Mme la présidente. La parole est à M. Emmanuel Capus, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (M. Jean-Pierre Decool applaudit.)

M. Emmanuel Capus. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en 2017, le verbe « ubériser » faisait son entrée dans nos dictionnaires, avec la définition suivante : « Déstabiliser et transformer, avec un modèle économique innovant tirant parti des nouvelles technologies ». Depuis bien des années désormais, nous pouvons observer les conséquences de l’ubérisation de notre société.

Au départ, nous avons suivi la montée en puissance des VTC et le développement des premières applications. Depuis lors, les plateformes numériques se sont saisies de la livraison dans le domaine de la restauration. Elles connaissent un essor impressionnant depuis 2020 et le début de la pandémie que nous vivons toujours.

Toutefois, les transports et la nourriture ne sont pas les seuls secteurs économiques atteints par ce que l’on appelle « la plateformisation » du travail. Tous les jours fleurissent de nouveaux services. Il est donc juste de trouver un cadre juridique et social à la hauteur des enjeux, présents et à venir.

Notre économie évolue, certes, mais tout comme le marché de l’emploi. Ce n’est pas un secret : les entreprises peinent à recruter. Dans certains secteurs, c’est même dramatique.

En première lecture, nous avons déjà évoqué l’hétérogénéité des situations face à l’emploi, la différence entre l’emploi et l’activité, mais aussi la flexibilité que proposent les plateformes numériques, laquelle sous-tend le développement de ces nouvelles pratiques. Ces opportunités économiques correspondent aux évolutions de la société et aux nouvelles habitudes de vie.

Cependant, les risques de dérives existent ; ils sont même évidents. Il est donc impératif de créer des mécanismes de protection des travailleurs qui utilisent ces plateformes, qu’ils soient indépendants ou non. Un équilibre reste à trouver.

Ce projet de loi a le mérite de nous permettre d’aborder ce sujet majeur pour notre société et de nous interroger sur la meilleure façon de protéger les travailleurs indépendants.

Ce sujet est mondial. La Commission européenne a d’ailleurs publié le 9 décembre dernier une proposition de directive pour améliorer les conditions de travail des personnes travaillant via une plateforme de travail numérique.

Des axes forts y sont défendus sur le droit du travail et la protection sociale. Deux points méritent à mon sens notre attention : le statut professionnel et la transparence sur la gestion des algorithmes. Nous surveillerons les négociations entre les institutions européennes. Il est important d’avoir un cadre européen solide.

Quand l’heure de la transposition de la directive sera venue, nous devrons être prêts à discuter de ces sujets. J’espère que, d’ici là, nous aurons mis à profit le temps de la négociation pour entamer une réflexion profonde. Il reste tant à faire pour que l’utilisation de ces plateformes soit synonyme de protection pour les travailleurs indépendants qui y ont recours.

J’en viens au texte lui-même, et je salue le travail effectué par les deux chambres du Parlement.

Bien sûr, l’amélioration proposée par le Sénat à l’article 1er, qui vise à confier à l’ARPE la mission de réguler le dialogue social entre les travailleurs indépendants et les plateformes de l’ARPE, va dans le bon sens et clarifie le texte.

À l’article 2, je me félicite que les membres de la CMP se soient entendus sur la réduction à neuf mois du délai autorisant le Gouvernement à légiférer par ordonnances. C’est un bon compromis, qui permettra une action rapide, même si, comme beaucoup ici, je regrette le choix de légiférer par voie d’ordonnances. J’aurais préféré que nous débattions plus longuement de ce sujet. Le Parlement a tout de même précisé et encadré certaines parties de l’habilitation.

Enfin, la suppression de l’article 3 adopté au Sénat est le signe que nous devons encore approfondir notre réflexion et notre travail.

Il est important d’apporter de la flexibilité au cadre que nous souhaitons mettre en place, car il doit pouvoir s’adapter aux évolutions encore nombreuses qui vont se matérialiser. De même, il est important de protéger les travailleurs indépendants en leur permettant d’avoir un dialogue et une relation équilibrés avec les plateformes, afin qu’ils puissent défendre leurs intérêts et obtenir des garanties collectives en fonction des secteurs.

Il faut aussi permettre la flexibilité que proposent ces plateformes numériques, tout en l’encadrant sérieusement pour éviter les abus.

Le travail qu’il nous reste à accomplir est donc immense, mais les premiers jalons sont posés, cela a été dit à plusieurs reprises. Pour cette raison, le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera les conclusions de la CMP. (MM. Jean-Pierre Decool et Marc Laménie applaudissent.)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire dÉtat. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai écouté vos remarques sur le projet de directive européenne. Le Gouvernement se félicite des avancées de la Commission européenne, qui visent elles aussi à renforcer les droits des travailleurs des plateformes, s’agissant notamment du management algorithmique, qui vient de nouveau d’être évoqué. Je vois que cette question tient à cœur à cette assemblée, comme du reste à l’Assemblée nationale.

Pour ma part, je suis convaincu que ces deux textes sont complémentaires. Ainsi, le projet de directive européenne fait place, lui aussi, à la négociation collective entre les plateformes et les travailleurs indépendants. Par ailleurs, cette directive prévoit la possibilité pour ces acteurs de conclure des accords.

Il y a donc bien une dynamique entre ces deux textes, celui que nous portons ici et celui de la Commission européenne, tous deux ayant les mêmes lignes directrices et visant à instaurer un dialogue social innovant.

Sur le fond, il est vrai que nous faisons face à des évolutions de la société – plusieurs d’entre vous l’ont dit – et à de nouvelles formes d’activités et d’emplois. Les aspirations à une forme de protection sociale sont légitimes, mais les aspirations à l’indépendance aussi. Ceux qui ont choisi cette forme d’activité souhaitent pouvoir s’organiser comme ils l’entendent.

Je pense que, avec ce texte et l’Autorité qu’il instaure, l’ARPE, nous innovons d’un point de vue social. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe CRCE.) Tous ceux qui, aujourd’hui, ne bénéficient pas d’une protection sociale, en auront désormais une. Ils pourront prendre en mains leur destin, puisqu’ils seront représentés dans le dialogue avec les plateformes.

Pour conclure, madame la présidente, je tiens à remercier Mme le rapporteur, comme nombre d’entre vous l’ont déjà fait.

Ayant moi-même été dans une vie précédente rapporteur de l’Assemblée nationale pour des commissions mixtes paritaires, je sais quel travail cela représente de parvenir à un accord. Le travail ici a été bien fait et je vous en remercie, madame le rapporteur.

Mme la présidente. Conformément à l’article 42, alinéa 12, du règlement, je mets aux voix, dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, l’ensemble du projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2021-484 du 21 avril 2021 relative aux modalités de représentation des travailleurs indépendants recourant pour leur activité aux plateformes et aux conditions d’exercice de cette représentation et portant habilitation du Gouvernement à compléter par ordonnance les règles organisant le dialogue social avec les plateformes.

J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 91 :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 343
Pour l’adoption 252
Contre 91

Le Sénat a adopté.

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures trente-cinq, est reprise à dix-sept heures quarante.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : projet de loi ratifiant l'ordonnance n° 2021-484 du 21 avril 2021 relative aux modalités de représentation des travailleurs indépendants recourant pour leur activité aux plateformes et aux conditions d'exercice de cette représentation et portant habilitation du Gouvernement à compléter par ordonnance les règles organisant le dialogue social avec les plateformes
 

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Dossier législatif : proposition de loi pour un accès plus juste, plus simple et plus transparent au marché de l'assurance emprunteur
Discussion générale (suite)

Marché de l’assurance emprunteur

Adoption en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, pour un accès plus juste, plus simple et plus transparent au marché de l’assurance emprunteur (proposition n° 225, texte de la commission n° 368, rapport n° 367, avis n° 362).

Candidatures à une éventuelle commission mixte paritaire

Mme la présidente. J’informe le Sénat que des candidatures pour siéger au sein de l’éventuelle commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de cette proposition de loi ont été publiées.

Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévue par notre règlement.

Discussion générale

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi pour un accès plus juste, plus simple et plus transparent au marché de l'assurance emprunteur
Demande de réserve

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Baptiste Lemoyne, ministre délégué auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargé du tourisme, des Français de létranger et de la francophonie, et auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance, chargé des petites et moyennes entreprises. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, nous voici réunis pour examiner la proposition de loi pour un accès plus juste, plus simple et plus transparent au marché de l’assurance emprunteur, laquelle a été adoptée à l’unanimité à l’Assemblée nationale, car elle offrira à nos compatriotes un véritable gain en matière de pouvoir d’achat.

La proposition de loi, telle qu’elle a été déposée, puis enrichie à l’Assemblée nationale, répond à deux objectifs essentiels, que le Gouvernement soutient.

D’une part, elle vise à garantir un libre choix aux Français et à leur permettre de changer à tout moment d’assurance, afin qu’ils bénéficient des meilleures garanties au meilleur tarif. Aujourd’hui, seuls 12 % des assurés sont couverts par un autre assureur que celui de leur banque prêteuse. Ce taux est parlant !

D’autre part, cette proposition de loi vise à réduire les discriminations d’accès des personnes atteintes ou ayant été atteintes d’une maladie de longue durée. C’est une question de justice sociale au regard des enjeux d’accès à la propriété.

Le marché de l’assurance emprunteur compte entre 20 millions et 25 millions de contrats actifs. Au cours de la dernière décennie, le législateur s’est penché à plusieurs reprises sur le sujet, afin que l’assurance emprunteur protège les assurés à un coût compétitif.

Les réformes qui se sont succédé depuis 2010 ont permis des avancées significatives. Le marché de l’assurance emprunteur pour le crédit immobilier s’est progressivement ouvert à la concurrence.

Je rappelle que, avant 2010, chacun devait adhérer au contrat de groupe qui pouvait lui être imposé par sa banque. Les emprunteurs ont depuis lors la possibilité de retenir l’assureur de leur choix, et ce choix n’est plus irrévocable. De plus, la possibilité de résilier son contrat est possible à tout moment jusqu’à douze mois après la signature de l’offre de prêt, puis à chaque échéance annuelle.

Ces réformes ont facilité le changement d’emprunteur et ont déjà offert des bénéfices substantiels aux consommateurs. Un bilan des précédentes réformes met en évidence un renforcement de la concurrence et ainsi une baisse de la tarification des contrats d’assurance emprunteur pour le plus grand nombre. Les chiffres sont là aussi éloquents : le Comité consultatif du secteur financier (CCSF) fait état d’une baisse tarifaire de 20 % à 41 % pour tous les assurés depuis 2010.

Nous ne pouvons que nous en féliciter. Nous devons toutefois améliorer encore le dynamisme de ce marché et la protection du consommateur, au bénéfice de tous.

De nombreux acteurs, dont les associations de consommateurs, se font l’écho de difficultés concrètes rencontrées par nos concitoyens pour substituer le contrat proposé par la banque par un contrat alternatif, au travers d’une délégation d’assurance.

La possibilité de changer à tout moment son contrat d’assurance, qui, je le rappelle, fut soutenue par tous à l’Assemblée nationale, s’inscrit dans le prolongement de réformes précédentes et constitue l’aboutissement cohérent d’une tendance de fond, poursuivie indépendamment des majorités.

Lors des dernières discussions, le Gouvernement avait rappelé la nécessité de traiter le sujet de la résiliation infra-annuelle de manière consensuelle au sein du CCSF, et je regrette qu’aucun consensus de place n’ait émergé.

Cette proposition de loi vient à point nommé. Elle est juste et protectrice du pouvoir d’achat des Français, un sujet qui est à l’ordre du jour. Comme nous l’avons fait dans d’autres domaines, nous entendons être au rendez-vous des attentes.

Le Gouvernement soutient donc les mesures permettant de rendre le dispositif de résiliation pleinement opérationnel : la transparence des décisions de refus de substitution d’assurance, la meilleure information des assurés, l’introduction d’un délai de production de l’avenant au contrat de crédit lors d’une substitution d’assurance, ou encore le renforcement des sanctions administratives à l’encontre des prêteurs et des assureurs aux pratiques dilatoires. Tout cela permettra de rapprocher le régime de ce type d’assurance de celui qui régit les autres contrats, comme les assurances auto et habitation, ou les complémentaires de santé.

J’évoquais le pouvoir d’achat ; pour un primo-accédant ayant emprunté, en moyenne, 234 000 euros à l’âge de 35 ans sur vingt-cinq ans, une telle mesure pourrait faire économiser sur la durée de son prêt entre 3 500 et 4 000 euros. Ce n’est pas rien.

Veillons à ce que cette mesure profite au plus grand nombre, sans porter atteinte aux mécanismes de mutualisation et de solidarité existant, au soutien des assurés les plus fragiles.

Le Gouvernement veille enfin, tout particulièrement, à l’effectivité de ces réformes menées au bénéfice de nos concitoyens. Il sera nécessaire de prévoir un bilan de la mise en œuvre de la résiliation infra-annuelle, par exemple un an ou deux ans après l’entrée en vigueur de la mesure.

J’ai naturellement examiné de près les travaux de la commission et je m’interroge : pourquoi avoir vidé de sa substance cette avancée ? En effet, mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez supprimé la possibilité de changer à tout moment de contrat d’assurance, alors même que vos collègues députés du groupe Les Républicains y étaient favorables.

M. Jean-François Husson. Il arrive aussi au Gouvernement de changer d’avis !

M. Jean-Baptiste Lemoyne, ministre délégué. Un certain nombre de candidats à l’élection primaire des Républicains portaient d’ailleurs cette mesure de bon sens, qui ne coûtera pas un seul euro à l’État.

M. Jean-François Husson. Respectez la démocratie représentative, monsieur le ministre !

M. Jean-Baptiste Lemoyne, ministre délégué. On crée du pouvoir d’achat et on ne crame même pas la caisse ! (Sourires sur les travées du groupe RDPI.) Ce n’est donc que du bénéfice.

Nous revendiquons d’ailleurs d’avoir…

M. Jean-François Husson. Cramé la caisse ? (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-Baptiste Lemoyne, ministre délégué. … investi intelligemment, pour soutenir les emplois dans ce secteur affecté par la crise pandémique.

Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. On s’éloigne de la proposition de loi…

M. Jean-Baptiste Lemoyne, ministre délégué. La question est donc, non pas de savoir quel bord politique l’emporte dans ces débats, mais bien de faire en sorte que les consommateurs soient gagnants.

L’accession à la propriété représente beaucoup pour nos concitoyens ; elle est souvent l’objectif d’une vie et elle repose essentiellement sur le crédit immobilier, lequel est conditionné à la souscription d’une assurance emprunteur, qui elle-même peut parfois représenter parfois jusqu’à 30 % du coût total du crédit. C’est pourquoi il nous semble important de maintenir la rédaction initiale de la proposition de loi sur ce premier volet.

Le second pilier du texte est aussi très important. Il s’agit de permettre aux personnes en situation de risque aggravé de santé en raison d’une maladie ou d’un handicap de continuer à avoir accès à l’assurance emprunteur, donc à la propriété.

Je remercie, à ce titre, les parties prenantes de la convention Aeras (S’assurer et emprunter avec un risque aggravé de santé). Cette convention, signée par les pouvoirs publics, les fédérations professionnelles de la banque, de l’assurance et de la mutualité et les associations de malades et de consommateurs, a pour objet d’élargir l’accès à l’assurance et à l’emprunt des personnes ayant ou ayant eu un problème de santé.

Leurs travaux ont permis de grandes avancées en 1991, en 2001, en 2007, en 2015, puis en 2016. Les dispositifs ont été régulièrement adaptés. Ainsi, le droit à l’oubli a été gravé dans le marbre en 2016, à l’occasion de la loi de modernisation de notre système de santé. La grille de référence Aeras offre également des possibilités plus larges d’accéder à l’assurance de prêts.

Ce cadre conventionnel est essentiel pour favoriser l’accès à l’assurance des plus fragiles, afin que les candidats à l’emprunt ne subissent pas une double peine, avec des refus, des exclusions de garanties et des surprimes importantes pour raisons de santé.

Il repose non sur l’occultation des situations personnelles, mais sur l’encadrement des pratiques à l’égard des plus fragiles. C’est le seul moyen efficace de garantir que les assureurs continuent d’assurer les plus fragiles dans des conditions raisonnables.

À l’inverse, supprimer le questionnaire, comme cela a été proposé à la majorité par la commission, risquerait d’entraîner, nous semble-t-il, un renchérissement massif des tarifs…

M. Jean-Baptiste Lemoyne, ministre délégué. … et une suppression de la concurrence, car plus aucun assureur alternatif n’aurait de connaissance de ses assurés.

Méfions-nous des solutions de facilité qui sont séduisantes à première vue, mais qui sont susceptibles d’emporter l’effet inverse de celui que l’on recherche.

Nous avons opté depuis trente ans, toutes majorités confondues, pour un modèle qui repose sur la protection des plus vulnérables, en encadrant les pratiques et en intégrant tous les acteurs – banques, assureurs, associations – dans une convention de place. La collégialité des décisions relatives à l’évolution de la grille de référence Aeras et au dispositif du droit à l’oubli est indispensable. Ce modèle est d’ailleurs copié en Europe par d’autres États, que la France a inspirés.

Nous proposons aujourd’hui de renforcer encore ce régime ; la proposition de loi vise ainsi, notamment, à réduire autant que possible la durée de droit à l’oubli des anciens malades d’un cancer, qui est aujourd’hui de dix ans, et à augmenter le montant du plafond jusqu’auquel les modalités d’assurance des personnes malades sont encadrées, pour mieux les protéger. Nous visons ainsi 500 000 euros, au lieu de 320 000 euros aujourd’hui.

Vous l’avez compris, le Gouvernement soutient donc un retour à la résiliation infra-annuelle, ainsi qu’à l’ancienne rédaction de l’article 7 relatif à l’accès à l’assurance des plus fragiles, le tout au bénéfice de nos concitoyens, pour lesquels l’accession à la propriété constitue un droit essentiel.

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Daniel Gremillet, rapporteur de la commission des affaires économiques. Madame la présidente, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, avant de vous présenter les travaux de la commission, je souhaite démentir un certain nombre de fausses informations, qui circulent dans le débat public, mais aussi en ce moment même dans l’hémicycle, au sujet de cette proposition de loi, et qui caricaturent inutilement les positions des uns et des autres.

Nous entendons souvent, par exemple, que cette proposition de loi permettrait enfin d’ouvrir à la concurrence ce marché, comme si elle allait le faire passer de l’ombre à la lumière, comme si ce marché était aujourd’hui fermé, comme si tout ce qu’avait voté le Sénat jusqu’à présent n’avait jamais existé.

Or c’est tout à fait faux. La concurrence existe déjà sur ce marché, et elle fonctionne bien. J’en veux pour preuve les conclusions du rapport du CCSF de 2020. Tout le monde s’inspire de ce travail, adopté par consensus entre les associations de consommateurs, les assurances et les banques, mais visiblement très peu de gens l’ont lu, ou alors ils l’ont fait en portant des verres déformants.

Permettez-moi de vous en citer plusieurs extraits.

Premièrement, « la part de contrats alternatifs dans les ventes d’assurance emprunteur progresse régulièrement pour atteindre 25,5 % de la production annuelle ». En trois ans, les contrats alternatifs nés grâce à la concurrence se taillent donc déjà une part de marché de plus d’un quart du flux.

Deuxièmement, « les acteurs non bancaires de la délégation/substitution d’assurance – c’est-à-dire les assureurs alternatifs – ont connu une croissance de leur production en nombre de contrats – +46 % pour les assureurs et grossistes et +6 % pour les intermédiaires d’assurance –, à l’inverse des banques et bancassureurs, dont la production a reculé de 13 % environ ». Par conséquent, non seulement la concurrence fonctionne déjà, mais elle s’accélère !

Troisièmement, « l’un des effets majeurs des réformes et du développement de la concurrence observé sur le marché, au-delà de la multiplication des acteurs, est la baisse du prix de l’assurance emprunteur. » Au total, la baisse des tarifs a atteint 40 % depuis trois ans.

Mes chers collègues, des prix qui sont presque divisés par deux, 50 % de croissance pour les assureurs alternatifs et une part de marché d’un quart des nouveaux contrats : il me semble que nous sommes justement parvenus à instaurer une concurrence vertueuse sur ce marché, et nous pouvons en être fiers, car l’étape clé a été l’adoption de l’amendement Bourquin au Sénat.

Je souhaite d’ailleurs mettre fin, dès maintenant, à une présentation tout à fait trompeuse d’un chiffre déterminant, qui fait beaucoup parler de lui. On entend souvent dire que les bancassureurs ont conservé une part de marché de 85 %, ce qui apporterait la preuve que la concurrence ne fonctionnerait pas.

Or ce chiffre dit exactement l’inverse : les banques ont conservé 85 % du marché parce qu’elles ont baissé les tarifs sous la pression des concurrents dont nous avons permis l’entrée sur le marché ; elles ont conservé cette part de marché, car, face à cette pression, elles ont créé de nouveaux types de contrats, plus individualisés, notamment pour les profils sans risque. C’est très exactement ce que l’on attend de la concurrence.

En effet, le but de la concurrence n’est pas que tout le monde quitte Apple pour acheter chez Samsung, par exemple, mais que chacun ait le droit de le faire. Charge à Apple, ensuite, de rester attractif pour ses clients.

Le même raisonnement vaut ici. Il faut donc bien voir dans ce chiffre de 85 % la traduction concrète du succès de la concurrence. Les banques ont perdu des clients, mais elles en ont conservé d’autres, car elles n’ont eu d’autre choix que de baisser leurs tarifs.

Enfin, avant de vous présenter nos travaux, je souhaite revenir sur une autre fausse information qui circule : non, la résiliation à tout moment ne permettra pas de rendre entre 5 000 euros et 15 000 euros aux consommateurs.

M. Jean-Baptiste Lemoyne, ministre délégué. J’ai dit : « Jusqu’à 4 000 euros » !

M. Daniel Gremillet, rapporteur. Non, monsieur le ministre, elle ne permettra pas 550 millions d’euros d’économies par an. Ces chiffres sont considérablement surévalués, gonflés artificiellement pour impressionner, mais ils sont faux. Soit leurs hypothèses sous-jacentes ne sont jamais explicitées, soit il s’agit de configurations très rares.

Monsieur le ministre délégué, quels sont les vrais chiffres ? La direction générale du Trésor, qui relève du ministère de l’économie et qui soutient la proposition de loi, estime que le gain est en moyenne de 1 300 euros sur dix ans. Ce n’est pas rien, mais cela n’a strictement rien à voir avec les montants que certains martèlent dans le débat public, sans aucun fondement.

La question est la suivante : cette mesure va-t-elle entraîner des gains de pouvoir d’achat, tout en étant sans risque ? La réponse que nos deux commissions ont apportée est la suivante : tout porte à croire qu’elle n’aura quasiment pas d’effet positif, mais qu’elle comporte des risques majeurs que nous devons à tout prix éviter, car le jeu n’en vaut pas la chandelle. Je le répète, il ne faut pas croire aux économies de centaines de millions d’euros qui sont brandies pour impressionner.

Mes chers collègues, j’en conviens, la résiliation à tout moment est un concept qui a l’air séduisant, qui a l’apparence du bon sens, mais nos deux commissions, après des travaux poussés, ont constaté qu’il n’en était en réalité rien.

Nous considérons en effet que les avantages de cette mesure sont très faibles. Les assurés peuvent déjà résilier une fois par an, et les profils que cela intéresse l’ont déjà fait. Pour ceux qui ne l’ont pas fait, le problème ne réside pas dans ce délai de deux mois à respecter. Ils ne l’ont pas fait, car leur banquier leur a fait une contre-offre alléchante, car ils ne souhaitent pas le faire, ou encore, car ils ignorent qu’ils en ont le droit.

Résilier sur douze mois au lieu de deux ne va pas soudainement libérer des millions de gens : cela fait trois ans que ceux-ci ne sont plus prisonniers et que les profils sans risque qui font des économies en résiliant sont souvent des cadres, qui sont au courant de leurs droits et qui n’ont pas besoin de la loi pour savoir qu’ils peuvent partir.

Soit vous bénéficiez de la résiliation, et cette loi ne change rien pour vous ; soit vous gagnez en résiliant, et cette loi est donc inutile.

Si une mesure ne présente pas d’avantage, pourquoi ne pas tenter l’essai et la voter tout de même, me direz-vous ? Parce que, en revanche, elle comporte de sérieux risques, qui sont très inquiétants.

Les tarifs des plus de 55 ans ont déjà augmenté jusqu’à 33 % en trois ans. C’est peut-être cynique, mais c’est ainsi que cela se passe : les banques anticipent le flux et compensent leurs marges en exigeant des tarifs plus élevés sur tous ceux qui ne peuvent pas jouir de la concurrence, c’est-à-dire les profils au-delà de 45 ans ou de 50 ans, ou les publics fragiles, ou les ouvriers, les employés, etc. C’est cela qui est passé sous silence dans le débat public. Personne n’en parle, alors qu’il s’agit d’un fait majeur.

S’il n’y avait pas de concurrence sur le marché, je vous proposerais évidemment de voter la mesure, mais comme nous avons atteint un équilibre satisfaisant, qui fonctionne, il me semble qu’il ne faut surtout pas le fragiliser pour rien. Les gains sont minimes, voire inexistants, mais les risques sont certains et déjà observables.

Nous avons donc préféré conserver l’équilibre actuel et renforcer grandement les obligations d’information des prêteurs et des assureurs. Votre rédaction ne prévoit en effet aucune mesure de ce type, monsieur le ministre délégué. Quel est l’intérêt de pouvoir résilier à tout moment si vous ne le dites pas ? Nous proposons d’informer, de mettre en place un cadre bien établi pour permettre aux assurés de prendre leur décision tous les ans.

Un autre point nous pose problème. Nous n’oublions pas, monsieur le ministre, que votre gouvernement, il y a à peine un an – j’étais déjà rapporteur –, employait à l’Assemblée nationale les mêmes mots que moi pour refuser cette mesure.