PRÉSIDENCE DE Mme Pascale Gruny

vice-président

Mme le président. La parole est à M. Vincent Segouin, pour la réplique.

M. Vincent Segouin. Madame la ministre, je vous ai interrogée sur les résultats obtenus à J+1 an…

Vous admettrez, j’imagine, qu’en matière d’export et de réindustrialisation le meilleur indice à suivre est la balance commerciale.

En France, cette balance commerciale était déficitaire de 58 milliards d’euros en 2019, de 65 milliards d’euros en 2020 et de 78 milliards d’euros en 2021. Par comparaison, l’Allemagne, comme l’Italie, d’ailleurs, enregistre des excédents : +230 milliards d’euros en 2019 ; +179 milliards d’euros en 2020.

L’Allemagne a investi 130 milliards d’euros dans son plan de relance à partir de juin 2020, la France 100 milliards d’euros. Pourtant, notre balance commerciale s’est dégradée de plus de 13 milliards d’euros, et de plus de 20 milliards d’euros par rapport à 2019.

Convenez que, sous cet angle, le plan de relance est un échec.

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée. J’ai déjà commenté cette évolution, monsieur le sénateur : lorsque votre reprise est plus forte que celle des autres pays et que, sur 100 euros de production manufacturée achetée, 35 euros correspondent à une production réalisée en France, vous avez mécaniquement, pour accompagner les relocalisations et la reprise économique, un effet d’appel au niveau des importations. C’est mathématique !

Si vous ajoutez à cela l’effet de l’augmentation des prix des matières premières, vous subissez une dégradation de la balance commerciale.

Donnons-nous rendez-vous lorsque les lignes de production en question seront construites et qu’elles produiront ! On ne crée pas des lignes de production en douze mois ; il faut le temps de l’instruction des dossiers, le temps des études d’ingénierie, le temps des commandes de machines, le temps de leur installation et le temps de la montée en cadence. Quand ces lignes seront en place, nous devrions pouvoir mesurer l’effet.

Pour l’heure, je me réfère à l’emploi, qui est un indicateur avancé de la croissance : 70 000 recrutements sont aujourd’hui ouverts dans l’industrie, contre 40 000 avant la crise.

Mme le président. La parole est à M. Yves Bouloux.

M. Yves Bouloux. La vocation du plan France Relance était de prendre le relais des mesures de soutien aux entreprises mises en œuvre depuis mars 2020. Une enveloppe de 100 milliards d’euros, à engager d’ici à la fin de 2022, y a été consacrée, avec deux objectifs : permettre à la France de retrouver son niveau d’activité d’avant-crise et la préparer aux enjeux de demain.

En août dernier, 47 milliards d’euros avaient été engagés et 29 milliards d’euros décaissés. On parle aujourd’hui de 70 milliards d’euros engagés.

Certes, le rebond économique est là, mais il est un peu tôt pour évaluer le dispositif et, surtout, pour faire la part des mesures de soutien d’urgence et du plan de relance.

Cela étant, le décaissement rapide des crédits a eu un impact sur la qualité exigée des investissements.

En octobre 2021, le comité d’évaluation du plan France Relance a ainsi souligné que, si l’objectif de la relance de l’investissement industriel en sortie de crise semble atteint, le court terme a prévalu sur la transformation structurelle de l’industrie française.

Aussi, madame la ministre, n’est-il pas temps de repenser cette stratégie, avec une programmation à moyen ou long terme ?

Enfin, le plan de relance s’accompagne d’une multitude de mesures plus ciblées, obligeant les entreprises et les collectivités à être à l’affût. Ne peut-on pas améliorer la lisibilité de ces dispositifs afin d’aider ceux qui peuvent en bénéficier ?

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance, chargée de lindustrie. Je rappelle une fois encore quelle est notre stratégie pour les entreprises industrielles.

Dans le cadre du plan de relance, l’enjeu était de consolider et de stabiliser des filières industrielles existantes. On ne construit pas de nouvelles filières industrielles en deux ans ; en revanche, on peut accroître la compétitivité de celles qui existent déjà et leur permettre, la technologie étant disponible, de commencer à décarboner leurs procédés de production.

C’est très exactement ce que nous avons fait.

À considérer maintenant ce qu’il en est de l’accessibilité du dispositif aux entreprises industrielles, il faut noter que l’État a fait deux choses totalement inédites.

D’une part, nous avons contacté toutes les entreprises industrielles – pour être honnête, ce sont les chambres de commerce et d’industrie, que je veux remercier ici, qui ont appelé toutes les PME et nous nous sommes chargés d’appeler toutes les entreprises de taille intermédiaire (ETI).

D’autre part, une entreprise industrielle de plus de 5 salariés sur trois et environ une ETI sur deux ayant bénéficié du plan de relance, nous atteignons un taux de couverture inédit dans l’histoire des politiques économiques, et ce dans un temps relativement restreint.

Pour la suite, deux éléments sont à prendre en compte.

Premièrement, l’extinction du « cadre covid » des aides d’État est prévue, en l’état des dispositions votées, pour le 30 juin prochain. En tout état de cause, à partir du 1er juillet, nous ne serons plus dans un environnement de sortie de crise sanitaire et de plan de relance.

Deuxièmement, nous travaillons sur le long terme : c’est tout l’enjeu des investissements qui seront réalisés au titre du plan France 2030, doté de 30 milliards d’euros octroyés sous forme de subventions. Il n’est question ici ni de fonds propres ni de prêts – il est important de le préciser, sachant qu’à propos des programmes d’investissements d’avenir, par exemple, on a pu avoir tendance à tout mélanger.

Ces 30 milliards d’euros seront déployés pour moitié – environ 15 milliards d’euros – aux fins d’accompagner la décarbonation. Dix enjeux stratégiques ont été définis, afin que les filières du futur s’articulent autour d’un certain nombre de besoins parmi les plus fondamentaux, comme se soigner, s’alimenter, se chauffer ou se déplacer, auxquels s’ajoutent deux enjeux de souveraineté : le spatial et les fonds marins.

Conclusion du débat

Mme le président. En conclusion du débat, la parole est à M. Jean-Claude Tissot, pour le groupe auteur de la demande.

M. Jean-Claude Tissot, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, j’ai l’honneur de conclure ce débat, dont mon groupe a pris l’initiative. L’occasion nous a été donnée d’aborder de nombreux sujets et thématiques ayant trait à la nécessaire relance économique de notre pays.

Je tiens à remercier, au nom de mon groupe, l’ensemble de mes collègues sénatrices et sénateurs ayant participé à la discussion. Nous vous remercions également, madame la ministre, pour vos réponses claires et pour les précisions que vous nous avez apportées.

Au printemps 2020, les premiers mois de la crise sanitaire avaient révélé au grand jour les nombreuses défaillances de notre économie et de notre industrie, incapables de produire et de fournir en quantité suffisante des matériels médicaux indispensables en période pandémique.

Pourtant, dès 2017, lors de la campagne présidentielle, le candidat et futur président Emmanuel Macron avait promis « un vrai plan Marshall de la réindustrialisation de nos territoires économiquement perdus ».

Malgré les lourdes conséquences de la pandémie, cette crise aura eu le mérite, madame la ministre, de ramener sur le devant de la scène cette promesse et cette indispensable prise de conscience.

Depuis, le plan de relance de 100 milliards d’euros présenté en septembre 2020 et le programme d’investissements France 2030 d’octobre 2021, doté de 34 milliards d’euros, sont venus s’ajouter aux nombreuses aides financières instaurées pour compenser les restrictions sanitaires.

Les données économiques encourageantes récemment enregistrées, et dont le Gouvernement fait régulièrement état, sont la preuve que, lorsque l’État joue son rôle de soutien, d’investisseur et de régulateur, il permet de maintenir à flot une économie malmenée par une crise mondiale.

Toutefois, comme l’a rappelé mon collègue Christian Redon-Sarrazy en ouverture du débat, le comité d’évaluation du plan France Relance, présidé par Benoît Cœuré, a livré une évaluation très prudente de l’efficacité de l’action publique de relance.

Nous suivrons donc avec attention les prochains rapports de ce comité, qui nous permettent, en tant que parlementaires chargés du contrôle de l’action du Gouvernement, d’obtenir des informations pertinentes.

Pour en revenir au cœur du débat, il est nécessaire de reprendre la question initiale : les aides du plan de relance ont-elles été économiquement efficaces ?

En introduction, et le sujet est revenu dans de nombreuses questions posées au cours du débat, nous vous demandions, madame la ministre, d’évaluer précisément les premiers résultats obtenus ou à venir pour l’industrie française.

J’ai bien entendu vos remarques sur différents sites industriels et sur le nombre d’emplois créés ou préservés par ces mouvements spécifiques. Ces premiers constats paraissent néanmoins insuffisants, tant l’enjeu de la réindustrialisation est important.

L’économiste Patrick Artus, interrogé sur la politique industrielle du Gouvernement, dressait le bilan suivant : « le plus inquiétant est sans doute la poursuite de la désindustrialisation ».

Selon l’Insee, depuis 2019, l’industrie française a perdu plus de 45 000 emplois, alors même que le secteur privé créait 185 600 emplois supplémentaires.

Ces chiffres attestent que la France se jette à corps perdu dans une croissance des services marchands et abandonne toujours plus son développement industriel.

Pourtant, les enjeux essentiels pour notre avenir que sont la transition écologique et le retour de notre souveraineté économique dans un contexte géopolitique particulièrement instable nécessitent une force de production industrielle installée dans notre pays et adaptée aux futurs enjeux.

Or voici ce qui est indiqué noir sur blanc dans le rapport du comité d’évaluation du plan France Relance : « pour répondre à la crise, l’objectif de relance à court terme a prévalu sur celui de transformation structurelle de l’industrie française ».

Toute la difficulté est là, et nous le reconnaissons volontiers, madame la ministre : comment aider sans délai une filière industrielle en difficulté, tout en l’accompagnant vers le changement ?

Face à ce défi, deux axes majeurs sont à prendre en considération pour bâtir une politique industrielle adaptée.

Le premier axe concerne les principaux secteurs stratégiques et les grands groupes industriels.

Le plan France 2030 est intéressant à cet égard, car il sanctuarise des investissements dans des filières définies, telles que la recherche médicale et les moyens de transport bas-carbone, et sur des objectifs de long terme.

Toutefois, nous ne comprenons pas les récents agissements du Gouvernement dans le secteur de l’énergie, filière ciblée par France 2030.

Le Gouvernement fait en effet le choix de sacrifier EDF en relevant le plafond de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (Arenh). Alors que 8 milliards d’euros sont consacrés, dans ce plan, à la construction d’une France décarbonée et résiliente, renforcer l’endettement de l’opérateur historique est un drôle de choix d’avenir !

Le deuxième axe concerne les filières jugées moins stratégiques et essentiellement composées des plus petites entreprises, dans lesquelles nous avons malheureusement perdu des savoir-faire lors de la délocalisation de la production. Les pouvoirs publics ne doivent pas laisser tomber ces secteurs : ils doivent les accompagner dans une nécessaire relocalisation.

La filière textile – nous l’avons vu lorsque nous avions besoin de masques – peut offrir, en la matière, un exemple pertinent, tant la production localisée est la mieux-disante sur le plan environnemental.

Dans mon département de la Loire, l’entreprise des Tissages de Charlieu, soutenue à hauteur de 800 000 euros par le plan France Relance, est un bel exemple de relocalisation. Elle a pu relocaliser la production de sacs et de cabas grâce à la volonté de son dirigeant et à l’engagement de tous les salariés.

La transformation stratégique durable de l’industrie française passera par un accompagnement des principales filières stratégiques par les pouvoirs publics, mais aussi par un soutien à toutes les entreprises souhaitant relocaliser une production.

Enfin, en conclusion de ce débat, il est important de souligner que les crédits du plan de relance ont été, dans leur majorité, rapidement engagés, et devraient continuer de l’être durant l’année 2022.

Dorénavant, en espérant que cette crise sanitaire se termine enfin, nous devons nous interroger sur la suite : comment notre économie fera-t-elle face à la diminution progressive des aides publiques ?

Un bilan plus complet et détaillé de l’opportunité et de l’efficacité des aides du plan de relance devra être réalisé dans les mois et les années à venir.

Une nouvelle fois, madame la ministre, je vous remercie pour les réponses que vous nous avez apportées.

Mme le président. Nous en avons terminé avec le débat sur l’évaluation de l’opportunité et de l’efficacité des aides versées au titre du plan de relance dans le cadre de la crise sanitaire.

9

Ordre du jour

Mme le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 8 février 2022 :

À quatorze heures trente et le soir :

Conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi en faveur de l’activité professionnelle indépendante (texte de la commission n° 388 rectifié, 2021-2022) ;

Explications de vote puis vote sur la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relative à l’aménagement du Rhône (texte de la commission n° 439, 2021-2022) ;

Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, portant réforme des outils de gestion des risques climatiques en agriculture (texte de la commission n° 394, 2021-2022).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures cinq.)

Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,

le Chef de publication

ÉTIENNE BOULENGER