M. Gérald Darmanin, ministre. Merci !

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Jean-Claude Requier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 12 août 1789, face à l’Assemblée nationale qui élabore notre future Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, Jean-Joseph Mounier, député du tiers état représentant, lors des États généraux, le Dauphiné, déclare : « La véritable liberté n’est que la sûreté des biens et des personnes ; cette sûreté n’a point d’autres fondements que le respect des lois. […] C’est la nécessité d’établir des lois et de les exécuter. »

Si, actuellement, nous parlons de sécurité plutôt que de sûreté, nous chérissons toujours autant nos libertés. Celles-ci ne peuvent s’exprimer pleinement que dans une société qui voit ses règles communes respectées. Nous n’avons donc aucune pudeur à affirmer combien le travail de la police et de la gendarmerie nationale est précieux !

C’est dans cet état d’esprit que s’est forgée mon opinion sur ce projet de loi de programmation, qui, pour l’essentiel, semble convaincant.

Les moyens budgétaires augmentent ; les perspectives indiquées dans le rapport sont bonnes.

Le Sénat a su corriger quelques aspects du texte pour qu’il soit mieux équilibré – j’y reviendrai notamment en parlant de l’amende forfaitaire délictuelle.

Nous avons aussi ajouté certains dispositifs particuliers qui sont les bienvenus. Je pense, par exemple, à celui de l’article 14 bis, qui supprime la nécessité de réitération ou de formalisation des menaces de mort pour encourir une sanction pénale. Je pense également à l’article 10 bis, qui permettra de reconnaître la qualité d’agent de police judiciaire aux élèves officiers de la gendarmerie nationale.

En bref, de manière générale, le groupe RDSE a toujours salué les apports de ce projet de loi. Cela étant, il a aussi fait preuve de réserves qui n’ont, hélas ! pas toutes été pleinement dissipées à l’issue du travail législatif.

Une première source de réserves a trait à l’amende forfaitaire délictuelle. Les dispositions du projet de loi initial ont vite été corrigées par notre hémicycle. Ce fut un ajustement heureux, et nous nous réjouissons de le retrouver dans le texte de la commission mixte paritaire. La liste des infractions susceptibles de faire l’objet d’une amende forfaitaire est strictement encadrée, et, mieux encore, la Haute Assemblée a pris soin de renforcer les droits des victimes en leur préservant la possibilité de se porter partie civile.

Une deuxième réserve touche à la suppression de la condition d’ancienneté appliquée aux policiers et gendarmes pour se présenter à l’examen d’officier de police judiciaire (OPJ). Nous peinons toujours à être convaincus. Notre groupe croit aux bienfaits de l’expérience, surtout dans ces métiers où la gravité des décisions et des actes est parfois vertigineuse.

Une troisième réserve est liée à la création des assistants d’enquête. Sur le principe, nous n’y sommes pas hostiles. Cela peut être une bonne chose, mais tout dépendra des modalités de mise en place. Je reprendrai quelques-unes des interrogations qu’avaient émises mes collègues Maryse Carrère et Nathalie Delattre au cours de nos débats : qu’en sera-t-il de leur formation et de leur encadrement, de leur rémunération, ou encore de leur répartition ? Espérons donc que tout soit fait pour que ce nouveau corps de métier soit effectivement en mesure d’apporter le soutien attendu à la police judiciaire.

Cela m’amène enfin à dire un mot sur la réforme en cours de notre police. Beaucoup de mes collègues ont relayé les inquiétudes qui entourent ce projet ; certes, il y en a dans nos territoires, mais je dirai seulement que la critique n’est pas unanime. Au cours de certaines auditions, j’ai pu entendre des voix en faveur des changements annoncés. Toujours est-il que cette réforme tend à diviser, et pourrait conduire à des ruptures. De ce point de vue, c’est regrettable.

Le Sénat a bien fait de rappeler la nécessaire prise en compte des spécificités de la police judiciaire dans le cadre de la réforme de l’organisation de la police nationale. Il faut que le Gouvernement trouve le moyen de rassurer les agents préoccupés par ces bouleversements à venir, ne serait-ce que pour ménager ces hommes et ces femmes qui œuvrent quotidiennement à la sécurité de nos concitoyens et au bien public de notre nation.

Ces remarques n’ôtent pas à ce projet de loi ses qualités, que je rappelais dans mon propos introductif. Notre groupe y sera donc très favorable. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Laurent Burgoa applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce texte issu des travaux de la commission mixte paritaire ne nous invite pas à modifier notre opposition à cette Lopmi.

M. Loïc Hervé. Quel dommage !…

Mme Éliane Assassi. C’est dommage, oui…

À bien des égards, ce texte est, selon nous, un marqueur de choix politiques qui privilégient le répressif en ignorant la prévention et la dissuasion.

En prônant, effectivement, le tout-répressif par la systématisation et la simplification de la procédure, nous ne faisons pas honneur aux professions de la sécurité, auxquelles je suis très attachée, pour diverses raisons que je n’évoquerai pas à cette tribune.

Il est intéressant de constater que, selon le ministère de l’intérieur, un policier hyperéquipé, et non un policier de proximité, serait fédérateur et ouvrirait des vocations. Je ne partage pas cet idéal de suréquipement et de « sur-répression ». Cette conception froide des missions de nos policiers et de nos gendarmes, mais également des victimes et des mis en cause, n’est pas acceptable.

Sur le plan procédural, comme j’ai eu l’occasion de le souligner, nous dénonçons l’extension des autorisations générales de réquisition. La simplification de la procédure pénale induit un affaiblissement des droits de la défense. Une telle autorisation dessert les droits fondamentaux du mis en cause. L’imprécision n’est au service ni de la présomption d’innocence ni du droit au respect de la vie privée. La régularité de la procédure pénale risque ainsi d’être remise en cause par de telles réquisitions générales.

De plus, la généralisation à vingt-neuf délits de l’amende forfaitaire délictuelle privera les justiciables des garanties fondamentales qu’offre la procédure pénale. Par un tel procédé, la Lopmi déléguera aux agents de police une fonction qui relève en principe de l’autorité judiciaire, comme l’a souligné la CNCDH, mais également le Conseil d’État, dans son avis du 10 mars dernier.

Certes, la commission mixte paritaire a eu la sagesse de limiter la liste des infractions pouvant faire l’objet d’amendes forfaitaires délictuelles ; pour notre part, nous aurions préféré, je dois le dire, qu’il ne soit tout simplement pas possible d’y recourir.

Par ailleurs, l’abaissement des exigences dans le recrutement des OPJ conduira inévitablement à des manquements procéduraux, et, finalement, à des irrégularités qui feront tomber des procédures. Cette mesure, monsieur le ministre, desservira la sécurité que vous promouvez.

Nous le répétons, la responsabilité nécessite l’expérience. De même, mettre en place la fonction d’assistant de police et de gendarmerie n’est pas un gage d’efficacité. La procédure pénale, même dans son aspect le plus infime, nécessite vigilance et rigueur.

À l’issue de son passage au Sénat et à l’Assemblée nationale, la Lopmi continue de nous présenter une conception en mode dégradé, dirai-je, du fonctionnement de la police. Je souhaite d’ailleurs, monsieur le ministre, vous alerter une nouvelle fois, à l’orée de probables mouvements sociaux d’ampleur en réponse au projet de recul de l’âge de départ à la retraite…

M. Gérald Darmanin, ministre. Ah bon ?

Mme Éliane Assassi. J’ai bien précisé « probables ».

Donc, je souhaite vous alerter sur la nécessité de la mise en place d’une nouvelle doctrine de maintien de l’ordre, fondée sur l’apaisement et non sur la tension.

Enfin, en ce qui concerne la police judiciaire, la Lopmi demeure l’antichambre de la réforme à venir portant sa départementalisation, une départementalisation synonyme d’intrusion du pouvoir exécutif dans les procédures pénales. Une nouvelle rédaction de l’alinéa 150 du rapport annexé ne suffira pas à éteindre la colère vive qui s’exprime au sein de la magistrature, des barreaux et des enquêteurs de la police judiciaire. Les garanties d’indépendance offertes sont trop faibles.

Par conséquent, cette Lopmi n’est pas à la hauteur des enjeux humains et procéduraux de notre ère, comme en témoigne la décision de la commission mixte paritaire de supprimer l’article 6 bis prévoyant des référents formés à la lutte contre les discriminations au sein des commissariats et des gendarmeries. La commission mixte paritaire brandit le fait que le rapport annexé reprend l’article.

M. Loïc Hervé. Ce qui est objectivement vrai.

Mme Éliane Assassi. Je ne dis pas le contraire, mais vous savez comme moi que la disposition n’aura dès lors plus de valeur normative.

Être moderne ne se résume pas à se doter d’équipements numériques ; être moderne, c’est tendre l’oreille, agir de façon inventive et demeurer au service de l’intérêt général par la proximité. La Lopmi n’est pas innovante malgré ses apparences très robotiques. Nous voterons donc contre ce texte.

M. Loïc Hervé. Quel dommage !

Mme la présidente. Conformément à l’article 42, alinéa 12, du règlement, je mets aux voix, dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, l’ensemble du projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur.

J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.

Il va y être procédé dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 107 :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 343
Pour l’adoption 316
Contre 27

Le Sénat a adopté définitivement. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP, RDSE, UC et Les Républicains.)

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur
 

6

Ordre du jour

Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, jeudi 15 décembre 2022 :

À onze heures :

Nouvelle lecture du projet de loi de finances pour 2023, considéré comme adopté par l’Assemblée nationale en application de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution (texte n° 203, 2022-2023).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-sept heures vingt-cinq.)

Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,

le Chef de publication

FRANÇOIS WICKER