M. Vincent Segouin. La régression, ce sont les 35 heures !

M. Pascal Savoldelli. Il faut l’assumer, et le dire aux Français et aux Françaises, en particulier aux salariés. (Applaudissements sur des travées des groupes SER et CRCE.)

Mme le président. La parole est à M. Rémi Féraud, pour explication de vote.

M. Rémi Féraud. Notre amendement est, certes, un amendement de repli, mais ce n’est pas un amendement de repli comme les autres. Son adoption est le seul moyen, si nous entrons dans le raisonnement du Gouvernement et de la majorité sénatoriale, de garantir que le dispositif envisagé ne soit pas une mesure de régression sociale.

Nous proposons de soumettre la possibilité de rachat des RTT à l’existence d’une convention ou d’un accord de branche, d’établissement ou d’entreprise, pour ne pas laisser pas le salarié seul face à l’employeur. C’est donc une garantie essentielle.

Mme le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 383 rectifié et 470.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

Mme le président. L’amendement n° 384 rectifié, présenté par Mmes Lubin et Poumirol, M. Kerrouche, Mme Van Heghe, MM. Cozic et Mérillou, Mme Féret, MM. Bourgi et Pla, Mmes Harribey et Blatrix Contat, M. Féraud, Mme Meunier, MM. Marie, Redon-Sarrazy, Montaugé, P. Joly et Chantrel, Mme Préville, M. Devinaz, Mmes S. Robert et Monier et MM. Tissot et Gillé, est ainsi libellé :

Alinéa 1

1° Supprimer les mots :

tout ou partie

2° Après le mot :

repos

insérer les mots :

dans la limite de 20 demi-journées,

La parole est à M. Thierry Cozic.

M. Thierry Cozic. Cet amendement de repli a pour objet de limiter à cinq jours, ou dix demi-journées, de RTT par an, la possibilité de transformer des RTT en salaires, dans le souci de la protection de l’intérêt et de la santé des salariés.

Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Avis défavorable. Comme cela a été souligné tout à l’heure, la conversion des jours de RTT en majoration de salaire peut être sur l’initiative du salarié. Pourquoi restreindre la liberté du salarié s’il exprime une telle demande ? (Marques dapprobation à droite.)

Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Gabriel Attal, ministre délégué. Même avis, pour les mêmes raisons.

Mme le président. Je mets aux voix l’amendement n° 384 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme le président. L’amendement n° 154 rectifié, présenté par MM. Mouiller, Retailleau, Allizard, Anglars, Babary, Bacci, Bansard, Bas, Bascher et Bazin, Mmes Bellurot, Belrhiti et Berthet, MM. E. Blanc, J.B. Blanc et Bonnus, Mme Borchio Fontimp, M. Bouchet, Mme Boulay-Espéronnier, M. Bouloux, Mme Bourrat, M. J.M. Boyer, Mme V. Boyer, MM. Brisson, Burgoa, Cadec, Calvet et Cambon, Mme Canayer, M. Cardoux, Mme Chain-Larché, MM. Chaize, Charon et Chatillon, Mme Chauvin, MM. Chevrollier, Courtial et Cuypers, Mme L. Darcos, MM. Darnaud et Daubresse, Mme de Cidrac, MM. de Legge et de Nicolaÿ, Mmes Delmont-Koropoulis, Demas, Deroche, Deseyne, Di Folco, Drexler, Dumas, Estrosi Sassone et Eustache-Brinio, MM. Favreau et Frassa, Mme Garnier, M. Genet, Mme F. Gerbaud, MM. Gremillet et Grosperrin, Mme Gruny, MM. Guené, Houpert et Hugonet, Mmes Imbert et Joseph, MM. Joyandet, Klinger et Laménie, Mme Lassarade, M. D. Laurent, Mme Lavarde, MM. Le Gleut, Le Rudulier, Lefèvre et H. Leroy, Mmes Lopez et Malet, MM. Mandelli et Meignen, Mmes M. Mercier, Muller-Bronn et Noël, MM. Paccaud, Panunzi, Paul, Pellevat, Perrin et Piednoir, Mme Pluchet, M. Pointereau, Mmes Procaccia, Puissat et Raimond-Pavero, MM. Rapin et Reichardt, Mmes Renaud-Garabedian et Richer, MM. Rietmann, Rojouan, Saury, Sautarel, Savary et Savin, Mme Schalck, MM. Segouin, Sido, Sol, Somon et Tabarot, Mmes Thomas et Ventalon et MM. C. Vial et J.P. Vogel, est ainsi libellé :

I. – Alinéa 1

Supprimer les mots :

et jusqu’au 31 décembre 2023

II. – Pour compenser la perte de recettes résultant du I, compléter cet article par deux paragraphes ainsi rédigés :

…. – La perte de recettes résultant pour l’État du présent article est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

…. – La perte de recettes résultant pour les organismes de sécurité sociale du présent article est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

La parole est à Mme Christine Lavarde.

Mme Christine Lavarde. Je le dis d’emblée : nous assumons parfaitement d’enfoncer un coin dans les 35 heures ! (Exclamations à gauche.)

M. Pascal Savoldelli. Ah ! Applaudissons-la ! (Sourires sur les travées du groupe CRCE.)

Mme Christine Lavarde. Le début de l’argumentaire de M. le ministre contre les amendements tendant à supprimer l’apport de l’Assemblée nationale – il a souligné la nécessité de donner plus de liberté aux salariés, tout en rappelant qu’il ne s’agissait de forcer personne – nous convenait très bien.

En revanche, sa conclusion nous gêne un peu, puisqu’il a évoqué un dispositif « temporaire ». Notre amendement vise à faire en sorte que le dispositif soit pérenne. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. David Assouline. En passant, comme ça, en pleine nuit…

Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-François Husson, rapporteur général. Avis défavorable… Excusez-moi, je voulais dire : avis favorable ! (Exclamations à gauche.)

M. David Assouline. Votre cœur a parlé un court instant !

M. Jean-François Husson, rapporteur général. C’est que je suis habitué à m’adresser à mes camarades sénateurs de l’extrême gauche de l’hémicycle.

Mme Laurence Rossignol. Extrême gauche ? Alors, nous sommes en face de l’extrême droite !

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. C’est dans nos travées qu’était le siège de Victor Hugo !

M. Jean-François Husson, rapporteur général. Cet amendement correspond à notre philosophie sur le temps de travail, la valeur travail et le dialogue qui a lieu dans les entreprises, quelle que soit leur taille. Ce sont les petites entreprises qui emploient le plus de salariés en France.

L’introduction de davantage de liberté et de dialogue, sur l’initiative des salariés et sous la responsabilité de l’entreprise, doit, à mon avis, être encouragée.

Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Gabriel Attal, ministre délégué. J’ai effectivement insisté sur le fait qu’il s’agissait d’un dispositif temporaire.

M. David Assouline. Pour l’instant…

M. Gabriel Attal, ministre délégué. À ce stade, le Gouvernement souhaite maintenir le caractère temporaire du dispositif. Si cela devait changer, il faudrait passer par une concertation avec les organisations syndicales.

Pour pérenniser le passage de 5 000 euros à 7 500 euros du plafond de défiscalisation pour les heures supplémentaires, nous partions d’un dispositif existant. Là, il s’agit d’un mécanisme nouveau.

L’avis du Gouvernement est donc défavorable. Pour nous, la pérennisation devrait tout de même passer par un peu de concertation avec les partenaires sociaux et se fonder sur une évaluation de son utilisation au cours des deux premières années.

Mme le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.

M. Pascal Savoldelli. Notre groupe va demander un scrutin public. Nous voulons une réponse claire : qui est pour une augmentation du temps de travail ? Pour notre part, nous sommes pour le maintien des 35 heures, et même pour une diminution du temps de travail. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Nous sommes la sixième puissance économique dans le monde.

M. François Bonhomme. Pas grâce aux 35 heures !

M. Pascal Savoldelli. Nous sommes au cinquième rang mondial en termes de productivité depuis le passage aux 35 heures. Ce n’est pas si mal !

Mme le président. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.

M. David Assouline. En passant d’un dispositif temporaire à un dispositif pérenne, vous dites enfoncer un coin dans les 35 heures. En fait, vous revendiquez clairement d’y mettre fin.

Faisons preuve de responsabilité. Nous ne pouvons pas appeler sans cesse à un débat parlementaire de qualité, vouloir que le Parlement et la politique en général soient respectés, et considérer que, dans un pays comme la France, dans le moment particulièrement difficile que nous vivons, on puisse oser de manière si provocante mettre fin ainsi aux 35 heures, de nuit, un 1er août, au Sénat ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. François Bonhomme. Dès qu’on n’est pas d’accord, c’est de la « provocation » !

M. David Assouline. Vous nous donnez des leçons sur la manière de faire avancer le pays dans la cohésion et dans la stabilité. Mais ce que vous faites est irresponsable. Ce n’est pas respectueux, non seulement du débat parlementaire, mais aussi des partenaires sociaux. Une telle décision implique au moins une discussion avec eux !

Tout le reste n’est que balivernes et coups de force, que vous assumez. (Applaudissements sur des travées des groupes SER et GEST.)

Mme le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.

M. Pierre Ouzoulias. M. Laurent a proposé de nous offrir un abonnement au journal Les Échos. C’est une bonne idée. Ces jours-ci, on y trouve un feuilleton passionnant intitulé La grande démission, qui nous apprend qu’aux États-Unis, 33 % de la population active – je dis bien 33 % de la population active ! – a démissionné de son poste. Et 36 % des Anglais disent aujourd’hui qu’ils feraient la même chose. De même, 33 % des Français sont capables de quitter leur emploi.

Je cite Les Échos, pas LHumanité : « La vague des démissions a bien atteint l’Europe. L’ensemble des employeurs doit y faire face. Mais il serait réducteur de penser que la solution réside seulement dans des actions cosmétiques. Les salariés peuvent être fidélisés s’ils sont en mesure de bien faire un travail qui est important à leurs yeux, mais aussi reconnu et rétribué à sa juste valeur. »

Et que proposez-vous ? Une augmentation du temps de travail. Vous n’êtes absolument pas en phase avec la réalité actuelle du travail dans notre pays ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)

Mme le président. La parole est à M. Pierre Laurent, pour explication de vote.

M. Pierre Laurent. Dans les hôpitaux, en ce moment, des démissions en masse mettent en péril la santé des Français.

Croyez-vous vraiment que la mesure que vous êtes en train d’adopter va aider à conserver le personnel soignant dans les hôpitaux ? Elle va le faire fuir ! En effet, ce que demande le personnel soignant depuis des mois et des mois, c’est d’être augmenté, de voir son travail revalorisé.

M. Laurent Somon. Non, il demande davantage de personnels !

M. Pierre Laurent. Ces gens sont épuisés par le travail et par les bas salaires. Et vous proposez d’en remettre une couche : encore et toujours ! Vous allez mettre tous les services publics à genoux, avant de faire la même chose dans les entreprises !

Oui, monsieur le rapporteur général, ce sont les petites et moyennes entreprises qui embauchent l’écrasante majorité des salariés. C’est justement pour cela que ceux-ci doivent être protégés par le droit du travail. En effet, dans les petites entreprises, les conditions de la négociation collective ne sont souvent pas réunies.

Oui, il faut protéger les salariés, pour qu’ils travaillent 35 heures, avec de vrais salaires, et non avec les choix que vous êtes en train de voter à la sauvette, cette nuit, au détour d’un amendement.

Bruno Le Maire m’a dit tout à l’heure que les dispositifs transitoires finissent toujours par se pérenniser, et c’est sur le fondement de cet argument que vous avez repoussé l’amendement visant à faire payer les grandes fortunes et les superprofits.

Mais là, en revanche, vous êtes pour pérenniser, toujours dans le sens de la précarisation. C’est irresponsable ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)

Mme le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.

Mme Laurence Rossignol. Valérie Pécresse l’avait promis dans sa campagne présidentielle, et Mme Lavarde est honnête et franche quand elle assume vouloir la fin des 35 heures. Le patronat le plus rétrograde et la droite libérale n’ont jamais accepté la réduction du temps de travail. Vous considérez que la vie d’un travailleur n’est pas organisée autour de la conciliation entre son besoin de gagner un salaire et sa nécessité d’avoir une vie en dehors du travail.

Mme Pécresse l’avait promis ; le gouvernement Macron-Borne est en train de le faire ! Ce qui se passe cette nuit est très grave. (Marques dironie à droite.) Vous avez mis vous-même de la solennité. Vous le voulez : assumez-le !

Plusieurs sénateurs du groupe Les Républicains. Nous l’assumons !

Mme Laurence Rossignol. Monsieur le ministre, dans l’hypothèse où cet amendement serait adopté par le Séant, que se passera-t-il en commission mixte paritaire (CMP) ? Êtes-vous sûr que vous pourrez conserver un caractère provisoire au dispositif ?

M. Éric Bocquet. Allons, l’accord a déjà été conclu…

Mme Laurence Rossignol. En fait, en acceptant le provisoire, vous avez ouvert la porte du pérenne. C’est votre zone de convergence avec la droite et la majorité sénatoriale. Vous devrez expliquer demain matin que, pendant la nuit, au Sénat, la droite et le Gouvernement ont décidé ensemble de mettre fin aux 35 heures.

Je vous souhaite bien du courage au mois de septembre, quand il faudra que vous ouvriez les discussions avec les partenaires sociaux et que vous leur expliquerez que c’est avec eux que vous comptez construire le pacte de ce gouvernement !

Avec votre article et, ensuite, avec l’amendement de la droite sénatoriale, vous avez lancé un message aux partenaires sociaux et aux syndicats : la porte est fermée. C’est très grave, pour le quinquennat tout entier. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)

Mme le président. La parole est à M. Daniel Breuiller, pour explication de vote.

M. Daniel Breuiller. Je comprends très bien le besoin des entreprises d’avoir beaucoup de souplesse. Les carnets de commandes évoluent, des heures supplémentaires sont nécessaires… Même les RTT, finalement, pourquoi ne pas les faire payer ? Au fond, d’ailleurs, tous ces amendements ne vont pas assez loin. Si l’on revenait au travail à la tâche, il y aurait une parfaite adéquation entre le besoin des salariés de gagner de l’argent et celui qu’ont les entreprises de faire face à la dure concurrence internationale ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mais la loi a été faite pour protéger les plus fragiles et les salariés. En 1980, quand j’étais un jeune homme, François Mitterrand a créé un ministère du temps libre. Cela va faire hurler à droite de notre hémicycle, mais cette appellation dit une chose essentielle à tous les citoyens : que dans la vie d’un homme ou d’une femme, il y a le travail, il y a la culture, il y a le sport, il y a la vie sociale, il y a l’engagement associatif… Bref, la vie ne se limite pas au travail, surtout quand ce travail est aliénant, comme dans ces métiers qui cassent les corps et font que l’espérance de vie des ouvriers est de dix ans inférieure à celle des cadres !

Aujourd’hui, tout cela n’existe plus. Et ce serait pour la liberté des salariés que nous mettrions fin aux 35 heures, que nous autoriserions le paiement des heures supplémentaires ? Non, chers collègues ! Je viens d’une famille d’ouvriers. Je sais ce que c’est que de travailler dur. Dans ma ville, les 46 % de gens qui vivent en HLM connaissent encore cette pénibilité du travail.

Prétendre qu’il y a égalité entre le patron et son salarié, c’est mentir. Il faut laisser sa place à la négociation salariale. Aucun progressiste ne peut dire qu’il peut y avoir une négociation à égalité entre un employé et son patron.

Lorsqu’on refuse de discuter et d’instaurer du dialogue social sur des réformes comme celle-là, c’est, au fond, qu’on s’attaque aux salariés ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)

Mme le président. La parole est à M. Ronan Dantec, pour explication de vote.

M. Ronan Dantec. Notre société est en souffrance. Il suffit pour s’en convaincre de se rappeler ce que nous avons vécu ces dernières années, et notamment la crise des gilets jaunes. Beaucoup de secteurs connaissent des difficultés de recrutement, car les emplois y sont devenus trop pénibles. Et votre principale proposition par rapport à cette société en souffrance est de la durcir encore !

Je pensais qu’il s’agissait d’un amendement d’appel, marqueur de la droite libérale, et que le rapporteur général, tout en en reconnaissant l’intérêt, estimerait qu’on ne peut tout de même pas aller si vite. Pouvons-nous prendre une telle décision sans en passer par une concertation avec les partenaires sociaux ? Sérieusement ? Dans une société en souffrance comme la nôtre ?

La droite libérale a fait un score très faible à l’élection présidentielle. Vous devriez peut-être vous demander pourquoi… C’est sans doute qu’elle n’est plus en phase avec la société et ses difficultés.

Les pays du nord de l’Europe, qui font mieux que nous, que ce soit à l’école, en termes d’autonomie énergétique ou dans tant d’autres domaines, sont en train de discuter de la réduction du temps de travail. Et nous allons nous mettre à contresens de l’histoire et, dans une société en difficulté, en rajouter encore pour la rendre encore plus clivante ?

J’ai tout de même l’impression que vous n’allez pas vraiment dans le bon sens… (Applaudissements sur des travées des groupes SER et GEST.)

Mme le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour explication de vote.

M. Bruno Retailleau. Je crois qu’il faut essayer de remettre les choses à leur place. Ce que nous proposons est une faculté, offerte aussi bien à l’employeur qu’aux salariés. Nous n’obligeons personne à monétiser les RTT.

Bien sûr, nous acceptons de remettre en cause les conséquences, dont certaines ont été néfastes, des 35 heures.

Il y a vingt ans, le niveau de vie d’un Français était égal à celui d’un Allemand. Depuis, l’écart s’est creusé de pratiquement 5 000 euros, si l’on divise la richesse nationale par le nombre d’habitants. La France a été déclassée parmi les principaux pays de l’OCDE. Elle a perdu le rang qu’elle occupait en matière de niveau de vie et de richesse nationale.

M. David Assouline. Oui, il y a eu Chirac et Sarkozy !

M. Bruno Retailleau. Vous évoquez l’Europe du Nord. Nous, il y a vingt ans, nous avons choisi de faire les 35 heures.

M. David Assouline. Pourquoi ne les avez-vous pas défaites ?

M. Bruno Retailleau. En Allemagne, c’est un social-démocrate qui proposa l’Agenda 2010 et les réformes Hartz, proposant une autre vision du travail.

Mme Laurence Rossignol. Il a mal tourné ! Il est avec M. Poutine ! On vous le laisse !

M. Bruno Retailleau. Nous pensons que le travail n’est pas nécessairement aliénant. Il peut avoir du sens, et les salariés peuvent faire un arbitrage entre leur niveau de vie et leur temps de loisir. Nous voulons, en tout cas, leur en donner la faculté.

Les 35 heures ont une responsabilité majeure dans l’effondrement de l’hôpital. Nous avons tous des proches qui travaillent à l’hôpital. Renseignez-vous : certains font des centaines d’heures supplémentaires qui ne sont parfois pas payées ! Trouvez-vous cela normal ? Trouvez-vous cela juste ? (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.) Les 35 heures ne sont certainement pas une avancée sociale pour tout le monde. (Mêmes mouvements.)

M. David Assouline. On voit ce qui vous enflamme…

Mme le président. La parole est à M. Rémi Féraud, pour explication de vote.

M. Rémi Féraud. Il y a d’abord un débat de fond, qui oppose depuis bientôt vingt-cinq ans la droite et la gauche – preuve qu’elles existent toujours ! Mais il y a aussi la forme. À cet égard, comme l’a bien souligné Laurence Rossignol, ce qui se passe ce soir est grave.

Pouvons-nous supprimer de fait les 35 heures, ce soir, par un amendement de séance que nous découvrons et sur lequel le débat se prolonge ? (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) Je crois que ce ne serait pas raisonnable. Ne sous-estimons pas la portée de cet amendement, que Christine Lavarde a présenté de manière assez solennelle.

Ce qui est grave, c’est ce que fait le Gouvernement. Avec le groupe Les Républicains à l’Assemblée nationale, vous avez ouvert la boîte de Pandore, monsieur le ministre. Aujourd’hui, dans un tout petit amendement de séance, en un tiers de ligne, dix-sept lettres, six chiffres et une apostrophe, on supprime de fait les 35 heures.

Vous engagez-vous, monsieur le ministre, si cette disposition est adoptée ce soir au Sénat, à revenir dessus en CMP et dans la suite du débat ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme le président. La parole est à M. Olivier Cadic, pour explication de vote.

M. Olivier Cadic. Je voterai évidemment cet amendement.

Lors de l’adoption des 35 heures, j’avais dénoncé une profonde incompréhension de ce qu’est la compétitivité économique.

Les propos qui sont tenus ce soir m’inspirent ce commentaire : « Tout ce qui est excessif est insignifiant. » Cet amendement n’a rien à voir avec les 35 heures. Il s’agit simplement de donner une liberté, et de la prolonger non seulement jusqu’à fin 2023, mais en l’inscrivant dans le temps long. C’est une mesure de pure liberté pour les salariés, qui va vraiment dans le bon sens.

Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Gabriel Attal, ministre délégué. Nous avons un vrai débat, un beau débat, mais il faut se dire les choses sur la réalité de ce dont nous discutons.

Non, le dispositif de monétisation des RTT qui a été adopté par l’Assemblée nationale ne signe pas la fin des 35 heures. Sinon, nous en aurions entendu parler…

Mme Laurence Rossignol. Justement, nous y sommes !

M. Gabriel Attal, ministre délégué. Nous ne remettons pas en cause la durée légale du travail de 35 heures en France !

M. Pascal Savoldelli. Écoutez donc Mme Lavarde !

M. Gabriel Attal, ministre délégué. Il s’agit simplement de permettre aux salariés qui le souhaitent et qui le demandent de monétiser des jours de RTT. Encore la mesure ne vaut-elle qu’en 2022 et 2023. Ce n’est donc pas la fin des 35 heures.

Je me suis clairement exprimé au nom du Gouvernement pour dire qu’il ne nous paraissait pas opportun de décider maintenant de la pérennisation du dispositif. D’abord, il n’y a pas d’urgence, puisque cette mesure dure jusqu’à la fin de l’année 2023. D’ici à 2024, nous pourrons évaluer ses effets et tenir une concertation avec les partenaires sociaux.

Certes, nous avons pérennisé le relèvement du plafond sur les heures supplémentaires, mais il s’agissait d’un dispositif qui existait déjà. Là, il s’agit d’un mécanisme nouveau. Une concertation et une évaluation seraient donc bienvenues avant de le pérenniser.

J’ajoute, en tant que ministre délégué aux comptes publics, qu’il faut se demander quel est le coût d’une mesure nouvelle. En l’occurrence, cela dépendra du taux de recours. Pour évaluer ce coût en 2022 et 2023, nous avons estimé que 15 % des salariés auraient recours à cette possibilité, et monétiseraient chacun une journée de RTT par an. Cela fait déjà 500 millions d’euros en manque à gagner de cotisations sociales. Si la même proportion de salariés en venaient à monétiser trois jours de RTT par an, ce serait 1,5 milliard d’euros, soit plus que ce que nous avons dépensé pour revaloriser le point d’indice.

M. Gabriel Attal, ministre délégué. Pour décider de la pérennisation d’une mesure de cette ampleur, prévue jusqu’à la fin de l’année 2023, il me semble plus raisonnable d’attendre un prochain projet de loi de finances et d’en débattre à la lumière de ce que l’on aura constaté.

M. Féraud me demande ce que le Gouvernement compte décider en CMP.

M. Rémi Féraud. Après la CMP !

M. Gabriel Attal, ministre délégué. Heureusement que le Gouvernement ne décide pas à la place de la CMP ! Il serait même inquiétant que je puisse vous répondre…

Mme Laurence Rossignol. Allons… Vous parlez bien avec les députés de votre majorité… Nous ne sommes pas des perdreaux de l’année !

Mme le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Je trouve qu’il y a une espèce de double erreur.

Le Gouvernement parle du « choix » des salariés. Mais j’ai des souvenirs très précis : il n’y a pas égalité de pouvoir entre le patron et les salariés. Certains patrons feront pression sur leurs employés pour que ceux-ci monétisent leurs RTT afin de ne pas payer de charges et d’obtenir quelques jours supplémentaires. Le monde du travail, ce n’est pas les Bisounours ! C’est le méconnaître que de penser qu’il suffirait, pour un salarié qui a besoin d’argent, d’aller voir son patron pour obtenir aussitôt satisfaction ! Les choses se passent parfois ainsi, mais c’est loin d’être toujours le cas.

Il me semble très dangereux d’ouvrir le sujet d’une telle manière

Par ailleurs, et je le répète chaque fois que la situation se présente, les lois de finances ne sont pas, à mon sens, le véhicule adéquat pour voter des amendements d’ordre sociétal. Ces questions doivent être traitées par la loi, mais au fond.

M. le ministre est à présent quelque peu embêté…

M. Gabriel Attal, ministre délégué. Pas du tout !

M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Monsieur le ministre, nous avons tous ressenti votre embarras. Vous avez indiqué ne pas souhaiter une mesure à caractère permanent.

Mme le président. Il faut conclure, cher collègue.

M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Je considère cet amendement comme un amendement d’appel, et je vous remercie par avance de le retirer ! (Rires sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme le président. La parole est à M. Sébastien Meurant, pour explication de vote.

M. Sébastien Meurant. Comme vient de le dire M. le président de la commission des finances, le sujet mérite d’être traité au fond.

Les situations ne sont pas uniformes. Aujourd’hui, dans bien des endroits, dans les zones tendues, c’est le salarié qui a la main sur l’employeur. (Exclamations ironiques sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.) C’est une réalité. Je peux vous citer des dizaines de secteurs d’activité où l’on recherche des salariés. Je vous invite à visiter le Campus Cyber. Vous verrez que nous sommes loin de Germinal !

Je suis surpris d’entendre parler du ministre du temps libre. Nous sommes en 2022, et certains font encore référence à 1981. Le monde a légèrement changé depuis !

Je vous rappelle, chers collègues socialistes, qu’il y a eu le tournant de la rigueur en 1983. Le choc inflationniste interne avait causé une perte du pouvoir d’achat, un mécontentement inédit des Français et, surtout, l’explosion du chômage. L’économie avait alors perdu sa compétitivité, notamment sa compétitivité-prix. Et cela s’expliquait très bien !

Les Français ont connu à l’époque une perte de pouvoir d’achat par rapport à leurs voisins européens, qui n’avaient pas choisi un tel modèle. En 1981, nous étions le seul pays à faire passer l’âge légal de la retraite de 65 ans à 60 ans.