Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Pap Ndiaye, ministre de léducation nationale et de la jeunesse. Madame la sénatrice Robert, je vous remercie de vos propos, qui témoignent de la mobilisation du Sénat tout entier sur cette question. Je partage votre engagement.

À propos du cyberharcèlement, j’ai mentionné le 3018. J’ai également rappelé quelle était la responsabilité des plateformes. Je suis ouvert à toutes les propositions pour avancer sur cette question. Il est évident que l’État a une responsabilité en la matière. Je suis disposé à engager avec vous un travail commun pour progresser et réduire le fléau du cyberharcèlement.

Mme la présidente. La parole est à Mme Sylvie Robert, pour la réplique.

Mme Sylvie Robert. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le ministre.

Nous aurons beaucoup à faire à l’avenir en matière de lutte contre le cyberharcèlement, singulièrement dans le domaine du numérique. Il y va de notre responsabilité collective d’avancer ensemble sur cette question.

Mme la présidente. La parole est à Mme Sabine Drexler. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Sabine Drexler. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la médiatisation récente de plusieurs suicides d’enfants a révélé à ceux qui l’ignoraient encore ce qu’était le harcèlement scolaire et ses effets à court terme.

Ce que l’on sait moins, c’est que la santé, le travail ou la parentalité de ceux qui auront subi, fait subir ou été témoins de ces violences en seront affectés pour toujours.

Anxiété sociale pour les victimes, abus de pouvoir au travail ou en famille pour les agresseurs, sentiment d’impuissance pour les témoins : le harcèlement scolaire explique de nombreux maux à l’âge adulte. Dépressions, violences intrafamiliales, chômage, ses conséquences sanitaires, humaines et financières sont énormes pour la société.

L’éducation nationale a pris conscience de la nécessité d’agir, mais il semble à l’enseignante spécialisée que j’ai été que la mise en place de programmes tels que pHARe ne peut être efficace qu’à la condition que des personnels et des professionnels dédiés soient présents en appui des enseignants et auprès des élèves, pour bien connaître et suivre les situations individuelles.

Sans moyens humains, ces dispositifs resteront des coquilles vides, des méthodologies pour la plupart théoriques, souvent impossibles à mettre en œuvre, faute d’équipes spécialisées pour les accompagner.

Monsieur le ministre, si les écoles en zones prioritaires bénéficient de moyens encore considérables, les postes spécialisés sont supprimés l’un après l’autre dans la ruralité. On ne trouve quasiment plus nulle part de médecine scolaire, de psychologues, d’enseignants spécialisés.

Ceux qui restent sont submergés et peu reconnus pour ce qu’ils font. Ils sont également dans l’impossibilité de remplir leurs missions et de répondre à la masse des demandes d’aide. Il s’agit là d’un mauvais calcul, car ces économies à court terme ont déjà des conséquences humaines et sociales désastreuses. Je le constate chez moi, en pleine campagne, où les enseignants sont livrés à eux-mêmes et où les violences intrafamiliales explosent.

Monsieur le ministre, vaut-il mieux prévenir ou guérir ? Vaut-il mieux créer des postes d’enseignants spécialisés ou des postes d’intervenants sociaux en gendarmerie ?

On nous dit que la France compte suffisamment d’enseignants. Peut-être, mais il ne faut pas négliger la ruralité. Ce sont des territoires que l’on croit préservés ; or ils ne le sont en réalité plus du tout. Chez moi, dans le sud de l’Alsace, il ne reste que trois personnels spécialisés pour 108 communes. Les enseignants, les élus et les familles se sentent abandonnés. Je crains qu’ils n’aient raison… (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Pap Ndiaye, ministre de léducation nationale et de la jeunesse. Madame la sénatrice Drexler, aucun territoire n’est abandonné, je puis vous l’assurer !

J’ai eu l’occasion de l’évoquer devant vos collègues, le Gouvernement a lancé un plan Ruralité avec un engagement pluriannuel à partir de cet automne pour donner de la visibilité en matière de postes sur trois ans dans les écoles. Nous allons donc offrir de la visibilité aux maires pour éviter d’une année sur l’autre des changements brutaux de la carte scolaire.

Par ailleurs, en matière de moyens humains, les territoires ruraux sont relativement favorisés par rapport aux territoires urbains : du fait des questions d’éloignement, la densité dans les écoles est moindre. Le taux d’encadrement y est ainsi meilleur, même si cela ne répond pas entièrement à votre question sur le harcèlement.

Nous avons engagé des moyens, par exemple, en matière de formation. Or celle-ci, au niveau national comme au niveau académique ou départemental, a un coût. Nous sommes déterminés à proroger ces moyens, afin de réduire de manière absolument déterminante les situations de harcèlement.

Encore une fois, les territoires ruraux ne sont pas oubliés. Nous nous sommes engagés sur un chemin et nous nous y tenons.

Mme la présidente. La parole est à Mme Sabine Drexler, pour la réplique.

Mme Sabine Drexler. Monsieur le ministre, dans certains secteurs en France, il n’y a même plus de psychologues scolaires pour évaluer les élèves pour lesquels on pressent une situation de handicap. Il n’y a plus d’enseignants spécialisés pour rattraper des enfants qui seraient pourtant rattrapables.

Quel gâchis et quels coûts à venir pour accompagner dans quelques années ces futurs adultes, qui seront dans l’incapacité de s’insérer dans la société. Ces coûts seront autrement plus élevés que les quelques postes économisés aujourd’hui ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Toine Bourrat.

Mme Toine Bourrat. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le harcèlement scolaire blesse, broie, brise et vole ce que la vie offre de plus précieux : l’enfance, ce terreau fertile où poussent les goûts, l’apprentissage et les prémices de la conscience morale, civique et donc sociale.

Dans ce pays où l’on prétend combattre l’endémie d’un mal par un numéro vert, il est temps de mettre un coup d’arrêt à une spirale que le développement des technologies rend bien souvent infernale.

Pour y parvenir, monsieur le ministre, c’est une culture de la vigilance qu’il nous faut instituer, une culture qui se pense et se déploie au plus près du terrain, c’est-à-dire des victimes potentielles ou avérées. Il s’agit de détecter rapidement, d’agir en local pour laisser les enfants le moins longtemps possible en situation de harcèlement. Les premiers témoins sont les enfants eux-mêmes, ils sont spectateurs ; libérons leur parole. Expliquons que l’idée est non pas de dénoncer un harceleur, mais de signaler un élève harcelé : c’est une assistance à personne en danger.

À cet égard, les applications intracollèges et lycées de type Pronote pourraient être utilisées comme plateformes internes d’alerte permettant aux témoins de signaler un élève en difficulté tout en préservant leur anonymat.

Premier rempart dans l’accompagnement psychosocial, nous devons également redresser une médecine scolaire en grand danger. Oui, j’y insiste, la médecine scolaire est abandonnée. Nous comptons seulement un médecin pour 12 000 élèves. C’est une situation que Dominique Bussereau qualifiait d’indigence devant le Sénat lors de sa dernière audition.

Plus encore, il convient de traiter ce fléau dans son intégralité. Le programme pHARe, dont vous avez annoncé le déploiement au lycée, n’est qu’une réponse partielle à un problème global. Ce qu’il nous faut, comme en Finlande depuis plusieurs générations, c’est un bouleversement culturel, l’avènement d’une société de grands témoins ; non de la suspicion, mais de l’attention portée aux autres où chacun est le maillon d’une chaîne de valeur trop souvent ignorée chez nous : le respect de l’autre, l’interaction sociale et la compréhension des émotions d’autrui.

Plus qu’un programme, la Finlande a développé cette culture de la vigilance que le temps long et surtout les moyens humains, comme financiers, font infuser au quotidien avec des résultats surprenants, marqués par la baisse de plus de 40 % du phénomène.

Enfin, comment peut-on penser lutter contre le harcèlement scolaire en faisant l’économie de son volet cyber ? Nous avons le devoir d’éviter la dissémination des comptes, la multiplication des identités factices et des comptes fantômes, qui prospèrent grâce à l’anonymat et au pseudonymat. Qu’attendons-nous pour corréler l’identité numérique à l’identité réelle des utilisateurs de réseaux sociaux ? Techniquement, c’est déjà possible.

Monsieur le ministre, les militaires, qui savent mieux que personne traiter l’urgence, ont une formule que je fais mienne : être à l’heure, c’est déjà être en retard. Du retard, nous en avons à rattraper. La France le peut, comme la Finlande l’a fait. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Pap Ndiaye, ministre de léducation nationale et de la jeunesse. Madame la sénatrice, je partage évidemment vos préoccupations sur les questions de cyberharcèlement.

En Finlande, le programme KiVa a certes donné de bons résultats, mais cela a pris dix ans. Le programme que nous avons déployé en France est bien entendu beaucoup plus récent. Nous espérons obtenir des résultats plus rapidement. Les regards internationaux portés sur nos efforts saluent la qualité de notre action.

Le fait est que nous rencontrons pour l’instant un problème de déploiement, puisque nous ne sommes pas à 100 % de nos possibilités, loin de là. Quoi qu’il en soit, nous espérons mettre moins de dix ans pour parvenir à des résultats comparables à ceux de la Finlande. L’expérience internationale est évidemment très utile pour ce qui concerne notre action en direction des écoles, des collèges et des lycées.

Mme la présidente. La parole est à Mme Toine Bourrat, pour la réplique.

Mme Toine Bourrat. Monsieur le ministre, les résultats du programme finlandais sont bien meilleurs au bout de dix ans que le taux de 40 % que j’ai cité, lequel a été atteint au bout de deux ans, voire de trois ans.

Conclusion du débat

Mme la présidente. En conclusion du débat, la parole est à M. le ministre.

M. Pap Ndiaye, ministre de léducation nationale et de la jeunesse. Sans avoir fait aujourd’hui le tour de cette question, et comment aurions-nous pu y parvenir, nous avons néanmoins abordé un certain nombre de sujets importants. Permettez-moi d’en récapituler quelques-uns.

La question de la formation a été évoquée à plusieurs reprises. Nous avons concentré nos efforts sur les équipes au sein des écoles et des collèges. Notre objectif est effectivement de former tous les personnels, comme le prévoit la loi du 2 mars 2022. La formation systématique des professeurs stagiaires a commencé. Nous mobiliserons encore davantage les instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation ainsi que les écoles académiques de formation continue.

Nous devons aussi suivre qualitativement et quantitativement les actions menées. J’ai indiqué que nous avions encore des marges de progression, puisque 86 % des collèges et 60 % des écoles sont actuellement inscrits dans le programme. L’objectif est évidemment d’atteindre les 100 % et d’étendre pHARe aux lycées dès la rentrée prochaine.

Comme le recommandent les sénatrices Mélot et Van Heghe dans leur rapport d’information de septembre 2021, nous allons faire figurer à chaque rentrée scolaire les numéros d’urgence, 3018 et 3020, dans les carnets de correspondance et les supports numériques.

Enfin, si le rôle de l’éducation nationale est de prévenir, d’accompagner et de protéger les élèves, certaines situations – il faut le reconnaître – ne peuvent se régler qu’en séparant les élèves harcelés de leur harceleur. Souvent pour mettre fin rapidement aux souffrances causées par le harcèlement, les parents de l’élève harcelé font le choix de le changer d’établissement. Nous comprenons le sentiment d’injustice qui peut naître de cette situation.

Puisqu’il n’est pas possible de déplacer un élève dans une autre école sans l’accord des parents dans le premier degré, contrairement au second degré qui dispose d’un conseil de discipline, nous mettons en place des actions éducatives en fonction de la gravité de la situation, y compris dans le cas extrême d’un élève qui fait peser du fait de son comportement répété une menace grave sur la sécurité des autres élèves.

Nous allons faire évoluer les textes réglementaires pour instaurer une procédure permettant de déplacer dans une autre école un élève auteur de harcèlement, et ce sans l’accord des représentants légaux. C’est l’obligation de mise en sécurité de l’élève qui justifie cette exception.

Bien entendu, nous avons affaire à des élèves de six à dix ans. Nous devons donc être prudents, car nombre de cas de harcèlement ne sont pas aussi simples qu’il y paraît. Pour autant, le déplacement de l’élève harceleur est essentiel, même si toute procédure d’exclusion doit être entourée des garanties indispensables aux droits de l’enfant, qu’il soit l’élève harcelé ou l’élève harceleur.

Je terminerai mon propos en ayant une pensée émue pour tous les élèves victimes de harcèlement scolaire. Notre débat leur rend hommage. Je sais que nous sommes tous ici pleinement engagés pour trouver des solutions afin de prévenir ce phénomène. Les drames qui se sont produits encore récemment viennent nous rappeler douloureusement qu’il nous reste encore beaucoup à faire.

Mme la présidente. En conclusion du débat, la parole est à M. Max Brisson, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Max Brisson, pour le groupe Les Républicains. Je vous remercie, monsieur le ministre, de vos propos conclusifs. Je salue d’ailleurs toutes les précisions que vous avez apportées et les annonces que vous avez faites au cours du débat. Elles ont été de nature à nourrir nos échanges.

Le groupe Les Républicains a eu raison de demander l’inscription de ce débat à l’ordre du jour du Sénat. Il a entraîné un consensus bien compréhensible, ce qui ne sera peut-être pas tout à fait le cas pour la proposition de loi que nous allons examiner dans quelques instants.

M. Julien Bargeton. C’est clair !

M. Max Brisson. Je remercie Alexandra Borchio Fontimp d’avoir posé avec force les termes du débat et d’avoir largement repris, comme beaucoup d’entre vous, les travaux de la Haute Assemblée, notamment ceux de la mission d’information de nos collègues Sabine Van Heghe et Colette Mélot.

Plusieurs drames sont, hélas ! venus rappeler récemment l’urgence qu’il y avait à intensifier la lutte contre ce fléau. Beaucoup ont parlé de Lucas, qui s’est suicidé après avoir été harcelé dans son collège et sur les réseaux sociaux en raison de son homosexualité. Je voudrais rappeler, pour ma part, ce lycéen qui, après avoir subi un harcèlement dans son ancien collège, a assassiné récemment son enseignante dans son nouveau lycée. S’il est hasardeux de faire la moindre corrélation entre les deux événements, le drame de Saint-Jean-de-Luz est dans toutes les têtes.

Beaucoup ont rappelé qu’au-delà de ces cas extrêmes qui émaillent l’actualité, il existe aussi une réalité ordinaire, quotidienne, vécue par de nombreux enfants. Beaucoup ont justement souligné que les effets du cyberharcèlement, dont les cas se multiplient depuis le confinement, se prolongent dans la sphère privée, y compris le week-end.

Pour autant, comme le soulignaient déjà les travaux de la mission sénatoriale, nous manquons d’enquêtes statistiques précises, récentes et régulières. Par ailleurs, il faudra aussi rapidement évaluer les effets du programme pHARe et du dispositif pénal issu de la loi du 2 mars 2022. Il s’agit d’un préalable essentiel pour un plan d’action plus efficace.

En 2021, notre mission pointait la détection comme un axe majeur. Pour progresser, nous avons fortement mis l’accent sur le besoin de formation des personnels. Le premier niveau de lutte contre le harcèlement passe, en effet, par la compréhension du phénomène et par la communication.

Le principe d’une formation initiale et continue de l’ensemble des acteurs concernés a été inscrit dans la loi du 2 mars 2022, mais semble loin d’être appliqué dans les faits, comme vous venez de le souligner. Deux tiers des enseignants dénoncent encore un manque de formation, ainsi qu’une absence de prise en considération par leur hiérarchie. Vous avez réagi voilà quelques instants sur l’expression « pas de vagues ». Admettez cependant que c’est un sujet qui dérange toujours ; parfois – et malheureusement ! – l’inertie prévaut encore.

Beaucoup ont dit de manière plus ou moins conciliante qu’il était nécessaire d’identifier plus rapidement les cas de harcèlement. Nous butons ici sur le manque criant de médecins scolaires, d’infirmières, de psychologues, pourtant les mieux à même de repérer la détresse de l’enfant et de recueillir sa parole. Nous attendons donc le plan que vous avez annoncé et sa mise en œuvre. Nous aurons des propositions à vous faire sur le sujet.

Après le repérage d’un cas de harcèlement, le traitement de la situation est essentiel. Les retours des associations et des familles montrent que des progrès peuvent encore être réalisés. Les victimes et leurs parents ne se sentent pas suffisamment écoutés et soutenus. Nous manquons de moyens humains et financiers pour généraliser le programme pHARe, qui repose sur des dispositifs qui ne sont pas encore assez explicites pour assurer une vraie prise en charge dans l’établissement scolaire et une meilleure orientation vers les intervenants extérieurs.

Nous avons aussi beaucoup parlé de la proposition de loi de notre collègue Marie Mercier que nous soutenons fortement, comme l’a rappelé Alexandra Borchio Fontimp.

Vous venez de faire des annonces, monsieur le ministre ; elles sont les bienvenues. Nous attendons des mesures précises. L’essentiel est de régler la question.

En conclusion, monsieur le ministre, nous attendons que les recommandations du Sénat et que la proposition de loi de notre collègue Marie Mercier soit réellement prises en compte dans le programme pHARe et qu’elles deviennent effectives sur le terrain. Nous serons donc particulièrement attentifs dans les prochains mois à la mise en œuvre de toutes les annonces que vous avez faites ce matin et que vous avez réitérées cet après-midi. La mobilisation ne doit pas fléchir. Le Sénat vous accompagnera. La sérénité de tous nos élèves à l’école est en jeu ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Bernard Fialaire et Jean-Noël Guérini applaudissent également.)

Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat sur le thème « Harcèlement scolaire : quel plan d’action pour des résultats concrets ? »

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Dossier législatif : proposition de loi pour une école de la liberté, de l'égalité des chances et de la laïcité
Discussion générale (suite)

École de la liberté, de l’égalité des chances et de la laïcité

Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi pour une école de la liberté, de l'égalité des chances et de la laïcité
Rappel au règlement

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe Les Républicains, la discussion de la proposition de loi pour une école de la liberté, de l’égalité des chances et de la laïcité, présentée par M. Brisson et plusieurs de ses collègues (proposition n° 320 rectifié, texte de la commission n° 501, rapport n° 500).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Max Brisson, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Max Brisson, auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, alors que les pays de l’OCDE consacrent en moyenne 4,9 % de leur PIB à l’éducation de leur jeunesse, la France y consacre 5,2 %.

Il s’agit en effet de la première mission en volume. L’an dernier, nous votions un budget de 60 milliards d’euros. Pourtant la performance de notre système éducatif ne cesse de se dégrader : production d’inégalités, décrochage dans les classements internationaux, lacunes dans l’acquisition des savoirs fondamentaux. Les enquêtes et rapports nous alertent sur la dramatique baisse du niveau en mathématiques et en sciences ou sur les difficultés croissantes des élèves en lecture et en compréhension d’énoncés simples. Ces évaluations inquiètent un peuple tout entier.

Sans qu’on puisse les en blâmer, année après année, les parents qui en ont les moyens font fuir à leurs enfants les plus mauvais établissements. L’évitement est devenu un sport national.

Parallèlement, le nombre de candidats au métier d’enseignant fond. Le ministère recrute en urgence des contractuels bombardés professeurs en quarante-huit heures et affectés dans les établissements les plus difficiles. Le métier est de moins en moins attractif. Nous doutons, monsieur le ministre, que la seule revalorisation des salaires, aussi nécessaire soit-elle, puisse remplacer une réponse structurelle.

L’éducation nationale est en crise. Pourtant, l’attachement à notre école demeure. Son redressement est espéré. S’il existe des divergences, elles concernent les réponses à apporter. Pour la majorité des acteurs, elles sont essentiellement financières. Entre 2012 et 2017, la hausse du budget de l’éducation a été de 11 %. Entre 2017 et 2022, elle a atteint 21 %. Était-ce une nécessité ? Assurément. Les résultats ont-ils été à la hauteur ? Certainement pas !

Depuis trop longtemps, crédits et moyens supplémentaires sont les remèdes exclusifs à la dégradation de notre école. Ne nous y trompons pas, ils masquent l’impuissance à réformer un système trop vertical, trop uniforme et oublieux des particularités. On dépense beaucoup, alors qu’on ne repense jamais en profondeur l’organisation de notre système éducatif.

C’est une impuissance à laquelle la rue de Grenelle a trop souvent répondu par plus de contrôles, plus de procédures, plus de circulaires, plus de mainmise dans la vie des établissements et par une gestion des ressources humaines (GRH) qui, in fine, s’est coupée de la réalité des conditions d’exercice du métier d’enseignant.

Ces dernières années, aux rares lettres ministérielles qui, dans le passé, fixaient un cadre et des objectifs généraux ont succédé l’avalanche des circulaires, la multiplication des injonctions, l’enchevêtrement des contrats d’objectifs et – disons-le – le plaisir d’un verbiage plus ridicule que précieux.

Alors qu’en Europe la tendance générale conduisait à donner plus de souffle, plus d’autonomie au système d’éducation, en France, verticalité, centralisation, uniformisation épuisent désormais toutes les initiatives et découragent les meilleures idées. Tout cela, bien sûr, au nom des grands principes d’unité et d’égalité, alors que notre système scolaire produit ségrégation et inégalités.

Le cœur de cette proposition de loi est donc d’en finir avec cette asphyxie bureaucratique et d’engager une rupture avec le conservatisme ambiant, arc-bouté sur deux maximes qui font florès au ministère : « on l’a déjà fait » et « c’est impossible ».

Pourtant, rapport après rapport, la Cour des comptes nous le dit : les systèmes scolaires les plus performants sont ceux qui donnent le plus de place à chaque établissement, fédérant à ce niveau la communauté éducative autour d’un projet commun qui encourage les enseignants à être novateurs et à améliorer leurs performances et celle de leurs collègues.

Tout est dit : ce sont bien la liberté et l’autonomie qui font défaut !

À l’aune de ce constat, je vous propose de poser les fondations d’une plus grande autonomie des établissements scolaires à travers la création expérimentale, sur la base du volontariat, des établissements publics autonomes d’éducation.

Ces établissements auront la possibilité de contractualiser avec les recteurs et les collectivités territoriales pour ce qui est de leur organisation pédagogique, des dispositifs d’accompagnement des élèves, de l’affectation des personnels, de l’allocation et de l’utilisation des moyens, ainsi que du recrutement des élèves.

Il s’agira d’une contractualisation non pas pilotée par le haut, encadrée, corsetée, adepte du copié-collé, mais bel et bien initiée par les équipes pédagogiques pour s’adapter aux réalités de chaque établissement. Bref, le contraire de ce qui a été engagé jusqu’alors et qui se poursuit aujourd’hui.

En effet, monsieur le ministre, « l’école du futur », « notre école, faisons-la, ensemble », « le fonds d’innovation pédagogique » demeurent, malgré le discours présidentiel sur l’autonomie, marqués au fer rouge d’un pilotage par le haut.

Ces initiatives sont à leur tour empêtrées, limitées par une application restrictive, enserrée, rabougrie. Elles se trouvent parfois même en porte-à-faux avec l’objectif initial, en dépit d’une intention sincère, celle de donner plus de souplesse et de souffle aux établissements.

À l’inverse, l’expérimentation des établissements publics autonomes redonnera, elle, toute sa place, tout son sens, tous ses moyens aux projets pédagogiques des établissements, tout en continuant de les inscrire dans un cadre national, qui innerve depuis deux siècles notre système éducatif.

L’expérimentation s’appuiera également sur les contrats de mission, qui permettront d’aérer les carrières des professeurs, de rompre avec leur linéarité et, donc, de soutenir l’envie que beaucoup ont d’innover, de procéder à des changements au sein de l’institution, bref, l’envie de véritablement servir.

Mes chers collègues, nous sommes tous particulièrement sensibles dans cet hémicycle à la spécificité des territoires. Chacun d’entre nous sait d’expérience qu’aucune école, aucun collège, aucun lycée ne se ressemble.

Qui mieux que le professeur sait adapter ses enseignements aux élèves ? Qui mieux que le directeur, le principal ou le proviseur peut définir les besoins de l’établissement dont il a la responsabilité ?

Voilà l’esprit de cette expérimentation : donner une plus grande liberté aux écoles, aux collèges, aux lycées, aux directeurs, aux chefs d’établissement et aux professeurs. C’est incontournable pour promouvoir le mérite et l’égalité des chances. Je sais que le débat est clivant, et alors ?

L’autre mal auquel ce texte apporte un début de réponse est celui de l’acquisition des savoirs fondamentaux.

Celle-ci vacille parce que l’école s’éparpille. Le temps effectif consacré à l’enseignement de ces savoirs se réduit, alors que les programmes, bigarrés d’une multitude « d’éducation à », se densifient.

De l’institution scolaire on attend désormais moins l’instruction qu’une réponse aux multiples défis sociétaux ; nous sommes bien loin de « l’asile inviolable où les querelles des hommes ne pénètrent pas » que Jean Zay appelait de ses vœux.

Pour répondre à cette baisse de niveau, je vous propose de créer un service public de soutien scolaire et de généraliser l’accès de tous les élèves à des cours de soutien. Je ne veux plus de démarcation entre ceux dont les familles ont les ressources pour payer de tels cours et ceux qui ne les ont pas.

Le service public de soutien scolaire s’appuiera, entre autres, sur des professeurs volontaires, y compris retraités, réunis sous la forme d’une « réserve éducative ».

La question de la formation des professeurs doit également être posée. Enseigner dans le premier ou le second degré, ce n’est pas le même métier. La formation ne peut pas être identique. C’est pourquoi cette proposition de loi prévoit de dissocier la formation des enseignants du premier et du second degrés.

Il s’agit pour moi non pas de revenir sur la mastérisation ou le lien avec l’université, mais d’arrêter de se payer de mots et de redonner enfin la main à l’éducation nationale dans la formation des professeurs des écoles.

En dernier lieu, vous le savez, mes chers collègues, nous sommes vigilants sur la question de la laïcité.

L’école doit demeurer cet outil de rassemblement fondé sur une stricte laïcité. C’est le sens des dispositions sur la neutralité des accompagnateurs scolaires et sur le port d’une tenue d’établissement renforçant le sentiment d’appartenance et le vivre-ensemble.

J’espère que, sur ces sujets, comme sur les autres, nos débats seront à la hauteur des enjeux. Je crois qu’il nous faut être conscients de ce qui se joue dans les établissements, loin des postures dogmatiques.

Pour terminer, je veux saluer très chaleureusement notre rapporteur Jacques Grosperrin pour son travail et l’élaboration de ce texte, amendé lors de son examen en commission.

Mes chers collègues, nous n’avons certainement pas les mêmes solutions à proposer – les nombreux amendements déposés en témoignent.

J’émets le vœu que nos débats soient féconds et fertiles, car notre école le mérite. Soyez au moins assurés d’une chose : les propositions qui figurent dans ce texte reposent sur des convictions fortes et sur une passion immodérée pour l’école de la République ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi que sur des travées du groupe RDSE. – M. Franck Menonville applaudit également.)

Rappel au règlement