Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Elisabeth Moreno, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée de légalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de légalité des chances. Monsieur le sénateur Arnaud, je voudrais tout d’abord vous remercier de votre implication : si les femmes s’engagent naturellement sur ces questions, nous avons besoin que les hommes les prennent eux aussi à bras-le-corps – vous avez raison de le dire. Ce n’est qu’ensemble que nous pourrons éradiquer ce fléau.

Le budget du ministère de la justice, que vous avez mentionné, augmente de 8 % en 2022, ce qui n’était pas arrivé depuis des années. Grâce à cette hausse, qui profite tout particulièrement au traitement des sujets qui nous occupent aujourd’hui, nous pourrons donner aux magistrats les moyens financiers et humains supplémentaires qu’ils réclament pour répondre à l’afflux des demandes. J’étais hier à Nancy pour signer une convention avec le procureur de la République, qui a souligné combien cette question des moyens était importante. Le garde des sceaux s’en est emparé de manière tout à fait volontariste.

L’aide apportée aux associations qui travaillent avec le ministère de la justice, comme France victimes, qui mène une action remarquable, est passée de 6,9 millions d’euros en 2021 à 12,2 millions d’euros cette année. Le budget accordé à ces questions au sein du ministère de la justice est donc en très forte progression, même si ce n’est pas encore suffisant.

Je note également que les mentalités changent dans tous les ministères avec lesquels je travaille aujourd’hui, intérieur et justice notamment : tous s’accordent pour avancer.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Michel Arnaud, pour la réplique.

M. Jean-Michel Arnaud. Il n’en demeure pas moins, en dépit des moyens mis en œuvre, que la médecine légale, dans un département comme le mien, n’est toujours pas mobilisée.

Je tiens enfin à souligner que, dans un département couvrant 5 500 kilomètres carrés, il est quasiment impossible d’assurer, à partir de la seule préfecture – Gap, en l’occurrence –, des permanences de proximité ou une écoute de proximité attentive. Un travail de répartition territoriale est donc à entreprendre à l’intérieur même des départements afin qu’aucune femme vivant en milieu rural ne reste isolée face à la violence dont elle peut être victime.

Mme la présidente. La parole est à Mme Elsa Schalck. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Elsa Schalck. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, les violences faites aux femmes constituent un véritable fléau.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : ils sont tout simplement effrayants et insupportables. Ils traduisent autant de désastres humains, détruisant familles et enfants.

Les violences faites aux femmes ont fait progressivement l’objet d’une prise de conscience collective dans notre société. Les évolutions législatives, les mouvements comme #MeToo, la médiatisation d’un sujet passé trop souvent sous silence, ainsi que le fort engagement de nombreux acteurs, ont permis une libération de la parole.

Mais cette parole reste fragile. Elle doit être davantage encouragée et accompagnée pour que l’insoutenable soit dénoncé et l’inacceptable lourdement sanctionné, pour que l’impardonnable, enfin, ne se reproduise plus.

Le Grenelle des violences conjugales aura permis d’accentuer les partenariats entre les différents réseaux. C’est une bonne chose, mais il nous faut agir beaucoup plus fort. Tant qu’il y aura une femme victime de violences, il nous faudra être à ses côtés.

Le débat de ce jour est nécessaire, car nous sommes au milieu du gué. Les outils se sont certes multipliés avec la création des bracelets anti-rapprochement ou des téléphones grave danger, mais les acteurs de terrain – associations, justice, police, gendarmerie et collectivités territoriales, dont je tiens à saluer ici le total engagement – continuent de nous faire part de nombreuses difficultés.

Il ne suffit pas de cocher la case « réalisé » pour affirmer que l’objectif du Grenelle est atteint. La communication du Gouvernement ne saurait masquer une réalité où se font jour encore de trop nombreux besoins.

Le premier des besoins est le suivant : renforcer et pérenniser les moyens financiers et humains, ceux notamment des associations. Lutter contre les violences conjugales nécessite d’agir vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept, et de pouvoir intervenir rapidement. Or les effectifs des intervenants sociaux restent insuffisants. Le Bas-Rhin, par exemple, département de 1,2 million d’habitants, ne compte que deux intervenants sociaux en gendarmerie ! C’est bien trop peu.

Deuxième besoin : une meilleure coordination des acteurs autour d’un pilote clairement identifié. Les délégués aux droits des femmes doivent notamment avoir les moyens de leur action, et les effectifs être à la hauteur des enjeux.

Sur le volet judiciaire, l’instauration d’une juridiction spécialisée permettant de regrouper les questions civiles et pénales me paraît particulièrement pertinente.

Troisième besoin : accentuer considérablement le volet prévention. C’est à mon sens, madame la ministre, l’un des maillons faibles du Grenelle. Les associations alertent sur le fait que de plus en plus de jeunes couples sont en proie aux violences. Où en sommes-nous sur ce sujet ? Sans éducation et sans prévention, le combat que nous menons tous contre les violences conjugales ne pourra être gagné.

Quatrième besoin : l’accompagnement des victimes. Indispensable, il doit être spécifique et adapté, tant les vécus des victimes peuvent être divers et difficiles.

Les femmes victimes de violences doivent souvent faire l’objet d’un accompagnement global, juridique, social, médical et psychologique, pour pouvoir sortir de cette spirale infernale.

Il nous faut également prendre en compte les réalités territoriales et mettre l’accent sur les solutions de proximité, afin de répondre par exemple aux problèmes de logement ou aux besoins de garde d’enfant pour les femmes qui doivent se rendre au tribunal.

Enfin, j’insisterai sur le rôle capital des élus locaux, qui sont souvent en première ligne, notamment dans les territoires ruraux. Ils ont besoin d’être davantage formés sur ces questions, en particulier pour pouvoir identifier les « signaux faibles ».

Madame la ministre, mes chers collègues, voilà très succinctement ce qui ressort des échanges que j’ai pu avoir avec divers acteurs du Bas-Rhin en préparant ce débat.

Sur le sujet si important et si complexe des violences faites aux femmes, nous n’en ferons jamais assez. Ce combat doit être permanent et collectif, à la hauteur de ce terrible fléau ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Elisabeth Moreno, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée de légalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de légalité des chances. Madame la présidente, avant toute chose, permettez-moi de vous remercier de votre patience. Ces débats suscitent tant de passion qu’il a pu nous arriver de dépasser le temps de parole qui nous était imparti.

Je vous remercie également, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, pour ces échanges très riches, et je salue l’inscription à l’ordre du jour de vos travaux de ce débat sur les violences conjugales et intrafamiliales.

Il y a des combats qui nécessitent de dépasser les clivages partisans, il y a des combats qui appellent à faire preuve d’autant de détermination que d’humilité, il y a des combats qui ne peuvent être instrumentalisés à des fins politiciennes : le combat contre les violences conjugales et intrafamiliales est de ceux-là.

Parce que ce fléau tue, parce que des vies humaines sont en jeu, j’ai l’intime conviction que nous devons faire preuve de la plus grande exemplarité. Nous le devons, tout d’abord, aux victimes. Nous le devons, ensuite, aux associations qui, depuis des années, dénoncent ces violences et travaillent sans relâche à y mettre un terme. Nous le devons aussi, de manière plus générale, à nos concitoyennes et à nos concitoyens.

Si le Gouvernement s’est investi comme jamais auparavant pour enrayer ce fléau, le travail législatif a été lui aussi extrêmement important et précieux ; je veux vous en remercier.

Bien sûr, des différends et des divergences de vues ont pu apparaître entre nous. Pour autant, in fine, nous pouvons être fiers d’avoir œuvré collectivement à toujours mieux protéger les victimes de violences dans notre pays. C’est là l’idée que je me fais de l’action publique, loin des polémiques stériles. Il importe que nous mettions notre énergie au service des victimes, qui en ont besoin. Je crois à la coconstruction et au débat entre le Parlement et le Gouvernement, entre la majorité et les oppositions. Tels sont les ingrédients clés pour atteindre nos objectifs.

Longtemps tues, longtemps ensevelies sous l’indifférence collective, cantonnées à la rubrique des faits divers, les violences conjugales et intrafamiliales sont à présent au cœur du débat public. La loi du silence s’est brisée. La passion qui s’est exprimée dans nos échanges cet après-midi témoigne de notre préoccupation accrue sur ce sujet ; c’est tant mieux !

Les vagues de libération de la parole, sur les réseaux sociaux notamment, le travail acharné des associations, que beaucoup d’entre vous ont souligné, et la mobilisation des élus ont produit leurs fruits : désormais, de plus en plus, les victimes parlent, et la société ouvre enfin les yeux.

Néanmoins, vous le savez, le chemin qui mène à l’éradication totale des violences faites aux femmes est long. Cette transformation culturelle est pourtant salutaire ; je voudrais, comme vous, pouvoir l’accélérer.

Parce que ces violences se nichent dans tous les interstices de notre société, parce qu’elles ignorent les frontières géographiques, sociales ou culturelles, les réponses à fournir pour les enrayer mobilisent une myriade d’intervenants différents : les forces de l’ordre, les professionnels de santé, les acteurs judiciaires, les travailleurs sociaux, les associations.

Oui, c’est bien là le premier pilier de la « grande cause » de ce quinquennat. Ce combat est un enjeu interministériel que le Président de la République et le Gouvernement ont érigé en grande priorité. Nous devrions tous saluer cette initiative, que beaucoup de mes homologues, dans d’autres pays, nous envient.

À ce propos, vous avez été nombreux à saluer le travail de l’Espagne, où je me suis rendue, au mois de juillet dernier, afin de rencontrer mon homologue et de comprendre ce qui avait été accompli dans ce pays. Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, cela fait quinze ans que l’Espagne se bat pour éradiquer le fléau des violences conjugales. Pourtant, la ministre Irene Montero me confiait qu’elle doit continuer de faire face à ce qu’elle appelle le « terrorisme familial ». Nous devons donc rester humbles.

Notre ambition reste forte et je m’y accroche, parce que j’y crois. Cette ambition, nous l’avons rendue concrète et réelle. Nous avons fait en sorte que le numéro national d’écoute et d’accompagnement, le 3919, soit désormais accessible vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept. Le budget alloué à mon ministère a été doublé. Nous avons démultiplié les bracelets anti-rapprochement, les téléphones grave danger, ainsi que les ordonnances de protection. Nous avons augmenté le nombre d’intervenants sociaux dans les commissariats et dans les gendarmeries. Le nombre de postes d’enquêteurs spécialisés dans les violences intrafamiliales sera multiplié par deux d’ici cinq ans.

Par ailleurs, une expérimentation est en cours pour que les victimes puissent aller déposer plainte chez des amis, à la mairie, dans une association, dans tous les lieux où elles se sentent suffisamment en sécurité pour le faire. Nous avons également mis en place, avec Olivier Véran, un dispositif de dépôt de plainte et de recueil de preuves sans dépôt de plainte auprès des femmes victimes de violences accueillies à l’hôpital.

Enfin, 30 centres de prise en charge des auteurs de violences ont été ouverts dans l’Hexagone et en outre-mer pour lutter contre la récidive.

Il s’agit là de mesures très concrètes, qui ont fait leurs preuves et sur lesquelles le Parlement s’est engagé.

Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, le combat pour éradiquer les violences faites aux femmes n’est pas un combat idéologique, c’est un combat culturel. Il s’agit d’un enjeu de civilisation, et nous avançons à grands pas. Si le nombre de féminicides a baissé depuis quinze ans, si les victimes se signalent aujourd’hui beaucoup plus qu’hier, ce combat n’est pas encore achevé pour autant. C’est pourquoi nous devons rester humbles et déterminés.

Oui, c’est vrai, il faut aller plus loin. Oui, c’est vrai, nous pouvons améliorer les dispositifs existants. Oui, c’est vrai, la tolérance zéro doit être de rigueur en cas de défaillances et de manquements. C’est pourquoi nous ne relâcherons pas nos efforts.

Mais les victimes ont aussi besoin de savoir qu’il n’y a pas de fatalité et que des vies sont sauvées tous les jours. Continuons de nous battre ensemble, et nous réussirons à enrayer ce fléau dans notre pays ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mmes Guylène Pantel et Laurence Rossignol ainsi que M. Jean-Michel Arnaud applaudissent également.)

Conclusion du débat

Mme la présidente. En conclusion de ce débat, la parole est à Mme Laurence Cohen, pour le groupe auteur de la demande.

Mme Laurence Cohen, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste. Madame la ministre, je vous remercie vivement d’avoir participé à ce débat et d’avoir pris le temps de répondre de manière argumentée à chacun des intervenants. Nos points d’accord sont nombreux ; sur d’autres points, nous divergeons. Il est en tout cas très agréable d’échanger avec un ou une ministre qui accepte, comme vous l’avez fait, de se prêter à ce jeu démocratique.

Je salue également tous mes collègues, issus de toutes les travées de notre hémicycle, pour leurs interventions extrêmement argumentées. Il me paraît très positif pour la démocratie que cette question fasse l’objet d’un tel consensus au sein de notre assemblée. Je m’en réjouis fortement, car c’est seulement de cette manière que nous pourrons faire avancer les choses. (Applaudissements sur toutes les travées. – Mme la ministre déléguée applaudit également.)

Certes, du chemin a été parcouru depuis la loi du 9 juillet 2010. Au cours de ces presque douze années, d’autres textes ont été élaborés, d’autres lois promulguées. Pour autant, comme plusieurs de mes collègues l’ont souligné, entre ce qui est écrit et ce qui est fait en réalité, l’écart est très important.

Dans mon département, le Val-de-Marne, une femme a été séquestrée et violée pendant plusieurs années par son ancien compagnon. De ce viol est née une petite fille, que la mère, parvenant à fuir cet enfer, a élevée seule. Sa plainte pour viol a été perdue, puis classée sans suite. Or un juge aux affaires familiales vient de la condamner pour non-représentation d’enfant en lui retirant la garde de sa fille, à présent âgée de 10 ans, pour la confier au géniteur-violeur. Comment un tel jugement peut-il être rendu aujourd’hui ? (Marques dindignation.)

M. Jean-Michel Arnaud. C’est inadmissible !

Mme Laurence Cohen. Certes, il importe de ne pas s’immiscer dans les affaires de la justice, mais cette décision est vraiment une honte. Voilà un exemple de ce que je souhaitais dénoncer !

Mme Laurence Rossignol. Il y a, hélas ! de nombreux exemples de ce genre…

Mme Laurence Cohen. Vous avez rappelé, madame la ministre, tout ce qui a été entrepris par ce gouvernement. Mais il reste beaucoup à faire. Le rapport du Groupe d’experts du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (Grevio) de 2019, extrêmement critique sur la France, met l’accent sur les améliorations qui seraient nécessaires pour que notre pays respecte la convention d’Istanbul, que nous avons ratifiée.

Y sont préconisées notamment la multiplication des places d’hébergement d’urgence destinées aux femmes victimes de violences – nous avons été nombreux à formuler cette demande aujourd’hui –, ainsi qu’une amélioration de la réponse pénale et un renforcement du suivi judiciaire des agresseurs, point extrêmement important.

Je citerai Françoise Héritier : « La violence n’est pas innée chez l’homme. Elle s’acquiert par l’éducation et la pratique sociale. »

Il est donc essentiel, madame la ministre – je sais que vous partagez cette analyse –, de développer une véritable culture de l’égalité et de promouvoir une éducation non sexiste dès le plus jeune âge, en mettant en place des enseignements obligatoires en partenariat avec les associations féministes.

Vous avez défendu les chiffres de votre ministère, dont le budget, dites-vous, a augmenté. Mais les différents arguments qui vous ont été présentés au cours du débat ont permis de faire état d’une réalité un peu plus contrastée… Pour faire face à la crise sanitaire, le Gouvernement a su trouver 400 milliards d’euros, preuve qu’il est possible de dégager des budgets lorsqu’on en a la volonté politique ! L’égalité entre les femmes est les hommes n’a-t-elle pas été déclarée grande cause nationale du quinquennat ?

C’est un triplement de votre budget qu’il faudrait, madame la ministre, pour atteindre le milliard d’euros que nous vous demandons et que les associations vous demandent. Vous pourriez ainsi utilement travailler à l’élaboration d’une loi-cadre, car il nous manque une vision globale.

Madame la ministre, mes chers collègues, pour débarrasser la société des violences faites aux femmes, le combat pour l’égalité – cela a été souligné – doit être mené sur tous les terrains, dans la sphère publique aussi bien que privée.

Comme l’a écrit l’universitaire Silvia Federici, « La tolérance institutionnelle de la violence domestique crée une culture de l’impunité qui contribue à normaliser la violence publique infligée aux femmes. » ; je partage ce point de vue. Ensemble, nous devons nous battre pour une société égalitaire et d’émancipation – c’est ce qui ressort de nos débats ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER, RDSE, UC et Les Républicains. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)

Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « Lutte contre les violences faites aux femmes et les féminicides : les moyens sont-ils à la hauteur ? »

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures treize, est reprise à dix-huit heures dix-sept.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

8

Évaluation de l’opportunité et de l’efficacité des aides versées au titre du plan de relance dans le cadre de la crise sanitaire

Débat organisé à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, sur l’évaluation de l’opportunité et de l’efficacité des aides versées au titre du plan de relance dans le cadre de la crise sanitaire.

Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses, dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.

Je rappelle que l’auteur de la demande dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.

À l’issue du débat, l’auteur de la demande disposera d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.

Dans le débat, la parole est à M. Christian Redon-Sarrazy, pour le groupe auteur de la demande.

M. Christian Redon-Sarrazy, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, j’interviens en remplacement de mon collègue Franck Montaugé, qui a malheureusement eu un empêchement aujourd’hui. Ce sont ses mots que je vais prononcer, mais je m’y associe totalement.

Dans un contexte plus que jamais problématique au regard des conditions de vie difficiles de nombre de nos concitoyens et de l’état très dégradé des comptes publics de notre pays, mon groupe vous propose de débattre de l’opportunité et de l’efficacité des aides versées au titre du plan de relance.

Je prendrai pour exergue cette maxime de René Char, écrite au cœur de la Résistance, entre 1943 et 1944 : « Ne t’attarde pas à l’ornière des résultats. ».

Les États occidentaux ont tiré les leçons de la crise de 2008 en prenant dès 2020 les initiatives qui étaient indispensables au sauvetage immédiat de leurs économies.

Les crédits d’urgence et de relance ont globalement rempli leur rôle. Les niveaux d’activité, dans l’industrie notamment, ont retrouvé un niveau proche de l’avant-crise, la trésorerie des entreprises a été relativement préservée grâce aux prêts garantis par l’État (PGE) et l’impact sur l’emploi a été limité via les aides au chômage partiel.

Pour autant, nous ne disposons à ce jour, pour tout bilan, que du rapport d’avril 2021 du comité d’évaluation du plan France Relance, ou comité Cœuré, qui nous livre une évaluation très prudente de l’efficacité de l’action publique de relance.

La croissance de l’année 2021 doit être relativisée au regard du niveau du PIB, qui reste inférieur à celui de l’année 2019, et plus encore à l’aune du déficit du commerce extérieur français qui, quant à lui, est bel et bien historique, mais au détriment du pays ! Notre compétitivité s’est dégradée davantage que celle de nos voisins, c’est indiscutable !

Or la qualité de la relance ne peut être mesurée, comme on l’entend trop souvent, à la seule vitesse de consommation des crédits.

Le comité d’évaluation du plan France Relance relève, par exemple, que les objectifs de moyen terme affichés, comme la transformation de l’industrie et la décarbonation, sont passés au second plan. Des projets sans lien avec ces objectifs ont été financés. Il faut aussi noter que les enveloppes territoriales et nationales ont été instruites sans coordination nationale des critères d’examen ; cela a conduit à des incohérences. La territorialisation promise demeure inaboutie.

Par ailleurs, s’il est plutôt de bon augure que les entreprises se soient saisies des dispositifs de relance, il faudra faire attention au « trou d’air » pour 2022 !

En définitive, malgré la reprise relative et l’« ultracommunication » du Gouvernement pour qui, en gros, « tout va bien », l’économie française reste dans une situation difficile. Permettez-moi de mettre l’accent sur trois des grands défis qu’il nous faudra relever.

Premièrement, deux secteurs prépondérants de notre industrie sont toujours en berne : l’automobile et l’aéronautique.

Concernant l’aéronautique, la demande reste réduite et l’avenir est incertain. Concernant l’automobile, en sus de l’impérieuse et très complexe obligation de transformation de la chaîne de valeur liée à l’essor du moteur électrique, une crise d’offre a pris le relais de la pandémie, notamment en raison des pénuries d’intrants essentiels, comme les semi-conducteurs, qui empêchent de retrouver un rythme de croisière. Résultat, 40 % des entreprises françaises connaissent aujourd’hui des difficultés d’offre.

Le Gouvernement nous dira, je l’espère, comment il entend réduire notre dépendance aux importations ainsi que la vulnérabilité de nos capacités de production.

Deuxièmement, la flambée des prix de l’énergie affecte les ménages comme les entreprises. Le Gouvernement procrastine en remettant en question rien moins que le devenir du groupe EDF. Quelle drôle d’ambition – est-elle même avouable ? – que d’affaiblir l’une des plus grandes entreprises françaises, à laquelle nous devons, depuis plus de 75 ans, une part importante de notre compétitivité ! Il s’agit, en quelque sorte, d’une relance à l’envers…

M. Olivier Jacquin. Absolument !

M. Christian Redon-Sarrazy. Les conséquences de la crise que nous traversons seront comparables à celles des chocs pétroliers de 1973 et de 1979. Quelle est la vision le Gouvernement ? En a-t-il seulement une ?

Troisièmement, la filière industrielle connaît toujours d’importantes difficultés de recrutement : 80 000 postes seraient à pourvoir et 44 % des entreprises déclarent peiner à trouver des employés. Bien que les embauches aient repris, le contexte reste tendu et pourrait contraindre encore la reprise. Quelle politique de revalorisation salariale entendez-vous impulser ? Comment allez-vous procéder ?

À ces défis, le Gouvernement répond par un retour à l’ordinaire, comme si la reprise était acquise.

Pas de budgets supplémentaires, en 2022, pour mettre en œuvre les contrats de filière, alors que ceux-ci ont un rôle clé à jouer !

Pas d’abondement ni de pérennisation des actions du plan de relance qui ont fait leurs preuves et répondent, même hors crise, à de vraies défaillances de marché !

Pas de crédits nouveaux non plus pour financer les actions menées au niveau territorial !

Je ne relève, par ailleurs, aucune politique prévisionnelle cohérente et concrète en matière de gestion de l’emploi et de reconversion des personnels, alors que les mutations sectorielles liées à la transition écologique entraînent des bouleversements profonds et des destructions de postes.

À la place de toutes ces actions, pourtant nécessaires, le Gouvernement nous présente un énième grand plan.

Depuis 2017, c’est donc le quatrième : deux programmes d’investissements d’avenir, PIA 3 et PIA 4, France Relance, et maintenant France 2030, pour un montant total de plus de 100 milliards d’euros, en grande partie débudgétisés, d’ailleurs. On n’attend même plus qu’un programme soit épuisé ni même évalué pour lancer le suivant !

Ces divers plans sont ensuite librement reventilés, réorientés, redéployés, au gré des orientations budgétaires et du calendrier politique du moment.

La Cour des comptes ne cesse d’en souligner les défaillances, mais on continue : pourquoi se priver, en 2022, d’un nouveau chèque en blanc de 34 milliards d’euros, adopté par amendement à l’Assemblée nationale, sans aucune étude d’impact ?

Je note que huit des dix actions indicatives de France 2030 sont déjà traitées dans le PIA 4, annoncé voilà moins d’un an, et qui n’est pas encore déployé…

Ces choix traduisent au mieux un manque d’anticipation préoccupant, qui conduit à présenter chaque année de nouveaux plans plus gros encore, pour financer toujours les mêmes secteurs, au pire un mépris de la procédure budgétaire, qui permet au Gouvernement de se constituer une réserve de dépenses en période préélectorale. Notons, d’ailleurs, qu’une « révision » du plan France 2030 est prévue dès le mois de juin 2022…

Je ne retrouve pas dans tout cela l’ambition qui devrait être celle de notre pays. L’assouplissement des règles d’aides d’État et le montant colossal du plan de relance ne doivent pas faire tourner les têtes : il importe avant tout de se doter d’une vision stratégique en matière de réindustrialisation, loin des seules « relocalisations vitrines », en faisant un effort global de compétitivité.

Là aussi, il faut voir plus loin et peser sur les discussions au niveau européen pour que la France bénéficie d’un retour sur investissement de sa production nucléaire et, plus largement, de son mix énergétique. De la sorte, nous pourrions garantir pour notre pays une compétitivité « durable » – au sens du concept de « développement durable » – de notre industrie.

En tout état de cause, le comité d’évaluation du plan France Relance juge insuffisant l’impact environnemental des mesures de relance.

La politique du Gouvernement manque d’ambition en matière de transformation stratégique durable de l’industrie.

Madame la ministre, quels enseignements tirez-vous de la mise en œuvre du plan de relance ? Comment prenez-vous structurellement en compte les augmentations faramineuses des prix de l’énergie, du carbone et des intrants stratégiques importés ?

René Char, avec qui j’ai commencé mon propos, engageait à « conduire le réel jusqu’à l’action » : le réel, c’est la place de la France dans le monde, laquelle s’est affaiblie au cours des cinq années passées. Pour ce qui est de l’action, il faudra bien plus que les plans France Relance ou France 2030 pour engager notre pays sur la voie du redressement indispensable au bien-être de chaque Français ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)