que nous croyons qu’une société ne peut tenir debout que si un équilibre s’établit entre les devoirs et les droits : nos droits sont le reflet de nos devoirs. Chaque Français, chaque citoyen a un devoir ; vous aussi, madame la ministre, en tant que gouvernant, vous avez un devoir, celui de ne pas blesser nos droits, les droits des citoyens.

Les garanties que nous vous demandons sont importantes. Tout à l’heure, quelqu’un citait la devise républicaine : au regard de cette question de la liberté, mon collègue Hervé Marseille et moi-même avons été les premiers, voilà une dizaine de jours, à annoncer que nous saisirions le Conseil constitutionnel, non pas pour dresser un nouvel obstacle sur le chemin de ce texte, mais tout simplement pour indiquer aux Français que nous allions prendre toutes les précautions, toutes les garanties pour préserver leur liberté.

De même, j’ai entendu ce qu’a répondu le ministre à la proposition du rapporteur Philippe Bas de rétablir l’état d’urgence sanitaire. La question n’est pas de savoir si nous avons plaisir à nous voir, s’il aime venir ou non au Sénat ; la question est que nos institutions et notre vie démocratique requièrent des procédures. Et ce qui permet d’encadrer l’action du Gouvernement, c’est le vote d’un texte. C’est la raison pour laquelle notre collègue – j’espère interpréter correctement sa pensée – propose de fixer une date butoir au 31 octobre. Garantir nos libertés, c’est fondamental.

De même, il est probable que des restaurateurs et des bistrotiers enregistrent des pertes de chiffre d’affaires. Aussi, en relation avec votre collègue chargé de l’économie, il faudra veiller à prévoir des mécanismes d’aide pour ces chefs d’entreprise, de nouveau victimes de la situation.

À ce sujet, il est heureux que l’on passe d’un régime de sanctions pénales – ce fameux régime ! – à un régime de sanctions administratives. Pour moi, ce n’est pas seulement une question d’efficacité ; c’est une question de principe. Ces restaurateurs sont des victimes. Ne faisons pas d’eux des délinquants ou des coupables, en plaçant au-dessus de leur tête cette épée de Damoclès pénale !

M. Loïc Hervé. Tout à fait !

M. Bruno Retailleau. C’est un signal très important que nous leur adressons ainsi.

Parlons de l’égalité. Chantal Deseyne a veillé à introduire de la souplesse pour apprécier la satisfaction de l’obligation de vaccination au 15 septembre 2021 des salariés concernés.

Quand on parle d’égalité, la première question qui se pose, c’est l’approvisionnement en doses de vaccin.

Enfin, je terminerai par la question de la fraternité, qui est toujours le mot oublié de notre devise républicaine, chacun demandant toujours pour soi-même toujours plus de liberté et d’égalité, si possible un peu plus que pour l’autre.

Il est heureux qu’une majorité de Français, d’après ce qu’on nous dit, acceptent et veuillent le passe sanitaire. La démocratie, c’est d’abord, bien sûr, la règle de la majorité, mais c’est aussi le respect des minorités. (M. Claude Malhuret approuve.) Nos gouvernants doivent s’astreindre à porter une parole publique qui ne blesse ni ne stigmatise personne. J’ai écouté Olivier Véran, et il n’a stigmatisé personne ; mais le porte-parole du Gouvernement, lui, a opposé deux France, une France et une anti-France, deux camps, le camp du bien et le camp du mal, parlant même d’une « frange capricieuse et défaitiste » qui s’opposerait à une France qui serait, elle, laborieuse et volontariste. Ce n’est pas acceptable !

M. Loïc Hervé. C’est honteux !

M. Bruno Retailleau. Je me souviens d’ailleurs d’un autre porte-parole qui avait lui aussi stigmatisé une France, celle qui roulait au diesel et fumait des clopes : quelques semaines après naissait le mouvement des gilets jaunes…

Prenons garde à une parole publique tranchante et stigmatisante.

La fraternité, madame la ministre – et nous attendons de voir quelle sera votre position sur cette modification apportée par la commission, qui ne fait l’objet d’aucun amendement en séance publique, alors que se pose la question d’une seconde délibération –, c’est que tout Français ayant un proche ou un être cher sur le point de mourir ou au crépuscule de sa vie, à l’hôpital ou en Ehpad, puisse l’assister pour accomplir son grand passage. Confirmez-nous qu’il pourra le faire en situation d’urgence, quel que soit son statut vaccinal, qu’il dispose ou non d’un test PCR ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

Je le répète, c’est une question de fraternité. Et cette épidémie, mes chers collègues, nous rappelle à notre devoir en la matière, quoi que nous croyions, qui que nous soyons, ce devoir de fraternité sans doute aujourd’hui un peu oublié, voire un peu perdu dans cet océan d’individualisme.

Ce que nous enseigne finalement cette pandémie, c’est que nous avons partie liée les uns avec les autres. Plusieurs d’entre nous l’ont dit : en nous vaccinant, nous prenons soin de nous-mêmes, mais nous prenons soin aussi des autres, ce qui est fondamental.

Je conclurai par ces mots si beaux de Victor Hugo : « Ma vie est la vôtre, votre vie est la mienne, vous vivez ce que je vis ; la destinée est une. » (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.)

Mme le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, chacun ici, ce soir, a rappelé la gravité de la crise sanitaire que nous vivons. Les chiffres ont été égrainés, nous les avons à l’esprit. Mais, depuis dix-huit mois, nous nous retrouvons ici régulièrement. Le Gouvernement, auquel vous appartenez, madame la ministre, dans la gestion de cette crise, a commis une triple faute.

La première, c’est l’infantilisation, car il a considéré que les Français devaient être traités comme des enfants. Ce furent les attestations pour avoir le droit de sortir ; ce sont désormais, au fil du temps, chaque fois, des leçons qui sont assénées, comme si chacun ne pouvait pas entendre la gravité de la situation.

Deuxième faute : l’autoritarisme, jusqu’à la caricature évidente, lorsque s’exprime le Président de la République et que l’on apprend ensuite par la presse que même ses propres ministres, ses équipes ne savaient pas précisément ce qui allait être annoncé, l’intendance suivant.

De fait, les mesures annoncées étaient évolutives, puisqu’elles ne pouvaient pas trouver leur application.

Troisième faute : les errements et les revirements. C’est peut-être ce qui est le plus gênant, car, aujourd’hui, la confiance dans votre parole a singulièrement fondu. À cette même tribune, il nous a été tenu des propos définitifs sur le passe sanitaire, qui ne serait jamais appliqué pour des actes de la vie quotidienne,…

M. Loïc Hervé. En effet !

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. … mais aussi, au gré des étapes et sans vouloir rappeler de cruels souvenirs, sur l’inutilité de porter des masques.

Au fil du temps, chaque fois, la parole publique a été dévalorisée. Tout cela a conduit à un triple désastre : un désastre sanitaire, un désastre démocratique et un désastre social.

Un désastre sanitaire, d’abord. Nous le constatons : les contaminations repartent, les soignants sont épuisés, les vaccins sont en quantité insuffisante – cela a été rappelé encore à l’instant, on ne le dit pas assez –, et peut-être demain, si nous avons bien compris, la gratuité des tests cessera.

Un désastre démocratique, ensuite, avec ce débat organisé de telle sorte que nous travaillons non pas dans mauvaises conditions, mais mal : nous faisons mal la loi, faute de recul suffisant pour réfléchir de manière sensée à ce que nous voulons proposer et accepter, chacun ici ayant un état d’esprit constructif, comme chaque fois, lors de l’examen de la dizaine de projets de loi qui nous ont été soumis.

De ce fait, ce texte est confus. Et puisque les parlementaires, je le sens bien, ne sont pas forcément considérés comme des références, je reprendrai les propos d’une autorité constitutionnelle, la Défenseure des droits, qui souligne notamment l’inintelligibilité des règles. Car, si demain un Français est capable d’expliquer ce qu’il est possible de faire ou pas, nous pourrons alors le saluer.

En découpant l’espace public entre les endroits où nous pourrons nous rendre et ceux où nous ne le pourrons pas, vous allez opposer les populations et instaurer le contrôle d’une moitié de la population par l’autre. Effectivement, vous voulez qu’il faille montrer son passe pour entrer dans quelque lieu que ce soit. Sans parler des difficultés d’application de cette mesure, certains ne parvenant pas à l’obtenir parce que les dates ne sont pas correctes, parce que les vaccins ne sont pas les bons, parce que les pays où ceux-ci ont été administrés ne sont pas répertoriés – nous y reviendrons lors de l’examen des amendements. Vous allez porter atteinte à la liberté d’aller et venir, votre souhait, quasiment assumé, étant de fait celui d’une forme de surveillance généralisée, d’une France en liberté conditionnelle. (Mme la ministre déléguée proteste.)

Un désastre social, enfin. Les enfants, les jeunes auront de grandes difficultés pour accéder à l’école, aux loisirs.

Cette assignation à résidence que vous allez délivrer à tout un chacun aura pour conséquence d’inciter les gens à ne plus se faire dépister, parce qu’ils ne voudront pas être isolés.

Vous prévoyez de possibles mesures de licenciement – mesures que nous refuserons sans doute –, une forme de discrimination à l’emploi entre les vaccinés et les non-vaccinés, ce qui aura évidemment pour effet de mettre en grande difficulté les catégories sociales les plus défavorisées, celles-là même dont nous savons qu’elles sont les moins vaccinées.

Pour le groupe socialiste, la seule réponse, c’est la vaccination universelle. J’ai entendu avec plaisir un certain nombre d’entre vous, après l’intervention de notre collègue Monique Lubin, défendre cette option, tout en indiquant qu’elle serait l’étape suivante. Mais pourquoi attendre l’étape suivante, puisque nous savons qu’il faut du temps pour la mettre en place ? Nous proposons un certain nombre de mesures qui pourront être effectives dès demain, sanctionnables dans quelques semaines, avec entre-temps des dispositifs de contrôle destinés à éviter que la situation ne devienne encore plus périlleuse.

Vous vous y refusez, semble-t-il, sans doute pour avoir le plaisir de revenir dans quelques mois devant le Parlement. Sauf que nous aurons, encore une fois, pris du retard et, encore une fois, manqué l’occasion de permettre à nos concitoyens de sortir de cette crise. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées du groupe CRCE. – Mme Nassimah Dindar et M. Loïc Hervé applaudissent également.)