Mme la présidente. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires.

Mme Raymonde Poncet Monge. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis la loi El Khomri, qui accordait aux travailleurs des plateformes le droit de créer une organisation syndicale, une loi était nécessaire pour l’organisation du dialogue social en leur sein. Était attendu, a minima, un cadre légal permettant un progrès significatif dans les conditions de travail souvent indignes de ces travailleurs, un cadre s’appuyant notamment sur le droit commun et les dispositions du code du travail.

Tel n’est pas le cas, et nous nous retrouvons, six ans plus tard, avec une proposition de cadre normatif du dialogue social qui n’est pas susceptible de favoriser la création de droits sociaux réellement protecteurs.

Après la promulgation de ce texte, les travailleurs des plateformes n’auront toujours pas de salaire minimum garanti, toujours pas de protection contre les licenciements par déconnexion de la plateforme, toujours pas d’encadrement de la durée maximale de travail, toujours pas de congés ni de jours de repos sanctuarisés et rémunérés.

Le texte sur lequel le Sénat et l’Assemblée nationale se sont accordés propose une légère compensation de ces manques à l’article 2, lequel dispose que le dialogue social mené avec les plateformes devra comprendre la fixation du prix des prestations, le développement des compétences professionnelles et la prévention des risques professionnels. Cependant, en renvoyant ces droits sociaux à la négociation collective, nous autorisons la création d’un droit du travail différencié, qui a toutes les chances de se montrer moins disant, car rien n’est fait par ailleurs pour corriger les inégalités nées du rapport de force entre les plateformes et les travailleurs.

Le dialogue social ne peut améliorer la situation des travailleurs d’une branche, quelle qu’elle soit, que si la puissance publique impose une base de négociation protectrice, en l’occurrence celle proposée par le code du travail, dont une des fonctions est de rééquilibrer le rapport de subordination entre l’employeur et les travailleurs.

Ce lien de subordination a été reconnu par plus d’une centaine de décisions de justice en Europe. Après une résolution du Parlement européen allant dans ce sens, la Commission européenne a présenté en décembre dernier une directive sur la présomption de salariat pour tous les travailleurs des plateformes. La Commission considère précisément que c’est le statut erroné d’indépendant qui empêche ces travailleurs de jouir des droits sociaux auxquels ils devraient sans cela avoir droit : salaire minimum, réglementation du temps de travail, protection sociale.

C’est donc le statut et le renvoi aux droits sociaux qui lui sont attachés qui protège les travailleurs, et non une prétendue autorégulation du dialogue social de parties placées dans des situations inégales, bien souvent synonyme de régression sociale.

Dans la documentation qui accompagnait son introduction en Bourse en 2019, Uber écrivait, page 30 : « Étant donné que nous prévoyons de réduire les incitations monétaires des conducteurs afin d’améliorer nos performances financières, nous nous attendons à ce que leur insatisfaction augmente ». La plateforme reconnaît ainsi cyniquement que la régulation des tarifs, qui échappe aux travailleurs, est susceptible de provoquer des insatisfactions liées à une baisse des rémunérations, mais que cela ne doit pas freiner de telles évolutions, la satisfaction des actionnaires étant prioritaire.

De fait, si Uber insiste tant sur l’indépendance de ses chauffeurs, c’est que leur requalification en salariés représenterait un surcoût significatif de l’ordre de 20 % à 30 %. La préservation des profits de cette firme tient donc entièrement sur la promesse mensongère de l’autonomie des travailleurs, renforcée par ce texte.

En effet, à l’Assemblée nationale, la rapporteure a précisé dans son rapport que l’objectif des dispositions, maintenues aux alinéas 16 et suivants de l’article 2 du texte de la CMP, était de « réduire le faisceau d’indices susceptibles de révéler l’existence d’un lien de subordination, tel que celui-ci est défini par la jurisprudence […], de telle sorte que “les risques de requalification de leur contrat commercial en contrat de travail” soient limités ».

Le but est donc de sécuriser les plateformes plus que de protéger les travailleurs. Au contraire, la demande de requalification sera rendue plus difficile encore.

Avec un dialogue social sans droits sociaux, nous maintenons près de 200 000 travailleurs en dehors de tout cadre légal, qui leur permettrait de se défendre équitablement face au management algorithmique, et nous privons la sécurité sociale d’importantes ressources.

Pour toutes ces raisons, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires ne votera pas ce texte.

Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

M. Pascal Savoldelli. Madame la présidente, monsieur le secrétaire chargé de la santé au travail et des retraites – au passage, pour les travailleurs des plateformes, la retraite, c’est zéro ! –, mes chers collègues, voici donc un dialogue social vidé de sa substance. Pour un autre avenir en faveur des travailleurs des plateformes numériques, plusieurs groupes politiques, dont le CRCE, ont, en plusieurs occasions, proposé des mesures concrètes, des mesures jamais votées par le Sénat.

Qu’avons-nous eu en retour de la part du Gouvernement depuis cinq ans ? Des textes d’une inefficacité navrante, et ce projet de loi n’y change rien. Bien plus grave, il vient consacrer la valeur travail comme une valeur malléable en fonction des modèles économiques, quelle que soit leur rentabilité. Elle serait aménageable selon la qualité des travailleurs, qualifiés ou non, ou selon la qualité estimée des prestations effectuées.

On aurait un statut d’indépendant qui serait différent selon que vous êtes travailleur économiquement dépendant de plateforme ou que vous êtes travailleur indépendant choisi. Le premier se verrait privé d’autonomie et serait corvéable à merci quand le second pourrait négocier librement ses prix et les caractéristiques de sa prestation.

Quelle contradiction !

Mes chers collègues de la partie droite de l’hémicycle ont voté à l’unanimité le rapport d’information sur l’« ubérisation » de la société, alertés par le risque de « plateformisation » de la société par les secteurs traditionnels ou les fonctions libérales. Seulement, au moment de réguler les plateformes numériques de travail, ils se sont retrouvés embarrassés devant l’avantage et le confort qu’il y a à trouver une petite main plus vite et pour moins cher.

Pour que le rouage de la servitude continue de tourner, il faut donc que le Gouvernement préserve le contrôle des plateformes de travail sur leurs travailleurs, tout en se dégageant d’une quelconque responsabilité.

Lors de l’adoption de ce texte en première lecture dans cet hémicycle, nous avions, à l’article 3, contraint chaque secteur à négocier certains thèmes, dont la fixation des prix. Pourquoi cela a-t-il disparu de la version finale ? No « explication » !

Le Président de la République a pourtant annoncé au Parlement européen que la création d’un SMIC européen était une priorité. Pourquoi alors refuser qu’une rémunération minimale soit l’objet du dialogue ? Si des indépendants peuvent normalement négocier leurs prix, on consacre ici le fait que tel n’est pas le cas pour ceux des plateformes. On officialise ainsi l’indépendance contrainte et l’autonomie à deux vitesses.

À l’alinéa 4 de l’article 2, il y a, parmi les thèmes de négociation obligatoire, « les modalités de détermination des revenus des travailleurs ». Comprenez la subtile manœuvre : c’est une chose d’imposer de se mettre d’accord sur une rémunération minimale, c’en est une autre d’imposer de discuter de la manière dont les revenus sont calculés par la plateforme. Même contradiction à l’alinéa 18 de l’article 2 : « en leur garantissant une marge d’autonomie pour déterminer les modalités de réalisation des prestations »… mais pas des prix ! Autonome, mais, quand même assujetti…

Par ailleurs, ce texte vient créer une juridiction dédiée aux plateformes. Selon l’article 2, alinéa 13, l’ARPE serait chargée « d’homologuer, au nom de l’État, les accords de secteur ». Pourquoi pas l’administration du travail ?

L’alinéa 14 lui assigne « un rôle de médiation entre les plateformes et les représentants des travailleurs indépendants ». Pourquoi pas le Médiateur des entreprises ?

Prenons le décret du 8 novembre 2021 relatif à l’organisation et au fonctionnement de l’ARPE. L’article R. 7345-10 du code du travail, qu’il crée, prévoit que le directeur général de l’autorité « autorise la rupture du contrat commercial des représentants désignés en application de l’article L. 7343-13 ». Une autorité administrative qui se prononce sur un contrat commercial… Vous êtes sûrs ?

On voit bien que cela a été pensé en dehors de toute objectivité. C’est pratique, quand on est déjà poursuivi pour travail dissimulé…

Et que dire des conditions de représentativité, d’une complexité kafkaïenne, qui feront gagner du temps aux plateformes plus qu’elles n’entraîneront l’adhésion des travailleurs ?

Enfin, il est légitime d’interroger l’opportunité de ce texte au regard de la proposition de la Commission européenne, qui, elle, porte une ambition en instaurant une présomption réfragable de relation de travail, allant ainsi dans le sens des décisions de justice européennes.

Dès lors, nous souhaitons que les travailleurs des plateformes bénéficient du même régime que les autres travailleurs, et non pas seulement d’un dialogue social façon « grand débat ». Ce texte entraîne trop d’incertitudes, en plus d’une inégalité de traitement entre travailleurs indépendants.

Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, vous aurez compris que nous voterons contre. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Brigitte Devésa, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Brigitte Devésa. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens à saluer les membres de la commission mixte paritaire, au premier rang desquels notre collègue rapporteur Frédérique Puissat, qui ont permis à nos deux chambres de s’orienter vers un accord sur un texte visant à organiser un dialogue social entre les plateformes numériques et les travailleurs indépendants qui y ont recours.

Ces dernières années ont vu l’émergence des plateformes numériques de mise en relation, qui ont offert une activité professionnelle à de nombreux travailleurs, principalement des jeunes sans formation et éloignés de l’emploi.

Si nous pouvons nous réjouir que ce public accède ainsi à un travail, il n’en reste pas moins qu’il convient de regarder avec attention les conditions dans lesquelles ces activités professionnelles sont réalisées.

Je note que le législateur, à la faveur de plusieurs travaux d’expertise, à la suite d’initiatives parlementaires, n’a pas manqué de « flécher » certaines limites de ce type d’activités.

Pour autant, notre corpus juridique n’est pas resté sans modification durant les dernières années : je pense à la loi El Khomri de 2016 ou à la loi l’orientation des mobilités (LOM) de 2019. Notre rapporteur l’a déjà rappelé.

C’est d’ailleurs sur le fondement de l’article 48 de la LOM que le Gouvernement a pris l’ordonnance du 21 avril 2021, que nous nous apprêtons à ratifier.

Si le présent projet de loi ne présente aucune mesure législative concernant l’amélioration des conditions de travail, pas plus que sur la santé des salariés des plateformes, il permettra, avec la ratification de l’ordonnance d’avril 2021, de jeter les bases d’un dialogue social et de favoriser l’émergence de garanties collectives en faveur des travailleurs des plateformes.

Nous croyons et soutenons qu’il est toujours préférable de laisser la place au dialogue social en première intention.

M. Michel Savin. Très bien !

Mme Brigitte Devésa. Toutefois, nous pensons aussi qu’en cas de défaillance du dialogue, si ce dernier restait stérile, il reviendrait au législateur de prendre ses responsabilités.

Le Sénat aura, quant à lui, apporté des avancées importantes sur ce texte,…

M. Michel Savin. C’est vrai !

Mme Brigitte Devésa. … principalement avec l’instauration du principe de périodicité de la négociation au niveau de chaque secteur, même si, à titre personnel, j’aurais préféré six mois à neuf mois. Nous avons également été à l’origine de précisions cruciales, comme la redéfinition du périmètre de l’ARPE.

Nous pouvons encore une fois nous réjouir de cette recherche de consensus. Aussi, je vous appelle, mes chers collègues, à soutenir un texte qui s’inscrit dans la lignée de la loi du 8 août 2016, laquelle a inscrit le principe de la responsabilité sociale des plateformes à l’égard des travailleurs indépendants.

Avant d’en terminer, je me permettrai d’interpeller le Gouvernement, monsieur le secrétaire d’État.

En consultant le Parlement sur l’ordonnance hasardeuse d’avril 2021, en vous proposant simplement d’instituer un dialogue social entre travailleurs indépendants et plateformes, vous avez, contre votre volonté, réveillé l’ardent besoin de recourir au code du travail, de rétablir la place de l’État face aux géants de l’ubérisation et de croire encore aux vieux principes du rapport de force. En vous frottant à l’univers du dialogue social, vous avez élevé la température de l’ancien monde, qui, d’ailleurs, n’a jamais été autant d’actualité.

La Commission européenne proposait, en décembre dernier, la présomption de salariat pour les travailleurs des plateformes. Les Pays-Bas, la Belgique, l’Angleterre et la Californie ont multiplié les arguments en faveur de la qualification de « salariat » pour ces travailleurs. Enfin, la Cour de cassation a contredit le Gouvernement dans deux arrêts.

Le choix du Gouvernement de recourir aux ordonnances vous oblige et vous condamne à passer les étapes si vous ne voulez pas que ce texte reste à l’état de calmant destiné à bercer d’illusions des milliers de faux travailleurs indépendants dans la misère. Monsieur le secrétaire d’État, force est de constater qu’en matière de régulation et de maîtrise du fait numérique les choses avancent. Le volet numérique du discours du Président de la République, la semaine dernière, devant le Parlement européen, ainsi que la taxation des GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) laissent à penser, et à espérer, que nous en viendrons un jour à obliger les plateformes à rendre leurs algorithmes transparents.

En présidant l’Europe, la France doit désormais se hisser à la hauteur de sa responsabilité historique en prenant ce sujet à bras-le-corps, bien qu’elle ait déjà du retard sur ses partenaires.

En tout état de cause, le groupe Union Centriste votera favorablement ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Artano, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (M. Jean-Claude Requier applaudit.)

M. Stéphane Artano. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le projet de loi qui nous est soumis a pour objet de réguler les relations sociales entre les plateformes numériques et les travailleurs indépendants.

Il est vrai que l’émergence de ces plateformes et, avec elle, l’apparition d’une nouvelle organisation du travail, nous amènent à nous interroger, notamment, sur le statut de ces travailleurs ou sur leurs droits sociaux. En somme, nous devons désormais prendre en compte le modèle économique de ces plateformes, afin de mieux protéger et de garantir suffisamment les droits des travailleurs qui y ont recours.

Le débat sur la détermination du cadre des rapports entre les plateformes numériques et les travailleurs ayant opté pour la microentreprise n’est pas nouveau. En effet, le législateur a déjà fait œuvre de régulation à plusieurs reprises, afin de rétablir un équilibre dans les relations qui lient ces travailleurs indépendants aux plateformes numériques.

Nos travaux s’inscrivent donc dans le prolongement de la loi du 8 août 2016, dite loi El Khomri, complétée par la loi d’orientation des mobilités (LOM) du 24 décembre 2019. La première pose les fondements de la responsabilité sociale de ces plateformes, tandis que la seconde établit une charte déterminant les droits et les obligations des plateformes, ainsi que ceux des travailleurs avec lesquels elles sont en relation.

Dans la continuité de ces textes, et sans remettre en cause les statuts existants, le présent projet de loi a pour ambition de renforcer les droits des travailleurs indépendants, en permettant notamment de faire émerger des garanties collectives en faveur des travailleurs des plateformes par la voie du dialogue social.

Avant de poursuivre, il convient de rappeler que le développement de ces plateformes numériques est généralement considéré comme l’opportunité d’exercer une activité professionnelle pour de jeunes travailleurs sans formation et n’ayant parfois aucune expérience du monde du travail.

L’ubérisation croissante d’une partie de notre mode vie, qui s’est accélérée avec la crise sanitaire, nous amène à réfléchir à notre modèle social, car tout laisse à croire que ce modèle économique s’étendra probablement à d’autres secteurs d’activité. Il est donc nécessaire et urgent de fixer un cadre légal clair pour éviter toute précarisation du travail.

Il est nécessaire de construire un dialogue social entre les plateformes et les travailleurs indépendants. Je partage le point de vue de M. le secrétaire d’État sur ce sujet.

C’est pourquoi, dans son rapport de mai 2020 sur le droit social applicable aux « travailleurs indépendants économiquement dépendants », la commission des affaires sociales du Sénat avait déjà formulé des recommandations, afin de dépasser le débat sur le statut de ces travailleurs et de développer leurs droits de manière pragmatique, notamment par la voie du dialogue social.

Dans ce contexte, la commission des affaires sociales est restée fidèle à ses propositions lors de la préparation de ce projet de loi. Je tiens aussi à féliciter tous nos collègues qui ont participé à la commission mixte paritaire de la qualité du travail effectué.

L’ordonnance du 21 avril 2021, que l’article 1er du projet de loi vise à ratifier, permet aux travailleurs indépendants des plateformes de mobilité de désigner leurs représentants pour 2022.

Par ailleurs, on ne peut que saluer la création d’une Autorité des relations sociales des plateformes d’emploi (ARPE) : ce nouvel établissement public aura pour rôle de réguler les relations entre les deux parties.

Mes chers collègues, ces dispositions ne constituent qu’une première étape dans l’élaboration d’un cadre permettant le développement du dialogue social entre les travailleurs indépendants et les plateformes, lesquelles peuvent encore être améliorées, comme tout texte législatif. Certes, le cadre du dialogue est défini, mais certaines questions restent à régler : le salaire minimum, la protection contre les licenciements, les droits du licencié ou, enfin, la détermination de la durée maximale de travail.

En conclusion, malgré ces dernières observations, notre groupe votera ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Luc Fichet, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Jean-Luc Fichet. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain renouvelle son opposition à ce projet de loi, en particulier à son article 1er, dont l’adoption aurait pour effet d’entériner la création d’un tiers-statut pour les travailleurs des plateformes, alors même que le risque d’expansion du phénomène d’ubérisation pèse sur un nombre croissant de secteurs d’activité.

L’idée d’un tiers-statut recule dans la plupart des pays européens, à la suite de la multiplication des décisions de justice reconnaissant le lien de subordination des travailleurs de ces plateformes, comme cela a été le cas en Grande-Bretagne, en Italie, en Espagne, en Allemagne ou encore, récemment, aux Pays-Bas.

Dans son rapport, Jean-Yves Frouin a également clairement écarté ce statut dès décembre 2020, en proposant de salarier les travailleurs des plateformes via le portage salarial ou une coopérative d’activité et d’emploi.

C’est cette seconde option que nous préconisons depuis plusieurs années, afin de sécuriser la relation juridique des travailleurs tout en leur apportant de l’autonomie – ils y sont attachés – dans l’exercice de leur activité et en développant un modèle de plateforme numérique plus vertueux, s’inscrivant dans l’économie sociale et solidaire.

La proposition de loi de notre groupe visant à lutter contre l’indépendance fictive, portée par Olivier Jacquin et dont je fus le rapporteur, prévoyait en outre des mesures adaptées et efficaces.

Elle prévoyait, premièrement, la création d’une action de groupe au profit des travailleurs de plateformes, qui permettrait de les requalifier en tant que salariés ; deuxièmement, l’instauration d’une présomption de salariat dès lors que la majeure partie du revenu est issue de l’exploitation d’un algorithme, la charge de la preuve se trouvant ainsi inversée ; troisièmement, la capacité pour les conseils de prud’hommes de se prononcer sur les demandes de requalification et d’exiger la production des algorithmes utilisés.

Je rappelle que ces solutions sont déjà mises en œuvre dans d’autres pays européens, notamment en Espagne, et qu’elles sont préconisées par le Parlement européen, ainsi que par la Commission européenne dans la proposition de directive qu’elle a présentée le 9 décembre dernier.

Cette proposition vise à garantir la bonne détermination du statut professionnel des travailleurs de plateformes par le biais d’une présomption de salariat, pour laquelle elle fixe des critères d’appréciation. Elle inverse à son tour la charge de la preuve : il reviendra à la plateforme qui contesterait le statut de salarié de prouver qu’il n’existe pas de relation de salariat.

La Commission européenne fait ainsi clairement le choix du salariat, conformément au positionnement du Parlement européen et aux revendications des syndicats, et rejette le tiers-statut.

Elle propose en outre de renforcer la transparence dans l’utilisation des algorithmes par les plateformes de travail numériques et de créer le droit pour les travailleurs de contester des décisions automatisées.

Ce projet de directive va donc dans le sens que nous défendons et non dans la direction retenue dans le présent projet de loi.

Enfin, nous sommes opposés à l’article 2 du projet de loi, qui habilite le Gouvernement à compléter par voie d’ordonnance les règles organisant le dialogue social entre les travailleurs et les plateformes à l’échelon sectoriel.

Cet article intègre une partie des dispositions de l’article 3, qui a été supprimé, en prévoyant que l’ordonnance définira les thèmes et la périodicité de la négociation obligatoire.

Parmi ces thèmes figurent les modalités de détermination des revenus des travailleurs. Le Conseil d’État estime à cet égard que ce sera d’application incertaine, l’article 101 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ne permettant pas à des indépendants de dialoguer entre eux concernant leur rémunération. La question de la constitutionnalité de cette disposition peut donc être posée.

Pour toutes ces raisons, notre groupe votera contre les conclusions de la commission mixte paritaire sur ce projet de loi et rappelle qu’il est urgent d’améliorer la protection de ces travailleurs précaires, qui sont malheureusement de plus en plus nombreux dans notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Raymonde Poncet Monge et M. Fabien Gay applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Dominique Théophile, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.

M. Dominique Théophile. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la commission mixte paritaire qui s’est réunie le 5 janvier dernier est donc parvenue à un accord sur le projet de loi ratifiant l’ordonnance relative aux modalités de représentation des travailleurs indépendants recourant pour leur activité aux plateformes et aux conditions d’exercice de cette représentation et portant habilitation du Gouvernement à compléter par ordonnance les règles organisant le dialogue social avec les plateformes.

Nous nous réjouissons aujourd’hui d’examiner ses conclusions, d’autant que les désaccords entre nos deux chambres étaient nombreux et que le projet de directive pour améliorer les conditions de travail des personnes travaillant via une plateforme de travail numérique, présenté par la Commission européenne le 9 décembre dernier, est venu quelque peu bousculer nos travaux.

Une fois encore, le travail des rapporteurs, que je tiens d’ailleurs à féliciter et à remercier, a fait la preuve des bienfaits d’une démarche constructive et apaisée entre nos deux assemblés.

Ce texte était attendu. Il est en effet urgent, dans la lignée de la loi relative au travail et de la loi d’orientation des mobilités, de faire évoluer le cadre juridique qui gouverne les relations professionnelles entre les plateformes et les travailleurs indépendants, en particulier dans le secteur des voitures de transport avec chauffeur et dans celui de la livraison de marchandises.

Le développement exponentiel de ces plateformes et l’augmentation du nombre de travailleurs qui y ont recours appelaient en effet une réponse rapide. Seul un dialogue social renforcé est à même d’assurer à 50 000 travailleurs les droits et la souplesse que leur statut d’indépendant leur garantit.

L’ordonnance du 21 avril 2021 relative aux modalités de représentation des travailleurs indépendants recourant pour leur activité aux plateformes et aux conditions d’exercice de cette représentation qu’il nous est proposé de ratifier est une pierre de plus que nous apportons à l’édification d’un cadre protecteur pour ces nouveaux travailleurs.

Cette ordonnance crée l’Autorité des relations sociales des plateformes d’emploi, un nouvel établissement public chargé de réguler les relations sociales entre plateformes et travailleurs indépendants. Elle prévoit également une élection nationale, à tour unique et par vote électronique, organisée afin de permettre aux travailleurs indépendants de désigner les organisations qui les représenteront. Ce scrutin aura lieu du 9 au 16 mai prochain. C’est un premier pas historique.

À l’article 1er, la commission mixte paritaire a jugé préférable de ne pas imposer aux travailleurs qui exercent une activité de conduite de VTC et de livraison de marchandises de choisir un secteur plutôt qu’un autre pour exercer leur droit de vote. Elle a estimé que cette solution présentait le risque de complexifier l’organisation des élections.

L’accord recentre par ailleurs la mission de l’Autorité des relations sociales des plateformes d’emploi sur la régulation du dialogue social, plutôt que sur celle des relations sociales.

Nous nous félicitons également qu’ait été réintroduit et affiné dans le texte le rôle de médiation de l’ARPE entre les plateformes et les représentants des travailleurs. Cette Autorité se voit également confier une mission d’expertise, d’analyse et de proposition concernant l’activité des plateformes et des travailleurs.

Conformément à la volonté du Sénat, qui jugeait ces dispositions prématurées, la commission a supprimé à l’article 2 les éléments de l’habilitation relatifs à l’organisation d’un dialogue social à l’échelon des plateformes pour ne conserver qu’un dialogue social de secteur.

Le Sénat et l’Assemblée nationale, attachés à encadrer davantage les futures dispositions relatives au champ de la négociation collective à l’échelle des secteurs, se sont par ailleurs entendus pour que l’habilitation définisse plus précisément les thèmes et la périodicité de cette négociation, sans qu’il soit nécessaire de conserver l’article 3.

Enfin, le texte soumis à notre approbation porte de six à neuf mois la durée de l’habilitation.

Mes chers collègues, il était crucial de finaliser le cadre de ce dialogue social au début de l’année 2022, afin que les premières élections des représentants des travailleurs des plateformes puissent avoir lieu dans les meilleures conditions.

Considérant le travail accompli par nos deux chambres, mais également le fait que ce projet de loi de ratification et d’habilitation est une étape indispensable, notre groupe votera les conclusions de la commission mixte paritaire. (M. Didier Rambaud applaudit.)