Mme la présidente. La parole est à M. Loïc Hervé, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Loïc Hervé. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, « le Rhône est si profond, si rapide et si large, que dans la grande Europe il n’a pas son pareil. Emportant des bateaux sans nombre avec leur charge, il va roulant de l’or et roulant du soleil ».

Ces premiers vers issus du poème Le Rhône de Jean Aicard reflètent le moment singulier du texte qui est soumis à notre vote cet après-midi. En effet, il s’agit de modifier une loi adoptée voilà tout juste cent ans, le 27 mai 1921, qui créait la concession générale d’aménagement et d’exploitation du Rhône, à laquelle étaient confiées trois missions : la production d’hydroélectricité, la navigation fluviale et l’irrigation agricole. Ce modèle de concession unique en France a été attribué par la suite, en 1933, à la Compagnie nationale du Rhône, une société anonyme d’intérêt général.

Avant de revenir sur la finalité de cette proposition de loi de notre collègue député Patrick Mignola et les apports adoptés par la commission des affaires économiques, je tiens à saluer et remercier notre collègue Patrick Chauvet de son rapport, qui est venu consolider l’équilibre général de ce texte, essentiel pour notre souveraineté et notre transition énergétique.

Aussi, en tant que parlementaire du département de la Haute-Savoie, frontalier de la Suisse, où le Rhône prend sa source à 2 200 mètres d’altitude dans le massif du Saint-Gothard, au cœur d’un glacier, pour prendre fin dans le delta de la Camargue avant de se jeter dans la Méditerranée, je ne peux que me réjouir de porter aujourd’hui la voix du groupe Union Centriste sur ce texte.

Le sujet de la prolongation et de la modernisation de la concession du fleuve Rhône attribuée à la CNR n’est pas nouveau et reste complexe. C’est un acteur central du maillage rhodanien et, avant tout, de la coopération avec les collectivités et de leur développement. Un seul chiffre me permettra de le démontrer : pas moins de 27 hectares de domaine sont concédés le long du Rhône à des fins de valorisation économique ou environnementale, permettant d’accompagner des projets entrepris par les collectivités en faveur des énergies renouvelables, de la protection de la biodiversité, du tourisme ou encore de l’agriculture durable.

Les enjeux sont donc nombreux ! C’est ainsi qu’en se substituant au projet d’un neuvième avenant à la concession, cette proposition de loi inscrit désormais la prolongation de sa date d’échéance, ainsi que son cahier des charges générales, dans le marbre de la loi, jusqu’en 2041.

Pour l’essentiel, la commission des affaires économiques a repris le texte initial, tout en le renforçant dans quatre axes.

Tout d’abord, il s’agit de développer les énergies renouvelables. Désormais, les missions historiques de la CNR s’inscriront dans la réalisation des objectifs de la politique énergétique nationale, à commencer par l’atteinte de la « neutralité carbone » à l’horizon 2050, en favorisant la transition énergétique et la réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Ensuite, il est prévu de mieux associer les collectivités territoriales s’agissant des prises de décision du comité de suivi de l’exécution de la concession. Il est nécessaire d’être au plus près des territoires, c’est une obsession sénatoriale. Communes, conseils départementaux, conseils régionaux et parlementaires : tous doivent être consultés concernant une modification du cahier des charges ou du schéma directeur.

Par ailleurs, le texte renforce le soutien aux professionnels agricoles, en assurant l’association du ministère de l’agriculture dans l’élaboration des statuts de la CNR et le fonctionnement du comité de suivi de la concession.

Enfin, il s’agit de renforcer la sécurité juridique de la concession, en maintenant la référence aux missions d’intérêt général de la CNR, en précisant les obligations comptables et en encadrant les autorisations d’occupation du domaine public.

Mes chers collègues, vous l’aurez donc compris, la CNR n’est pas seulement un concessionnaire qui aménage et exploite un « simple » fleuve ; il s’agit d’un acteur central du sud-est du pays, qui traite des enjeux majeurs.

C’est pourquoi, avec les membres de mon groupe, nous soutiendrons cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Henri Cabanel, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Henri Cabanel. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons constitue un moment suffisamment rare pour être relevé, à savoir l’accord avec les services de la Commission européenne sur la prolongation d’une concession hydroélectrique sans mise en concurrence.

Saluons cet alignement des planètes et espérons venir à bout au plus vite des contentieux qui persistent sur l’application de la directive sur l’attribution de contrats de concession du 26 février 2014 et paralysent des situations durablement acquises, ainsi que les investissements dans la production d’énergie hydroélectrique de la France et d’autres pays membres de l’Union européenne.

Certes, la situation singulière du concessionnaire, la Compagnie nationale du Rhône, justifie une prolongation du contrat jusqu’en 2041, soit dix-huit ans supplémentaires. Comme cela a été dit, la CNR a été privée de l’exploitation des barrages de 1946 à 2006, en raison de la nationalisation de la production de l’énergie.

Il reste que cette initiative parlementaire est peu habituelle, juridiquement originale, puisque la concession est prolongée par voie législative, ce qui lui confère un caractère solennel. Cependant, cela ne figera aucunement les modalités de l’exécution de la concession, toute modification pouvant intervenir ultérieurement par décret.

La concession de l’aménagement du Rhône, qui assure une triple mission d’intérêt général – la production hydroélectrique, la navigation et l’irrigation agricole – est la parfaite illustration des raisons pour lesquelles l’exigence de l’État à l’égard du concessionnaire ne doit pas fléchir. Cela passe notamment par l’établissement du cahier des charges, qui doit viser la préservation de l’aménagement et l’attractivité de nos territoires et, surtout, la protection quantitative et qualitative de l’eau, bien commun qui se raréfie.

C’est d’autant plus vrai que les débits pourraient avoir baissé de 40 % en 2050. Or les activités agricoles installées en dépendent pour l’irrigation, qui représente 50 % des prélèvements net sur le Rhône, soit 320 millions de mètres cubes.

Ce texte interroge sur la nécessaire modernisation des contrats de concession au regard de leur durée particulièrement longue. Fait notable nouveau, l’ajout de clauses de revoyure en 2028 et 2034 à des fins d’ajustement me semble pertinent. L’établissement de contrats presque centenaires, peu évolutifs, pratiquement gravés dans le marbre et dont la longévité dépasse largement celle des lois actuelles, n’a plus sa raison d’être. Il faut permettre à l’État de garder la main sur des actifs stratégiques et ne pas laisser le concessionnaire se reposer sur ses lauriers, en l’incitant à investir.

En l’espèce, 500 millions d’euros d’investissement sont attendus au travers des programmes pluriannuels quinquennaux. Les références, ajoutées au schéma directeur de la concession par la commission des affaires économiques, au développement, aux emplois liés à l’agriculture et à la production de nouveaux vecteurs énergétiques tels que l’hydrogène renouvelable ou bas carbone sont bienvenues.

De même, l’association des élus a été renforcée à tous les stades de l’exécution de la concession. Le comité de suivi sera systématiquement consulté lors de l’élaboration et du suivi des programmes pluriannuels de travaux, des programmes de travaux supplémentaires, ainsi que dans le cadre de la réalisation d’un nouveau barrage à Saint-Romain-de-Jalionas, en amont du confluent de l’Ain.

Enfin, la large concertation qui a eu lieu sur ce dossier devrait également servir d’exemple à l’ensemble des concessions, afin d’améliorer l’acceptabilité des installations et de prévenir les conflits d’usage.

Alors que la programmation pluriannuelle de l’énergie prévoit une augmentation du parc hydraulique de 200 mégawatts d’ici à 2023 et de 900 mégawatts à 1 200 mégawatts d’ici à 2028, la puissance publique doit continuer à exercer son rôle stratégique dans la maîtrise de l’énergie, mais aussi dans le partage des usages de l’eau, quel que soit le concessionnaire. En l’occurrence, la concession d’aménagement du Rhône représente un quart de la production hydroélectrique de notre pays, ce qui est loin d’être anodin.

Le patrimoine hydraulique mérite d’être préservé et valorisé dans le cadre d’une plus forte pénétration d’énergies renouvelables dans le réseau électrique, ce qui nécessite de développer des solutions de stockage.

Nous considérons que les conditions de la prolongation de la concession figurant dans la proposition de loi sont favorables à la transition énergétique. Le groupe RDSE votera donc ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Florence Blatrix Contat, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Florence Blatrix Contat. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, cette fin de législature voit des textes importants soumis au Parlement au dernier moment et sous le coup de l’urgence. Tel est le cas de cette proposition de loi, néanmoins essentielle, qui a fait l’objet d’une procédure de législation en commission. Il s’agit en effet de prolonger la concession de la Compagnie nationale du Rhône jusqu’en 2041.

On le sait, la mise en concurrence des concessions hydrauliques est toujours un point de discussions et de contentieux avec la Commission européenne. C’est donc avec soulagement que nous abordons cette proposition de loi. Notre devoir de parlementaire est d’apporter vision, stabilité et sécurité à l’ensemble de la production hydroélectrique française. Ce sont là des conditions nécessaires pour s’engager fermement dans la nécessaire transition énergétique.

Le Rhône est un fleuve au débit irrégulier, parfois dangereux. Depuis toujours, les humains se sont efforcés d’en régulariser le cours. La programmation d’investissements lourds et la création de la Compagnie nationale du Rhône en ont été l’expression. Un siècle plus tard, les attentes et les besoins de nos contemporains ne sont plus ce qu’ils étaient alors. Il y a une urgence nouvelle qui nous contraint toutes et tous, où que nous soyons. Le changement climatique et ses effets nous obligent à modifier fortement nos approches antérieures.

Nous devons nous inscrire dans la réalisation des objectifs de la politique énergétique nationale et veiller à atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050. Il nous faut aujourd’hui avancer résolument vers la réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Il s’agit donc de soutenir concrètement la production et la diffusion de nouveaux vecteurs énergétiques comme l’hydrogène renouvelable ou bas carbone ou les procédés innovants en matière de photovoltaïque. Tel est le sens des amendements adoptés par le Sénat.

En plus de son rôle initial de production d’électricité, de développement de la navigation et d’irrigation pour l’agriculture, la CNR a considérablement étoffé ses activités. Outre les 20 centrales hydroélectriques qui produisent, cela a déjà été dit, le quart de l’hydroélectricité française, elle a mis en place 49 parcs photovoltaïques et 57 parcs éoliens. Le cahier des charges et le schéma directeur annexé développent le programme des investissements envisagés, soit 500 millions d’euros au total, dont 165 millions d’euros pour les cinq premières années.

Le programme de travaux supplémentaires améliorera l’équipement de six barrages du Rhône et la continuité piscicole. Je suis personnellement très attentive à l’étude de faisabilité en cours en amont du confluent de l’Ain à Saint-Romain-de-Jalionas, avant tout nouvel aménagement hydroélectrique.

La concession de la Compagnie nationale du Rhône arrivera à terme à la fin de décembre 2023. Il faut qu’elle puisse poursuivre ses missions d’intérêt général dans un cadre renouvelé. Tel est l’objet de la présente proposition de loi, qui prévoit un cahier des charges et un schéma directeur permettant de moderniser profondément les modalités et le périmètre d’activité de la CNR jusqu’en décembre 2041.

À nos yeux, il est essentiel que la majorité des capitaux de la société demeure publique et que les collectivités territoriales puissent intervenir, comme certains de nos collègues l’ont déjà dit. Pour tous les acteurs locaux, c’est une garantie de stabilité et de perspectives à moyen terme. Avec mes collègues sénatrices et sénateurs socialistes, nous veillerons attentivement à ce que cela ne change pas.

Les travaux en commission nous ont permis de renforcer le lien avec les collectivités territoriales. Il importe que celles-ci soient associées au plus près à l’exécution de la concession. Nous veillerons à ce que cela soit effectif.

Nous souhaitons aussi que le Parlement soit pleinement représenté dans les territoires au sein des comités de suivi. Avec mon collègue de l’Ain, Patrick Chaize, je me félicite d’avoir convaincu nos collègues et M. le rapporteur de la nécessaire participation de notre Haute Assemblée à ces instances. Le Sénat étant l’assemblée des territoires et des collectivités locales de la République, il faut qu’il soit officiellement représenté au sein de ces comités.

Par conséquent, les sénateurs et sénatrices du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain sont favorables à cette proposition de loi visant à prolonger la concession de la CNR dans un cadre renouvelé et modernisé annexant un cahier des charges. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme la présidente. Je mets aux voix, dans le texte de la commission, la proposition de loi relative à l’aménagement du Rhône.

(La proposition de loi est adoptée.)

Mme la présidente. Je constate que le texte a été adopté à l’unanimité des présents.

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures trente, est reprise à dix-sept heures.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi relative à l'aménagement du Rhône
 

5

 
Dossier législatif : projet de loi d'orientation relative à une meilleure diffusion de l'assurance récolte en agriculture et portant réforme des outils de gestion des risques climatiques en agriculture
Discussion générale (suite)

Outils de gestion des risques climatiques en agriculture

Discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, portant réforme des outils de gestion des risques climatiques en agriculture (projet n° 350, texte de la commission n° 394, rapport n° 393, avis n° 386).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi d'orientation relative à une meilleure diffusion de l'assurance récolte en agriculture et portant réforme des outils de gestion des risques climatiques en agriculture
Demande de priorité

M. Julien Denormandie, ministre de lagriculture et de lalimentation. Madame la présidente, madame la présidente de la commission des affaires économiques, monsieur le rapporteur Duplomb, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie d’abord très sincèrement de bien vouloir excuser mon retard : je reviens tout juste de Strasbourg où l’ensemble des ministres européens chargés de l’agriculture étaient réunis. Je vous remercie d’avoir accepté de décaler de quelques minutes l’examen de ce texte ô combien important.

Je suis très fier de vous présenter aujourd’hui l’une des réformes les plus importantes pour notre agriculture depuis la politique agricole commune.

Je vous la présente avec d’autant plus de fierté et d’humilité que le Sénat a grandement participé, par ses travaux, à toutes les réflexions menées sur le sujet au cours des dix dernières années.

Je pense à la proposition de loi déposée en 2015 par le sénateur Jean-Claude Lenoir, dont Daniel Gremillet fut le rapporteur ; à la proposition de loi déposée en 2016 par Franck Montaugé, Henri Cabanel et mon prédécesseur Didier Guillaume, que je salue ; à la proposition de résolution déposée en 2019 par Yvon Collin, Henri Cabanel et Nathalie Delattre.

Vous n’êtes plus à convaincre, mesdames, messieurs les sénateurs, de l’importance d’une telle réforme.

Notre avenir va être de plus en plus profondément affecté par le changement climatique, comme en témoigne l’épisode de gel que nous avons vécu au printemps dernier, qui fut la plus grande catastrophe agronomique de ce début de XXIe siècle.

Je sais que nous partageons tous la même conviction : les agriculteurs ne sauraient supporter seuls le coût du changement climatique. Ils sont les premiers à subir les conséquences de ces catastrophes.

C’est une véritable épée de Damoclès qui pèse sur notre agriculture, et donc un frein majeur à l’installation.

En l’absence de solidarité nationale, comment demanderait-on aux jeunes agriculteurs de s’installer, c’est-à-dire d’accepter de procéder à des centaines de milliers d’euros d’investissements, quand une année de travail peut être réduite à néant par l’un de ces phénomènes climatiques ?

C’est la raison pour laquelle le Président de la République a annoncé cette réforme importante, ambitieuse, le 10 septembre dernier, devant les jeunes agriculteurs, aux Terres de Jim. Cette réforme est une forme de ceinture de sécurité qui leur est destinée. Et ce qui est vrai pour les jeunes qui s’installent l’est aussi, bien sûr, pour les personnes déjà installées.

Mesdames, messieurs les sénateurs, dans tous vos travaux, vous dénonciez le statu quo, devenu intenable. Ce qui était vrai hier continue de l’être aujourd’hui : ne pas réformer, ne rien changer serait contraire à l’objectif de souveraineté agricole et alimentaire, qui est le fil conducteur de la politique agricole que je défends et que – je dois le dire – vous êtes très nombreux également à défendre au sein de cette assemblée.

Notre système est à bout de souffle. Tous ici nous en convenons, et les filières sont unanimes. Pas assez accessible ni avantageux, trop complexe, parfois injuste, toujours beaucoup trop long : les critiques sont nombreuses.

Tel est l’objet de ce projet de loi : procéder à une véritable refondation du régime d’indemnisation des pertes de récolte – et le refonder non pas pour deux ou trois ans, mais pour les décennies à venir. Il y a là une réforme essentielle que nos partenaires espagnols, par exemple, ont entreprise voilà quarante ans, et qui est actuellement le principal élément de politique publique agricole en Espagne.

Je le disais, cette question a suscité de multiples travaux. Nous ne partons d’ailleurs pas d’une feuille blanche : ce projet de loi résulte d’un très large processus de concertation conduit dans le cadre de ce moment politique qu’a été le Varenne agricole de l’eau et de l’adaptation au changement climatique, auquel vous êtes nombreux ici à avoir participé.

Le groupe de travail n° 1 de ce Varenne de l’eau et de l’adaptation au changement climatique était justement destiné à mettre en œuvre la refondation de ce système d’indemnisation des pertes de récolte ; je veux saluer son président, le député Frédéric Descrozaille, pour la qualité de son travail. Il a remis ses conclusions au Gouvernement à la fin du mois de juillet dernier. Sur la base de ces conclusions, le Gouvernement a élaboré ce projet de loi.

Beaucoup de systèmes ont été envisagés par le passé, donnant lieu à divers projets de loi. Aucun n’a abouti, pour une simple et bonne raison : tous reposaient sur un principe consistant à laisser le monde agricole se débrouiller seul face au changement climatique.

Notre position, a contrario, est la suivante : à défaut d’une mobilisation de la solidarité nationale, les agriculteurs ne pourront pas se couvrir contre de tels risques.

La première des briques de cette refondation est donc d’accroître la solidarité nationale et les financements consacrés à cette couverture des risques. À l’heure actuelle, les moyens alloués à la gestion des risques climatiques en agriculture s’élèvent à 300 millions d’euros environ de fonds nationaux, de fonds européens, mais aussi de contributions des agriculteurs eux-mêmes. L’objectif est de passer dès le 1er janvier 2023 de 300 à 600 millions d’euros, cette augmentation étant massivement imputée sur la solidarité nationale, c’est-à-dire sur le budget de l’État.

La solidarité nationale, voilà en fin de compte quel est le changement de paradigme de la refonte que je vous présente, conformément à l’engagement pris par le Président de la République.

Le deuxième principe est celui d’une couverture universelle : tout agriculteur y aura accès, quelle que soit la culture, et que l’on soit assuré ou non, là où actuellement deux systèmes coexistent – vous les connaissez : le système du Fonds national de gestion des risques en agriculture (FNGRA) et le système de l’assurance récolte privée. Il arrive même que ces deux systèmes entrent en concurrence, pour certaines cultures, ce qui aboutit à laisser sans réponse des pans entiers de l’agriculture française.

Troisième objet de cette réforme : une plus grande accessibilité de l’assurance multirisque climatique, qui ne couvre à l’heure actuelle que 18 % des surfaces agricoles utiles, non parce que les agriculteurs seraient de mauvais gestionnaires, mais parce que ce système n’est ni suffisamment attractif ni suffisamment accessible pour les agriculteurs.

Cette réforme est par ailleurs fondée sur davantage de régulation : la création d’un pool d’assurances mutualisant les risques, l’élaboration d’une tarification actuarielle technique commune et l’amélioration de la transparence dans la constitution des prix doivent permettre de renforcer la confiance dans le système assurantiel et de répartir équitablement le risque entre tous – c’est un point absolument essentiel.

Enfin, ce nouveau système tend vers une plus grande individualisation des modalités d’indemnisation et incitera à la prévention, en cohérence, d’ailleurs, avec les investissements massifs que nous accompagnons dans le cadre du plan France Relance ; 300 millions d’euros d’investissements sont déjà engagés, et nous allons poursuivre cet effort dans le cadre du plan France 2030 – rien que pour l’année 2022, ce sont plus de 200 millions d’euros qui ont d’ores et déjà été annoncés.

Je tiens à remercier M. le rapporteur, Laurent Duplomb (Excellent ! sur des travées du groupe Les Républicains.), pour le travail accompli lors de l’examen de ce projet de loi par la commission des affaires économiques du Sénat.

Le texte que vous allez étudier prévoit une architecture de la gestion des risques climatiques en trois étages, selon un principe de partage équitable du risque entre tous les acteurs.

Un premier étage relève de l’agriculteur, jusqu’à un seuil de franchise.

Un deuxième étage relève de l’assureur, qui doit assumer ses responsabilités – je le dis très clairement. L’objectif du Gouvernement est d’utiliser au maximum l’ensemble des possibilités offertes notamment par le règlement européen Omnibus ; la prime d’assurance doit donc être davantage subventionnée, mais au bénéfice de l’agriculteur et non de l’assureur.

Un troisième étage relève de l’État, au-dessus d’un seuil de perte.

C’est cette architecture à trois étages qui permet l’universalité que j’évoquais voilà un instant. Elle aura aussi pour effet de diminuer le coût de l’assurance pour l’agriculteur, tant par l’augmentation de la subvention à l’assurance que par l’existence même de ce troisième étage. Celui-ci limite en effet le risque auquel les assureurs sont exposés et, partant, le montant de fonds propres dont ils doivent disposer pour faire face à ces risques, donc, in fine, la tarification proposée aux agriculteurs.

Cette architecture à trois étages et cette régulation permettront de surcroît d’éviter que seuls les bons risques soient sélectionnés par les assureurs au détriment des moins bons, grâce à la mutualisation des données et des risques dans un pool d’assureurs, conformément aux engagements du Président de la République.

Un organe de concertation et de copilotage du dispositif entre État, agriculteurs et assureurs est par ailleurs créé. Vous avez, en commission, précisé la composition de la commission chargée, au sein du Comité national de la gestion des risques en agriculture (CNGRA), de l’orientation et du développement des assurances récolte (Codar) et considérablement renforcé son rôle – nous aurons l’occasion d’en parler puisque plusieurs amendements ont été déposés sur ce sujet.

Mesdames, messieurs les sénateurs, ce projet de loi pose les fondations de cette nouvelle maison de la couverture des risques climatiques. Il nous faudra ensuite discuter des différents paramètres de cette maison, qui sont comme les murs, la taille des pièces, la couleur du papier peint. La détermination de ces différents paramètres, j’y insiste, exige que soit organisée au préalable la régulation des assureurs. De cette régulation, en effet, dépend en grande partie la définition des seuils.

Ces paramètres doivent être définis par voie réglementaire, car ils doivent pouvoir faire l’objet de modifications au fur et à mesure des années sans qu’il soit nécessaire de repasser par la loi.

Je le redis très clairement : l’engagement du Gouvernement est, premièrement, de porter à 600 millions d’euros en 2023 l’ensemble des financements alloués au système de l’assurance récolte, deuxièmement, de tirer le bénéfice maximum de la réglementation Omnibus et, troisièmement, de définir des seuils de déclenchement par filière qui soient les plus bénéfiques pour les agriculteurs, et non pour les assureurs.

Ce travail va requérir encore beaucoup de consultations, qui seront conduites selon une méthode qui m’est chère, cette réforme devant être totalement finalisée d’ici à la fin de l’année et opérationnelle dès le 1er janvier 2023.

Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, ce que je souhaitais vous dire. Il y va, avec ce texte, d’une refonte historique. Notre système de gestion des risques sera désormais plus simple, plus efficace et plus lisible, et permettra d’accompagner notre agriculture sur le chemin de l’adaptation au changement climatique.

Je vous renouvelle mes excuses appuyées pour mon retard. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP et RDSE, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Pierre Louault et Franck Menonville applaudissent également.)

M. Laurent Duplomb, rapporteur de la commission des affaires économiques. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je suis très heureux d’aborder un débat sur l’agriculture et le changement climatique qui nous change de ce que nous avons l’habitude d’entendre : pour la première fois, l’agriculteur n’est pas placé sur le banc des accusés au procès du changement climatique. Aujourd’hui, avec ce débat, il est au rang des victimes.

M. Laurent Duplomb, rapporteur. Les premières vigies du changement climatique, ce sont bel et bien nos agriculteurs !

Comprenez-moi bien : l’adaptation aux aléas climatiques ne date pas d’hier. Cela fait bien longtemps que la profession sème sans savoir ce qu’elle va récolter, et recommence année après année. S’il y a bien une profession qui sait que le risque zéro n’existe pas, loin de l’illusion du principe de précaution, c’est la profession agricole.

Mais chaque année les aléas sont de plus en plus fréquents, de plus en plus intenses et de plus en plus étendus, créant des dommages croissants dans les fermes.

Ces aléas, comme l’épisode de gel qu’a connu notre pays au printemps 2021, rappellent combien le travail paysan est un trésor vulnérable qu’il convient de préserver.

À moyen terme, la carte de la France agricole sera redessinée par les évolutions climatiques, et c’est un immense défi que le monde agricole aura à relever, d’autant plus vertigineux que le changement d’allocation des terres sera mondial et que le monde va être confronté à la plus grande croissance démographique qu’il ait connue.

S’agissant d’un tel défi se pose la question de la préservation des capacités de production agricole françaises, dans un contexte où elles se trouvent fragilisées de toutes parts : fragilisées par une concurrence déloyale venue de l’étranger sans contrôles suffisants quant aux normes de production ; fragilisées par une remise en cause sociétale de la part de certains activistes dont les actions illégales ne sont jamais menacées ; fragilisées par une hausse des charges considérable, alimentée entre autres, monsieur le ministre, par votre gouvernement, qui a augmenté la redevance pour pollutions diffuses, supprimé les remises, rabais et ristournes sur les intrants, ambitionné la création d’une taxe sur les engrais ou rendu impossible la séparation de la vente et du conseil de produits phytopharmaceutiques, ce qui a abouti à moins de conseil et autant de ventes !

Les capacités de production agricole françaises, disais-je, sont fragilisées ; elles le sont également par des recettes qui peinent à augmenter, car plusieurs milliers d’agriculteurs ne font pas le poids face à quatre géants de la distribution ; elles le sont, enfin, par des aléas climatiques qui, bien souvent, dans ce contexte déjà difficile, découragent les exploitants.

C’est de ce dernier point que nous devons débattre aujourd’hui.

Le doublement des sinistres, du côté des assureurs, et son augmentation de 50 %, du côté du FNGRA, ont mis le système historique d’indemnisation des risques climatiques en agriculture à bout de souffle. D’un côté, l’assurance récolte peine à se diffuser davantage, jugée trop chère, peu avantageuse et peu adaptée aux besoins des exploitants. De l’autre, les indemnisations publiques sont de plus en plus contestées, d’autant que certaines filières en sont exclues depuis 2010, comme les grandes cultures ou la viticulture. Ces deux systèmes concurrents ne fonctionnent plus ; ils devraient être plus complémentaires.

Telle est l’ambition de ce projet de loi, à laquelle nous souscrivons, monsieur le ministre : davantage de simplicité pour l’exploitant ; davantage de justice ; davantage d’incitation à s’assurer. Le système universel à trois étages proposé, superposant une part à la charge de l’agriculteur, une autre relevant de son contrat d’assurance et une autre relevant de la solidarité nationale – en cas de pertes importantes –, est très attendu par nos agriculteurs.

La réussite de ce système universel dépend de trois facteurs.

Il est indispensable, premièrement, de réussir son lancement les premières années. Il faut pour ce faire garantir que la solidarité nationale interviendra en cas de crise majeure, mais aussi que les assureurs joueront le jeu sans augmenter artificiellement leurs primes au détriment des exploitants, comme cela s’est passé en début d’année. Avec le texte de la commission, une telle opération ne sera plus possible.

La réussite de ce nouveau système exige, en outre, de ne pas déshumaniser les procédures d’expertise. La commission estime que faire reposer l’évaluation des pertes sur la seule exploitation d’images satellitaires, comme cela est prévu dans certaines filières, n’est pas normal : elle a prévu un droit pour les exploitants, en cas de contestation de groupe, de solliciter une contre-expertise de terrain en vue de vérifier le niveau des pertes.

La réussite de la réforme suppose, deuxièmement, d’inventer un système dans lequel les assureurs retrouvent de la rentabilité. Tel est l’objectif de l’article 7, qui habilite le Gouvernement à prendre par voie d’ordonnance toute mesure susceptible d’accroître la mutualisation des données et des risques entre assureurs. De vrais doutes existent sur la compatibilité de cet article avec le droit de la concurrence, ce que la commission a tenté de conjurer, confirmant par là son soutien au dispositif envisagé tout en le solidifiant juridiquement.

Troisième facteur clé de succès : on ne saurait s’arrêter à cette réforme. Celle-ci ne doit être qu’une étape, certes nécessaire pour amorcer le système. Il faut donc aller plus loin.

Au niveau européen, tout d’abord, il est nécessaire de faire évoluer des points de blocage majeurs qui, à défaut, freineront durablement le recours au contrat d’assurance. Je pense au système de la moyenne olympique, qui pénalise considérablement nos exploitants.

Monsieur le ministre, dans le cadre de la présidence française du Conseil de l’Union européenne (PFUE), vous engagez-vous à porter haut ce problème pour que s’engage au niveau mondial une réforme de cette moyenne olympique ?

Au niveau national, ensuite, il faudra développer une véritable politique d’anticipation et de prévention. Aujourd’hui, un obscurantisme déguisé de ses plus beaux atours décroissants entrave volontairement le progrès. Mais, disons-le clairement, la prévention est la seule solution pour augmenter la résilience de notre agriculture. À l’échelle de ce texte, la commission a proposé un principe simple et réellement incitatif : garantir que les primes d’assurance baisseront pour les exploitants ayant mis en place des mesures de prévention.

Enfin, il convient de tendre vers un système assurantiel à la carte. En d’autres termes, les agriculteurs recourront massivement à l’assurance quand ils auront la certitude que les produits d’assurance qui leur sont proposés répondent vraiment à leurs besoins. À cette fin, la commission a proposé plusieurs mesures d’assouplissement.

J’ajouterai pour conclure un quatrième facteur clé de succès, sans doute le plus important : celui de la visibilité du système proposé. Comment peut-on s’engager sur plusieurs années dans un contrat d’assurance en sachant que les variables clés du système, comme le niveau de la franchise, le taux de subvention ou le niveau d’intervention de l’État, peuvent varier du jour au lendemain ? Cela n’est pas concevable ! C’est pourquoi la commission a adopté le principe d’une fixation des taux pour cinq ans. Davantage de visibilité et davantage de consultation des exploitants et des assureurs, cela donne de la confiance.

De la confiance, toutefois, ce projet de loi n’en offre pas suffisamment, car les ambitions ne sont pas clairement affichées. La multitude de renvois à des décrets et à des ordonnances donne l’impression d’un texte peu abouti, que l’on fait passer en toute hâte à quelques jours du salon de l’agriculture et à quelques semaines de l’élection présidentielle. J’ajoute qu’il était impossible aux parlementaires d’en préciser les dispositions en raison de l’article 40 de la Constitution…

Si nous comprenons le besoin de souplesse – que le législateur, notamment, n’ait pas à déterminer, mois après mois, tous les taux applicables pour toutes les filières françaises, c’est entendu –, nous ne pouvons accepter de voter un projet de loi dénué de direction claire.

C’est un peu comme si vous nous demandiez de vous donner les clés du camion, libre à vous, ensuite, de le piloter comme bon vous semble. Nous souhaitons aujourd’hui vous indiquer clairement le chemin, en vous donnant le GPS. (Sourires.)

Telle est la proposition de la commission : il s’agit de transformer votre projet de loi, monsieur le ministre, en véritable loi d’orientation en faveur du développement de l’assurance récolte, dans laquelle seraient clairement indiquées, en annexe, les cibles de taux pluriannuels applicables aux principales filières.

Vous ne sauriez priver les parlementaires de ce débat essentiel sur l’avenir de notre modèle de gestion des risques en agriculture. Notre position est claire : Omnibus, tout Omnibus, rien qu’Omnibus ! Depuis 2017, ce règlement européen permet d’abaisser le seuil de franchise, pour tous les contrats subventionnables, de 30 % à 20 % tout en augmentant le taux de subvention de la prime de 65 % à 70 %. D’habitude, nous critiquons les surtranspositions qui sapent notre compétitivité. Nous voici, cette fois, en pleine sous-transposition d’une aide ; comme dans le cas de figure précédent, les agriculteurs français se trouvent pénalisés, quand d’autres exploitants européens peuvent, eux, bénéficier de la faculté offerte par le règlement.

Il faut inciter les cultures les moins assurées à entrer dans le système en instaurant un seuil d’intervention de l’État relativement bas, afin de garantir qu’il n’y ait pas de perdants les premières années. Sont concernées les filières non assurables, pour lesquelles le seuil de pertes déclenchant l’intervention de l’État doit rester à 30 %, mais aussi les filières peu assurées – je pense aux prairies et à l’arboriculture.

Soucieux de créer un climat de confiance, nous souhaitons obtenir votre engagement que le taux sera maintenu à 30 % les premières années pour les prairies et les vergers. À défaut, nous n’embarquerons pas les éleveurs et les arboriculteurs dans la réforme.

Ces taux sont des objectifs : vous gardez la main. Mais nous vous invitons aujourd’hui à signer un véritable contrat de confiance avec le monde agricole. C’est là tout le sens, monsieur le ministre, des amendements que la commission a souhaité présenter afin d’améliorer le texte et d’en faire un projet de loi véritablement lisible et ambitieux. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – M. Franck Menonville applaudit également.)