M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Henri Cabanel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je commencerai en laissant la parole à un éleveur : « Notre travail n’est pas rémunéré à sa juste valeur. Comment être rentable lorsque les prix de nos productions sont les mêmes qu’il y a trente ans, alors que les charges n’ont pas cessé d’augmenter ? La plupart d’entre nous vendent à perte. »

Cet éleveur, qui a eu le courage de témoigner dans le cadre de la mission d’information sur les moyens mis en œuvre par l’État en matière de prévention, d’identification et d’accompagnement des agriculteurs en situation de détresse que j’ai menée avec Françoise Férat, résume les problèmes que nous connaissons bien : prix non rémunérateurs, non-partage de la valeur, augmentation des charges exponentielle et hausse du prix des matières premières, guerre des prix les plus bas…

Cette proposition de loi offre un débat – un débat de plus…

Ce que les agriculteurs attendent, ce sont des actes et des solutions afin d’atteindre un objectif clair : un véritable partage, décent, de la valeur.

Tel était d’ailleurs l’objectif annoncé de la loi Égalim.

On l’a vu, on le voit, le compte n’y est pas : je rappelle que 20 % des agriculteurs n’ont aucun revenu.

Si j’ai soutenu l’idée de mettre toutes les parties prenantes autour d’une même table et si j’ai, avec d’autres, participé aux États généraux de l’alimentation, car la méthode était bonne, je regrette que celle-ci ait été abandonnée très rapidement.

Il aurait fallu maintenir une relation entre toutes les parties prenantes, car elles sont interdépendantes. Cela nous aurait notamment permis d’évaluer la loi et nous aurions su, ainsi, qui n’a pas respecté ses engagements.

Les enjeux étaient très bien posés, les objectifs étaient clairs et la méthode était bonne.

Qu’a-t-il manqué ? Tout simplement le sens de la réalité !

Dans un marché mondialisé, en effet, les agriculteurs sont des pions. Pièces centrales de la chaîne, sans qui rien ne peut aboutir, ils sont pourtant les plus précaires, car ils dépendent du bon vouloir de leurs partenaires.

Aujourd’hui encore, ils ne fixent toujours pas le prix de leur production ! C’est là le véritable problème. Existe-t-il une autre activité dans laquelle ce n’est pas le producteur qui fixe son prix ? C’est ce qui se passe en agriculture…

Tout le monde sait très bien que, en amont des négociations avec les producteurs, les distributeurs et les industriels ont négocié leur propre relation commerciale, l’objectif étant l’attractivité pour le consommateur. La guerre des prix peut commencer avec, dès le départ, un déséquilibre et un lien non sincère qui pipent les dés au seul détriment des agriculteurs.

Quand le prix des matières premières augmente de 30 %, tout le monde connaît les conséquences implacables que cela entraîne sur le revenu des agriculteurs.

Les bonnes intentions ont parfois des effets inverses de ceux qui étaient recherchés. Ainsi, la concentration des centrales d’achat a aggravé la dépendance des agriculteurs ; ainsi, l’augmentation des seuils de revente à perte a généré des centaines de millions d’euros de marges supplémentaires pour la grande distribution. Un ruissellement vers l’agriculteur était attendu ; or, si cette mesure s’est souvent soldée par davantage de communication en faveur des produits du terroir, donc davantage de ventes sans doute, elle n’a produit aucune amélioration des revenus des agriculteurs : les prix sont restés au plus bas.

Personne ne peut réellement comprendre le désarroi de la profession : aux prix non rémunérateurs s’ajoutent régulièrement les catastrophes naturelles.

Nous en avons vécu une cette année, la gelée noire. Le paysan a pleuré deux fois : le matin du 8 avril, mais aussi au moment de la récolte. Pourtant, il doit continuer, comme si rien ne s’était passé, souvent dans le doute, la solitude et la frustration, alors que ses charges d’exploitation ne cessent de peser.

Dans ces moments-là, il se demande à quoi il sert – toute cette peine pour rien ! Pendant ce temps, nous continuons à chercher quelle loi pourrait permettre aux agriculteurs de vivre mieux…

Selon moi, il faut de véritables mesures coercitives.

En 2008, la loi de modernisation de l’économie (LME) a libéralisé les relations commerciales – vous l’avez rappelé, monsieur le ministre. Elle est à l’origine de la guerre des prix menée par les enseignes de la grande distribution, et ce, chacun le sait, au détriment des agriculteurs. Son impact n’a certainement pas été suffisamment mesuré. C’est la LME qui a permis la concentration des coopératives d’achat et resserré l’étau autour des paysans.

Si nous comprenons l’enjeu politique que représente le maintien du pouvoir d’achat du consommateur, il faut aussi poser les enjeux de l’avenir de notre agriculture. Sachant que la moyenne d’âge des agriculteurs est de 55 ans, comment intéresser les jeunes ? Comment leur donner envie de s’installer en l’absence d’une véritable vision partagée ?

Cette proposition de loi comporte quelques mesures positives, comme la non-négociation du prix des matières premières. Règlera-t-elle pour autant la problématique de la rémunération des agriculteurs ?

Réformons la LME : c’est l’une des solutions.

À l’heure où l’e-commerce a su se saisir des perspectives du marché alimentaire, notamment celui du bio, il est urgent d’agir. Les entreprises du net et les plateformes de distribution comme Microsoft et Amazon se sont rapidement implantées dans ce secteur. La part de marché de ce mode de distribution, qui est de près de 8 %, a explosé avec la crise sanitaire et ne va cesser d’augmenter. N’avons-nous pas déjà un train de retard ?

Tout ce qui va dans le sens de l’amélioration du revenu est un pas en avant. C’est pourquoi le RDSE votera cette proposition de loi, même s’il a quelques doutes au regard de la complexité de son application. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Louault. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Pierre Louault. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous le savons tous, la situation de l’agriculture française est alarmante : une part importante des agriculteurs – 20 % d’entre eux – tirent pour seul revenu de leur travail un déficit d’exploitation qui les conduit souvent au désespoir.

Cette situation, dont nous sommes les témoins au quotidien sur nos territoires, doit nous faire réagir et nous inciter à modifier lois et règlements pour aider les agriculteurs. C’est ce que nous essayons de faire aujourd’hui.

Les raisons de ce mal-être sont multiples et certaines d’entre elles sont bien identifiées : une pression à la baisse sur les prix, accentuée par le secteur de la grande distribution, qui se répercute sur l’industrie, elle-même exerçant une contrainte sur les conditions de marché accordées aux agriculteurs.

À cela s’ajoute une conjoncture mondiale : Chicago fait la pluie et le beau temps en matière de prix, sans considération pour la qualité des produits. C’est là l’une des véritables difficultés auxquelles est confrontée l’agriculture française aujourd’hui : elle a choisi la qualité ; or, cette qualité, on n’est pour ainsi dire pas capable d’en payer le prix.

Le déséquilibre des négociations commerciales au détriment des producteurs agricoles place ces derniers en position de « preneurs de prix ». On l’a dit, leur mauvaise rémunération a des conséquences désastreuses sur la santé économique des exploitations, mais aussi sur le moral des agriculteurs. Il faut bien reconnaître qu’un métier comme le leur, dont ils n’arrivent plus à vivre, qui, en outre, est quotidiennement critiqué, dont les pratiques sont caricaturées, ne donne pas le moral et coupe toute envie d’être paysan.

La loi Égalim n’a pas produit les effets attendus. Deux principaux échecs sont à relever : d’une part, la relance de la guerre des prix quelques mois après sa promulgation, d’autre part, le non-respect des mesures instaurées, des pratiques de revente à perte étant couramment constatées.

C’est sur la base de ce constat que nous examinons aujourd’hui une proposition de loi visant à restaurer, si cela est possible, la confiance entre agriculteurs, fournisseurs et distributeurs. Ce texte est incontestablement un progrès par rapport à la loi Égalim 1, même si les règlements européens nous empêchent encore d’aller aussi loin que voulu et que nécessaire.

La grande distribution capte 75 % des dépenses alimentaires des Français. Malheureusement, certains acteurs du secteur ne participent pas autant qu’attendu à la revalorisation des filières agricoles.

Le Gouvernement et le Parlement ont fait des propositions, notamment via la commission d’enquête du groupe UDI et indépendants de l’Assemblée nationale ou le travail de Serge Papin, chargé par le ministre de l’agriculture et de l’alimentation d’un rapport concernant les relations commerciales entre les distributeurs et leurs fournisseurs.

La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui reprend des dispositifs figurant dans les deux rapports issus de ces travaux. Je pense notamment à la pluriannualité des contrats et aux méthodes de règlement des différends commerciaux agricoles.

Toutefois, le véritable problème est aujourd’hui d’obtenir une plus juste rémunération des agriculteurs, qui exercent un métier difficile et primordial pour notre souveraineté alimentaire.

L’article 1er, qui a pour but de rendre obligatoires les contrats pluriannuels entre producteur et premier acheteur, constitue une avancée. Il permettra au producteur d’avoir une vision à plus long terme sur sa production. Cependant, certains producteurs bénéficiant déjà d’une telle contractualisation pluriannuelle, comme les producteurs de pommes de terre, s’inquiètent de ce que tous les critères qui s’appliquent aujourd’hui à cette contractualisation ne soient pas retenus dans cette proposition de loi.

L’article 2, profondément modifié en commission, a pour objet de simplifier le mécanisme de transparence qui doit s’imposer à l’ensemble des matières premières agricoles. Nous aurons l’occasion d’en débattre.

L’article 2 bis, qui prévoit un affichage destiné au consommateur sur les conditions de rémunération du producteur, est sans nul doute important. Aujourd’hui, les consommateurs ne connaissent pas le prix des matières premières qui composent un produit fini ; or c’est ce prix qui est depuis trop longtemps tiré à la baisse.

L’article 3 bis, qui limite l’utilisation du drapeau français et de la mention « Fabriqué en France » afin d’interdire les pratiques commerciales trompeuses, est nécessaire, mais doit être plus précis. Tel est l’objet de la modification apportée par le Sénat. Notre inquiétude est la suivante : doit-on conserver à tout prix cette mesure relative à l’affichage du drapeau français alors qu’elle sera sanctionnée par le droit européen ? Ne vaut-il pas mieux cadrer l’utilisation du drapeau français afin qu’elle se fasse à bon escient ?

Si cette proposition de loi apporte des avancées notables pour une partie de la production agricole, une autre partie de ladite production n’en bénéficiera pas. On s’attaque ici au prix de vente des produits agricoles et aux revenus des agriculteurs ; malheureusement, l’effet attendu de la loi ne concernera que 20 % à 30 % de la production agricole.

J’en viens au problème de la restauration hors foyer : on sait bien que, pour des repas dont la matière première doit coûter moins de deux euros, les produits français ne sont souvent pas compétitifs. Notre agriculture fonctionne à deux vitesses : l’agriculture qui est sans doute la plus performante du point de vue du prix des produits est par ailleurs la moins vertueuse, parce qu’elle utilise une matière première – je pense à l’élevage – qui n’est pas d’origine française.

Reste à résoudre le problème de la perte de compétitivité. Monsieur le ministre, la balance commerciale s’effondre ; les prix de revient diffèrent suivant le mode de production, ce qui rend encore plus difficile leur évaluation, en particulier celle du coût de la matière première.

Une avancée est nécessaire : il faut payer les produits agricoles à leur valeur et en fonction de leur qualité. On le voit bien avec l’exemple du lait bio, qui est en surproduction et dont le prix s’écroule : à quoi sert-il de demander à des agriculteurs de produire toujours mieux si, pour résumer, personne ne veut payer le prix de la qualité ? (M. le ministre acquiesce.)

Ce débat doit être ouvert : les consommateurs sont-ils prêts, en France, à payer le prix de la qualité ? Les grandes surfaces et les organismes de vente sont-ils prêts à rémunérer différemment les producteurs selon que ceux-ci s’inscrivent dans une démarche de qualité ou ne se distinguent pas de la production mondiale ? (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP.)

M. le président. La parole est à M. Serge Mérillou. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Serge Mérillou. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, presque trois ans jour pour jour après l’adoption définitive de la loi Égalim, le constat est clair et partagé sur toutes les travées de notre assemblée : les objectifs ne sont pas atteints. Les agricultrices et les agriculteurs ne perçoivent toujours pas la juste rémunération qui leur est due. Pourtant, ils sont près de 400 000 à travailler chaque jour pour garantir notre autonomie alimentaire : ils sont près de 400 000 à se consacrer à la production de denrées de qualité qui font la fierté et la réputation de nos territoires.

Avec une production qui s’élève en valeur à près de 76 milliards d’euros, la France reste le premier producteur agricole de l’Union européenne. Un peu plus de 50 % du territoire de l’Hexagone est couvert de surfaces agricoles. L’agriculture est donc à la fois un enjeu économique et un maillon essentiel de notre aménagement du territoire.

Mes chers collègues, vous le savez, la situation est grave. Le nombre d’agriculteurs diminue, les exploitations peinent à trouver repreneurs ; la faute à un système qui ne reconnaît pas le travail, la faute à un système qui continue de privilégier industriels et gros distributeurs, la faute à un système libéral où la concurrence et la guerre des prix font la loi.

La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui va dans le bon sens ; son adoption à l’unanimité à l’Assemblée nationale l’atteste. Cependant, est-elle à la hauteur des enjeux, de l’urgence, ou n’est-elle qu’un outil sans lendemain, une fois passée la période électorale ?

Son efficacité en matière d’augmentation du revenu des agriculteurs est loin d’être garantie ; elle promet même d’être insuffisante. Je prendrai pour exemple le secteur de la viande bovine Label rouge : bien que la contractualisation ait été rendue obligatoire par accord interprofessionnel étendu, les prix pratiqués restent en deçà des indicateurs de coûts de production calculés par l’interprofession.

Le dispositif proposé dans cette proposition de loi ne suffira pas. Tant que la couverture des coûts de production des agriculteurs ne sera pas garantie dans les négociations commerciales, leurs revenus non plus ne pourront être garantis. Ces négociations devront également prendre en compte la rémunération de la main-d’œuvre agricole afin d’être au plus près des réalités. C’est ce que nous proposons.

Mes chers collègues, nous devons protéger davantage nos agriculteurs. C’est pourquoi le groupe SER propose de plafonner le taux maximum de service pouvant être retenu dans les contrats afin de prévoir une marge d’erreur suffisante et conforme à la réalité de la vie économique actuelle. En effet, les taux de service imposés par les distributeurs sont en moyenne de 98,5 % et peuvent atteindre 99,9 %. Ces situations génèrent automatiquement l’application de pénalités, qui deviennent quasi systématiques et sont insoutenables pour les agriculteurs.

En outre, parce que la transparence doit être une priorité pour donner davantage confiance aux consommateurs, nous proposons de rétablir l’esprit de l’article 3 bis, qui a été vidé de sa substance en commission. Il faut réaffirmer la nécessité de s’opposer aux pratiques commerciales trompeuses portant sur l’affichage de l’origine des denrées alimentaires, afin d’assurer aux consommateurs une information claire et fiable.

Mes chers collègues, je l’ai déjà dit, cette proposition de loi va dans le bon sens. Cependant, elle ne suffira pas. La politique des petits pas a assez duré ! Face à l’urgence de la situation, une réforme d’ampleur est nécessaire pour poser les cadres d’une nouvelle grande loi économique, adaptée à son époque. Nous devons travailler à préserver l’agriculture française ainsi que notre souveraineté alimentaire. Nous devons prendre en compte les nouvelles contraintes d’aujourd’hui, qu’elles soient économiques, sociales, climatiques ou sanitaires.

Monsieur le ministre, dans votre intervention, vous avez indiqué, certes avec talent, des objectifs parfaitement louables de partage de la valeur ajoutée. Cependant, votre texte n’est pas à la hauteur de cette ambition et nous craignons qu’il y ait là un coup pour – presque – rien. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Joël Labbé applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Laurent Duplomb. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme la rapporteure applaudit également.)

M. Laurent Duplomb. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la rémunération des agriculteurs, quel vaste sujet ! À se souvenir de tout ce que l’on nous disait, voilà quelques années, de la première loi Égalim, on peut, à la lecture de ce texte, se poser la question suivante : pourquoi Égalim 2 ? Je tente une réponse : tout simplement, parce qu’Égalim 1 n’a pas marché ! Voilà la réalité !

Si Égalim 1 n’a pas marché, c’est que, malgré une revalorisation du seuil de revente à perte (SRP) de 10 %, le tant attendu ruissellement n’a pas eu lieu ! Les revenus des agriculteurs n’ont pas évolué : la rémunération n’a pas été au rendez-vous.

Monsieur le ministre, je ne vous en veux pas ; ce sont vos prédécesseurs qui ont fait cette loi sans écouter les recommandations du Sénat, qui avait prédit que cela se passerait ainsi.

Néanmoins, monsieur le ministre, vous pouvez faire quelque chose : chercher où sont passés les 2 milliards d’euros dégagés par la revalorisation de 10 % du SRP ! Cette somme représente 2 % d’augmentation du chiffre d’affaires alimentaire. C’est factuel : c’est l’Insee, l’Institut national de la statistique et des études économiques, qui le dit. Si l’on tient compte de la déflation des prix alimentaires, ceux-ci ayant baissé de 0,3 %, ce sont bien 2 milliards d’euros qui sont venus grossir les poches de la grande distribution. Certes, ils ont été redistribués pour partie, notamment aux consommateurs, mais, sur ce point, on a besoin d’éléments précis : il faudra bien finir par les retrouver pour les donner aux agriculteurs.

Un peu de bon sens ! Daniel Gremillet l’a dit, le revenu d’un agriculteur, c’est le solde des produits et des charges. Or Égalim – Égalim 1 comme Égalim 2 – ne prend en compte qu’une partie des produits : rien sur la restauration hors foyer, rien sur les produits à marque de distributeur (MDD), malgré les améliorations que nous nous apprêtons à apporter, rien sur le volet exportations, qui représente 25 % du revenu des agriculteurs, et encore moins sur les charges !

Vous ne parlez pas de la problématique de la main-d’œuvre en France, qui est 1,5 fois plus chère qu’en Allemagne, 1,7 fois plus chère qu’en Espagne et x fois plus chère que dans les pays de l’Est ! Rien sur les charges, donc ; pourtant, Égalim 1 a créé des charges supplémentaires, qu’on a facilement tendance à oublier… N’a-t-on pas voté, dans Égalim 1, l’interdiction des trois R – remises, rabais, ristournes – sur les produits phytosanitaires, ce qui engendre de fait une différence entre le pays où cette loi s’applique et ceux où elle ne s’applique pas ?

Rien sur la séparation du conseil et de la vente, qui va poser dès cette année d’énormes problèmes aux agriculteurs. Rien non plus sur la propension de notre pays à sans cesse empiler les unes sur les autres normes et réglementations !

Si je ne crois pas vraiment au présent texte, nous allons malgré tout vous aider, monsieur le ministre.

Nous le ferons en corrigeant certains éléments de la loi Égalim 1. Nous vous inciterons à supprimer la revalorisation de 10 % du SRP dans les filières pour lesquelles cette mesure ne fonctionne pas et qui, à l’inverse, ont vu diminuer le revenu des agriculteurs – je parle des fruits et légumes frais et des bananes.

Je veux aussi vous aider, monsieur le ministre,…

M. le président. Il faut conclure !

M. Laurent Duplomb. … en amplifiant les actions prévues pour améliorer le revenu agricole, en luttant contre les pratiques malsaines de la grande distribution.

Nous serons là pour vous aider, monsieur le ministre, car nous continuons d’y croire. Reste que, à force de toujours y croire, on finit pas perdre la boussole… (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC et INDEP.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Boyer. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-Marc Boyer. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les constats sont là : depuis longtemps, nos agriculteurs sont en difficulté, leur bien-être et leur bien-vivre sont maltraités. À l’heure où l’on parle de la maltraitance animale, parlons un peu de la maltraitance que subissent les agriculteurs !

M. Rémy Pointereau. Très bien !

M. Jean-Marc Boyer. La maltraitance agricole compte parmi les maux qu’il faut traiter en urgence. Cette fois, nous ne devons plus nous contenter de mots ; nous devons offrir aux agriculteurs des solutions pour leur permettre de vivre dignement, comme ils le méritent !

Les revenus de nos agriculteurs sont en berne.

Les exemples sont nombreux, comme l’ont montré les interventions de mes collègues. Dans le Massif central, qui représente 56 % de la production française de viande bovine – qui plus est, la viande en question est indéniablement de qualité –, les revenus agricoles des exploitants sont inférieurs au SMIC brut annuel, soit 14 600 euros.

Dans la filière lait AOP (appellation d’origine protégée), ce sont un tiers des producteurs qui n’atteignent pas le SMIC, pour quinze heures ou plus de travail journalier.

À cette situation s’ajoute l’explosion des charges.

Au cours des dix dernières années, le prix du lait a baissé de près de 20 %, quand, sur la même période, l’inflation était de 50 % !

Aussi l’effet ciseaux entre des charges en hausse et des prix à la production trop bas s’accentue-t-il dangereusement depuis le début de l’année 2021. Ne passons pas des ciseaux à l’étau !

Sur la base d’un tel constat, comment voulez-vous motiver des jeunes à s’orienter vers l’enseignement agricole et à envisager une installation ?

Certes, une fois ces constats posés, on peut reconnaître l’ambition d’Égalim 2 : sécuriser la part agricole dans le tarif du fournisseur et améliorer le revenu des agriculteurs en rééquilibrant durablement le rapport de force entre les distributeurs et leurs fournisseurs – ce rapport de force est aujourd’hui en défaveur des industriels, le plus souvent des PME.

De ce point de vue, il faut saluer l’important travail réalisé par la commission des affaires économiques. Les dispositions de cette proposition de loi ainsi amendée visent à protéger et à augmenter à sa juste valeur la rémunération des agriculteurs via la mise en place d’indicateurs et d’outils indispensables à la construction de contrats et de prix équilibrés.

Toutefois, des difficultés persistent, notamment l’évaluation du coût du produit agricole dans le prix de revient du produit alimentaire. Les mesures prévues ne permettent malheureusement pas d’envisager une réelle maîtrise des charges et dépenses.

Par ailleurs, l’ensemble de ces dispositions n’entraîneront-elles pas une augmentation du prix du produit, qui sera inévitablement répercutée sur le consommateur, déréglant ainsi la chaîne qui va du producteur à l’industriel et au consommateur ?

Il est enfin des éléments qui, quoique primordiaux pour ce qui est de la juste rémunération des agriculteurs, ne sont pas pris en compte dans cette proposition de loi : les aléas climatiques, qui jouent sur les volumes de production et sont variables selon les régions ; les conditions difficiles, par exemple celles qui ont cours en zone de montagne, où a été instaurée l’indemnité compensatoire des handicaps naturels (ICHN) ; les normes, par exemple la généralisation du Nutri-score qui n’est pas adaptée aux indications géographiques.

Ce dernier point représente un réel danger pour les filières AOP, qui se retrouvent inévitablement comparées aux autres productions de fromages pouvant, elles, modifier leur composition. Imaginez qu’avec ce Nutri-score le Coca-Cola light pourrait se voir décerner un A quand un saint-nectaire ou un bleu de Laqueuille serait noté D !

Dans la réponse que vous m’avez adressée le 14 septembre dernier, monsieur le ministre, vous indiquez : « La méthodologie nutriscore doit être revue pour prendre en compte les volumes, les quantités réellement consommées. » Et d’ajouter : « Je partage votre souhait sur le sujet. »

Mes chers collègues, monsieur le ministre, il faut maintenant agir pour une juste rémunération du travail des agriculteurs. Le risque est celui d’une nouvelle désillusion : à force, les agriculteurs n’acceptent plus nos excuses face à leur détresse ; ils nous accusent de les abandonner. Comme disait Franklin Roosevelt, « les gagnants trouvent les moyens, les perdants des excuses » !

Égalim 2 ne doit pas être une illusion, un mauvais remake d’Égalim 1 ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme la rapporteure applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean Bacci. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean Bacci. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, lors de la loi Égalim, l’ambition du législateur était une meilleure redistribution de la valeur. Nous en voulions le ruissellement ; or les producteurs ont vécu un tarissement de leurs ressources.

Il convient aujourd’hui de saluer la volonté de corriger les incomplétudes et les insuffisances du texte initial.

Rendre obligatoire la contractualisation des accords est indispensable; mais nous devons accompagner les David de la négociation commerciale confrontés aux Goliath de la grande distribution. Les jeunes agriculteurs nous disent que « le diable se cache dans les détails » et que « les contrats sont des combats » ; nous devons donc légiférer jusqu’à une formalisation précise des clauses constitutives et de leurs révisions.

Nous devons imaginer un outil normalisé qui conjuguerait la souplesse de la négociation avec la nécessité de se conformer à une série de composantes auxquelles on ne pourrait déroger.

Néanmoins, il serait naïf de croire que le contrat pluriannuel garantirait un engagement tenu.

Le comité de règlement des différends commerciaux agricoles doit être doté d’un arsenal de sanctions suffisamment dissuasif, en adéquation avec la nature du préjudice. En effet, la nécessaire médiation ne permet que rarement la résolution des conflits.

Je soutiens la nécessité d’imposer la transparence du calcul des prix et d’en garantir une stabilité relative. Je soutiens la volonté de mettre fin à l’obscurantisme de certaines pratiques. Pour autant, ne négligeons pas le rôle majeur du consommateur dans la chaîne de valeur.

En effet, la transparence et la non-négociabilité des matières premières agricoles entrant dans la composition des produits alimentaires doivent se traduire par une lisibilité sur l’étiquetage des produits.

L’introduction de 2 % d’huile de lin dans l’alimentation porcine ne fait pas de la charcuterie un produit riche en oméga 3 !

L’affichage d’un drapeau bleu blanc rouge ne certifie pas forcément l’origine française !

La tromperie du consommateur ne doit plus être tolérée !

Changeons de regard sur le consommateur ordinaire : il n’est pas un perdreau de l’année…

Nous pensons de manière réductrice que l’homo consumeris est la victime inconsciente du marketing. Permettons-lui de prendre des décisions éclairées. Donnons aux Français les moyens de faire des choix et la capacité de réaliser des arbitrages.

Les indicateurs de coût de production et de niveau de rémunération doivent contraindre les loups de la grande distribution à entrer dans une dynamique vertueuse et nous permettre de mettre fin au subterfuge des marques de distributeur, les MDD.

Affichons les provenances, au-delà de la labélisation France.

Informons les consommateurs de l’origine des produits et de la provenance des composants intervenant dans la transformation, sans avoir besoin de démontrer « un lien avéré entre certaines propriétés des produits agricoles et leur origine ». Vous me répondrez que, si les agneaux néo-zélandais partent en croisière, l’agneau local n’est parfois que de passage dans nos pâturages, car il traverse l’Europe en camion !

Ce n’est pas qu’un enjeu de décarbonation. Derrière cet exemple, en effet, se cache ma conviction que les consommateurs que nous sommes sont capables de faire ce choix de la proximité, ce choix de la qualité et de contribuer alors à la souveraineté alimentaire ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)