M. le président. La parole est à Mme la rapporteure pour avis, en remplacement de M. Philippe Paul, rapporteur pour avis.

Mme Gisèle Jourda, en remplacement de M. Philippe Paul, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, après plusieurs années de progression des crédits de la gendarmerie nationale due notamment au plan de relance, nous pouvions craindre un retour de balancier.

Grâce à la programmation prévue dans le cadre du projet de Lopmi, ce n’est pas le cas. Nous pouvons donc saluer des crédits globalement en hausse en 2023 : ils passent de 9,3 milliards à 9,9 milliards d’euros en crédits de paiement, soit une hausse de 6,4 %.

En outre, les effectifs progresseront de 950 emplois, permettant la création de 7 escadrons de gendarmerie mobile et le début de la mise en place de 200 nouvelles brigades territoriales. Celles-ci seront sans doute regardées comme un apport très utile dans certains départements après des années de suppression et de regroupement de brigades.

Il est vrai que, lors de l’examen du projet de Lopmi, nous avions exprimé quelques interrogations à ce sujet.

D’abord sur la méthode. La concertation avec les élus locaux a été lancée très vite, avant même le vote de la Lopmi. Nous avons aussi alerté sur la nécessité d’avoir des critères objectifs afin de garantir une implantation durable et un réel effet sur la délinquance.

Ensuite, nous avons exprimé notre préoccupation sur la capacité des collectivités territoriales à investir pour construire des locaux.

Outre les dispositifs de soutien existants au travers des décrets de 1993 et de 2016, la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR) a été évoquée. Madame la ministre, avez-vous prévu des dispositifs supplémentaires, conformément à l’amendement adopté par le Sénat au sein du rapport annexé au projet de Lopmi ?

D’autres aspects de ce budget représentent à notre sens un progrès indéniable, en particulier les 120 millions d’euros de crédits de paiement pour la modernisation informatique et la création d’une agence du numérique des forces de sécurité intérieure.

Je rappelle qu’en 2019 nous avions eu des interrogations sur la création d’une direction du numérique auprès du secrétaire général du ministère de l’intérieur. Cette direction devait plus ou moins absorber les services d’information et de communication des directions générales de la police et de la gendarmerie, notamment le service des technologies et des systèmes d’information de la sécurité intérieure (STSI2), qui avait fait ses preuves au travers de NÉO ou encore d’Agorha-solde.

Pouvez-vous nous confirmer, madame la ministre, que la nouvelle agence du numérique sera bien construite à partir du STSI2, mais avec davantage de moyens ?

Pour le reste, le budget du programme 152 pour 2023 affiche une certaine stagnation des crédits hors titre 2 après plusieurs années d’efforts dans ce domaine.

S’agissant de l’investissement immobilier, la Lopmi a prévu la mise en place d’un nouveau service chargé de planifier les nouvelles constructions et la maintenance lourde selon un échéancier qui reste à élaborer. Sachez, madame la ministre, que nous serons très attentifs à cette question.

En conclusion, le budget de la gendarmerie nationale pour 2023 affiche une nouvelle progression des crédits, permettant de poursuivre la mise à niveau numérique, la montée en puissance des effectifs et une présence accrue auprès des populations.

Pour l’ensemble de ces raisons, tout en restant attentive à la mise en œuvre effective des orientations de la future Lopmi en matière d’investissements, la commission a émis un avis favorable sur l’adoption des crédits du programme 152.

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure pour avis.

Mme Gisèle Jourda, rapporteure pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le budget de la gendarmerie pour 2023 comporte plusieurs aspects positifs, notamment les moyens importants investis dans la transformation numérique, qui permettront de poursuivre la modernisation de la gendarmerie, en mettant en œuvre les nouvelles étapes de NÉO et du système PC Storm, qui constitue une brique essentielle du réseau Radio du futur.

Tous ces nouveaux systèmes numériques génèrent logiquement des dépenses récurrentes pour le maintien en condition opérationnelle et le renouvellement des équipements. Cela montre une fois de plus l’importance de la programmation pluriannuelle.

Il est difficile de tout financer à la fois, mais il ne faut pas laisser se dégrader un aspect pendant que l’on en renforce un autre. Développer les meilleurs outils numériques, c’est bien, mais si parallèlement les gendarmes exercent dans des brigades décrépites et sont logés dans des casernes dégradées, c’est problématique et inacceptable.

Or le projet de Lopmi ne prévoit pas de programmation des investissements permettant de remédier à ces points noirs bien connus. Une fois de plus, les investissements prévus pour l’immobilier au sein du programme 152 seront insuffisants en 2023. Avec un montant de 126 millions d’euros, on est loin des 300 millions annuels nécessaires. L’année dernière, un effort avait pourtant été accompli pour passer de 100 millions d’euros à 150 millions – on revient donc en arrière.

Le Sénat a pourtant adopté notre amendement au sein du rapport annexé au projet de Lopmi, prévoyant ce nécessaire investissement de 300 millions d’euros annuels dans l’immobilier domanial. Quelle est votre intention, madame la ministre, s’agissant de la mise en œuvre de cette disposition, pour 2023 mais aussi pour les années suivantes ?

En ce qui concerne les véhicules, un renouvellement de 2 000 unités seulement est prévu pour 2023, chiffre le plus bas depuis 2014. Il est vrai qu’un effort important avait été consenti sur la période 2020-2022, avec plus de 3 500 véhicules par an, ce qui a permis de rajeunir un peu le parc.

Là encore, la stabilité et la pluriannualité sont indispensables, afin d’avoir un parc de véhicules légers qui reste en bon état au fil du temps, et non des périodes fastes qui alternent avec des périodes où l’état des véhicules est indigne. En 2023, nous serons bien au-dessous du renouvellement annuel de 10 % du parc pourtant inscrit dans le rapport annexé au projet de Lopmi.

Je terminerai par un point positif, en évoquant la réserve opérationnelle de la gendarmerie. Le projet de Lopmi prévoit le passage de 30 000 à 50 000 réservistes, objectif qui paraissait ambitieux compte tenu de la stagnation des crédits au cours des dernières années. Or on observe bien, au sein du programme 152 pour 2023, une hausse de 20 % des crédits fléchés vers la réserve, ce dont nous nous félicitons.

La progression significative des crédits du programme 152 a conduit notre commission à donner un avis favorable sur leur adoption, même si nous gardons à l’esprit certains points négatifs, en particulier la poursuite du sous-investissement dans l’immobilier auquel il faudra impérativement remédier dans les prochaines années.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.

M. Henri Leroy, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la commission des lois a donné un avis favorable sur l’adoption des crédits de la mission « Sécurités ».

Ce projet de loi de finances fait suite à plusieurs années de larges concertations – Livre blanc de la sécurité intérieure, Beauvau de la sécurité…

Un projet de Lopmi a ensuite été élaboré, ce qui répondait à l’une de nos anciennes recommandations. Ce projet porte des ambitions programmatiques fortes pour le budget du ministère de l’intérieur, puisque ce ne sont pas moins de 15 milliards d’euros supplémentaires qui seraient budgétés sur cinq ans par rapport aux crédits affectés au ministère en 2022.

Tant les dépenses de personnel que de fonctionnement et d’investissement augmentent en 2023, ce qui permettra de financer les priorités fixées par le projet de Lopmi.

La commission a toutefois assorti de trois réserves son avis favorable sur l’adoption des crédits.

La première concerne la prise en compte de l’inflation dans l’exécution du budget 2023.

Le projet de Lopmi a été élaboré avant la survenue de ce phénomène et les budgets n’ont pas été revalorisés en conséquence. La police et la gendarmerie nationales vont donc devoir participer à l’effort national de rationalisation des dépenses, mais cela ne devra pas porter préjudice à la capacité des forces à faire face aux échéances de 2023 et 2024.

Deuxième réserve, le doublement des effectifs sur la voie publique n’aura de sens que si les effectifs des services judiciaires qui traitent les enquêtes et ceux des juridictions sont augmentés de manière proportionnelle. Sans cela, c’est toute la chaîne pénale qui serait engorgée sans amélioration de la réponse pénale.

Enfin, la troisième réserve concerne la nécessaire diminution de la part des dépenses de personnel dans le budget global de ces deux programmes : après deux années de diminution nette, cette tendance est moins claire en 2023. Une évolution structurelle est nécessaire et la commission des lois se montrera attentive à cette question. (Applaudissements au banc des commissions. – M. François-Noël Buffet applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure pour avis.

Mme Françoise Dumont, rapporteure pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la commission des lois a donné un avis favorable sur l’adoption des crédits du programme 161 relatif aux moyens nationaux de la sécurité civile.

Nous saluons la hausse significative tant des autorisations d’engagement, qui dépassent pour la première fois le milliard d’euros, que des crédits de paiement. Ces crédits supplémentaires permettront de renouveler et de renforcer notre flotte d’hélicoptères, conformément aux préconisations formulées l’année dernière par la commission des lois.

Cette forte hausse nous paraît nécessaire, et même vitale, tant l’année 2022 a mis à rude épreuve tous les acteurs de la sécurité civile. Avec 72 000 hectares brûlés, soit sept fois plus que la moyenne annuelle des vingt dernières années, la dernière saison des feux a marqué une nette rupture dans notre appréhension des aléas, remettant en question de nombreuses certitudes quant à la résilience de notre modèle de lutte contre les incendies.

Nous devons apporter une réponse de manière urgente. Outre la réquisition précipitée de huit hélicoptères, la France, qui traditionnellement aide ses voisins, a eu recours, pour la première fois depuis son instauration en 2001, au mécanisme européen de protection civile. Nous avons donc incontestablement atteint les limites capacitaires de nos forces de sécurité civile.

C’est pourquoi notre avis favorable ne s’apparente aucunement à un quitus à l’égard du Gouvernement.

Tout d’abord, nous insistons sur la forte attente de notre part quant à la publication, par le Gouvernement, du rapport sur le financement des services départementaux et territoriaux d’incendie et de secours, demandé dans le cadre de la loi visant à consolider notre modèle de sécurité civile et valoriser le volontariat des sapeurs-pompiers et les sapeurs-pompiers professionnels, dite loi Matras.

En effet, toute réflexion générale sur les moyens de la sécurité civile, rendue nécessaire cette année, doit impérativement associer les collectivités territoriales et se pencher sur l’enjeu du financement des Sdis, mis en difficulté par l’ampleur de la dernière saison des feux et ne disposant pas des mêmes leviers financiers que l’État pour y répondre.

Mme Nathalie Goulet. Absolument !

Mme Françoise Dumont, rapporteure pour avis de la commission des lois. Concernant les moyens aériens nationaux, nous avons émis de vives réserves quant aux effets d’annonce autour du plan de renouvellement et de renforcement des canadairs, largement commenté par le ministre de l’intérieur à l’occasion de l’examen du projet de Lopmi, puis décrit comme une nouveauté lors du discours du Président de la République le 28 octobre dernier.

Cela fait en outre plus de trois ans que sont attendus les deux canadairs devant être commandés dans le cadre de l’Union européenne et pourtant mis en avant dans tous les discours gouvernementaux sur la sécurité civile.

Par ailleurs, le calendrier ambitieux, affiché par le Président de la République, visant un renouvellement intégral de nos canadairs d’ici à la fin du quinquennat paraît irréaliste, alors qu’aucun financement n’a encore été engagé.

Cela démontre une certaine confusion dans la communication gouvernementale d’autant que, à deux reprises, le ministre de l’intérieur a déclaré à notre commission qu’il y avait de fortes tensions sur la chaîne de production des canadairs et que ceux-ci devront se faire attendre plusieurs années, même en faisant preuve d’optimisme.

Nous serons donc particulièrement vigilants à ce que les annonces faites soient convenablement menées à bien. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi quau banc des commissions.)

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque unité de discussion comprend le temps d’intervention générale et celui de l’explication de vote.

Par ailleurs, le Gouvernement dispose au total de quinze minutes pour intervenir.

Dans la suite de la discussion, la parole est à M. François-Noël Buffet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. François-Noël Buffet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je voudrais, au nom du groupe Les Républicains, faire quelques observations.

Cela fait maintenant plusieurs années que le Sénat appelle de ses vœux une loi de programmation pour la sécurité intérieure. Ce texte est peut-être sur le point d’aboutir puisque la commission mixte paritaire aura lieu jeudi prochain.

Au-delà des quelques appréciations positives, l’examen des crédits de cette mission nous a fait identifier des points de vigilance.

Nous voulons insister sur la nécessité de fortifier dans la durée les capacités opérationnelles des forces de sécurité intérieure, c’est-à-dire que ces efforts doivent impérativement se poursuivre jusqu’à la fin du quinquennat.

En effet, il ne faut pas oublier que nous allons organiser très prochainement deux grands événements sportifs, à savoir la Coupe du monde de rugby en 2023 et les jeux Olympiques en 2024, ce qui nécessitera le déploiement en bonne et due forme de moyens importants. Il ne s’agira pas de lésiner sur la sécurité à ces occasions.

Par ailleurs, l’augmentation des effectifs ne devra pas se faire au détriment des dépenses d’investissement et de fonctionnement, comme l’a souligné Philippe Dominati voilà quelques instants.

Aussi, je nous encourage à être particulièrement vigilants, quasi quotidiennement, sur l’affectation de ces crédits. Faut-il le rappeler, le contexte budgétaire de notre pays est extrêmement contraint et le Conseil d’État a émis dans deux avis des inquiétudes concernant cette Lopmi.

J’en viens aux points positifs.

La dernière loi de programmation sur les moyens du ministère de l’intérieur datait un peu, puisqu’elle portait sur la période 2011-2013. Nous aurions préféré avoir une Lopmi plus rapidement, mais elle est enfin là : tant mieux ! Nous devons admettre que ces 15 milliards d’euros supplémentaires budgétés sur cinq ans représentent un effort substantiel.

Pour autant, ce budget doit être non pas conjoncturel, mais structurel. Rien ne serait pire pour nos services de sécurité que d’être victimes d’une politique erratique.

Plusieurs objectifs pluriannuels du projet de Lopmi doivent être retenus.

D’abord, les crédits affectés à la police et à la gendarmerie passeraient d’environ 21 milliards d’euros en crédits de paiement à plus de 25 milliards d’euros en 2027, soit une hausse significative, de plus de 20 %.

Ensuite, est prévue une hausse des dépenses de personnels de 5,8 % pour les deux forces. Ainsi, Mme la Première ministre a annoncé le 6 septembre dernier la création de 8 500 postes de policiers et de gendarmes d’ici à 2027.

En outre, il faut souligner une mise à niveau des équipements : acquisition de gilets tactiques, développement de solutions opérationnelles comme le PC Storm, pour permettre aux forces de sécurité de communiquer via un outil unique et sécurisé, dans l’attente du déploiement du réseau Radio du futur prévu dans ce même projet de Lopmi, acquisition de caméras-piétons, etc. Cette mise à niveau des équipements est absolument essentielle.

Enfin, je n’oublie pas la montée en puissance des réserves opérationnelles de la police, avec 8,4 millions d’euros en 2023, et de la gendarmerie, avec plus de 14 millions d’euros.

À ce stade, je voudrais évoquer deux sujets particuliers en matière technologique.

D’abord, l’enjeu crucial que représente le numérique. Près de 8 milliards d’euros y ont été affectés par le projet de Lopmi, soit quasiment la moitié du budget total que celui-ci prévoit. Ce n’est pas une petite affaire, si vous me permettez cette expression. Il faut poursuivre le développement de nos capacités numériques, au travers des terminaux NÉO, des ordinateurs portables Ubiquity, etc.

Il faut également développer le dépôt de plainte en ligne. Nous avons déjà expérimenté la procédure de pré-plainte, mais il faut aller beaucoup plus loin pour plus d’efficacité.

Enfin, nous devons mettre l’accent sur les applications permettant d’accroître le nombre d’actes de procédure que peuvent réaliser nos policiers et gendarmes en mobilité, en évitant à tout prix le fiasco du logiciel Scribe.

Le second sujet concerne l’intelligence artificielle : où en est-on ? Il n’existe pas, à ce jour, de cadre juridique adapté à l’usage des technologies de reconnaissance biométrique dans l’espace public.

Une mission d’information du Sénat menée par MM. Marc-Philippe Daubresse, Arnaud de Belenet et Jérôme Durain, a rendu un rapport, le 10 mai dernier, intitulé La reconnaissance biométrique dans lespace public : 30 propositions pour écarter le risque dune société de surveillance. Cette source pourrait être utile au Gouvernement en prévision, notamment, des grands événements sportifs que j’ai évoqués, mais pas seulement. En tout état de cause, nous devons être prêts à créer ce cadre adapté pour les jeux Olympiques de 2024, en fixant naturellement des lignes rouges à ne pas franchir, comme l’ont proposé nos rapporteurs.

Je terminerai en évoquant la question sensible de la réforme de la police judiciaire.

Peu de gens en parlent, même si une mission au sein de la commission des lois du Sénat est en cours. À l’occasion de ce débat budgétaire, le groupe Les Républicains voudrait insister, au-delà de la réforme, sur la crise des vocations qui touche la police judiciaire. Ce constat est partagé par tous. Ces difficultés de recrutement tiennent non pas à un désintérêt pour ces fonctions, mais aux difficiles conditions de travail. Il faut bien reconnaître que ces personnels sont disponibles 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, compte tenu des enjeux exceptionnels auxquels ils sont confrontés pour assurer leur mission à notre service.

Nous voulons donc profiter de l’occasion offerte par ce débat pour rappeler, alors que les discussions s’ouvrent sur la réorganisation de la police judiciaire, cette problématique de la crise des vocations, véritable point de vigilance. Il faut poser les problèmes sérieusement sur la table pour que notre police judiciaire, qui est un exemple, disons-le, puisse continuer d’exercer dans l’excellence, en poursuivant avec succès les voyous auteurs des infractions les plus graves.

Pour conclure, je dirai que les efforts sont là, mais que nous devons rester vigilants. L’efficacité des moyens mis en place pour notre sécurité dépend aussi de la continuité de la chaîne pénale, c’est-à-dire des moyens qui seront affectés à la justice pour donner des suites aux opérations menées par nos services de sécurité. Nous examinerons justement la mission « Justice » cet après-midi. N’oublions pas que c’est un ensemble qu’il s’agit de faire fonctionner harmonieusement. Autrement dit, le doublement des effectifs sur la voie publique n’a de sens que si les effectifs des services judiciaires traitant les enquêtes et des juridictions sont augmentés proportionnellement. Il y a un lien direct, chacun le comprend bien.

Au bénéfice de ces observations, le groupe Les Républicains suivra les avis favorables du rapporteur spécial, M. Philippe Dominati, et de nos deux rapporteurs pour avis de la commission des lois, M. Henri Leroy et Mme Françoise Dumont. La courtoisie aurait voulu, madame, que je vous cite en premier. Je vous prie de bien vouloir m’en excuser. (Sourires et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Alain Marc.

M. Alain Marc. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le budget que nous examinons aujourd’hui reprend les éléments du projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur, voté en première lecture il y a peu.

Ce texte prévoit une augmentation des moyens consacrés à nos forces de l’ordre. La progression de l’insécurité doit en effet être enrayée. C’est le souhait non seulement du Président de la République, mais aussi, je le crois, de tous les citoyens de ce pays. Il s’agit bien sûr d’accroître la présence policière sur le terrain, engagement que nous ne pouvons que saluer.

Pour ce faire, il importe de libérer les agents des nombreuses tâches administratives auxquelles ils sont astreints. Le projet de Lopmi y concourt.

Il sera cependant nécessaire d’envisager une réforme en profondeur de la procédure pénale, afin de la simplifier. Tous les acteurs du monde judiciaire en bénéficieront, les justiciables au premier chef.

Pour accroître cette présence, il faut aussi augmenter les effectifs. C’est notamment ce que permettent les crédits de la mission « Sécurités ». Entre 2017 et 2022, plus de 8 000 policiers et plus de 2 000 gendarmes ont été recrutés, 10 000 agents supplémentaires qui veillent à la sécurité de nos concitoyens et de nos entreprises, ainsi qu’à la sûreté de nos territoires.

Cette dynamique se poursuit cette année encore, et nous nous en félicitons. Ainsi, près de 3 000 emplois seront créés en 2023.

En plus d’une augmentation d’effectifs, nos forces de l’ordre ont besoin d’investissements massifs, en matière tant d’équipement que d’immobilier.

Les policiers et les gendarmes exercent un métier dangereux, dans des conditions difficiles et tendues. Aussi, ils doivent pouvoir compter sur un matériel de qualité. La question du parc automobile est un sujet sensible, même si l’on peut constater, ces dernières années, que la situation s’est considérablement améliorée. On ne voit plus de gendarmes circulant dans de vieilles Twingo… C’est heureux, car cela donne une autre image de nos forces de l’ordre.

Les délits de fuite sont de plus en plus nombreux et entraînent de plus en plus de dégâts. Les policiers et les gendarmes doivent être en mesure de maîtriser les suspects. Ils ont pour cela besoin de véhicules puissants, fiables et, donc, récents. Force doit rester à la loi !

Si des efforts ont été faits, nous sommes quand même préoccupés par la baisse des crédits consacrés au renouvellement de la flotte de véhicules.

Le parc immobilier a, lui aussi, grand besoin d’être rénové et modernisé. La dynamique est enclenchée. Il convient de maintenir cet effort dans la durée.

Les missions des forces de l’ordre évoluent sans cesse. À mesure que le numérique prend une place de plus en plus importante dans nos vies, la délinquance et le crime s’y développent. Nos policiers et gendarmes doivent acquérir de nouvelles compétences et de nouvelles capacités pour faire face et assurer la sécurité de nos concitoyens.

Nous avons tous en tête les récentes attaques informatiques qui ont ciblé des hôpitaux ou encore des communes. La complexité et l’impact de ces opérations ne cessent de croître. Parallèlement, de récentes arrestations ont mis au jour d’importants réseaux pédopornographiques dans notre pays. Tout cela révèle l’ampleur prise par le numérique dans le travail des forces de l’ordre.

Le projet de Lopmi prévoit, en conséquence, un plan de modernisation numérique, particulièrement nécessaire et attendu.

Au-delà de ces nouveaux champs d’intervention, policiers et gendarmes assurent également des missions plus classiques, mais tout aussi importantes. J’évoquerai plus particulièrement la sécurité routière.

Ce sujet ne fait pas les gros titres des journaux, mais les accidents de voiture emportent chaque année la vie de plus de 3 000 de nos concitoyens, c’est-à-dire trois fois plus que le nombre d’homicides. L’augmentation des crédits dédiés à la sécurité routière est donc bienvenue, d’autant que 2022 semble être une année particulièrement mauvaise à cet égard. Il faut inverser la tendance.

L’accroissement des missions, comme l’augmentation de la délinquance et de la criminalité, justifie la hausse du budget consacré à la sécurité. Nos concitoyens en ont besoin pour pouvoir exercer leurs libertés.

Le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera en faveur de l’adoption de ce budget.

M. le président. La parole est à M. Thomas Dossus. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. Thomas Dossus. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, première traduction financière du projet de Lopmi, présenté par ce gouvernement, le budget de la mission « Sécurités » voit les crédits alloués à ce volet de l’action publique fortement augmenter. Nous devrions nous en réjouir, mais nous ne sommes pas là pour ne regarder que le chiffre en bas du tableau. C’est bien la répartition et l’utilisation de ces fonds qui interrogent notre groupe.

Lors des longs débats que nous avons eus autour du projet de loi de programmation, nous avons pu exposer notre vision des forces de l’ordre : au service des citoyens et au plus proche d’eux.

Lors de cet examen, nous avons bien voté l’article comprenant la trajectoire d’augmentation des crédits alloués aux serviteurs de l’État, saluant cet effort substantiel, pour reprendre les termes du président Buffet, mais pas le rapport qui en décrivait l’usage. Les forces de sécurité de notre pays sont, à l’instar d’autres fonctionnaires comme les soignants de l’hôpital public, les enseignants ou les magistrats, parfois bien maltraités par l’État employeur.

Ce sentiment d’abandon, de manque de moyens, d’accompagnement, de formation, aggravé par la politique du chiffre et des missions aussi chronophages qu’inutiles, se traduit, hélas, par l’épuisement de nos forces de l’ordre. Songez que 24 % des gendarmes ou policiers déclarent être confrontés à des pensées suicidaires. C’est cela qui devrait être la priorité.

Nous avons bien perçu la continuité d’une politique, plus répressive que protectrice, qui ignore tant les liens de confiance à renforcer avec la population que cette immense souffrance au travail de nos forces de l’ordre, lesquelles s’engagent pourtant pour agir auprès de la population, avec la population, pour la population.

Ce gouvernement préfère allouer l’argent public à la numérisation, à une robotisation outrancière, une modernisation de façade, qui oublie les problèmes du quotidien, à la fois des citoyens et des agents.

La numérisation ne simplifie la vie que d’une partie de la population : l’illectronisme est une réalité qui touche 13 millions de personnes en France. Ne les laissons pas à la porte de nos services publics !

Je profite d’être à cette tribune pour m’associer aux craintes évoquées par de nombreux parlementaires sur un tel investissement dans la technologie, et ce au regard du fiasco qu’a été le déploiement du logiciel Scribe.

Alors, certes, il faut reconnaître que la menace numérique s’accroît. Aussi, nous nous réjouissons du renforcement des services de lutte contre la cybercriminalité. Nous saluons l’ensemble des agents qui ont récemment permis l’interpellation de plusieurs cyberpédocriminels.

Nous nous félicitons également de l’engagement gouvernemental de répondre enfin au problème de la vétusté des locaux, qui n’est pas sans conséquence non seulement pour les forces de l’ordre, mais aussi pour les gardés à vue, comme l’a très justement souligné Dominique Simonnot.

Cet effort en faveur de conditions de travail dignes est essentiel pour renforcer aujourd’hui les liens avec les citoyens.

Nos craintes restent les mêmes depuis l’étude du projet de Lopmi : un développement de façade d’une police structurée autour du tout-répressif ; une multiplication de nouvelles compagnies de CRS calibrées, nous dit-on, pour faire face aux grands événements que notre pays s’apprête à accueillir, mais sans repenser notre doctrine de maintien de l’ordre, qui a pourtant brillé par sa médiocrité devant le monde entier lors d’un grand événement au printemps dernier.

L’évolution des dépenses de fonctionnement et d’investissement entre la police et la gendarmerie diffère : elles augmentent ainsi significativement pour la police nationale, mais diminuent pour la gendarmerie nationale.

Nous défendons une police de proximité, essentielle pour renouer le lien de confiance avec les citoyens. Ce sont donc bien les missions que l’on doit questionner avant l’allocation des moyens.

Le tout-répressif et la culture du chiffre ont leurs limites, mais ce budget est loin de dresser un tel constat.

Pour ce qui est des missions inutilement consommatrices de forces et de moyens, l’exemple de la lutte contre le cannabis est emblématique de l’impasse d’une politique antidrogue inefficace. Malgré tous les coups de filet, les points de deal démontés, toutes les amendes forfaitaires, vous vous heurtez toujours au même problème : les Français aiment ce produit et en sont toujours parmi les plus grands consommateurs d’Europe. Votre politique ne tient que par votre dogmatisme et ne fait qu’épuiser les troupes.

Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires souhaite traduire dans ce budget des propositions que nous avions faites dans le cadre du débat sur le projet de Lopmi, propositions qui avaient reçu le soutien du Gouvernement, à savoir le développement des officiers de liaison LGBTQI ou encore la formation au tir.

Nous proposerons aussi la création d’une réelle autorité administrative indépendante chargée de la déontologie de nos forces de l’ordre.

Sur le volet sécurité civile, notre déception est grande. Comme partout ailleurs, les moyens ne sont pas à la hauteur des enjeux liés au changement climatique. Ils ne permettent pas de construire une première ligne solide face aux périls qui viennent.

Le budget de la sécurité civile n’est de nature, selon nous, ni à répondre au besoin réel de prévenir les risques accrus à venir ni à compenser les dégâts subis cet été. Le renforcement des moyens de lutte contre les incendies est bienvenu, certes, mais son niveau est insuffisant dans un contexte inflationniste.

Dans l’ensemble, ce budget ne nous convient pas. Nous restons dubitatifs, au même titre que le Conseil d’État, qui a également déploré un manque de données sur la situation et l’évolution des phénomènes d’insécurité et de délinquance au cours des dernières années, ainsi qu’une absence d’évaluation des dernières lois sécuritaires adoptées depuis 2018.

Aussi, notre groupe ne pourra voter les crédits de la mission « Sécurités ». (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)